Frère Châle

De La Bibliothèque Impériale

L’homme dont on se rappelle sous le nom de frère Châle était un simple initié qui servait dans les jardins de Mórr à Nuln il y a quelque trois cents ans de cela. Il connut une existence plutôt anodine et aurait sans doute sombré dans l’oubli sans son extraordinaire talent de sculpteur de pierres tombales. De morceaux de marbre ordinaires, il parvenait à tirer les formes les plus fascinantes. Dans ses jeunes années, il passa le plus clair de son temps à sculpter des corbeaux plus vrais que nature dans des morceaux d’obsidienne. Quand il en avait fini, il les plaçait sur les pierres tombales de ses hôtes les plus méritants, et il ne fallut pas longtemps pour que les jardins fussent remplis de ces oeuvres d’une beauté exquise.

L’âge venant, il parla de moins en moins, et dès que de nouveaux hôtes arrivaient dans les cryptes pour y être préparés, il passait des heures assis sur un tabouret à regarder ses confrères travailler. Au coucher du soleil, il se retirait dans son atelier où résonnaient les bruits de ses outils jusqu’à l’aube. Quand les prêtres se réveillaient, ils découvraient une sculpture du défunt d’une précision telle qu’elle semblait le représenter trait pour trait au moment de son trépas. Il s’agissait là d’un talent troublant, mais qu’on croyait aussi issu de l’inspiration divine, et les moriens permirent donc au frère Châle de poursuivre son oeuvre. Bientôt, un bon nombre de ces pièces macabres avaient rejoint les corbeaux noirs.

La vie du frère Châle s’interrompit de façon abrupte et surprenante quand il sculpta une jeune femme qu’on avait repêchée dans le fleuve. Nul ne sait à quoi devait ressembler la sculpture, car quand les prêtres s’en vinrent pour examiner cette dernière oeuvre, ils trouvèrent la statue en morceaux et frère Châle étendu à terre, la tête fracassée par l’un de ses corbeaux chéris. Les cultistes sortirent de l’atelier en débattant des implications de ce meurtre, quand l’un d’eux tourna les yeux vers les jardins. Là, tous les corbeaux d’obsidienne prirent vie et s’envolèrent en croassant un nom, le répétant sans arrêt. Ce nom était celui de Rudolf, un des prêtres. Il s’avéra que Rudolf s’aventurait dans les rues à la nuit tombée pour assassiner des jeunes femmes du quartier des miséreux. Devant cette preuve irréfutable, Rudolf avoua son crime, affirmant que frère Châle avait gravé son nom sur la tête de la statue afin que tous le voient.

Après ce miracle, frère Châle fut élevé au rang d’Âme Vénérée, et une petite icône à son effigie se dresse au centre des jardins. Chaque mois, une nuée de corbeaux se pose sur sa tête et ses bras, croassant d’une voix stridente le nom de Rudolf pour que nul n’oublie l’acte abominable perpétré dans ce lieu sacré.

Les habitants du Vieux Monde qui enterrent dans les jardins de Mórr un être bien-aimé qui a été assassiné s’arrêtent parfois devant l’icône de frère Châle pour le prier de révéler l’identité du meurtrier. La plupart du temps, la statue ne donne aucun indice, mais à peu près une fois toutes les décennies, un corbeau apparaît et murmure le nom une seule fois avant de tomber sur le sol pavé et de se fracasser en mille morceaux d’obsidienne.

Source[modifier]

  • Warhammer JdR - Le Tome de la Rédemption