La Mort Rôde dans la Jungle : Différence entre versions

De La Bibliothèque Impériale
 
(Aucune différence)

Version actuelle datée du 7 février 2020 à 18:31

Reinhold écrasa en jurant un autre insecte suceur de sang. La sueur coulait sous l’armure lourde du sergent, se mêlant à la pluie qui traversait sa cotte de mailles alors qu’il pataugeait dans la boue jusqu’aux genoux. Se servant de sa hallebarde comme d’un bâton, il sonda le marécage, elle s’enfonça profondément avant de rencontrer la terre ferme. Chaque pas était un vrai calvaire, mais il continuait résolument d’avancer. Voici quelques heures, le capitaine avait harangué ses hommes, les poussant à avancer, et la dernière chose qu’il voulait était se retrouver dans cette jungle infestée de reptiles une fois la nuit tombée. Leur navire avait coulé dans la matinée, jeté sur les récifs acérés par une vague plus grosse que les autres. Il faisait voile vers Bourbeville lorsque le temps avait brutalement tourné. La plupart des soldats s’en étaient tirés mais certains avaient été entraînés sous les vagues par les puissants courants. Les canons avaient sombré avec le vaisseau et la poudre des arquebusiers était encore détrempée. Le capitaine, malgré le manque de précision de leurs cartes, estima qu’ils n’étaient qu’a quelques heures de marche du village, mais le temps semblait s’écouler avec une lenteur pénible.

Reinhold et son régiment de hallebardiers constituaient la deuxième unité de la colonne. Il pouvait à peine distinguer entre les rafales de pluie la livrée rouge et noire des épéistes du capitaine. Soudain, ceux-ci s’arrêtèrent et Reinhold cria à ses hommes d’en faire autant. Il s’appuya sur sa hallebarde et passa une main calleuse dans ses cheveux ras.

« Pourquoi on s’arrête, sergent ? »

Reinhold se retourna, la voix était celle de Michel, un costaud barbu qui se battait sous ses ordres depuis près de trois ans. Le sergent haussa les épaules.

« Qui sait ? On suit les ordres. »

Michel produisit une gourde, en prit une gorgée et la tendit au sergent. Reinhold hocha la tête en signe de remerciement et porta la flasque à ses lèvres. Un liquide chaud et brûlant coula dans sa gorge. Il haussa un sourcil, et Michel lui retourna un rictus complice.

« Ça fait des mois que je garde ça. Du Dragon Bouffi pur malt, direct de Carroburg ! »

Reinhold aperçut un mouvement du coin de l’oeil et il pivota pour observer la jungle. Il revit un éclair bleu dans la pénombre, mais même en plissant les yeux, il ne distingua rien de plus. Son attention fut détournée de la jungle par la voix de Michel.

« Qu’est-ce que vous en pensez, sergent ? »

Michel montrait du doigt une série d’antiques blocs de pierre alignés le long du sentier boueux, à moitié dissimulés par la dense végétation. Patinés et usés, ils étaient teintés de rouge et de vert, mais les motifs et les dessins qu’ils portaient étaient depuis longtemps illisibles. Des crânes étaient empalés sur des épieux à la lisière des arbres, l’un d’entre eux arborant quelques vestiges de cheveux emmêlés. Il haussa les épaules.

Il y eut alors un nouveau mouvement et il vit l’un des éclaireurs du capitaine émerger de la jungle près des pierres. Il dévala frénétiquement la pente, aplatissant la végétation. Ses vêtements étaient en lambeaux et la panique se lisait dans ses yeux écarquillés. Alors qu’il s’approchait. Reinhold entendit un souffle vif. Un dard emplumé s’enfonça dans la nuque de l’éclaireur, qui laissa échapper un cri. Il se retourna en chutant, et une deuxième fléchette l’atteignit en plein visage.

« Quart de tour à gauche ! » rugit Reinhold.

Ses hommes, bien que fatigués, étaient parfaitement entraînés et pivotèrent de quatre-vingt-dix degrés pour faire face à la jungle. Ils agrippèrent fermement leurs hallebardes, horrifiés en voyant l’éclaireur en proie à des convulsions tandis que son visage virait à une couleur violette malsaine à quelques mètres à peine. Mais l’ennemi était toujours invisible. Escorté de deux gardes du corps, le capitaine rejoint l’éclaireur en un instant. Il s’agenouilla dans la boue au côté du mourant, dont la bouche laissait échapper un flot d’écume, et Reinhold le vit extraire quelque chose de sa main. Il perçut l’éclat de l’or et entendit le capitaine étouffer un juron de stupéfaction dans un souffle.

Le regard de Reinhold rencontra soudain les pupilles fendues d’une créature reptilienne à la peau bleue qui le scrutait depuis le sous-bois à quelques pas de là, alors qu’il n’y avait rien le moment d’avant. Sa peau était lisse et, dès qu’elle comprit que Reinhold l’avait vue, une crête se hérissa sur sa tête, virant au rouge le plus vif. Le reptile ouvrit la bouche, dévoilant des centaines de petites dents acérées. Penchant la tête de côté, la chose poussa un sifflement aigu. La jungle s’emplit de mouvements lorsque des dizaines d’autres créatures émergèrent de la végétation, fixant les humains de leurs yeux jaunes et froids.

« Ne tirez pas ! » cria le capitaine au moment ou les arbalétriers épaulaient leurs armes.

Depuis les profondeurs de la jungle émergèrent des rangées de grands lézards, marchant sur leurs pattes arrières comme des hommes. Ces puissantes et graciles créatures étaient dotées d’une crête d’épines dépassant de leur colonne vertébrale, tandis que leurs têtes étaient protégées par de larges plaques osseuses. Elles portaient des boucliers hérissés en forme de croissants et brandissaient des armes menaçantes. Il devint vite évident que les humains étaient encerclés, et les Hommes-Lézards se faisaient toujours plus nombreux.

Lorsqu’apparut un nouveau groupe de reptiles, les hommes de Reinhold serrèrent nerveusement les hampes de leurs armes. Ces derniers arrivés étaient plus grands que les autres, leurs têtes masquées par des crânes cornus et leurs corps engoncés dans des plaques d’armures d’or martelé. Ils sifflaient et grognaient à l’adresse des intrus, leurs lèvres inhumaines révélant des dents menaçantes. Au milieu de ces imposants guerriers, une créature encore différente des autres avança sur un palanquin qui flottait mystérieusement dans l’air. La chose bouffie se tenait immobile sur sa plate-forme arcanique, assise sur ses jambes croisées. Les longs doigts de ses mains reposaient sur la peau tachetée de ses genoux et ses yeux étranges clignaient lentement, paresseusement en contemplant les étrangers. Reinhold baissa vivement le regard. Il n’avait croisé celui du reptile que brièvement et avait cru que tous ses secrets allaient être dévoilés car son âme elle-même était passée au crible.

Une petite créature nerveuse bondit depuis le dossier voûté du palanquin et se posta aux côtés de son maitre. Elle leva les yeux et fixa ceux de ce dernier, puis se figea. Une forme de communication silencieuse semblait avoir lieu entre les deux reptiles, puis le sort fut brisé. Le petit lézard à crête descendit du dais flottant et s’avança vers les humains, contournant agilement les guerriers massifs qui entouraient son maitre.

Il vint s’immobiliser devant le capitaine et s’exprima dans une voix rapide, pleine de cliquetis et de sifflements. Reinhold mit du temps à réaliser avec la plus grande surprise que la bête s’exprimait dans une forme archaïque de Reikspiel.

« …blasphème impie contre la plus vénérée des divinités des Anciens, violation de la sainteté du Temple du Crâne Doré. »

La créature marqua un temps d’arrêt. Derrière elle, le monstre bouffi leva une main et commença à dessiner des motifs dans l’air à l’aide de ses longs doigts. Reinhold sentit la panique s’emparer de lui et les poils de sa nuque se hérisser.

« Ce lieu n’est pas fait pour les sang-chaud, » articula le petit lézard.

Sans attendre de réponse, le reptile qui reposait sur le dais volant mit un terme à sa gestuelle et serra le poing. Ses yeux clignèrent une fois, et lorsqu’ils se rouvrirent, un feu étrange dansait autour d’eux. La bête ouvrit la main, ses doigts se dépliant délicatement comme autant de branches.

Dans un craquement de tonnerre, des arcs lumineux en jaillirent, frappant les hallebardiers de Reinhold avec une puissance inconcevable. Des éclairs crépitants s’abattirent sur les guerriers, emplissant l’air de l’odeur âcre de la chair brûlée, les envoyant au milieu des rangs de leurs camarades. L’une des décharges traversa la tête de Michel, le guerrier qui se tenait à la gauche de Reinhold. Son cerveau explosa instantanément avant que l’éclair ne reprenne sa course en atteignant le hallebardier qui se tenait derrière lui. Reinhold sentit le crépitement de l’énergie parcourir sa plaque pectorale et frissonna involontairement. Alors que les éclairs traversaient la clairière, la crête bleu pâle de l’interprète reptilien avait viré à l’écarlate et des dizaines de sarbacanes furent portées à des bouches reptiliennes. L’air fut en un instant chargé de fléchettes, et une multitude d’entre elles touchèrent le capitaine qui s’effondra en proie à de violents spasmes.

« Détachement… Feu ! » rugit Reinhold en retrouvant ses esprits.

Les arbalétriers qui suivaient les hallebardiers libérèrent une pluie de carreaux en direction des sous-bois, et nombre des plus petites créatures furent jetées en arrière sous l’impact. Les autres tournèrent les talons et s’enfuirent dans la jungle. Des cris de douleurs et de colère s’élevèrent, et la clairière détrempée se remplit du choc des armes. Regardant autour de lui. Reinhold s’aperçut que les autres régiments étaient déjà engagés par ces redoutables lézards qui jaillissaient de la jungle. Voyant une unité de créatures se diriger vers ses guerriers, Reinhold hurla, essayant de se faire entendre par-dessus le vacarme.

« Chargez ! »

Ses hommes étaient encore sous le choc de la soudaineté de l’attaque, mais ils obéirent sans hésiter à l’ordre de leur sergent et, brandissant leurs hallebardes, enjambèrent les corps calcinés de leurs camarades.

Reinhold sentit la peur le quitter alors qu’il courait péniblement vers les monstres écailleux. Il savait qu’il allait mourir ici, que l’expédition entière allait être massacrée jusqu’au dernier homme. Les ultimes instants de sa vie lui apparaissaient comme vus depuis un point d’observation privilégié, comme si tout cela arrivait à un autre homme.

Au moment où les lignes des humains et celles des Saurus se heurtèrent, il abattit sa hallebarde et fendit le crâne osseux d’un des monstres. Mais le Saurus grogna et lança sa propre arme sur le bras de Reinhold. Les dents acérées de la lame déchirèrent les tendons et fracassèrent les os, sectionnant le membre dans un jet de sang. Les Saurus se battaient avec sauvagerie, frappant de droite et de gauche avec leurs armes comme avec leurs boucliers, chacun de leurs coups lacérant la fragile chair des humains. Ils massacraient leurs ennemis en les broyant de leurs puissantes mâchoires, où en les jetant au sol à l’aide de leurs queues barbelées. De sa main restante, Reinhold dégaina une courte épée et se jeta sur le Saurus qu’il avait blessé, plongeant son arme dans la gorge du reptile. Le sang sombre de ce dernier jaillit de sa blessure, couvrant le bras de Reinhold, et l’humain sentit une joie sauvage le parcourir tandis qu’il mettait à mort la créature. Un instant plus tard, il fut coupé en deux par une arme immense et le noir le submergea.

En quelques minutes, la bataille était terminée.

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Quana-toc cheminait agilement au milieu du tapis de corps, des centaines de cadavres de sang-chaud étaient répandus sur la clairière. Les quelques Hommes-Lézards à avoir péri avaient été rapidement emportés vers Hexoatl avec les plus grands honneurs. Le Skink finit par trouver ce qu’il cherchait. Il s’agenouilla à côté du cadavre du chef humain hérissé d’innombrables fléchettes, le visage était pourpre et enflé sous l’effet des toxines. Quana-toc ouvrit le poing du capitaine et lui arracha le symbole en or. Le levant au niveau de ses larges yeux, il examina soigneusement la relique. Celle-ci avait la forme du Dieu Serpent Sotek : ses yeux étaient constitués de petits rubis étincelant et chacune de ses écailles était minutieusement représentée. Satisfait que les intrus n’aient pas abîmé le précieux artefact, Quana-toc l’enveloppa délicatement dans des feuilles de quanga et le glissa dans son brassard. Il se redressa et prit le chemin du Temple du Crâne Doré où le symbole de Sotek allait retrouver sa place légitime, au milieu de milliers d’autres trésors.

Source[modifier]

  • White Dwarf N°108 (Avril 2003)