La Fin des Temps - Nagash
- Ce monde est mourant. Il vaut mieux que vous le sachiez. Vous dites que vous vivez et que vous respirez, que vous aimez et que vous détestez et que vous avez peur… Oui… Tout ceci est propres aux mortels… Certes vous êtes vivants, c’est indubitable… Mais vous vivez dans un monde qui soufre, empoisonné par une blessure fatale. La pourriture du nord se répand comme la gangrène d’une blessure. Et nous, nous sommes les asticots sur le cadavre.
- - Anonyme
LE DÉBUT DE LA FIN
Le monde se mourait. Ce n’était pas nouveau, et durait depuis un événement d’une ampleur catastrophique appelé le Grand Cataclysme.
Depuis un temps immémorial, les Dieux du Chaos convoitaient le royaume physique, en l’infectant avec leur folie insondable. Ils envoyaient les Démons pour le soumettre par la force, séduisaient les mortels avec des paroles mielleuses et des promesses de gloire pour les rallier à leur cause. Même la réalité physique du monde des mortels était altérée par leur influence, leur essence magique corrompant l’air et le sol, imprégnant toute chose vivante.
À maintes reprises, les Dieux Sombres franchirent la barrière entre les mondes, mais des héros se dressaient toujours pour affronter l’insanité. Par la valeur et le sacrifice, les légions démoniaques furent renvoyées dans le royaume blasphématoire qui les avait engendrées, et les mortels soumis aux Dieux Sombres tués ou repoussés dans les étendues sauvages. Hélas, ces victoires étaient passagères, car les Dieux sont éternels, et le courage des mortels trop éphémère. Le cycle se répétait donc inlassablement, annoncé par une comète à deux queues dans le ciel du nord ; chaque fois la corruption et le carnage s’étendaient davantage. Chaque fois les Dieux se retiraient tandis que la barrière entre les mondes cicatrisait. Mais ces blessures ne se refermaient jamais complètement, et le royaume des mortels ne s’affranchissait jamais de la Magie, ni des querelles qui l’accompagnaient.
Au fil des millénaires, de grandes nations fleurissaient au milieu des conflits, des bastions d’ordre dans un monde de chaos. Or, même si ces empires étaient forts à l’extérieur, ils étaient creux à l’intérieur, car ils ne tenaient que par la haine et la méfiance, et n’étaient gouvernés que par l’orgueil et par la peur. Ces émotions étaient le pain et le vin des Dieux, qui festoyaient autant dans la défaite que dans la victoire. Ainsi les mortels façonnaient leur chute à leur insu, puisque même leurs triomphes hâtaient leur inévitable perte.
Et donc, quand une comète à deux queues réapparut dans les cieux des mortels, de nouveau les Dieux Sombres firent montre de leur force. La digue entre les mondes s’éventra et le filet de Magie devint un déferlement.
Des tempêtes de pur Chaos balayèrent le royaume des mortels. Les pluies de sang faisaient bouillir les chairs. Les cieux et les champs brûlaient d’un feu multicolore, les nuages et les étoiles se tordaient en visages grimaçants pour observer la destruction. Des cités qui se dressaient fièrement depuis des siècles sombraient dans une misère fétide, comme les rivières qui faisaient leur prospérité devenaient noires et toxiques. Partout les mortels cédaient à leurs caprices et à leurs désirs, et se vautraient dans l’obscénité et le blasphème.
Les tempêtes s’étendaient, ralenties ni par les montagnes ni par les océans. Ces maelstroms vomissaient des légions démoniaques, déchaînées pour accomplir la vengeance de leurs maîtres contre le monde. Tandis que les Démons de Khorne entamaient leur carnage, les émissaires de Tzeentch mettaient en œuvre des complots millénaires, en se délectant du spectacle des mortels dansant tels des marionnettes au bout de leurs fils. Les pestes de Nurgle s’épanouirent et se répandirent, affligeant les mortels de fièvres incurables, mais il se murmurait que le Maître de la Pestilence avait ordonné la création d’une pandémie qui ferait passer les précédentes pour de mauvaises grippes. Quant aux servantes de Slaanesh, elles agissaient également selon leur nature, accordant des faveurs si rares et si exquises aux mortels que la mort qu’elles leur offraient après coup était à la fois le plus clément et le plus cruel des actes.
Les mortels du monde entier priaient avec une ferveur inédite. Certains adoraient les Dieux Sombres, et vendaient donc leur âme aux ténèbres. D’autres suppliaient leurs propres divinités, et ceux-là oscillaient entre espoir et déception en songeant aux jours derniers, car les autres Dieux s’effaçaient comme les Dieux du Chaos progressaient. Dans chaque cité, des devins, des fous et des prophètes évoquaient la Fin des Temps, le feu de la ruine imminente. Mêmes les plus braves frissonnaient de peur en entendant ces mots, et espéraient que les présages soient démentis.
La discorde apparut dans les rangs impies, car les Démons avaient des caractères aussi variés que les Dieux qui les avaient engendrés. Il arriva que les Démons oublient totalement les mortels pour se retourner les uns contre les autres, transformant de vastes pans du monde en champs de bataille infernaux, où ils allaient solder des offenses millénaires. Les Dieux s’en moquaient, car leur appétit était immense, et leurs goûts simples. Dès lors qu’il y avait la guerre, peu importait dans quel pré la souffrance était moissonnée. Les Dieux soupaient du brouet entêtant et vivifiant préparé par leurs serviteurs. Et tandis que leur pouvoir grandissait, les malheurs lâchés sur le monde s’amplifiaient.Néanmoins, la victoire échappait aux Dieux, car bien que la marée du Chaos montât, elle n’avait pas encore atteint son sommet. Maintes tempêtes de Magie se dissipèrent aussi soudainement qu’elles avaient éclaté, bannissant les Démons dans leur royaume lointain. Le fort de Karak Izor fut assiégé et battu par de tels vents, et ses défenseurs assaillis par une nuée de Démons sanguinaires si vastes que les Nains combattirent seulement par défi, sans aucun espoir de victoire. Puis, sans prévenir, la tempête se dispersa, remplacée par un ciel bleu en quelques instants. Les Nains étaient pantelants dans leurs mailles déchirées, ne sachant s’ils devaient maintenir leur mur de boucliers fendus ou enterrer leurs morts. Ailleurs, le fleuve Aver se mua en sang et accoucha d’un ost baveux qui submergea chaque ville et village établi sur ses rives. Seul Averheim survécut à l’assaut, et uniquement parce que les Démons disparurent juste avant d’atteindre les remparts.
Hélas, les souffrances ne cessaient pas avec le départ des Démons. Lorsqu’Épidemius conduisit son Festival des Plaies à Middenheim, les cadavres vérolés alimentèrent longtemps les bûchers après que l’ost du Roi des Vers eut quitté les rues bondées. Même après que les flammes éclatantes eurent fini de se tortiller dans Tor Achare, des Démons gloussants hantaient les cauchemars des dormeurs de la cité, et nombre de ces rêveurs ne se réveillèrent jamais, leurs âmes emportées pendant leur sommeil. En Tilée, la cité de Trantio fut engloutie dans un tourbillon de noirceur parfumée pendant trois jours et trois nuits. Lorsque le phénomène s’évapora, il n’y avait plus une pierre debout ; la destruction était totale, et dorénavant, toutes les âmes piégées là étaient devenues des esclaves aux sorts divers et variés, tourmentés au pied du trône satiné de Slaanesh.
En maints endroits, les fissures entre les royaumes étaient encore plus grandes et plus stables, et on y livrait les batailles les plus sanglantes de ces jours sombres. En Lustrie, la vaste faille qui barrait le cœur de Xahutec s’ouvrit à nouveau. Même si les Hommes-Lézards s’y étaient préparés depuis longtemps, en entourant les ruines de troupes et de protections innombrables, ils ne purent que contenir l’assaut, pas le repousser. À mesure que se prolongeait la bataille, les cohortes de Saurus reculaient progressivement. En Ulthuan, Yvresse fut submergée par les hordes que le Démon N'kari mena hors des brumes enchantées pour apporter une fois de plus l’affliction aux Hauts Elfes. À Athel Loren, les Cryptes de l’Hiver volèrent en éclats et crachèrent des légions démoniaques dans les Clairières de l’Été sans fin.
Pourtant, toutes ces incursions n’étaient rien comparées à ce qui se produisit au pôle nord, sur le site de la plus grande faille entre les domaines des mortels et des immortels. Là, les armées démoniaques formèrent une congrégation aux effectifs dépassant l’entendement, composée de quatre grands osts de la damnation rassemblés autour des servants les plus exaltés des Dieux du Chaos. C’était une invasion d’une magnitude telle qu’on n’en avait plus vu depuis des milliers d’années, le début de la fin, une sentence de mort pour le monde. L’un après l’autre, les quatre Démons exaltés mirent genou à terre - non pas devant un Dieu, ni un autre Démon, mais devant un mortel, un traître aux hommes élu par les Dieux Sombres pour être leur instrument de l’annihilation. Les Dieux le nommèrent en accord avec les actes qu’il allait accomplir ; c’était Archaon l’Élu, Seigneur de la Fin des Temps, et son heure de gloire était proche.
La venue des Démons annonçait un âge de sombres réjouissances pour les barbares des Désolations du Chaos. De longs mois durant, les chamans et les devins des tribus nordiques avaient lu des présages de gloire dans les étoiles et les vents tournants. Chaque jour, la lune noire se faisait plus massive, des flammes vertes faisaient rage à sa surface et allaient lécher le vide, et des ondes de bénédictions obscures baignaient les tribus à chaque éruption. Une comète à deux queues illumina les cieux, et son sillage embrasait l’éther de sceaux de feux scintillants.
On répandit alors la nouvelle qu’Archaon était enfin monté sur son trône d’os et d’airain, et que son front avait été ceint de la Couronne de Domination par Be’lakor, le Premier-Damné. Archaon était indubitablement le Seigneur de la Fin des Temps, le favori des Dieux, l’arme qu’ils avaient forgée contre le monde. La gloire de l’Élu était telle, disait-on, que même les serviteurs immortels des Dieux du Chaos lui étaient soumis. Tous ne croyaient pas à la sincérité de cette allégeance, car les légendes du nord décrivaient souvent les Démons comme des créatures obéissant seulement lorsque cela servait leurs intérêts - mais cela n’avait guère d’importance. Il y avait des opportunités pour les forts, les déviants et les partisans des Dieux.La Cité Inéluctable, au nord, attira d’innombrables tribus, dont les chefs pétris d’ambition se prosternèrent devant le trône sinistre d’Archaon. Toutes les nuits, les tambours vibraient dans les ténèbres. Des mélopées résonnaient dans les désolations au sud, en une clameur gutturale de dizaines de milliers de voix. Quiconque entendait cette antique prière sentait quelque chose d’incroyablement ancien et affamé s’étirer dans son âme. Les aliénés, les devins et les vagabonds souillés par le Démon étaient guidés vers le nord par une impulsion indéfinissable ou par les murmures insidieux dans leur tête.
Tandis que les Vents emportaient le chant funèbre au sud, dans le Vieux Monde, même les âmes pures qui n’avaient jamais entendu l’appel des puissances de la ruine ressentirent leur sommation. Quelques uns - trop peu - y résistèrent en s’accrochant à leurs Dieux déclinants. Certains devinrent complètement fous, s’arrachèrent les yeux pour se débarrasser de leurs visions indésirables, ou se coupèrent la langue pour s’empêcher d’énoncer des vérités impies. D’autres embrassèrent pleinement les changements à venir, assouvissant un besoin qu’ils ne s’étaient jamais avoué.
Dans la grande cathédrale de Gisoreux, en Bretonnie, un évêque fut contraint d’oindre la Fontaine de la Dame avec le mucus qui coulait de ses propres chancres. Tandis que la contagion se répandait parmi les pèlerins qui buvaient l’eau, il se mit à rire - un gargouillis terrible que ne cessa que lorsque ses poumons cédèrent sous le poids des asticots. À Altdorf, une sœur de Shallya termina ses dévotions du matin, prit un couteau dans le réfectoire et massacra celles avec qui elle vivait et priait depuis vingt ans. Lorsque les gardes de la cité parvinrent à entrer dans le temple le lendemain, ils la trouvèrent assise au milieu de cadavres à moitié dévorés. Le capitaine de la garde se méprit en la croyant passive ; sa gorge fut promptement remplacée par une grande déchirure, car la sœur s’était armée d’une épée en plus du couteau. Ainsi commença une poursuite sanglante qui se prolongea jusqu’au Pays des Trolls, et se conclut par une volée de balles sur la route de Nordvast-Streckhein. Partout dans le Vieux Monde, les soldats se retournaient contre leurs camarades avant de s’enfuir dans les forêts peuplées d’Hommes-Bêtes, ou au nord dans les Désolations du Chaos, leur humanité les abandonnant un peu plus à chaque pas.
Jour après jour, l’armée d’Archaon grandissait, ses effectifs gonflés par les traîtres et les fous venant du sud. Pourtant, l’Élu ne se mettait pas en marche. Plus d’un chef rongeait son frein. L’oisiveté les agaçait, impatients qu’ils étaient de faire tâter de leur hache aux faibles nations. Certains se combattaient, d’autres emmenaient leur tribu au sud en quête de pillages et de victoires.
Archaon n’en avait cure. La horde était incontrôlable, il ne le savait que trop bien, mais cela n’avait aucune importance. L’Œil de Sheerian lui avait accordé une vision du futur, celle d’un monde dévoré par le feu, dont la civilisation s’était écroulée et dont toutes les voix scandaient la gloire des Dieux du Chaos. Ce futur n’adviendrait pas grâce à une guerre telle que le monde civilisé la connaissait ; non, ce serait une guerre sans fin. Le Royaume du Chaos s’éveillait, et ceux qui ne périraient pas sous son assaut finiraient noyés par la vague de ténèbres. Que d’autres soient les premiers à prendre pied sur la berge, qu’ils dépensent leurs forces avant la marée haute. Que les faibles et les bons à rien se sacrifient, que les intrépides aillent mourir en mettant les défenses à l’épreuve. Les survivants n’en seraient que plus forts ; les morts seraient autant d’offrandes faites aux Dieux. Bientôt les Épées du Chaos brandiraient la bannière d’Archaon, et la plus grande horde jamais vue marcherait pour mettre un point final à l’histoire.
La Fin des Temps tombait sur le monde, et l’heure d’Archaon approchait.
Comme ailleurs, les nordiques se déversèrent dans Naggaroth. Ils franchirent le Glacier de Fergivre ; leurs bannières noires se découpaient devant le ciel d’orage, leur pas bardé de fer roulait comme le tonnerre lointain. C’était la Horde Sanglante, et Valkia était sa terrible maîtresse. Elle avait entendu la voix de Khorne hurler par-dessus la tempête, et conduisait à présent sa horde pour prendre des crânes en son nom. La Reine du Carnage se moquait de la stratégie d’Archaon - seul comptait l’appel au meurtre de Khorne.
La horde marchait au rythme des cris et des tambours, et pourtant, les Druchii furent pris par surprise. Ils s’étaient trop longtemps reposés sur les sorcières de Ghrond pour les alerter de tels périls, mais la Tour de la Prophétie restait silencieuse, derrière un voile de sorcellerie. Les capes noires des patrouilles frontalières fuirent devant les nordiques en lançant leurs coursiers au sud, vers la sécurité des tours de guet. Un par un, les Cavaliers Noirs furent arrachés de leur selle par des Démons glapissants. Seuls quelques-uns atteignirent la Tour de Volroth. Uniquement pour périr de leurs blessures.
L’alerte avait finalement pu être donnée, passée de tour en tour jusqu’à Naggarond. Ebnir Écorchâmes, le plus éminent des généraux du Roi Sorcier, se rendit à Volroth avec les forces qu’il put rassembler, mais trouva une forteresse en ruine. Les fiers murs d’obsidienne avaient été mis à bas par les créatures des Désolations du Chaos ; il ne restait plus de la garnison forte de quatre-vingt mille soldats que des cairns de crânes sanguinolents. Écorchâmes envoya son armée massacrer les intrus qui s’attardaient parmi les flèches brisées de Volroth, mais le gros de la horde avait déjà franchi la ligne des tours.
L’invasion nordique se divisa en descendant plus au sud, les chefs s’écartant de la route de Valkia pour s’emparer de leurs propres crânes. La Reine du Carnage maintint sa course, balayant les osts de Druchii qui se dressaient devant elle, pour aller assiéger Naggarond.
D’autres bandes de guerre se rendirent à l’est pour assaillir Har Ganeth, et se retrouvèrent attaquées par des guerriers dont la fureur éclipsait la leur. Certains chefs se dirigèrent au sud, et tombèrent sur les légions sans-cœur de Hag Graef. Malus Darkblade se révéla alors un meneur inspiré, et couvrit la Route Sombre de cadavres. Néanmoins, le seigneur de Hag Graef cherchait uniquement à empêcher les nordiques de s’en prendre à sa cité ; peu lui importait que Naggarond tombe, pour peu que Malékith tombe avec elle. Mais il n’y avait aucun signe de réaction de la part du Roi Sorcier.
Ce fut Kouran Main Noire, le maître dévoué de la Garde Noire, qui dirigea la défense de Naggarond. Par deux fois il affronta Valkia en combat singulier, et par deux fols le duel se conclut sur une impasse alors qu’ils étaient séparés par le flot de la bataille. Hélas, si Kouran était un soldat adroit et loyal, il lui manquait l’étincelle de génie qui lui aurait permis de briser le siège. Les membres du Conseil Noir, quant à eux, étaient déchirés entre leur désir de voir le retour du Roi Sorcier, pour qu’il châtie l’impudence des nordiques, et leur crainte de la colère de Malékith lorsqu’il verrait ce qu’il était advenu de son domaine. Enfin, après trois mois de siège, le Roi Sorcier revint. Il ne dit rien du lieu de son séjour, et personne n’osa lui demander, tout comme on n’osait pas s’enquérir du propriétaire du sang séché sur ses gantelets. Certains dirent qu’il s’était rendu dans le Royaume du Chaos, d’autres qu’il avait arpenté les couloirs de Mirai, mais rien ne le prouvait.
Malékith était de bonne humeur, mais elle se dispersa comme le sang dans l’océan lorsque le Conseil lui décrivit les malheurs du royaume. Le Roi Sorcier avait depuis longtemps dans l’idée de lancer un nouvel assaut contre Ulthuan, mais la chose était impossible tant que Naggaroth était assiégé. Malékith appela le Dragon Seraphon, repoussa la Horde Sanglante loin des murs de Naggarond, et ordonna le retour de tous les Druchii en route pour Ulthuan. Les vielles vengeances allaient devoir attendre que les envahisseurs paient le prix de leur erreur.
« Des minables, tous autant que vous êtes ! » cria Malékith en abattant son poing sur la table en pierre. Des flocons de sang séché tombèrent de son gantelet, mouchetant la carte de particules cramoisies. Kouran regarda les osselets gravés marquant le dernier emplacement connu des hordes barbares glisser sur l’étendue de peau écorchée. Comme cartographe, Rath Blacktongue s’était révélé affreusement décevant ; en tant que carte, il était inestimable.
Dans la salle enténébrée, il y avait environ cinquante hauts conseillers, tous ceux qui avaient pu être réunis juste après avoir rompu le siège. Aucun n’osait parler, car aucun ne souhaitait être le premier à attirer l’attention du Roi Sorcier. Kouran nota ceux qui avaient sursauté quand Malékith avait tapé du poing. Ceux-là n’avaient pas le courage de défier leur maître ; ceux-là étaient dignes de confiance. Les conseillers affichaient des expressions de déférence, remarqua Kouran, mais pas tous. Malus Darkblade, le bâtard de Hag Graef, avait du mal à dissimuler son air triomphant. Kouran décida qu’il faudrait s’occuper de son cas. À en croire ses espions - et Kouran en avait torturé à mort un si grand nombre au fil des siècles qu’ils étaient très rares à avoir assez de tripes pour le tromper -, l’ambitieux Darkblade rassemblait des alliés pour une rébellion. Oui, il allait falloir régler son cas, et vite. « Notre campagne contre Ulthuan sera retardée jusqu’à ce que les barbares… aient appris l’humilité, » continua Malékith dans un murmure menaçant, laissant croire qu’il se calmait. « Veuillez accepter nos excuses, Dame Sang Noir, de devoir différer votre heure de gloire. »" Le Roi Sorcier avait retrouvé son flegme, pour peu qu’il eût réellement cédé à la colère. Même Kouran ne pouvait pas toujours déterminer si son maître jouait les enragés pour créer un effet théâtral. À gauche de Kouran, Drane Sang Noir arborait un sourire carnassier. « Votre majesté est trop aimable » dit-elle avec une voix de soie se déchirant sur un verre brisé. Elle avait longtemps et âprement comploté pour obtenir le commandement de la flotte d’invasion, se dit Kouran, mais elle n’allait pas risquer d’exprimer sa déception en conseil. Sa maison en pâtirait, ainsi que, si la rumeur était vraie, le prisonnier très spécial qui était enchaîné dans les geôles de sa demeure. |
« Toutes les forces à l’ancre à Naggarond et à Hag Graef doivent débarquer et se mettre en marche vers le nord immédiatement, » déclara Malékith. « Nous prendrons personnellement le commandement de la contre-attaque. » Il marqua une pause. « Mais peut-être la reine mère mérite-t-elle quelque considération. Après tout, elle nous a déjà servi fidèlement par le passé. »
Kouran observa Malékith balayer la pièce du regard. Bien que la chose ait été décrite comme une faveur royale, c’était une tâche pénible et périlleuse. Qui allait être désigné ? Lui-même avait trop de valeur en tant que conseiller de Malékith. Ebnir Écorchâmes, peut-être ? Il méritait certainement une sanction pour son échec dans le nord. Pourquoi pas Hellebron ? Ce serait sûrement très amusant d’envoyer la Reine de Sang de Har Ganeth à l’aide de sa plus grande rivale, mais Kouran soupçonnait que Malékith lui-même ne pouvait pas se permettre d’offenser le Culte du Dieu du Meurtre. « Seigneur Darkblade, » dit finalement le Roi Sorcier en accompagnant chaque syllabe d’un regard glacial, « pourriez-vous nous rendre ce service ? Soyez assuré que nous mettrons les meilleurs guerriers à votre disposition pour vous accompagner. » Kouran rit sous cape en voyant le masque de Malus Darkblade tomber pendant une fraction de seconde. Le Dynaste de Har Ganeth saisissait parfaitement le danger, mais il ne pouvait pas vraiment refuser. Darkblade inclina la tête. « Bien sûr, votre majesté. » « Comprenez bien, Seigneur Darkblade, que nous pressentons une trahison à l’œuvre dans le nord. Faites comme bon vous semble, mais sachez que nous voulons que notre mère nous revienne… indemne. Le reste est secondaire. Menez cette mission à bien, et nous ne nous montrerons pas ingrat ; mais soyez averti que nous avons eu notre content d’échecs. » « Il sera fait selon votre volonté, majesté, » répondit Darkblade, dont l’intellect était déjà au travail. Kouran laissa son esprit divaguer tandis que la discussion portait sur les détails de la campagne à venir. L’ordre naturel de Naggaroth avait été restauré, semblait-il. Les barbares seraient écrasés, et avec un peu de chance, au moins un intrigant nuisible allait trouver une mort méritée. Cette journée s’était révélée très fructueuse, et les suivantes semblaient encore plus prometteuses. |
Teclis claqua des doigts et la porte de l’auditoire s’ouvrit brusquement ; l’Archimage entra dans la salle suivante. C’était l’un des plus vieux manoirs de Tor Alin, bâti sous le règne de Caledor Ier. Combien de temps tiendrait-il encore, se demanda Teclis ? Combien de temps Ulthuan allait-elle encore tenir en ces jours sombres ?
Tyrion se tenait au centre de la pièce, les paumes à plat sur la table de bois-d’argent, les yeux rivés sur une carte du jeune Empire des Hommes, et lorgnant de temps en temps sur un parchemin contenant des rapports de disponibilité des troupes dans les Dix Royaumes. Connaissant son frère, Teclis sut qu’il devait être là depuis la veille. « Tu ne dois pas partir d’Ulthuan », » dit Teclis en se plaçant à côté de Tyrion et en jetant un œil à la carte. « Pas même pour sauver Aliathra. » « Il le faut, » répondit Tyrion sur un ton qui n’invitait pas à la discussion. « Cette tâche ne peut être confiée à personne d’autre ; elle est l’avenir de notre race. » « Vraiment ? Tu n’as jamais su me mentir, mon frère. Je me suis toujours demandé comment la malédiction de notre lignée s’exprimerait à travers toi. À présent, j’y vois un peu plus clair. Si notre plus ancienne légende est vraie, nous étions condamnés bien avant l’enlèvement d’Aliathra ; tu nous as condamnés, Tyrion, bien avant cela. Qu’est-ce qui t’obsédais tant pour que tu commettes une telle folie ? » « Je ne m’attends pas à ce que tu puisses jamais le comprendre, » rétorqua Tyrion d’un ton dédaigneux. « Tu as toujours été froid et détaché, tu as toujours montré plus d’affection à tes grimoires poussiéreux qu’à aucun être vivant. » « Je m’étonne d’être si mal jugé par quelqu’un qui me connaît si bien, » répliqua Teclis en se tournant avec lassitude. Au fond, il savait que la colère de son frère n’était pas dirigée contre lui, mais il était tout de même piqué au vif. Il secoua la tête et se redressa. « Je ne suis pas venu ici pour me quereller avec toi. Je suis venu pour découvrir la vérité, et c’est ce que j’ai fait. Je n’en parlerai à personne, ni au conseil, ni même à la Reine Éternelle. » « Tu voudrais que je ne fasse rien ? » demanda Tyrion faiblement, sa colère se muant en quelque chose d’encore plus menaçant. « Tu voudrais que je l’abandonne à son sort ? » « Je voudrais que tu conduises notre peuple en ces temps de feu et de sang, » dit posément Teclis, en se retournant pour faire face à son frère. « Même si tu la sauves, Aliathra ne pourra jamais devenir Reine Éternelle, et si tu quittes Ulthuan, ils seront des milliers à périr. Une seule vie, quelle qu’elle soit, peut-elle valoir tant de morts ? » Il n’y eut pas de réponse, alors Teclis continua. « Je pleurerai ta fille, mon frère. Plus tard. Pour l’instant, c’est le destin de toute notre race qui m’inquiète, comme il devrait t’inquiéter. À moins que nous puissions trouver un moyen de tromper le destin, les Asur ne seront plus qu’un souvenir. Je préfère précipiter la fin du monde avant que cela se produise. Et toi, que feras-tu ? » « Ce qui doit être fait » répondit tristement Tyrion. « Mais le feras-tu pour soulager ta culpabilité, ou pour protéger un peuple qui a plus que jamais besoin de son plus grand champion ? » Tyrion lui darda un regard funeste, mais Teclis le soutint stoïquement. L’Archimage soupira. « Bien. Je sais que tenter de te faire changer d’avis est peine perdue, et j’ai moi-même des visites qui ne peuvent attendre. » Il fit volte-face dans un bruissement de robes et se dirigea vers la porte d’un pas décidé, avant de faire une pause sur le seuil. « Je te pardonne pour ce que tu as fait, mon frère. J’espère seulement que le moment venu, tu sauras me pardonner pour ce que je m’apprête à faire. » |
Hélas, les Hauts Elfes ne pouvaient pas profiter de cette trêve inattendue, car la puissance montante du Chaos fit bientôt sentir sa présence dans les Dix Royaumes. Lors d’une nuit d’orage rougeoyant, les nuages qui coiffaient les Montagnes Annulii descendirent dans les vallées, amenant une tempête de Magie avec eux. Tout ce qui était touché par la brume dégénérait. Les arbres se tordaient et hululaient dans une langue morte. Les animaux fuyaient devant la marée magique, ou se transformaient en d’horribles créatures. Les esprits des rivières et des collines hurlaient de douleur alors que la puissance du Chaos les traversait, puis émettaient un rire démoniaque lorsque leurs esprits brisés se transcendèrent dans leurs enveloppes transmuées. Seuls les Elfes restèrent impassibles. Ils avaient résisté à l’influence du Chaos pendant des millénaires ; ils n’allaient pas y succomber maintenant, ni abandonner leur patrie bien-aimée sans se battre.
Partout où la Magie affluait, les murs de la réalité se fissuraient et les Démons se déversaient par les brèches. À Saphery, les plages de la Mer des Rêves grouillaient de tentacules. Les forêts de Chrace étaient incendiées comme les osts de Tzeentch allumaient des feux juste pour admirer la dévastation. Les fleuves de Cothique et d’Ellyrion étaient envahis d’une bourbe toxique concoctée par les émissaires de Grand-père Nurgle et infusée dans les sources. Des hordes de Sanguinaires vociférants accouraient dans l’arrière-pays, passant les citoyens au fil de l’épée et récoltant les crânes pour leur sombre maître. Les grandes cités de Tor Dynal et d’Elisia furent submergées par des sarabandes impies ; et Tor Achare, la Tour Blanche de Hœth et bien d’autres villes fortifiées furent assiégées.
Çà et là, les Elfes réussirent à endiguer la vague de corruption. Le ban était levé dans les Dix Royaumes, et des armées se mirent en marche pour contrer l’assaut démoniaque. Protégés de la malveillance des Démons par l’acier des Maîtres des Épées de Saphery, les Mages firent appel à la moindre parcelle de savoir occulte pour évacuer l’excès de Magie dans le Grand Vortex. La tâche était très périlleuse : de nombreux Archimages perdirent la raison en canalisant les flots de Magie, leur esprit basculant dans le précipice de la folie. Seule Yvresse tint l’invasion en échec par la lance et par l’arc, car les arpenteurs des brumes de ces contrées étaient habitués à de telles menaces.
Plus que jamais, les Elfes d’Ulthuan se tournaient vers le Roi Phénix, mais Finubar était introuvable. La Cour du Phénix avait officiellement déclaré qu’il s’était enfermé, seul, dans la Tour de la Lumière Astrale, pour projeter son esprit dans les Vents de Magie et discerner la cause de la catastrophe. Dans un premier temps, cette annonce suffit à atténuer les murmures à la cour et ailleurs. Toutefois, les jours passant et la situation s’aggravant, la grogne reprit et s’étendit à tous les palais d’Ulthuan.
Finubar s’étant isolé du monde, la gouvernance de l’île-continent incombait aux plus illustres héros des Dix Royaumes. Cependant, la plupart d’entre eux se trouvaient au-delà des mers suite à une tentative de sauvetage infructueuse. Aliathra, la fille aînée de la Reine Éternelle, héritière du trône d’Avelorn et du statut de mère spirituelle d’Ulthuan, avait été capturée par le Vampire Mannfred von Carstein. Tyrion et Teclis, les descendants d’Ænarion, menaient l’expédition à Nagashizzar, mais le monstre disparut en emportant la princesse au moment de sa défaite.
D’autres s’avancèrent pour porter le fardeau du commandement. Imrik de Caledor, dernier descendant d’une lignée de rois, combattit sans relâche sur des terres autres que la sienne, comme Morvai de Tiranoc et Caradryel d’Eataine. Mais peu à peu, les Elfes perdaient le contrôle de leur domaine ancestral. Chrace et Cothique étaient presque perdus, Ellyrion et Avelorn ne tarderaient pas à suivre. L’espoir s’éteignait. Le Roi Phénix était toujours absent et la Reine Éternelle, qui avait eu l’intuition que sa fille Aliathra n’avait pas été secourue, avait quitté Avelorn pour se retirer dans le Val de Gæa.
Finalement, ce fut Imrik de Caledor qui protesta formellement en conseil. Le premier devoir du Roi Phénix était de défendre son domaine, clamait Imrik, pas de jouer au devin pendant que les Dix Royaumes brûlaient. Par son inaction, affirmait Imrik, Finubar avait renoncé à la Couronne du Phénix. Si le Voyageur ne gouvernait pas, un autre devait prendre sa place.
Ils étaient nombreux à savoir ce qu’Imrik avait en tête. La rivalité entre les royaumes de Lothern et de Caledor était ancienne, et le Prince Dragon ne faisait pas de secret de ses ambitions. Aucun seigneur ne doutait qu’Imrik voulait la Couronne du Phénix pour lui-même, pourtant, même ses adversaires les plus vifs ne pouvaient nier la justesse de ses paroles. Ulthuan avait besoin d’une autorité pour survivre. La porte de Finubar demeurant désespérément fermée, le nombre des seigneurs d’Ulthuan soutenant Imrik s’accrut.
Ainsi, lorsque Tyrion et Teclis revinrent après leur échec, ils retrouvèrent une terre envahie et un conseil divisé. Teclis était atterré. Il perçut que la motivation d’Imrik était plutôt honorable, mais il vit également la dissension qu’avait causée le Prince Dragon. Bien qu’il ne fût pas un grand stratège, Teclis constata que trop de batailles étaient livrées non pas pour gagner un avantage militaire, mais pour favoriser Imrik sur le plan politique. Les partisans du Prince Dragon pouvaient compter sur la puissance martiale de Caledor en échange de leur soutien ; ses opposants devaient se défendre seuls.
Teclis se résolut donc à passer outre les sceaux de la Tour de la Lumière Astrale. S’immiscer dans le sanctuaire du Roi Phénix était contraire aux traditions, et Teclis était réservé quant à ses intentions. Il fallut trois jours à l’Archimage pour préparer l’incantation qui vaincrait les sceaux de Finubar, et un autre pour l’exécuter. Une fois le sort lancé, les protections se dissipèrent en laissant juste assez de temps pour que Teclis entre dans la pièce. Lorsqu’il en ressortit à minuit, il était encore plus pâle que d’habitude.
Depuis son retour, Tyrion avait passé son temps à préparer une nouvelle expédition pour sauver Aliathra. Il n’avait guère prêté attention aux horreurs qui dévoraient Ulthuan, et avait ignoré les scissions politiques. Ainsi, lorsque Teclis vint le prier de prendre le commandement des armées d’Ulthuan, le prince fut tout sauf enchanté à cette idée.
Déchiré entre l’élan de son cœur et son sens du devoir, Tyrion se rendit au Temple d’Asuryan, afin de solliciter les conseils du Créateur. Il partit avec ses deux plus proches compagnons : Eltharion d’Yvresse et la princesse Eldyra de Tiranoc, le premier aussi morne qu’un hiver Druchii, la seconde aussi vive que le vent. Hormis son frère jumeau, c’étaient les seuls Elfes à qui il avait confié la vérité au sujet d’Aliathra.
En arrivant à destination, les trois voyageurs trouvèrent une allée bloquée par les rangs serrés des Gardes Phénix. On aurait dit que le temple s’était complètement vidé, car la voie resplendissait d’armures scintillantes et de capes chatoyantes. Plantés épaule contre épaule, ils ne semblaient pas vouloir laisser passer Tyrion. Celui-ci tira sur les rênes de Malhandir, et exigea de connaître la raison d’une telle démonstration. Bien sûr, il n’obtint aucune réponse. À la place, dix mille genoux se mirent à terre et dix mille lames s’abaissèrent en signe d’allégeance.
Eltharion certifia à Tyrion qu’il s’agissait du signe qu’il était venu chercher, et pria le prince de rester pour diriger la défense d’Ulthuan, tandis qu’Eldyra et lui-même emmèneraient une armée au secours d’Aliathra. Tyrion scruta longtemps les yeux mélancoliques d’Eltharion, avant d’acquiescer et de se remettre en route pour Lothern.
Tyrion rejoignit le Conseil du Phénix à l’apogée d’un discours d’Imrik. Il entra dans la salle vêtu de son armure complète, et intima à tous les seigneurs présents de mettre leurs différends de côté et de rassembler leurs forces pour défendre les Dix Royaumes. Si quiconque souhaitait argumenter davantage, déclara-t-il, il serait heureux de régler la question avec le tranchant de Croc du Soleil.
Les mots de Tyrion furent comme un soufflet, et tous se sentirent honteux, ou apeurés par ses manières ; tous sauf Imrik, qui bondit sur ses pieds et exigea de Tyrion qu’il indique l’autorité dont il se prévalait pour oser parler ainsi. L’héritier d’Ænarion sourit et dit au Prince Dragon qu’il était le héraut d’Asuryan et du Roi Phénix - il n’y avait donc rien qu’il ne pouvait oser. Une rage froide s’empara d’Imrik. Il déclara que Caledor se défendrait seul et quitta la chambre du conseil d’un pas déterminé, abandonnant définitivement son rêve de monter sur le Trône du Phénix.
Un grand ost quitta bientôt Lothern, avec Tyrion et les Gardes Phénix à sa tête. Avec eux chevauchaient les seigneurs de neuf royaumes. Imrik s’était entêté à tenir sa promesse, et ne se préoccupa de la défense d’aucun royaume hormis Caledor. Néanmoins, l’ost de Tyrion se mit en marche avec un espoir renouvelé. Les Elfes filèrent au nord, le long des rivages d’Eataine et de Saphery, et de là progressèrent en Yvresse et en Avelorn. Ils bannirent les Démons dans leur plan de cauchemar, et Teclis usa d’une Magie ancienne pour circonscrire les brumes. Tyrion combattait avec une ferveur que la plupart attribuaient à sa lignée, ou à la bénédiction des Dieux. Seul Teclis, toujours au côté de son frère, savait que la détermination de Tyrion n’était pas d’origine surnaturelle, mais due à sa frustration de se voir forcé de défendre sa partie pendant qu’Aliathra se languissait entre les griffes de Mannfred.
Une deuxième armée, plus petite, conduite par Eltharion et Eldyra, prit la mer vers l’est quelques jours après le départ de l’ost de Tyrion. Les Elfes ne se faisaient aucune illusion quant aux dangers qui les attendaient. Belannær, Maître du Savoir de Hœth, voyageait avec la flotte, laissant à Finreir la direction des Archimages de Saphery en son absence ; le vent lui porta la voix d’Aliathra, et l’informa qu’elle était retenue dans la région que les hommes nomment Sylvanie, la terre des Comtes Vampires. À l’évidence, l’enlèvement d’Aliathra faisait partie d’un vaste complot, et Belannær conseilla à Eltharion de solliciter l’aide des autres nations du Vieux Monde. Eltharion fut d’abord réticent, redoutant de placer le sort d’Aliathra entre les mains d’hommes ou de Nains, mais il finit par y consentir. Les forces de la destruction étaient en marche, cela ne faisait aucun doute. Il se dit qu’il valait mieux pour Ulthuan s’allier à des primitifs qu’être seule dans la défaite. Ravalant sa dernière once de fierté, Eltharion ordonna de mettre cap plein est, vers l’Empire de Sigmar.
La pièce était éclairée par des chandelles, mais la jeune femme restait dans l’ombre. Seules les manches et les jupes de sa longue robe blanche apparaissaient dans la pénombre et Balthasar Gelt se demandait encore pourquoi il était venu. Le sceau qui avait accompagné le message était fiable, ainsi que son père le lui avait toujours dit, mais le convoquer en ce lieu ? Même l’air fleurait la décadence.
« Asseyez-vous, je vous prie. » La jeune femme parlait avec un accent issu des provinces montagneuses de Bretonnie, pensa Gelt : Montfort, ou peut-être Parravon. « Merci, mais je préfère rester debout, » répondit Gelt. « Comme vous voudrez. Puis-je vous offrir du vin ? » « Je ne peux accepter. » « Vraiment ? » » La jeune femme tendit une main gantée vers la carafe posée sur la table qui les séparait, et se versa une mesure convenable de liquide couleur rubis. « Tout Altdorf vous considère le geôlier de la Sylvanie. » « C’est très surfait, je vous assure, » répondit Gelt avec prudence. « Le concept n’est même pas le mien. » Non, pensait-il, c’était le jeune Dieter qui avait suggéré cette idée. Ce fut une étonnante Démonstration d’intelligence, de la part d’un acolyte par ailleurs peu prometteur. Quel malheur qu’il fut retrouvé mort deux jours plus tard la gorge comme tranchée par un animal sauvage. Une victime de plus des von Carstein, supposa Gelt. Peut-être la dernière, si tout se passait bien. « Sans doute, mais c’est tout de même votre génie qui l’a mis en œuvre n’est-il pas ? » s’enquit la jeune femme. « Peut-être, mais il ne requiert aucun génie de ma part pour comprendre que vous ne m’avez pas convié pour me féliciter. Délivrez-moi votre message, et laissez-moi partir. Je ne suis pas habitué à ce genre d’établissement. » « La décoration vous met peut-être mal à l’aise ? » L’amusement de la jeune femme était palpable. « Je désapprouve la méthode, » corrigea Gelt. « Vous n’avez pas à craindre pour votre renommée, cette maison est réputée pour sa discrétion. » « Entre autres. » « En effet. Vous savez mieux que quiconque que les apparences sont trompeuses. » Elle sirota son verre. « Il en va de même avec cette entrevue, je vous l’ai déjà dit. » « Exprimer votre admiration pour avoir emprisonné la Sylvanie ? » Gelt ne fit rien pour cacher son incrédulité. « Précisément. » Soudain sérieuse, la jeune femme se pencha en avant, mais son visage resta dans l’ombre. « Vous devriez aller plus loin. » « Veuillez développer. » « Vous avez délivré les provinces sud de la menace de la Sylvanie, mais qu’en est-il au nord ? Un mélange de Magie et de foi pourrait tout aussi bien fonctionner. Et si vous pouviez ériger un rempart qui non seulement empêcherait les barbares de passer mais résisterait également à la Magie brute qui donne vie aux Démons ? » « Jamais pareille chose n’a été entreprise. » « Bien sûr que si, rit la jeune femme. Le monde ne se résume pas à ce royaume exigu. » Elle poussa un parchemin flétri sur la table, en découvrant une main délicate qu’elle cacha aussitôt. « La Magie s’amplifie, et des choses auparavant impossibles sont envisageables. » Gelt déroula le parchemin et examina son contenu avec une stupeur grandissante. Le rituel décrit serait une entreprise considérable, mais pourrait bel et bien fonctionner. Il n’aurait jamais considéré une telle stratégie avant d’avoir triomphé de la Sylvanie, mais ses horizons s’étaient élargis tout dernièrement. Gelt éprouvait des doutes néanmoins. « Mais quelle sorte de génie pourrais-je bien être si je succombais à une forme de manipulation aussi limpide ? » « Quel génie seriez-vous si vous vous en absteniez ? » opposa la jeune femme, avec légèreté. « Dans tous les cas, j’ai transmis le message qui m’a été confié. Je n’ai que faire de ce que vous en ferez. » « Et puis-je vous demander qui vous envoie ? » « Vous pouvez, mais vous seriez idiot d’espérer une réponse, » coupa-t-elle. « Inutile de dire que je ne suis pas plus éprise d’elle qu’elle l’est de moi, mais ces temps étranges appellent des alliances plus étranges encore. » Ces derniers mots résonnèrent aux oreilles de Gelt tandis qu’il traversait les rues bondées. Il savait que des forces étaient en œuvre et qu’elles dépassaient de loin ce qu’il pouvait percevoir, mais il y réfléchirait. Il y réfléchirait longuement. |
Alors que la lumière de la comète grandissait, la Drakwald s’animait de rumeurs au sujet d’une créature que les simples gens appelaient Malagor. Pendant des siècles, on avait conté des histoires de cet Homme-Bête ailé, de villages maudits et de récoltes gâchées par la venue ce celui qu’on nommait Mauvais Présage. Ces fables étaient jusque-là considérées comme des balivernes par les hommes des cités, or Gregor Martak à la tête du Collège d'Ambre, soutenait à présent avoir aperçu la créature dans les ruines d’un bourg proche de Middenheim, et les incrédules s’étaient tus. De jour, les voyageurs, les caravanes et les patrouilles empruntant les routes de la Drakwald disparaissaient sans laisser de traces. De nuit, les gens se barricadaient derrière leurs portes et leurs fenêtres, en priant Taal pour qu’il les préserve des bêtes qui hurlaient par-delà leurs palissades.
La comète accéléra sa course. Elle, dépassa la luisante Morrslieb, et les cas de mutation explosèrent, non seulement dans les taudis des cités, mais aussi parmi les classes aisées. Certains affligés entendaient des chants funestes portés par le vent. Abandonnant leurs vies, ils cheminaient vers le nord, attiré par la noirceur qui enflait dans leur cœur et leur esprit. La maladie se propagea, en particulier à Altdorf, où les sœurs de Shallya annoncèrent tristement que le fléau était insensible à leurs prières. Pressentant que ce mal était causé par quelque être malveillant et non par la volonté de Dieux cruels, l’Archilecteur Kaslain mena une expédition dans les ruines des Unberogen enfouis sous la cité mais il ne trouva rien dans ces tunnels, à part des rats et le sentiment qu’un œil moqueur suivait ses actions.
Cette vague de maladie et de désespoir permit à des marchands sans scrupule d’amasser des fortunes en vendant des infusions et des élixirs censés protéger des stigmates du Chaos. Ces remèdes, étaient rarement efficaces, la plupart se résumant à de l’eau colorée, voire du poison distillé. Rien de cela ne dissuadait les escrocs, qui disparaissaient toujours avant que leur supercherie ne soit découverte.
Tous n’y parvinrent pas cependant. À Middenheim, le Comte Électeur Boris Todbringer suspendit un marchand aux murs de la cité après avoir perdu un neveu qui avait bu une infusion mortelle d’oseille rampante et de tue-vieille. Le commerce d’élixir déclina sensiblement à Middenheim, mais continua de prospérer partout ailleurs sur les terres de l’Empire.Les charlatans ne furent pas les seuls à profiter de cette époque tourmentée. Les prophètes et les fanatiques virent leurs assemblées croître au rythme des mauvais augures, et tandis que leur nombre enflait, les Flagellants devinrent de plus en plus violents. Lorsque la comète à deux queues dépassa la noble Mannslieb, les troupes régulières furent mobilisées dans plusieurs cités pour aider les gardiens à contenir la foule aux abois. Toutefois, à Nuln, même cette mesure s’avéra insuffisante. La cité fut submergée par les fanatiques à tel point que la noblesse n’osait plus s’aventurer au-delà de ses domaines. Mais les murs ne purent retenir la horde, et les manoirs furent bientôt saccagés.
Des feux de joie furent allumés à chaque coin de rue, alimentés avec les biens des plus aisés. Certains nobles furent emprisonnés, d’autres, cloués au pilori. La comtesse von Liebwitz aurait fini au bûcher pour sorcellerie et adultère sans l’intervention d’un capitaine de la garde du port à la retraite. Il rassembla en hâte des miliciens et des gardes, tira la comtesse des flammes, reprit les vieux quartiers de la cité et les tint jusqu’à l’arrivée des Chevaliers du Griffon et des renforts du Reikland, qui mirent un terme aux émeutes.
La comète dépassa la constellation de Kerr, le Tueur d’Amis, et Mannfred von Carstein arracha la Sylvanie à la loi impériale, en plongeant toute la province sous une chape de ténèbres impénétrables. Volkmar, Grand Théogoniste du Culte de Sigmar, fut submergé par la colère. Ignorant les conseils de prudence, il se rua en Sylvanie pour affronter le Vampire.
Il ne revint jamais. Pire encore, la frontière de la Sylvanie fut bientôt cernée par un rempart d’ossements, et les Répurgateurs qui parvinrent à s’échapper de cette terre maudite firent état d’un enchantement qui inhibait mêmes leurs plus puissantes armes saintes. L’unique étincelle d’espoir était que Balthasar Gelt, l’archi-alchimiste et Patriarche Suprême des Collèges de Magie, était parvenu à tisser son propre charme. Baptisé Mur de Foi par ceux qui en apprirent l’existence, le sort de Gelt encercla la Sylvanie, en puisant dans la puissance des saints artéfacts que Mannfred avait tenté de rendre inutilisables. Aucun Mort-Vivant ne pouvait franchir cette barrière invisible, à ce qu’on disait, mais pour beaucoup, ce n’était pas suffisant.
Toutes choses égales par ailleurs, pas même le plus fervent traditionaliste ne se serait insurgé de la perte d’une région qui n’avait été jusque-là qu’un fardeau. Hélas, les choses n’allaient pas ainsi, et le conseil de l’Empereur redoutait que l’indépendance de la Sylvanie soit le prélude à une nouvelle campagne de terreur. Sur ordre le Karl Franz, les armées de l’Empire convergèrent vers la Sylvanie, déterminées à user du fer et de la poudre noire là où la foi ne serait d’aucun secours. Certains proches conseillers de l’Empereur pensaient en effet que Mannfred préparait une telle attaque. Toutefois, Karl Franz considérait que la Sylvanie n’était plus une menace occasionnelle - même si la province avait failli s’emparer de l’Empire à plusieurs reprises - mais bel et bien un péril qu’il n’avait plus le luxe d’observer en toile de fond. Si les Vampires ne pouvaient plus s’échapper de Sylvanie, ils pourraient être acculés et détruits
Puis vinrent les cavaliers de Kislev.
À l’aube, Syrgei Tannarov Boyard de Chebokov, et son escorte de cavaliers Ungols arrivèrent à Altdorf, deux jours avant le départ de l’Empereur pour mener campagne en Sylvanie.
La comète était si brillante dans le ciel qu’on la voyait de jour, tel un second soleil. Les Kislevites avaient chevauché à demi-morts, et apportaient de bien sombres nouvelles - les Nordiques marchaient vers le sud une fois de plus. Kislev était sur le point de tomber, avertit Tannarov, toutes les terres au nord et à l’ouest de Bolgasgrad étaient noyées sous les barbares et les Démons. Compte tenu de la situation, Karl Franz s’était attendu à ce que la reine des glaces demande l’aide de l’Empire en vertu de leur ancienne alliance, mais Tannarov n’en formula pas la demande. Le Kislev était perdu, dit-il, et il était venu pour raconter une série de batailles le long du fleuve Lynsk, que la Tsarine n’avait pas livrée dans l’espoir que son peuple survive, mais pour éviter pareil destin à l’Empire.
En une heure, une centaine de messagers quittèrent Altdorf, afin que les frontières septentrionales soient renforcées et que les armées déjà proches de la Sylvanie soient redirigées. Néanmoins Karl Franz savait que la situation était terrible. Il avait de nombreuses fois combattu aux côtés des Gospodars de Kislev, et connaissait leur valeur et leur hardiesse. S’ils avaient été balayés…
Durant les semaines suivantes, le sort de l’Empire pencherait dans la balance. Les armées se hâtèrent vers le nord pour renforcer les frontières avant que la horde ne puisse les traverser. Nombreuses furent les troupes à ne jamais arriver à destination. Les Hommes-Bêtes et les Peaux-Vertes, avides de massacres, harcelaient les colonnes, et bientôt, les conseillers stratégiques de Karl Franz interdirent d’emprunter certaines routes à travers la Grande Forêt et la Drakwald. Mais l’attrition se poursuivit néanmoins. Des régiments entiers furent anéantis par les maladies. Des soldats périrent de fatigue, abandonnés sur le bord de la route par leurs camarades désespérés. D’autres s’enfuirent rejoindre leurs foyers pour protéger leurs familles.
En somme, pour dix hommes envoyés à la frontière de Kislev, seuls sept parvenaient à destination, et ces survivants étaient plongés en plein combat dès leur arrivée. Les hordes du Chaos, dont les éléments les plus faibles avaient déjà péri en affrontant le peuple de Kislev, s’étaient déversées sur l’Empire en de nombreux endroits, et les armées d’Ostermark et du Talabecland luttaient âprement pour les contenir. Les Nordiques les plus dangereux marchaient sous la bannière de Vilitch le Maudit. Si les autres barbares se heurtaient aux lignes impériales retranchées, les suivants de Vilitch poussaient en avant en dépit de leurs propres pertes. Le Château von Rauken fut ainsi assiégé, et seule une brillante série d’attaques de harcèlement orchestrées par le stratège Aldebrand Ludenhof, Comte Électeur du Hochland, préserva la forteresse. Mais en dépit de ses succès, Ludenhof ne put lever le siège, ni même attirer à lui le flot des renforts nordiques.
Le premier véritable succès impérial n’eut lieu qu’à l’arrivée des troupes d’Altdorf. Karl Franz n’avait pas encore rejoint le front, car il tentait désespérément de glaner le soutien des autres nations du Vieux Monde. Jusqu’alors, ses efforts étaient restés infructueux, car il semblait que tous les royaumes étaient au bord de la destruction - même les Nains étaient étrangement réticents à apporter leur aide. Néanmoins, l’Empereur persévéra, tout en étant généreux avec les forces directement sous ses ordres. Bientôt, Ludenhof se retrouva personnellement à la tête de la moitié de la Reiksguard, ainsi que de nombreux régiments d’Altdorf et du Reikland. Grâce à ces renforts, le Comte Électeur du Hochland fut enfin capable d’infliger une défaite significative aux barbares. Il libéra le château von Rauken et, à la bataille de Lubrecht, il logea lui-même une balle de long fusil derrière l’un de des crânes de Vilitch, ce qui força le Sorcier à battre en retraite. Privé de son maître, la horde du Maudit se dispersa aux quatre vents et l’Empire connut une accalmie.
Puis, lorsque la comète atteignit son périgée, des éclaireurs et des cavaliers Ungol rapportèrent que d’autres hordes de Nordiques traversaient les steppes, et leur taille était sans précédent. L’armée de Ludenhof, la plus vaste formation impériale à s’être battu au nord, dépassait à peine la taille de la plus petite force des nouveaux arrivants. À Altdorf, Karl Franz apprit la dégradation de la situation et redoublait ses efforts diplomatiques. Pour résister à cette guerre, l’Empire avait besoin d’alliés. Et si aucun d’eux ne répondait à son appel à l’aide, c’est un miracle dont l’Empire aurait besoin.
Chaque cycle depuis l’arrivée de la comète, Morrslieb s’était rapprochée. À présent, sous sa face maléfique, le ciel se tordait de douleur. Du sol émergèrent des monolithes - des pics dentelés qui jaillirent de l’assise rocheuse comme des fers de lance. Certains étaient les échardes noircies d’antiques météores, tirées à la surface par la lueur maladive de Morrslieb. D’autres étaient de vielles idoles, enfouies ou détruites par d’autres puissances. À mesure que les nuits s’allongeaient, la Magie Noire ressouda la pierre brisée, et la lueur malfaisante des runes maudites et patinées par l’âge brilla de nouveau.
De la Drakwald se dressa un monolithe qui dépassait tout ce que les humains avaient pu bâtir, et son sommet était auréolé d’éclairs. Les colonnes suintantes s’élevèrent de la Forêt Arden, tandis qu’un pilier de flammes monta des champs glaciaires de Naggaroth. Les Six Pics, abattus après la perte de tant de cœurs vaillants, se dressaient à nouveau dans la Grande Forêt. Malgré les efforts des Asrai, des sites contaminés apparurent à Athel Loren. Bientôt, chacune de ses pierres émit une énergie corruptrice.
Et des bois sombres vinrent les Hommes-Bêtes.
Leur sauvagerie fit écho à leurs besoins primaires. Répondant à un appel qu’ils ne comprenaient pas, les véritables rejetons du Chaos se rassemblèrent. Ils vinrent seuls ou en meutes, et des hardes entières suivirent les anciens chemins à travers les lieux sauvages du monde. Ils furent rejoints par des créatures mutantes qui n’avaient plus vu la lumière du soleil depuis des générations. Tous convergèrent vers les sites de pouvoir, attirés par les pierres des hardes nouvellement dressées comme par les anciennes. Tandis que les créatures tournaient en rond, elles commirent des actes aussi abjects qu’elles-mêmes.
Les rites tapageurs ne suivaient aucune règle. Ils se résumaient à une orgie sanguinaire - un festin sauvage dominé par l’anarchie et la débauche. Des trophées macabres étaient suspendus à mesure que les créatures bestiales se joignaient aux festivités. Le sol était rendu glissant par le sang et le fruit d’actes dépravés. Pour finir, les créatures hurlèrent en direction de la lune du Chaos tandis que ses étranges rayons transmettaient à tous une grotesque et intarissable vitalité.
Les plus forts se rassemblèrent, et les pierres des hardes murmurèrent les secrets tant attendus ; l’accomplissement de rêves au-delà de l’entendement. Une myriade d’odeurs et de sensations qui disaient toutes la même chose…
Le Temps de la Bête était venu.
La lune était haute lorsqu’Alarielle se tint au cœur de la grande clairière.
La Reine Éternelle percevait qu’un grand pouvoir imprégnait ce lieu. Elle sentait une conscience endormie faire pression sur son esprit, un millier de murmures - tous différents et tous semblables. C’était la musique la plus douce qu’il lui avait été donnée d’entendre. Les arbres d’Avelorn n’avaient jamais chanté ainsi, pas durant les années où elle avait marché dans les bois et, malgré l’étrangeté d’Athel Loren, une part d’Alarielle se sentit comme si elle était enfin de retour chez elle. Ce fut un arbre magnifique, pensa Alarielle en regardant l’imposante couronne de branches loin au- dessus de sa tête. Peut-être le redeviendrait- il, mais à présent, ses feuilles se flétrissaient et son écorce piquée de teintes livides tombait en plaques. Elle laissa courir ses doigts le long du tronc, mais les retira en sentant le bois se ratatiner à son toucher. Les sœurs qui l’avaient guidée là l’observaient. « Le Chêne des Âges, » dit solennellement Naestra. « Il se meurt. » « Il est peut-être déjà mort, » coupa Arahan. « Peut-il être sauvé ? » s’enquit Alarielle. « Ce n’est pas à nous de le dire, » répliqua Naestra. « C’est à vous de le démontrer, » dit Arahan. « Ou de le réfuter, » poursuivit sa sœur. Dans un soupir grinçant, le sol se déroba devant Alarielle, en révélant un escalier de racines qui plongeait sous l’arbre. Des grains de lumière étincelaient dans les ténèbres tandis que des esprits, dérangés par les racines, voletaient dans le ciel nocturne. La Reine Éternelle sentit un pincement de terreur inhabituel. « Il n’y a rien à craindre, » dit Naestra. « Ne lui ment pas, » la tança Arahan. « Mieux vaut qu’elle sache la vérité. « La vérité n’est pas absolue, » protesta Naestra. « Quoi qu’il en soit, le marché est conclu et revenir en arrière aurait un coût terrible. » « Un coût difficile à supporter, » convint Arahan. « En effet, mais tu as raison, » concéda Naestra, « le choix lui appartient entièrement. » Alarielle resserra sa prise sur son sceptre. Naestra était lucide pensa-t-elle ; le marché avait été conclu. La Reine Éternelle ne pouvait pas déshonorer les Asur en renonçant à présent. Sans un mot, Alarielle débuta sa descente. L’odeur de l’humus était entêtante, et l’amertume de sa corruption également tangible. À chaque marche qu’elle descendait, les racines se dressaient derrière elle, jusqu’à masquer le ciel. Lorsque la dernière vrille retrouva sa place, la Reine Éternelle entendit l’une des jumelles l’appeler. « S’il vous plaît, sauvez notre mère. » |
La bataille de Quenelles avait été gagnée à un coût terrible - Ariel était mourante, et la forêt mourait avec elle.
Tout ce que l’on savait était que la Reine Magicienne avait traversé la bataille indemne, mais sa force s’était évanouie au moment où elle avait posé le pied aux frontières de la forêt. Une sombre procession de la garde éternelle avait ramené Ariel au Chêne des Âges, en espérant qu’elle puisse s’y régénérer comme par le passé. Une semaine plus tard, les branches du Chêne des Âges montrèrent les premiers signes de pourriture et la maladie se répandit à travers la forêt. Des clairières qui avaient traversé les saisons depuis l’origine du monde se flétrirent, la démence gagna les Dryades et les Hommes-Arbres, et des arbres vénérables se fendirent avant de répandre leurs entrailles infestées de vers sur un humus putréfié. Pour empirer les choses, des milliers d’Hommes-Bêtes pénétraient dans ces clairières désolées. Il ne s’agissait pas des hardes qui avaient toujours erré sous la canopée, mais des créatures mutantes attirées à des centaines de lieues à la ronde. Les Elfes eurent beau combattre avec la fureur du désespoir, ils ne repoussaient jamais longtemps des scions du Chaos.
Athel Loren était en panique. Aucun Asrai n’expliquait le dépérissement de la reine, même si tous le pensaient lié à la détresse de la forêt. Certains imaginaient qu’Ariel avait été victime d’une malédiction dans les derniers moments de la bataille de Quenelles. D’autres prétendaient que ce mal avait été transmis par la Dame du Lac, en représailles après une récente dispute. Toutefois, tous voyait dans le déclin de la reine un signe d’altération de la Trame ; que ce qu’ils avaient toujours redouté et combattu s’abattait sur eux. Hélas, puisque personne ne parvenait à cerner la cause du mal, nul ne pouvait y proposer un remède.
Orion, miné de ne pouvoir soigner ni son monde, ni sa reine adorée, se réfugia dans la guerre. Sans relâche, la Chasse Sauvage traversa les clairières ravagées et balayait tout sur son passage ; nul Homme-Bête difforme n’était à l’abri du courroux du Roi des Forêts. Hélas, dans sa peine, Orion devint de plus en plus téméraire ; ces pensées furent bientôt dictées par la rage, non plus la raison. Ainsi périrent de nombreux Elfes, au cours de batailles inutiles, victimes du chagrin de leur Roi tout autant que des armes primitives des rejetons du Chaos. Privé des conseils de son Roi et de sa Reine, le Conseil d’Athel Loren ne savait plus quelle voie suivre.
Plusieurs mois après qu’Ariel eût commencé à décliner, une nouvelle intruse pénétra dans la forêt. Elle avait emprunté les racines du monde, un voyage périlleux pour ceux qui ne sont pas natifs d’Athel Loren, mais elle était venue seule, en apaisant les esprits gardiens par la Magie la plus pure et un sang innocent. Bien sûr, nul ne pouvait fouler les anciens sentiers du monde à l’insu des Asrai, et lorsque l’intruse sortit au grand jour dans la Clairière du Roi, elle fut encerclée par des lances. Ainsi le peuple d’Athel accueillit-il Alarielle, Reine Éternelle d’Ulthuan.
Les Asrai se méfiaient d’Alarielle. Bien que les relations avec Ulthuan se fussent améliorées ces dernières années, les trahisons et les affronts du passé ne s’oubliaient pas aisément. Néanmoins, Alarielle fut reçue par le conseil, et dévoila les circonstances qui l’avaient poussée à se rendre à l’est. Elle parla de sa fille Aliathra, retenue captive par le Vampire Mannfred von Carstein, et des tentatives infructueuses de la libérer.
En tant que mère, Alarielle craignait pour le sort de sa fille. En tant que reine, elle redoutait les conséquences atroces qu’aurait la mort de sa fille pour Ulthuan, mais les peurs d’Alarielle allaient bien au-delà. Elle avait perçu le bouleversement dans la Trame, et redoutait que le destin de son enfant ne s’inscrive dans une plus grande calamité, de celles qui affecteraient à jamais le fragile équilibre entre les puissances régissant la vie et la mort. Elle parla de la mission levée par le conseil d’Eltharion pour sauver Aliathra, et de sa certitude que les Hauts Elfes ne sauraient remporter seuls ce combat. À vrai dire, Alarielle se mit à genoux devant le conseil, une chose impensable de la part d’une reine si fière, et elle implora les Asrai de lui venir en aide, non pas pour sa fille, ni même pour Ulthuan, mais pour la sauvegarde du monde.
Le conseil débattit longuement de la requête d’Alarielle. Peu étaient désireux d’affaiblir les défenses d’Athel Loren face aux Hommes-Bêtes, mais nul ne pouvait ignorer les terribles conséquences d’un refus. Si la Trame subissait une entaille profonde, Athel Loren serait la première à en souffrir, comme par le passé. Mais pouvait-on croire aux prévisions de Reine Éternelle ? Personne n’en savait rien. Alarielle était sincère, mais cela ne garantissait pas qu’elle n’avait pas été dupée.
Finalement, c’est grâce à une intervention inattendue que la question fut tranchée. Durthu, doyen des Aïeux, s’était rarement adressé au conseil depuis de longues d’années, car son esprit avait été trop distant, mais il parla avec calme et lucidité. Le cycle du monde était en train de reprendre, clama-t-il de sa voix de stentor, et tout comme la forêt avait aidé les Elfes d’Ulthuan dans les temps anciens, elle le ferait à présent. Toutefois, il avertit Alarielle qu’il y aurait un prix à payer, comme ce fut le cas jadis.
La Reine Éternelle ignorait les événements auxquels l’aïeul s’était référé, mais accepta sans hésitation. Le conseil, ne souhaitant pas contredire la décision de Durthu, ordonna qu’un ost soit constitué pour pénétrer en Sylvanie et soutenir la tentative de sauvetage des Hauts Elfes ; cela restaurerait peut-être l’équilibre de la Trame, et celui de la forêt. Cette tâche fut dévolue à Araloth, seigneur de Talsyn et champion d’Ariel, car tous savaient qu’il bénéficiait de la faveur de la déesse Lileath, et qu’elle lui serait d’un grand secours au cœur du domaine maudit des Vampires.
L’ost d’Araloth quitta Athel Loren au milieu de la nuit vers le Défilé de la Hache et passa tout près des murs de Parravon. Le Duc Cassyon, tiré de son sommeil par le cri d’une sentinelle, se demandant ce qui pouvait bien conduire le peuple des fées à l’est, puis oublia cette pensée. La Bretonnie avait déjà fort à faire de son côté…
Il y avait eu l’Année du Malheur, au cours de laquelle les Démons avaient ravagé les quatre coins du royaume. Puis était survenue la révolte de 1543. Malbaude le Serpent, fils illégitime du Roy, avait rassemblé une armée en Moussillon, et la libéra au crépuscule de l’année pour s’emparer du trône. À travers le royaume, des chevaliers corrompus se rallièrent à la bannière de Malbaude, et tandis que le Roy Louen de Bretonnie réunissait ses armées dispersées, la situation empira. Après la bataille de Châlons, et la disparition calamiteuse de la fée Morgiana, les Ducs de Gasconnie, de Lyonesse et d’Artenois se déclarèrent en faveur de Malbaude, et la rébellion dégénéra en guerre civile.
Au départ, les lances du Roy eurent l’ascendant. Les forces de Malbaude luttaient avec la rage des traîtres, mais la bénédiction de la Dame protégeait ceux qui chevauchaient aux côtés du Roy Louen. Cœur de Lion battit les Ducs renégats l’un après l’autre et ramena leurs duchés dans son giron. En une année de campagne, il semblait que l’heure du serpent avait sonné. Ce fut alors que toute la traîtrise de Malbaude éclata au grand jour : il avait conclu un pacte avec Arkhan, et à mesure que les alliés humains du Serpent tombaient, les morts comblaient ses rangs.
Lorsque Louen Cœur de Lion livra la Bataille de Quenelles, Malbaude était à la tête d’une armée plus importante que la sienne. Les choses s’étaient à ce point dégradées que les Fée d’Athel Loren durent prêter main-forte au Roi Louen. La Bretonnie avait tout à perdre. À l’apogée de la bataille, Malbaude affronta Cœur de Lion en combat singulier, et précipita le corps brisé de son père dans la boue. Avec la perte de leur Roy, la volonté de se battre abandonna les Bretonniens. Ils s’enfuirent, en laissant les Elfes Sylvains sauver leurs vies comme ils le pouvaient.
Nul ne sait ce qu’il advint du Roy. Certains prétendaient que sept sœurs l’avaient porté hors du champ de bataille jusqu’à la Silverspire, afin que la Dame soigne ses blessures. D’autres disaient que le Roy avait succombé à ses blessures, Et qu’il était enterré à flanc de coteau au-dessus de la ville pour laquelle il s’était battu. Selon les pires rumeurs, Cœur de Lion arpenterait les duchés méridionaux, réduit à l’état de pantin par les Nécromanciens alliés avec Malbaude. Quel que fut la vérité, l’absence du Roy porta un terrible coup à la Bretonnie. Toute unité disparut, chaque Duc étant réticent à aider une autre province tandis que ses propres terres étaient assaillies. Un par un, les duchés méridionaux tombèrent, et Malbaude mena son armée au nord, jusqu’à Couronne.
Sentant l’heure de sa victoire proche, l’impatience de Malbaude grandit. Son mystérieux bienfaiteur avait promis qu’aucun mortel de Bretonnie ne pouvait le vaincre, et le prince renégat avait constaté la véracité de ces mots à maintes reprises. À Gisoreux, Adelaix, Montfort et en une centaine d’autres lieux, il défia tous les chevaliers qui acceptaient de l’affronter en combat singulier, et sortit victorieux sans la moindre égratignure à chaque fois. Toutefois, dans son arrogance, Malbaude oublia que tous les champions de Bretonnie n’étaient pas tout à fait mortels. Lorsque l’armée du prince illégitime atteignit Couronne, il trouva les derniers Ducs de Bretonnie unis contre lui, leurs bannières flottant au vent côte à côte. Malbaude n’en avait cure, car cette armée était largement dépassée en nombre par ses forces, et il s’élança pour défier ses ennemis. Cependant, ce ne fut pas un Baron ou un Duc ordinaire qui releva cette fois le gant, mais Sacremor : le légendaire Chevalier de Sinople, revenu du Lacrimora pour secourir son peuple. Malbaude comprit son erreur, mais avant de pouvoir s’enfuir, le Chevalier de Sinople se rua en avant et décapita le traître. Son maître terrassé, l’armée de Malbaude fut rapidement mise en déroute, toutefois, Arkhan avait déjà disparu depuis longtemps.Le corps de Malbaude fut brûlé après la bataille, et ses cendres dispersées aux quatre vents. La victoire enfin arrachée, les Ducs se penchaient sur la succession. Ils étaient à présent convaincus de la mort de Louen Cœur de Lion, et en l’absence d’héritier, chacun chercha à s’approprier le trône. Une guerre civile faillit éclater de nouveau. S’eut en effet été le cas sans l’intervention du Chevalier de Sinople, qui se révéla être Gilles le Breton, le fondateur du royaume, à qui la Dame avait prêté une nouvelle vie afin qu’il dirige son peuple une fois encore. Stupéfaits, les Ducs lui concédèrent immédiatement le trône, et le peuple de Bretonnie eut au moins une raison de se réjouir.
Du moins c’est ce qu’il semblait. En effet, la prophétie du retour de Gilles promettait qu’il reviendrait guider son peuple dans son heure la plus sombre. Emportés par leur joie, les Bretonniens pensèrent que ces mots se référaient à la guerre civile qui venait de s’achever. Ils se trompaient lourdement.
Plusieurs jours après le deuxième couronnement de Gilles, la peste se déclara dans les duchés méridionaux, et dévasta ce qui restait de Quenelles et de Gasconnie. Puis s’abattirent des météores incandescents de Malepierre qui apportèrent mort et mutations aux terres ravagées. Chaque jour qui passait, le pouvoir du Chaos s’amplifiait, et la situation de la Bretonnie empirait. Chaque nuit, le ciel s’éclairait de flammes bleues, et chaque matin les survivants priaient la Dame pour leur salut, ou s’enfuyaient dans les bois, leur corps bourgeonnant de mutation et leur esprit perdu dans la démence. Les hardes d’Hommes-Bêtes pullulaient, et erraient à travers les terres. Temples, villages et villes furent rayés de la carte tandis que les rejetons du Chaos profitaient de la générosité des Dieux. Les forêts devinrent des lieux crasseux et corrompus, où seuls les fous osaient se rendre. Même les sites sacrés des chapelles du Graal n’étaient pas épargnés, et maints Chevaliers du Graal périrent en tentant d’endiguer une marée de corruption sans fin. Une nuit, alors que le vent hurlait avec la voix des damnés et qu’une pluie de sang tombait, la cité de Bordeleaux s’évanouit sans laisser de trace. Un fort de bronze et d’os se dressait à sa place, les crânes des citoyens disparus accrochée en guise de trophées sur ses remparts par les mêmes Démons qui rôdaient sur les terres.
Mais les Chevaliers de Bretonnie ne restèrent pas oisifs. Beaucoup virent en ces jours sombres l’opportunité de prouver leur valeur et d’accomplir des actes dignes des légendes et des chants. Toutefois, leur exemple ne fut que des étincelles de lumière dans une obscurité étouffante. Un quart de la population avait péri par les flammes démoniaques, la maladie ou les luttes intestines, et autant avait fui par-delà les montagnes, pour se réfugier sur les terres de l’Empire ou de Tilée. Même s’ils acclamaient le retour de Gilles, les Bretonniens souffraient. Les paysans étaient plus misérables que jamais, et la noblesse regardait ce qui avait été les plus belles terres du Vieux Monde, en se lamentant sur ce qui leur avait valu un tel sort.
À Couronne, Gilles suivait le mal qui rongeait ses terres, et le sachant annonciateur de temps plus périlleux encore, le Sacremor déclara une croisade d’une ampleur sans précédent. Les fils de Bretonnie étaient les plus vaillants du monde, déclara-t-il. Ils n’attendraient pas sagement que tout s’écroule autour d’eux. Les terres seraient purgées, et les créatures du Chaos massacrées et repoussées jusqu’à l’océan. La Bretonnie survivrait une fois encore, pour l’honneur, pour le roi, et pour la Dame du Lac !
Les Nains avaient toujours été une race austère, et leur caractère était autant marqué par un air grave que par leur habitude de souligner le déclin de toute chose depuis l’époque de leurs ancêtres. Cependant, aussi enclin que fut ce peuple à insister sur les défauts, il était choqué de constater à quel point les dégradations se faisaient manifestes. Des volcans depuis longtemps endormis rugissaient, et la planète tremblait au niveau de ses fondations. Même les vétérans les plus stoïques, les vénérables à la barbe prodigieusement longue, concédaient ne jamais avoir été témoins de tant de maux, ni être sujets à autant d’appréhension.
Depuis les tours de guet dispersées parmi les pics enneigés des Montagnes du Bord du Monde, les Nains scrutaient la tempête en approche. Ils notaient les ténèbres grandissantes sur les Terres Sombres, une marée obscure seulement percée par les rayons maladifs de la lune maudite. Ils observaient les ennemis se rassembler en nombre inusité de mémoire de Nain. Les Terres Arides, celles qui abritaient les Peaux-Vertes, débordaient leurs frontières, et chaque jour, de plus en plus de tribus Ogres surgissaient des domaines obscurs de l’est. Il se tramait quelque chose d’ignoble en Sylvanie, car des remparts d’ossements encerclaient la province, tandis que des nuages de Magie Noire tournoyaient au-dessus. Sur les versants des montagnes, des bêtes sortaient de leur sommeil avec une fréquence et une férocité qui stupéfiaient les conteurs les plus âgés et les plus aigris.
C’est du nord que vinrent les visions les plus menaçantes. D’étranges lumières déformaient l’horizon et des vents æthériques balayaient les terres. Des rapports de Kraka Drak, la forteresse la plus distante, à Norsca, faisaient état de Démons grouillant sur les terres et d’une mobilisation générale ; les guerriers barbares des Dieux Sombres se rassemblaient. Les vieilles-barbes se rappelant des jours noirs qui avaient précédé la Grande Guerre Contre le Chaos s’accordèrent à dire que tout était comparable à ce qui avait annoncé cette ignoble invasion, voire pire.
Ces mornes nouvelles étaient ce qui faisait ruminer Thorgrim. Bien que son peuple ait décliné depuis son âge d’or, lorsque les royaumes des montagnes étaient gorgés de richesses et que l’artisanat des Nains était à son pinacle, il demeurait fort. Les ennemis s’écrasaient sur ses forteresses inviolables comme les vagues sur les rochers. Encore et toujours, les Nains allaient balayer les armées d’invasion ou purger les cols des monstres cauchemardesques. Depuis cette lointaine époque où leurs Dieux ancestraux marchaient parmi eux, les Nains avaient résisté. Comme en attestait le Grand Livre des Rancunes, ils avaient survécu aux incursions démoniaques, aux séismes, aux invasions nordiques et à toutes les armées que leurs ennemis séculaires avaient pu lever.
Toutefois, la perspective d’affronter ces menaces à nouveau, et toutes à la fois, était redoutable. Même Thorgrim, vengeur implacable de son peuple, était abasourdi par l’ampleur de la tâche.
Certains clans, y compris l’influente Guilde des Maître des Runes, insistaient sur le nombre grandissant d’ennemis et déclarèrent qu’il était temps de sceller les forteresses afin d’en interdire l’accès aux ennemis pendant cette époque troublée. Ainsi, comme lors des calamités du passé, les Nains seraient en sécurité, protégés au cœur de leurs inégalables bastions des montagnes, tandis que le monde de la surface se consumerait. Si les Nains resteraient vulnérables aux attaques souterraines, ceux qui juraient que le salut de leur peuple passerait par l’isolement soulignèrent le relâchement de la pression de leurs ennemis séculaires, les Gobelins de la Nuit et la vermine Skaven. Plusieurs forteresses, dont Zhufbar et Karak Azul, rapportèrent que les attaques dans le Dédale, jusque-là constantes, avaient récemment diminué, voire cessé. Toutefois, les mineurs les plus endurcis, ceux qui se rendaient profondément sous la montagne, percevaient cette accalmie illusoire comme un signe de mauvais augure. Ils affirmaient que l’ennemi rassemblait ses forces, et certains soutenaient avoir découvert de nouveaux tunnels creusés pour prendre les Nains à revers.
Comme toujours, le Haut Roi écoutait l’air aigri. Il regardait le ciel mauvais, et gratifiait ses conseillers du dédain avec lequel il accueillait tous les rapports annonciateurs de malheurs. Endurci par l’âge et les guerres, Thorgrim savait que son peuple était divisé. Beaucoup lui reprochaient d’avoir aidé les Elfes d’Ulthuan dans une tentative infructueuse de sauver la fille de la Reine Éternelle des griffes du Vampire Mannfred von Carstein. Toutefois, l’idée de barrer ses portes et d’espérer que le déluge passe ne plaisait guère au Haut Roi.
En dépit du serment d’assistance qui le liait à l’Empire, Thorgrim savait que s’il appelait les forteresses à lever leurs troupes, certains rois refuseraient de marcher droit vers la menace grandissante. Le Roi Kazador avait déjà scellé les portes principales de Karak Azul. Tel était le conseil du plus grand des Maître des Runes vivants, Thorek Tête-en-fer, qui préférait se fier à des murs solides plutôt que gaspiller ses forces en secourant des alliés imprévisibles. En outre, le Maître des Runes avait personnellement demandé au Haut Roi de mettre tout en œuvre pour retrouver d’anciens artefacts, car il espérait découvrir de puissants héritages des Dieux Ancestraux afin de servir la cause du peuple Nain. Thorek maintenait qu’il était sur le point de découvrir la localisation du fabuleux portail de pierre de Valaya ; les piliers et le linteau couverts de runes par lesquels la déesse ancestrale avait émergé de la montagne vivante. Des traditions séculaires laissaient entendre que la découverte de tels artefacts marquerait le début d’un âge d’or, lors duquel les Dieux vivraient de nouveau parmi leur peuple.
Bien sûr, d’autres Nains auraient obéi sans discuter à leur Haut Roi, même si cela signifiait marcher en force hors de leurs forteresses. Le Roi Alrik de Karak Hirn avait transmis son soutien à Thorgrim, tandis qu’Ungrim Poing-de-fer, le Roi tueur de Karak Kadrin, était toujours avide de batailles. Même le Roi Belegar de Karak aux Huit Pics, assiégé comme il l’était, avait juré de faire tout en son pouvoir pour s’acquitter du serment du Haut Roi. Si les augures étaient interprétés correctement, tous les guerriers seraient nécessaires, car un temps de grand malheur approchait rapidement.
Sa couronne lui pesait tandis qu’il regardait le soleil se coucher. Thorgrim avait juré de rayer toutes les lignes du Grand Livre des Rancunes, ou de mourir en essayant. Et le Haut Roi tiendrait parole.
Les Peaux-Vertes ont toujours prospéré en temps de conflits. Ils vivent dans un état de guerre permanent, contre divers ennemis, voire entre tribus rivales s’ils ne peuvent trouver de meilleures victimes. Toutefois, la violence qui s’était emparée du monde leur fournissait à présent un étrange but. Du Peau-Verte le plus chétif au plus imposant des chefs de guerre, tous ressentaient une poussée de résolution aussi indescriptible qu’irrésistible. Elle grandit en eux jusqu’à les emplir de vitalité, et en dépit de cette fureur à peine contenue, les luttes intestines qui avaient toujours affligé cette race belliqueuse cessèrent. C’était comme si les Peaux-Vertes avaient compris que ces actes les desservaient. Au lieu de se battre, les Orques et les Gobelins mirent en suspens leur avidité destructrice, la renfermant en eux-mêmes jusqu’à ce qu’ils puissent rugir et la libérer en une orgie de sauvagerie. Auparavant, la vie, généralement courte, d’un Orque ou d’un Gobelin était régie par la violence, et une telle pensée aurait été inconcevable. Aux côtés de la pure joie de se battre, c’était là le signe le plus tangible de leurs Dieux qu’avaient pu ressentir les Peaux-Vertes jusqu’ici, et cette sensation les submergeait.
Ce sentiment que quelque chose d’énorme se préparait touchait chaque Peau-Verte où qu’il se trouvait. Dans les coins les plus reclus, les tribus isolées se sentirent obligées d’en rejoindre d’autres. Des étendues sauvages les plus profondes arrivèrent des Orques Sauvages nomades, tandis que des Gobelins des Forêts émergeaient de leurs tanières boisées. Au nord, sous les nuages menaçants du Pays des Trolls, des tribus éparpillées se massèrent. Des chants guerriers gagnèrent le ciel.
Partout où la densité des Peaux-Vertes était la plus élevée, la fièvre compulsive atteignait des sommets, et montait jusqu’à ce que leur masse crépite d’énergie Waaagh! Dans les grottes des Montagnes du Bord du Monde, les Gobelins de la Nuit se réunissaient en hordes impatientes. Des armées jaillissant de la Terre des Loups hurlaient en direction de l’étrange lune qui les observait. La région la plus active était les Terres Arides : les foyers anarchiques d’innombrables tribus Orques. Elle bouillonnait d’énergie, tel un chaudron prêt à déborder, une poudrière attendant une étincelle.
À ce moment-là, les Peaux-Vertes auraient pu dominer le monde, en lançant une croisade qui aurait balayé tous les continents les uns après les autres. Si un seigneur de guerre avait pu unifier toutes les tribus du globe et en une seule nation, aucune force n’aurait pu s’opposer à elle. Il y avait en effet plusieurs chefs Peaux-Vertes influents, et chacun accapara une part de toute la puissance rassemblée.
Au nord des Montages du Bord du Monde, les Orques et les Gobelins affluèrent à la suite de Grimgor Boît' en Fer, la violence condensée dans le corps musculeux d’un Orque noir. Même s’il était certainement le combattant le plus féroce de sa race, un profond désir de commander faisait défaut à Grimgor. Il se délectait du massacre et recherchait l’ennemi le plus coriace à affronter, mais ne se préoccupait pas qu’une armée le suivît. En fait, lorsque les Peaux-Vertes qui accouraient à lui s’étaient retrouvés sur son chemin, il avait taillé à travers eux avec le même entrain que contre n’importe qui d’autre. Évidemment, cette Démonstration de force attira encore plus de Peaux-Vertes, principalement des Orques et des Orques noirs. La Waaagh ! Grimgor était immense et dangereuse, mais son commandant ne se souciait pas de conquérir les terres ou de piller des cités. Il marchait vers le nord, où il pourrait défier les plus grands champions, sans savoir que sa venue avait été prédite de longue date…
En termes d’ambition, un Peau-Verte écrasait tous les autres : Skarsnik, seigneur des Huit Pics. D’innombrables tribus se réunissaient autour de lui, beaucoup de Gobelins de la Nuit, mais aussi des Gobelins des Forêts vénérant la Déesse Araignée, des Orques bardés de fer des cols, et une foule de trolls. L’intention de Skarsnik était de déchaîner sa Waaagh ! contre le royaume des Nains, mais il éradiquerait volontiers tout Skaven qui lui passerait à portée de main, ou, comme le disent les Gobelins : « tout s’ki mérit’ qu’on l’frappe. Dans les grands halls à champignons de sa tanière, jadis la forteresse de Karak-aux-Huit-Pics, le seigneur Gobelin de la Nuit promit un butin incommensurable à ceux qui se rallieraient sous sa bannière.
Les tambours battaient jour et nuit au cœur des Terres Arides. Parmi ce tumulte, Wurrzag, grand prophète de son peuple, cherchait sous le regard des totems dressés sur ces terres désolées. Parmi les milliers de tribus réunies, une douzaine de seigneurs se distinguaient, et divisaient la horde. Le rêve de Wurrzag avait toujours été de trouver le Grand Chef, celui qui aurait la faveur de Gork et Mork à la fois, le Peau-Verte ultime qui mettrait le monde en miettes. Jamais les pensées de l’excentrique Wurrzag n’avaient été si lucides, ses visions aussi claires. Wurrzag jetait les os et les déchiffrait, puis il recommençait, encore et encore, jusqu’à ce qu’ils l’orientent dans la bonne direction. Il vomissait de l’énergie mystique verdâtre et se baignait dans les visions qu’elle propageait. Wurrzag vacillait et tournait autour du feu en exécutant sa meilleure danse chamanique à chaque campement qu’il visitait. Pourtant, ses recherches effrénées restaient infructueuses. Péniblement, Wurrzag réalisa qu’il devrait peut-être chercher non pas un, mais deux chefs surpuissants - le Poing de Gork, et la Main de Mork…
Cependant, tous les chamans ne pouvaient pas accorder leur esprit à la déferlante de la Waaagh ! Comme le faisait Wurrzag. En présence de Peaux-Vertes agités, les chamans Orques et Gobelins étaient gratifiés de pouvoirs magiques extraordinaires. Certains ne pouvaient pas supporter l’influx de puissance et la Magie consumait leur esprit. Ces individus étaient une menace pour eux-mêmes et leur entourage, car une fois saturés, leur tête explosait en projetant une énergie mortelle. D’autres, qui parvenaient à contrôler au moins partiellement cette puissance, pouvaient en évacuer le surplus vers le ciel, en projetant des faisceaux verdâtres, qui déchiraient les nuages anormalement bas et sombres.
Sous ces signes menaçants, les groupes indisciplinés se mirent en route telle une marée de troupes. Bêtes et monstres entamèrent leur propre croisade de destruction. Ils voulaient combattre tout ce qui pourrait se dresser sur leur chemin. Une fois encore, le monde tremblait sous les rugissements de la Waaagh !.
Les créatures sauvages furent les premières à le percevoir, guidées par leur instinct. Bientôt cependant, même les Ogres, aussi épais et brutaux qu’ils fussent, reconnurent les présages pour ce qu’ils étaient. Ils ne pouvaient ignorer l’horizon nordique multicolore, visible même en plein jour, pas moins que les boules de feu qui traversaient le ciel nocturne, et les traînées verdâtres qui piquaient les yeux de ceux qui les observaient. La plupart des météorites s’abattaient dans les Terres Sombres, mais certaines frappaient le sol si près qu’on pouvait sentir leur choc. Des nuages de débris fleurissaient au point d’impact, provoquant avalanches et éboulis qui s’écoulaient bruyamment jusque dans les vallées.
L’activité volcanique était cependant la plus perturbante. Les ogres et les bêtes vivant dans les Montagnes des Larmes étaient habitués aux éruptions occasionnelles de ses nombreux volcans. À présent, tous crachaient de la fumée et secouaient leurs versants. Au début, cela enthousiasma les ogres, surtout lorsque le père des volcans, la puissante Bouche de Feu, crachait des geysers de lave. Les ventre-feu qui vénéraient ce Dieu vivant décuplèrent leurs sacrifices, dans l’espoir d’apaiser sa faim et de gagner sa faveur. D’immenses panaches de fumée se mêlaient aux curieux nuages qui s’enroulaient au-dessus des montagnes.
Ainsi débuta une saison du sang, car l’atmosphère troublée faisait enrager toutes les créatures. Des bêtes émergeaient d’un long sommeil et hurlaient leur colère aux pics enneigés. Des troupeaux de rhinox affrontaient des meutes de loups au clair de la seconde lune. Des chimères, attirées au sud par l’agitation grandissante du nord, terrorisaient les pics, massacrant tout ce qu’elles apercevaient. Des manticores rôdaient partout, et leur soif de sang ne pouvait être étanchée.
Les défis des mastaurocs résonnaient dans les vallées, et même les ogres qui voyageaient en vastes groupes n’étaient pas à l’abri des attaques. De nombreuses tribus durent livrer d’impitoyables “guerres des bêtes”, des luttes titanesques afin de défendre leur campement contre des assauts presque continus.
Les ogres n’étaient pas troublés outre mesure pour autant, car ils étaient taillés pour survivre dans les conditions les plus difficiles. En fait, comme un croc de sabre suivant une piste sanglante à flanc de montagne, les ogres ignoraient la paresse ou la léthargie, et accueillaient les vents violents du nord en montrant les dents. Ils savaient que les combats impliquaient du butin, et les ogres se frottaient les mains en songeant aux festins à venir.
Toutefois, les ogres n’agissaient plus en tant que royaume unifié. La pénible coopération entre tribus instaurée par l’Archityran Graissus Dents d'Or après son triomphe à la Bataille de la Bouche de Feu s’était, au moins partiellement, dissipée. La poigne de fer de Graissus lui avait assuré la loyauté d’un noyau de tribus. Cependant, le caractère des ogres était fondamentalement indépendant, et ils étaient enclins à se rebeller sur un coup de tête. De nombreuses tribus, surtout celles qui étaient hors d’atteinte immédiate de Graissus, oublièrent les serments prêtés à l’Archityran dès qu’ils perçurent une possibilité d’amélioration de leur propre statut. Entre obéir aux caprices d’un seigneur lointain, et saisir l’opportunité de rassasier immédiatement leur appétit de richesses et de nourriture, beaucoup d’ogres suivirent leur instinct.
La plupart des tribus qui sortirent du giron de l’Archityran se situaient aux confins nordiques des Montagnes des Larmes. Les barbares humains des désolations avaient lancé un appel à la guerre, et se réunissaient plus au nord sous un maelstrom grandissant.
Beaucoup d’ogres, convaincus par les promesses de rafles faciles s’étaient joints aux Nordiques, et avaient disparu dans la tempête. D’autres, comme Golgfag Mangeur d'Hommes marchèrent vers l’ouest à la tête de son armée de boucaniers endurcis, en direction de la fumée qui montait des cols et des forteresses Naines des Montagnes du Bord du Monde. La guerre faisait rage là-bas, les terres des humains étaient juste au-delà, et là où se livraient des batailles, il y avait du butin à rafler. Menées par les Ventres-tonnerre et les Massues Croisées, plusieurs tribus pénétrèrent dans les Terres Arides, où elles firent des ravages parmi les Peaux-Vertes, se hissant au sommet d’une hiérarchie dictée par la loi du plus fort.
Graissus Dent d’Or était furieux d’apprendre que ses mots avaient perdu leur poids. L’Archityran enrageait de savoir que les tribus partaient en quête de richesses sans tenir compte de ses ordres. Pendant quelques années, lorsque Graissus tenait toutes les tribus des Montagnes des Larmes sous son joug, il pouvait se vanter d’être à la tête d’un royaume capable de rivaliser avec n’importe quelle autre nation du globe. Il le voyait à présent lui filer entre les doigts comme la graisse suinte d’un pilon rôti. Sa colère enflait à chaque nouvel éclaireur gnoblar lui rapportant une nouvelle défection.
Les ogres ne réfléchissent pas trop. Leur humeur vacille entre deux extrêmes. Victorieux, ils se vautrent dans une abondance paresseuse. Ils restent insatiables, mais peuvent passer des semaines à fainéanter en poussant de la nourriture dans leur gosier. Toutefois, lorsqu’ils sont stimulés, par la fierté ou par la faim, les ogres sont une force de la nature, frappant soudainement et avec une ferveur implacable, pillant jusqu’à ne laisser que ruine dans leur sillage.
Graissus était le plus gros mangeur de sa race, capable d’engloutir comme cinq ogres, mais il avait assez festoyé pour le moment. Il était temps, une fois encore, de montrer à ses sujets le pouvoir qu’il était le seul à posséder. Graissus Dent d’Or et ses tribus loyales étaient une force capable d’ébranler n’importe quel royaume et de réduire toute opposition en poussière.
Ainsi fut-il, et alors même que Graissus rassemblait ses tribus et suivait la piste de défecteurs récents, la Bouche de Feu entra en éruption.
L’énorme volcan cracha sa fureur dans le ciel comme jamais auparavant, à tel point que le spectacle était visible depuis les Terres Sombres, malgré l’obscurité qui les voilait ; une lueur rouge capable de percer une pluie de cendre. En outre, le rugissement de la Bouche de Feu déclencha une réaction en chaîne : d’un bout à l’autre des Montagnes des Larmes, d’autres volcans entrèrent en éruption, produisant un chœur qui ébranla la terre. La violence de la Bouche de Feu obligea les Ventre-feu à abandonner ses versants, à l’exception d’une poignée d’irréductibles, qui périrent engloutis par la lave.
Sous la pluie noire et les rochers qui s’abattaient, devançant les coulées de lave, le grand exode débuta. Les ogres, tous les ogres, étaient à présent en marche. Cette migration était d’une ampleur inédite depuis qu’ils avaient quitté les Terres des Anciens Géants, et le monde allait le payer cher.
Les Skavens avaient patienté assez longtemps. L’Empire Souterrain avait toujours été une ruche bourdonnante, pourtant le rythme effréné des hommes-rats s’accélérait à présent. Chaque clan, forteresse ou tanière grouillait d’activité et d’ambitions. Le labeur, l’intrigue, la guerre et même la rupture d’alliance entre factions étaient poussés à de nouveaux extrêmes. C’était comme si les Skavens avaient tous reçu une injection de stimulants de Malepierre, ce qui dans certains cas, était vrai.
Le réseau d’informateurs Skaven avait infiltré de nombreuses nations. Ces espions, ces traîtres et ces taupes transmettaient à présent un flot de nouvelles. Il pleuvait des météores, les volcans se déchaînaient et des tempêtes surnaturelles balayaient les terres. Estimant que l’heure était venue, le Conseil des Treize mis en œuvre la première étape du grand plan, une invasion qui marquerait le début de la domination Skaven.
Les hommes-rats quittèrent leurs tanières en une marée innombrable, et les royaumes de Tilée et d’Estalie tombèrent, submergés par une campagne soudaine et implacable. Creusée de galeries et envahie, chaque cité majeure n’était plus que ruines surmontées d’une bannière de clan en lambeaux. De longues files de survivants humains enchaînés étaient conduites en sous-sols ; de nouveaux esclaves qui alimenteraient la prochaine étape du grand plan.
Le goût de la victoire ne fit que stimuler les Skavens. Du plus insignifiant chef d’unité au plus éminent seigneur d’un clan majeur, chaque tyran était à l’affût. Tandis que la guerre et la ruine se répandaient sur les terres, leur heure approchait. Ainsi les Skavens sévirent contre leurs esclaves, les pressant à un rythme insensé. Les malheureux moururent à la tâche en nombre inconcevable, et leurs cadavres servirent à nourrir ceux qui restaient.
Cette race vermineuse avait toujours proliféré par à-coups spectaculaires. Par le passé, ces élans restaient brefs et étaient typiquement suivis d’un effondrement démographique. Cette fois faisait exception. Avec la poussée des vents maléfiques, le chaos porté par l’air et la lune verdâtre qui grossissait nuit après nuit, les Skavens étaient emplis d’une vivacité surnaturelle.
Les pluies de Malepierre de plus en plus fréquentes revigoraient les hommes-rats. C’était comme si le Rat Cornu en personne nourrissait ses enfants d’une énergie infernale.
Bientôt les Skavens connaîtraient une ascension sans précédent.
Le Conseil des Treize siégeait dans un silence oppressant. La chambre était située profondément sous le Grand Temple du Rat Cornu, mais elle était à tel point imprégnée d’énergies mystiques qu’elle aurait bien pu exister dans un autre plan. Seule la faible lueur maladive des encensoirs éclairait la pièce, vide mis à part un pilier à treize côtés et une table de pierre, tous deux gravés de runes qu’il était douloureux de regarder.
Autour de la table siégeait les douze dirigeants de l’Empire Souterrain, le treizième trône était vide, car réservé symboliquement au Rat Cornu. Rien ne bougeait, pourtant l’atmosphère était agitée. Dans le silence implacable, une queue frétillait. Un raclement de bronches emplies de mucus trahissait la présence de l’archi-seigneur de la Peste Nurglitch assis à la dixième place, sur un simple trône d’os. Il avait longtemps attendu son heure et savourait le silence forcé, en mesurant le temps aux bruits de rouage et de vapeur de l’appareil respiratoire du seigneur Vrisk. Le seigneur devin Kritislik dans le très convoité premier siège, brisa la quiétude suffocante pour s’adresser aux Seigneurs de la Ruine. Il couina de rage d’une voix haut perchée tandis que l’air qui l’entourait luisait d’une puissance tangible. « Je suis contrarié, oui-oui. Seigneur Morskittar je n’ai pas permis le commerce de machines guerrières avec les clans mineurs. Pourquoi avoir rompu ce pacte avec le Clan Mors ? » Pendant un long moment, le plus vieux des Prophètes Gris examina un par un les membres du conseil de ses yeux perçants. Nurglitch lutta pour soutenir son regard, en empêchant ses yeux noyés de pus de cligner. Morskittar, le Technomage le plus exalté et maître du Clan Skryre, bougea légèrement, ses yeux télescopiques bruissant tandis qu’il fixait son attention sur le Skaven cornu. Nurglitch savait, comme tous les autres membres du conseil, que Kritislik avait régulièrement prohibé le commerce d’armement avec les clans qui désobéissaient aux prophètes gris. Bien que le Clan Skyre eût vendu des armes à quelques clans en disgrâce, le manque d’équipement avancé avait rendu l’invasion de Tilée plus coûteuse pour les Skavens. Sans lance-feu ou grenades à gaz pour exterminer les poches de résistance, les défenseurs durent être achevés à coup de dents. Lorsque Morskittar répondit enfin à Kritislik, sa voix métallique résonna dans la vaste pièce. « Nous avons plein-plein de machines à vendre. Le Clan Mors offrait le plus de Malepierre. Pourquoi ne pourrais-je pas conclure de marchés avec le seigneur Ronj ? Est-ce mon affaire si vous pensez qu’il est trop puissant ? » La masse bulbeuse de muscles et de tendons qui constituait le seigneur Verminkin commandant du Clan Moulder, hocha ses têtes pour montrer son accord. Pendant un moment, des sifflements s’échappèrent de Kritislik, qui firent frétiller de plaisir la queue de Nurglitch. |
Tenir des conversations privées en plein conseil était un moyen usuel de déstabiliser les autres ; c’était même la tactique favorite de Kritislik. Cette fois, pensait Nurglitch, les rôles étaient inversés, car l’autorité du prophète gris était remise en question. Ce fut le seigneur Sneek qui brisa ensuite le silence. Nurglitch et tous les autres, tournèrent leurs yeux vers l’ombre qu’était le maître du Clan Eshin. Même lorsque la lumière des encensoirs était la plus forte, le Skaven restait indistinct, ce n’était pas le seigneur de la nuit pour rien. « Seigneur devin Kritislik, j’ai rappelé le maître assassin Snikch et informé Skratch de votre double jeu, » lâcha Sneek dans un murmure. Ce fut suivi d’un bruit sourd, tandis que Skratch abattit sur la table la prothèse qui remplaçait son bras gauche. Il était le seigneur du Pic Bossu, maître du Clan Rictus, et il montra ses dents jaunies à Kritislik en signe de défi. À nouveau, la queue de Nurglitch s’agita, car ce signe était universellement compris des Skavens, du plus insignifiant au plus puissant. C’était la posture qu’un guerrier des clans prenait avant de tenter de prendre la place de son chef.
Kritislik était incrédule, ses cornes luisaient de puissance. « Vous osez ? Je parle au nom du Rat Cornu. Moi seul suis… » Mais avant de pouvoir conclure, sa voix se mua en cris de douleur, et son corps fut pris de convulsions. Une vapeur sombre s’échappa de ses mâchoires distendues, tel un panache de ténèbres. Le Grand Pilier étincela et des éclairs noirs jaillirent de la brume. Secoué dans tous les sens, Kritislik fut réduit en un instant à l’état d’une forme squelettique, qui tomba en cendre. Nurglitch était stupéfait, et les faciès des autres membres du conseil lui indiquèrent qu’il n’était pas le seul dans ce cas. Alors que retombaient les derniers flocons du prophète gris, le nuage noir s’amalgamait autour de la tête symbolique de la table du conseil. Des yeux lumineux percèrent les ténèbres. C’en était trop pour Nurglitch, qui se jeta au sol aux côtés des autres Seigneurs de la Ruine, en se prosternant de respect mêlé de terreur. Le Rat Cornu était revenu. Alors qu’il se tordait au sol, un savoir spontané imprégna l’esprit de Nurglitch. La tête du seigneur de la peste était emplie de visions de la lune malfaisante, toute gonflée à présent. Puis vint une voix, qui parla avec un rugissement discordant, à la fois un murmure éraillé et le pépiement d’un million de millions de rats. Lord Nurglitch sut et comprit. Le Rat Cornu était mécontent, les querelles de ses enfants ne l’amusaient plus. Un nouveau prophète toucherait bientôt le pilier pour rejoindre le conseil, et il parlerait de plein droit au nom du Rat Cornu. Avant de partir, le Dieu-vermine formula une prophétie qui menacerait de déchirer la trame même de la réalité : « Mes enfants, prenons ce qui nous revient ! » |
Khenteka Prêtre Liche et Hiérophante de Khemri, marchait seul depuis les chambres aux colonnes dorées des monarques. Il venait de quitter Settra l’Impérissable, Roi des Rois, souverain de Nehekhara, et portait un nouveau décret au Culte Mortuaire. Voûté, Khenteka s’appuyait plus lourdement que d’ordinaire sur son sceptre, symbole de sa fonction, qu’il employait telle une canne pour soutenir sa démarche traînante. Khenteka sentait le grand poids des années comme jamais auparavant. L’énormité de sa tâche semblait l’enfoncer dans le sol.
Accompagné par l’écho de son bâton et de ses pas, Khenteka chemina à travers la nécropole des rois jusqu’aux pyramides funéraires. Son esprit était encore abasourdi par ses récentes convocations, l’ampleur de son mandat et la situation lugubre qu’il augurait. Lorsque ses subordonnés le virent, ils interrompirent le renouvellement des sceaux sur les portes des tombes. Un des prêtres se leva et commença les chants rituels entonnés de façon traditionnelle lorsque l’Hiérophante les gratifiait de sa présence. D’un coup de son bâton qui propagea des ondes de choc par le sol comme le pas d’un colosse, Khenteka fit cesser le babil des prêtres. Il leva une main tandis que faiblissait l’écho de son sceptre sur la pierre. « Nous n’avons plus le temps, abandonnez vos tâches en cours. Nous avons d’autres cérémonies plus pressantes à mener, » déclara Khenteka à l’assemblée silencieuse. Ce fut Nebamun le porteur du Bâton des Âges, qui osa poser une question le premier. « Qu’est ce qu’a dit le Seigneur des Quatre Horizons, le Lion du Désert Infini ? Qu’est-ce que notre roi, le pourfendeur de nos ennemis, a requis de nous, ô révéré Hiérophante ? » Avec une docilité coutumière, les prêtres voûtés s’inclinèrent, attendant les mots de leur supérieur. « Le puissant Settra, seigneur du ciel et de la terre, a ordonné que soient éveillés les rois, et que les légions soient levées une fois de plus, dit Khenteka. » « Combien d’entre eux, révéré Hiérophante ? » s’enquit Nebamun après une pause respectueuse. « Tous », » déclara Khenteka en se retournant pour quitter son tombeau à nouveau. « Réveillez-les tous. » |
Des nuages de charognards se rassemblaient au-dessus des déserts arides de Nehekhara. La lune maudite brillait, sa forme maladive ne cessant de grossir. D’étranges tempêtes éclataient soudainement et dévastaient tout. Les Démons d’au-delà du royaume des esprits rôdaient sur les terres, et attaquaient en masse.
Peut-être que ce qui perturbait le plus Settra, c’étaient les présages que lui rapportaient quelques Prêtres du Culte Mortuaire. Ces Liches, des individus loyaux, parlaient d’étranges murmures portés par le vent de Shyish, et qui offraient des promesses de pouvoir.
Avec une autorité sans précédent, Settra convoqua son Hiérophante et lui ordonna de réveiller tous les Rois, ainsi que toutes les légions.
Cela faisait des siècles que ne serait-ce que la moitié des guerriers de Nehekhara n’avaient pas été tirés de leur sommeil. La seule fois de leur histoire où ils furent tous éveillés fut durant la Guerre des Rois, quand le Grand Rituel de Nagash avait saturé les terres, insufflant une nouvelle vie aux momifiés et aux rois préservés de Nehekhara et remuant les fosses communes des cités mortes.À présent, la menace qui planait sur ses terres était si grande que Settra osait risquer une nouvelle Guerre des Rois.
À travers la Terre des Morts, les prêtres mortuaires s’affairaient fébrilement. Leurs corps étaient desséchés par une vie bien plus longue que la normale, mais en dépit de leur fragile apparence, ils possédaient une vitalité étonnante, et ils œuvrèrent sans relâche, une tombe après l’autre. Ils étaient les guides du long sommeil, les veilleurs des morts.
Les sceaux sacrés barrant l’accès aux tombeaux furent brisés, des rituels d’incantation sans âge récités, le long babillage monotone débuta, et recommença à n’en plus finir.
Une fois encore, les grandes cités de Nehekhara sortirent de leur torpeur.
Le Héraut de Settra, Nekaph, ainsi que des centaines d’autres messagers, quittèrent la capitale de Khemri pour porter la parole du Roi des rois aux monarques tout juste sortis de leurs tombeaux. Leurs parchemins établissaient les assignations de chacun à envoyer des patrouilles à travers le royaume afin que toutes les légions se mettent en marche. Nul n’ignorerait la volonté de Settra.
Dans la Vallée Charnelle, la Grande Vallée des Rois, les Nécrotectes commencèrent à resculpter les visages érodés des statues monumentales des monarques, ce qui marquait le début des longs rituels qui imprégneraient la pierre avec les esprits des morts.
À la demande expresse de Settra en personne, le maître de leur art, Ramhotep le Visionnaire, fit marcher une longue colonne de statues guerrières vers Khemri. C’est là qu’on lui avait ordonné de renforcer les murs de la plus prestigieuse des cités - de bâtir quelque chose d’inédit. Ainsi, avec un élan implacable, Ramhotep, débuta son plus grand œuvre.
Au rythme régulier des tambours, la flotte de Khemri remonta le Fleuve Mortis. Elle fut rejointe par l’armada de Zandri, le Port de la Terreur. Le delta Mortis se peupla de bâtiments de guerre.
À Lybaras, le grand reliquaire de la grande reine Khalida était interdit aux prêtres, mais leurs rites ne furent pas requis. Des semaines avant que le Culte Mortuaire reçoive le message de Settra, le pouvoir d’Asaph, la Déesse Aspic, avait réveillé sa championne dans un sifflement. Ainsi, Khalida, grande reine de Lybaras, accueilli les prêtres flétris assise sur son trône. Ses légions d’archers étaient déjà prêtes lorsque les hérauts de Settra franchirent les portes de sa cité.
Les unes après les autres, les légions marchèrent sur les sables brûlants, en prenant position pour repousser les envahisseurs. Des milliers de chars soulevèrent des nuages de poussière jusqu’au ciel. Des créatures s’enfouirent sous les sables mouvants, prêtes à surgir en embuscade aux premiers signes d’intrusion.
Depuis leurs pyramides, les Prêtres Liches observaient, profondément troublée, les derniers présages. Les plus grandes puissances du monde étaient en mouvement, et les vents de Magie étaient porteurs de guerre et de changements.
La guerre n’était par un phénomène inconnu, car le royaume des Rois des Tombes avait été forgé dans le creuset des batailles, ses légions étaient solides et nombreuses comme depuis toujours. En effet, dans leur fierté, la plupart des rois nouvellement éveillés étaient avides de batailles, car ils y voyaient l’opportunité de démontrer leur supériorité sur leurs semblables.
Toutefois, le changement n’était pas quelque chose de bien accueilli en Terre des Morts.
La domination de Settra était appelée le Règne Immortel, et le grand Roi de Nehekhara entendait qu’il en soit ainsi. Ceux qui oseraient défier son autorité ou menacer son immortalité affronteraient son courroux.
Dans les donjons du Château Sternieste, devenu le quartier général de Mannfred von Carstein, gisaient neuf vaisseaux de pouvoir divin ; neuf mortels aux portes de la mort, dont le sang était béni par les Dieux. Pour mener son plan à bien Mannfred, avait un besoin crucial de ce sang ; il constituait le socle sur lequel son plus grand œuvre serait bâti. Pendant des siècles, le Vampire avait ardemment désiré libérer la Sylvanie du joug de l’Empire, d’en faire un royaume indépendant où régneraient les ténèbres et où la foi n’aurait aucun pouvoir. À présent, le sang des neuf avait rempli son rôle. Un rempart d’os cernait la Sylvanie, et avait transformé la province crépusculaire en une immense forteresse.
Ce projet avait été le labeur de plusieurs vies de mortels, car les neuf avaient été sélectionnés avec soin, leurs lignées ayant été identifiées par une prophétie dissimulée dans les livres de Nagash. La déchiffrer avait demandé des décennies à Mannfred, et sa plus grande crainte avait été que des lignées fussent éteintes. Fort heureusement, tel ne fut pas le cas.
Parmi les neuf réceptacles divins, trois étaient particulièrement précieux. Ces individus étaient en effet des demi-dieux, dont le pouvoir était à peine contenu sous un fin voile de chair. Morgiana la Fée avait été l’acquisition que Mannfred avait redoutée le plus, car les Vampires avaient toujours été tenus en échec en Bretonnie. Pourtant ce fut la première à être prise au piège, livrée aux griffes de Mannfred par Drycha d’Athel Loren. La créature sylvestre n’avait donné aucune explication, et Mannfred avait accepté le présent non sans une tentative symbolique de tuer la Dryade. Aliathra fille de la Reine Éternelle d’Ulthuan, était la proie suivante, soustraite à la fois à la protection de son peuple et à celle des Nains de Karaz-a-Karak. La dernière, et symboliquement la plus importante, était Volkmar le Sévère, Grand Théogoniste de Sigmar, attiré en Sylvanie par la fierté et capturé au combat lors d’une arrogante invasion. Ce fut le sang de Volkmar qui compléta le rituel apostatique et transforma la terre qu’il voulait purifier en un paradis de ténèbres.
Au bout du compte, si les plans de Mannfred avaient été exécutés à la perfection, rien ne s’était passé comme le seigneur de Sylvanie l’avait prévu. Les bouleversements récents n’avaient pas épargné son domaine. Des portails avaient émergé où les morts reposaient en masse, et avaient déversé des Démons rageurs. Ces incursions ne durèrent pas, car la Sylvanie n’était pas une province de mortels, et ses armées furent vite levées pour écraser les intrus.
De façon plus préoccupante, Mannfred découvrit que les hommes de l’Empire avaient altéré son plan. En préparation de son rituel, Mannfred avait envoyé ses hordes de Goules dépouiller tous les temples, autels et sépultures de Sylvanie de tous leurs symboles sacrés, et de les enterrer si profondément que leur sainteté ne troublerait pas les Morts-Vivants. Lors de la capture de Volkmar, des Sorciers avaient arraché ces icônes de leur cache humide, puis les avaient disposées aux frontières de la Sylvanie pour créer une cage de foi et de lumière qui enclaverait l’obscurité. Ni Mannfred, ni aucun de ses serviteurs ne pouvaient franchir cet anneau de lumière sainte, et se rendre dans le monde au-delà.
Mannfred supposait que cette barrière était l’œuvre de Balthasar Gelt, le Patriarche des Collèges de Magie, mais connaître l’identité de son tourmenteur ne lui était d’aucun secours. Gelt était à Altdorf, hors d’atteinte de Mannfred, et le Vampire devait directement s’en prendre à l’enchantement. Pendant de longs mois, Mannfred tenta de surclasser le rempart dressé autour de son royaume, sans succès. La Magie dont Gelt avait usé pour lier les symboles sacrés aux frontières de la Sylvanie résista à tous les contre-sorts que von Carstein ne pouvait conjurer. Le Mur de Foi était un enchantement plus subtil et plus robuste que ce à quoi Mannfred s’était attendu de la part de l’esprit grossier des Sorciers humains, et le Vampire soupçonna rapidement que Gelt n’en était pas l’authentique concepteur.
Chaque échec assombrissait l’humeur de Mannfred, le semblant de bienséance dont il se drapait partait en lambeaux et sa patience déclinait. N’était-il pas le plus grand des von Carstein, et l’héritier du pouvoir de Nagash ? C’était impossible, il en était certain, que les pitoyables sorts d’un simple humain puissent contrer des propres pouvoirs. Toutefois, Le Mur de Foi de Gelt résistait à toutes les tentatives du comte pour l’abattre.
Les autres Vampires de Sylvanie connaissaient la source de l’humeur massacrante de Mannfred, mais ils ne pouvaient rien faire pour apaiser leur maître et évitaient toute tentative, surtout depuis que Mannfred avait dépecé Tomas von Carstein pour avoir osé aborder le sujet de l’enchantement de Gelt. Ces Vampires étaient peu ambitieux pour la plupart, car ceux dont l’attrait dépassait la domination des masses paysannes superstitieuses avaient été éliminés depuis longtemps, aussi se satisfaisaient-ils de la situation. Peut-être qu’avec le temps, l’ennui conféré par la vie éternelle pousserait les Vampires de Sylvanie à agir, mais pour l’instant, ils n’avaient aucune raison de rechercher la colère de leur maître. Mannfred rôdait dans le Château Sternieste, examinant des grimoires poussiéreux et des parchemins fripés ; la Sylvanie était plongée dans une obscurité perpétuelle, et offrait des plaisirs cruels pouvant être assouvis sans fin.
Sommaire
- 1 Chapitre I : UNE ALLIANCE MAUDITE - Automne 2523 / Été 2524
- 2 Chapitre II : LE RITUEL - Automne 2524
- 3 Chapitre III : MORT AU BORD DU MONDE - Printemps 2524 / Hiver 2524
- 4 Chapitre IV : SOMBRES NUÉES - Été 2524 / Été 2525
- 5 Chapitre V : LA TERRE DES MORTS - Hiver 2524 / Automne 2525
- 6 Source
Chapitre I : UNE ALLIANCE MAUDITE - Automne 2523 / Été 2524[modifier]
Alors que l’hiver étreignait la Sylvanie et que les prémices d’un cataclysme coloraient les cieux, Mannfred prit peu à peu conscience de la présence d’un intrus sur ses terres.Depuis plusieurs semaines ; ses espions lui rapportaient des nouvelles de la guerre qui faisait rage aux frontières de la Bretonnie. Une armée de Morts-Vivants dirigée par Malbaude, le bâtard de Louen Cœur de Lion, avait infligé de durs revers aux forces de son père alliées aux Elfes d’Athel Loren. Toutefois, Malbaude avait fini par être vaincu.
Les nécromants ralliés à sa cause s’étaient enfuis dans les montagnes ou dans les forêts de l’Empire, ou avaient cherché refuge dans les ténèbres de Sylvanie. La plupart n’étaient pas parvenus à franchir la muraille d’ossements qui ceignait le domaine de Mannfred, mais ceux qui avaient réussi avaient été rapidement asservis par le Vampire. Leur venue lui avait au moins appris une chose : le mur de foi érigé par Gelt ne fonctionnait que dans un seul sens. C’était un coup de génie que Mannfred aurait sûrement admiré en d’autres circonstances, car le sort agissait ainsi à la fois comme un leurre et comme un piège. S’il avait eu Gelt à sa merci, il l’aurait félicité avant de lui arracher la gorge…
Cependant, le nouvel intrus qu’il décelait n’était pas un simple nécromant errant. Il n’avait pas jugé nécessaire d’annoncer sa venue, et encore moins de jurer allégeance au seigneur de la Sylvanie. Mannfred devina sans peine que l’étranger le défiait et releva le gant. Après tout, cette distraction lui changerait les idées après les semaines infructueuses passées à tenter de défaire le sortilège du Patriarche Suprême.
Le Vampire se rendit vers le sud en chevauchant le squelette d’un coursier aux ossements pétris de Magie Noire, sans prendre la peine de masquer son arrivée. La subtilité n’était pas de mise ; elle aurait pu être prise pour un aveu de faiblesse. Il envoya des loups et des nuées de chauves-souris pour tenter d’identifier l’intrus, mais à chaque fois que ces créatures s’approchaient de sa proie, l’emprise de Mannfred sur ces dernières se dissipait subitement. Le Vampire se retrouva bientôt assez proche pour ressentir l’incroyable volonté de l’intrus assaillir son esprit. Il n’avait pas connu d’adversaire aussi formidable depuis des décennies.
Le lendemain, Mannfred et son ennemi se rencontrèrent enfin sur le pont de Valsborg. Ils étaient seuls : chevaucher à la tête d’une armée aurait témoigné de la crainte de livrer un duel, et de toute façon, les deux protagonistes savaient que le sol de Sylvanie regorgeait de cadavres si d’aventure la nécessité d’invoquer une troupe se faisait sentir. L’intrus attendait au milieu du pont, immobile en dehors de sa cape qui flottait dans le vent de Shyish. Mannfred se redressa sur sa selle et lui intima l’ordre de se prosterner. Son interlocuteur resta impassible, mais l’écho de son rire retentit au-dessus des eaux fétides. Il répondit alors qu’il n’était pas venu pour se soumettre, mais pour récupérer des reliques qui lui appartenaient de droit : une couronne, une main tranchée et sept grimoires en peau humaine rédigés avec du sang. Mannfred connaissait bien ces objets. Ils lui avaient servi à plonger la Sylvanie dans des ténèbres permanentes. Il demanda pourquoi il devrait obtempérer.
« Nagash doit renaître, » souffla son adversaire. Il lui rappela ensuite que le Monarque des Morts-Vivants savait se montrer généreux envers ses loyaux serviteurs. Il offrait ainsi à Mannfred une occasion de s’assurer une place aux côtés de son maître.
C’est à cet instant que le Vampire comprit à qui il avait affaire. Son interlocuteur était Arkhan le Noir, premier parmi les neufs Seigneurs Noirs, et le seul suffisamment puissant pour se lancer dans une telle quête. Mannfred comprit que le futur allait emprunter un détour inattendu qui ne lui seyait guère. Il comptait étendre les ténèbres de Sylvanie jusqu’aux confins du monde, néanmoins à quoi cela lui servirait-il si un autre finissait par régner à sa place sur un tel paradis ? Il ne pouvait l’accepter. Dans un cri, le Vampire projeta un trait d’ombre sur son adversaire, mais lorsque l’enchantement se dissipa, Arkhan était toujours debout et impassible. Son rire sinistre résonna pour la seconde fois.
C’est ainsi que le pont de Valsborg devint le théâtre d’un duel magique aux proportions épiques. Des heures durant, le Liche et le Vampire tissèrent des sorts et des contre-sorts en tentant de trouver une faille dans les défenses mystiques de l’adversaire. Les berges humides se soulevèrent lorsque des morts inapaisés en surgirent pour répondre à l’appel de leurs nouveaux maîtres. En terrain neutre, le duel aurait probablement été équilibré, mais il s’agissait des terres de Sylvanie, et il semblait bien qu’elles donnaient l’avantage à Mannfred. Bien qu’Arkhan s’acharnât sur les défenses du Vampire, il ne parvenait pas à les briser, et devait batailler âprement contre les attaques magiques de son adversaire. Les guerriers moisis qui émergeaient du sol étaient aussi nombreux dans un camp que dans l’autre, toutefois Mannfred était en mesure de faire appel aux loups noirs des forêts environnantes, et aux chauves-souris chassant dans la nuit. Ces animaux déchiquetaient les marionnettes cadavériques d’Arkhan avec leurs griffes et leurs crocs. Ce dernier insuffla plus de vigueur à ses serviteurs, au détriment de sa propre protection. Percevant la faiblesse de son ennemi, Mannfred poussa un cri victorieux et entonna les syllabes gutturales d’un ultime sortilège.
Un rai de soleil perça soudainement la voûte nuageuse et illumina l’espace qui séparait le Liche et le Vampire. Mannfred réalisa alors que sa victoire allait se muer en désastre : ses efforts pour vaincre Arkhan l’avaient forcé inconsciemment à puiser dans les énergies qui maintenaient la malédiction sur la Sylvanie. S’il persistait, le résultat de plusieurs décennies de labeur allait être balayé, mais dans le cas contraire, ses pouvoirs seraient-ils assez importants pour vaincre le Liche ?
Mannfred laissa les énergies du sort se dissiper et renonça à son emprise sur ses séides d’un simple geste de la main. Immédiatement, les cieux se refermèrent sur la trouée de lumière. Il proposa alors une trêve à Arkhan, en estimant que sa victoire ne serait que les prémices d’une catastrophe. En revanche, peut-être un statu quo accoucherait-il d’un futur fécond. Nagash était un être immensément puissant, toutefois Mannfred avait passé des siècles à affûter des talents lui permettant de retourner n’importe quelle situation à son avantage…
Arkhan n’était pas dupe, mais il accepta la proposition. Autant que le Vampire reste persuadé d’avoir l’ascendant ; comme le reste de sa lignée, il n’était plus que l’ombre d’une illustre dynastie. Il n’avait aucune idée de ce qu’était le véritable pouvoir.
Il n’allait pas tarder à le découvrir.
Mannfred ne disait rien tandis qu’Arkhan prophétisait un glorieux futur à la non-vie après le retour de son maître. Le Vampire regrettait déjà la crainte et l’hésitation suscitées par l’apparition du rai de lumière sur le pont. Il espéra qu’Arkhan n’y ferait pas allusion. Il ne voulait pas perdre la face une deuxième fois…
Comme il haïssait le cadavre desséché qui lui faisait face ! La vie d’Arkhan se résumait à une unique défaite, qui avait pourtant mené à l’esclavage. Malgré cela, il osait pénétrer en Sylvanie en conquérant, ou tout au mieux en se considérant comme son égal ? C’était un outrage, la preuve d’une arrogance infinie. « Tu as vu les présages, tout comme moi, » argumenta le Liche d’une voix râpeuse. « Le Chaos ne fait pas de différence entre les morts et les vifs. Nagash doit revenir ou nos royaumes de silence disparaîtront, à commencer par le tien. » Mannfred nota la menace sous-jacente mais ne la releva pas. Il ne comptait pas se soumettre à Nagash. Il n’avait pas fomenté la chute de ses pairs pour courber l’échine devant un nécromant décrépi dont seule la légende exerçait encore quelque influence en ce monde. Et s’il devait choisir entre |’annihilation des mains des Dieux du Chaos ou une éternité de servitude, il opterait sans hésiter pour la première éventualité. Et pourtant… Oui, il entrevoyait une autre opportunité dans les paroles du Liche ! Il savait quel rituel Arkhan comptait célébrer, et comment le tourner à son profit. C’était un risque à prendre. « Très bien, » dit-il. « Nous sommes liés par un pacte, du moins pour l’instant. Suis-moi, nous aurons le loisir de discuter plus tard de nos affaires. » Le Vampire se doutait-il qu’Arkhan pouvait lire dans ses pensées comme dans un livre ouvert ? Le Liche méditait sur l’orgueil de Mannfred tandis qu’il s’éloignait du pont en le suivant. Le granite du tablier portait les stigmates de leur duel, lors duquel Arkhan avait pris soin de jauger la puissance de son adversaire. Certes, le Liche ne souffrait aucun rival dans le domaine des arts noirs, néanmoins il avait été contrarié en constatant les talents impressionnants du Vampire. C’était un ennemi redoutable, et donc un allié très dangereux. Arkhan n’était pas stupide. Il savait que Mannfred ne lui faisait pas confiance. Cependant, c’était là le cadet de ses soucis. Il n’était pas venu en Sylvanie en quête d’un allié, mais d’un pantin. Les événements se précipitaient, et il n’avait plus le temps d’accomplir seul ce qu’il avait entrepris. La voix de Nagash le guidait depuis des siècles, et elle s’était faite plus pressante depuis quelque temps. Le Chaos s’agitait, et le temps allait leur manquer. "Qu’il s’imagine avoir tous les atouts en main," pensa Arkhan. Les Vampires avaient toujours été des créatures retorses et vaniteuses ; leur égoïsme étouffait toute notion de loyauté. Ce spécimen était le plus incontrôlable d’une lignée particulièrement indocile ; sa soif de pouvoir était inextinguible. Qu’il en fût conscient ou non, il était pour l’instant le jouet d’Arkhan, et le fait que cette situation fût le fruit de ses ambitions démesurées ne lui apportait certainement pas le moindre réconfort. "Nagash va renaître," se jura Arkhan. Et de son plein gré ou contre sa volonté, Mannfred allait l’y aider. |
Quand nos deux alliés de circonstances atteignirent les tours lugubres du château Sternieste, beaucoup au sein de la cour de Mannfred furent surpris par l’affabilité de leur maître envers son hôte, cependant les plus avisés comprirent rapidement de quoi il retournait vraiment. Mannfred ne se conduisait ainsi que parce qu’il avait conscience de la limite ténue qui séparait un allié d’un ennemi, et que celle-ci pouvait être franchie à la moindre provocation. Plus Mannfred réfléchissait à l’éventualité de ressusciter Nagash et de le plier à sa volonté, plus il entrevoyait les pouvoirs immenses que cela lui conférerait. En attendant, il devait supporter la présence d’Arkhan afin de ne pas mettre en péril la coopération essentielle à l’accomplissement de son plan.
Le Liche était au courant de tout ce qui se tramait à la cour. Mannfred avait beau être passé maître dans l’art de la manipulation, il était conscient qu’Arkhan était bien plus ancien que lui, et donc plus expérimenté. Il devait rester sur ses gardes, par conséquent, lors des rares moments où il n’accompagnait pas son hôte, il s’assurait que des chauves-souris ou des séides Morts-Vivants épiaient ses moindres faits et gestes. Le Liche ne faisait aucun effort pour échapper à leur vigilance : il avait besoin de l’aide du Vampire, c’est pourquoi il se pliait de bonne grâce à ses sournoiseries.
Pas une fois Arkhan n’essaya, ni même envisagea, de dérober les reliques cachées dans les cryptes du château. Elles étaient nécessaires pour ressusciter Nagash, c’est du moins ce qu’il affirmait, mais pour l’heure, elles étaient plus utiles pour empêcher tout mortel de pénétrer en Sylvanie. Cependant, il demanda à les voir de ses propres yeux. Après quelque hésitation, Mannfred accepta de le guider dans les entrailles de la forteresse.
Neuf prisonniers étaient enchaînés aux murs, derrière des lutrins de fer noir. Sur sept d’entre eux étaient posés les Livres de Nagash, des trésors qui avaient poussé Arkhan à entamer son long voyage. Ces grimoires maudits n’avaient pas été rassemblés en un même lieu depuis des millénaires. L’air de la chambre pulsait au rythme de leurs pouvoirs combinés. Une couronne cruelle était sise au centre de la pièce. Ses joyaux brillaient sous l’effet d’une lumière pourtant absente. Il s’agissait de la terrible Couronne de Sorcellerie, dérobée dans la salle du trésor d’Altdorf. Elle n’attendait plus que le retour de son maître.
Des rigoles plaquées d’or étaient creusées dans les dalles de pierre autour de la couronne. Le métal précieux était à peine visible à cause du sang qui les emplissait. Elles traçaient des lignes écarlates et abstraites en apparence, car dénuées de symétrie ou de courbes artistiques. Mais si un observateur avait pu les regarder d’au-dessus, il aurait pu comprendre leur forme. En effet, elles décrivaient les frontières de la Sylvanie. Elles étaient la pierre angulaire de l’enchantement apostat de Mannfred, et leur pouvoir provenait du sang sacré des captifs qui s’y écoulait.
Ces derniers étaient brisés, pitoyables. Leur chair avait été martyrisée par les attentions sanguinaires de leur geôlier. Certains étaient infirmes suite aux blessures qu’ils avaient subies au combat ou sous la torture. Tous étaient mourants, et ne survivaient qu’à cause des artifices magiques du Vampire, alors qu’ils auraient préféré trépasser sur-le-champ. Seuls deux d’entre eux étaient conscients. Le premier était un vieil homme dont la robe sacerdotale était maculée par son propre sang. Son crâne chauve était barré par une profonde entaille ; un filet écarlate en dégoulinait et traçait des larmes rouges sur son visage. Ses yeux étaient hagards à cause de la souffrance, néanmoins il releva la tête et jeta un regard de défi à Mannfred lorsqu’il entra. L’autre était une Elfe. Sa chevelure blonde jadis magnifique était désormais encroûtée par le sang et la crasse. Une tiare d’argent était prise dans ces mèches entremêlées. Ses paupières étaient closes mais les mouvements constants de ses lèvres trahissaient un esprit en proie à la folie.
Les Vargheists qui surveillaient la crypte surent qu’Arkhan était un intrus dès qu’ils sentirent son odeur cadavérique. Ils battirent en retraite dans la pénombre quand Mannfred le leur ordonna, mais feulèrent et grognèrent de façon menaçante lorsque le Liche caressa tour à tour les reliques dont ils avaient la garde. Arkhan ne leur prêta aucune attention. Il avait emmené avec lui les deux derniers livres de Nagash, qu’il posa sur les deux lutrins vides. Tandis qu’il revenait vers l’entrée, ses orbites vides s’attardèrent successivement sur les neuf prisonniers dont le sang alimentait le rituel, en insistant quelques secondes durant sur la forme prostrée de l’Elfe. L’essentiel des composants était déjà là, constata-t-il. Ceux qui manquaient pourraient être aisément récupérés : trois reliques liées d’une façon ou d’une autre à la chute du Monarque des Morts. Par chance, elles se trouvaient toutes non loin de la Sylvanie. Arkhan n’avait qu’à tendre la main pour les saisir.
Cependant, la barrière magique érigée autour de la Sylvanie était un problème. Tant qu’elle perdurerait, toute expédition en dehors des frontières de la province serait impossible. Arkhan avait toutefois une solution, mais le prix à payer serait élevé. Il expliqua à Mannfred qu’il était possible de célébrer un rituel ancien qui ouvrirait une brèche temporaire dans la barrière magique. Néanmoins, son principal composant était une grande quantité de sang sacré. Il fallait donc sacrifier un des prisonniers de Mannfred. Le seigneur de Sylvanie n’appréciait guère cette idée, mais il reconnut la nécessité du rituel : les bénéfices potentiels compensaient la perte d’un des captifs.
Pendant qu’Arkhan se chargeait des préparatifs pour le sort, Mannfred rassembla une armée à la frontière ouest de la Sylvanie. La bannière de Drakenhof flottait paresseusement au-dessus des rangs silencieux. Non loin de là se dressait le mur de foi érigé par Gelt. Les symboles de Morr, de Sigmar, d’Ulric et d’une dizaine d’autres Dieux étaient suspendus en l’air, comme maintenus par des fils invisibles. Il en émanait une lumière dorée. Arkhan se tenait au milieu d’un cercle d’invocation à proximité de la route. Il surplombait sa victime : Lupio Blaze un chevalier du Soleil. Il était maintenu au sol par des pieux qui lui traversaient les chairs. Son sang n’était pas le plus puissant des neuf, mais il suffirait. Les flammes de chandelles noires en suif humain dansaient dans la brise. Celle-ci enfla lorsque le Liche prononça des mots qu’on n’avait pas entendus depuis l’époque d’Alcadizaar. Alors que son chant montait crescendo, un coup de tonnerre claqua et des éclairs noirs zébrèrent les cieux. Des volutes de brume épaisse s’enroulèrent autour des bras tendus d’Arkhan. Des loups hurlèrent au loin et l’air fut saturé d’énergie magique.
Dans un cri triomphant, Arkhan dégaina une dague en os et trancha les veines de Lupio au niveau des poignets et des cuisses. Alors que les dernières gouttes de fluide vital s’écoulaient dans le cercle, le Liche serra son poing osseux. Immédiatement, les cierges se renversèrent, mettant le feu au sang répandu. Arkhan se dressait indemne au milieu des flammes, et attendit que celles-ci s’éteignent avant de faire signe d’amener la bannière de Drakenhof. L’étendard ancestral des von Carstein fut oint avec les cendres étalées au pied d’Arkhan, puis son porteur s’approcha de la barrière mystique. Dès qu’ils furent à proximité de l’étendard, les symboles de foi s’éteignirent les uns après les autres. La voie était ouverte.
La traque pouvait débuter.
Aliathra ouvrit brusquement les yeux lorsque le Vampire la saisit par la mâchoire. C’était une réaction instinctive ; cela faisait plusieurs mois qu’elle était aveugle. Elle sentit vaguement les griffes du Vampire s’enfoncer dans sa chair, mais elle était trop engourdie pour continuer à souffrir. Elle ne ressentait plus la douleur depuis des semaines, lorsqu’on lui avait ouvert les veines pour alimenter la carte sur le sol. Était-elle encore vie ? Elle n’aurait su le dire.
« Toujours vivante ? Parfait ! » La voix du Vampire était polie et cultivée, toutefois Aliathra n’était pas dupe. Elle goûtait aux attentions de son hôte depuis trop longtemps. La cruauté de Mannfred était indicible. « Il semblerait que tu sois encore plus importante que je ne l’imaginais de prime abord. » « Mon peuple vient me sauver. Lorsqu’il sera là, tu brûleras… » souffla-t-elle, satisfaite en devinant l’inquiétude qui traversa le visage du Vampire. Malgré son arrogance, il craignait les Elfes. Et il avait raison. « Vraiment, ma chère ? » se moqua-t-il. Sa contrariété disparut aussi rapidement qu’elle s’était manifestée. « Dans ce cas, je les écraserai comme des insectes, comme je l’ai fait aux portes de Nagashizzar. Cependant, n’ait aucune crainte : pas une goutte de leur sang ne sera gaspillée… » Ces paroles étaient un leurre, comme toujours. Aliathra tenta de tourner la tête, mais Mannfred la tenait fermement. Son regard noir plongea dans celui laiteux de l’Elfe, qui sentit immédiatement la volonté du Vampire palper son esprit. Elle savait qu’il décelait quelque chose, qu’il devinait qu’elle gardait un secret enfoui au plus profond de son âme. À chacune de ces joutes mentales, le Vampire jaugeait un peu mieux ses défenses. Aliathra avait de plus en plus de difficulté à lui résister. « Que me caches-tu ? » susurra le Vampire en l’obligeant à tourner la tête sur le côté afin qu’il puisse l’examiner de profil, comme s’il était à la recherche d’une imperfection physique susceptible de lui dévoiler un indice. Aliathra ne répondit pas. La pression sur son esprit s’accentua ; sa volonté menaçait de céder. La tentation d’abdiquer était trop forte. En dépit de ce qu’elle affirmait, elle doutait de l’arrivée de secours. Cela faisait des mois qu’elle récitait inlassablement sa chanson silencieuse, un appel si ténu que même le Vampire ne pouvait le percevoir malgré ses sens surdéveloppés. Malheureusement, pour l’instant, ses suppliques étaient restées sans réponse. Aliathra commençait à croire qu’elle avait été abandonnée, cependant elle gardait un mince espoir en dépit de sa situation désespérée. « Pourquoi ne pas t’avouer vaincue, et mettre fin à ce supplice ? » lui souffla une voix dans sa tête. Elle ne savait pas s’il s’agissait de ses pensées ou d’une suggestion la part de son tortionnaire. Elle était sur le point de craquer lorsqu’une nouvelle voix résonna dans la pièce. Elle était râpeuse, desséchée comme le khamsin, et réprobatrice. « Il est certes captivant d’observer le grand Mannfred von Carstein faire preuve de son ascendant sur une mortelle enchaînée, mais je lui rappelle que nous avons beaucoup à faire, et peu de temps à notre disposition… » La concentration du Vampire vacilla l’espace d’un instant, mais ce fut suffisant pour qu’Aliathra renforce ses défenses spirituelles. Mannfred le ressentit. Il gronda de frustration puis abandonna l’interrogatoire de sa prisonnière avant de disparaître dans les ténèbres. Murmurant une brève prière à Isha, Aliathra ferma les yeux et reprit son chant silencieux. |
Une fois hors des frontières de Sylvanie, Mannfred et Arkhan décidèrent de diviser leurs forces, du moins pour l’instant. Ils attireraient bientôt l’attention de leurs ennemis, par conséquent la rapidité de leur action était essentielle s’ils voulaient récupérer les reliques sans trop de difficultés.
Arkhan cheminerait vers l’ouest, et la Bretonnie. C’était là que se trouvait Alakanash, le sceptre de pouvoir de Nagash, enfermé dans les cryptes sacrées de l’abbaye La Maisontaal. Le Liche était confiant. Certes, le soutien qu’il avait apporté à Malbaude lors de sa rébellion n’avait été que partiellement couronné de succès, toutefois la guerre avait laissé le royaume exsangue, et donc incapable de s’opposer une fois de plus à ses desseins, surtout au sud, là où les combats avaient été les plus durs. Au départ, Arkhan comptait voyager seul, et ne rassembler une armée qu’une fois qu’il se trouverait dans les environs de l’abbaye, cependant Mannfred insista pour qu’une garde rapprochée de Templiers de Drakenhof l’accompagne, afin de s’assurer qu’il atteigne sa destination sans encombres, ou du moins, sans accident n’étant pas du fait de Mannfred lui-même. Si l’insistance du Vampire agaça Arkhan, il n’en montra toutefois aucun signe. Le Liche était conscient que Mannfred essayerait de se débarrasser de lui une fois sa mission accomplie, mais il avait déjà pris ses dispositions pour parer à une telle éventualité.
Pour sa part, Mannfred allait se rendre vers le sud, au-delà du Col du Chien Fou, jusqu’au repaire du clan Mordkin. Ces Skavens avaient comploté jadis pour provoquer la chute de Nagash.
Le Vampire devait récupérer l’arme utilisée à cette fin. Les légendes la nommaient la Lame Fatale. C’était grâce à elle qu’Alcadizaar - l’ennemi juré de Nagash - avait pu vaincre le Monarque des Morts. Alcadizaar avait décédé peu de temps après à cause des émanations mortelles de l’épée, si bien que le clan Mordkin avait pu la récupérer. Les Skavens n’avaient pas conscience du véritable pouvoir de cette arme, car bien que Nagash revint à plusieurs reprises suite à sa défaite des mains d’Alcadizaar, la malédiction de la Lame Fatale rendait chaque réincarnation plus faible que la précédente. La dernière fois que Nagash avait parcouru le monde des vivants, lors de la nuit des Morts Inapaisés, son esprit s’était évanoui avant l’aurore. L’enchantement de l’arme devait être défait pour que Nagash puisse ressusciter.
Une fois Alakanash et la Lame Fatale récupérés, Arkhan et Mannfred se rejoindraient pour s’emparer de Morikhane, l’Armure Noire de Nagash, car c’était la mieux gardée des trois reliques. Elle avait été prise en guise de trophée par les guerriers de Sigmar après que celui-ci eût vaincu le Monarque des Morts. De nombreux siècles s’étaient écoulés depuis cette défaite, mais les héritiers spirituels d’Heldenhammer possédaient toujours Morikhane, et la protégeaient aussi férocement que l’honneur de leurs ancêtres. Ce harnois se trouvait au cœur d’Heldenhame, la forteresse du chapitre des Chevaliers du Sang de Sigmar. La forteresse était sise à la frontière du Stirland et de l’Averland. L’arrivée d’une armée de Morts-Vivants ne passerait pas inaperçue, il fallait donc conserver l’effet de surprise aussi longtemps que possible.
Les trois compagnons voyagèrent alors dans les Voûtes, à la recherche des nombreuses tombes décrépites creusées dans la roche. De grandes batailles avaient eu lieu dans cette région en des ères lointaines, et les esprits des guerriers tués avaient été rendus amers par les siècles passés enfermés dans leurs mausolées de pierre. Arkhan et Kemmler brisèrent les sceaux posés par les Elfes et rallièrent ces esprits maléfiques à leur cause. Ceux-ci formèrent une petite force d’élite, le noyau dur d’une future légion de cadavres qui naîtrait grâce aux dépouilles qui jonchaient la Bretonnie.
À partir de cet instant, la marche vers le nord d’Arkhan ne fut plus un cheminement subtil, mais une percée dévastatrice à travers les terres de Gasconnie et de Brionne. Ces duchés autrefois prospères n’étaient déjà plus que l’ombre d’eux-mêmes suite à la rébellion de Malbaude et aux épidémies qui avaient suivi. Les deux tiers des villages avaient été réduits en charniers à ciel ouvert. Les châteaux avaient été vidés de leurs habitants, et au fond des vallons, les manoirs n’étaient plus que des ruines noircies par les flammes. Arkhan avançait en relevant les morts sur son passage. Il avait toujours su que Malbaude, malgré son charisme et sa force, n’avait pas la stature nécessaire pour s’emparer de la couronne de son père, toutefois cela ne l’avait pas empêché de lui apporter son soutien. Il avait été motivé en partie par le désir pervers d’assister à la défaite finale de Malbaude, mais aussi parce qu’il savait que quelle qu’eût été l’issue de la guerre, la Bretonnie serait gravement affaiblie. Désormais, Arkhan pouvait contempler les fruits de ses machinations, néanmoins il n’en retirait aucune satisfaction. Les événements s’étaient simplement déroulés comme il l’avait prévu.
En dépit des ravages que la Bretonnie avait subis, l’avance d’Arkhan rencontra quelque opposition, mais parmi ces escarmouches, un seul affrontement pourrait être considéré comme une vraie bataille. Le duc Tancred de Quenelles, second du nom, rencontra Arkhan sur le champ d’honneur lorsque l’ost de Morts-Vivants traversa les frontières du duché de Brionne. Tancred et ses Chevaliers figuraient parmi les derniers survivants de la bataille de Quenelles, des vétérans d’une guerre civile qui avaient réduit en cendres leur magnifique cité d’origine. Ils filèrent droit sur l’armée d’Arkhan, tels une lance d’azur et d’argent, et se battirent héroïquement dans le vain espoir de remporter la victoire au nom de la Dame du Lac. Pour Tancred, cette bataille était pour l’honneur. La soif de revanche l’aveuglait et il s’enfonça profondément au milieu des formations de corps pourris, sans prendre conscience de la taille de la horde. Pour Arkhan, la bataille n’était qu’un léger contretemps. Peu désireux de consacrer lui-même des efforts à la résolution de ce problème mineur, il ordonna au Lichemeister de s’occuper du duc. Kemmler s’exécuta avec une joie malsaine, car la lignée de Tancred était une épine dans son pied depuis des décennies. C’est ainsi que Tancred périt ce jour-là, le corps racorni par la sorcellerie de Kemmler, et l’échine brisée par la hache de Krell. Suite à la mort du duc, les Chevaliers encore en vie tournèrent les talons et s’enfuirent vers l’est, jusqu’à la sécurité toute relative du château de Brenache, un des derniers bastions d’ordre à l’ouest de Quenelles. Avec le trépas de Tancred II, la souveraineté sur le duché de Quenelles revint à un cousin distant nommé Jerrod, Palatin d’Asareux. Il était présent aux côtés de Tancred au cours de son ultime bataille, hélas, au plus fort des combats, son destrier avait été frappé de terreur et l’avait emporté loin du champ de bataille. Le temps que Jerrod parvienne à maîtriser sa monture, Tancred était mort et ses compagnons en fuite.
Jerrod brûlait de se venger. Il alla chercher conseil auprès de Dame Elynesse, Douairière de Charnorte et prophétesse de renom. Celle-ci accepta de l’aider en dépit des difficultés. En effet, les trames du futur avaient été brouillées par les Démons, et la voix de la Dame du Lac était noyée dans les rires sinistres des Dieux du Chaos. Elynesse jeûna trois jours durant, et chemina au bord de la folie. Finalement, la Dame du Lac lui apparut dans ses rêves enfiévrés, et lui révéla que les Morts-Vivants se dirigeaient vers l’abbaye La Maisontaal. Mis au fait de la destination de ses ennemis, Jerrod rassembla ses derniers Chevaliers et chevaucha à bride abattue vers le nord.
Ce n’était pas la première fois que La Maisontaal était menacée. Ses cryptes conservaient de nombreuses reliques sanctifiées aussi bien que maudites. Au fil des siècles, de nombreuses armées avaient tenté de la mettre à sac. Suite à la dernière attaque d’envergure trente ans plus tôt, Tancred Ier avait entrepris de fortifier l’abbaye, pour la transformer en forteresse imprenable. Cependant, suite à la mort du Duc lors de la Bataille du Pont de Montfort, la corruption et l’apathie s’étaient abattues sur les travaux, et les pierres des murs en cours d’érection avaient été pillées par les paysans afin de construire leurs masures. Malgré tout, les efforts de Tancred n’avaient pas été totalement vains. Des casernes avaient pu être achevées, et elles abritaient encore aujourd’hui plusieurs centaines d’archers et d’hommes d’armes originaires des quatorze duchés. Même si ces paysans n’étaient guère motivés à l’idée de donner leur vie pour la défense de la Maisontaal, les nobles qui les commandaient considéraient leur affectation comme un grand honneur. Le plus déterminé d’entre eux était le duc Théodoric de Brionne, qui était venu à La Maisontaal afin de faire pénitence suite à une conduite peu chevaleresque. Sous son commandement, la garnison de l’abbaye avait repris l’entraînement, et avait mis en place des patrouilles et des postes d’observation aux alentours.
Grâce à ces mesures de protection, La Maisontaal avait échappé aux destructions qui avaient englouti les terres au sud de la Grismerie. Ironie du sort, les premiers affrontements de la guerre avaient été extrêmement indécis, et si la garnison de Théodoric avait rejoint l’armée du Roy, nul doute que la rébellion aurait pu être tuée dans l’œuf. Quenelles et Gasconnie n’auraient pas été mises à sac, quant à Brionne et à l’Aquitaine, ils ne seraient pas dévastés. Malheureusement, la quête d’absolution de Théodoric était si zélée qu’il était devenu sourd à toute autre nécessité. Il avait donc gardé obstinément La Maisontaal alors que ses terres ancestrales étaient pillées.
Pourtant, il semblait désormais que la détermination de Théodoric allait être le salut de l’abbaye. Sa ferveur était incontestable, et il comprit qu’il tenait là un espoir de rédemption pour son cœur et ses pulsions charnelles. Quelle meilleure façon de prouver sa dévotion qu’en combattant les ignobles forces de la non-vie ? Contre l’avis de Jerrod, Théodoric ordonna à sa garnison de former une ligne de bataille dans les pâturages au sud de l’abbaye. Il harangua ses troupes en leur disant qu’ils allaient raviver l’espoir pour la Bretonnie en remportant une glorieuse victoire pour la Dame.
La douzième bataille de l’Abbaye La Maisontaal allait commencer…
La Bataille de la Maisontaal[modifier]
La Levée de la Maisontaal[modifier]
Voici l’armée qui combattit afin de protéger La Maisontaal des hordes de Morts-Vivants d’Arkhan. La garnison de Théodoric provenait de toute la Bretonnie, et n’avait pas souffert lors de la récente guerre civile. Quant à la force de Jerrod, elle était certes éprouvée par les combats, mais sa détermination n’en était que plus grande. Le Duc Théodoric de Brionne Le Duc Jerrod de Quenelles La Lance d’Aldrad Les Trois Soeurs d’Ancelioux Les Compagnons de Quenelles - La Lance de Gioffre Les Compagnons de Quenelles - La Lance Céleste de Fastric Les Hors-la-Loi d’Ennar Les Soucouards |
L’Ost Noir[modifier]
Pour l’essentiel, l’armée d’Arkhan était constituée à partir des ressources qu’il avait à sa disposition immédiate : les victimes des épidémies de Bretonnie. Les quelques véritables régiments sous ses ordres provenaient de Sylvanie ou des anciennes tombes éparpillées dans les Voûtes. Arkhan Le Noir Anark von Carstein Heinrich Kemmler & Krell Les Templiers de Drakenhof Les Revenants du Pic des Tempêtes Les Deux-Fois Nés Les Affamés La Légion du Silence |
La nuit et la guerre s’abattirent sur La Maisontaal.
Arkhan le Noir avait eu le loisir d’étudier toutes les stratégies militaires au cours de sa longue existence. il avait appris la ruse du flanc refusé, la feinte capable d’attirer l’ennemi dans un piège. il avait maîtrisé l’art de l’attaque coordonnée, et la façon dont l’arc et l’épée se complètent idéalement. Cependant, il n’avait développé de préférence pour aucune de ces tactiques, car il les considérait comme des techniques à étudier. Elles ne l’avaient stimulé que le temps de les dominer, avant qu’il se contente de les ajouter aux vastes connaissances qu’il détenait déjà. À chaque fois, il était revenu à l’art de la guerre ancestral de Nehekhara : un assaut frontal contre le cœur de l’armée ennemie.
Il en fut de même à La Maisontaal. Au commandement d’Arkhan, son armée forma un gigantesque bélier de chair pourrie et d’os rongés, pointé vers le centre de l’armée de Théodoric. Krell était à la pointe de l’assaut, cherchant la gloire dans la mort avec autant de ferveur que de son vivant. Il était suivi par les revenants des Voûtes. Leurs armures luisaient faiblement à la lueur des feux et des fanaux allumés par les Bretonniens. L’agressivité disparue de ces guerriers de jadis fut ressuscitée par la soif de bataille de Krell. Derrière ce fer de lance marchaient les corps en décomposition tirés des fosses communes et des cimetières que l’armée avait croisés en chemin.
Arkhan et Kemmler progressaient de concert avec cette vague de macchabées, car seule leur volonté donnait aux morts la force d’avancer, puisque toute détermination s’était évanouie depuis longtemps de leurs cœurs moisis. Des meutes de goules attirées par l’odeur de la mort couraient sur les flancs, à l’affût d’une occasion de se repaître des blessés et des mourants de l’armée adverse.
Théodoric de Brionne était lui aussi respectueux des traditions, et comptait remporter la victoire de la même façon que ses ancêtres : la paysannerie allait tenir la ligne pendant que les Chevaliers écraseraient l’ennemi par une contre-attaque décisive. Il savait que cette stratégie serait meurtrière pour les troupes formant le mur de boucliers, mais ses paysans étaient nombreux, et s’ils n’avaient pas la bravoure qu’on pouvait espérer, au moins craignaient-ils les conséquences de l’échec. Le Duc avait rassemblé son armée efficacement, et maintenant que les Morts-Vivants avaient dépassé la ligne de bûchers, il s’apprêta à donner ses ordres. Beaucoup de ses Chevaliers craignaient de se battre dans les ténèbres, mais pour sa part, le Duc n’en avait cure : la Dame du Lac n’était-elle pas avec eux ? Il regretta simplement que l’obscurité gêne la visée de ses archers et de ses trébuchets. Néanmoins, lorsqu’il vit les milliers d’yeux brillant d’un feu maléfique, il comprit que l’ennemi était si nombreux que même une flèche non ajustée trouverait une victime. Après avoir récité une prière à la Dame, il donna l’ordre de tirer.
L’ost d’Arkhan était à mi-chemin lorsque la grêle de tirs débuta. Les cieux enténébrés s’emplirent du sifflement et de l’éclat des flèches enflammées. Les traits s’abattirent sur les rangs de squelettes et de revenants, transperçant l’aura magique qui animait les Morts-Vivants. Les volées se succédaient, espacées de quelques secondes à peine, preuve de l’efficacité des Bretonniens et de leurs arcs longs. Arkhan commanda à ses séides de lever leurs boucliers pour se protéger, toutefois leur bois était si sec et cassant que beaucoup prirent feu et durent être jetés au sol pour éviter que l’incendie se répande aux suaires et aux tissus élimés. Les trébuchets envoyaient d’énormes boules de feu au cœur de la horde, incinérant et broyant des dizaines de soldats décérébrés à chaque impact.
Malgré tout, cela ne ralentit pas l’avance des Morts-Vivants. La Magie Noire inondait la prairie et relevait les guerriers tombés. Kemmler et Arkhan étaient des nécromants talentueux ; bien peu de créatures en ce monde pouvaient les égaler dans ce domaine. À chacun de leurs mots, des squelettes brisés se relevaient pour poursuivre leur danse macabre. De noirs enchantements furent tissés, et les dommages provoqués par le bombardement de Théodoric se réduisirent comme une peau de chagrin. À la tête de la colonne, Krell ne remarqua pas le changement dans le cours de la bataille. Il ne voyait qu’une ligne de corps fragiles à massacrer. Alors que les tirailleurs humains battaient en retraite derrière le mur de boucliers, Krell leva sa hache et donna le signal de la charge. Poussant un cri de guerre audible seulement des Sorciers et des fous, les morts des Voûtes s’élancèrent et la tuerie débuta.
Des dizaines d’hommes d’armes périrent en quelques minutes, mais le mur de boucliers tint bon. Théodoric n’était guère apprécié par la garnison de La Maisontaal, mais l’assurance dont il avait fait preuve lors de sa harangue avait été telle qu’elle donnait encore du courage aux roturiers. La ligne vacilla mais ne se brisa pas. Sur ordre de Théodoric, on sonna du cor, et sur les flancs, des Chevaliers éperonnèrent leurs montures et s’élancèrent au combat. Le flanc droit était commandé par Montglaive de Tréseaux, Fléau du Wyrm Catharax. Le flanc gauche était à la charge de Théodoric en personne. il fut le premier à atteindre les rangs adverses et à empaler un ennemi sur sa lance. Le fer de sa hache avait été trempé la veille dans la fontaine d’eau bénite de La Maisontaal, si bien qu’il en émanait une lumière sacrée alors que le Duc l’abattait sur les Morts-Vivants.
Heinrich Kemmler remarqua la contre-attaque mais ne lui prêta nulle attention. Il s’était aperçu que ses sorts de réanimation étaient de moins en moins efficaces, et cherchait l’origine de ce problème. Le crâne de son bâton finit par lui souffler un avertissement : un trio de damoiselles positionnées derrière le mur de boucliers, qui invoquaient la Magie de la vie pour contrer ses sorts funestes. Kemmler pouvait désormais les apercevoir grâce à sa vue spirituelle, et déceler les volutes de Magie pâle qui entouraient ses adversaires. Le Lichemeister était outré qu’un concile de sorcières ose s’opposer à lui, et entonna un sortilège pour se débarrasser d’elles. Il renifla de mépris lorsque les damoiselles tentèrent vainement de tisser un contre-sort. Un battement de cœur plus tard, un éclair noir jaillit des cieux et réduisit en cendres les trois sorcières, ainsi que leur escorte de Chevaliers.
Situé au milieu des rangs des Morts-Vivants, Théodoric n’assista pas à la mort des damoiselles, cependant il remarqua la vigueur renouvelée de ses adversaires. La moitié des Chevaliers qui l’avaient suivi au combat étaient morts, et pire encore, certains s’étaient relevés pour rejoindre la horde d’Arkhan. L’armure du Duc était cabossée, mais sa hache brillait toujours intensément sous l’effet de la bénédiction de la Dame, et sa soif de victoire restait indomptable. L’aurore se levait, et lui dévoila la présence d’une silhouette vêtue d’une longue robe, juchée sur un golem d’os impie, qui étendait ses bras décharnés vers le ciel mordoré. Théodoric comprit immédiatement que c’était cette créature qui insufflait de la vigueur à la horde. Rassemblant ses forces, il frappa de droite et de gauche dans l’intention de se frayer un chemin jusqu’à cet adversaire. Des squelettes venaient lui barrer le passage, cependant il les dispersa grâce à l’élan et à la masse de son destrier caparaçonné, ou les abattit avec sa hache. Le Duc n’était plus qu’à quelques mètres du Liche, toutefois ce dernier ne l’avait pas remarqué. Théodoric s’en moquait. Cette créature ne méritait pas d’être défiée honorablement. il éperonna une nouvelle fois son destrier, qui franchit d’un bond la distance qui séparait le Duc de sa proie.
Arkhan ne vit pas venir le coup, car ses pensées erraient ailleurs sur le champ de bataille : au nord, afin de pousser les revenants de Krell à redoubler d’efforts ; au sud, pour obliger les nuées de zombies à suivre l’allure du reste de la colonne. De plus, une parcelle de son attention surveillait Kemmler, à l’affût du moindre signe de trahison. Sa concentration fut brusquement brisée lorsque la hache bénite de Théodoric perfora sa cuirasse, broya ses os et le jeta au sol. Si Arkhan avait encore possédé un cœur, l’organe aurait été irrémédiablement déchiqueté. Mais le Liche était un mort-vivant, et l’énergie magique qui l’habitait commença immédiatement à refermer ses blessures. Néanmoins, cela ne suffirait pas, car la hache de Théodoric était déjà levée pour porter un deuxième horion. C’est alors qu’Anark von Carstein, Kasztellan des Templiers de Drakenhof intervint. Il porta secours au Liche en un éclair, para le coup de grâce que le Duc allait donner à Arkhan, et contre-attaqua férocement. Ce fut au tour de Théodoric d’être surpris et désarçonné. Alors que le Liche se relevait, il vit Anark décapiter le Duc, et réalisa avec agacement qu’il était redevable envers les von Carstein. La hache du Duc tomba au sol dans un bruit sourd. L’enchantement venait de se dissiper avec la mort de son porteur, si bien que le métal redevint inerte.La victoire avait été à la portée de Théodoric, malheureusement, suite à son trépas, la bataille tourna rapidement en défaveur des Bretonniens. Les hommes d’armes, qui avaient combattu bravement jusqu’à cet instant, perdirent tout espoir. Le mur de boucliers se dispersa comme des feuilles s’envolant aux quatre vents. De rares compagnies tentèrent de tenir leurs positions, telles des îlots de vaillance au milieu d’une mer maléfique, toutefois la grande majorité des humains sombra dans la déroute. Les revenants de Krell exploitèrent immédiatement la brèche, et bientôt, les lignes des archers et les trébuchets furent encerclés par des goules, sans que les derniers Chevaliers puissent intervenir. Les paysans terrifiés cherchèrent refuge dans l’enceinte de l’abbaye, en vain. Alors que Krell progressait, les spectres de saints et de nobles morts depuis des éons émergèrent des tombes qui entouraient le bâtiment et se jetèrent à la gorge des vivants qui avaient tenté de protéger leurs sépultures.
Arkhan était désormais remis de la blessure infligée par Théodoric et observa le champ de bataille avec satisfaction. La majorité de l’armée bretonnienne était morte ou en fuite, et les rares troupes qui résistaient encore étaient condamnées à périr rapidement. Le Liche remarqua alors avec contrariété l’absence de Kemmler. il comprit que le Lichemeister venait de le trahir, c’est pourquoi il se dirigea en toute hâte vers l’abbaye. Le chemin suivi par Kemmler n’était pas difficile à suivre, car il avait laissé derrière lui un sillage de cadavres calcinés. Arkhan parvint bientôt aux cryptes du bâtiment. Les sceaux qui les protégeaient avaient été brisés par la sorcellerie, et leurs lettres d’or gisaient à moitié fondues sur le sol, parmi les corps ensanglantés des Chevaliers qui avaient gardé la porte.
Kemmler fit volte-face lorsqu’Arkhan pénétra dans la crypte. Les doigts griffus du Nécromancien serraient Alakanash, le Grand Sceptre de Nagash, et son visage affichait un rictus triomphant. Il rappela à Arkhan que des décennies durant, il avait voyagé en fonction des caprices de Nagash, car le Monarque des Morts l’avait guidé par la pensée. Cependant, lorsqu’il avait finalement passé un pacte avec les Dieux du Chaos, non seulement ces derniers lui avaient-ils rendu toutes ses connaissances, mais ils lui avaient en plus révélé la façon dont Nagash l’avait manipulé. Il déclara à Arkhan qu’il œuvrait désormais pour la gloire du Chaos, et non pas à tenter de restaurer une légende d’un âge passé. Nagash lui avait promis un pouvoir qu’il ne lui avait jamais conféré, alors que les Dieux du Chaos étaient l’essence même du pouvoir, et qu’ils le partageaient avec ceux désireux de les servir. Heinrich brandit alors Alakanash et prononça des mots dans une langue interdite. Un feu noir courut le long du sceptre tandis que le Lichemeister canalisait les vents de Magie. Arkhan serra son propre bâton et réanima les cadavres qui jonchaient le sol de la crypte. L’heure était venue de voir si Kemmler était digne de sa réputation.
« Kemmler ! » Le vieux nécromant fit volte-face quand le défi d’Arkhan résonna dans la crypte enténébrée. Le Lichemeister avait abandonné le Bâton du Crâne, et serrait dans ses mains Alakanash. Arkhan avait toujours su qu’une trahison de Kemmler était envisageable, toutefois le Liche n’aurait jamais pensé que le nécromant puisse avoir le courage d’agir aussi ouvertement. « Toi et ton maître n’êtes que les reliques desséchées d’une ère révolue, » cracha Kemmler. « Un nouvel âge approche, l’âge du Chaos et de ses loyaux serviteurs ! » « Tu as renié la suzeraineté de Nagash au profit des caprices de tels Dieux ? » demanda sèchement Arkhan. « Le pouvoir qu’ils accordent est toujours temporaire. Ils vont te manipuler, comme ils l’ont toujours fait avec leurs champions. Lorsqu’ils se seront lassés de toi, ils te détruiront. » Kemmler émit un rire amer. « Et quelle perspective m’offre le grand Nagash ? Une éternité de servitude dans un monde figé dans l’ambre ! » railla-t-il. « Il n’est qu’égoïsme et égocentrisme. Il se croit omnipotent, pourtant il craint sans cesse qu’un autre lui dérobe son pouvoir. Il ne s’arrêtera qu’après avoir éteint toutes les autres volontés en ce monde, car ce ne sera qu’à cet instant que sa paranoïa le laissera en paix. » Arkhan fit un pas, dont l’écho se répercuta dans la crypte. Kemmler le laissa s’approcher sans réagir. |
Arkhan fit un autre pas. Le rictus de colère de Kemmler se mua en mépris. « Tu devrais te joindre à moi, » suggéra-t-il. « Le Chaos s’éveille, et je suis sûr que tu t’es lassé de tes millénaires d’ingrate servitude. » « Aucunement. La relique desséchée que tu as devant toi a choisi son allégeance depuis longtemps. Je ne vais pas la trahir aujourd’hui. » Son ton ironique se fit menaçant. « Pensais-tu vraiment que j’allais abandonner mon maître pour servir auprès de laquais tels que toi ? » Kemmler le foudroya du regard. « Tu sais peut-être te contenter des miettes de pouvoir que te donne Nagash, mais nous autres laquais aspirons à davantage. Néanmoins, j’aurais dû me douter qu’une carcasse décrépite ne pourrait le comprendre… » Arkhan fit encore un pas. « Combien de batailles as-tu perdues au cours de ta misérable existence ? » l’insulta-t-il. « Combien de défaites as-tu connues, ne serait-ce qu’aux portes de cette abbaye ? Tu as toujours été un pantin, Heinrich. Ton allégeance n’a plus la moindre importance. » Kemmler hurla de rage. Des flammes violettes jaillirent de son sceptre. Elles sinuèrent au sol en direction d’Arkhan, néanmoins le Liche s’était attendu à une telle attaque dès l’instant où il était entré dans la crypte. Il posa prestement l’extrémité de son bâton sur le sol et les flammes s’éteignirent. Faisant un pas de plus, Arkhan entonna une incantation silencieuse. Dans le coin de la pièce où Kemmler l’avait abandonné pour lui préférer Alakanash, le Bâton du Crâne se mit à caqueter de façon incongrue alors qu’il décelait la Magie qui s’accumulait. Kemmler réagit en prononçant les premières syllabes d’une malédiction, mais le Liche coupa les fils de l’incantation avant qu’ils se solidifient. La trahison du Nécromancien était un inconvénient mineur, toutefois Arkhan prit le parti de savourer l’instant tandis qu’il modelait les ultimes syllabes de son sort. « Tu te fais nommer le Lichemeister, n’est-ce pas ? Si tu veux quitter cette crypte en vie, tu vas devoir prouver que tu mérites ce titre… » le nargua-t-il. |
À l’extérieur de l’abbaye, la bataille faisait toujours rage. Théodoric était mort, assassiné par Anark von Carstein, toutefois le Duc Jerrod et ses Chevaliers étaient enfin arrivés. Ils avaient chevauché sous le ciel obscur, et lancèrent la charge dès qu’ils aperçurent l’ennemi. Ils arrivaient du sud, par la même route qu’Arkhan avait empruntée quelques heures plus tôt. Les goules se débandèrent en les voyant, tandis que les zombies furent piétinés sous les sabots ferrés. Jerrod plongea au cœur de la légion squelettique de Krell, accompagné par les compagnons de Quenelles, des Chevaliers qui avaient combattu à ses côtés depuis le jour sombre où Malbaude avait tué le roi. Les Bretonniens ne voyaient pas face à eux une horde sans fin, mais des aberrations de la nature que leur devoir leur imposait d’exterminer. Ils percutèrent les revenants du Pic des Tempêtes avec la force d’un ouragan. Les lances transperçaient les cuirasses rouillées, les épées brisaient les os et les sabots ferrés défonçaient les crânes. La bannière du Pic des Tempêtes tomba dans la boue quand le revenant qui la brandissait fut jeté à terre par la lance de Léon de Toular. Les Compagnons de Quenelles s’enfoncèrent profondément dans les rangs cadavériques.
Ailleurs sur le champ de bataille, les Bretonniens qui combattaient encore virent l’oriflamme des Compagnons flotter au-dessus de la horde et reprirent espoir. Certains lancèrent des vivats, tout d’abord timidement, puis ce furent des centaines de voix qui se joignirent aux cris de joie. Des hommes d’armes, qui quelques secondes plus tôt étaient sur le point de fuir, hurlèrent de défi pour s’encourager. Les boucliers se verrouillèrent de nouveau face à l’avance des Morts-Vivants, et la ligne bretonnienne retrouva sa solidité.
Krell vit que les ennemis qu’il pensait irrémédiablement vaincus retrouvaient leur bravoure. Sa hache noire se levait et retombait, et chacun de ses coups produisait un geyser de sang tandis que la lame maudite tranchait les boucliers, les casques et les têtes. Krell se rapprochait pas à pas de Jerrod, néanmoins la mêlée était si dense qu’il progressait lentement. Rugissant de frustration, le Roi Revenant redoubla d’efforts, et abattit sans discrimination les morts et les vifs qui se trouvaient entre lui et sa proie.
C’est alors que La Maisontaal explosa dans un grondement assourdissant.
Pendant que la bataille faisait rage dehors, le duel de sorcellerie dans la crypte avait atteint son apogée. Heinrich Kemmler et Arkhan le Noir étaient tous les deux de redoutables Nécromanciens, et ils avaient puisé dans toutes leurs forces mystiques pour tenter de l’emporter. Les émanations magiques avaient fini par enfler et devenir incontrôlables.
Ce furent d’abord les vitraux de l’abbaye qui explosèrent. Des éclats de verre appartenant à des œuvres d’art remontant pour certaines d’entre elles à l’époque du Roi Guillaume furent projetés en tous sens et lacérèrent les combattants des deux camps. Un feu verdâtre jaillit des fenêtres béantes et incinéra les survivants de la grêle de fragments. Quelques secondes plus tard, ce furent les murs qui se déformèrent, comme s’ils étaient poussés de l’intérieur par une force invisible. Ces pierres avaient tenu bon des siècles durant, pourtant elles finirent par céder. une tornade de Magie s’échappa des ruines et submergea le champ de bataille. Des morceaux de maçonnerie de la taille de masures balayèrent les lances de Chevaliers. Des statues brisées et des décombres retombèrent des cieux tels une pluie de météores.
La Dame sourit au Duc Jerrod ce jour-là, car bien qu’il eût perdu son destrier et qu’il fût couvert de cendres et de sang, il survécut pour combattre de nouveau au nom de la Bretonnie. On ne pouvait pas en dire autant de ceux qui l’avaient suivi au combat. Presque tous les Compagnons de Quenelles étaient morts, et ceux qui vivaient encore erraient désormais à pied au milieu du charnier, désorientés par l’explosion apocalyptique de l’abbaye. La destruction de l’immense majorité de la horde n’était pas une consolation pour Jerrod, qui voyait surtout le plus grand site sacré de Bretonnie en ruines, et les cadavres d’innombrables fils du royaume étalés dans la boue. Le Duc enfourcha le premier destrier esseulé qu’il trouva, et put contempler toute la dévastation du champ de bataille. Pour sa part, Krell s’était retrouvé enfoui sous un tas de cadavres à cause de l’explosion, toutefois il eût tôt fait de se frayer un chemin à la surface pour repartir traquer son adversaire.
Parmi les Compagnons, Gioffre d’Anglaron avait retrouvé ses esprits, et il se dressa sur le chemin du Roi Revenant en lui lançant un défi. Krell ralentit à peine son allure. Il leva la hache noire et l’abattit une seule fois, et coupa Gioffre en deux de l’épaule au bassin. Sans jeter de regard en arrière, le Roi Revenant reprit son arme fermement et continua d’avancer. Pendant un instant, Jerrod envisagea d’aller à la rencontre de ce monstre d’os et de fer pour tenter de venger Gioffre et tous les autres Chevaliers morts. Il n’hésita que quelques secondes : même lui pouvait ressentir les vents de Magie qui soufflaient puissamment sur le champ de bataille, et qui rendaient toute sa vigueur à l’armée d’Arkhan. Des squelettes se relevaient tandis que leurs os se ressoudaient sous l’effet de la sorcellerie. Les Bretonniens regardaient avec horreur leurs camarades tout juste tombés au combat se redresser, le regard vitreux. La douleur de Jerrod face à un tel spectacle n’était pas physique en dépit de ses nombreuses blessures : la bataille était perdue, tout comme La Maisontaal. Continuer le combat n’apporterait que des sacrifices inutiles. D’une voix enrouée par la honte et la poussière, Jerrod, Duc de Quenelles, ordonna de sonner la retraite.
Au plus profond des décombres des cryptes de l’abbaye, une silhouette noircie par les flammes entendit les cors et la clameur de l’armée bretonnienne qui abandonnait le champ de bataille. Dans un rire sinistre, Arkhan se releva et épousseta ses robes. Le duel avait été serré, cependant Kemmler avait commis une erreur fatale au dernier instant. Désormais, le Lichemeister n’était plus un danger. La Bretonnie avait été vaincue. Et plus important encore, Alakanash était en sa possession.
Le retour de Nagash était proche.
Quand il quitta la Sylvanie, l’itinéraire de Mannfred von Carstein divergea presque immédiatement de celui d’Arkhan. Le Vampire emmenait avec lui la Griffe de Nagash. Des millénaires auparavant, la Lame Fatale avait tranché ce membre. Une Magie impie liait toujours l’arme et la griffe ; c’est ainsi que Mannfred comptait se servir de la main desséchée pour le guider jusqu’à l’épée.Le voyage du Vampire le mena à travers les provinces méridionales de l’Empire, puis dans les Principautés Frontalières. Le seigneur de Sylvanie était à la tête d’une compagnie de Chevaliers. S’il seyait au Liche de parcourir les terres des vivants sous les atours d’un mendiant, grand bien lui fasse. Pour sa part, Mannfred refusait de voyager autrement que d’une façon appropriée pour son rang. La plupart de ses guerriers étaient des revenants tirés de leurs sépultures pour protéger leur maître lorsqu’il se rendait dans des terres lointaines, cependant les cavaliers qui chevauchaient à la droite et à la gauche du comte étaient des Templiers de Drakenhof, sa garde personnelle. Chacun d’eux était un Vampire crée par Mannfred, aussi loyal envers lui qu’une créature égoïste et maléfique pouvait l’être.
En dépit de son orgueil, Mannfred ne prit aucun risque. Sa vanité le poussait à jouer les hauts seigneurs en toutes circonstances, toutefois il se méfiait des gens de l’Empire, car leur ténacité l’avait pris à contre-pied plusieurs fois déjà. Le seigneur de Sylvanie était conscient qu’aucun de ses lieutenants n’avait la trempe pour défendre efficacement la province en son absence. Il était déterminé à ce que personne dans l’Empire, pas même le paysan le plus obtus, ne remarque son départ. il usa de Magie pour camoufler le passage de sa troupe, et lorsqu’il était forcé de livrer combat, il faisait usage de toutes les ruses apprises pendant des siècles de guerre. D’ordinaire, Mannfred prenait soin de laisser une poignée de survivants après chacune de ses attaques, afin qu’ils servent malgré eux de hérauts à sa sombre majesté, et que les nouvelles qu’ils répandaient sèment la terreur dans le cœur de tous ceux qui les entendaient. Cependant, cette fois, il n’usa pas d’une telle tactique. Les patrouilles qu’il croisa furent exterminées, et les habitants de villages entiers disparurent en l’espace d’une nuit sans que personne ne sache ce qui était advenu.
Les comtes des provinces du sud de l’Empire mirent du temps à réagir en apprenant ces événements, non pas par négligence, mais parce qu’ils manquaient de soldats. Les mauvais présages que même Mannfred avait pu apercevoir depuis les remparts du Château Sternieste avaient semé la peur dans l’Empire, et beaucoup de régions menaçaient de sombrer dans la guerre civile. Les seigneurs du Wissenland et de l’Averland étaient pressés de toutes parts, entre la nécessité de juguler la panique au sein de leur peuple, et de combattre les attaques des Hommes-Bêtes, qui se faisaient plus audacieux chaque jour. Il ne restait donc guère de soldats pour aller enquêter sur les incidents qui se produisaient loin des capitales et des routes commerciales. Par conséquent, la troupe de Mannfred atteignit les frontières des Principautés Frontalières sans se faire remarquer, en dépit de l’énigmatique sillage de cadavres qu’elle laissa derrière elle.
Mannfred ne craignait pas de pénétrer dans les Principautés Frontalières. Il avait déjà parcouru ces terres plusieurs années plus tôt, et avait constaté que ces soi-disant “principautés” n’étaient qu’un conglomérat de domaines aux mains de nobles corrompus qui passaient leur temps à s’affronter. C’était une région où les allégeances et la loyauté fluctuaient au gré des rançons versées, et où l’or remportait plus facilement la bataille que l’acier. Les Principautés Frontalières ne comptaient nulle armée régulière, car les seigneurs préféraient employer des mercenaires vendant leurs services au plus offrant. D’ailleurs, certains de ces soudards n’étaient pas des humains.
Mannfred avait rencontré jadis deux forces de mercenaires constituées de Morts-Vivants, il était donc certain qu’aucune armée n’était susceptible de le menacer, comme cela aurait pu être le cas dans l’Empire. Au pire, il aurait pu lui-même se faire passer pour un mercenaire. Certes, cela aurait été une ruse un peu humiliante toutefois le seigneur de Sylvanie ne voulait pas perdre de temps, afin d’accomplir sa mission aussi vite que possible.
Néanmoins, après avoir traversé la Forêt de Hvargir, il décida de changer ses plans. Les plaines et les maremmes qui s’ouvraient devant lui comptaient autrefois des cités prospères et des avant-postes fortifiés où flottaient les couleurs des capitaines et des nobles de la région. Au lieu de cela, il traversa des terres dévastées. Les châteaux n’étaient plus que des décombres fumants, les villes avaient été rasées jusqu’aux fondations, et les cadavres qui jonchaient les rues noircies portaient les stigmates de maladies épidémiques.
Les responsables de ces destructions apparurent à la nuit tombée dès le premier jour. C’était une bande guerrière de Skavens qui venait de piller des terres à l’ouest, et qui trottait vers l’est pour regagner sa tanière le plus vite possible. Cette expédition avait connu un franc succès lors des jours précédents, si bien qu’elle était chargée de butin et traînait derrière elle des centaines d’esclaves humains enchaînés les uns aux autres. Faisant preuve d’un excès de courage suscité par ses rapines, le chef des hommes-rats confondit la bannière de Mannfred avec celle d’un capitaine mercenaire, et lança ses guerriers à l’attaque. Ce fut sa dernière erreur.
Une fois le massacre terminé, Mannfred parcourut le champ de bataille jonché de cadavres, et appela à lui des esprits afin de les questionner, bien que l’exercice fût extrêmement déplaisant, non pas parce que cette invocation nécromantique était complexe (elle figurait même parmi les plus simples à la disposition d’un nécromant) mais plutôt parce que les esprits des Skavens se révélaient aussi sournois dans l’après-vie qu’ils l’avaient été de leur vivant. Ce n’est qu’en comparant les diverses réponses qu’ils lui donnèrent que Mannfred put glaner les informations qu’il désirait. Ces interrogatoires vinrent rapidement à bout de la fragile patience du Vampire, qui déchira plusieurs fois les âmes de ses victimes, et ce avec autant de rage qu’il avait déchiqueté leurs corps un peu plus tôt lors de la bataille. Heureusement, il ne risquait pas de tomber à court d’esprits Skavens à interroger. Il finit par déduire ce qui était arrivé aux Principautés Frontalières. Les Skavens s’agitaient ; ils avaient conquis la Tilée, et assaillaient désormais cette région ainsi que l’Estalie. Le Vampire s’en inquiéta. Jusqu’à présent, jamais les Skavens n’avaient été suffisamment unis pour faire chuter ne serait-ce qu’un royaume. Arkhan le Noir avait raison : une époque sombre approchait.
Ne souhaitant pas perdre davantage de temps, il reprit sa progression à marche forcée après avoir libéré les esclaves humains. Il ne le fit pas par compassion (une telle émotion n’habitait plus son cœur noir depuis longtemps) mais parce qu’ils pourraient fournir une diversion aux Skavens. Si ces derniers étaient unis et avaient réellement pris le contrôle des Principautés Frontalières, cette ruse lui ferait gagner un temps précieux.
Plusieurs jours durant, il se dirigea vers le sud-est, en suivant les indications de la griffe. Le Vampire pouvait sentir le lien qui unissait la relique et la Lame Fatale se raffermir d’heure en heure. Au cours de sa route, il rencontra d’autres hommes-rats. La plupart formaient des groupes de pillards que les lances des Templiers vainquirent aisément. Cependant, quand il traversa la Rivière du Crâne, il eut à affronter une horde de milliers de créatures épaulées par des machines de guerre brinquebalantes. S’ensuivit une bataille très serrée, que Mannfred ne remporta que parce qu’il invoqua les morts de trois villages voisins afin de renforcer son armée. Tandis que les eaux de la rivière emportaient les corps des Skavens, le seigneur de Sylvanie réalisa que l’effet de surprise ne lui suffirait plus pour l’emporter.
Ainsi, lorsqu’il parvint aux abords du Col du Chien Fou, il avait avec lui des milliers de cadavres ambulants et des nuées d’esprits tourmentés. Les Orques de la Griffe de Fer tentèrent de l’empêcher de passer, sans plus de succès que les Skavens. La Magie qui émanait de la griffe était désormais plus forte que jamais. Cela signifiait que la Lame Fatale était à portée de main. Mannfred pouvait percevoir son influence. À la tête de ses Morts-Vivants, il s’enfonça dans les tunnels humides sous le Col du Chien Fou.
La Bataille du Repaire Mordkin[modifier]
L’Armée de Sternieste[modifier]
Lorsqu’il quitta le Château Sternieste, Mannfred n’emmenait avec lui que ses meilleures troupes. Cependant, alors qu’il se rapprochait de sa destination et que les hordes de Skavens se faisaient de plus en plus grouillantes, il fut forcé de faire appel aux cadavres frais qu’il trouva en chemin pour gonfler ses effectifs. Mannfred von Carstein Les Templiers de Drakenhof Les Cavaliers Funestes Les Tombereaux Les zombies qui parcourent les galeries du clan Mordkin ne combattent donc pas en tant que cadavres anonymes, comme c’est le cas pour ceux qui servent Arkhan en Bretonnie, car ils vont au combat sous les couleurs que leurs régiments arboraient auparavant. Ceci dit, Mannfred change souvent leurs noms pour les adapter à ses goûts. Ainsi, les Moucheurs de Varenka sont devenus les Yeux vitreux, les Faucons de Tolsburg ont été rebaptisés les Ailes de la Mort, tandis que les Reîtres du Baron Richter sont La Meute de Sang. Mannfred a ressuscité Richter en tant que Revenant, et l’a disposé à la pointe du premier assaut, tout simplement parce qu’il lui rappelle un Stirlander qu’il avait détesté. Seuls les mercenaires des Têtes de Mort ont été autorisés à conserver leur nom, mais cela ne semble pas les réjouir outre mesure… Les Spectres du Bois des Morts |
Le Clan Mordkin[modifier]
Les fortunes diverses du Clan Mordkin n’ont jamais influencé sa façon de guerroyer, car le seigneur Feskit ne manque pas de mercenaires à employer en dépit de ses fréquents défauts de paiement. Bien que pléthorique, la horde qui affronta Mannfred von Carstein n’était pas de toute première qualité. Le Seigneur Feskit Le Chef Snikrat Les Faméliques La Garde de Mordrat Les Guetteurs Les Bons-à-Ronger Les Fendeurs de Crânes Les Coureurs du Warp |
Mannfred von Carstein ne considérerait jamais la boucherie sous le Col du Chien Fou comme une de ses batailles les plus prestigieuses. D’ailleurs, lorsque la poussière des combats retomba, il n’avait même pas l’impression d’avoir livré une bataille. En effet, le seigneur de Sylvanie était un être orgueilleux, et chacun de ses actes visait toujours un but précis. Le combat sous le Col du Chien Fou ne lui demanda aucune subtilité, tant étaient grouillantes les hordes qui se pressaient dans l’environnement confiné.
Malgré tout, Mannfred avait fait ce qu’il pouvait pour maintenir un semblant d’ordre dans la noirceur des tunnels. Il savait que l’antre des Skavens serait labyrinthique, et il était déterminé à ne pas engager ses meilleures troupes tant qu’il n’aurait pas évalué précisément ce qui l’attendait. Il envoya d’abord des vagues de zombies dans les profondeurs, en comptant observer par les yeux de ses pantins de chair afin d’établir un itinéraire pour les Templiers de Drakenhof. Et si les Zombies parvenaient à tuer des hommes-rats dans la foulée, ce serait encore mieux.
Plus l’armée de Mannfred descendait dans les entrailles de la terre, plus la taille des tunnels augmentait. C’était un lieu pour lequel les créatures de la surface n’avaient pas de nom, bien qu’il eût été creusé par les hommes-rats du clan Mordkin depuis des milliers d’années. Du poison dégoulinait des stalactites crasseuses, quant aux parois des cavernes, elles étaient patinées par le passage de dizaines de générations de créatures aux pieds griffus, ou disparaissaient sous un amas de poutres en bois pourri et de structures en bronze terni.
Au début, la résistance des Skavens fut sporadique. Les tunnels supérieurs servaient de résidence aux chefs les moins influents, car tombés en disgrâce auprès de Feskit. Ils n’avaient aucun intérêt à risquer leurs vies pour défendre le territoire du Seigneur de Guerre. La plupart battirent en retraite avec leurs guerriers afin de les préserver, au cas où les événements déstabiliseraient suffisamment l’autorité de Feskit pour tenter de ravir sa place. D’autres plus ambitieux cherchèrent la confrontation directe dans l’espoir de retrouver leur prestige en remportant une victoire inespérée. Cependant, ils ne réalisaient pas l’ampleur de l’invasion, et envoyèrent leurs guerriers dans des tunnels grouillants de zombies. Rapidement, les combats tournèrent en défaveur des hommes-rats, lorsqu’ils se retrouvèrent assaillis de toutes parts et pris au piège.
La forteresse du clan Mordkin se trouvait au plus profond du repaire des Skavens, adossée à la paroi d’une vaste caverne. C’était un édifice branlant et biscornu, édifié avec des matériaux dérobés à droite et à gauche. Cependant, même si ses tours penchaient selon des angles improbables, elles montaient presque jusqu’aux stalactites et leurs nombreuses fenêtres étaient hérissées d’armes à Malepierre. Depuis le cœur de sa forteresse, le seigneur Feskit entendait les cris de terreur qui se répercutaient en écho depuis les tunnels supérieurs, et sut que son royaume était attaqué. Néanmoins, il ne paniqua pas, même lorsque les premiers survivants arrivèrent pour l’informer de la présence de Vampires dans les galeries. Certes, la partie supérieure du repaire était d’ores et déjà perdue, mais Feskit avait toujours à sa disposition l’immense majorité de ses forces. La queue frétillante, il se leva majestueusement de son trône (qui était autrefois la propriété du Roi Nain de Karak Kan) et couina des ordres à ses esclaves. Il en envoya certains quérir ses armes et son armure dans son trésor personnel, pendant que d’autres allaient porter des messages aux chefs sur lesquels il pouvait presque compter, les appâtant en leur promettant ses faveurs et la part du lion du butin.
Keskit ne savait pas ce qui avait attiré Mannfred dans son repaire mais il s’en moquait. Il ne se souciait que de l’opportunité que cela lui offrait : les cendres d’un Vampire se vendaient très cher dans l’Empire Souterrain, c’est pourquoi il comptait bien les récolter.
Alors que les Morts-Vivants s’enfonçaient toujours plus profondément dans l’antre des hommes-rats, le clan Mordkin organisa une contre-attaque vigoureuse. Les tintements discordants de dizaines de cloches résonnèrent dans l’immense grotte et les portes en ossements de la forteresse s’ouvrirent à la volée. Celles-ci étaient le trophée le plus prestigieux du clan Mordkin : le squelette d’Ithragar le Wyrm de Feu. Il avait été capturé grâce à des filets électriques, empoisonné, enchaîné et traîné sous la surface, puis drogué des semaines durant, tandis qu’il était peu à peu grignoté et dépecé par les Skavens afin de nourrir leur progéniture, jusqu’à ce qu’il expire enfin. L’immense cage thoracique formant les battants des portes s’écarta, et des hordes de guerriers des clans et de vermines de choc se déversèrent dans les tunnels. Cette attaque n’était pas menée par Feskit, qui ne voyait aucune raison valable de risquer sa vie aussi prématurément au cours d’une bataille qui promettait d’être longue et dangereuse. C’est pourquoi il avait confié cette tâche à Snikrat un de ses chefs les moins influents. De plus, Snikrat avait des vues sur le trône de Feskit, bien qu’il pensât être suffisamment rusé pour parvenir à tromper son seigneur de guerre sur ses intentions. Par conséquent, il interpréta faussement la mission que lui confiait Feskit comme un moyen de se distinguer auprès de lui, alors que ce dernier saisissait simplement une occasion de se débarrasser d’un rival.
Alors que les nuées de Snikrat avançaient pour intercepter les Morts-Vivants, les tunnels inférieurs du clan Mordkin devinrent les artères et les boyaux d’une immense machine sans âme dont la seule fonction consistait à broyer la chair et les os de ceux qui empruntaient ses galeries. Par endroits, c’était littéralement le cas : des rouages, des pistons corrodés et des roues à aube actionnées par des coulées d’acide ou des réacteurs à Malepierre sis au plus profond du repaire recouvraient une bonne partie des parois et des murs. Le plus souvent, les combattants ne pouvaient opposer qu’un front d’une demi-douzaine de soldats à cause de l’encombrement de ces machines, et le moindre faux pas pouvait mener à une fin atroce dans les mécanismes en mouvement constant. C’est ainsi que les combattants, aussi bien les vifs que les morts, agissaient en symbiose avec ces engins étranges. Leurs épées et leurs haches étaient les lames des machines, tandis que leur sang servait à huiler les immenses rouages.
Les Zombies étaient poussés implacablement en avant par la volonté de Mannfred von Carstein. Ils avançaient imperturbablement vers les lances et les épées, et tendaient leurs doigts aux ongles crasseux vers les gorges et les yeux des Skavens alors même que ces derniers les taillaient enpièces. Les hommes-rats étaient tout aussi déterminés que leurs adversaires. Lorsqu’ils se battaient en terrain inconnu et par petits groupes, leur courage leur faisait souvent défaut, mais cette fois, ils devaient défendre leur demeure et affrontaient le danger avec une hargne semblable à celle d’un animal sauvage acculé dans son terrier. Ils perçaient les corps des zombies avec leurs lances et leurs hallebardes, et lorsque la mêlée était si dense qu’il était impossible de manier une arme, ils se jetaient sur l’ennemi à coups de griffes et de crocs. De gros rats jaillissaient des crevasses pour submerger les Morts-Vivants telle une mer de fourrure, et s’enfonçaient dans les corps pourris pour les dévorer de l’intérieur. Malgré tout, en dépit de la férocité des hommes-rats, ils ne pouvaient pas égaler l’impavidité des zombies et furent repoussés peu à peu.
Snikrat ordonna alors à ses lance-feu d’intervenir. Les armes à Malepierre crachèrent des flammes verdâtres dans les tunnels et incinérèrent aussi bien les guerriers des clans]] que les Morts-Vivants. Les nuées de rats battirent en retraite en couinant pour échapper au brasier. Toutefois, en dépit du feu qui les consumait, les cadavres continuaient d’avancer. Leur chair cloquait et se détachait par pans entiers. Snikrat ordonna de libérer une nouvelle salve. Des éclairs verts illuminèrent les galeries pour la seconde fois, mais les Morts-Vivants transformés en torchères n’en avaient cure. Snikrat comprit que les tunnels étaient perdus et s’enfuit vers la forteresse du clan. Voyant leur chef prendre la poudre d’escampette, ses serviteurs l’imitèrent. Ils avaient réalisé que la défaite était inéluctable. Ils se griffaient mutuellement pour tenter de s’en sortir vivants, et abandonnèrent les plus faibles et les plus lents à la horde qui les talonnait. Au moment où les hommes-rats déroutèrent, de nombreux étais affaiblis par les flammes cédèrent. Les galeries qu’ils soutenaient s’effondrèrent, si bien que des centaines de Skavens et de zombies furent ensevelis. Les combats se portèrent à l’ultime ligne de défense avant l’immense caverne où se trouvait la forteresse du clan Mordkin : une faille vertigineuse qui séparait les tunnels et l’entrée de la grotte. Elle était franchie par un pont de bois branlant couvert de cordages et de détritus. Aucun humain, en encore moins un Nain, n’aurait pu fabriquer une structure aussi instable, pourtant elle servait de passage quotidiennement à des centaines de Skavens, car c’était le seul endroit où traverser l’abîme. Le clan Mordkin avait pris soin de bloquer par des éboulements les autres points d’entrée vers la caverne, afin d’éviter une attaque surprise de ses rivaux.
Alors que Snikrat courait sur le pont, il ordonna qu’on y mette le feu derrière lui. Au début, le bois imprégné de vase et d’excréments eut du mal à brûler, toutefois le feu provoqué par la Malepierre était tenace. Bientôt, toute la structure fut la proie des flammes. Tandis que l’avant-garde titubante de Mannfred atteignait le milieu du pont, celui-ci émit un gémissement torturé, ploya, puis, avec une grâce qui contrastait avec le lieu fétide et hostile où il avait été construit, il céda et ses débris tombèrent dans la faille.
De l’autre côté de la faille, Snikrat couina de joie en voyant toujours plus de zombies s’avancer et être poussés dans l’abîme par ceux qui se trouvaient derrière. Sa stratégie avait parfaitement fonctionné. Du moins, c’est ce qu’il allait affirmer au seigneur Feskit. Les intrus étaient bloqués par la faille, et les Skavens pouvaient les bombarder à loisir. Snikrat ordonna aux équipes d’armes à proximité d’ouvrir le feu, puis se rendit auprès de Feskit pour l’informer de son “succès”.
La destruction du pont donna une raison valable à Mannfred pour intervenir directement. il restait des tunnels qui ne s’étaient pas effondrés, et le seigneur de Sylvanie suivi de ses chevaliers emprunta le plus large d’entre eux. Quand il atteignit la faille, il vit des dizaines d’équipes-d’armes à Malepierre pilonner ses zombies. L’air empestait à cause de la fumée dégagée par la poudre de Malepierre et résonnait du sifflement des balles. Les morts vivants ne faisaient aucun effort pour se mettre à couvert, tout simplement parce que Mannfred ne leur en avait pas donné l’ordre. Un monticule de corps désarticulés s’amoncelait de ce côté-ci de l’abîme.
Mannfred ordonna à ses chevaliers de rester à l’abri dans le tunnel, et mit pied à terre avant d’avancer vers le précipice, sans se soucier du danger. Dès qu’elles virent le Vampire, les équipes d’armes le prirent pour cible. Toutefois, la plupart tirèrent avec trop précipitation, et leurs projectiles n’atteignirent que la roche, ou un pantin de chair. Néanmoins, un tireur de jezzail ajusta son tir avec précision, et sa balle en Malepierre fila droit vers le crâne de Mannfred. Sans même paraître averti du danger, le Vampire se pencha prestement sur le côté, et le projectile le dépassa sans l’atteindre.
Mannfred se tint immobile, ignorant les autres balles qui sifflaient à ses oreilles. Il se concentrait sur la canalisation de l’énergie magique qui imbibait la roche et les fragments de Malepierre. Au début, rien ne se passa, mais progressivement, les corps étendus au sol se mirent à bouger. Les cadavres carbonisés et troués par les balles se relevèrent et chancelèrent vers la faille. La plupart furent abattus au bout de quelques pas, toutefois ils continuèrent en rampant. Lorsque les premiers zombies atteignirent le rebord, Mannfred fit un geste vif de la main. Les Morts-Vivants frémirent tandis que leurs squelettes se déformaient et que leurs os se muaient en pointes qui déchirèrent les muscles et se plantèrent dans les anfractuosités de la roche. Les Zombies suivants subirent les mêmes effets après avoir rampé sur les corps rigidifiés de leurs frères, dans le but d’étendre davantage le pont de chair. De plus en plus de cadavres ambulants bravaient la grêle de tirs pour jeter une passerelle d’os et de tendons au-dessus du précipice.
De l’autre côté de la faille, les Skavens comprirent rapidement les intentions de Mannfred. Ils augmentèrent frénétiquement la cadence de leurs tirs pour tenter de le stopper. Néanmoins, aucun d’entre eux n’était assez précis pour atteindre Mannfred, quant au pont impie, il se formait plus rapidement qu’ils étaient en mesure de l’éroder. Cela n’empêcha pas les hommes-rats de continuer à tirer. Les pistolets, les Jezzails et les Mitrailleuses Ratlings libéraient une pluie de projectiles verdâtres. Certaines équipes surestimèrent la fiabilité de leurs armes, si bien que ces dernières subirent des incidents de tir qui blessèrent voire tuèrent leurs utilisateurs. Les plus malins parmi les Skavens commencèrent à reculer progressivement entre deux salves, afin de s’éloigner du bord de l’abîme. Malheureusement pour eux, ils auraient mieux fait de décamper sur-le-champ, car dès que le pont de chair atteignit l’autre côté de la faille, Mannfred se remit en selle et mena la charge des Templiers de Drakenhof.Le pont d’ossements vibra mais tint bon sous l’effet de la cavalcade. Voyant la mort chevaucher à leur rencontre, les Skavens lâchèrent une ultime volée, puis abandonnèrent leurs armes et s’enfuirent. Aucun d’entre eux n’eut le temps de s’éloigner de plus de vingt pas avant que les lances des Templiers transpercent leurs crânes ou leurs cages thoraciques. Sans ralentir, Mannfred continua sur sa lancée, impatient d’en terminer. il sentait l’énergie qui se dégageait de la Griffe de Nagash alors qu’elle se rapprochait de la Lame Fatale.
Pendant ce temps, à l’autre bout de l’immense caverne, Snikrat agonisait, la gorge arrachée à coups de dents par Feskit. Ce dernier était exaspéré. Il avait espéré que son laquais obtint de meilleurs résultats, mais à cause de Snikrat, il devait maintenant faire face au Vampire sur le seuil de sa demeure. Feskit savait qu’il avait une chance de l’emporter, et ce bien qu’il eût déjà perdu des milliers de guerriers des clans face aux Morts-Vivants, mais que cette victoire s’avérerait encore plus coûteuse.
Au cours des heures qui suivirent, Feskit envoya ses guerriers dans les tunnels pour tenter de repousser le Vampire. Il utilisa des bêtes mutantes achetées à prix d’or au clan Moulder, des armes ésotériques du clan Skryre, des mercenaires issus de clans rivaux, sept régiments de vermines de choc et, bien évidemment, un nombre incalculable d’esclaves et de guerriers des clans. C’était une armée suffisamment pléthorique pour assiéger une cité, néanmoins elle ne parvint pas à stopper les envahisseurs. Le Vampire et ses chevaliers surclassaient largement leurs adversaires, même lorsqu’ils se battaient à un contre six. De plus, l’environnement confiné des tunnels empêchait les Skavens de profiter au maximum du poids du nombre. Pire encore, les guerriers tués par Mannfred revenaient aussitôt à la vie pour s’en prendre à leurs anciens camarades. La résurrection de simples guerriers des clans était déjà une gêne conséquente, mais le Vampire avait également le pouvoir de relever des monstres aussi énormes que l’abomination qui faisait la joie et la fierté de Feskit, du moins avant qu’elle ne périsse, empalée sur une dizaine de lances. Le monstre broya presque trente vermines de choc avant de périr une seconde fois…
Feskit était effaré à l’idée que ses serviteurs ne parviennent pas à accomplir la tâche simple qu’il leur avait confiée, et envisagea plusieurs fois de prendre personnellement le commandement de la horde. Mais à chaque fois, il se rappela à quel point le clan Mordkin en pâtirait s’il perdait un chef aussi doué que lui, c’est pourquoi il préféra envoyer les uns après les autres ses chefs à l’abattoir. Cependant, cela ne faisait que retarder l’inévitable. Feskit avait commencé par sacrifier ses subordonnés à la loyauté douteuse, tels que Snikrat, puis il avait dû se résoudre à envoyer les chefs en lesquels il avait presque confiance, en vain.
Finalement, les Morts-Vivants de Mannfred furent aux portes de la forteresse, et Feskit n’eut d’autre choix que celui de se rendre personnellement au combat. Il repensa à la valeur incommensurable des cendres d’un Vampire pour se donner du courage, et ordonna qu’on barricade les portes. Il lui restait encore une arme susceptible de vaincre son adversaire…
Mannfred arriva au pied des murs et émit un soupir théâtral. Comme toutes les constructions des Skavens, les murailles étaient délabrées et réalisées à partir de matériaux hétéroclites. Elles ne représentaient pas un grand défi pour Mannfred, qui avait par le passé abattu les enceintes de certaines des plus puissantes forteresses de l’Empire. Le seigneur de Sylvanie ne doutait pas une seconde qu’il était en mesure de raser ces murs jusqu’aux fondations, et ce malgré le barrage de tirs de mortier et d’éclairs verdâtres qui commençait déjà à pleuvoir depuis les tours. Cependant, cela allait lui demander du temps, et chaque heure perdue donnait plus de répit à Arkhan pour retourner en Sylvanie semer la discorde. L’ombre d’une seconde, Mannfred envisagea de parlementer avec le seigneur de guerre Skaven, puis se ravisa. Il était hors de question qu’il tombe aussi bas. Cette bataille allait se terminer par un siège en bonne et due forme. Il disposait de suffisamment de cadavres pour submerger les murs. Il fallait simplement qu’il prenne le temps de les ressusciter. C’est alors que son regard se porta une nouvelle fois vers les portes, et il sourit d’un air mauvais.
Feskit venait de ressortir de la grotte où il conservait son trésor personnel quand les premiers cris de panique se firent entendre. Il tenait dans la main droite sa lame habituelle, et dans la gauche une épée en Gromril incrusté de Malepierre. Il s’en était emparé une dizaine d’années auparavant, après avoir vaincu en duel le précédent seigneur du clan Mordkin. Feskit n’avait utilisé cette arme qu’une poignée de fois depuis toutes ces années, en partie parce qu’il craignait une tentative d’assassinat visant à lui dérober la lame, et en partie parce que le simple fait de la manier affligeait son corps tout autant que son âme. Il avait appris les origines de cette épée quelques années après son acquisition, en payant une forte somme en Malepierre à un prophète aveugle. Ce dernier lui avait assuré qu’il s’agissait de la légendaire Lame Fatale, tueuse de tous les monarques, porteuse de folie et de mort pour ceux qui la brandissaient. Depuis ce jour, Feskit n’avait plus osé l’utiliser, cependant il avait toujours su qu’il serait poussé tôt ou tard à prendre de nouveau le risque. C’est pour cette raison qu’il venait de se convaincre quelques minutes plus tôt que ceux qui avaient été poussés vers la folie par la lame étaient des faibles dont la volonté n’avait rien à voir avec la sienne. Oui, il allait dominer la Lame Fatale ! Il allait détruire ce Vampire et planter son crâne au sommet d’une bannière. L’Empire Souterrain saurait que nul ne pouvait le défier ! Perdu dans ses pensées, il atteignit les portes de la citadelle, dont les sceaux magiques venaient de voler en éclats, et réalisa que le Vampire n’était plus son principal problème.
Feskit prit connaissance du spectacle avec un mélange de rage et de désespoir. Sa forteresse, qui avait été le flamboyant bastion du clan Mordkin depuis mille ans, était envahie. Des chevaliers en armures de plates, certains à la peau pâle, d’autres totalement dénués de chair, semaient la désolation à l’intérieur des murs. Leurs lances et leurs épées massacraient les guerriers des clans et les vermines de choc qui tentaient désespérément de les repousser. Une silhouette aristocratique juchée sur un coursier squelette se tenait dans l’ouverture dévastée qui avait été autrefois les portes de la citadelle. Sa cape flottait au gré des âmes damnées qui tentaient d’échapper à son emprise. Quant aux portes, il se trouvait que les reliques d’Ithragar avaient été ranimées par la Magie Noire, et que son squelette semait la dévastation à l’intérieur de la forteresse, assouvissant sa vengeance contre les descendants de ceux qui l’avaient dévoré. Feskit regarda avec horreur la dépouille du dragon se dresser sur ses pattes arrières, enfoncer ses griffes dans les murs d’une tour, et la faire s’effondrer dans une avalanche de maçonnerie et de Skavens hurlants.
Le regard de Feskit se porta de nouveau vers les portes, à la recherche du responsable de ses malheurs, mais il était resté stupéfait trop longtemps face aux destructions du dragon, si bien que Mannfred n’était plus là. Dans la majorité de ses duels, le seigneur de Sylvanie prenait un plaisir sadique à jouer avec son adversaire. Pas cette fois. Le Vampire redoutait le pouvoir de la Lame Fatale, et n’avait aucune intention de faire face à son porteur dans un combat à la loyale, même si celui-ci n’était qu’un chef de second rang au sein d’une race inférieure. Averti par un sixième sens aiguisé au cours d’une vie passée à se méfier de tout le monde, Feskit fit volte-face et s’aperçut que le Vampire se trouvait juste derrière lui. Poussant un cri de défi tout autant que de frustration, le Skaven abattit son arme. S’il avait atteint le Vampire, nul doute que ce dernier eût été coupé en deux. Malheureusement pour lui, Feskit ne fut pas assez rapide malgré sa réaction instinctive.
Mannfred s’avança à l’intérieur de la garde du Skaven avec une agilité déconcertante puis saisit son adversaire à l’avant-bras. D’un coup sec, le Vampire brisa le radius et le cubitus. de Feskit. Au même instant, la lame de son épée s’enfonçait dans une faille de l’armure de Feskit, et à travers son torse velu. Le seigneur de guerre hurla et tomba à genoux en lâchant la Lame Fatale. Il serra fébrilement contre lui son bras brisé. Le sang giclait à gros bouillons et formait une mare à ses pieds. Dans un dernier râle, le Skaven s’écroula face contre terre.
Mannfred ramassa la Lame Fatale et se remit en selle avant d’ordonner à ses chevaliers de battre en retraite et de regagner la surface, sans se soucier davantage de la bataille qui opposait les Skavens à ses zombies. Avant de partir, il insuffla suffisamment de Magie à Ithragar pour que son squelette continue d’être animé pendant plusieurs jours encore, bien qu’il se moquât du destin final du clan Mordkin. Le seigneur de Sylvanie s’était emparé de ce qu’il désirait, de plus il avait encore fort à faire.
Nagash allait revenir, et Mannfred pourrait régner.
Arkhan ruminait la trahison de Kemmler et ce qu’elle signifiait. Au cours des décennies, le Lichemeister avait toujours été un allié indocile, cependant Arkhan n’avait jamais suspecté qu’il avait juré allégeance au Chaos. Il pensait que le Kemmler était guidé (ou manipulé) par l’esprit de Nagash. Pour sa part, Arkhan servait Nagash depuis si longtemps qu’il ne savait plus s’il désirait réellement son retour ou s’il était lui aussi sous l’empire de son maître. Le Liche était simplement convaincu d’accomplir son devoir. Il avait conservé sa motivation première au fil des siècles, non pas à la façon des vivants, qui s’escriment frénétiquement pour atteindre le but qu’ils se sont fixé, mais en faisant preuve d’une détermination froide et calculatrice. Et si Arkhan conservait une pointe d’excitation à l’idée d’accomplir sa mission, il ne le montrait pas.
Les ultimes paroles du Lichemeister résonnaient dans l’esprit d’Arkhan. Il avait affirmé qu’il agissait au nom des Dieux du Chaos. Au début, Arkhan avait pensé que c’étaient là les paroles d’un dément. Il n’aurait jamais pensé que les Dieux Sombres puissent intervenir aussi directement pour tenter d’empêcher le retour de Nagash. Néanmoins, il était clair qu’ils étaient bel et bien intervenus, et pas seulement par le biais de Kemmler. La dernière partie du voyage d’Arkhan vers le château Sternieste l’avait emmené à travers la Grande Forêt, et c’était à ce moment là que son armée avait attiré à elle toutes les bêtes touchées par le Chaos à des lieues à la ronde. Un être moins omniscient qu’Arkhan aurait sans doute cru que ces animaux pouvaient sentir la présence d’Alakanash, mais le Liche n’était pas dupe. C’était une intelligence supérieure qui avait guidé les Hommes-Bêtes vers lui. Arkhan avait vu cette créature une seule fois, lors d’une bataille pluvieuse sur la route de Lieske. Les Hommes-Bêtes avaient fini par s’enfuir, et c’était à cet instant que le Liche avait aperçu un chaman ailé qui exhortait en vain ses séides à poursuivre le combat.
Ces événements récents apportaient un éclairage nouveau sur les problèmes auxquels Arkhan avait été confronté au cours des décennies récentes. Ainsi, il avait consacré de longues années à aider Malbaude depuis l’ombre, afin de subjuguer la Bretonnie. Le Liche avait apporté au prince le pouvoir et la richesse, et il s’était même arrangé pour qu’il reçoive le Baiser de Sang. Mais comme la rébellion était sur le point de débuter, le château de Malbaude à Moussillon avait été attaqué par des Démons. Même si les serviteurs du Chaos avaient ravagé plusieurs régions de Bretonnie dans la foulée, leurs déprédations avaient obligé Malbaude, et donc également Arkhan, à retarder leur plan de presque une année.
Pareillement, Arkhan se demandait comment Balthasar Gelt avait pu acquérir les connaissances nécessaires pour ériger son Mur de Foi. Le Liche reconnaissait que le Patriarche Suprême était un esprit brillant - pour un mortel tout au moins - toutefois la Sylvanie était depuis longtemps une épine dans le pied de l’Empire, et il était étrange que Gelt ait attendu aussi longtemps pour célébrer un tel sortilège. Pouvait-il être un agent du Chaos ? Arkhan était certain que ce n’était pas le cas, car aucun laquais des Dieux Sombres n’aurait pu canaliser le pouvoir de Sigmar avec autant d’adresse. Toutefois, cela ne signifiait pas que Gelt n’était pas inconsciemment la marionnette d’une puissance supérieure. Et qu’en était-il du Pinacle d’Argent, le lieu de résidence du troisième et dernier serviteur de Nagash ayant survécu au passage des siècles ? Cette forteresse avait été elle aussi attaqué ; par les Démons. Peut-être même était-elle tombée. Arkhan n’avait aucun moyen de le savoir. Dans ce cas, et si Krell avait été détruit par les Elfes d’Athel Loren - ce qui était une éventualité - alors Arkhan était le dernier des Seigneurs Noirs à arpenter le monde des vivants.
Les Dieux du Chaos étaient-ils si effrayés par Nagash qu’ils faisaient tout pour empêcher son retour ? L’idée pouvait prêter à sourire, mais à la lumière des événements récents, Arkhan croyait de plus en plus à cette possibilité. Néanmoins, il décida de ne pas partager ses suspicions avec Mannfred. Au mieux, le Vampire penserait qu’Arkhan était en proie à la paranoïa ; au pire, le seigneur de Sylvanie le croirait et risquerait de le trahir pour poursuivre une autre voie vers le pouvoir. Après tout, les Vampires étaient des prédateurs, et réagissaient de façon parfois irréfléchie lorsqu’ils se retrouvaient confrontés à plus fort qu’eux.
De plus, Mannfred était déjà suffisamment amer, et non sans raison : son enchantement apostat faiblissait de jour en jour. Malgré ce qu’Arkhan avait affirmé, la perte d’un des neuf prisonniers ne s’était pas avérée sans conséquence. La Magie Noire qui liait le sortilège se dissipait peu à peu, sans que Mannfred puisse y changer quoi que ce fût. Il faudrait des semaines pour qu’il disparaisse totalement, mais lorsque cela se produirait, l’Église de Sigmar réagirait sans attendre. Des Répurgateurs, des zélotes et des prêtres envahiraient une fois de plus la Sylvanie. Pour couronner le tout, le Mur de Foi de Gelt était toujours aussi infranchissable et ne faiblissait pas.
Lorsque Mannfred avait sommé au Liche de s’expliquer, celui-ci s’était défendu d’avoir anticipé la disparition progressive de l’enchantement, et n’avait pas manqué de faire remarquer que de toute façon, l’arrivée de Nagash le rendrait inutile. Mannfred n’était pas dupe. Arkhan avait toujours su quelles conséquences auraient le sacrifice de Lupio Blaze. De cette façon, il comptait sans doute obliger Mannfred à respecter leur alliance. Le seigneur de Sylvanie devait reconnaître avec amertume qu’il avait été trompé, et qu’il n’avait plus le choix. De plus, les présages ne laissaient planer aucun doute, tout comme les événements dont il avait été témoin dans les ruines des Principautés Frontalières : le monde changeait, et si Mannfred voulait s’assurer que la Sylvanie reste une puissance à part entière dans l’ordre nouveau qui allait s’instaurer, il devrait accepter des compromis. Il n’allait cependant pas renoncer à régner sur la Sylvanie, pas même au profit de Nagash, pas plus qu’à ce Liche qui se jouait de lui. Il était temps de rappeler à Arkhan qui était le véritable maître de la non-vie. Heldenhame était l’occasion idéale.
Mannfred monta au sommet du donjon du Château Sternieste et laissa le vent porter sa voix, afin d’appeler à lui toutes les créatures impies qui lui avaient juré allégeance. Des horreurs ailées sortirent de leurs cavernes humides, des goules abandonnèrent les fosses communes qu’elles écumaient, et des esprits au cœur noir quittèrent les lieux qu’ils hantaient, incapables de résister à la convocation de leur maître. Avant minuit ce jour-là, une grande armée marcha en direction du nord. Elle était commandée par Mannfred et accompagnée par Arkhan. Le Vampire fulminait encore à cause de la tromperie du Liche, alors que celui-ci cheminait en silence, amusé par la Démonstration de force puérile de son allié. Néanmoins, il reconnaissait qu’une telle armée serait nécessaire pour triompher à Heldenhame…
La Chute de Heldenhame[modifier]
Les Défenseurs de Heldenhame[modifier]
Heldenhame était une ville importante située au carrefour de plusieurs routes marchandes. En plus des chevaliers dont le chapitre était établi à Heldenhame, la cité pouvait compter sur de nombreux régiments de miliciens et de troupes régulières. Cependant, même un tel rassemblement risquait de ne pas être suffisant… Le Grand Maître Hans Leitdorf Le Commandant Otto Kross Le Sénéchal Rudolp Weskar Capitaine Wendel Volker La Confrérie d’Acier Le VIème de Talabheim Le Guet du Château de Heldenhame |
Les Chevaliers du Sang de Sigmar avaient fondé le château de Heldenhame sept siècles plus tôt, lorsque leur ordre était revenu triomphant des croisades en Arabie, ses coffres remplis d’or, de bijoux et de trésors exotiques. Jusqu’alors, ce n’était qu’une modeste tour en pierre entourée d’une palissade de bois. Cependant, lorsque l’ordre avait gagné en richesse et en influence, il en avait logiquement fait profiter sa forteresse. Tout d’abord, le donjon avait été agrandi, puis la palissade remplacée par un mur de pierre. Un siècle plus tard, le bastion avait grossi davantage quand le mur avait été rallongé afin de protéger le bourg qui s’était implanté à l’ombre du château. Quant au vieux donjon, il avait été rasé et remplacé par un édifice bien plus vaste. Désormais, Heldenhame était la plus puissante forteresse du Talabecland, et sa ville connaissait la prospérité, au point que même les tours de ses plus petites portes étaient plus hautes que le donjon originel du château.
Même si ni Mannfred ni Arkhan ne l’auraient reconnu, ils étaient conscients que la prise de la ville ne serait pas une mince affaire. S’ils avaient eu le temps, ils auraient sans doute cherché une autre méthode que l’attaque frontale pour récupérer Morikhane. Mannfred y avait réfléchi tandis qu’il cheminait dans les Principautés Frontalières ; en dépit de la présence du Mur de Foi, il disposait d’espions dans toutes les villes de l’Empire. Malheureusement, tous lui rapportaient exactement la même chose : l’ordre des Chevaliers du Sang de Sigmar était extrêmement difficile à infiltrer, sans parler de corrompre ses membres. Mannfred et Arkhan n’avaient de toute façon pas le temps de mettre en place de telles machinations, car ils avaient tous deux d’excellentes raisons pour ne pas perdre de temps : Arkhan craignait les interférences des Dieux du Chaos, tandis que le Vampire désirait accaparer la toute-puissance du Monarque des Morts afin d’étendre les limites de la Sylvanie, en prévision du conflit à venir. Il fallait donc vite s’emparer de Heldenhame.
En dépit du peu d’informations des espions de Mannfred sur Heldenhame, ils lui avaient révélé une chose essentielle : il existait une faille dans les défenses, au niveau du mur ouest. En effet, l’année précédente, une Waaagh! s’était brisée contre les murailles, et bien que les Peaux-Vertes eussent été tués ou repoussés, ils étaient presque parvenus à en faire s’effondrer une partie. Hans Leitdorf le grand maître actuel de l’ordre, avait entrepris de réparer les dégâts, mais les travaux prenaient du temps. Selon ce qu’on avait dit à Mannfred, un bombardement intensif avait une chance de créer une brèche, néanmoins il avait été également averti que Leitdorf avait pris soin de positionner plusieurs batteries de canons forgés à Nuln afin de repousser toute attaque en provenance de cette direction. Le Liche et le Vampire n’étaient pas enthousiastes à l’idée d’un assaut aussi prévisible, mais ils conclurent que parfois, le recours à un plan évident (ou faire croire en apparence au recours à un plan évident) était une ruse valable.
Alors que la nuit tombait et que les habitants de Heldenhame dormaient tranquillement dans leurs lits, Arkhan grimpa la pente qui menait sous la muraille à l’ouest de la ville. Visiblement, les vers avaient festoyé grassement depuis l’année précédente. Le Liche pouvait ressentir la présence de milliers de dépouilles dans le sol, qui n’attendaient que son ordre pour se relever et combattre de nouveau. Toutefois, Arkhan savait qu’il faudrait plus que des épées et des lances pour prendre les murs. Il aurait besoin d’artillerie. Il choisit un endroit où le sol était particulièrement riche en cadavres, et planta son bâton dans la terre avant de murmurer dans l’ancien langage de Nehekhara. Le vent portait parfois son chant jusqu’aux oreilles du guet qui patrouillait sur les murs. Les soldats qui l’entendirent firent le signe du marteau sur leur cœur afin de se protéger des esprits maléfiques tapis dans la nuit, et prièrent pour que l’aube se lève bientôt.
Lorsque celle-ci arriva, Otto Kross commandant de la garnison de la ville, fut réveillé en sursaut par son aide de camp. Cela ne le mit pas de bonne humeur. Il avait éclusé abondamment la veille, et il rêvait d’une damoiselle bretonnienne accorte lorsque le capitaine Deinroth l’avait secoué pour l’extirper de ses songes. Kross allait se lancer dans un flot d’invectives lorsque les sons familiers du combat interpellèrent son cerveau embrumé : le grondement des canons, le sifflement des boulets filant dans les airs, mais aussi autre chose, comme des bribes de rires sauvages et déments. Visiblement, la cité était attaquée. Maudissant son mal au crâne, Kross s’habilla et quitta en trombes ses quartiers, ou tout au moins, en allant aussi vite qu’il le pouvait après ce réveil difficile. Il rejoignit ses troupes, rassemblées au pied des oriflammes flottant au vent sur le rempart ouest, et put observer leurs assaillants de ses propres yeux.
Des squelettes moisis se dirigeaient vers les murs. Leurs doigts osseux serraient des épées, des lances ou des haches. Ils étaient encore assez loin, mais avançaient d’un pas imperturbable. Derrière au, au niveau des frondaisons de la forêt toute proche, Kross put distinguer les silhouettes d’une petite trentaine de catapultes. Elles étaient trop biscornues pour être en bois et en fer. Alors qu’il les observait, il vit leurs bras se relever brusquement et projeter des boules de feu en direction de la ville. Celles-ci émettaient un hurlement strident, non pas celui d’un rocher filant à toute vitesse, mais un caquètement dément qui donna la chair de poule à Kross. Un des tirs tomba trop court et creusa un profond sillon dans la pente au pied des murs. Un autre passa loin au-dessus de Kross avant de s’écraser sur une taverne et d’y mettre le feu. Les autres projectiles percutèrent le mur, et fissurèrent son enduit ou se brisèrent en heurtant la muraille. Kross en vit un tomber au milieu d’un régiment d’Arquebusiers en projetant en tous sens des gerbes de sang et des esquilles d’os. Une douzaine de soldats périrent, cependant Kross s’inquiétait plus des impacts contre la muraille. Visiblement, les attaquants prenaient pour cible la brèche du mur où s’amoncelaient encore des échafaudages, à quelques dizaines de mètres au sud de la tour Rostmeyer. Le remblai était apparent, si bien que chaque coup au but en faisait glisser une partie vers le sol.Kross vit un boulet de canon traverser une formation de squelettes, et il ordonna aux servants de la pièce de la pointer plutôt vers les catapultes. Les morts vivants ne disposaient pas de tours de siège ou d’échelles, du moins d’après ce qu’il pouvait voir. Si leurs machines de guerre étaient détruites, les murailles résisteraient à l’envahisseur. Kross en avait été témoin l’année précédente, et il ne doutait pas que cela se reproduirait aujourd’hui encore. Il oublia sa migraine et distribua les ordres. Les garnisons abandonnèrent leurs postes ailleurs sur l’enceinte pour renforcer la section ouest. Des tireurs d’élite furent envoyés au sommet des tours Rostmeyer et Sigmundas, afin de voir au-delà du nuage de fumée craché par les bouches à feu impériales. Les catapultes avaient beau se trouver hors de la portée officielle des longs fusils du Hochland, une balle bien placée pouvait toujours abattre un des servants. Des messagers furent envoyés jusqu’au château afin d’informer le grand maître Leitdorf de la situation, et de quérir l’assistance de son ordre. Quelques chevaliers étaient déjà présents sur les murs, toutefois Kross jugea qu’une sortie menée par la cavalerie avait encore de bonnes chances de briser le siège.
Les tireurs d’élite venaient de commencer à faire feu lorsque des vivats retentirent depuis les remparts : une rafale de vent venait de balayer la fumée, si bien que les défenseurs purent voir clairement un boulet de canon tiré par un sergent-artilleur expérimenté aller disloquer une des catapultes. Des fragments d’os volèrent en tous sens, et le bras sous tension de l’engin fut libéré soudainement, ce qui provoqua la destruction totale de la machine quand il broya les servants et le châssis. Les défenseurs poussèrent de nouveau des cris de joie à l’idée d’avoir frappé durement l’ennemi. C’est alors que des vrilles de Magie Noire émergèrent du sous-bois et enserrèrent les débris de la catapulte. Les fémurs brisés se ressoudèrent, et les servants désarticulés se relevèrent pour retourner à leur poste. Alors que le vent se calmait de nouveau et que les volutes de fumées cachaient derechef les machines de guerre de la vue des soldats, les vivats qui résonnaient sur les murs se turent.
Pendant l’heure qui suivit, Kross et ses hommes ne purent que se mettre à l’abri derrière les remparts et subir le bombardement pendant que les canons et les tireurs d’élite échangeaient des tirs avec les Morts-Vivants. Les artilleurs de l’Empire savaient désormais exactement à quelle distance se trouvaient les catapultes, et libéraient salve après salve. À chaque fois qu’un boulet de canon faisait mouche, le bombardement diminuait un peu en intensité, puis reprenait de plus belle lorsque la sorcellerie d’Arkhan réparait l’engin de guerre détruit. Les projectiles enflammés percutaient encore et encore le mur affaibli, ou provoquaient des incendies au-delà des remparts. Seul Janos Odkrier un prêtre de Sigmar au visage sévère qui avait affronté de nombreuses fois les horreurs de Sylvanie, se tenait droit au milieu du tumulte. Il allait et venait entre les tours Rostmeyer et Sigmundas, et ses prêches impétueux ravivaient la flamme du courage dans le cœur des soldats.
Finalement, on cria que les squelettes étaient à portée de tir d’arquebuse. Kross donna l’ordre d’ouvrir le feu. Les sergents aboyèrent et les soldats se remirent debout, épaulèrent leurs armes et tirèrent en direction de la pente. Les balles en plomb plurent sur la masse de cadavres, disloquant les os et déchirant les liens magiques qui les liaient les uns aux autres.
La pente fut rapidement recouverte par la fumée dégagée par la fusillade, néanmoins les humains continuaient de tirer avec la détermination d’hommes conscients que leur survie dépendait de leur rapidité. Ils ne prenaient pas le temps de viser, car la fumée rendait tout tir ajusté impossible, et se contentaient de décharger leurs armes en direction des ombres qu’ils percevaient entre les volutes grisâtres. De toute façon, l’ennemi était si nombreux que les balles ne pouvaient pas manquer leur cible. Pour leur part, les catapultes continuaient de tirer. Les défenseurs ne faisaient plus attention aux crânes enflammés, et se concentraient sur leur tâche jusqu’à ce qu’un coup chanceux les abatte. Les Hallebardiers apportaient des munitions et jetaient les cadavres par-dessus les remparts afin qu’ils ne gênent pas leurs camarades encore en vie. Les hallebardes étaient pour l’instant inutiles. D’ailleurs, Kross avait l’impression qu’elles n’allaient pas servir de sitôt, car pour l’instant, il n’avait vu ni tours de sièges, ni échelles ou matériel d’escalade.
C’est ainsi que le commandant reprenait peu à peu espoir. Un messager venait de l’informer que les Chevaliers du Sang de Sigmar étaient sortis de la ville par la porte sud, et qu’ils n’allaient pas tarder à attaquer les assiégeants. Les squelettes pouvaient déambuler au pied des murs tant qu’ils le voulaient, ils ne pouvaient rien faire.Malheureusement, le destin se moque souvent cruellement de la certitude des hommes, et c’est ce qu’il fit avec Kross ce jour-là. À peine le commandant s’était-il persuadé qu’aucun assaut n’aurait lieu contre les murs, que la masse de squelettes en contrebas réagit étrangement, comme poussée par une volonté supérieure. Les morts s’agrippèrent les uns aux autres, telle une nuée de fourmis, et commencèrent à s’élever en formant une échelle d’os maintenus entre eux par des tendons magiques. La horde se mit ainsi à gravir les murs des tours Rostmeyer et Sigmundas. Les arquebuses tonnèrent et abattirent des pans entiers de ces édifices nécromantiques improbables. Kross avait également à sa disposition deux batteries de canons Feu d'Enfer, une dans chacune des tours, et elles se mirent en devoir de faire pleuvoir la mort sur les squelettes. Chaque batterie était incapable de défendre sa propre tour car l’angle de pointage des armes était trop faible, toutefois elle était en mesure de diriger ses tirs en direction de la tour d’en face, et à travers l’espace qui séparait les deux constructions de pierre. Des fragments d’os rebondissaient contre la muraille tandis que les volées des machines de guerre déchiquetaient les échelles d’ossements. Des vivats plus épars s’élevèrent une fois encore des remparts, mais les vrilles de Magie Noire s’insinuèrent à travers la fumée pour ranimer les corps, qui reprirent leur escalade de plus belle. Kross beugla à ses artilleurs de recharger, en vain. La sorcellerie qui avait redonné vie aux squelettes leur avait également insufflé une vigueur nouvelle. Leur ascension ralentissait à peine à chaque nouvelle salve. Certains artilleurs cessèrent de tirer et entreprirent de jeter des rochers pour briser les crânes des assaillants. Les autres se poussèrent pour laisser la place aux Hallebardiers, dont les armes s’abattirent sur les premiers Morts-Vivants qui tentaient de franchir le parapet. L’heure de la fusillade avait cessé. Celle du corps à corps avait débuté.
Au niveau de la tour Rostmeyer, les Morts-Vivants ne parvinrent pas à établir de tête de pont. Le capitaine Deinroth commandait les défenseurs, de plus, les salves des Feu d’Enfer avaient suffisamment éclairci les rangs des attaquants pour que l’acier et le courage les tiennent en respect. En revanche, la tour Sigmundas n’eut pas autant de réussite. En effet, un des canons placés dans la tour Rostmeyer était notoirement capricieux, et avait subi un incident de tir. Sa salve n’avait pas eu plus d’effet qu’une bruine printanière, par conséquent les squelettes avaient pu atteindre les remparts de la tour Sigmundas en plus grand nombre que ceux qui assaillaient la tour Rostmeyer. Des bras décharnés jaillissaient de la fumée pour agripper les défenseurs ou les frapper avec des épées rouillées. Les lames des hallebardes scintillaient tandis que les soldats ripostaient, mais chaque squelette abattu cédait la place à deux autres cadavres. Bientôt, les séides d’Arkhan purent prendre pied au sommet de la fortification.
Inexorablement, les défenseurs de la tour Sigmundas furent repoussés. Sans doute auraient-ils fui sans l’arrivée du père Odkrier, dont la foi agissait tel un fanal en cette heure fatidique. Le vieux prêtre maniait son marteau de guerre avec la force d’un jeune guerrier. L’arme laissait deux traînées de lumière dorée dans son sillage tandis qu’elle martelait les os impies. La ferveur d’Odkrier redonna courage aux hommes de Talabheim et du Talabecland. Un groupe hétéroclite de Hallebardiers, d’Arquebusiers et d’Artilleurs se rassembla ainsi pour le suivre afin de reprendre la tour. Cependant, alors qu’il avançait sur le rempart, le prêtre s’approcha trop près des créneaux et des mains osseuses saisirent sa cape. Odkrier se libéra de leur emprise et abattit son marteau à plusieurs reprises, mais d’autres bras passèrent par-dessus les remparts et agrippèrent ses bras et ses jambes. Poussant un dernier cri de défi, le prêtre-guerrier fut déséquilibré et précipité au milieu des morts qui le mirent en pièces. Suite au trépas d’Odkrier, l’étincelle de bravoure qui animait les défenseurs de la tour s’éteignit. Ils battirent en retraite vers le nord et le sud des murailles, cherchant refuge dans le château Heldenhame ou auprès des hommes de Kross.
Ce dernier observa horrifié le spectacle des défenseurs de la tour Sigmundas être refoulés par les Morts-Vivants. Derrière lui, au pied des murs à l’intérieur de la ville, le capitaine Volker avaient enfin rameuté des renforts depuis le front est, où aucun combat ne faisait rage. Cependant, il n’aurait jamais le temps de gravir les murailles pour empêcher les Morts-Vivants de s’emparer de la tour située sur le flanc droit de Kross. Alors qu’il jouait des coudes pour se diriger vers les combats, celui-ci se dit une nouvelle fois que les choses ne pouvaient pas être pires…
Et une fois de plus, le destin décida de le railler de la plus cruelle des façons. Au moment où une nouvelle salve de projectiles percutait le mur, ce dernier se mit à trembler violemment. Kross était absorbé par la tournure des événements à la tour Sigismunda, et ne réalisa pas tout de suite ce qui se passait. C’est alors que la muraille vacilla et que la réalité le frappa de plein fouet. Il hurla à ses hommes de battre en retraite vers la tour Rostmeyer afin d’évacuer les remparts, mais son avertissement arriva trop tard. Dans un grondement torturé produisant un immense nuage de poussière, le centre de la muraille s’effondra, créant une large brèche parsemée de débris de maçonnerie et de corps disloqués. Privé de tout appui sur sa section centrale, le reste du mur ne tarda pas à suivre. Des hommes et des squelettes furent précipités vers un funeste destin, ainsi que Kross, qui mourut au milieu de cette dévastation, en poussant un cri de fureur et de frustration alors qu’il chutait vers la mort.
Le capitaine Volker était éberlué, perdu dans le nuage de poussière, toutefois la vue de squelettes gravissant les débris d’un pas mécanique lui rendit ses esprits. C’était leur ultime chance de contenir les Morts-Vivants. Si ces derniers pénétraient dans les rues, le massacre serait terrible. Dégainant son épée en acier de Kriegst, Volker embrassa la comète à deux queues sur la garde et s’élança avec ses hommes. Tous les soldats sentirent la peur les étreindre en cet instant, mais ils avaient tous des parents et des proches à l’intérieur de la ville, et savaient qu’eux seuls pouvaient encore les sauver. Ils poussèrent leur cri de guerre et coururent en direction de la brèche, abattirent les quelques squelettes qui l’avaient déjà dépassée, et formèrent une ligne hérissée d’épées et de lances le long de la fissure béante dans le mur.
Les soldats de Volker venaient à peine de se mettre en formation lorsqu’une nouvelle vague d’assaillants arriva, cependant les humains tinrent bon. Les mouvements des squelettes étaient des parodies des gestes qu’ils faisaient de leur vivant. Ils attaquaient et périssaient en silence. Les hommes poussaient des cris de douleur lorsque les lances rouillées les transperçaient. D’autres serraient les dents et continuaient le combat jusqu’à leur dernier souffle. La brèche fut bientôt jonchée d’os brisés et maculée de sang. Pendant ce temps, les catapultes continuaient leur pilonnage. Leurs tirs étaient principalement dirigés contre la tour Rostmeyer, afin d’empêcher ses défenseurs de tirer sur les Morts-Vivants qui titubaient vers la brèche, mais de temps à autre, un crâne enflammé tombait au beau milieu de la mêlée sur le monticule de gravats, car l’attaquant ne se souciait pas de balayer ses propres troupes tant que des défenseurs mouraient également.
Même s’il faisait tout son possible pour ne pas le montrer, et continuait le combat avec fureur, Volker était désespéré. Son bras gauche était brûlé, là où les flammes d’un tir de catapulte l’avaient léché en même temps qu’elles avaient incinéré tout un groupe de soldats, et il saignait d’une estafilade au front. Près de la moitié de ses hommes étaient morts, pourtant le nombre d’assaillants ne diminuait pas. Certes, les humains recevaient quelques renforts, soit des survivants de l’effondrement du mur, soit des troupes en provenance de la ville. Néanmoins elles ne permettaient pas d’inverse le cours de la bataille, simplement de retarder l’inévitable défaite. Il se demanda où se trouvaient les chevaliers. Tout serait perdu s’ils n’arrivaient pas rapidement.
Plus loin à l’est, depuis son point d’observation au milieu des arbres, Arkhan était satisfait de la tournure que prenait la bataille. Il ne s’était pas attendu à ce que le bombardement et l’assaut fussent couronnés de succès, pourtant cela avait été le cas. Néanmoins, tout cela ne servirait à rien si les chevaliers du Sang de Sigmar ne mordaient pas à l’hameçon. Arkhan avait proposé cette diversion afin d’obliger le château Heldenhame à se vider de ses défenseurs, car bien que le Liche se moquât du fait que les troupes de Mannfred puissent souffrir, l’échec de l’assaut du Vampire serait catastrophique. Il était impensable que les chevaliers s’enferment à l’intérieur de leur forteresse pendant que la ville brûlait, ce serait en totale contradiction avec les valeurs morales et l’honneur de ces mortels. C’est alors que le son d’un cor se fit entendre, et qu’Arkhan sût que sa ruse avait fonctionné. Malgré tout, il n’en retira aucune satisfaction. Il ne ressentait qu’une vague pitié pour ces humains si prévisibles.
Hans Leitdorf ne ressentait lui non plus aucune satisfaction lorsqu’il ordonna de sonner la charge. Il avait fallu longtemps pour que ses chevaliers sortent de la ville, et il avait eu l’impression que toutes les charrettes de Heldenhame avaient été placées sur son chemin dans le but de le ralentir. Il chassa cette idée ridicule. La brèche ouverte dans le mur était comme une blessure béante dans son honneur, que seule la victoire pourrait guérir. Ainsi, quand les premières confréries de Leitdorf passèrent le coin sud-ouest de la ville et aperçurent les milliers de squelettes qui se pressaient contre les murs, le grand maître ne vit pas un ennemi à craindre, mais des victimes contre lesquelles déchaîner sa colère.
Le cor sonna pour la troisième fois, et la colonne de chevaliers se remit en branle. Leitdorf avait sous ses ordres la quasi-totalité de l’ordre. Ses membres absents gardaient le château Heldenhame, où se trouvaient loin de la ville à ce moment-là, occupés à régir les affaires extérieures de l’ordre. Leur absence ne se fit toutefois pas durement sentir : une fois lancé au galop, un chevalier en armure de plates complète était tel un bélier vivant de métal et de chair, dont l’impact pouvait briser le plus solide mur de boucliers. Leitdorf disposait de presque mille deux cents chevaliers, et il les lâcha dans un cri vengeur contre les légions de squelettes qui avaient eu l’impudence de s’attaquer à la ville qu’il avait juré de protéger.L’élan des chevaliers et leur rapidité étaient tels que le capitaine Volker eut l’impression que la faux de la mort était venue moissonner les rangs des morts qui lui faisaient face pour la seconde fois. Là où se trouvait un instant plus tôt une mer d’os blanchis et de bannières déchirées, il voyait à présent une lame de fond couleur acier rehaussée de boucliers écarlates. Le tonnerre des sabots se mêla aux craquements des os broyés. Encouragé par l’arrivée de la cavalerie, Volker fendit le crâne du squelette qui lui faisait face et ordonna à ses hommes de contre-attaquer.
Même ainsi, les défenseurs de Heldenhame auraient pu succomber face aux légions d’Arkhan s’ils avaient fait preuve d’imprudence ou de témérité, néanmoins Leitdorf commandait ses troupes avec une finesse digne de louanges. Les Chevaliers du Sang de Sigmar lancèrent des charges coordonnées contre les phalanges de squelettes, et se retirèrent pour attaquer sous des angles différents avant que les Morts-Vivants puissent les encercler. Certes, les catapultes continuaient de tirer depuis l’orée du bois, et même l’armure de plates d’un chevalier ne fournissait pas une protection efficace contre un impact direct, toutefois Leitdorf fit signe à deux confréries d’aller détruire les machines de guerre. Les catapultes furent bientôt réduites au silence, et dans l’euphorie de la victoire, nul ne se demanda pourquoi les squelettes ne se relevaient pas comme ils l’avaient fait depuis le début de la bataille. Bien évidemment, c’était parce qu’Arkhan s’était échappé au moment où Leitdorf avait fait sonner la charge : le Liche avait accompli sa mission à la perfection, il était temps pour Mannfred d’agir…
Hans Leitdorf sut que quelque chose clochait lorsque la brise tourna soudainement. Toute la matinée, un vent d’est avait soufflé sur la ville, mais désormais une bise venait du nord, et elle était chargée de gémissements d’outre-tombe. La colère du grand maître gonfla subitement quand il se tourna vers le château Heldenhame et qu’il vit les nuages noirs qui s’amoncelaient autour. Il comprit instantanément que la bataille n’était pas terminée, mais qu’il risquait d’arriver trop tard. Il éperonna sa monture, appela ses frères à lui, et rentra dans la ville en empruntant la brèche, forçant les survivants qui avaient combattu auprès de Volker à se pousser précipitamment du chemin des chevaliers du Sang de Sigmar.
Bien que les chevaliers ne fussent pas à l’intérieur de leur forteresse, Heldenhame aurait pu résister à un assaut conventionnel des mois durant. L’essentiel de sa garnison, c’est-à-dire des Épéistes et des Arquebusiers recrutés dans les alentours et entraînés par les chevaliers qu’ils servaient, avait été envoyé défendre le mur ouest de la ville. Il restait environ quatre cents hommes à l’intérieur du château, cependant c’étaient tous des soldats expérimentés. Les murailles de la citadelle étaient solides, et les tours garnies de pièces d’artillerie. Aucune horde barbare n’aurait pu briser les défenses de Heldenhame. Du moins, c’est ce que tout le monde affirmait. Et quand le mur ouest de la ville s’était effondré, les défenseurs du château n’avaient pas perdu espoir. Ils s’inspiraient de l’exemple des Chevaliers du Sang de Sigmar qui dirigeaient les défenses en l’absence du seigneur Leitdorf, et comptaient bien leur faire honneur. Malheureusement pour eux, Mannfred n’avait aucune intention de recourir à un assaut conventionnel.
Les Vargheists arrivèrent en premier. Ils plongèrent depuis la couche nuageuse vers les remparts, alors que les défenseurs ne s’attendaient pas à un assaut aérien. Des arquebuses ouvrirent le feu, toutefois les tireurs avaient du mal à viser au milieu des rafales hurlantes et seule une poignée de monstres furent tués. Les autres s’abattirent sur les humains dans une orgie de sang. Les défenseurs furent démembrés à coups de griffes ou précipités du haut des remparts. Malgré tout, la garnison tint sa position, car en dépit des pertes, les humains savaient qu’ils disposaient du poids du nombre. Ceux qui arrivaient en renforts dégainèrent leurs épées et traquèrent les Vargheists sur les chemins de ronde et à l’intérieur des tours ou des casernes, jusqu’à ce que les bêtes succombent sous l’acier et le nombre de leurs adversaires.
Mais les Vargheists n’étaient pas les seules armes dans l’arsenal de Mannfred. Le Vampire prononça un mot silencieux, et des formes spectrales s’extirpèrent au milieu des corps rompus qui jonchaient le pied des murailles. C’étaient les esprits de mages et de sorcières de jadis, les âmes torturées de fous et de suicidés. Autrefois de chair et de sang, ces êtres étaient désormais des spectres cruels désireux d’atténuer leurs propres tourments en faisant souffrir les vivants. Leurs silhouettes immatérielles traversèrent les murs et se jetèrent sur les défenseurs qui se remettaient à peine de l’assaut des Vargheist. Ces esprits ne pouvaient être blessés par des armes conventionnelles, ainsi que les défenseurs horrifiés s’en aperçurent rapidement, et la moindre caresse de leurs doigts spectraux figeait le cœur de leurs victimes. Des dizaines d’humains périrent, soit parce que leur cœur fut figé, soit parce qu’ils furent plongés dans une folie irréversible par les cris des Banshees.
Les défenseurs ne durent leur survie qu’aux reliques maniées par certains d’entre eux, des armes forgées au cours des Croisades en Arabie, et bénites par les prêtres de l’époque afin de devenir le fléau des guerriers infidèles qu’employaient les royaumes de ces terres désertiques. Ces lames anciennes s’enflammaient telles des torches à proximité des esprits impies, et les brûlaient férocement lorsqu’elles les frappaient. Bientôt, la garnison se rallia autour de ceux qui portaient ces armes, et l’attaque des spectres fut stoppée.
Enfin, Mannfred en personne intervint dans la bataille, juché sur une monture d’os façonnés magiquement. Deux Terreurgheists annonçaient sa venue. Ils tombèrent des cieux au beau milieu de la cour intérieure du château, en poussant des cris si perçants que toutes les fenêtres, tous les miroirs et tous les verres en cristal explosèrent. Ces monstres ne craignaient pas les lames bénites, et ne ressentaient qu’une faim insatiable. Ils s’avancèrent maladroitement sur les pavés, étendant leurs cous pour engloutir des soldats terrifiés dans leurs gueules béantes, sans s’apercevoir que les cadavres mutilés des humains glissaient hors de leurs entrailles dès qu’ils les avaient avalés. Mannfred sourit en constatant le massacre provoqué par ses créatures, puis s’intéressa entièrement à la raison de sa présence en ce lieu.
Rudolph Weskar était le sénéchal du château. C’était un homme robuste qui, grâce à ses efforts, était parvenu à protéger les cryptes de la forteresse tout au long de l’assaut. Lorsque Mannfred mit pied à terre, Weskar comprit immédiatement qu’il était le responsable des malheurs de Heldenhame. Murmurant une prière à Sigmar pour qu’il lui accorde la force nécessaire, Weskar rallia les chevaliers à ses côtés et chargea le Vampire.
Le sénéchal n’avait parcouru que quelques mètres lorsqu’un des Terreurgheists lui barra la route. Un des chevaliers fut tué sur le coup, écrasé entre les serres du monstre. Les autres ripostèrent à coups d’épée contre la bête. Les os craquèrent et se brisèrent sous les attaques des humains. Le Terreurgheist piaula et étendit une aile membraneuse, projetant au loin deux chevaliers, qui retombèrent au sol comme des poupées de son. Weskar lâcha son bouclier pour saisir son épée à deux mains, esquiva un autre balayage violent de l’aile du monstre, et abattit son arme sur la gueule béante. Le crâne de la bête se fissura et elle recula sous l’impact, mais elle fut trop lente. Weskar fit un pas de plus, et son second horion lui réduisit le crâne en pulpe. Le Terreurgheist s’écroula de tout son poids, puis Weskar se tourna pour faire face à Mannfred. Poussant un cri de défi, il se précipita vers le comte Vampire.
Mannfred entendit le cri de guerre de Weskar, toutefois il ne le considéra pas comme une menace. Pour lui, le sénéchal n’était qu’un homme désespéré menant un combat qui l’était tout autant. Il se mit en posture afin de réceptionner la charge et leva son épée en parodiant le salut des duellistes de l’Empire. Son premier coup trancha la tête de Weskar, aussi facilement que le couperet du boucher décapité une carcasse. Le deuxième abattit deux chevaliers. La lame vibrait de pouvoir tandis qu’elle s’abreuvait de sang. D’une simple pensée, le Vampire libéra des spirales de Magie qui aspirèrent la vie qui animait ses adversaires.
Mannfred renifla avec mépris tandis que le dernier de ses assaillants s’écroulait, et jeta un regard circulaire autour de lui. Les défenseurs du château gisaient morts ou mourants, et les rares survivants n’osaient plus le défier. Il se trouvait non loin de l’entrée des cryptes de Heldenhame et du trésor qu’il convoitait. Plus personne ne pouvait l’arrêter désormais.
Nagash allait ressusciter !
Dans un geste de colère, Hans Leitdorf frappa le parapet de son poing ganté. On l’avait berné, et Heldenhame, la sainte forteresse de son ordre, en avait payé le prix fort.
« Combien y a-t-il de survivants ? » demanda-t-il. Il se trouvait au sommet de la tour nord, et pouvait voir les cadavres qui jonchaient tout le reste des fortifications. « On vient d’en sortir trois des décombres de la bretèche, » répondit le précepteur. « L’un d’eux va perdre une main, à moins que le chirurgien fasse un miracle, mais les autres seront bientôt en mesure de se battre. » « Ça en fait combien, en tout ? Quarante ? » « Quarante-deux, monseigneur. » Leitdorf poussa un juron et frappa de nouveau le parapet. À peine quarante-deux survivants sur une garnison de quatre cents, sans parler des milliers de soldats morts sur les murs de la ville. Pire encore, les cryptes du château avaient été violées, et un de ses plus précieux trésors dérobé. L’honneur de son ordre était dans la boue, tout comme le sien. En revanche, l’identité du coupable était claire. La cage est ouverte. Voilà les mots que Leitdorf avait découverts, écrits en lettres de sang sur le mur du donjon. Et cela trois mois à peine après que le Patriarche Suprême se fut autoproclamé pompeusement "L’homme qui avait mis la Sylvanie en cage." Leitdorf avait toujours dit que la mesure de Gelt serait au mieux temporaire, toutefois les mots mielleux du Patriarche Suprême s’étaient avérés plus convaincants à la cour impériale que l’expérience de Leitdorf, pourtant forgée au cours de décennies de combats menés le long des frontières de la Sylvanie. |
« Retenez-moi d’aller jusqu’à Altdorf pour tordre le cou de ce Patriarche incompétent ! » grommela Leitdorf.
Bien évidemment, sa menace était purement rhétorique. En dépit de sa sincère colère, il savait que les Sorciers n’étaient pas ses ennemis. La vengeance le mènerait le long des routes de Sylvanie, même si aucun homme sain d’esprit n’emprunterait un tel chemin. D’ailleurs, Leitdorf lui-même avait juré qu’il ne retournerait jamais dans cette province après son dernier voyage là-bas. Malgré tout, alors qu’il regardait les corps ensanglantés qui jonchaient la cour, il se demanda s’il n’avait pas hérité lui aussi de la folie qui avait emporté son frère, car il envisageait bel et bien en cet instant de partir sur-le-champ pour la contrée maudite des comtes Vampires. « Nous partons aux premières lueurs de l’aube. Faites passer le mot. Les Sorciers ont eu leur chance. C’est désormais à nous de… » Ses dernières paroles furent noyées par un concert de cors primitifs sonnant au loin. Leitdorf reconnut cette cacophonie. Il porta le regard vers l’ouest, et vit que l’orée du bois, qui abritait des Morts-Vivants quelques heures auparavant, était désormais encombrée d’Hommes-Bêtes qui se bousculaient pour atteindre la brèche dans les murs de la ville. Ils avaient été attirés par le tumulte de la précédente bataille et comptaient en profiter pour piller Heldenhame. Leitdorf jura qu’ils n’y parviendraient pas. Sa vengeance allait devoir attendre. |
Chapitre II : LE RITUEL - Automne 2524[modifier]
Un répit soudain et temporaire survint au cours de l’an 2524 du calendrier impérial, comme si les Dieux s’étaient calmés pour évaluer la nouvelle situation. Le temps d’une nuit privilégiée, les horreurs des derniers mois épargnèrent les royaumes. Ce calme inattendu apporta de nouveaux présages. Pour quiconque était capable de les interpréter, il était question d’un nouveau protagoniste qui allait entrer en scène, ni Dieu éternel ni mortel maudit. L’espace d’une glorieuse journée, le monde sembla retenir son souffle. Puis le Chaos retrouva tout son éclat, les signes s’estompèrent et la démence régna de nouveau.À travers le Vieux Monde, il y eut de nombreux témoins isolés des agissements d’Arkhan et de Mannfred, mais nul ne comprit leur dessein. À Couronne, Gilles le Breton médita sombrement sur ce qu’impliquait la destruction de l’abbaye de La Maisontaal. Sans savoir au juste ce qui avait été dérobé, car maints reliques et fléaux anciens avaient été détruits dans l’explosion, il pressentait quelque intrigue d’envergure. Dans les tréfonds indicibles de Skarogne, le Conseil des Treize apprit le vol de la Lame Fatale dans un frisson collectif. L’antique épée avait souvent changé de mains au fil des ans, mais elle n’avait encore jamais échappé à ses divinations. Dans les heures qui suivirent la nouvelle, la hiérarchie de Skarogne fut bousculée par l’exécution des boucs émissaires désignés pour l’occasion. Les récents événements inquiétaient autant les hommes de Bretonnie que la vermine de l’Empire Souterrain, mais ils n’y pouvaient présentement rien. Gilles le Breton luttait pour sauver son royaume de la désagrégation, tandis que les Skavens consacraient toute leur énergie au plan défini par le Rat Cornu. C’est dans l’Empire que se trouvait la seule personne résolue à agir, une personne motivée par la vengeance et l’honneur.
Un mois avant Geheimnisnacht, Hans Leitdorf, grand maître des Chevaliers du Sang de Sigmar, arriva à Altdorf avec son escorte. Leurs montures étaient épuisées, et leurs armures encore couvertes du sang des Hommes-Bêtes tués sous les murs de Heldenhame. La seconde bataille qui s’y déroula fut bien plus favorable que la première. Les rejetons du Chaos s’étaient jetés dans la brèche du mur ouest sans souci des conséquences, et la charge vengeresse des chevaliers de Leitdorf suffit à les mettre en déroute. une fois convaincu que la cité était hors de danger dans l’immédiat, Leitdorf confia sa défense au capitaine Volker, et partit en quête de soutien. Leitdorf projetait de mener son ordre tout entier en Sylvanie, mais il savait qu’il lui faudrait des renforts, sans quoi sa quête de vengeance n’aurait été que pure folie.Hélas, tout au long de son voyage, il constata que l’Empire n’était pas en mesure de monter une invasion en règle de la Sylvanie. Les Hommes-Bêtes infestaient le Talabecland et le Reikland, brûlant et pillant à loisir. Tous les nobles, taverniers et marchands croisés en chemin parlèrent à Leitdorf de créatures encore plus ignobles tapies dans les bois, et de villages anéantis par le feu céleste. Les prophètes de malheur et les Flagellants s’étaient multipliés, et le passage des chevaliers fut régulièrement entravé par des foules de gueux apeurés. Agglutinés autour des temples comme des vautours sur des carcasses, ils annonçaient la Fin des temps, exhortant riches et pauvres à se repentir de leurs péchés.
D’abord, Leitdorf n’y prêta guère attention, car les histoires d’horreur et de démence n’avaient rien d’exceptionnel dans l’Empire. Puis il acquit la conviction que pour une fois, les zélotes étaient dans le vrai.
Parvenu à Altdorf, Leitdorf n’y trouva guère de soutien. L’Empereur lui accorda audience, et promit de se pencher sur la question au plus vite, mais Leitdorf resta ensuite sans nouvelles trois jours durant. Ses tentatives répétées d’aborder le sujet avec Markus Lofdtir bras droit de l’Empereur, n’eurent pour réponse qu’un silence poli. Refusant d’abandonner sa cause, Leitdorf reprit contact avec ses anciens camarades pour tenter d’en obtenir l’aide. Il entendit toujours la même histoire : entre les troubles intérieurs et la menace d’invasion, pas un seul homme n’était disponible. À l’aube du quatrième jour, tout changea. Tiré de ses appartements par un héraut, Leitdorf se rendit en hâte au palais de l’Empereur. En chemin, le chevalier s’autorisa à reprendre espoir, pensant que Karl Franz allait probablement lui fournir les troupes demandées. Il fut bien vite détrompé. Lofdtir lui apprit que l’Empereur était parti vers le nord avec le Reiksmarshal pour mieux coordonner la mobilisation face à la menace croissante. Perdant patience, Leitdorf exigea de savoir pourquoi on l’avait fait venir ; en guise de réponse, Lofdtir conduisit le chevalier jusqu’à l’une des luxueuses salles de réception du palais, et le présenta aux invités qui l’y attendaient.
Ils étaient trois, et il ne fallait pas être grand clerc pour deviner qu’il ne s’agissait point de citoyens de l’Empire, mais d’Elfes d’outre-mer. Deux d’entre eux, un homme et une femme, portaient des hauberts de bonne facture. Le troisième était un homme bien plus âgé que ses compagnons, qui ne portait pas d’armure mais une robe bleue et un diadème incrusté de joyaux. Tous affichaient l’assurance que l’on rencontre chez les guerriers accomplis. Non, se dit Leitdorf, c’était plutôt une extrême arrogance ; une confiance en soi qu’aucun humain ne pourrait espérer égaler. Même au cœur du palais impérial, parmi le luxe et les trésors accumulés au fil des générations, les Elfes faisaient sembler le décor fade et vulgaire ; pire encore, ils en étaient conscients.
S’exprimant avec une déférence et une précision nées d’une vie de service politique, Lofdtir fit les présentations. L’Elfe âgé s’appelait juste Belannaer, les plus jeunes étaient le prince Eltharion d’Yvresse et la princesse Eldyra de Tiranoc laquelle fut la seule à s’incliner imperceptiblement à l’intention de Leitdorf. Leurs noms ne disaient rien au chevalier, mais le motif de leur présence dans l’Empire l’intéressait vivement. Ils disaient être venus pour secourir l’un des leurs, captif au fin fond de la Sylvanie.Le nommé Belannaer fit l’essentiel de l’exposé, parlant dans un Reikspiel châtié et suranné que même les défunts instructeurs de Leitdorf n’auraient pas osé employer. La princesse Eldyra ne l’interrompit que pour clarifier le propos de Belannaer quand il échappait manifestement à Leitdorf. Quant au prince, grand et sérieux, il ne prononça pas un mot. Leitdorf eut nettement l’impression qu’Eltharion, présenté comme le chef de l’expédition elfique, prenait cette rencontre comme un affront.
Il comprit bientôt pourquoi. Les Elfes n’étaient pas venus à Altdorf pour demander la permission de traverser l’Empire - Leitdorf imaginait qu’ils ne s’en souciaient guère - mais pour quérir de l’aide. Belannaer expliqua que leur propre nation était assaillie de toute part, comme l’Empire. Malgré la relative importance du captif à libérer - Leitdorf releva l’habileté avec laquelle l’Elfe évitait de donner le moindre indice quant à son identité - il n’était pas possible de mobiliser beaucoup de ressources pour secourir une seule âme, si précieuse fut-elle.
La rencontre n’était pas fortuite, se dit Leitdorf en exposant ses propres préoccupations. Comme les Elfes, il était venu à Altdorf demander l’aide de l’Empereur, et l’habile Karl Franz avait trouvé comment satisfaire toutes les parties sans qu’il lui en coûte. En vérité, tous lui étaient redevables de les avoir mis en relation. Toutefois, Leitdorf n’en avait cure. Il voulait la perte de Mannfred von Carstein et de son engeance ; les Elfes voulaient libérer leur semblable des griffes du Vampire. Ces deux buts coïncidaient comme les pièces d’un bouclier.
Quand Lofdtir prit congé, l’alliance avait été convenue. Avant même le tomber du jour, Leitdorf et son escorte avaient repris la route de l’est, accompagnés d’un ost d’argent venu d’au-delà des mers. Leurs rangs grossirent quelques jours plus tard, quand ils furent rejoints par l’ordre entier des Chevaliers du Sang de Sigmar. Or, à l’insu de Leitdorf et des Hauts Elfes, d’autres forces faisaient route vers la Sylvanie.
Du sud-ouest venait un ost d’Athel Loren dirigé par Araloth, seigneur de Talsyn. Son but n’était pas de venger les maux subis par son peuple, mais de répondre à la demande pressante d’Alarielle, Reine Éternelle d’Ulthuan, qui avait supplié les Asrai de sauver sa fille. Pour sa part, Araloth ne ressentait guère d’affinités avec les Hauts Elfes, et aucune avec la Reine Éternelle, mais la reine magicienne Ariel lui avait confié cette tâche, et le seigneur de Talsyn avait juré de la mener à bien. Les Elfes avaient voyagé depuis des jours, guidés par un médaillon enchanté fourni par Alarielle, et ne se déplaçant que de nuit ou cachés sous un voile magique.Les Elfes d’Athel Loren cherchaient à éviter les conflits inutiles lors de leur traversée de l’Empire. Toutefois, le fidèle oiseau de proie d’Araloth, Skaryn qui décrivait des cercles autour de l’armée, décela des hardes d’Hommes-Bêtes se livrant à leurs déprédations. Les guerriers d’Araloth avaient presque tous perdu des proches à cause des rejetons du Chaos, et il était pour eux impensable de passer à portée de trait de ces créatures sans leur en faire payer le prix. C’est ainsi que plus d’un village du Wissenland fut sauvé de la horde qui le menaçait, même si les habitants n’apprirent jamais l’identité de leurs énigmatiques bienfaiteurs.
Au cours du voyage, les compagnons d’Araloth remarquèrent à quel point il était peu disert, lui qui était d’ordinaire si prompt à partager une anecdote ou une plaisanterie. Cette fois, il ne prenait la parole que pour donner des ordres concis ou pour s’enquérir de ce qu’avaient vu les éclaireurs au-devant de l’armée. Ses pensées se focalisaient sur ce qui les attendait au-delà des sinistres chemins de la province de Sylvanie. Quelques années plus tôt, le destin d’Araloth avait croisé celui d’une déesse, et cette rencontre avait transformé le nobliau naïf en héros de son peuple. Depuis ce jour, Araloth disposait d’une fraction du don prophétique de la déesse, et pouvait entrevoir un espoir même dans les heures les plus sombres. À présent, le valeureux Araloth ne percevait rien d’autre que les ténèbres, cependant il poursuivait stoïquement sa route car tel était son devoir.
Tandis que les Elfes Sylvains progressaient rapidement depuis l’ouest, une autre armée arrivait de l’est. Elle progressait d’un pas si pesant, si empreint de résolution et si évocateur de violence que les tribus gobelines des montagnes préférèrent se disperser que de s’opposer à elle. Il s’agissait du célèbre Throng Nain de Karak Kadrin, réuni sous la bannière ornée d’un dragon de son roi, Ungrim Poing-de-fer.
Plusieurs jours auparavant, un émissaire impérial apporta à Karak Kadrin un parchemin portant le sceau de Karl Franz. L’Empereur y annonçait la venue des Hauts Elfes à Altdorf, et leur mission visant à sauver un des leurs, retenu en Sylvanie. L’Empereur était conscient des relations tendues entre les Nains et les Elfes, mais il priait le Roi Ungrim Poing-de-fer de bien peser le pour et le contre avant de décider de contribuer ou non à cet effort. De toute évidence, il se tramait de terribles maléfices dans les ténèbres insondables de Sylvanie, d’une ampleur telle qu’il était dans l’intérêt de tous de les déjouer. Malgré son extrême réticence à l’idée de prêter main-forte aux arrogants Elfes d’Ulthuan, Ungrim ne pouvait nier le bien-fondé de ce qu’avançait l’Empereur. La Sylvanie s’étendait jusqu’aux collines proches de Karak Kadrin, et le Roi Tueur se souciait de son ombre grandissante. Ce n’était probablement qu’une question de temps avant que les Vampires se lassent de leurs jeux avec les humains pour tourner leur regard vers les montagnes. Les Nains avaient déjà bien assez d’ennemis à leurs portes.
Le parchemin ne mentionnait pas qui était le captif, mais Ungrim l’avait deviné tout de même. Quelques mois plus tôt, lors d’une réunion royale à Karaz-a-Karak, Thorgrim le Rancunier avait mentionné qu’une bataille s’était déroulée à Nagashizzar. L’enjeu en était une personnalité majeure d’Ulthuan, demeurée aux mains de Mannfred von Carstein. Ungrim se rendit compte à son grand amusement qu’il en savait plus que l’Empereur sur la quête des Hauts Elfes. Ces derniers, par honte, n’auraient rien dit de plus que nécessaire à leurs alliés humains, si utiles qu’ils leur fussent.
Ungrim demanda l’avis de ses Thanes. Certains soutenaient que Karak Kadrin ne devait pas gâcher ses forces pour soutenir les territoires humains, à plus forte raison pour aider les Elfes - certainement pas en ces temps troublés. Pourtant, ces objections ne firent que conforter le Roi dans sa décision d’agir. Ungrim n’avait que trop souvent entendu ce genre d’arguments, y compris de la bouche des autres rois, et il s’en était lassé. Il décida qu’il était temps de faire un exemple, et de bien rappeler au monde que les Nains représentaient une force avec laquelle compter.
C’est du nord que venait la dernière des armées marchant sur la Sylvanie, bien qu’elle n’eût pas grand-chose à voir avec les autres. En vérité, on ne pouvait même pas la qualifier d’armée, car elle n’avait ni cohésion ni discipline. Ce n’était qu’une horde mue par des pulsions primitives ; partout où ses membres posaient les sabots, ils ne semaient que la ruine. Aucun Homme-Bête ne savait où il allait, il ne ressentait que le feu de sa motivation instinctive. Même la créature qui dirigeait la horde, et que les hommes de l’Empire appelaient Malagor, ne savait pas quel était au juste son but.
Depuis que la lune maléfique était devenue pleine dans le ciel nocturne, les paroles des Dieux Sombres emplissaient l’esprit de Malagor, et leurs murmures étaient devenus des cris stridents. Ils lui ordonnaient d’aller détruire Arkhan et son armée d’ossements animés. Malagor ignorait le pourquoi de ses instructions, mais peu lui importaient les mobiles des Dieux - ils parlaient, et il obéissait. Pourtant, si Malagor était un canal approprié pour accomplir la volonté divine, ses frères obéissaient en tout premier lieu à leur nature bestiale.
À trois reprises, Malagor fut tout près de détruire le Liche, pour voir ses efforts anéantis par la sauvagerie de ses Hommes-Bêtes. Sa plus grande frustration fut le massacre de Heldenhame. En cette occasion, Malagor parvint assez près de sa cible pour en sentir l’odeur âcre portée par la brise. Toutefois, avant que le grand chaman puisse atteindre son but, la harde remarqua la brèche dans la muraille de Heldenhame, et le désir de piller la cité vulnérable éclipsa toute autre considération. Le temps que Malagor reprenne en main ses Hommes-Bêtes, la proie était partie loin au sud, et la majeure part de la harde avait été écrasée par des chevaliers ivres de vengeance.
Malagor s’était attendu à être châtié pour son échec, mais il semblait avoir gardé la faveur des Dieux du Chaos. À mesure qu’il poussait sa harde vers le sud comme le lui ordonnaient les voix, davantage d’Hommes-Bêtes sortaient des bois pour se soumettre à sa volonté. Ce fut une véritable marée beuglante, capable de piétiner villes et forteresses, qui arriva au mur d’ossements formant la frontière septentrionale de Sylvanie.
Mannfred von Carstein fut informé sans délai de l’intrusion des cinq armées en son royaume, car les yeux et les oreilles de toute la Sylvanie étaient à ses ordres. Mannfred apprit bientôt la taille et la composition de chaque force d’invasion, ainsi que l’identité de leurs chefs. La situation lui sembla bien plus distrayante qu’inquiétante ; le royaume était mieux défendu que jamais, pourtant ses ennemis s’y ruaient tête baissée. On pouvait prendre comme un compliment, se disait Mannfred, que tant de grandes nations considèrent la Sylvanie comme une menace, même si cela tombait à un moment inopportun. Convoquant ses capitaines, Mannfred entreprit de préparer la défense de son domaine.
Si les envahisseurs avaient attaqué la Sylvanie de manière coordonnée, la résistance aurait été réellement ardue. Or, seules deux factions - les Hauts Elfes et les Chevaliers du Sang de Sigmar - étaient unies. Mannfred savait que sa propre arrogance avait provoqué leur venue, lui qui les avait tant meurtries par le passé. Non pas qu’il s’en inquiétât outre mesure, car s’il les avait déjà battues, il pourrait les battre de nouveau. Pour ce qui était des autres Elfes, ils n’avaient qu’un faible effectif. Par contre, les Hommes-Bêtes et les Nains posaient un problème nettement plus sérieux. La harde de Malagor avait beau être versatile et indisciplinée, elle totalisait plus de combattants que toutes les autres armées cumulées. Enfin, le throng de Karak Kadrin ne manquait ni d’effectif ni de talent martial, et Mannfred le prenait réellement au sérieux. Depuis un siècle, il avait pris soin de ne pas provoquer Ungrim Poing-de-fer, de crainte de revigorer l’alliance entre l’Empire et les Nains aux dépens de la Sylvanie. Il semblait bien que cette sage précaution fut vaine, car à présent le Roi Tueur était quasiment à sa porte.
Quant à Arkhan, il ne se souciait aucunement des armées en approche, car il s’affairait avant tout à préparer le retour de Nagash. Des chariots d’os et de cuir emmenaient à l’est les artéfacts et offrandes requis, vers la Combe du Deuil et le cercle de pierres dit des Neuf Démons. Ces derniers, d’après les légendes paysannes, n’étaient pas des monolithes mais des Démons calcifiés pour l’éternité. La véracité de ce conte n’intéressait pas Arkhan ; seule lui importait la position du cercle, sur un confluent de la toile géomantique. Les vents de Magie soufflaient avec vigueur autour des pierres : à la date de Geheimnisnacht, Nagash serait de retour !
Mannfred frappa les Hommes-Bêtes en premier. Le comte Nyktolos de Vargravie mena l’assaut à la tête de son ost ailé de Terreurgheists, de chauve-souris et autres créatures cavernicoles. Il entama une série d’attaques de harcèlement meurtrières contre l’armée de Malagor, qui s’était répandue dans le bois de la Famine, en prenant toujours soin d’assaillir le flanc de la harde et de battre en retraite à l’est avant que les rejetons du Chaos organisent une contre-attaque. Cela dura des jours, et Malagor eu beau tenter de maintenir le cap vers les Neuf Démons, ses Hommes-Bêtes se retrouvaient entraînés insensiblement vers l’est.
Pendant ce temps, le Roi Ungrim Poing-de-fer était en proie à la frustration. Ses Gyrocoptères assuraient la liaison avec ses alliés occidentaux, en contournant par le nord les ténèbres surnaturelles de Sylvanie. Il fut convenu que tous se retrouvent à la cité de Templehof, et la progression des Nains avait été initialement rapide. Leurs engins de siège avaient ouvert sans délai une brèche dans la muraille d’ossements de la frontière sylvanienne, mais l’avance ralentit brusquement dès que les Nains pénétrèrent dans les forêts hantées au nord-est de la Sylvanie. Mannfred avait envoyé trois capitaines pour faire face aux Nains, sans succès. Tous avaient péri sous la hache du Roi Tueur, et leurs forces avaient été anéanties ou dispersées. Mais la parodie de vie en Sylvanie ne se limitait pas aux êtres de chair. Les arbres, eux aussi victimes de la sorcellerie ambiante, étaient racornis et infestés d’ignobles parasites. Il leur arrivait même de s’animer pour attaquer les Nains, ce qui ne les troublait guère car leurs haches abattaient sans mal les troncs pourris. Le véritable problème venait du mouvement des bois, qui recouvraient la route et qu’il fallait tailler en pièces pour maintenir un accès praticable.
Ungrim aurait pu tenir la cadence s’il s’était résigné à abandonner ses engins de siège, mais il ne put s’y résoudre. Les Gyrocoptères reprirent leur envol, cette fois afin de faire part du retard accumulé, mais ils ne revinrent jamais. Ungrim, dont l’humeur empirait, ordonna à ses troupes de poursuivre l’avance, sans se douter qu’il faisait précisément ce que ses ennemis attendaient de lui. En effet, le Comte Nyktolos, dont les Terreurgheists avaient abattu les Gyrocoptères, était en train d’attirer une dernière fois vers l’est les Hommes-Bêtes ivres de frustration et de vengeance…
Les Nains entendirent la clameur de l’immense harde de Malagor alors qu’elle se trouvait encore hors de vue, à plus d’une lieue. Ungrim comprit ce que signifiait cette rumeur faite de mugissements et de voix rauques, et chercha précipitamment un terrain relativement dégagé pour que son armée s’y déploie. Quand les rugissements primitifs se mirent à faire vibrer la forêt autour d’eux, les Nains d’Ungrim comprirent la gravité de la situation. Ils dételèrent les canons, déposèrent les pierres de serment, chantèrent leurs hymnes funèbres, et prièrent Grimnir. Ainsi commença la bataille du Cairn Rouge.
Les Hommes-Bêtes surgirent des bois torturés face à la bouche des canons Nains. La première salve creusa des tranchées sanglantes dans leurs rangs, mais pour la harde, ces centaines de morts étaient quantité négligeable. Ravis de tomber enfin sur un véritable ennemi de chair et de sang, les Hommes-Bêtes étaient pris de frénésie, d’autant que l’air était empli de l’odeur du sang de leurs semblables. Le tonnerre des armes à feu s’ajoutait aux sifflements des balles et aux cris bestiaux de la horde. Puis les bannières en haillons des bêtes atteignirent le mur de boucliers Nains, et la tuerie commença.
Ce jour-là, de nombreux Tueurs Nains accomplirent leur serment, et bien des guerriers exaltèrent l’honneur de leur lignée. Les runes de Valaya chauffèrent au rouge tant elles luttaient pour contenir la sorcellerie des chamans de Malagor. Les Gors et les Bestigors se jetaient sur les boucliers pour être repoussés dans de grands jets de sang. Les Arquebusiers lâchaient une dernière salve à bout portant avant d’empoigner leurs haches. Les Minotaures frappaient aveuglément dans la masse des Nains, et se repaissaient des morts avant de reprendre l’assaut en mugissant.
La bataille du Cairn Rouge dura deux jours et une nuit, pour autant qu’on eut pu l’estimer dans la pénombre sylvanienne. Vers la fin du second jour, la horde de Malagor finit par battre en retraite dans les bois, abandonnant un champ de bataille couvert de cadavres à demi dévorés. Ungrim Poing-de-fer était maître du terrain, mais le throng de Karak Kadrin n’irait pas plus loin.
Comme toujours, Ungrim était déchiré entre le Serment du Tueur et sa responsabilité en tant que Roi de Karak Kadrin. Le tueur en lui voulait continuer, et peut-être trouver une fin glorieuse contre les maléfices de cette terre, mais le Roi savait qu’il lui fallait penser à son peuple. Et la poursuite de l’expédition signifiait une mort certaine. Sur dix Nains qui avaient suivi leur roi, huit étaient morts et un neuvième était incapable de tenir une hache et un bouclier. Malgré l’ampleur de la victoire - sans doute la plus grande contre l’engeance du Chaos dans les annales de Karak Kadrin - les Nains avaient fait défaut à leurs alliés. Ungrim Poing-de-fer envoya un petit groupe de volontaires à l’ouest pour tenter de prendre contact avec Eltharion et Leitdorf. Puis, le cœur lourd, le Roi Tueur ordonna la retraite.Loin au sud, l’ost elfique d’Araloth rencontrait lui aussi des difficultés. Les ressortissants d’AtheI Loren étaient accoutumés aux bois mus par une volonté propre, mais pas aux arbres nécrotiques de Sylvanie. Les capricieux esprits forestiers d’AtheI Loren pouvaient se mettre dans une colère meurtrière, mais on ne rencontrait jamais chez eux le désespoir et la malveillance aveugle des arbres de la Forêt de l’Oubli.
Mannfred n’avait pas délégué la mission de détruire les Elfes sylvestres à un capitaine Vampire, mais à Kalledria, Reine du Deuil : une Banshee qui se retenait au monde depuis l’époque de l’Empereur Sigismund. Maîtresse des cauchemars et de la frayeur aux limites de la perception, elle attaqua les Elfes non par le fer, mais par l’effroi.
Des spectres suivaient les Asrai à la trace, obligeant leurs tisseurs de sorts à s’épuiser en constantes abjurations. Malgré leurs efforts, les forces d’Araloth s’érodèrent lentement. Les éclaireurs disparaissaient dans les bois sans laisser de trace, ou bien on retrouvait le lendemain matin leurs cadavres exsangues en travers de la piste. Les rares Elfes qui parvenaient à trouver le sommeil rêvaient d’étranges danses macabres, et voyaient en songe leurs proches roidis par la mort. Certains même périrent en plein rêve, l’âme arrachée du corps par l’étreinte cruelle de Kalledria.
Seul Araloth lui-même était exempt des hideuses attentions de Kalledria, qui ne trouvait pas de prise sur son cœur, et cet exemple confortait quelque peu ses compagnons. Nul n’aurait pu deviner que le seigneur de Talsyn était tout aussi conscient de sa mortalité que son entourage. Avant qu’Araloth quitte Athel Loren, Naieth la Prophétesse lui avait fait ses adieux, ce qui avait un sens funeste de la part d’une clairvoyante.
Araloth était sûr que les malheurs des Elfes étaient le fait d’une intelligence maligne, mais Kalledria s’assurait de ne jamais laisser de témoin. Quand l’ost elfique traversa la rivière Charnier vers le nord, Araloth demanda à ses mages de capturer un esprit et de le sonder pour découvrir qui le dirigeait. Il ne s’agissait pas d’une entreprise anodine, car aucun des jeteurs de sorts présents n’avait pratiqué la voie de la Magie Noire, et cela représentait un réel péril. Trois d’entre eux moururent dans la tentative, et trois autres furent plongés dans la démence, mais le septième parvint à percevoir les liens invisibles qui allaient de l’esprit captif à la revenante maudite, Kalledria.
C’est ainsi qu’Araloth prit d’assaut l’antre de la reine Banshee, une tour croulante au fin fond du bois des Goules. Comme son nom l’indiquait, le lieu abritait des tribus entières de ces êtres dépravés. Ce fut une bataille féroce entre les lances forgées par Daith et les griffes dégoûtantes de venin. Les goules furent repoussées encore et encore, mais elles ne fuyaient jamais bien loin, et elles revenaient dès que la faim prenait le dessus sur leur lâcheté. Elles poursuivirent le combat même après que les derniers tisseurs de sorts d’Araloth eurent enfin banni Kalledria et son conclave d’esprits. La chair elfique était de loin la plus délicieuse que les goules aient pu goûter depuis des années, et les monstres blafards ne se résolurent à s’enfuir dans les ombres que lorsque leur situation était clairement sans espoir.
Araloth et son ost étaient libres de poursuivre leur voyage vers le nord. Le médaillon bourdonnait avec insistance, et les Elfes Sylvains forcèrent leurs membres las à lui obéir. Mais avant qu’ils eussent parcouru une lieue de plus, la lune perça les ténèbres ambiantes, et une Elfe élancée apparut pour leur barrer la route. Bien que pâle, elle était d’une beauté incomparable, et vêtue d’une simple robe blanche qui scintillait comme les étoiles. Araloth cria sa joie et embrassa la nouvelle venue. Ses compagnons n’étaient pas aussi confiants. Depuis leur arrivée en ces lieux funestes, ils avaient vu bien des horreurs se cacher sous de plaisants atours, et ils craignaient que cette femme fût elle aussi un piège redoutable. Cependant, à mesure que les Elfes s’approchaient, ils surent qu’ils étaient bel et bien en présence d’une déesse.
Araloth s’entretint longuement avec sa déesse, bien qu’à mots trop couverts pour que quiconque saisisse davantage que des bribes de paroles. On discernait tout du moins que le seigneur de Talsyn n’appréciait guère ce que disait la déesse, mais il finit par acquiescer et lui remettre le médaillon qui les avait guidés jusqu’ici. Déposant un baiser sur le front d’Araloth, la déesse broya le médaillon entre ses doigts, et en dispersa la poussière dans l’air pour créer un portail étoilé. Alors seulement Araloth expliqua à son ost, que le destin d’Aliathra ne dépendait plus d’eux, et qu’une bataille d’importance les attendait sur un rivage lointain. Sans un mot de plus, le seigneur de Talsyn prit la main de la déesse et franchit le portail. Ses compagnons n’hésitèrent pas. Même si certains avaient encore des réserves quant à la nature de la déesse, tous avaient foi en leur seigneur bien-aimé. S’il avait dit vrai, ils allaient combattre à ses côtés ; si la déesse l’avait dupé, alors ils tenteraient à tout prix de le libérer de son influence. C’est ainsi que l’ost furtif d’Athel Loren disparut de Sylvanie aussi bien que du regard des mortels.
Pendant ce temps, la nouvelle de la retraite d’Ungrim Poing-de-fer avait atteint Templehof. Hélas, le petit groupe meurtri de Rangers Nains porteurs de la nouvelle était arrivé trop tard - l’armée combinée des Elfes et des hommes était déjà repartie, tenant les Nains pour perdus. Il ne restait qu’une semaine avant Geheimnisnacht, et selon la divination de Belannaer, le sort d’Aliathra serait scellé en cette nuit maudite. D’après Eltharion, il fallait faire vite, mais sans précipitation aveugle.
Tandis que l’armée progressait au cœur de la Sylvanie, Eldyra était en tête de colonne pour purger ou verrouiller les sépulcres sur sa route. Les Elfes ne savaient que trop bien leur situation d’armée modeste en territoire hostile, et il valait mieux endiguer par avance les renforts ennemis, plutôt que de se précipiter vers la destination et s’y retrouver assailli de toutes parts. Jusqu’ici, Belannaer avait guidé l’expédition, en suivant depuis le début le chant muet d’Aliathra. Malgré cela, il avait encore assez de ressource pour déceler, sur le chemin, lesquels des mausolées antiques et manoirs en ruine nécessitaient l’intervention d’Eldyra.
Leitdorf ne supportait pas la lenteur qu’entraînaient ces précautions, pour lui superflues, et il tenta plus d’une fois d’aborder le sujet avec Eltharion. Chaque tentative essuya un refus poli mais ferme, et son humeur s’en ressentit de plus en plus. L’enjeu de cette expédition était au moins aussi important pour lui que pour ses alliés, et il prenait fort mal le mépris qu’ils lui semblaient afficher à son égard.
Incapable d’influencer les Elfes, le grand maître poussa d’autant plus ses propres forces. Les hommes de l’Empire prirent chaque jour plus d’avance, et quand Leitdorf atteignit le village de Klodebein, cinq bonnes lieues séparaient son arrière-garde de l’avant-garde d’Eltharion.
C’est alors que Mannfred frappa.
Leitdorf aurait dû se rendre compte bien avant l’attaque que quelque chose n’allait pas. Comme la plupart des villages traversés, Klodebein était quasiment désert. On n’entrevoyait de lumière que dans le quart des pauvres masures tout au plus, et personne ne sortit saluer le passage des chevaliers. Même le veilleur au visage de fouine, dont le tricorne et le manteau avaient plusieurs décennies, ne chercha ni à les saluer ni à les interpeller. Il se contenta de fuir dans sa chaumière comme si la mort était à ses trousses. Leitdorf, en homme bien né, prit cela pour la crainte naturelle des gueux vis-à-vis des guerriers, et ne s’en soucia pas. Ce n’est que lorsque la colonne parvint au vaste jardin de Morr à la limite sud du village, et que les Vargheists surgirent de leurs cachettes parmi les caveaux, que le grand maître comprit que la terreur des villageois n’avait pas été provoquée par ses chevaliers.
Pris au dépourvu alors qu’ils faisaient marche, les Chevaliers du Sang de Sigmar n’avaient pas grand espoir. Ils tentèrent de se mettre en formation au son des trompettes, mais les tombes serrées entravaient leurs efforts. Leitdorf, horrifié et impuissant, assista à la mise en pièces de son avant-garde dans un tourbillon de sang et d’armures brisées. Une volute de Magie maléfique s’éleva d’un sépulcre, pourpre contre le ciel assombri. Devant elle se découpait la silhouette narquoise du comte Mannfred von Carstein. Puis les zombies se hissèrent hors de l’étreinte humide du cimetière, et les pensées de Leitdorf se tournèrent vers son propre salut.
Leitdorf éperonna son destrier pour lui faire traverser la horde de zombies, frappant et taillant la chair morte de son épée luisante. Les chevaliers le suivirent. Lâchant leurs lances, ils abattirent leurs lames tout en incitant leurs montures à foncer sans hésitation dans l’ignoble foule. Les Morts-Vivants se pressaient en cherchant à atteindre les chevaliers de leurs doigts mangés aux vers et de leurs armes rouillées. Même si les zombies avaient été cinq fois plus nombreux que les chevaliers, ces derniers auraient triomphé. Mais le cimetière de Klodebein dégorgea des centaines de cadavres titubants, et d’autres encore sortirent de l’orée du bois vers les guerriers de Heldenhame. Il y eut bientôt dix zombies pour chaque âme vivante, et les hommes de Leitdorf commencèrent à mourir.
Tout d’abord, les chevaliers tombèrent un à un, tirés de leur selle par des dizaines de mains avides et piétinés dans la glèbe. La boue du cimetière tua ainsi autant de guerriers que les lames corrodées des morts. Le tribut prélevé s’accrut très vite quand les Vargheists sifflants se joignirent à la mêlée. Les êtres ailés désarçonnaient les chevaliers, leurs serres perçaient les plates comme du parchemin desséché, et ils se repaissaient avidement du sang versé avant de trouver de nouvelles victimes. L’une de ces bêtes abattit le porte-étendard à la droite de Leifdorf, puis resta interdite quand le grand maître la frappa violemment au visage de son lourd bouclier. Avant que le Vargheist reprenne ses esprits, Leitdorf lui plongea son épée dans la gorge, poussant une exclamation triomphale.
Le grand maître déchanta aussitôt en voyant la tournure de la bataille. Le sol entre les cryptes était jonché de corps de chevaliers. Certains se relevèrent en une parodie de vie, sous l’influence magique de Mannfred. Leitdorf comprit aussitôt que la bataille était perdue, mais il ne désespéra pas. Le déluge de sorcellerie se poursuivait en marge du cimetière, et le seigneur autoproclamé de Sylvanie était bien visible sur cet arrière-plan. Leitdorf se jura que même si son ordre était perdu, le Vampire périrait avec lui ; de la sorte, dans l’au-delà, les chevaliers pourraient au moins se tenir tête haute devant Sigmar. Leitdorf chargea, suivi par sa garde rapprochée, et ils percutèrent de front un groupe de Vargheists. Leitdorf ne perçut que sang et douleur ; puis il avait franchi l’obstacle des créatures, chevauchant sur les pavés de la grande allée du cimetière. Il ne restait en selle que la moitié des chevaliers qui l’avaient suivi dans sa charge, les autres étant tombés sous les crocs des monstres. Toutefois, la voie était libre : Mannfred von Carstein était presque à portée.
Mannfred, voyant avec quelle témérité Leitdorf chargeait, fut frappé par la résolution du chevalier. Le Vampire, comme en tant d’occasions jadis, était fasciné par l’inimitable bravoure empreinte de stupidité dont les humains faisaient preuve. Puis il se focalisa à nouveau sur l’instant présent, et tendit la main pour libérer sa sorcellerie. Sous l’allée s’animèrent des squelettes qui reposaient déjà là quand Sigmar était jeune, mais qui répondirent promptement à l’appel de Mannfred. En un tournemain du Vampire, un amas d’ossements blanchis et de lances antiques forma une phalange ordonnée juste devant lui, en plein sur la route de Leitdorf.
Quand il vit les squelettes former les rangs, Leitdorf sut qu’il était un homme mort. Il était trop tard pour se détourner, trop tard pour freiner son coursier, aussi fit-il tout ce qu’il lui restait à faire : il leva son épée en criant de défi. Les chevaliers heurtèrent la phalange un instant plus tard, et l’air vibra des cris des hommes et des chevaux comme l’élan de leur charge les jetait sur les lances. Le destrier de Leitdorf s’effondra, le poumon percé par un fer rouillé, et le grand maître fut catapulté dans la masse de squelettes. Dans un craquement sec, deux Morts-Vivants amortirent bien malgré eux la chute de Leitdorf, qui se releva sans délai, luttant pour sa vie à grands coups d’épée. Le grand maître ne pouvait pas voir au-delà de sa prochaine parade, de sa contre-attaque suivante. Il réduisit un squelette en miettes, puis sentit dans son mollet droit la morsure d’un épieu à travers son armure. Il détourna une lance vétuste, puis il abandonna son bouclier auquel deux squelettes s’agrippaient pour l’entraîner à terre. Un coup de taille, une parade, une estocade, et un autre squelette tombait, puis encore un. Soudain, Leitdorf se retrouva au milieu d’un espace dégagé. Il n’eut pas le temps de nourrir un espoir, car il vit que les squelettes s’étaient délibérément écartés. Ils formaient une haie d’honneur qui s’élargissait en un couloir d’os, et à l’autre bout, Mannfred von Carstein observait avec intérêt. Poussant son cri de guerre, Leitdorf se rua vers l’ennemi haï. Mannfred sourit, les canines brillant sous la lune, et leva son épée.Quand l’avant-garde d’Eldyra parvint à Klodebein, elle trouva de nombreuses traces de bataille, mais aucun rescapé. Le village était réduit en tas de gravats puants. Il ne restait des chevaliers que des corps brisés et des bannières piétinées. Seul Leitdorf était encore identifiable, parce que son corps exsangue était pendu bien en vue au sud du village. L’étendard des Chevaliers du Sang de Sigmar était drapé autour de lui comme un suaire. Sur son front était gravé Et il n’en resta plus qu’un.
Les Hauts Elfes se retrouvaient dans une situation alarmante. Privés d’alliés humains par la témérité de ceux-ci, ils avaient en outre l’infortune de ne plus pouvoir compter sur les Nains. Pourtant, ils ne rebroussèrent pas chemin, et allèrent au-devant de tout ce que Mannfred leur envoyait. Le seigneur de Sylvanie ne chercha pas à les affronter en personne, car à l’approche de Geheimnisnacht, il se concentrait sur le détournement du rituel d’Arkhan à son propre profit. C’est pourquoi Mannfred envoya un capitaine après l’autre pour arrêter les Elfes, et sa frustration grandissait à chacun de leurs échecs.
Toujours guidés par le chant muet d’Aliathra, les Hauts Elfes parvinrent enfin à la combe du Deuil au moment où Morrslieb et Mannslieb étaient pleines, au début de Geheimnisnacht. En contrebas, ils virent le cercle des Neuf Démons, et l’immense armée immobile des morts qui s’y était assemblée. Quand Eltharion et ses officiers virent l’ampleur de ce à quoi ils faisaient face, ils surent que leur quête avait tourné au suicide, mais ils n’y renoncèrent pas, car ils n’en connaissaient que trop bien l’enjeu. Ils décidèrent que leurs soldats devaient eux aussi le savoir. En effet, jusqu’à ce moment précis, aucun membre du corps expéditionnaire ne connaissait l’identité de la personne qu’ils venaient secourir, mais une fois que les guerriers de Tiranoc d’Yvresse se furent assemblés en marge de la combe, Eltharion leur révéla que le destin d’Aliathra, et donc d’Ulthuan, était entre leurs mains.
L’ost demeura immobile et silencieux un moment, puis un Elfe, un noble de la cour de Seledin, leva le plat de son épée contre sa poitrine pour exécuter le salut traditionnel d’Yvresse. Iselendm yevithri anthri, » clama-t-il : par notre mort nous servons. Sous les yeux d’Eltharion, chaque guerrier reprit le salut, en une vague qui traversa l’ost tout entier. Le cœur plein de fierté martiale, Eltharion rendit le salut, et donna l’ordre d’avancer.
Mort aux Neuf Démons[modifier]
L’Ost Stormraker[modifier]
L’ost Stormraker se composait en majeure partie de régiments de Tiranoc et d’Yvresse, mais on y trouvait aussi des forces issues d’autres royaumes - principalement parce que leurs capitaines avaient une dette envers Tyrion ou Eltharion. Il s’agissait du plus grand ost à avoir livré bataille dans l’Empire depuis des décennies. Eltharion le Sinistre, Prince d’Yvresse Eldyra, Princesse de Tiranoc Belannaer, Maître du Savoir de Saphery La Bannière Stormraker Les Sentinelles d’Astaril Les Chevaliers du Crépuscule Les Hérauts de la Foi d’Athel Tamarha |
Les Elfes surgirent dans la Combe du Deuil comme un éclair d’argent dans le ciel nocturne. Les enfants d’Ulthuan se savaient inférieurs en nombre, et reconnaissaient qu’ils trouveraient sans doute la mort en ce jour, mais cela ne les empêcha pas de charger en chantant à pleins poumons.
À leur tête, Eltharion le Sinistre chevauchait son fidèle griffon Aile d’Orage qui sautait d’ennemi en ennemi. Chaque impact dispersait des ossements sur la lande grise ; chaque estocade de Croc d’Acier mettait fin à une âme sans repos. À la suite du prince venaient les Elfes d’Yvresse : arpenteurs des brumes, gardes de la cour et soldats-citoyens. Ils ne trahissaient aucune crainte. Tous avaient déjà manié le fer au côté d’Eltharion. Sous le commandement du prince, ils avaient enfoncé les portes de Naggarond, mis en déroute les hordes grouillantes de Grom, et semé la mort dans les Terres Arides infestées de Peaux-Vertes. Ils ne pouvaient lui faire défaut en ce jour. Portés sur les ailes du courage et de la nécessité, ils plongèrent dans les rangs des morts, et leur acier éclatant perçait aussi bien les suaires que les armures rouillées. Les mages, désireux de se surpasser, poussaient la végétation de la combe à s’animer, racines et fourrés griffant et saisissant la foule des Morts-Vivants.
Les Elfes allèrent toujours de l’avant, poussant sans répit dans la masse des morts anonymes, car l’arrêt signifiait la mort. Les rangs inépuisables se refermèrent sur eux, les piégeant dans un cercle funeste. De l’humus détrempé sortirent des mains avides, pour saisir et retenir les Elfes le temps que les morts déjà exhumés les achèvent de leurs lances et de leurs sabres. De monstrueuses proto-goules griffues, plus grandes que des Elfes et plus larges que des ogres, se jetèrent dans la mêlée, piétinant les squelettes dans leur impatience d’atteindre l’ennemi. Les arcs vibrèrent et les lances frappèrent sans délai, et plus d’une brute des cryptes s’écroula ou s’enfuit couverte de blessures, mais d’autres vinrent avec une fureur redoublée. Leurs serres venimeuses déchirèrent les armures et les corps des Elfes, qui succombèrent un à un, et leur ost ralentit.
Or, en ce jour, les fils et les filles du Royaume des Brumes n’étaient pas seuls à livrer bataille. Alors que les forces d’Eltharion marquaient le pas, le sol trembla quand la princesse Eldyra ordonna aux Chevaliers de Tiranoc de charger. Ce nouvel assaut percuta les Morts-Vivants massés contre le flanc gauche d’Eltharion, et les balaya comme les flots balayèrent Tiranoc. Les coursiers caparaçonnés d’écailles et les chars de vif-argent apparurent soudainement dans les rangs adverses, et les cris de guerre des équipages couvraient même les craquements d’os. Les roues cerclées de fer broyaient les squelettes et des revenants antiques étaient libérés par la destruction de leur corps.
Au fond de la combe, au centre du cercle de pierres dit des Neuf Démons, Mannfred von Carstein contemplait le massacre perpétré par les Elfes, et vit qu’il devait agir. Il connaissait Eltharion depuis la bataille de Nagashizzar, et il avait compris que le prince n’était pas un adversaire à prendre à la légère. Le Vampire n’avait aucun désir de quitter le cercle, car il s’agissait du seul endroit d’où il pouvait prendre le contrôle du rituel d’Arkhan. D’un autre côté, Mannfred savait bien qu’il fallait arrêter les Elfes pour que le rituel ait seulement lieu, faute de quoi tous ses efforts auraient été vains. Néanmoins, le Vampire estimait qu’il avait encore le temps de mettre en déroute les Elfes impudents et de duper le vieux Liche. Il décida de quitter le cercle, appela à son côté les Templiers de Drakenhof, et chevaucha jusqu’au cœur du combat.
Tout en se concentrant sur le rituel, Arkhan s’amusa du départ du Vampire. Tout se déroulait selon les plans du Liche. Peu lui importait la bataille au-delà des pierres dressées. Les premières étapes, étaient accomplies : après avoir placé un Livre de Nagash au pied de chacun des Neuf Démons, Arkhan éveilla leur pouvoir un par un à l’aide d’Alakanash, le sceptre du Grand Necromancien. À présent, une lueur écarlate transparaissait au sein des pierres, et une barrière magique tourbillonnante prenait forme sur le pourtour du cercle rituel.
La première offrande, Morgiana la fée, gisait morte aux pieds d’Arkhan, vidée de son sang dans le chaudron au centre du cercle. Le riche fluide étincelait de Magie vitale, et Arkhan avait pris grand soin de ne pas être touché par la moindre gouttelette. La deuxième offrande, le Grand Théogoniste Volkmar, était dans le chaudron, debout jusqu’aux chevilles dans le sang de la fée enchanteresse. Il était maintenu ainsi par les chaînes d’acier qui retenaient sur son corps l’armure noire de Nagash, Morikhane. Volkmar avait été tiré de sa transe quelques heures plus tôt, car la réussite du rituel exigeait qu’il soit conscient. Le vieillard ne cédait pas à la terreur, malgré des mois de torture, et il maudissait Arkhan, en essayant encore et toujours d’invoquer le saint nom de Sigmar pour anéantir son ravisseur. Sans succès, car pour l’heure, l’enchantement apostatique tenait bon, et les imprécations de Volkmar n’étaient pour Arkhan qu’un bourdonnement de mouches.
La dernière victime était attachée en marge du cercle de pierres. Aliathra d’Ulthuan, était encore en vie, et même si elle ne vitupérait pas comme Volkmar, elle n’en soutenait pas moins fermement le regard du Liche. L’arrivée d’Eltharion lui avait rendu espoir, car elle le savait presque aussi résolu que son père. Mais Aliathra ignorait qu’Arkhan savait de longue date comment elle avait guidé les Elfes par son chant muet. En fait, il avait activement caché cela à Mannfred. Arkhan ne craignait pas les Elfes ; pour tout dire, leur présence était bienvenue car elle retardait l’inévitable trahison du Vampire.
Sur son ignoble destrier, Mannfred ne savait rien de tout cela. Le Vampire puisa dans les courants magiques pour insuffler une vigueur nouvelle à ses serviteurs. Du moins, c’est ce qu’il tenta. À deux reprises, alors qu’il était sur le point d’achever une incantation, une rafale inattendue de vent de Magie le frustra de son pouvoir. Sa troisième tentative fut pareillement un échec. Le Vampire comprit qu’il ne s’agissait pas d’un caprice des huit vents, mais d’une machination des mages elfiques qui pensaient pouvoir s’opposer à lui. Montrant les crocs, le Vampire se dressa sur ses étriers et parcourut du regard le champ de bataille. Il vit un mage, qui fut aussitôt assailli et entraîné à terre par une meute de Loups Funestes. Mannfred s’autorisa un sourire pincé, et chercha de nouveau à atteindre les vents de Magie, mais en vain une fois encore.Un instant plus tard, son regard se figea sur celui qu’il recherchait. À l’arrière d’Eltharion, une troupe compacte d’Elfes à hauts plumets faisait tournoyer ses hep longues avec une virtuosité meurtrière. Protégé par les maîtres des épées, traçant à toute vitesse des runes ardentes dans l’air, un Elfe âgé dominait le champ de bataille du haut d’une colonne de rochers flottants. Mannfred reconnut aussitôt en lui le mage qui contrecarrait ses efforts ; une fois qu’il aurait tué cet imbécile décrépit, les autres mages pourraient être balayés avec aisance. Mannfred se trouvait encore loin de cette portion du champ de bataille, mais c’était sans importance, car n’était-il pas le maître de tous les damnés de Sylvanie ? D’un hululement guttural, le Vampire ordonna à ses laquais de tuer le mage impertinent.
Jamais, de toute sa longue existence, Belannaer n’avait connu des flux de Magie aussi abondants. Il y en avait trop. Avant même que le premier coup fût porté, il s’était efforcé d’assagir les vents de Magie, mais il en restait toujours un surplus que l’ennemi pouvait exploiter. Le mage ne pouvait espérer tenir en échec les sorts du Vampire qu’en se focalisant à l’extrême ; la moindre distraction serait fatale. Et cela vint sous la forme d’un ost spectral hurlant qui coulait tel un torrent au-dessus des Elfes, et cherchait à s’emparer du mage. Les maîtres des épées ne pouvaient arrêter un tel ennemi, et Belannaer savait qu’il devrait assurer seul sa propre défense. Un vaste raz-de- marée de flammes grondantes surgit des mains tendues du mage. Le brasier épargna les vivants, mais consuma les morts. Les esprits furent dispersés comme de la fumée, et les zombies prirent feu comme des torches. D’un coup, les Elfes se retrouvèrent au centre d’un cercle grandissant de morts incinérés. On entendit des exclamations de soulagement, mais Belannaer ne s’y joignit pas. Il sentait le regain de Magie morbide à travers le champ de bataille, et il se savait incapable de lui faire barrage à temps. Les Elfes allaient payer le prix de la manœuvre ennemie.
Mannfred exulta de voir défaillir la résistance à ses incantations ; il avait la maîtrise du champ de bataille. Il entonna à grands gestes l’ultime syllabe de l’invocation, et fut gratifié de voir les corps noircis de ses séides s’emplir d’une non-vie nouvelle. En quelques instants, il avait compensé la moitié de ses pertes, et ce n’était pas fini. Malgré tout, Mannfred sentait que Belannaer tentait encore de défaire sa nécromancie, et il décida de s’occuper du mage lui-même. Le seigneur de Sylvanie leva son épée, et la horde de squelettes qui se pressait contre les Elfes s’ouvrit à ce commandement inaudible. Mannfred tint son épée dressée, et savoura un instant la sensation de son contrôle absolu. Puis il abaissa sa lame à l’horizontale. À ce signal, les templiers de Drakenhof chargèrent lance baissée.
Eldyra vit le danger et ordonna à ses chevaliers de lui faire face au grand galop. Les deux lignes de cavaliers se percutèrent dans le fracas du bois fendu et les éclaboussures de sang. Des Vampires crachèrent leur dernier juron avant de trépasser quand les lances en bois d’étoile leur perforèrent le cœur. Des Chevaliers de Tiranoc en sang vidèrent les étriers. La lance d’Eldyra glissa sur le plastron d’un templier. La princesse tira alors son épée runique et décapita le Vampire d’un revers. Avant même que le corps ne tombe de selle, Eldyra avait repris son avance dans les rangs des templiers, sa lame scintillant à chaque coup. Elle vit Mannfred von Carstein sous la bannière décrépite de Drakenhof, et sut que la mort du Vampire pourrait renverser le cours de la bataille. Eldyra, digne représentante d’une fière lignée de guerriers, n’hésita pas un instant.Mannfred entendit un cri de défi, et fit pivoter sa monture pour faire face à la charge de la princesse. Il détourna sa lame sans effort, dans le tintement clair de l’acier. L’Elfe le frappa à nouveau, et le Vampire se saisit de l’épée. Un instant, le métal lui brûla la peau en grésillant, puis Mannfred arracha l’arme de la main de son adversaire, avec une force qui la jeta au bas de sa selle. Jetant l’épée volée dans le chaos de la mêlée, Mannfred se pencha sur l’encolure de sa bête pour porter le coup fatal, mais Eldyra ne s’avouait pas vaincue. Esquivant le coup, elle tira une dague de sa ceinture et bondit sur le Vampire. Mannfred siffla de douleur quand la lame lui entailla l’épaule, puis quand l’Elfe - toujours en plein bond - changea sa prise et lui planta la dague dans le bras. Eldyra toucha terre et allait frapper de nouveau, mais Mannfred était prêt. Vif comme l’éclair, il la désarma et la prit à la gorge de sa main griffue. La dague n’était pas encore tombée de la main droite d’Eldyra qu’elle frappa du poing gauche, et le Vampire sentit un croc se briser sous l’impact du gantelet. En voilà au moins une qui ne manquait pas de ressource ! Pour ce que Mannfred en avait observé, la plupart des Elfes n’étaient que vanité et ego démesuré, ce qui les rendait fragiles comme du verre filé, mais il pourrait trouver une utilité à celle-ci.
À l’appel du Vampire, des chauves-souris géantes plongèrent des ténèbres pour envelopper l’Elfe rétive dans leur étreinte membraneuse. Quand la nuée se dispersa, Eldyra avait disparu, et le Vampire se tourna de nouveau vers Belannaer.
Non content d’avoir défait une princesse guerrière au cours d’une confrontation physique, Mannfred voulait se montrer meilleur Sorcier qu’un maître du savoir de Saphery. Il avait eu en sa possession les Livres de Nagash pendant des mois, et ce qu’il y avait appris allait bien au-delà des pires cauchemars concevables par des tisseurs de sorts elfiques. Ignorant la bataille qui faisait rage autour de lui, le Vampire prononça une incantation dans un langage guttural. Quand elle atteignit son paroxysme, un orage de Magie brute se mit à tonner au-dessus des mains tendues de Mannfred. Il le laissa enfler un bref moment, sentant sa puissance s’épanouir et menacer de lui échapper ; puis dans un geste presque dédaigneux, le Vampire dirigea l’orage vers Belannaer.
Le mage Elfe était paré. Il avait senti tourner les vents de Magie quand Mannfred avait entrepris de lancer son sort, et il réagit promptement, son intellect sans égal luttant pour définir la bonne combinaison de sort et de contre-sort. En un battement de cœur, le mage avait écarté cent possibilités ; après un second, il en avait défaussé encore autant. Pour finir, Belannaer trouva la solution et chercha désespérément à tisser un bouclier contre l’assaut de Mannfred. Il y parvint de justesse, et encore ne put-il pas disperser la tempête, seulement la retenir. Belannaer ne s’inquiétait pas ; l’attaque avait perdu son élan, et il pourrait consacrer plus de temps à en étouffer l’énergie restante - du moins c’est ce qu’il croyait.
L’orage était l’attaque principale de Mannfred, mais il n’était pas seul. Pendant que Belannaer invoquait son bouclier, le Vampire avait exercé sa noire volonté sur un maître des épées de la suite du mage. Ce ne fut pas aisé, car les adeptes de Hoeth ont une grande discipline mentale, mais Mannfred n’avait aucune envie de se risquer dans un duel de volonté, à plus forte raison avec un vulgaire mortel. Passant outre la résistance psychique du maître des épées, il lui suggéra une impulsion irrésistible. Sans avoir conscience de ses propres gestes, l’Elfe leva son épée avec l’intention manifeste de trancher la tête de Belannaer. Or, averti du danger par quelque instinct, le mage s’écarta brusquement, et le coup lui infligea une longue blessure dans le dos au lieu de le décapiter net. Mais le mal était fait. La douleur qui se répandait dans le corps du mage rompit sa concentration, et son bouclier se dissipa inéluctablement. Belannaer n’eut que le temps de comprendre qu’il avait été défait, avant que l’orage crépitant déborde les restes de son bouclier pour le consumer.
Au centre des Neuf Démons, Arkhan avait ressenti l’explosion d’énergie magique qui accompagnait la mort de Belannaer. L’instant d’après, il entendit le soupir ténu, presque imperceptible, des vents de Magie qui emportaient l’âme du mage vers Ulthuan. Le Liche fut brièvement tenté de s’emparer de cette relique immortelle pour l’ajouter à sa collection, mais des impératifs plus pressants requéraient toute son attention. Des nuages sinistres tournoyaient au-dessus de lui, et des nuées d’ectoplasmes aux cris stridents volaient à travers le cercle comme des lucioles de cauchemar. Les bourrasques assourdissantes soufflaient non pas avec le bruit d’une tourmente naturelle, mais avec l’écho des cris d’agonie d’un être tué il y a des siècles. Le Liche se tourna pour soulever révérencieusement la Couronne de Sorcellerie de son coussin de chair humaine, et la poser sur la tête de Volkmar. Le vieux prêtre se tut en se raidissant, et son regard n’exprima plus que la souffrance quand il sentit un esprit immensément plus ancien que lui-même ronger ses propres pensées.
Mannfred entendait la voix de Nagash portée par le vent, et sut ainsi que le rituel en était à son point culminant ; il devait revenir à l’intérieur du cercle ! Retirant son épée de la gorge d’un heaume d’argent, le Vampire fit tourner sa monture vers les Neuf Démons. Le Liche n’allait pas le priver de sa récompense.
Eltharion constata que la situation allait de mal en pis. Le gardien de Tor Yvresse était entouré d’Elfes morts ou mourants. Sur les milliers qui l’avaient suivi en Sylvanie, il n’en restait que quelques centaines qui avaient encore la force de manier une épée. Ils s’étaient battus comme des héros de naissance ; pour chaque guerrier d’Ulthuan qui tombait, une demi-douzaine d’esclaves de Mannfred étaient bannis dans les abysses, cependant les Morts-Vivants se relevaient bientôt pour regarnir leurs rangs. Eltharion savait que sans Belannaer pour tenir en échec la sorcellerie du Vampire, la bataille était perdue. La victoire était désormais complètement exclue ; la perspective d’en réchapper était un rêve insensé pour les Hauts Elfes. Alors que le hurlement du vent allait crescendo autour des Neuf Démons, Eltharion prit une décision fatidique. Le prince ne pouvait plus sauver Aliathra comme il l’avait promis, mais il pouvait abréger les souffrances de l’enfant de la reine, et peut-être déjouer les plans de ses ravisseurs. Pressant Aile d’Orage de prendre son essor, Eltharion abandonna à regret ses guerriers à leur sort et se rendit en toute hâte au cercle de pierres.
Mannfred était si absorbé par sa course précipitée vers les Neuf Démons qu’il ne se rendit compte de la venue d’Aile d’Orage qu’au moment où le griffon fut sur lui. Néanmoins, l’ombre de l’immense animal fut un avertissement plus que suffisant. Alors que les serres allaient lui déchirer le dos, le Vampire se plaqua sur l’encolure de son destrier, et l’attaque fatale ne parvint qu’à désarçonner le Vampire. À peine le von Carstein avait-il touché terre qu’il s’était remis debout. Aile d’Orage prit un virage serré, pour revenir à l’assaut et permettre à Eltharion d’utiliser sa lance. Le griffon piqua trop vite pour qu’un homme pût l’éviter, mais Mannfred n’était pas un simple mortel. Juste avant que le fer de lance perce son cœur maléfique, le Vampire se jeta de côté, dardant en même temps de sa propre lame. Eltharion manqua sa cible d’un cheveu, mais Mannfred porta son coup avec succès, droit dans le poitrail d’Aile d’Orage, infligeant une blessure profonde. Le griffon perdit toute force, et tomba du ciel en glapissant pour choir à quelques pas de la limite des Neuf Démons. Eltharion fut éjecté de sa selle quand la chute du griffon creusa le sol maudit. Choqué mais invaincu, le prince se leva pour se ruer sur Mannfred von Carstein.
Le Vampire était le plus puissant de son espèce dévoyée ; il l’était davantage que l’Elfe, en plus d’ignorer la fatigue. De son côté, Eltharion était déjà épuisé par la bataille, sa force sapée et ses réactions ralenties par une douzaine de blessures empoisonnées. Il semblait que le prince n’avait aucune chance de l’emporter. Toutefois, il ne s’agissait pas seulement d’un combat physique, mais aussi d’un duel de volonté, et celle d’Eltharion était indomptable. Alors que Mannfred se battait pour sa propre ambition égoïste, Eltharion luttait pour son peuple, et pour respecter son serment à un ami. Jamais le premier de ces combattants n’aurait pu se comparer au second dans ce domaine.
Mannfred obtint le premier sang, et le second. Eltharion broncha à chaque coup, mais sans choir, et il repartait à l’assaut. À sa place, Tyrion serait devenu fou furieux, lui si prompt à la colère, et il aurait asservi cette rage à sa volonté. Mais Eltharion était différent : il gagnait non par la fureur, mais par sa précision époustouflante et son talent inaccessible aux peuples inférieurs. Le prince passait d’un style de combat à l’autre, détournant d’abord la lame de Mannfred avec fracas, avant de la parer avec grâce l’instant d’après. Un grand coup de taille digne d’un chef de guerre Orque précédait une riposte subtile à la mode des écoles d’escrimes de Tilée, et peu à peu le Vampire se voyait forcé de reculer.Mannfred ne pouvait égaler la technique de l’Elfe. Il s’était reposé depuis trop d’années sur sa force et ses réflexes surnaturels ; il avait affronté trop d’adversaires qui n’étaient que des proies, et pas ses égaux. Maintenant, il était en fâcheuse posture. Le Vampire leva son épée pour bloquer un ample coup de taille, mais Eltharion exploita l’élan de la parade pour réorienter son épée Croc d’Acier et entailler le thorax de Mannfred jusqu’à l’os. Grognant de rage, le Vampire se fendit en une violente tentative d’éventrer son adversaire, cependant Eltharion détourna adroitement l’attaque et riposta sauvagement en visant le cou de Mannfred. Le Vampire ne sauva sa tête qu’en levant précipitamment sa main libre, et hurla de douleur quand Croc d’Acier mordit profondément son avant-bras. La lame enchantée fendit la chair du mort-vivant comme le point du jour perce les ténèbres, brisant l’os et ne laissant qu’un membre pendant par de simples lambeaux de chair blanche.
Mannfred sut alors qu’il ne pouvait plus vaincre l’Elfe physiquement. Tenant son bras meurtri, le Vampire recula tout en cherchant à puiser dans les vents de Magie. Sur l’ordre de Mannfred, la Magie ambiante se condensa en six épées noires asservies à sa volonté vengeresse. Pris dans le tourbillon de leur assaut, Eltharion repoussait péniblement leurs coups. S’il en avait eu le loisir, le prince aurait pu penser à recourir au Talisman de Hoeth, pour saper la Magie qui animait les épées. Mais les réflexes d’Eltharion étaient ceux d’un guerrier ; face à un péril tangible, il répondait physiquement.
Mannfred savait que les épées d’ébène n’étaient qu’une diversion temporaire, et il concocta un éclair de Magie brute pour tuer son adversaire ; Le Vampire se jura qu’Eltharion finirait comme Belannaer. Eltharion n’en vit rien. Il luttait pour survivre, et il aurait certainement péri sans l’intervention d’Aile d’Orage. Mû par sa fidélité, l’esprit indomptable du griffon poussa son corps agonisant à accomplir un ultime geste pour son maître. Poussant son dernier cri, Aile d’Orage se jeta sur Mannfred. Le griffon mourut enfin, tué par le sort destiné à son maître, mais même dans la mort, le griffon avait atteint sa proie. Mannfred von Carstein fut précipité à terre, empalé par les serres d’Aile d’Orage. Instantanément, les épées qui menaçaient Eltharion s’évanouirent. Las et sanguinolent, le prince regarda brièvement le corps sans vie. Eltharion aurait voulu prendre le temps de faire ses adieux à son vieux compagnon, mais il n’en avait pas le loisir. Il pouvait sentir que la Magie qui imprégnait le cercle de pierre atteignait son summum. Il pouvait aussi voir faiblement, à travers la barrière ceignant le cercle, le Liche qui amenait Aliathra au chaudron. Il devait agir sans délai, ou tout aurait été vain.
En posant la main contre la barrière magique, Eltharion se rendit compte qu’il ne saurait pas la défaire, aussi se fia-t-il à son instinct de guerrier. Le Croc d’Acier, qui l’avait si bien servi toutes ces années, ne pouvait lui faire défaut. Empoignant l’arme à deux mains, Eltharion l’enfonça dans la barrière. Elle se mit à crépiter quand les runes de l’épée, chauffées au rouge, combattaient l’enchantement d’Arkhan. Rien ne sembla se passer, puis soudain une portion de la barrière se dispersa autour de l’antique lame, et Eltharion pénétra dans l’anneau des Neuf Démons.
Derrière lui, Mannfred von Carstein ouvrit les yeux.
Mannfred von Carstein, les yeux plissés, vit Eltharion jeter son heaume hors d’usage et pénétrer dans le cercle des Neuf Démons. Grimaçant, le Vampire repoussa le poids mort qui fut Aile d’orage, et tituba jusqu’à la barrière magique.
Il fut trop lent. En une ondulation, la brèche se referma, enfermant Eltharion avec les Neuf Démons, tandis que Mannfred était isolé à l’extérieur. Ravalant sa frustration, le Vampire chercha une faille, mais le Seigneur de Sylvanie ne put trouver aucun point faible dans cette création née d’une Magie encore plus antique que lui-même. Entouré d’esprits hululants, Mannfred frappa du poing la barrière, et observait impuissant Eltharion qui s’approchait de sa proie. Il vit l’acier de l’épée elfique fondre comme l’enchantement de ses runes se dissipait. Le Croc avait ouvert un passage à travers la barrière, mais cela avait été son ultime exploit. Sans marquer de pause, Eltharion jeta la poignée fumante et s’attaqua, sans arme, à Arkhan. Le Liche tenait Aliathra par les cheveux d’une main squelettique et la souleva pour la forcer à se pencher au-dessus du chaudron ; de l’autre main, il tenait une dague d’os contre sa gorge. Au milieu du chaudron, Volkmar était inerte, suspendu par les chaînes qui le retenaient. Mannfred se demanda s’il devait prévenir le Liche. Il rejeta aussitôt cette idée. Qu’Arkhan se débrouille seul. Il ne lui était plus utile. Arkhan n’avait aucunement besoin qu’on l’avertisse. Sans hésiter, le Liche lâcha Aliathra et la dague, pour se saisir d’Alakanash. Subitement libérée de l’étreinte, la princesse tomba, se cogna la tête contre le bord du chaudron et glissa à terre inconsciente. Alakanash s’illumina brièvement au contact d’Arkhan, puis redevint inerte quand une main gantée de métal fit tomber le bâton, tandis qu’une autre agrippait le cou osseux du Liche. « Lâche-moi ! » exigea Arkhan. Pour toute réponse, Eltharion le saisit à deux mains. L’Elfe souleva le Liche et l’abattit sur le chaudron. Mannfred pouvait entendre le raclement de l’acier sur l’os quand l’Elfe tenta de rompre le cou du Liche. « Fort bien, » entonna Arkhan, qui referma les phalanges sur un des canons d’avant-bras d’Eltharion. Aussitôt, Mannfred vit des flocons de rouille se détacher du métal. En un instant, la malédiction entropique se transmit de l’acier à la chair. Les gantelets qui enserraient la gorge d’Arkhan se tordirent en se craquelant. La chair de l’Elfe se flétrit à vue d’œil et ses cheveux devinrent gris. Puis un éclair de lueur surnaturelle traversa les yeux du Liche, et Eltharion le Sinistre, Gardien de Tor Yvresse, éclata dans un nuage de poussière. Bon débarras, se dit Mannfred, qui se concentra de nouveau sur ses efforts pour franchir la barrière. Il n’allait pas laisser le Liche le déposséder de sa victoire ! Le Vampire vit qu’Aliathra s’était relevée tant bien que mal pour faire face à Arkhan. « Mon père te détruira pour cela, » dit-elle sèchement. Ce n’était nullement la peur qui transparaissait dans sa voix, remarqua Mannfred, seulement de la fermeté teintée de résignation et de lassitude. Contrairement à ce qu’il aurait pu supposer, la princesse ne semblait pas céder au désespoir après avoir été témoin de la mort de son sauveur. |
Le Vampire se surprit à apprécier une telle attitude - tout ce qui pouvait contrarier le Liche était bienvenu.
« Ton père est déjà mort, » répondit Arkhan en ramassant sa dague. « Mes alliés y ont pourvu. » Aliathra ne détourna pas le regard. « Si puissant que tu sois, tu ne sais rien. » « Nous verrons bien. » Arkhan s’avança pour saisir à nouveau les tresses d’Aliathra. La princesse ne résista point, et s’avança même, posant ses mains liées contre le torse du Liche. Il y eut un bref éclair blanc et Arkhan recula comme sous le coup d’une brûlure. « Qu’as-tu fait ? » protesta Arkhan, en se reprenant. D’une torsion du bras, il obligea Aliathra à se pencher au-dessus du chaudron. « Tu verras bien, » cracha-t-elle. Dans un crissement de colère, Arkhan passa sa dague sur la gorge d’Aliathra, et le sang royal jaillit. Il éclaboussa les bras squelettiques du Liche et la robe de Volkmar, mais la majeure partie coula dans le chaudron, où il se mêla au sang de la fée enchanteresse. Abandonnant le corps de l’Elfe agonisante, Arkhan prit avec précautions la Griffe de Nagash dans un coffret au pied du chaudron. « Endrek, melis savar ! » clama le Liche, et le sang se mit à bouillir dans le chaudron. Arkhan daigna se tourner vers Mannfred pour la première fois. « Réjouis-toi, dernier des Von Carstein, car notre maître reviendra bientôt. » « Laisse-moi entrer ! Exigea Mannfred. » « Pour que tu puisses subvertir le rituel à tes propres desseins ? » répondit Arkhan avec mépris. « Certainement pas. » Ivre de rage, Mannfred attaqua la barrière par tous les moyens à sa disposition. Sa sorcellerie, son épée, ses griffes même, mais en vain. L’indifférence du Liche à son égard le rendait encore plus furieux. De son côté, Arkhan alla tranquillement vers Volkmar. D’un geste, il fit jouer les chaînes de sorte que le bras du Grand Théogoniste inconscient se tende à l’horizontale. « Azkal, mek Nagash, » incanta Arkhan en appuyant le tranchant de sa dague contre le poignet tendu de Volkmar. « Azkal, Azkal. » La lame émit une lueur verte, et Arkhan trancha d’un coup sec. Sous cette contrainte, les chaînes se tendirent l’espace d’un instant, mais le membre ne résista pas davantage. Volkmar, hurla, réveillé par la douleur soudaine, alors que sa main tranchée tombait dans le chaudron. Sans un mot, Arkhan délaissa sa dague et plaqua la Griffe de Nagash sur le moignon sanglant de Volkmar. Sitôt en contact, ses doigts prirent vie, se serrant et desserrant comme pour éprouver leur force. Arkhan lâcha la main de son maître, et elle demeura attachée au bout du bras, griffant l’air. « Ezkel mek endrekel ! » Entonna Arkhan en reprenant Alakanash, qu’il brandit bien haut. En réaction, des vrilles de Magie Noire jaillirent de la Griffe de Nagash. Elles semblèrent hésiter un moment, ondulant comme des serpents en quête de proie. Puis elles se retournèrent pour plonger dans le poignet mutilé de Volkmar. |
Le Sigmarite criait et se débattait contre ses chaînes alors que le membre de Nagash s’ancrait dans son bras. Le sang coula davantage quand les vrilles de Magie ressortirent. Elles s’entortillèrent le long du bras de Volkmar, puis dardèrent vers Morikhane. De là, les vrilles se multiplièrent et se répandirent en creusant à travers tout le corps de Volkmar, comme autant de sillons mouvants causés par une sorcellerie impie. Peu après, là où se trouvait le visage du prêtre, Mannfred ne voyait plus que les yeux révulsés et la bouche grande ouverte du supplicié. Volkmar cessa de crier quand les vrilles achevèrent de se refermer sur sa tête pour converger au fond de sa gorge.
Il ne restait plus trace de Volkmar, rien qu’une masse de Magie Noire animée de pulsations, dont les vrilles s’étiraient et enflaient en se nourrissant du sang dans le chaudron. La croissance de cette masse était telle que les chaînes étaient sur le point de rompre. Arkhan retira avec mille précautions la Lame Fatale de son berceau d’os, et la pointa vers le chaudron. « Eznek malikal ! » L’épée se souleva des mains d’Arkhan et demeura suspendue un moment. Puis dans un craquement sec, l’arme se fragmenta en mille éclats scintillants qui plongèrent droit dans la masse de Magie mouvante. La Lame fatale, qui avait jadis tué Nagash, contribuait maintenant à sa résurrection. En marge du cercle, Mannfred sentit le vent forcir et le chœur grinçant des esprits aller crescendo. Il sentit le sol trembler et se soulever quand le rituel d’Arkhan força la porte entre le monde des vivants et celui des morts. Les yeux des Neuf Démons s’illuminèrent de haine quand la Magie qui les liait à la pierre s’affaiblit juste assez pour leur donner un espoir de liberté. Dans le ciel, le tonnerre gronda de plus belle, les Neuf Démons grandirent encore, la barrière finit par s’effondrer et sa Magie se dispersa comme de la fumée dans la brise. Quand elle acheva de disparaître, Mannfred ne vit plus trace de Volkmar, ni de ses chaînes. À sa place, dominant le chaudron désormais asséché, se trouvait à présent une immense silhouette squelettique, autour de laquelle des orbes de Magie flottaient comme des feux follets. La silhouette demeura un moment immobile et silencieuse. Puis ses yeux s’illuminèrent d’un feu spectral couleur d’émeraude. Arkhan se prosterna, en tendant Alakanash telle une offrande. « Maître… » murmura-t-il. Nagash descendit du chaudron et prit Alakanash des mains d’Arkhan. « TU AS BIEN AGI, MON SERVITEUR. » Les paroles de Nagash se réverbéraient dans l’esprit de Mannfred autant qu’il les entendait. « LE GRAND ŒUVRE PEUT COMMENCER. » Le Vampire sentit la pression sur son esprit quand le regard du Grand Nécromancien se porta sur lui. Mannfred comprit qu’il avait perdu ; il ne pouvait pas davantage contrôler cette créature qu’il n’aurait pu dominer les Dieux. « ME SERS-TU ? » « Oui, » dit Mannfred en s’agenouillant, et en espérant que Nagash ne décèle pas son amertume. « Je te sers… maître. » |
Edyra s’éveilla, seule et sans arme, dans une parodie délabrée de demeure noble. Le tapis était envahi par la moisissure, les murs étaient ornés de tapisseries en peau humaine, et le seul éclairage était fourni par des chandelles à l’odeur de suif, dont elle préféra ignorer la provenance.
« Bienvenue. » La voix, au ton froid et à l’élocution précise, avait une trace d’accent qu’Eldyra ne pouvait identifier. Se retournant pour en voir la provenance, la princesse vit un personnage mince impeccablement vêtu qui sortait des ombres de la pièce. Il semblait humain à première vue, n’eut été sa pâleur et son regard de prédateur. Eldyra chercha l’épée qui n’était plus à sa ceinture, puis serra les poings et se jeta sur le Vampire. Au moment de frapper, un chœur de voix sifflantes retentit dans la tête d’Eldyra, en une cacophonie insupportable par son volume et son intensité. Eldyra s’éloigna du Vampire, plaqua les mains sur ses oreilles et tomba à genoux. L’horrible bruit cessa. Respirant profondément pour la première fois depuis qu’elle s’était réveillée, se rendit-elle compte avec horreur, Eldyra regarda son tortionnaire. Le Vampire n’avait pas bougé, et la regardait avec amusement. « Tu fais désormais partie des nôtres, » lui annonça-t-il en souriant méchamment, « et notre seigneur ne nous autorise pas à nous battre entre nous. Bienvenue au château Drakenhof. » |
Depuis des milliers d’années, le Grand Vortex d’Ulthuan avait siphonné les vents de Magie du monde, diminuant la puissance du Chaos, et la sorcellerie qui en découlait. Nagash cherchait maintenant à libérer Shyish, le vent de la mort, à l’attraction du Grand Vortex, pour se l’attacher. Ainsi deviendrait-il Magie incarnée, un avatar de la mort, assez puissant pour défier les Dieux du Chaos et briser à jamais leur influence sur le monde.
Tout autour du cercle, les Livres de Nagash s’ouvrirent subitement. Arkhan avait n’avait mobilisé qu’une fraction de leur puissance lors du rituel de résurrection, et tout à coup les volumes s’agitaient. Leurs pages se tournaient frénétiquement comme Nagash récupérait la Magie qu’il y avait jadis inscrite en lettres de sang. Des esprits antiques hululaient en s’échappant de leur prison. Ils tourbillonnaient autour du Grand Nécromancien, comètes fantomatiques en orbite autour d’un astre noir, cherchant continuellement à lui échapper, mais impuissants face à sa volonté implacable. Nagash attirait à lui ces esprits désespérés, qu’il annihilait un par un d’un pincement de doigts, pour dévorer leur essence. Nagash leva ensuite les mains au ciel, qu’il perça d’un pilier de ténèbres. Les derniers esprits se retrouvèrent aspirés et emportés dans les nuées furieuses. Alors que la foudre zébrait les cieux, le Grand Nécromancien prononça les ultimes paroles de pouvoir, plongea sa Magie au cœur du Grand Vortex, et lui arracha son trophée.
Le monde réagit en tressaillant. En Ulthuan, les montagnes Annulii tremblèrent sur leurs bases, et les eaux virèrent au noir autour de l’île des Morts. À Naggaroth, des flux de flammes pourpres jaillirent de temples secrets jusqu’à Ereth Khial, et une cité fantomatique hurlante apparut sur les ruines de Har Kaldra. Les temples de Nehekhara furent envahis de scarabées khepra, et d’antiques monuments qui avaient dominé le désert depuis des milliers d’années disparurent sous les sables. Settra l'Impérissable exigea une explication que ses prêtres étaient bien en peine de lui fournir. À Altdorf, la panique éclata quand le collège d’Améthyste tomba en poussière, et que les spectres de Sorciers morts depuis des siècles parcoururent les rues. Loin sous Karak Azul, des runes d’alerte ancestrales s’illuminèrent rapidement avant de redisparaître dans le noir. Et dans tous les royaumes, partout où des vivants avaient poussé leur dernier souffle, les morts se levèrent.
Qu’ils sortissent des anciens cairns, des fosses communes ou des sépultures improvisées, les morts s’extirpaient du sol de leurs doigts rongés, dénués d’esprits et mus par la simple pulsion qui les avait éveillés. Nul ne les contrôlait encore, car Nagash consacrait encore tous ses efforts au contrôle de la Magie dont il s’était emparé. Le Grand Nécromancien ne s’en souciait pas pour l’heure, mais ils finiraient par grossir ses armées. Du moins tel était le plan initial.
« Cela a commencé, n’est-ce pas ? » Les mots amers résonnèrent dans l’esprit de Teclis.
« Oui, » répondit-il à voix haute, même s’il savait que son alliée pouvait lire ses pensées. « Aliathra a joué le rôle qu’elle devait, tout comme Nagash. Le vortex est déstabilisé. Votre heure approche. » Teclis éprouverait du remords pour la mort d’Aliathra jusqu’à la fin de sa vie. Il aurait pu secourir sa nièce s’il l’avait voulu, mais les vassaux de Nagash auraient simplement trouvé une autre victime à sacrifier, peut-être même quelqu’un qui était bel et bien d’ascendance divine. L’impureté d’Aliathra leur avait permis de gagner du temps. Son allié rit aux éclats. « Je te connais depuis des années, pourtant je n’aurais jamais cru que tu pouvais être aussi impitoyable ! « Ce sont les circonstances qui dictent nos actes, comme vous le savez si bien. » « Cela ne t’absout pas du sang que tu as sur les mains. Tu dois au contraire en être fier, c’est ainsi que tu deviendras plus puissant. » « Ce genre de pouvoir ne m’intéresse pas. » « Dans ce cas, tu finiras tôt ou tard par faiblir. » « Pourquoi avoir accepté mon plan si vous doutez de moi ? » « Peut-être parce que cela m’amuse de te voir sacrifier tes alliés les plus proches, comme des pièces sur un échiquier. » « La guerre à venir nous demandera des sacrifices tout autant que de la stratégie, » fit remarquer Teclis, en se demandant qui il essayait de convaincre réellement. « Si Nagash avait réussi, il aurait pu affronter les Dieux Sombres de façon prématurée, et il aurait été détruit. Ce n’est qu’en nous alliant à lui que nous avons un espoir de victoire. » « Et ton cher frère ? » se moqua la voix. « Que sait-il de ton plan ? » « Absolument rien, bien évidemment. Il doit juste jouer le rôle que je lui ai attribué. Il n’a jamais compris qu’il était parfois nécessaire d’accepter des sacrifices. Il est persuadé que le courage et l’acier peuvent triompher de tout. Sa témérité risque de tous nous condamner. » La voix se fit plus menaçante. « N’oublie pas, mon neveu, que je suis ton alliée parce que cela me convient. Essaie de me manipuler, et je t’écorcherai vif sans la moindre hésitation. » Teclis faillit éclater de rire. Il était déjà en train de la manipuler, cependant son alliée était aveuglée par son arrogance. « Si Tyrion découvre que j’ai sacrifié sa fille pour que Nagash puisse ressusciter, je doute qu’il vous en laisse l’opportunité, » répondit-il amèrement. |
Tout Ulthuan savait qu’Alarielle et le prince Tyrion avaient connu les batailles de la Plaine de finuval. Mais bien peu savaient qu’ils avaient eu une liaison des années plus tôt, quand le mariage d’État entre la Reine Éternelle et le Roi phénix avait encore cours. Aliathra n’était donc pas celle que croyaient Mannfred et Arkhan. Elle n’était pas l’héritière de la Reine Éternelle, mais une simple bâtarde de la lignée d’Ænarion. Son sang ne portait pas la bénédiction d’Asuryan, au contraire, il était affligé par la malédiction d’Ænarion, qui sapait désormais la force de Nagash.
Arkhan et Mannfred observaient, impuissants, tandis que le Grand Nécromancien ployait sous le poids de la Magie. Arkhan attendait stoïquement des ordres qui ne venaient pas. Pour sa part, Mannfred aurait pris grand plaisir à assister aux souffrances de Nagash si sa propre survie n’avait pas été liée à celle du Grand Nécromancien. Malgré tout, ni le Vampire, ni le Liche ne pouvaient aider Nagash tant les énergies contre lesquelles il luttait étaient immenses.
La colonne de ténèbres dans le ciel commençait à se dissiper. Des vrilles de Magie de mort étaient emportées par le vent et se dispersaient au-dessus des terres. Au début, Nagash refusa de s’avouer vaincu à cause de son orgueil démesuré. Alors que ses forces le quittaient, il continuait de lutter contre la Magie tourbillonnante pour tenter de la plier à sa volonté. Toutefois, il réalisa avec dépit que son corps, bien que d’une résistance hors du commun, était incapable de contenir toute la puissance qu’il avait rassemblée. Il fallait qu’il trouve un autre vaisseau pour ces énergies, un réceptacle qui pourrait retenir la Magie de la mort le temps que son enveloppe charnelle se régénère.D’un coup puissant, Nagash enfonça Alakanash dans le sol. Les flots de Magie furent libérés instantanément et s’écoulèrent dans la terre.
Le sol autour des Neuf Démons se fissura jusqu’à former un abîme circulaire qui isola le cercle de pierre sur un pilier de roche. Les secousses sismiques se propagèrent et créèrent des failles aux alentours, où furent précipités bon nombre des cadavres fraîchement ranimés des Elfes de Tiranoc et d’Yvresse. Les fissures se propagèrent à des lieues à la ronde. À plusieurs milles de là, les murs du Château Sternieste s’écroulèrent dans une avalanche de maçonnerie lorsque les fondations de l’édifice furent dévastées. Partout en Sylvanie, des couches géologiques de la taille de villes entières furent englouties par le manteau de la planète. Finalement, dans un grondement tonitruant et dans un éclair de lumière versicolore, les symboles sacrés du Mur de Foi de Gelt explosèrent en dizaines de milliers de fragments.
La Magie inonda les failles. Par endroits, elle bouillonnait comme de l’eau, à d’autres elle formait des fumerolles, telle de la brume balayée par la brise. Des esprits hurlants rassemblant les âmes de milliers de générations, furent emportés par ces courants, et griffaient l’air pour tenter de se libérer du flux. Parfois, un des spectres s’agrippait à un rocher, mais il était inévitablement entraîné par ses congénères qui tentaient de s’accrocher à lui. Bientôt, les Neuf Démons furent un îlot de pierre au milieu d’un océan de Magie scintillante. Plus que jamais, la Sylvanie était devenue la terre de la mort. Alors qu’auparavant la Magie de la Mort était absorbée par le Grand Vortex d’Ulthuan, elle inondait désormais cette région de l’Empire.
Nagash observait ce paysage démentiel sans qu’on puisse deviner ses pensées. Pendant quelques instants, au plus fort du rituel, le Grand Nécromancien avait failli accéder au statut de divinité qu’il convoitait tant, mais le souvenir de cette apothéose si proche s’étiolait rapidement. Maintenant, il sentait les hordes de Morts-Vivants qui erraient stupidement de par le monde, sans qu’il puisse les contrôler. Ce n’était pas une armée qui attendait ses ordres, mais des hordes dénuées de chef qui étaient à la disposition de ceux suffisamment forts pour les diriger.
Pour l’instant, toute confrontation contre les Dieux du Chaos était impossible. Cependant, ce n’était qu’un contretemps. Le pouvoir de la mort s’accumulait dorénavant en Sylvanie, et les enchantements du Grand Nécromancien empêchaient quiconque d’y puiser en dehors de lui-même. Nagash devait retourner dans ses terres ancestrales, jusqu’à sa Pyramide Noire.
Là, au sein de ses murs, il serait en mesure de se débarrasser de la malédiction qui pesait sur lui, et de refaçonner son esprit, comme il l’avait fait tant de fois auparavant. Le voyage serait rude, d’autant plus qu’une vive inimitié existait entre Nagash et Settra, le Haut Roi de Nehekhara. La guerre serait inévitable, mais le Grand Nécromancien savait que ses forces n’étaient pas de taille à vaincre les immenses armées de Nehekhara. De plus, un tel conflit serait long, malheureusement les forces du Chaos se pressaient déjà à la frontière septentrionale du Vieux Monde. Certes, Nagash avait effleuré brièvement le statut de divinité, et de telles épreuves ne l’intimidaient pas. Néanmoins, il aurait besoin d’alliés. Ou plus précisément, de laquais. Dans les jours anciens, Nagash commandait aux Neuf Seigneurs Noirs les plus puissants et les plus loyaux de ses serviteurs. Il était temps de rassembler une nouvelle fois cette fratrie, de recréer les Mortarchs.
Parmi les neuf, seuls trois parcouraient encore le monde des vivants. Arkhan le servirait comme il l’avait toujours fait. Il ne pouvait en être autrement. Neferata, la Maîtresse du Pinacle d'Argent, haïssait Nagash, mais elle le craignait encore plus, elle obéirait donc sans se rebeller. Krell était le dernier de ces trois survivants. Tout comme Arkhan, sa loyauté était indéfectible en dépit de sa précédente allégeance envers les Dieux du Chaos.
La voix de Nagash fut portée par les vents de Magie. Il murmura aux oreilles de ceux qui avaient embrassé son savoir nécromantique. Certains œuvraient déjà pour sa cause depuis des siècles, d’autres avaient été autorisés à conserver l’illusion de leur indépendance jusqu’à cet instant. Bien peu entendirent l’appel de Nagash sous la forme de parole concrètes, mais tous surent à qui appartenaient ces chuchotement dans leurs têtes. Certains refusèrent de se plier à lui. Zacharias l'Éternel hurla d’agonie lorsque Nagash lui grilla le cerveau, après qu’il se fut déclaré l’égal du Grand Nécromancien et eût refusé de le servir. Dietrich von Dohl, le Seigneur Pourpre et seul rival potentiel de Mannfred en Sylvanie, eut l’impudence de formuler des doléances en échange de ses services, et termina en tas de cendre lorsque le Grand Nécromancien aspira la Magie qui lui permettait d’exister. Nagash exigeait une obéissance totale et aveugle.
Certes, ceux qui acceptèrent avaient des motivations cachées, et sentirent leurs pouvoirs grandir quand leur nouveau maître leur accorda une portion de l’énergie ancrée dans le sol de Sylvanie. Mannfred von Carstein jura allégeance car il ne voyait pas d’autre alternative pour poursuivre ses machinations. Il reçut en récompense un Cerbère des Profondeurs originaire de l’Outre-monde.
C’était intolérable ! Mannfred von Carstein enrageait. Certes, Nagash lui avait accordé plus de pouvoirs : il pouvait sentir la Magie parcourir son corps, et il était en mesure de percevoir des choses qui lui étaient invisibles auparavant. Mais à quoi cela lui servait-il s’il n’était pas son propre maître ?
Et ce n’était pas le pire. Il avait été dupé par Arkhan, et maintenant, avec le retour de Vlad, même sa souveraineté sur la Sylvanie était remise en cause. La campagne de Nagash à Nehekhara risquait de durer des années, voire des décennies. D’ici là, Vlad aurait tout le loisir de consolider son emprise sur la terre qui revenait de droit à Mannfred, et d’éroder toutes les dures années de labeur qu’il y avait consacrées. Et c’était sans compter avec la menace qui pesait désormais sur sa propre personne. Vlad n’était pas idiot. Il se doutait probablement du rôle que Mannfred avait joué dans sa mort, quelque cinq cents ans plus tôt, et il était peu probable qu’il lui avait pardonné. Il n’y avait qu’une chose à faire : Vlad von Carstein devait être éliminé. L’ambition de Mannfred l’exigeait. Sa vengeance contre Arkhan et Nagash allait devoir attendre. La seule question était de savoir comment arriver à un tel but. Vlad avait toujours été le plus puissant des von Carstein, et même si Nagash acceptait que Mannfred défie ouvertement son adversaire, il avait peu de chances de sortir vainqueur d’une telle confrontation. Mannfred allait devoir faire preuve de ruse et de patience, comme il l’avait toujours fait. Cependant, tôt ou tard, ses ennemis se mordraient les doigts d’avoir voulu se jouer du digne héritier de la Sylvanie ! |
Luthor Harkon, le Roi Pirate de la Côte Vampire, accepta lui aussi de se soumettre, plus pour tromper son ennui que pour autre chose. Dieter Helsnicht, le Grand Imprécateur de Middenheim, rejoignit Nagash car il voyait là l’occasion d’étendre son savoir en nécromancie auprès de son créateur. Walach Harkon, premier parmi les Dragons de Sang, n’hésita pas lui non plus en pensant aux batailles glorieuses vers lesquelles ce chemin le mènerait. Au cœur des Montagnes Grises était tapi le Sans-Nom, l’esprit d’un enchanteur jadis puissant. Son âme était un maelström de puissance brute, mais son esprit avait été récemment brisé au cours d’un duel de volonté. Il accepta de se soumettre à la condition que le Nagash lui rende sa mémoire.
Un seul parmi les neuf fut recruté par-delà le voile de la mort. Nagash savait qu’il aurait besoin d’un émissaire de confiance dans le nord afin de tenir en respect les forces du Chaos. Mannfred aurait peut-être été en mesure d’assurer cette tâche s’il avait été d’une loyauté à toute épreuve, cependant Nagash porta son choix sur un autre Vampire de cette lignée. C’est ainsi que Vlad von Carstein fut ressuscité. Vlad ne craignait pas Nagash et ne lui accordait aucune confiance, mais il accepta de le servir, car le Grand Nécromancien lui rappela qu’il était en mesure de ressusciter également Isabella, son grand amour. Une fois ce pacte scellé, les neuf Mortarchs furent rassemblés. Ils n’étaient pas l’exact reflet des neuf Seigneurs Noirs de jadis, mais tous auraient un rôle à jouer.
Sur ordre de Nagash, Vlad se dirigea vers le nord. Sa mission était de stopper les hordes du Chaos en les empêchant de passer la frontière de l’Empire. Au début, le Vampire chemina seul, mais une armée ne tarda pas à se rassembler autour de lui tandis que les habitants de Sylvanie se ralliaient instinctivement au maître de la nuit. La tâche de Vlad était ardue, cependant il n’était pas seul : Walach Harkon et les Chevaliers du Fort du Sang étaient en route, et le SansNnom ne tarderait pas à suivre.
Trois des neuf se rendaient vers le nord. Les autres convergèrent vers Nehekhara. Au début, seuls Arkhan et Mannfred étaient aux côtés de Nagash, mais leurs forces ne tardèrent pas à grossir. Neferata et Krell se trouvaient à plusieurs jours de marche vers l’est, mais si tout se passait bien, ils rejoindraient leur maître avant de lancer la conquête de Nehekhara. Helsnicht se rendait lui aussi vers le sud sur un destrier aux ailes de chauve-souris ; quant à Harkon, il avait levé l’ancre.
Les prêtres de Settra ne tardèrent pas à l’informer d’un nuage de ténèbres qui descendait vers Khemri depuis le nord. Le Haut Roi écoutait ces annonces avec anxiété. Il avait déjà combattu Nagash à de nombreuses reprises, et même lorsque ces batailles s’étaient terminées en faveur de Khemri, le prix à payer avait été élevé. Settra convoqua donc ses généraux. Il ordonna que les gardiens des temples soient réveillés et que ses légions soient préparées à l’inévitable combat.
Chapitre III : MORT AU BORD DU MONDE - Printemps 2524 / Hiver 2524[modifier]
Neferata, plongée dans ses pensées, errait seule les dans les couloirs, en étudiant le cadre exquis. Autrefois, ces salles n’étaient rien de plus que des mines Naines, mais elle avait réussi à en faire un palais extravagant, un écho des splendeurs de l’ancienne Lahmia. Des puits de lumière lunaire creusés dans le flanc de la montagne créaient un jeu délicat de rayons argentés. Neferata y avait établi le siège de son pouvoir des siècles plus tôt, et y jouissait du confort dû à une reine immortelle. Elle y avait passé nombre de nuits délicieuses, tenant cour avec ses demoiselles de compagnie, qui comblaient tous ses besoins tandis qu’elle se prélassait dans son aire luxueuse au sommet du monde.Les pics nordiques des Montagnes du Bord du Monde étaient une région inhospitalière, et des enchantements et des illusions protégeaient le royaume de Neferata. Ses serviteurs partaient du Pinacle d'Argent pour propager son influence aux quatre coins du Vieux Monde. Une seule chose pouvait déranger la quiétude de la retraite de Neferata. Une seule chose pouvait la faire quitter volontairement le palais qu’elle s’était aménagé. Nagash, le premier et le plus grand des Nécromanciens, était de retour.
Neferata avait su lire les signes et anticiper ce qui se profilait. Elle savait que Nagash, l’auteur des livres dans lesquels elle avait appris le secret de la vie éternelle, allait ressusciter. En se fondant sur les rapports de ses espions, Neferata conclut que les rituels d’Arkhan - qui devaient commencer d’un jour à l’autre - ranimeraient le Grand Nécromancien. Neferata pouvait déjà sentir des remous dans le royaume spirituel, une présence toute-puissante qui se solidifiait. Le fait que le Sorcier nécromant puisse à nouveau arpenter le monde suffisait à accélérer le pouls de Neferata. Ou plutôt, aurait suffi, si la première des Vampires ne s’était pas écartée de la voie de la mortalité.
Il y avait du sang dans ses veines, et des fluides qu’elle avait consommés et infectés pour son propre usage, mais ils ne coulaient pas. Seule la Magie Noire courait dans son corps, et à présent elle déferlait : Neferata se sentit emportée par une grande cause, une sensation qu’elle n’avait pas éprouvée depuis la fin de son service en tant que capitaine de Nagashizzar.
Neferata, la soi-disant Reine de la Nuit, n’avait pas toutes les réponses, ce qui avait le don de l’exaspérer. Elle en savait beaucoup sur ce qui se passait dans le monde, et en devinait davantage. Du haut du Pinacle d’Argent, elle était comme une araignée au centre de sa toile : nouvelles et rumeurs étaient telles des vibrations sur des fils de soie. Ses demoiselles de compagnie, toutes de belles Vampires créées par Neferata, avaient infiltré les royaumes des hommes. Là, intégrées dans les cours royales et la haute société, elles épiaient la Bretonnie, l’Empire, la Tilée, l’Estalie et les Principautés Frontalières. Neferata surveillait également ses homologues et leurs infâmes complots. Si elle méprisait Mannfred (sentiment réciproque), elle l’avait toujours tenu pour le plus ambitieux des Vampires. Ses espions en Sylvanie l’avaient bien renseignée. Les von Carstein n’étaient pas des débutants en matière d’intrigue, mais c’était Neferata qui la leur avait enseignée, et les élèves n’avaient jamais dépassé le maître.Grâce aux indications rapportées au Pinacle d’Argent, il ne fallut pas longtemps à Neferata pour discerner les motivations plausibles. Après tout, quel autre but pouvait servir une alliance entre Mannfred et Arkhan ? Elle sourit en imaginant Mannfred manipulé de la sorte, convaincu par son orgueil qu’il pourrait utiliser le vieux Liche pour son propre profit. Elle subodora la façon dont cela se terminerait. Puis il y avait eu le mur de foi de Gelt. Neferata fut déconcertée, car la manœuvre avait coupé les communications avec nombre de ses serviteurs. Mais Mannfred devait être encore plus inquiet. Neferata dut attendre qu’Arkhan et Mannfred passent les frontières de Sylvanie pour renouer avec ses contacts. Or, ni Arkhan, ni Mannfred ne l’avaient approchée, que ce fût par leurs incursions ou pour requérir son assistance, ce qui la contrariait de plus en plus.
Neferata savait qu’Arkhan avait aussi peu confiance en elle qu’en Mannfred, voire encore moins. Le simple fait qu’il n’ait pas pris la peine de l’impliquer dans le retour imminent de Nagash, ni même de lui en toucher mot, était troublant. Si les Vampires s’étaient montrés utiles à Nagash par le passé, ils lui avaient failli assez souvent pour justifier la crainte qui grandissait dans l’esprit de Neferata. Quand finalement Arkhan la contacta, elle n’était pas sûre qu’il se présentât pour l’enrôler, ou en tant qu’ennemi déclaré.
Elle savait qu’elle devait agir, mais ne pouvait se faire à l’idée de quitter son sanctuaire - ce fut l’attaque qui la convainquit de partir. Tandis qu’elle examinait les alternatives, une bourrasque ésotérique souffla du nord, droit sur le Pinacle d’Argent. Alors que des nuages grotesques et biscornus s’enroulaient autour de la pointe du pic, les Démons apparurent sur le flanc de la montagne. Toutes ses illusions défensives étaient inutiles face à de tels ennemis. La grande porte fut assiégée et pilonnée sans relâche par des flammes bleues enchantées, tandis que les entrées inférieures étaient bombardées par une artillerie infernale. Même des portes plaquées de Gromril n’auraient pas supporté longtemps un tel traitement. Des créatures griffues n’attendirent pas qu’elles tombent pour se matérialiser dans les gouffres. Neferata dépêcha sa Garde Lahmiane contre elles, mais les squelettes embaumés firent à peine mieux que ralentir les Démons.
Alors même que Neferata se préparait à se joindre à la mêlée, les vents de Magie tournèrent et la tempête disparut. Sans l’afflux d’énergie surnaturelle, les Démons s’éclipsèrent eux aussi. Bien que Neferata sût que de telles attaques étaient de plus en plus fréquentes, elle était certaine que cet assaut ne devait rien au hasard. Les Dieux Sombres lui avaient envoyé cette tempête à dessein, et ce ne fut que par chance, ou à cause de la nature capricieuse de l’ennemi, qu’elle s’était dissipée avant que le Pinacle d’Argent soit perdu. Des ennemis s’en prenaient à elle, tandis que ses alliés d’antan doutaient de son allégeance, voire complotaient contre elle.
L’esprit agile de Neferata tissait déjà des machinations entremêlées. La guerre guettait et il ne s’agissait pas de rallier le mauvais camp. Elle fit signe à ses demoiselles d’approcher, et leur ordonna d’invoquer son armée et d’exhumer ses vieux artéfacts. Elle sourit légèrement - une expression plus menaçante qu’un grognement bestial pour ceux qui la connaissaient. Neferata avait encore quelque chose à faire peser dans la balance, une chose qu’elle avait observée et qu’Arkhan avait clairement manquée.Neferata savait que le rituel allait fonctionner, que Nagash allait se relever, mais il y avait un fait que le vieil idiot avait omis. Arkhan accordait trop de crédit à l’héritage de la fille de la Reine Éternelle. Quand Nagash reviendrait, il ne détiendrait qu’une fraction de ses pouvoirs de jadis ; le Grand Nécromancien aurait besoin d’une incroyable quantité d’énergie ésotérique brute pour retrouver sa vitalité surnaturelle. Jusqu’à ce qu’il ait absorbé toute cette puissance, Nagash serait vulnérable.
Alors que Neferata observait le rassemblement de ses serviteurs, elle soupesa soigneusement ses options. Neferata jeta un dernier regard au pic majestueux du Pinacle d’Argent, dont la pointe était auréolée par la pleine lune, Morrslieb. Après cette dernière contemplation, elle consacra toute son attention à la tâche à accomplir. Le grand ost du Pinacle d’Argent se mit en marche.
Le temps étant compté, Neferata et son armée voyagèrent jour et nuit sans faire aucune halte. Les rares fois où un soleil pâle perçait les nuages bas, Neferata invoquait un voile de ténèbres couvrant ceux qui étaient sensibles à ses rayons. La première des Vampires chevauchait une bête terrifiante faite d’os et de Magie, à la tête de l’immense cohorte. Des rires chantants et froids signalaient la présence de sa cour. Juste après venait la Garde Lahmiane avec ses armures d’écailles de bronze et ses heaumes cérémoniels, reliques de l’âge d’or d’un lointain royaume du désert. Ensuite avançaient les légions de squelettes avec leurs bannières noires effilochées claquant au vent- des régiments anonymes, sans honneur, ranimés pour servir d’outils. La procession se terminait par une caravane s’étirant sur plusieurs milles, emportant les innombrables possessions dont Neferata ne voulait pas se séparer.
Elle avait pris sa décision. Elle pressentait depuis longtemps que Nagash reviendrait ; après tout, le Monarque des Morts ne pouvait pas vraiment mourir… Elle s’était vouée à sa cause à Nagashizzar, lors de la guerre contre Nehekhara, le royaume qui les avait tous deux exilés. Elle avait fui sa colère suite à l’échec des Vampires. Désormais, des milliers d’années plus tard, elle faisait face à un choix : trahir Nagash, ou chercher la rédemption pour retrouver sa place à ses côtés.
Finalement, Neferata arbitra qu’elle devait s’allier à Nagash, ne sachant que trop bien ce qu’il ferait à son retour. Trois mille ans avaient passé depuis qu’elle avait foulé le sable de Nehekhara, mais il n’avait jamais vraiment quitté ses pensées. Son exil lointain, suite à sa condamnation par le maudit Roi Alcadizaar n’était jamais devenu une seconde patrie. Elle se languissait de la splendeur perdue de l’ancienne Lahmia, de ses avenues bien ordonnées et bordées de statues, des magnifiques tombeaux dorés, et par-dessus tout, de la gloire du Temple du Sang. Tandis qu’elle s’efforçait de recréer sa grâce exubérante, son cœur inerte savait qu’elle ne pourrait jamais reproduire cette opulence. Bien qu’il n’en restât plus que des ruines ensablées, elle désirait quand même revoir Nehekhara, pour se tenir une fois encore sur les fondations de Lahmia - et se venger de ceux qui avaient osé l’en chasser. Tel était son désir le plus ardent.
Au fil des âges, Neferata avait souvent manipulé ses champions pour les persuader de semer les graines de sa vengeance. C’était elle qui avait soufflé sur les braises des croisades en Bretonnie, et attisé le goût des trésors perdus chez les seigneurs téméraires des Principautés Frontalières. Elle avait envoyé maintes armées trouver la mort dans le désert. Mais Settra et ses vassaux ne s’étaient pas laissés surclasser aussi facilement. Neferata frissonna en songeant à la magnitude de la haine qu’il vouait à Nagash. Tôt ou tard, le Seigneur de la Non-vie marcherait sur Nehekhara, et elle ne reculerait devant rien pour être à ses côtés ce jour-là.
Avant de pouvoir associer ses armées à une éventuelle reconquête de Nehekhara, Neferata devait d’abord regagner la confiance de Nagash. A priori, elle était censée avertir Arkhan que son rituel ne fonctionnerait pas aussi bien qu’il l’espérait, mais le vieux Liche n’était pas enclin à la croire et, pire encore, était susceptible de l’accuser de ses propres défaillances. Car, tout ce qu’il désirait, c’était rester le plus fidèle lieutenant de Nagash. Neferata raisonna qu’il lui serait plus profitable de jouer le rôle du sauveur que celui du délateur. Et elle savait depuis longtemps où elle pourrait obtenir la source de pouvoir dont Nagash aurait besoin.
Des millénaires plus tôt, avant de s’établir au Pinacle d’Argent, Neferata avait erré. Elle chercha d’abord refuge dans les Terres Sombres, où elle n’aurait plus à endurer la morsure du soleil dans sa chair immortelle. Néanmoins, les hauts pics des Montagnes du Bord du Monde l’attiraient déjà alors qu’elle était encore une mortelle. À Nehekhara, l’ancienne Lahmia s’était toujours distinguée ; c’était la capitale d’une province isolée, coupée du reste de la nation par la pointe sud de la chaîne du Bord du Monde. Dans sa jeunesse, Neferata s’était souvent rendue dans les temples creusés dans ces sommets, avec leurs points de vue dominant le désert et la lointaine Lahmia. Au cours de sa quête d’un emplacement propice pour son palais, elle était tombée sur le Col Perdu des Nains, un ancien axe façonné entre les pics par les Dieux Ancestraux eux-mêmes. D’immenses trésors et des artéfacts y étaient entreposés jusqu’au jour où, selon les légendes Naines, ces divinités renaîtraient de la roche pour aider leurs enfants.Neferata musarda longtemps le long de ces voies, émerveillée par le savoir-faire des bâtisseurs, sidérée par la puissance mystique pure dont était imprégnée la pierre elle-même. Mais toute sorcière qu’elle était, elle n’avait pas la maîtrise suffisante pour libérer toute cette puissance - seul Nagash aurait peut-être su comment se l’approprier. À cette époque, elle fuyait encore sa fureur. Finalement, elle décida que le site ne pouvait pas lui servir de repaire : les barrières runiques étaient trop solides pour que ses serviteurs pussent y entrer. Ainsi, après avoir prélevé deux artéfacts de choix - une tiare d’or et de Gromril, et un passe-partout ouvrant les passages secrets des Nains - elle referma les portes cachées et renforça les runes protectrices avec ses propres illusions. En partant pour tenter sa chance plus au nord, elle sut que sa découverte donnerait ses fruits dans les années à venir, et dissimula donc sa trouvaille avec une cupidité qui n’était pas sans rappeler celle du peuple des montagnes.
Imentet inspecta les rangs fraîchement ranimés, car on ne manquerait pas de l’interroger.
« Pardonnez-moi si ma question est déplacée, Imentet, » dit Bellatash en s’inclinant très bas, « mais savez-vous pourquoi la reine m’a ordonné de relever les armées ? Est-ce la guerre ? » C’était habile, pensa Imentet. Pour commencer, Bellatash était réservée. Imentet n’était pas dupe, car elle avait vu la silhouette gracile de Bellatash ranimer des chevaliers en armure complète. Ensuite, son entrée polie et sa posture suppliante avaient démontré la déférence due à la première demoiselle de Neferata. « Je l’ignore, Bellatash, mais il serait sage de faire comme si c’était le cas, » répondit Imentet en finissant son inspection. Bellatash était la dernière des vingt demoiselles qu’Imentet devait contrôler. Plus tard, Neferata souhaiterait entendre tous les détails - qui rechignait le plus à se mettre en marche, qui était impatiente, etc. Comme tous les enfants de Neferata, Imentet était experte en perception : elle détectait l’agitation en écoutant les battements de cœur, et distinguait le plus faible plissement de paupière. Bien sûr, la cour de Neferata était infiniment plus difficile à déchiffrer que l’aristocratie humaine. Chaque Vampire avait appris l’art lahmian de la manipulation, du subterfuge et de la Magie séductrice des courtisanes. Imentet avait pourtant perçu des choses au-delà des mots. Son intuition lui disait que toutes les demoiselles ne seraient pas jugées aptes à se joindre à la marche du lendemain. Au sein cette hiérarchie féroce, seules les plus loyales demeuraient à la cour de Neferata. |
Des milliers d’années plus tard, Neferata guidait son armée au sud, en direction du Col Perdu. Elle pouvait sentir dans ses veines corrompues qu’Arkhan entamait les dernières étapes de son rituel. Elle devait se hâter d’exhumer l’artefact Nain qu’elle cherchait pour l’offrir à son maître fraîchement réincarné, et ainsi apaiser sa colère tout en s’assurant un rang de choix dans la future hiérarchie.
Voyager dans les Montagnes du Bord du Monde n’était jamais aisé, quoique les Morts-Vivants fussent insensibles au blizzard et au froid extrême ; ils avançaient lourdement mais sûrement. Or, les périls de la voie du sud ne se limitaient pas au climat mortel. Ils croisèrent la Route de l’Argent, en évitant ses confins occidentaux, trop proches de la puissante et irascible Karaz-a-Karak. Toutefois, cela les fit passer un peu trop près des Terres Sombres, et sur le Sentier des Crocs, des meutes de chevaucheurs de loup se mirent à pourchasser l’ost de Neferata. Imentet la favorite des demoiselles, conduisit un contingent d’esprits et de Loups Funestes à l’arrière. Il en résulta une série de batailles à courre dans une cacophonie de hurlements lupins, morts et vifs, résonnant sur le flanc des montagnes.
À maintes reprises, les Morts-Vivants s’attendirent à devoir forcer le passage, mais personne ne leur barrait la route, hormis quelques bêtes sauvages. La Trouée du Blizzard était vide : les tours de guet des Nains qui garnissaient le col avaient été renversées récemment. Neferata redoutait les Skavens du Mont Bossu, car même s’il se dressait loin à l’est, elle sentait le regard des sentinelles. Pourtant, les rapports de ses espions furent avérés : la vermine s’était enterrée profondément, soit pour se remettre de batailles livrées en Tilée et en Estalie, soit pour rassembler ses forces en vue d’une nouvelle diablerie. Ce ne fut qu’au nord du Col de la Mort que la colonne rencontra une opposition sérieuse. Des Gobelins de la Nuit avaient émergé des grottes qui criblaient la région, et marchaient vers le sud pour accomplir quelque dessein malveillant. Ils ne s’attendaient certainement pas à être attaqués par un ost mort-vivant déchaîné. L’une après l’autre, les armées de Peaux-Vertes furent mises en déroute.
L’armée de Neferata passa donc le Col de la Mort, en éparpillant devant elle de nombreuses tribus de Gobelins, et en relevant les cadavres de ceux qui étaient trop stupides pour s’écarter. Il semblait que l’ost allait atteindre sa destination sans avoir à livrer une bataille coûteuse en temps comme en énergie. Mais ce n’était pas ce qu’avait prévu le destin, car lorsque les pics recherchés apparurent au loin, les éclaireurs revinrent en décrivant une immense armée Peaux-Vertes postée au Gouffre du Crâne.
Or donc, c’était là que les Peaux-Vertes s’étaient rassemblés en grand nombre. Surprises par l’arrivée des Morts-Vivants, plusieurs tribus avaient cherché refuge dans les grottes qui bordaient le col - un mélange de cavités naturelles et de mines naines abandonnées. Le choix du passage souterrain était très risqué, car quelques-uns servaient de tanière à des bêtes affamées et à des horreurs innommables. Néanmoins, malgré les pertes, d’innombrables Gobelins cavalaient dans les profondeurs, où ils seraient restés si l’un d’eux n’avait pas eu l’idée de battre le rappel.
Grulsik avait tous les attributs du chef de guerre Gobelin de la Nuit : sournois, effronté et créatif en matière de plans scélérats. Il avait employé sa ruse considérable, et quelques lames aiguisées, pour prendre le contrôle de la tribu des Griffes de Lune. Comme beaucoup, ces Gobelins de la Nuit avaient quitté leur terrain de chasse pour se joindre aux flots grandissants de Peaux-Vertes qui se déversaient hors de leurs repaires des Montagnes du Bord du Monde. Certaines tribus allaient au nord pour suivre Grimgor, mais beaucoup d’autres, y compris les Griffes de Lune, partaient aux Huit Pics pour s’allier à Skarsnik.
On racontait qu’il avait un plan exceptionnel, et les Gobelins de la Nuit se précipitaient pour se joindre au plus célèbre d’entre eux. Il se disait que sa Waaagh ! allait débuter d’un jour à l’autre, et qu’il avait juré qu’elle ne s’arrêterait pas tant qu’il n’aurait pas donné le Haut Roi des Nains en pâture à son Squig de compagnie.
À l’époque, Grulsik était préoccupé par la traversée du Col de la Mort par ses serviteurs, et par l’élaboration de combines qui permettraient à sa tribu de devancer ses nombreuses rivales. Grulsik voulait être parmi les premiers qui offriraient leurs bannières à Skarsnik, et afin d’avertir le seigneur de guerre des défauts des tribus qui voyageaient dans son sillage. Mais toutes ces pensées s’effacèrent lorsque la calamité frappa l’arrière-garde de sa force en marche. Quand il entendit les premiers cris d’effroi, il supposa que les Griffes de Lune étaient attaquées, mais il apparut qu’on tentait de les dépasser. Des membres affolés des tribus des Pics de Sang et des Krân’ de Toile déboulèrent dans la passe, leur fuite éperdue plongeant ses propres gars dans la panique. En un clin d’œil, les sentiers et les pentes se couvrirent de Peaux-Vertes en déroute. Puis Grulsik vit les assaillants.
Çà et là, des cavaliers squelettes fauchaient des Peaux-Vertes dans leur fuite. Sur la crête nord, semblant émerger de sa propre ombre, une procession de Morts-Vivants descendait la voie rocailleuse.
Ainsi débuta une fuite vers le sud qui dura trois jours. Ce fut un périple difficile, Grulsik et le gros de sa tribu devant combattre à plusieurs reprises. Quand des chevaliers Morts-Vivants les débordèrent, Grulsik dut, par un énorme effort de volonté, détourner plusieurs bandes pour les repousser. Toutefois, le choc le plus brutal intervint quand les Griffes de Lune atteignirent les passages étroits du Sentier des Crocs en même temps que leurs rivaux des Lames Matoiz.
La débandade des Peaux-Vertes ne prit fin que lorsqu’ils se mirent à l’abri dans l’une des nombreuses grottes du Gouffre du Crâne. Là, dans un puits de mine abandonné, Grulsik fit le point. Ses coureurs partis en reconnaissance comptèrent, en gros, les gars des Griffes de Lune éparpillés dans les cavernes avoisinantes, mais décrivirent également un mélange de bandes issues de dizaines de tribus différentes, amassé dans le dédale souterrain. Grulsik envisagea alors la quantité exacte de Peaux-Vertes qui s’étaient mise en marche.
Futé comme il était, il ne lui fallut pas longtemps pour imaginer un plan. S’il pouvait rameuter et réorganiser les hordes qui se planquaient sous terre, il pourrait encore se présenter à Skarsnik sous un jour favorable. Il n’avait qu’à les conduire le long du Col de la Mort, jusqu’à la porte est de Karak aux Huit Pics. Et puis, se dit Grulsik, si les Morts-Vivants restaient sur la même lancée, ils passeraient par là dans l’heure. Si toutes les tribus attaquaient ensemble, la victoire était assurée. Grulsik partit donc en tournée de “r’crut’ment’’ dans les galeries. Il se rendit dans des dizaines de grottes, en prenant soin d’éviter celles où son flair affûté lui indiquait qu’elles étaient occupées par quelque chose qu’il valait mieux ne pas déranger. L’entreprise connut un succès spectaculaire, dû en grande partie aux forces qui l’accompagnaient. Grulsik s’était entouré des Chamans des Griffes de Lune, dont les yeux écarquillés scintillaient de puissance mystique - la découverte d’un bon coin à champignons s’était révélée particulièrement payante. Et la redoutable bande de trolls de pierre qui les escortait avait probablement joué un rôle non négligeable.
Certaines de ces bandes, comme les Lune-hurleurs et les Pics de Sang, s’étaient retrouvées séparées de leur chef tribal. C’étaient des cibles de choix pour Grulsik, faciles à intimider et à embrigader. Il envoya immédiatement leurs chevaucheurs de loup en éclaireurs dans le Col de la Mort. D’autres recrues, comme la tribu des Mal Lunés furent plus réticentes. Toutefois, comme la plupart des bandes suivaient les ordres de Grulsik et affluèrent hors des grottes pour se rassembler, il devint de plus en plus dur pour les autres de résister à l’envie de s’enrôler. Même le rival de toujours, Mabbla Nez-crochu, ne put retenir ses guerriers des Lames Matoiz’.
Tandis que les Peaux-Vertes remplissaient l’entrée sud du Gouffre du Crâne, les Gobelins sur Loup revinrent avec des nouvelles. Leurs montures avaient couru si vite qu’elles étaient hors d’haleine et laissaient pendre leurs langues noires. Les Morts-Vivants étaient sur le point de franchir l’accès nord de la grande crevasse, et leur colonne de marche se réorganisait en formations de bataille. En plissant les paupières, Grulsik pouvait discerner un nuage de ténèbres roulant au loin.
C’était la même armée qui avait causé le sauve-qui-peut des tribus, mais la peur des Peaux-Vertes était retombée désormais. Peut-être était-ce dû à la poigne de Grulsik, ou plus probablement à la confiance que leur inspiraient leurs vastes effectifs. En outre, l’ennemi ne se présentait pas par surprise, mais avançait vers eux d’un pas lourd et méthodique.
Grulsik était stupéfait. On eût dit que l’ennemi n’était pas conscient qu’il entrait dans un site parfait pour une embuscade. Avec le zèle d’un chef né et des beuglements à peine plus haut perchés que ceux d’un Orque, Grulsik commença à donner des ordres. Il commanda à diverses bandes de former un semblant de ligne de bataille et surtout, il en envoya beaucoup d’autres dans les grottes qui s’ouvraient de chaque côté.
Ces dernières avaient reçu l’instruction d’attaquer les flancs - et le dos de l’ennemi une fois que les Morts-Vivants se seraient suffisamment avancés dans le Gouffre du Crâne. Bientôt, leurs adversaires seraient assaillis de toutes parts.
Les Squigs grognèrent lorsqu’on les mena en première ligne, et les archers Gobelins de la Nuit encochèrent leurs flèches, tandis qu’un voile noir se déployait au-dessus de leurs têtes et envahissait le canyon devant eux. Au son des cors braillants et des loups hurlants, la Bataille du Gouffre du Crâne commença.
La Bataille du Gouffre du Crâne[modifier]
L’Armée du Pinacle d’Argent[modifier]
Voici la force que commandait Neferata lorsqu’elle quitta le Pinacle d’Argent et marcha au sud pour retrouver la relique Naine perdue appelée l’Arcade de Valaya. Neferata Imentet Les Demoiselles La Garde Lahmiane La Garde de la Maîtresse Supérieure La Légion des Sans Nom Les Crânes Verts Les Piteux |
L’Armée de Grulsik le Grand[modifier]
La force de Peaux-Vertes qui combattit à la Bataille du Gouffre du Crâne - l’Armée de Grulsik le Grand - était un assemblage disparate de survivants des débâcles précédentes face aux Morts-Vivants. C’était un assortiment dépareillé de diverses tribus qui s’étaient ralliées pour prendre position sous les ordres appuyés du chef de guerre Gobelin de la Nuit Grulsik Griffe de Lune. Grulsik Griffe de Lune Brak le Noctule Les Poinçonneurs de Stabba Les Cabrioleurs de Brokko L’Rongeur et L’Cogneur Les Zœils-Ouverts et les Zarcs-Noirs Les Lune-Hurleurs Les Bouffe-Roc |
Neferata observa la ravine lugubre et fronça les sourcils en voyant la masse grouillante d’ennemis. D’un geste méprisant, elle ordonna à la colonne de former la ligne de bataille et d’avancer. Il n’y avait pas de temps à perdre, il fallait donc balayer les Peaux-Vertes, comme les Morts-Vivants l’avaient souvent fait ces derniers jours. Après tout, ce n’étaient que des Gobelins.
Bien que Neferata commandât des armées depuis des milliers d’années, elle le faisait depuis son perchoir raffiné du Pinacle d’Argent, non sur le champ de bataille. Un général plus habitué au terrain aurait remarqué que devant lui s’étendait non pas une masse désordonnée et en proie à la panique, mais une armée déployée en formation de combat. Les rangs en robes noires s’étiraient sur toute l’extrémité sud du gouffre, ponctués de groupes de trolls massifs. Il aurait également remarqué les flux constants de Gobelins de la Nuit qui convergeaient dans les cavernes sur les flancs de l’armée Peau-Verte. En outre, il aurait noté, avec appréhension, les entrées de grottes qui s’ouvraient dans les falaises de part et d’autre de la progression des forces de Neferata.
Toutefois, de tels détails ne méritaient pas l’attention de Neferata. Le gros de son armée se composait d’automates décérébrés ou d’esprits asservis : des créatures dépourvues du minimum de jugeote pour voir les signes révélant qu’ils se jetaient dans un traquenard. Et donc, ils marchèrent tout droit.
Lorsque le pas monotone des légions de squelettes les amena à portée, les archers Gobelins de la Nuit décochèrent un nuage de flèches. Les premières volées sifflèrent et atterrirent dans un concert résonnant contre les parois du gouffre : tintements métalliques quand les casques et les plastrons antiques détournaient les tirs, ou des chocs mats quand les projectiles se plantaient dans les bouliers et les os. Les squelettes impavides avançaient. Des trous apparurent dans leurs rangs comme les flèches frappaient juste et déliaient la Magie qui animait les squelettes, dont les os s’affalaient pour rejoindre les restes qui jonchaient le sol caillouteux.
Les Morts-Vivants avaient presque atteint les lignes adverses quand les Gobelins de la Nuit lâchèrent leurs armes secrètes. En poussant des piaillements de joie, les Peaux-Vertes en robes noires s’écartèrent pour jeter devant eux leurs congénères qu’ils gardaient entravés à l’arrière. Les rangs se refermèrent, et les individus hagards se mirent à virevolter. Chacun d’eux tirait un gros boulet de métal au bout d’une chaîne, qu’ils se mirent à balancer en décrivant des arcs erratiques. Le poids et l’élan des boulets était tel qu’ils décollaient en emportant le Gobelin au bout de la chaîne. Leurs semblables leur lançaient des encouragements stridents, dans l’espoir de les guider dans la bonne direction.
Certains de ces fanatiques allèrent s’écraser dans les formations de squelettes ; les impacts firent voler des boucliers et des os brisés, de sorte que même si le Gobelin n’était plus visible, on pouvait quand même suivre sa progression dans les rangs des Morts-Vivants. D’autres tournoyaient au hasard ou s’abîmaient contre des rochers dans une pluie de fragments et d’hémoglobine. Quelques Gobelins se vissèrent dans le sol, leur chaîne venant s’enrouler autour d’eux avant que le boulet produise le flac final. Malgré leurs pertes, les Morts-Vivants titubaient implacablement vers l’ennemi en comblant les rangs. Le heurt des deux lignes se réverbéra dans le gouffre. Derrière leurs boucliers rudimentaires, les Gobelins de la nuit piquaient de leurs lances ou frappaient de leurs masses plantées de clous. Sans hésitation, les squelettes se ruèrent dans la mêlée en abattant leurs propres lames rouillées. Ce combat ne laissait aucune place aux feintes ou à la finesse - c’était une affaire de coups de taille et d’estoc instinctifs et brutaux.
Beaucoup tombèrent dans les deux camps. Ce fut sur le flanc gauche des Peaux-Vertes que les Morts-Vivants progressèrent le plus rapidement, grâce à l’efficacité de la Garde Lahmiane, les plus redoutables guerriers de Neferata. Ce régiment servait déjà la reine de son vivant dans l’ancienne Nehekhara. Le cérémoniel magique qui avait ranimé ces soldats momifiés les avait dotés d’une force et d’une habileté martiale surclassant les légions hétérogènes que Neferata et ses demoiselles avaient relevées pour garnir le reste de l’armée. La Garde Lahmiane se tailla diligemment un chemin à travers plusieurs bandes d’archers adverses. Les autres Gobelins de la Nuit en conçurent une peur panique, et se mirent à détaler devant les morts à la livrée de turquoise et d’or terni avant même d’être attaqués.Au centre, là où se tenaient Grulsik et la majeure partie des Griffes de Lune, les Peaux-Vertes s’en tiraient beaucoup mieux. Ces bandes de Gobelins de la Nuit n’étaient pas composées d’archers, prêts à décamper au moindre signe de bagarre, mais de combattants dotés de boucliers, et certains de filets. Il s’agissait d’une ruse très répandue chez les Gobelins de la Nuit, inspirée par la chasse aux Squigs dans les souterrains humides.
Le trio de chamans Griffes de Lune s’était lui aussi montré très utile. Leurs incantations criardes insufflaient du courage à leurs semblables, et leurs malédictions désorientaient les squelettes à proximité ; leurs mouvements saccadés étaient encore plus lents, et leurs lames antiques se cassaient après le premier coup. Pourtant, la pression des morts- vivants semblait inépuisable, et même si les Gobelins de la Nuit gagnaient la guerre d’usure au centre, l’avantage acquis paraissait dérisoire.
Sur le flanc droit, la ligne de bataille de Grulsik semblait remporter quelque succès. Ailleurs, les trolls se contentaient de fixer leurs propres pieds, erraient d’un air absent, ou faisaient des petits tas d’os à ronger. À droite, donc, une formation de trolls à peau de roc s’était enfoncée loin en avant en broyant tout devant elle. La cavalerie des Griffes de Lune bondit dans la brèche : Brokko, chevauchant un énorme Squig, alla percuter le flanc de la mêlée centrale avec ses Cabrioleurs. Les Squigs enragés se jetèrent sur l’ennemi, déchirant des squelettes avec leurs crocs tout en broyant les autres avec leur masse.
Suite à cette charge inattendue, le bourbier du centre menaçait de se transformer en déconfiture pour les Morts-Vivants. Il revint à Imentet de conduire la deuxième vague dans le Gouffre du Crâne, et pressentant un désastre, elle entra elle-même dans la mêlée. Son trône de sabbat - un char d’os ornementé, garni de coussins soyeux et tiré par des juments spectrales - vint heurter les trolls de pierre. Imentet était accompagnée de nuées d’esprits et dans son dos montait le hurlement acéré caractéristique des Banshees. En haut du col, Neferata et les demoiselles utilisaient leur nécromancie pour relever des régiments de squelettes, et veillaient à ce que des troupes “fraîches” viennent appuyer l’assaut de la maîtresse supérieure.
La débâcle débuta à l’endroit même où les Peaux-Vertes avaient percé et espéraient fonder leur victoire. Les trolls qui ne furent pas balayés par la charge d’Imentet s’attaquèrent les uns les autres, en proie à une rage hypnotique. Décontenancés par les esprits guerriers, qui n’étaient blessés ni par la lance, ni par la massue, les Gobelins de la Nuit flanchèrent en entendant les cris des Banshees, et des dizaines d’entre eux tombèrent raides morts de peur. Malgré la présence de Grulsik, les Peaux-Vertes tournèrent les talons et s’enfuirent en couinant vers les grottes. La bataille aurait pu se conclure ainsi, mais au dernier moment, le chef de guerre Gobelin déclencha son piège.
Les Gobelins de la Nuit surgirent des cavernes dans la confusion. Certaines bandes poussaient des Squigs devant elles en les piquant avec leurs lances, en agitant des torches, ou en frappant des cymbales et des gongs dissonants. D’autres bandes de lanciers et autres adeptes du gourdin avaient à peine franchi l’entrée des grottes qu’ils poussaient en avant de nouvelles poignées d’énergumènes agités du boulet. Des Peaux-Vertes un peu piqués avaient même capturé et attaché ensemble deux énormes Squigs. Un duo de ces bêtes cavernicoles enchaînées l’une à l’autre était comme un cyclone de maillons : défonçant les parois des cavernes et projetant des rochers et des stalagmites, avant de ricocher dans le vallon du Gouffre du Crâne.
Tous ces Peaux-Vertes jaillirent pour assaillir les Morts-Vivants en rangs serrés. La situation avait tourné à l’anarchie : des Squigs et des fanatiques tanguaient en tous sens, et des bandes de Gobelins de la Nuit chargeaient par des angles inattendus. Quand les formations de squelettes tentaient de faire face à ces nouvelles menaces, un fanatique obliquait soudain de l’autre côté et envoyait son boulet dans les Morts-Vivants. Il arriva même qu’une chaîne tendue fauchât une demi-douzaine de rangs en un seul passage, tranchant les morts au niveau du torse et laissant une formation de jambes avancer de quelques pas avant de s’écrouler en un tas d’ossements.
À l’avant de la colonne d’attaquants Morts-Vivants, là où la contre-charge d’Imentet avait presque anéanti les Peaux-Vertes qui bloquaient la sortie du Gouffre du Crâne, la Vampire mit fin à la poursuite des bandes en fuite. Elle jeta un regard en arrière et vit que le val était une pagaille complète. C’était exactement ce que Grulsik avait espéré : les Morts-Vivants étaient cernés de toutes parts. C’était tout à fait le genre de combat que les Gobelins appréciaient, la possibilité de poignarder impunément le flanc ou le dos de l’ennemi. Ils causèrent des dégâts invraisemblables. L’ost de Neferata perdait beaucoup plus de Morts-Vivants que les demoiselles pouvaient en ranimer, même si elles se concentraient uniquement sur cette tâche. Or, à l’exception d’Imentet, elles étaient toutes empêtrées au corps à corps suite à l’embuscade.
Neferata observa la scène du haut de sa monture nécrotique. Son plan et son armée partaient en lambeaux. Dans sa rage, elle se départit de son masque de beauté pour dévoiler des traits crispés par la colère et un regard rougeoyant. L’humiliation était insoutenable, car elle n’était pas un de ces parvenus nés dans la roture. Elle était reine, et la première de son sang. D’autres, pensa-t-elle, auraient pu galoper au front pour prendre part aux combats. Elle se devait de rester au-dessus de la masse ; elle n’était pas comme Krell, ou l’un de ces vulgaires von Carstein. Mais puisque son armée était démantelée sous ses yeux, elle n’avait guère d’alternatives. Elle se résolut à éperonner.
L’entrée en lice de Neferata ne fut d’abord qu’une goutte dans le maelstrom. Puis, la fureur froide et indignée avec laquelle elle massacrait les Peaux-Vertes se fit de plus en plus terrible, et la bataille commença à retrouver un agencement funeste. En dépit des pertes, les squelettes indifférents ne faiblissaient pas. Ce n’était pas le cas des Gobelins qui subissaient le courroux de Neferata.
Alors que le cours de la bataille s’inversait, une immense chimère déboula d’une grotte à l’extrémité nord du Gouffre du Crâne, en écrasant des dizaines de Gobelins sous sa foulée. Attirée par le tumulte des combats, la bête s’en prenait aux troupes des deux armées avec ses multiples têtes. Signe d’une intelligence dissimulée sous sa sauvagerie, ou sensibilité d’une créature du Chaos aux émanations de puissance mystique, la chimère fendit les flots des belligérants en suivant une trajectoire sanglante qui la menait droit sur Neferata.
Les Gobelins de la Nuit se dispersaient devant le monstre débridé, quittes à se battre entre eux pour accélérer leur fuite. Tandis que la chimère creusait un sillon de dévastation, elle ne s’arrêta qu’une seule fois, pour molester deux Squigs géants enchaînés. Le coup était si puissant que les créatures orbiculaires heurtèrent la falaise dans un grand “splash”. La grande bête était après Neferata, qui se concentrait sur la tâche de décimer les Gobelins.
Une fois le chemin dégagé vers la Vampire, la chimère se dressa et rugit un défi de ses trois gorges, avant de s’élancer à la charge. Ce n’était pas un ennemi que l’on pouvait amadouer d’un regard séducteur, ni écarter d’un revers de lame comme la vermine Peau-Verte qui agonisait à ses pieds. Neferata grogna et se tourna pour accueillir l’assaut de la bête. Sa monture se cabra et laboura la chimère de ses griffes, mais le monstre la percuta avec un élan propre à lui briser les os. Quoique blessée par les serres acérées de l’osseosphynx, la chimère avait renversé et écrasé son adversaire. Avec une rapidité et une fluidité surclassant n’importe quelle créature de l’ordre naturel, Neferata put se soustraire à la ruine de son destrier tout en esquivant la morsure d’une des têtes de la chimère. Elle riposta en ouvrant une balafre dans le poitrail du monstre. Ainsi s’engagea un duel opposant la force brute et la sauvagerie d’une bête enragée du Chaos à la férocité fulgurante de la Reine des Vampires.
Même si la chimère dominait Neferata de toute sa masse et sa hauteur, le combat était équilibré. Le monstre cherchait à écharper l’agile Vampire, mais elle se dérobait toujours au claquement des mâchoires. Neferata perça à maintes reprises le cuir épais de la bête, mais la créature ne s’en trouvait guère diminuée. Toutefois, la chance finit par tourner contre la Vampire : rien ne pouvait échapper éternellement aux trois énormes gueules, aux griffes tranchantes et à la queue pourvue de ses propres rangées de crocs. Bien que le sang de la chimère s’écoulât d’une dizaine de blessures, elle finit par porter un coup décisif. Après avoir évité l’attaque d’une serre de la taille d’un cimeterre, Neferata fut prise de court quand la tête de félin se présenta pour la happer. Une pirouette lui évita d’être déchiquetée, mais pas d’être embrochée par la défense effilée.
Neferata était littéralement épinglée, elle sentait l’haleine fétide de la chimère comme ses autres têtes s’approchaient pour mettre la Vampire empalée en charpie. Mais avant que le monstre pût l’achever, un grand nuage aveuglant de chauves-souris fondit sur eux. Alors que la bête feulait de colère et tentait de déchirer la masse palpitante des assaillants, Neferata s’arrache à la défense, et s’efforça de ramper le plus loin possible des pattes écrasantes de la chimère.
Pendant un long moment, ni Neferata ni la chimère n’y voyaient clair : les nuées de chauves-souris étaient si denses et si vastes que tout le pan nord du Gouffre du Crâne fut enveloppé dans un suaire vivant et voletant. Elles ignoraient que les chiroptères étaient l’avant-garde d’un autre ost qui entrait dans le Gouffre du Crâne.
À la tête de cette nouvelle armée de Morts-Vivants marchait Krell, le Seigneur de la Mort, un des anciens Seigneurs Noirs de Nagash. Sa diversion avait bien fonctionné, et tandis que la chimère piétinait, tournoyait et se jetait sur le nuage piaillant qui l’entourait, Krell sortit seul de la ligne de bataille. Il s’avança lentement, méthodiquement, jusqu’à être près du monstre, et après avoir campé ses pieds au sol, il enfonça sa Hache Noire dans le flanc de la bête. Le coup descendant porté à deux mains fendit la poitrine de la créature et déchira ses cœurs multiples. Le Roi Revenant attendit que la chimère s’effondre pour retirer son arme du corps encore tressaillant. Il se tourna alors en direction de la reine avilie.Plus bas dans la ravine, la confusion était totale. L’embuscade avait ôté toute forme d’ordre à la bataille, et le sol était recouvert d’équipements disloqués, de Peaux-Vertes trépassés et de Morts-Vivants démantibulés. Ici et là, quelques régiments de squelettes étaient encore aux prises avec des bandes de Gobelins. Plusieurs Fanatiques continuaient de tourbillonner, mais leurs girations se faisaient plus chancelantes. Grulsik avait rejoint l’extrémité sud du Gouffre du Crâne, là où les Gobelins étaient plus forts et encerclaient Imentet ainsi que sa garde.
D’un geste, Krell donna le signal à son second. Le Roi Revenant Ulffik la Main Noire accompagné de Loups Funestes et de ses chevaliers Morts-Vivants, les Cavaliers de la Mort, descendit le vallon. Pour faire bonne mesure, les meutes de goules bossues de Druthor le Roi Strige accoururent à leur suite. Puis Krell s’approcha de Neferata.
Ses serviteurs étant éparpillés et sa demoiselle favorite piégée au sud du Gouffre du Crâne, Neferata se trouvait en fâcheuse posture. Mais la Reine des Vampires ne saurait jamais si Arkhan le Noir avait envoyé Krell dans les Montagnes du Bord du Monde pour l’aider ou pour l’exécuter. Car à cet instant précis, alors que l’énorme chimère était agitée de ses dernières convulsions, le ciel se voila de ténèbres et les vents de Magie portèrent un hurlement.
En Sylvanie, le rituel était achevé. Une fois encore, Nagash était ressuscité dans le monde des vivants.
L’impact du retour de Nagash déchira le spectre mystique ; l’énergie libérée fit trembler le continent, occasionnant de nombreux glissements de terrain dans les Montagnes du Bord du monde. Toutefois, les répercussions occultes furent encore plus importantes, car le monde fut submergé par un raz de marée de Magie, un vent de mort qui souffla hors de Sylvanie, un gémissement funèbre annonçant la ruine. Le phénomène laissa un résidu délétère dans son sillage, qui aurait de terribles conséquences pour les vivants.
La défense de la chimère avait creusé un trou béant dans l’abdomen de Neferata - la blessure était une cavité ouverte du thorax à la hanche. Bien qu’elle appartînt au règne des Morts-Vivants, la reine des Vampires sentait sa vitalité surnaturelle quitter son corps, et les ténèbres l’envelopper. Quand le premier pic d’énergie nécromantique la transperça, toute son angoisse l’abandonna. En un clin d’œil, la détresse de l’extinction de son existence millénaire céda la place au spectacle de son corps cicatrisant complètement et se remplissant d’une nouvelle vigueur. Lorsque l’onde de force éthérique inonda le Gouffre du Crâne, sa puissance mystique satura tout ce qu’elle toucha, et partout les morts se levèrent. Peaux-Vertes, guerriers de la légion de Neferata, ou ossements étalés depuis des éons au fond de la crevasse : tous se redressèrent, revigorés par la vague nécromantique, au point que le val infernal sembla se remplir de rangs interminables de Morts-Vivants.
Malgré l’arrivée des renforts adverses à l’autre bout du gouffre, Grulsik n’était pas désespéré. Ses bandes cernaient totalement la suceuse de sang sur son trône matelassé, et avaient tout le temps de se reformer, voire de renouveler la tactique des cavernes. Quant à la Vampire piégée, son visage reflétait un mélange de fureur et d’abattement, car Imentet ne voyait aucune échappatoire dans le rempart de lances qui se refermait sur elle. Il ne lui restait plus que son trône de sabbat et une poignée de gardes squelettes. Mais c’était avant que le vent de mort souffle dans la vallée et relève les morts. Bien qu’Imentet ne les ait pas invoqués, c’était un jeu d’enfant, pour elle et les autres demoiselles, de les asservir.
Neferata était debout, ses mains touchaient inconsciemment son ventre, là où il y avait naguère une blessure béante. Elle observait les squelettes qui s’étaient relevés au fond du gouffre et s’en amusa. Elle bondit sur la carcasse de la chimère avec une vivacité prodigieuse. « Écoutez-moi, mes demoiselles, » appela-t-elle d’un timbre clair et froid portant sur le champ de bataille.
« Une nouvelle ère commence, » cria Neferata, dont les mots se réverbéraient sur les falaises. « Le Grand Nagash est à nouveau parmi nous ; voyez l’abondante moisson de mort que son retour a engendrée, » dit-elle en écartant les bras pour désigner le val rempli de guerriers squelettes. « Soumettez-les à votre volonté, mes demoiselles. Nous allons nous joindre à Krell et marcher au sud avec lui. » Neferata se demanda si la force de Krell comprenait des Nécromanciens, car elle voulait que les nouveaux morts- vivants soient sous son contrôle, et non sous celui du Roi Revenant. Fermant les yeux, Neferata concentra ses pensées sur sa demoiselle favorite. Elle était connectée à tous ceux avec qui elle avait partagé son sang sacrilège, qu’elle avait récompensé d’un baiser, mais elle avait un lien particulier avec Imentet. Sans dire un mot, l’esprit de Neferata lui lança : « Entends- moi, fidèle Imentet - je veux qu’à partir de maintenant, tu deviennes l’ombre de Krell - rapporte-moi tout ce qu’il fait. Quelqu’un a retenu sa main - mais restons sur nos gardes. » À l’autre bout du gouffre, Imentet se tourna et répondit sans remuer les lèvres : « Ainsi sera fait, ma reine. » |
La situation se renversa en quelques secondes, et ce fut au tour de Grulsik de se retrouver encerclé.
Les légions de Krell, commandées par Ulffik la Main Noire, furent incapables d’atteindre Imentet - il y avait tout simplement trop de Morts-Vivants qui leur barraient la route. Les Peaux-Vertes profitèrent du désordre provoqué par la résurrection de tant de cadavres pour s’enfuir. Ils se frayèrent un chemin en poussant et en tailladant pour se ruer dans les grottes. Les blessés, les intoxiqués au champignon et les benêts durent se défendre. Trolls beuglants et fanatiques tourbillonnants finirent noyés sous les flots de Morts-Vivants.
Ayant regagné les hauteurs, Neferata tremblait, en partie à cause du flux continu de Magie nécromantique, mais principalement à cause de la peur, sentant peser sur elle la domination d’une volonté toute-puissante. L’esprit de Neferata était mis à nu devant le pouvoir de Nagash. En un instant, tous ses complots, plans, ambitions et désirs furent dévoilés. Si elle devait être punie, c’était maintenant.
Krell entendit lui aussi la voix de Nagash résonner dans sa tête, et il ne posa aucune question. Son maître l’appelait et il le servirait. L’esprit militaire de Krell devait organiser la marche des armées combinées, quelle que fût la destination. Alors qu’il partait mettre bon ordre parmi les morts relevés, Neferata réunissait ses demoiselles autour d’elle.
L’affaire s’était réglée in extremis, mais les choses s’étaient déroulées peu ou prou comme Neferata l’avait prévu. Le Grand Nécromancien était de retour, et tout serait différent désormais. Même de si loin, Neferata pouvait sentir l’agacement de Nagash, sa frustration de ne pas avoir recouvré toute sa force. Un tel pouvoir pouvait être restauré de diverses manières. Le Grand Nécromancien pouvait transmuter la Malepierre, convertir son énergie à ses propres fins. Toutefois, Neferata doutait que Nagash ait la patience de prendre des mesures aussi contraignantes.
Neferata savait que tous les Mortarchs chercheraient à devancer leurs concurrents pour s’attirer la faveur de Nagash. Elle sourit - une expression qui n’améliorait en rien sa beauté. Elle était passée maître à ce petit jeu. Elle seule savait comment déverrouiller les passages secrets qui menaient au Col Perdu des Nains ; elle seule connaissait les sentiers qui conduisaient à la source de pouvoir dont Nagash avait si désespérément besoin. Pour l’instant, Krell lui était utile. Et si tout se passait comme elle l’avait prévu, il n’y avait aucune raison que cela change.
En suivant les flèches runiques gravées sur la pierre de magnétite qu’il avait trouvée, Thorek avait décelé des passages secrets dans le Dédale. Il partit donc en expédition, avec un grand Throng de Karak Azul, dans les boyaux méconnus de cette ancienne route souterraine. Son émerveillement grandissait à chaque pas. Il avait souvent voyagé dans le Dédale, mais n’avait jamais rencontré une portion dans un si bon état de conservation. Si la plupart des autres sections étaient encore praticables, elles étaient délabrées, et des embranchements étaient fermés à cause d’inondations ou d’effondrements. Pire, nombre de galeries étaient occupées par des monstres, ou par les ennemis héréditaires des Nains - des Gobelins de la Nuit ou des Skavens.
Que ce fût par chance ou grâce à l’extraordinaire maîtrise des bâtisseurs, ces tunnels étaient restés cachés et intacts. Les artères étaient vastes, et assez larges pour que trois unités y marchent de front, sous des plafonds voûtés si haut qu’il y avait assez de place pour qu’un Gyrocoptère puisse voler et manœuvrer. Il y avait eu quelques écroulements mineurs par endroits, mais en prenant en considération les nombreux séismes et invasions subis par les royaumes Nains au cours des millénaires qui avaient suivi la création du Dédale, la chose était miraculeuse. Et les gemmes lumineuses éclairaient encore faiblement les grandes salles.
Seul Thorek pouvait déchiffrer les indications de la pierre runique, et remarquer les marquages presque effacés qui lui permettaient de choisir la bonne direction aux nombreux carrefours que l’expédition rencontra. Ce fut là, loin sous la terre, que Thorek perçut pour la première fois le trouble grandissant qui affectait le monde. Il sentit une secousse dans le sol, plus forte que le roulement de la marche d’un géant. Même les guerriers des clans ressentirent le changement de l’atmosphère, comme si un vent maléfique - une froideur qui ne devait rien à la température - soufflait dans les souterrains. En tant que Seigneur Forgerune, Thorek comprenait mieux les vents de Magie, et bien qu’il ne pût définir la nature de sa crainte, il mena les Nains avec encore plus de hâte parmi les merveilles édifiées par leurs aïeux.
Il existait des légendes évoquant un tronçon secret du Dédale, creusé par Grungni lui-même - une route cachée qui s’étirait profondément sous les pics des Montagnes du Bord du Monde, jusqu’au Col Perdu. Le Dieu artisan avait donné l’apparence de murs solides aux entrées, dont les runes d’ouverture étaient invisibles, à moins d’avoir la faculté de reconnaître les objets enchantés. En théorie, seuls les descendants directs de Grungni savaient comment entrer dans cette section du Dédale, mais la chaîne de transmission de ce savoir avait été rompue à un point de l’histoire. Il avait fallu attendre que la pierre de Thorek lui révèle cette voie cachée.
Quels trésors, quelles reliques des Dieux Ancestraux avaient bien pu être entreposés derrière ces portes de pierre quasi indétectables ? Le Marteau et la Forge de Grungni y attendaient-ils le retour du maître artisan ? Ou bien Thorek avait-il enfin retrouvé le site caché du Dolmen des Dieux ? Toutes ces questions, entre autres, fusaient dans l’esprit du Seigneur Forgerune comme il suivait la route souterraine.
La magnétite guida les Nains dans une immense grotte, une fissure naturelle qui s’ouvrait dans une salle aux proportions gigantesques. Le Dédale continuait à l’autre bout de la cavité ; toutefois, la pierre runique avait conduit Thorek au centre d’un grand mur. L’armée dressa le camp pendant trois jours, pendant que Thorek installait sa grande enclume. Il utilisa ses formidables pouvoirs pour trouver les rituels ou la série de runes qui ouvriraient la porte qu’il savait être là, mais qu’on ne pouvait voir. Ne pouvant calmer son inquiétude, Thorek maintenait l’expédition en formation de bataille - stationnée à chaque extrémité de la grande caverne pour garder les accès au Dédale.
L’appréhension de Thorek s’aggravait au fil des heures. Les Nains n’avaient pas d’égal pour façonner des entrées secrètes pour leurs mines et leurs forteresses. Le travail accompli sur cette paroi dépassait tout ce que le vieux Seigneur Forgerune avait pu voir. S’il avait eu assez de temps, Thorek aurait pu déchiffrer les runes et ouvrir ce qu’il savait être une porte cachée donnant sur un trésor inestimable. Or, il y avait autre chose qui le troublait. Il avait repéré une Magie étrangère en plus des runes majeures. Ce n’était pas la Magie sincère et ciselée de son peuple, mais des griffonnages apposés sur les écritures premières. Bien qu’il n’eût pas été souvent confronté à ce genre d’alphabet, Thorek aurait juré qu’il s’agissait de pictogrammes en usage dans les royaumes humains de Nehekhara, désormais appelés la Terre des Morts.Persuadé de l’extrême importance de cette révélation, Thorek ordonna au Gyrocoptère de l’expédition de retourner à Karak Azul pour délivrer un message au Roi Kazador. Puis le Seigneur Forgerune se remit à l’ouvrage, avec la tâche ardue de rompre ce qu’il estimait être des enchantements profanes. D’un grand coup sur son enclume du destin qui résonna dans la caverne, Thorek brisa le charme. Lavées du sort qui les dissimulait, les runes naines apparurent, gravées sur une porte Cochère. Le Forgerune frissonna en voyant qu’elle portait la rune majeure de Valaya. Par ailleurs, il ne s’était pas attendu à ce que la porte principale fût flanquée de deux entrées en forme d’arches à chaque extrémité du mur. Thorek était certain qu’il s’agissait d’accès descendant directement dans cette section cachée du Dédale. Il prendrait le temps de les étudier après avoir réussi à ouvrir la grande porte.
Désormais, se dit Thorek, le travail serait plus facile, puisqu’il ne restait que des runes ancestrales. Si leur fonction ne lui était pas familière, il n’y avait aucune rune que Thorek ne put comprendre. De sa voix rauque, il aboya des ordres à ses assistants et apprentis, qui se hâtèrent de consulter d’anciens grimoires, tandis que le Seigneur Forgerune faisait courir ses doigts sur la porte finement ciselée et admirait le savoir-faire. Bientôt, elle serait ouverte et révélerait les secrets gardés dans la chambre cachée.
Alors qu’il lisait les premières runes, les symboles des portes latérales se mirent à briller. À l’évidence, des runes venaient d’être activées, et les Nains à proximité reculèrent de stupeur. Les contours d’une porte secrète apparurent dans la roche, puis des vieux rouages et poulies se mirent en branle. Le mécanisme n’avait pas fonctionné depuis des milliers d’années, pourtant, dan un grondement de roc glissant contre le roc, les portes s’ouvrirent sans heurt.
Suivirent des jurons nains et des pas lourds précipités. De part et d’autre du portail central s’ouvraient deux larges tunnels donnant dans les entrailles de la montagne. Sur le seuil, dans une brume de poussière tombale et de capes déchirées soulevées par le courant d’air, se tenaient d’horribles silhouettes spectrales.
Les armées des morts étaient là.
Bataille à la Porte de Valaya[modifier]
L’Armée de Krell[modifier]
Voici la composition de la force de Morts-Vivants que Krell assembla pour accomplir sa mission dans les Montagnes du Bord du Monde. Grâce à l’afflux de squelettes relevés à partir des ossements qui jonchaient le fond du Gouffre du Crâne, ce fut un immense ost qui se présenta à la Bataille de la Porte de Valaya. Krell Ulffik la Main Noire Druthor La Légion Maudite Les Pendus Les Bêtes de Sang Les Griffes Tombales |
Le Grand Throng de Karak Azul[modifier]
Voici l’expédition que Thorek Tête-en-fer emmena de Karak Azul vers le nord, en passant par le Dédale. Thorek Tête-en-fer La Confrérie de l’Enclume La Garde de Fer Gurdok Heaume-de-granit |
Le Throng du Roi Kazador[modifier]
Les sujets du Roi Kazador étaient farouchement loyaux à leur souverain, même pour des Nains, et les régiments suivants étaient présents à la Porte de Valaya. Le Roi Kazador Le Clan Barbeterne Les Bouquetins L’Escadrille des Cimes |
L’armée de Morts-Vivants qui accompagnait Neferata avait énormément grossi depuis qu’elle avait quitté le Pinacle d’Argent. En plus de sa propre cohorte, il y avait Krell et sa Légion Maudite, suivis de nombreux régiments et créatures maléfiques. Certains inspiraient un profond dégoût à Neferata - Striges sans honneur et bêtes difformes. Toutefois, considérant les derniers événements, elle contenait son mépris. Les effectifs étaient gonflés par l’ost des cadavres anonymes qui tapissaient le fond du Gouffre du Crâne, ranimé par le puissant sortilège de Nagash et asservi par les demoiselles de Neferata. La force combinée marchait implacablement vers le sud, car même à cette distance, Neferata et Krell pouvaient percevoir le désagrément de Nagash causé par sa vulnérabilité inattendue.
Le monde avait vu passer plusieurs âges depuis que Neferata avait traversé cette portion des Montagnes du Bord du Monde, mais en s’aidant d’un bassin de divination, elle put retrouver l’entrée secrète qu’elle avait repérée il y avait tant d’années. Krell conduisait la marche, et traitait chaque goulet et chaque tournant comme un site d’embuscade potentiel. Lorsque les Morts-Vivants trouvèrent la porte cachée et entrèrent dans les souterrains, Krell organisa les troupes comme pour assaillir un château par une brèche, en plaçant les créatures les plus effroyables à l’avant. Le trajet sous terre se déroula sans histoires, jusqu’aux portes qui donnaient sur leur destination finale. Neferata décrivit la grande caverne au-delà et s’irrita du retard occasionné par les précautions excessives de Krell. Le Roi Revenant insista pour préparer un plan d’attaque, consistant à jaillir dans la grande salle simultanément par les deux passages latéraux.
De larges panneaux de pierre glissèrent sur le côté, faisant jour à un spectacle malvenu. Dans la vaste grotte s’étalait une armée de Nains. Les barbus étaient déployés pour la bataille, mais leurs régiments étaient positionnés pour contrer une attaque venant des profondeurs du Dédale. D’après leur réaction, ils ne semblaient pas connaître l’existence de ces portes et ne s’attendaient pas à ce qu’un ennemi surgisse sur leur flanc, de la paroi même de la caverne. Toutefois, contrairement aux Gobelins qui avaient fui devant l’apparition soudaine d’une armée de Morts-Vivants, les Nains étaient résolus, et leurs régiments formèrent une ligne de bataille pour faire face à l’adversaire.
Krell, aussi agressif dans la mort que de son vivant, ordonna aux Morts-Vivants d’avancer. Il avait affronté les Nains à maintes reprises et il savait qu’il devait éviter à son armée d’être prise en entonnoir aux entrées. Contre un ennemi aussi robuste, le poids du nombre risquait d’être son unique avantage. Lors d’une bataille de galerie exiguë, le genre de combat que les Nains préféraient, les Morts-Vivants n’avaient aucune chance.Alors que Krell commandait aux régiments de s’aligner dans la grande grotte, Neferata lorgnait un autre groupe d’ennemis. Une poignée de Nains était prise entre les deux forces de Morts-Vivants, et tentait de déverrouiller les portes enchantées que la Vampire devait franchir. Si Krell se souciait davantage de l’armée déployée devant lui, Neferata savait qu’on ne devait pas laisser les Nains entrer dans ce sanctuaire. Si elle ne pouvait que deviner la nature de l’arche gravée de runes et les trésors qu’elle renfermait, son instinct lui disait qu’elle contenait un grand pouvoir. Si les Nains parvenaient à le libérer, l’armée des morts, aussi vaste fût-elle, serait anéantie. Neferata et ses demoiselles s’approchèrent du portail, suivies de troupes qui déferlèrent selon les instructions de Krell. Neferata prit sur elle d’ordonner à Imentet et à sa garde de tuer les Nains travaillant devant l’accès secret.
Le Throng se resserra, dans l’espoir de boucher les entrées latérales, mais les Nains furent trop lents. Les forces de Krell avaient déjà formé des têtes de pont qui s’enfonçaient dans la grotte à la rencontre de l’adversaire.
Krell progressait à la tête du fer de lance de droite, sous la bannière noire de la Légion Maudite, agitée par les courants d’air souterrains. Sa première bataille contre les Nains remontait à une époque lointaine, alors qu’il était encore un Champion du Chaos vivant. Au cours des quatre derniers siècles, il avait tué des rois Nains, annihilé des clans entiers et mis à sac certaines des plus glorieuses forteresses jamais bâties. Il avait contribué à la ruine de Karak Ungor, qui fut la première grande forteresse Naine à tomber. Rares étaient ceux, sur ou sous la terre, qui avaient massacré plus de Nains que lui.
Pour leur part, les Nains ne manquèrent pas de remarquer le Roi Revenant portant l’armure rouge écaillée d’un seigneur du Chaos. Ils savaient qui leur faisait face, car les rancunes se transmettaient de Nain en Nain tels des héritages de valeur. Pendant sa vie de mortel, Krell avait été cité sept fois dans le Grand Livre des Rancunes, un record de griefs noté par les Nains de Karaz-a-Karak. Toutefois, ces lignes avaient été barrées, les dettes de sang de Krell se trouvant soldées lorsqu’il trouva la mort en essayant d’assaillir Karak Kadrin. Quelques millénaires -plus tard, Krell était revenu d’entre les morts, exhumé par le Grand Nécromancien. Le Roi Revenant combattait depuis au nom de Nagash, ce qui lui avait valu douze nouvelles entrées dans le Dammaz Kron.
Le fracas des lignes de bataille fut particulièrement brutal, car les Nains luttaient contre un ennemi honni, qui avait osé s’introduire dans un site sacré de leurs ancêtres. Les Nains fauchaient les rangs de squelettes, tandis que peu d’entre eux succombaient grâce à la qualité supérieure de leurs armures. D’autres adversaires auraient fui devant une moisson aussi terrible, mais les soldats squelettes continuaient indifféremment, comblant les rangs sans jamais fléchir. Peu à peu, les formations de Morts-Vivants refluaient vers les galeries d’où les renforts continuaient de déferler.
Néanmoins, tout n’allait pas dans le sens des Nains. Personne ne résistait à Krell. Alors que les Morts-Vivants de la Légion Maudite tombaient comme les blés sous la faux, le Roi Revenant maniait sa redoutable hache, dont les fers noirs creusaient de larges sillons dans les lignes naines. Krell tua Borrak Boldstone et son frère Bodrik, avant de déchirer l’étendard du clan Boldstone. Parallèlement, une douzaine de Morts-Vivants était découpée pour chaque Nain transpercé par une lance antique ou une épée rouillée. Cependant, les Nains abattus ne se relevaient pas.
Dès qu’il vit les légions de Morts-Vivants, Thorek crut comprendre ce qui avait troublé dernièrement les vents de Magie. Les tempêtes éthériques et les incursions démoniaques étaient déjà assez désastreuses. Le fait qu’elles puissent coïncider avec un regain de nécromancie était encore plus accablant, et Thorek envisagea ce qui pouvait en être la cause. La puissante Magie Noire portée par les vents semblait annoncer l’avènement d’un nouveau Temps des Malheurs.
Thorek avait déchiffré deux des trois runes d’ouverture quand sa tâche fut interrompue. Si le gros de l’armée des Morts-Vivants avait ignoré son petit groupe d’assistants, plusieurs régiments de squelettes s’approchaient. Un trône de sabbat progressait parmi eux, et éclairait la paroi de sa lueur lugubre. Les yeux rouges de la Vampire qu’il portait brillaient comme elle conjurait un sort infernal. Thorek leva son marteau runique et frappa un coup retentissant sur l’enclume du destin.
Après des heures de combats, aucun des camps ne pouvait encore prétendre à la victoire.
Il apparut d’abord que les Nains avaient l’avantage, mais la bataille s’étirant, l’ardeur de leur cœur déclina peu à peu, soufflée par le flot continu des Morts-Vivants. La fureur initiale des Nains fit place à une détermination amère, au devoir de combattre aux côtés de leurs compatriotes et de défendre leur antique royaume. Les Nains étaient plus solides sur leur flanc droit, commandé par le Thane Kraggson et sa Garde de Fer - un régiment de Brise-Fer, tous engoncés dans une armure runique quasi impénétrable. Ils repoussèrent les légions de squelettes jusque dans la galerie du Dédale. Dans cet environnement confiné, la Garde de Fer était dans son élément, en opposant un mur de boucliers et d’armures de Gromril inexpugnable qui bloquait le tunnel, une barrière plus robuste que n’importe quelle porte. Les Morts-Vivants ne pouvaient vaincre de tels spécialistes des combats souterrains, et furent abattus par régiments entiers.
Le flanc droit des Morts-Vivants dut reculer, et seule la présence de Krell les empêcha d’être refoulés dans la galerie par laquelle ils étaient venus. Et malgré ses coups de hache ravageurs, Krell lui-même n’aurait pas pu tenir très longtemps si des renforts n’avaient pas surgi de l’accès au Dédale le plus proche. Une monstruosité pourvue d’ailes de chauve-souris rampa dans la grotte, en portant sur son dos Druthor, le Roi strige de Tristetertre. Derrière lui couraient des Loups Funestes hurlants et des meutes de goules affamées. Ils heurtèrent les lignes Naines dans un grand fracas, stabilisant ainsi le front de Krell et aidant le Roi Revenant à rejeter les Nains vers le mur opposé.Au centre, Thorek Tête-en-fer était en grand danger. Entouré de ses assistants et d’un seul régiment, la Confrérie de l’Enclume, le Seigneur Forgerune était coupé du reste du Throng. Pourtant, il resta près des portes, espérant activer les runes d’ouverture. S’il pouvait seulement entrer et libérer quelque puissance qui se trouvât à l’intérieur, il avait une chance d’anéantir tous les Morts-Vivants. Ces pensées furent chassées de l’esprit de Thorek comme les Morts-Vivants pressaient la Confrérie, l’empêchant d’étudier les runes antiques. Thorek n’avait de cesse de frapper l’enclume du destin, projetant des éclairs pour décimer les assaillants squelettes. L’écho du métal contre le métal renforçait la détermination d’acier des Nains, leur rappelant le foyer et la forteresse, et leur conférant la vigueur et la résolution de leurs aïeux.
Malgré l’afflux abondant de Magie de mort, Neferata et sa coterie de demoiselles peinaient face au Forgerune Nain. Elles feulaient de rage lorsque leurs enchantements étaient contrés - chaque sort, ou presque, était dissipé, au point que l’air était saturé par le crépitement des énergies anathématiques. Les Vampires n’avaient de succès qu’en relevant les morts, en partie grâce au fait qu’elles récitaient les litanies en chœur. Pourtant, la moitié de leurs tentatives était entravée, et venait se briser contre un mur de volonté.
Certains morts se relevaient, mais d’autres, à moitié ranimés, titubaient sur quelques pas avant de s’écrouler en frémissant, pour retourner au néant. Thorek, expert dans l’art de juguler la sorcellerie adverse, réalisa qu’il n’était pas le seul à préserver les Nains des attaques occultes. Les runes des portes scintillaient dans la pénombre souterraine.
Neferata vit que ses forces étaient en train de perdre, et que la Magie de sa coterie n’y changerait rien. Elle devait trouver un moyen pour que ses demoiselles puissent jouer de leurs pouvoirs nécromantiques, en commençant par entamer la résistance des Nains. Éviscérer Thorek, qui était auréolé d’un nimbe d’énergie ésotérique chaque fois qu’il frappait sa maudite enclume, semblait un bon point de départ. Il était temps, se dit-elle, que cette odieuse créature paie pour son insolence.
La reine Vampire envoya Imentet attaquer le Seigneur Forgerune, mais la favorite préférait éviter le corps à corps, et dépêcha à son tour ses gardes du corps squelettes pour qu’ils chargent les Nains qui protégeaient l’enclume. Même si l’assaut détourna les Nains des portes, il se révéla trop faible pour causer des dégâts significatifs chez les guerriers en armure lourde. Imentet elle-même tenta de soutenir les efforts de ses serviteurs grâce à la Magie, mais elle aussi vit ses sortilèges défaits par la volonté inflexible du vieux Forgerune et le rempart d’anti-Magie qui entourait la rune de Valaya gravée sur le portail. Pendant ce temps, les Nains faisaient voler les os au-dessus de leur mur de boucliers à chaque coup de hache. C’en était trop pour Neferata ; avec un cri strident, elle ordonna à ses demoiselles de charger. Elles allaient devoir s’occuper des Nains elles-mêmes.
Le Sabbat Rouge s’avança ; Lycindia la Cruelle éperonna son cauchemar ailé et les Sœurs Pâles dégainèrent leurs rapières de givre. Le Cerbère des Profondeurs de Neferata leur emboîta le pas - les yeux de la reine Vampire étincelaient. Si les squelettes ne pouvaient pas percer la ligne des Nains à eux seuls, les demoiselles réunies étaient une tout autre affaire. Leurs mouvements étaient plus rapides que l’œil, un flou qui se parait de traînées rouges lorsque leurs lames, leurs griffes et leurs crocs trouvaient une artère. Même un mur de boucliers et des armures presque impénétrables ne servaient à rien quand une main griffue vous arrachait la gorge. La Confrérie de l’Enclume fut dissoute. Il ne restait plus que Thorek, ses apprentis et ses assistants, qui luttaient pour leurs vies, tandis que davantage de morts se relevaient - leurs cadavres jaillissant du sol pour reprendre le combat sur-le-champ. Kraggi, le dernier assistant de Thorek, finit la tête séparée du corps.La vague de Vampires assoiffées de sang menaçant de s’écraser sur lui, Thorek frappa désespérément sur l’enclume. Il leva Klad Brakak, son marteau runique, qui brilla tel un fanal dans les ténèbres de la caverne. L’impact retentit comme un coup de tonnerre - un choc qui fit trembler le Dédale et les montagnes, différant la mort imminente de Thorek. Une grande couronne d’éclairs illumina momentanément la grotte. Son martèlement expulsa l’ennemi, tandis que de nouveaux régiments venaient remplacer ses gardes et ses assistants défunts, Jamais le Seigneur Forgerune n’avait infligé une telle contrainte à la vieille enclume, et jamais elle n’avait tant flamboyé, ni produit une telle onde de puissance brute, refoulant tous les adversaires à portée ou les consumant sur place.
De leur côté, le Thane Kraggson et sa Garde de Fer avaient bloqué le passage de droite de manière impeccable ; le vieux combattant des tunnels avait dépêché ses autres unités dans la grande salle pour aller aider Thorek. Les tueurs de l’expédition vinrent lui prêter main-forte, et le régiment des Longues-nattes, ses haches à deux mains. La nouvelle ligne de bataille offrit son premier répit au Seigneur Forgerune assiégé. Son armure était entamée, et son sang s’écoulait de plusieurs blessures, pourtant, il trouva la force d’entonner l’hymne runique - un chant grave et solennel qui fit scintiller l’enclume et la grande porte de Valaya. Il avait enfin réussi à activer les runes, et les portes s’entrouvrirent.
Les squelettes continuèrent d’avancer sans états d’âme, piétinant la pierre noircie et leurs camarades frappés par la foudre encore fumants. La moitié des demoiselles se relevèrent, leur peau blanche noircie témoignant de la violence des éclairs de l’enclume du destin. Sentant qu’il s’agissait de sa dernière chance d’empêcher les Nains d’accéder au trésor, Neferata ordonna un assaut final.
Thorek Tête-en-fer était imbu d’un pouvoir ancestral inédit. Il avait le sentiment que ses coups de marteau auraient pu étêter les montagnes. Quelque chose l’appelait dans la chambre secrète, l’implorait de se hâter. Ce fut alors que le vieux Seigneur Forgerune comprit.
La voix calme, apaisante de Valaya s’adressa à Thorek, non pas avec des mots, mais dans une profonde communion. Des pensées murmurées de savoirs anciens, de runes majeures oubliées, de secrets enfin révélés lui parvinrent. Il devina la nature de la relique qui attendait dans la crypte cachée. Un Dieu Ancestral, la déesse mère de son peuple, était tout près. Il scanda la dernière strophe de la chanson des runes, et dans un craquement, les portes de l’Arcade Perdue de Valaya s’ouvrirent en grand.
Le désespoir gagnait les Nains de l’expédition de Thorek. Depuis que Druthor, le Roi strige de Tristetertre, avait émergé de la galerie, il avait semé la ruine avec son Terreurgheist. L’artillerie Naine déployée à l’extrémité de la caverne s’employait ardemment à loger un boulet dans le coffre du monstre mort-vivant. Malgré la ferveur et l’habileté avec lesquelles les machines étaient mises à feu et rechargées, elles n’avaient réussi qu’à enfumer la grotte et à faire quelques trous dans les ailes membraneuses de l’énorme bête. Leur dernier tir attira l’attention du monstre, qui traversa la grande salle en quelques bonds. Le Terreurgheist ouvrit ses mâchoires en grand, et émit un cri strident d’outre-monde qui mit les servants des canons à genoux, un filet de sang coulant de leurs oreilles. De gigantesques griffes osseuses s’abattirent sur la batterie, projetant des roues brisées, des membres sectionnés et des barils de poudre. L’horrible monture ouvrit les ailes, et Druthor lâcha un ignoble hurlement de victoire.
Les Nains reculaient progressivement, leur ligne se courbant pour ériger un rempart autour de Thorek et des portes désormais ouvertes. Le sursis ménagé par son coup éclatant sur l’enclume avait permis au Seigneur Forgerune de déverrouiller le portail in extremis. À présent, les légions de squelettes, ainsi que Neferata et sa clique de Vampires courroucées les assaillaient à nouveau. Isolés dans le tunnel nord, le Thane Kraggson et sa Garde de Fer tenaient bon. Krell n’espérait pas les déborder, et se contentait d’envoyer juste assez de serviteurs dans la galerie pour les occuper. Pendant ce temps, le reste de sa force s’était aligné dans la caverne. Krell leva sa Hache Noire, et se mit en marche pour le coup de grâce.
Ce fut alors que non pas une, mais deux nouvelles armées intervinrent.
Dans le tunnel vide sur le flanc gauche des Nains se réverbéra l’écho tonitruant d’un cor. Ce n’était pas un son ordinaire : c’était le Cor du Tonnerre du Roi Kazador, connu et vénéré par chaque guerrier barbu de Karak Azul. Les notes puissantes qui leur parvenaient regonflaient les cœurs des Nains.
Apparut le Roi Kazador, paré pour la bataille et flanqué de sa garde royale de Marteliers. Il avait reçu le message de Thorek annonçant que le Seigneur Forgerune avait découvert un puissant artéfact et avait besoin de renforts.
Kazador, accompagné d’une douzaine de régiments triés sur le volet, s’était hâté dans les passages souterrains. Il ne s’attendait pas à trouver Thorek accablé par les Morts-Vivants. Il souffla dans son cor légendaire, non pas comme un vieux Roi usé par la tragédie, mais tel un jeune seigneur de guerre plein de fougue. Le ronronnement d’un escadron de Gyrocoptères se fit entendre ; leurs pilotes étaient impatients de déboucher dans la grande caverne, dont le haut plafond laisserait la place de manœuvrer à leurs machines volantes. Les régiments de Nains à la mine austère se succédèrent à la sortie des tunnels.
Ainsi la bataille se poursuivit-elle, plus féroce que jamais. Même avec l’arrivée du Roi Kazador et du Throng de Karak Azul, les Morts-Vivants restaient en surnombre. Toutefois, les Nains étaient meilleurs combattants, et depuis que Thorek avait ouvert la chambre secrète, ils luttaient avec une ardeur renouvelée. Ils recevaient la bénédiction de Valaya, et la Magie Noire ne pouvait plus les atteindre.
La seconde armée surgit par surprise.
L’humeur de Grulsik, le chef des Griffes de Lune, s’était assombrie suite au désastre du Gouffre du Crâne. Son moment de gloire s’était échappé avec les tribus qu’il avait brièvement unifiées. Après la déroute dans les grottes, les Gobelins se rallièrent. Grulsik nota qu’il y avait plus de survivants qu’il l’aurait cru. Une bonne moitié de ses sous-fifres était perdue - morts ou dispersés. Toutefois, le cœur de sa tribu, de nombreux Trolls et quelques bandes étaient encore là. Loin d’être abattu, le grand rassemblement de Peaux-Vertes était avide de pillages et avait encore envie d’une bonne bagarre - propice aux coups en traître, bien entendu.
Les chevaucheurs de loup des Corniauds d’Grak ne tardèrent pas à flairer la piste des Morts-Vivants. Grulsik se dit qu’il lui serait plus profitable de talonner ses ennemis à distance respectable, afin de fouiller les ruines qu’ils ne manqueraient pas de laisser derrière eux. Après tout, les morts se souciaient peu du butin. La piste des Morts-Vivants menait sous terre, par une porte dérobée dans la falaise, annonciatrice de richesses. Grulsik, comme tout bon Gobelin de la Nuit, reconnut la main des Nains. Le Chef de Guerre et son armée s’étaient déjà aventurés dans des mines et des galeries naines, qui avaient toujours montré des signes d’abandon. Or, cet ouvrage était intact, et Grulsik ne douta pas qu’un tel passage conduisit à ces monceaux de trésors que les nabots entassaient.
Les Peaux-Vertes se montrèrent prudents en entendant des bruits de combats. Grulsik comptait se rendre sur le champ de bataille uniquement pour dépouiller les cadavres.
Tel était le plan. Cependant, en approchant des tunnels parallèles qui menaient au lieu supposé de la bataille, Grulsik perdit tout contrôle. Les troupeaux de Squigs des Griffes de Lune - les Raticheurs, la Troup’ Rouj’ et les Tueurs Purpurins humèrent le parfum du sang Nain et se ruèrent en avant. Alors que les créatures enragées déboulaient dans la galerie, Grulsik songea un instant à suivre son instinct et à reculer, en restant tapi dans l’obscurité jusqu’à ce qu’une opportunité se présente. Mais la position de seigneur de guerre lui était montée à la tête. L’orgueil de Grulsik le poussa à faire fi de ses penchants pour l’auto-préservation et à sauver la face en donnant l’ordre de charger à ses bandes déjà en mouvement.une série de beuglements plus tard, il entra lui-même dans la mêlée.
Dans le tunnel nord, la Garde de Fer contenait l’assaut des squelettes sans broncher. Toutefois, un vacarme de mauvais augure montait des profondeurs de la galerie. Le Thane Kraggson ne s’attendait pas au torrent de Squigs qui emporta les derniers Morts-Vivants et vint enfoncer le mur de boucliers.
La résolution de la Garde de Fer était telle que les Nains auraient sûrement tenu le choc, du moins, si Grulsik lui-même ne s’en était pas mêlé. La bande du seigneur de guerre, les Mal Lunés, engagea le combat, plantant ses lances dans tout ce qui portait une barbe ou qui n’était pas vert. Les Gobelins de la Nuit étaient eux aussi des experts en affrontements en sous-sol, habitués à lutter dans des espaces confinés. Les rétiaires de la bande pressaient les premiers rangs pour jeter leurs filets ; le Thane Kraggson entravé fut poignardé cent fois, Grulsik lui assénant le coup final par l’œillère de son heaume.
Les Peaux-Vertes surgirent donc dans la caverne, par l’accès nord pour la plupart, et quelques autres unités par l’entrée sud. Ils découvrirent une pagaille totale dans la vaste salle souterraine. Partout la bataille faisait rage : les légions de squelettes luttaient avec des Nains en armure de Gromril scintillant, l’enclume du destin projetait des éclairs et des Gyrocoptères planaient au-dessus du tumulte, crachant des nuées de vapeur sifflantes et des salves de plomb crépitantes.
Les tribus Peaux-Vertes plongèrent dans le maelström des combats. Des Fanatiques caquetant labourèrent la masse de corps serrés, pulvérisant les squelettes et aplatissant les armures Naines. Les Trolls, dont les cervelles anémiées restaient hermétiques à la complexité de cette bataille impétueuse, lâchèrent leurs massues et firent bombance avec les cadavres abondants. il n’y avait plus aucun lieu sûr dans la grotte, car dès qu’un ennemi était terrassé, un autre se dressait pour le remplacer. Les Gobelins de la Nuit bondissaient des ombres, et les squelettes se relevaient d’eux-mêmes pour attaquer encore.
Au centre, Neferata et ses demoiselles oppressaient les Nains qui se tenaient devant Thorek Tête-en-fer. Alors qu’Imentet abattait le dernier des Longues-nattes, Neferata elle-même réglait le cas des Tueurs à crête orange. Thorek, voyant sa fin approcher, empoigna son marteau à deux mains et frappa sur l’enclume chauffée à blanc ; la puissante Magie qu’elle renfermait tonna une fois encore. Des arcs d’énergie mystique transpercèrent proprement Imentet, et désagrégèrent son trône de sabbat, le réduisant en allumettes ; la favorite resta suspendue dans un orbe de foudre vivant, déchirée par des fulgurations électriques qui consumèrent son corps Vampirique et n’en laissèrent pas même un grain de poussière.
Le cri de rage de Neferata glaça le sang de tous ceux qui l’entendirent. Thorek avait cogné si fort que le sol commença à se fendre. Des lézardes s’ouvrirent depuis l’enclume et s’étendirent dans la caverne en s’élargissant pour former des crevasses. L’enclume runique, précieux héritage d’un passé glorieux, se fêla également. Fronçant ses épais sourcils d’inquiétude, Thorek lâcha son marteau et caressa la relique, plus précieuse que l’or, plus chérie qu’un fils. Comme il le craignait, une fissure irréparable parcourait le métal. Le prochain coup serait le dernier. Le Seigneur Forgerune laissa échapper une lamentation pleine d’angoisse. Toute l’habileté du monde ne saurait réparer une telle cassure. Dans son désespoir momentané, Thorek ne remarqua pas la charge de Neferata.
Le Seigneur Forgerune finit par entendre la rage chuintante de la Vampire en approche, mais trop tard. Alors qu’il tendait la main vers son marteau, il fut embroché par la Dague de Jais, soulevé en l’air et jeté dans une des crevasses que sa propre Magie avait ouvertes. Terrible dans sa fureur, Neferata emmena ses demoiselles encore valides et entreprit de faucher les Gobelins de la Nuit qui déferlaient toujours par l’entrée nord.Ailleurs, les nouveaux arrivants du Throng de Karak Azul terrassaient les Morts-Vivants devant eux, lorsqu’un être méphitique se présenta pour relever le défi lancé par le cor de Kazador. Druthor, le Roi Strige, voulait souffler la flamme de l’espoir des Nains. Le Vampire difforme planta ses ergots dans les flancs pourris de son Terreurgheist pour qu’il prenne son envol. La bête atteignit le plafond de la caverne en quelques battements d’ailes, avant que Druthor la fasse plonger en piqué droit sur le Roi Nain et son étendard.
Le Roi Kazador vit la monstruosité descendre sur lui, mais n’en fut pas apeuré. Il souffla dans son cor une dernière fois, avant de soupeser le grand Marteau de Karak Azul. Forgée dans le meilleur Gromril qui fût, cette arme avait servi ses ancêtres depuis l’âge de Grungni. Ses runes luisaient dans la pénombre souterraine, car elle avait été façonnée précisément pour ce genre de batailles. Au côté du Roi se tenait fièrement son neveu Kazril, un jeune Thane qui portait la grande bannière de Karak Azul. Les deux figures royales étaient entourées par les Marteaux Noirs, la garde personnelle de Kazador.
Noir comme un nuage d’orage, le Terreurgheist fit un passage en rase-mottes, poussant un hurlement de cauchemar. Le Roi Kazador arma son marteau et effectua un moulinet parfaitement minuté ; l’attaque frappa la gueule vociférante du monstre mort-vivant de plein fouet. Des crocs cassés et des fragments de crâne giclèrent au loin, et l’énorme Terreurgheist s’effondra, le sortilège animant sa carcasse rompu par ce seul revers. Druthor émergea de sous le cairn d’ossements, toutes griffes dehors. L’horreur immémoriale fut rouée de coups et anéantie par les Marteaux Noirs avant d’avoir pu déployer sa sauvagerie. Druthor avait voulu saper le moral des Nains, mais sa fin spectaculaire eut l’effet inverse : la grotte résonna de leurs cris de joie et de leurs jurons enthousiastes.
Les meutes de goules qui suivaient Druthor furent les prochaines victimes des Marteliers de Kazador. Le feu de la bataille entretenait l’ardeur des Nains, et ils auraient arasé toute l’armée des morts sans l’intervention des Gobelins de la Nuit. Si ni les griffes incrustées de crasse des goules, ni les lames rouillées des squelettes ne pouvaient entamer les armures de la garde royale, les boulets que les fanatiques balançaient au bout de leurs chaînes laminaient les plaques de Gromril comme les Nains qui les portaient.
Les Marteaux Noirs n’eurent pas le temps de se remettre que dans leur dos, deux bandes de Gobelins de la Nuit se heurtèrent dans leur hâte d’assassiner des Nains. Enragés par les coups en traître et par la simple vue des Peaux-Vertes, les Marteliers se retournèrent pour démolir leurs ennemis. Tout à l’assouvissement de leur haine ancestrale, les Nains ne virent pas que Krell réorganisait la formation de ses squelettes pour les encercler, la Légion Maudite venant se placer juste derrière eux.
Cernés et écrasés par le nombre, les Marteaux Noirs luttèrent comme les héros d’antan, leurs armes finement ouvragées laissant plusieurs ennemis estourbis après chaque coup. Ils se rassemblèrent autour de leur Roi et de la bannière de Karak Azul, qui brillait bravement dans la lumière tamisée de la taverne. Pour chaque Nain du régiment qui tombait, douze crânes ennemis étaient fendus. Les Gobelins de la Nuit qui ne furent pas brisés par les marteaux se retournèrent et s’enfuirent, effarés par la fureur des Nains. Le Cor du Tonnerre de Karak Azul sonna une fois encore, mais ses notes graves ne convoquèrent aucun renfort pour le Roi Kazador, seulement davantage de squelettes.
Neferata s’extirpa des décombres à temps pour voir les tout derniers Nains livrer un combat d’arrière-garde en emportant le corps de leur Roi défunt dans le Dédale.
« Crétins d’avortons butés » cracha-t-elle avant de retrouver sa contenance. Tout en époussetant sa robe, elle se dit qu’elle avait commis une erreur avec Thorek : elle aurait dû arracher sa tête en fer. L’éventrer n’avait pas suffi, le Forgerune s’était traîné jusqu’à sa maudite enclume pour tenter de faire s’écrouler toute la caverne. Typique des Nains, se dit-elle : rancuniers jusqu’à leur dernier souffle. La colère lui nouait encore les tripes. Neferata observa la dévastation qui s’étendait hors du cratère où se trouvait naguère l’enclume. L’armée des Morts-Vivants était certes détruite, mais pouvait être relevée. Krell, nota-t-elle sans plaisir, était toujours debout. Tandis qu’il se dégageait des débris, elle remarqua que ses gestes étaient plus lents. Le Roi Revenant avait dû être blessé par quelque chose de vraiment puissant. Comment tirer avantage de cette faiblesse ? Sa destruction lui aurait facilité les choses, pensa-t-elle. Elle aurait reçu tout le crédit de la conquête de la source de pouvoir pour Nagash. Son heure viendrait. |
Désormais, la masse des Morts-Vivants ensevelissait le Throng Nain, et les Marteaux Noirs formaient le premier rempart contre l’assaut. Les Nains damaient l’avalanche de carcasses, encore et encore, fauchant les squelettes par rangs entiers, jusqu’à ce que les bras de ces guerriers endurants s’engourdissent, et que leurs marteaux se fassent plus lourds à chaque volée. Ils combattirent en vrais fils de Grungni, et auraient peut-être essuyé cette tempête sans la présence de Krell.
Ses légions se faisant pulvériser, Krell dut se résoudre à intervenir. La Légion Maudite poussa en avant, en piétinant les os de leurs prédécesseurs. Kazador lui-même abattit l’étendard de la Légion Maudite et son porteur dans un même mouvement fluide et puissant. Même si le vieux Roi commençait à ressentir le poids des ans, lorsqu’il vit l’armure rouge de Krell, il se fraya un chemin dans la mêlée pour affronter l’imposant revenant. Les ennemis héréditaires échangèrent des coups qui auraient renversé un chêne. Aucun d’eux ne recula, et ils optèrent au même moment pour une attaque titanesque dans laquelle ils mirent toute leur force. Le Marteau de Karak Azul enfonça le plastron de Krell, qui tomba à genoux, mais le dernier assaut de Krell avait atteint son but. Sa hache imprégnée de Magie Noire avait non seulement tranché la longue barbe de Kazador, mais avait également emporté sa tête.
Les derniers Nains étaient voués à périr sous les griffes des Morts-Vivants sans l’ultime rébellion de Thorek Tête-en-fer. Quoique meurtri et exsangue, le vieux Forgerune restait aussi dur que la montagne. Malgré ses blessures, Thorek était parvenu à se rattraper au bord de la crevasse. Il avait rampé sur le sol de pierre jusqu’à son enclume adorée. Avec son bras valide, il brandit son marteau Klad Brakak une dernière fois, et il tapa sur l’enclume.
Dans un fracas cataclysmique, comme si le ciel lui-même se déchirait, l’enclume du destin se brisa. Des arcs d’énergie, des éclairs de pure vengeance et une onde sismique prodigieuse explosèrent en tous sens. Et ainsi prit fin la Bataille de la Porte de Valaya.
Chapitre IV : SOMBRES NUÉES - Été 2524 / Été 2525[modifier]
Loin au nord de la Sylvanie, l’Empire était assiégé. Pour les barbares des steppes septentrionales, l’heure de gloire était venue, car la civilisation allait enfin périr sous leurs haches. La Fin des Temps était proche, et la gloire attendait ceux qui sauraient la saisir.Lors des semaines précédentes, Kislev avait été anéantie, et ses osts de cavaliers et de fantassins exterminés. De cette fière nation, il ne restait plus que la ville d’Erengrad, qui résistait grâce aux renforts que le Comte Électeur d’Ostland Valmir von Raukov avait emmenés vers le nord dès qu’il avait eu vent des troubles qui l’agitaient. Des rumeurs affirmaient toutefois que la Reine de Glace Katarina était toujours en vie, et qu’elle commandait une armée de survivants qui poursuivaient le combat pour tenter de libérer leur patrie. Hélas, au fil des jours, il semblait que cette histoire n’était bel et bien qu’une rumeur, car en vérité, Kislev n’existait plus, et les seuls survivants étaient les réfugiés qui avaient fui en direction de l’Empire.
Alors que les Nordiques se dirigeaient vers le sud, ils découvrirent que l’Empire s’était préparé à leur venue, non pas à grand renfort de hallebardes, d’arquebuses et de canons, mais à l’aide d’une muraille magique. On la nommait le Bastion Doré. C’était un mur de pierre et de foi érigé par Balthasar Gelt, le Patriarche Suprême des Collèges de Magie.
Tandis que les premières tribus marchaient sur Kislev, Gelt s’était attelé à l’accomplissement de ce miracle. Il avait puisé en partie dans l’expérience acquise lors de la création du Mur de Foi, et en partie dans des connaissances dont il se refusait à divulguer les origines. Le mystère dont il s’entourait éveillait les soupçons de ses rivaux, qui sous-entendaient régulièrement que Gelt s’éloignait trop des règles édictées lors de la fondation des Collèges de Magie. Cependant, nul ne pouvait nier l’efficacité du résultat.C’était le sol de l’Empire qui avait fourni le matériau : les Sorciers du Collège Lumineux avaient refaçonné les collines afin qu’elles adoptent la forme d’un mur si haut qu’il se perdait dans les nuages. La foi avait servi de mortier, car les prêtres de Sigmar avaient accepté d’œuvrer aux côtés des Sorciers en dépit de la rivalité qui les opposait. À l’aide des prières d’une nation en proie au désespoir, ils avaient scellé la terre et la roche. D’ordinaire, une telle union de foi et de Magie aurait été impossible, mais les alchimistes du Collège Doré s’étaient servis de leurs pouvoirs afin de modifier la nature du sortilège et le rendre réalisable.
C’est ainsi que Gelt put créer le Bastion Doré, obstacle infranchissable pour les barbares du nord. Il ne nécessitait aucune garnison, car aucune griffe et aucun grappin ne pouvaient trouver de prise dans ses flancs parfaitement lisses et verticaux. Il n’avait pas besoin non plus d’ingénieurs ou d’ouvriers pour l’entretenir, car la roche se réparait d’elle-même face aux assauts de l’ennemi. Les hommes ne pouvaient donc pas escalader ou détruire le Bastion Doré, et grâce aux bénédictions qui l’imprégnaient, les Démons étaient incapables de s’en approcher. C’était un miracle survenu en des temps désespérés, qui ravivait la flamme du courage dans tous les cœurs. La joie du peuple était telle qu’on en oublia les suspicions qui planaient sur Gelt dès que le Bastion Doré fut achevé, quelques jours à peine avant l’arrivée des premières bandes de guerre nordiques. Évidemment, la disparition mystérieuse de Thyrus Gormann, le prédécesseur de Gelt et son plus grand détracteur, eut tendance à museler les réticents. Les autres proclamaient que le Bastion Doré était le chef d’œuvre de Gelt, et qu’aucun autre miracle ne pourrait jamais l’égaler. Le futur allait les faire mentir, mais en cet instant, nul ne pouvait prévoir ce qui allait advenir, ni le rôle que Gelt allait jouer.
Pourtant, le Bastion Doré n’était pas dénué de défauts. Il nécessitait un afflux de Magie constant. Une série de cercles rituels avait été installée d’Erengrad jusqu’aux Montagnes du Bord du Monde. Dans chacun de ces cercles, des prêtres et des Sorciers s’affairaient, emplissant l’air de cantiques et de sortilèges afin de canaliser la Magie et la foi dans le Bastion Doré. C’était une tâche éreintante, et il n’était pas rare que certains soient terrassés par l’effort ou que leurs esprits défaillent sous l’effet des forces qu’ils manipulaient. Ces victimes étaient rapidement remplacées, mais chaque interruption d’un rituel créait une faiblesse momentanée dans le mur, que l’ennemi avait tôt fait d’exploiter. Ainsi, même une défaillance de quelques heures permettait à des dizaines de bandes de guerre d’emprunter la brèche dans la muraille avant qu’elle se referme.
Dans de tels cas, il revenait aux soldats d’intervenir. Les Comtes Électeurs avaient envoyé autant de troupes que possible, mais les Hommes-Bêtes qui ravageaient les provinces empêchaient toute mobilisation générale. Malgré tout, le sud du Bastion Doré offrait un spectacle chamarré, où les loups blancs du Middenland se mêlaient à l’héraldique du Stirland, au soleil de l’Averland, à la Dame de Talabheim et à bien d’autres blasons chatoyants.
Les Comtes Électeurs des provinces septentrionales dirigeaient les défenses. Le flanc droit était commandé par Wolfram Hertwig d’Ostermark un homme méthodique, célèbre pour son approche hautement stratégique de la guerre. Les défenses ouest étaient orchestrées par Valmir von Raukov, Comte Électeur d’Ostland. Avec l’aide de Syrgei Tannarov le boyard en charge des défenses d’Erengrad, il protégeait la dernière région de Kislev qui résistait encore, évitant ainsi à la province d’Ostland d’être submergée. La défense de la zone centrale du Bastion Doré revenait à Aldebrand Ludenhof, Comte Électeur d’Hochland. Contrairement à Hertwig et von Raukov, il ne participait pas directement aux combats, et préférait diriger ses armées depuis l’arrière. Néanmoins, seul un imbécile l’aurait pris pour un couard, car Ludenhof faisait preuve d’une maîtrise de la manœuvre digne d’éloges. Les Hochlanders aimaient leur comte, et assuraient aux guerriers des autres provinces qu’il était le septième fils d’un septième fils, et que Taal et Myrmidia lui avaient accordé respectivement son don de prescience et sa sagesse. Évidemment, il n’en était rien : Ludenhof était juste un esprit brillant, capable d’échafauder des stratégies là où les autres ne voyaient qu’une situation anarchique, et qui était assez vif d’esprit pour saisir les opportunités.
Le héraut fit une révérence avant d’ouvrir les portes des quartiers privés de l’Empereur afin de laisser entrer Balthasar Gelt. Ce dernier nota l’opulence et la magnificence de la pièce, pourtant le cérémonial était pour l’heure le cadet des soucis de son occupant.
L’Empereur faisait les cent pas au centre de la pièce. Son bruit de pas était à peine assourdi par l’épais tapis tandis que ses talons claquaient le sol à chaque fois qu’il faisait volte-face. « Les présages sont funestes ! » déclara-t-il sans préambule lorsque le Sorcier se présenta. « Une rumeur est si persistante que je n’ai d’autre choix que de vous en parler. » Il s’arrêta brusquement et fixa Gelt. « Est-ce que la cage de la Sylvanie tient toujours ? » La question déstabilisa Gelt. Il était obnubilé par les problèmes dans le nord, et avait chassé de ses pensées la province hantée par les Vampires. Elle appartenait au passé. Du moins, c’est ce qu’il croyait. « Je n’ai jamais dit que ce sortilège serait éternel, majesté, » objecta Gelt d’une voix aussi neutre que possible. « D’ailleurs, permettez-moi de rappeler à votre majesté que le Mur de Foi était un pis-aller, une mesure désespérée à laquelle nous avons été forcés de recourir suite à la décision précipitée de Volkmar. S’il m’avait averti de ses intentions avant de partir en Sylvanie, sans doute aurais-je pu… » Karl Franz lui fit signe de se taire. Ce geste d’énervement ne manqua pas de surprendre Gelt. L’heure devait être bien sombre pour que le plus grand diplomate du Reikland trahisse un signe d’exaspération. « Je vous en prie, Patriarche, » répondit l’Empereur. « J’ai conscience de la situation, cependant j’aimerais vous rappeler que par sa mort, Volkmar a racheté les erreurs qu’il aurait pu commettre. De plus, je n’apprécie pas qu’on souille son nom en ma présence. » Ainsi les défunts étaient-ils absous sans condition tandis que les vivants étaient sans cesse soumis à des remontrances, pensa Gelt, mais son masque doré cacha l’amertume qui crispait son visage. « Par ailleurs, » poursuivit-il, « je n’ai pas mandé votre présence pour débattre de décisions passées. Je souhaite simplement la réponse à cette question : est-ce que la cage de la Sylvanie tient toujours ? » Gelt resta silencieux de longues secondes durant. Il réfléchissait à ce qu’il allait dire. Il ne savait pas si le Mur de Foi tenait encore, mais avait-il le courage de l’admettre ? Cela aurait été un aveu de faiblesse s’il s’était trouvé devant le conseil, mais les enjeux de cette audience privée étaient d’une importance moindre. Gelt faillit confesser son ignorance. Puis il se souvint de Gregor Martak, le Patriarche du Collège d'Ambre, de son amitié avec l’Empereur et de ses vues sur la place de Patriarche Suprême. Karl Franz n’avait pas le pouvoir de décider à qui revenait le Bâton de Volans, il fallait un duel rituel entre le prétendant et le tenant du titre. D’un autre côté, aucun Patriarche Suprême n’était resté en place très longtemps sans le soutien de l’Empereur. Gelt décida donc de ne pas prendre de risques. De plus, il considérait que les Vampires n’étaient guère plus doués en Magie que des Sorciers amateurs, et qu’ils se contentaient de copier les sortilèges d’êtres plus anciens et puissants qu’eux. Lequel parmi ces misérables Morts-Vivants pourrait défaire un enchantement aussi élégant que le Mur de Foi ? « Je n’ai nulle raison de croire que ce n’est pas le cas, » répondit enfin Gelt, évitant ainsi un mensonge éhonté. Il savait que Karl Franz devinait aisément quand on essayait de le tromper. Malgré tout, le Sorcier vit immédiatement dans le regard de l’Empereur qu’il n’était pas dupe. Gelt fut donc soulagé d’entendre le héraut entrer dans la pièce dès qu’il eût terminé sa phrase. Toutefois, son soulagement disparut lorsque le messager expliqua les raisons de son intrusion. |
Les semaines, puis finalement les mois s’écoulèrent tandis que les pertes s’accumulaient. La situation avait abouti sur un statu quo. Des éclaireurs montés sur des pégases survolaient quotidiennement le Bastion Doré, et ceux qui revenaient de ces dangereuses patrouilles rapportaient que la horde ne diminuait pas et ne perdait pas sa motivation, et ce quel que fût le nombre de tribus qui s’infiltraient et périssaient à chaque fois qu’une faille s’ouvrait.
Même lorsque les trains d’artillerie de Nuln arrivèrent et que des tirs de mortiers et de roquettes passèrent au-dessus du mur, la horde n’en fut guère affectée. Pire encore, dès que les pièces impériales ouvraient le feu, l’armée du Chaos mettait en place des tirs de contre-batterie avec des Canons Apocalypses. Les deux camps tiraient à l’aveuglette, mais la concentration de troupes de part et d’autre du Bastion Doré était telle que seuls les tirs les moins chanceux rataient totalement leur cible. Des maraudeurs vêtus de fourrures étaient déchiquetés par les roquettes et les bombes, tandis que des miliciens en train de bivouaquer étaient brûlés vifs par des projectiles démoniaques ardents. Les plus chanceux mouraient sur le coup, les autres étaient abattus par leurs camarades lorsque ces derniers constataient avec horreur les mutations provoquées par les flammes magiques. Au sud, les hommes de l’Empire serraient des pendentifs en forme de marteau ou priaient Ulric de leur donner du courage. De l’autre côté du mur, des chefs tribaux et des chamans clamaient que le statu quo était une épreuve de force voulue par les Dieux, ce qui poussait les barbares à toujours plus de sauvagerie les rares fois où une brèche s’ouvrait dans le Bastion Doré.
Un mois avant Geheimnisnacht, il devint évident que les tirs d’artillerie n’étaient pas la seule chose capable de passer au-dessus du mur. Le vent avait tourné et venait désormais du nord, et charriait une odeur tenace. Cela faisait des mois que l’air paraissait vicié, chargé des myriades d’odeurs douceâtres qui accompagnaient toujours les armées en campagne. Cependant, cette fois, c’était une puanteur différente, à la fois amère et capiteuse, repoussante et enivrante. Elle amenait avec elle des épidémies. En une nuit, la région centrale du Bastion Doré devint un cimetière à ciel ouvert où agonisaient les malades, car les hommes affaiblis par la disette et les combats incessants succombèrent facilement à la contagion. Des centaines périrent, s’étouffant avec leur propre vomi purulent, ou lorsque leurs poumons nécrosés s’emplissaient de sang noir. L’épidémie frappait sans discrimination, mais tandis que les hommes du nord voyaient cette affliction comme une bénédiction de Nurgle, ceux de l’Empire l’interprétèrent comme un présage funeste.
Sur ordre de Ludenhof, des prêtres et des sœurs de Shallya tentèrent d’endiguer le fléau, toutefois leur déesse n’était plus que l’ombre d’elle-même. On essaya des remèdes et des prières, mais rien ne put ralentir la propagation du mal. On déplorait un taux de mortalité de trois sur quatre, et la plupart de ceux qui survivaient portaient les stigmates physiques ou mentaux de cette maladie, si bien qu’ils n’étaient plus aptes au combat. Seule la mise en quarantaine des malades derrière des palissades de bois et aux portes gardées était efficace, mais elle nécessitait une vigilance permanente, afin de repérer les premiers symptômes. Les cadavres étaient ensuite brûlés sur des bûchers sanctifiés.
Aussi horrible que fut cette épidémie, elle engendra également des actes d’héroïsme tels qu’on n’en avait pas vu jusqu’à présent au cours de la guerre. L’un d’eux concerna les Épées d’Ulric, une bande de guerriers originaire de Middenheim. En dépit de la maladie qui les tuait à petit feu, ils tinrent une brèche à Kraghof pendant toute une journée et sans le moindre renfort. Lorsque ces derniers arrivèrent enfin, ils trouvèrent le Bastion Doré de nouveau intact, et les cadavres vérolés des Épées d’Ulric qui jonchaient le sol autour de leur étendard déchiré. En dépit de la maladie et de leur situation désespérée, les Middenheimers avaient tenu bon.
Alors que Geheimnisnacht approchait et que l’épidémie ne faiblissait pas, Ludenhof, qui avait déjà perdu deux fils à cause d’elle, prit des mesures drastiques. En dépit des protestations de ses conseillers, il ordonna que les morts aussi bien que les pestiférés soient menés au bûcher. Évidemment, la plupart des malades refusèrent d’être sacrifiés de la sorte, et des escarmouches éclatèrent lorsque les Joueurs d'Épée du comte accomplirent sa volonté. Des milliers de soldats furent ainsi brûlés après leur exécution sommaire, afin d’éviter qu’ils contaminent leurs camarades. Ludenhof était persuadé qu’il s’agissait là d’un mal nécessaire, même si intérieurement, le remords allait le tourmenter jusqu’à son trépas. Au même moment, au cœur du Royaume du Chaos, Nurgle beugla de colère en voyant sa dernière création disparaître avec ses victimes.
Tandis que les derniers bûchers finissaient de se consumer, Ludenhof se rendit au nord, jusqu’au château von Rauken. Il demanda audience auprès de Karl Franz. Lorsqu’il pénétra dans la chambre du conseil, Ludenhof tomba à genoux et confessa immédiatement le massacre dont il était responsable. Le Comte Électeur s’attendait (et sans doute espérait) une punition exemplaire pour sa décision radicale, cependant l’Empereur ne lui en infligea aucune. Au contraire, il l’aida à se relever et prit acte des événements, expliquant qu’il était parfois nécessaire de prendre des décisions difficiles pour éviter que les choses empirent. Tous les membres du conseil entendirent ces paroles, notamment Balthasar Gelt, qui fut probablement celui qu’elles troublèrent le plus, même s’il ne le montra aucunement. C’est ainsi que Ludenhof conserva le commandement de la zone centrale du Bastion Doré, après avoir été absous par l’Empereur, et en dépit des remords qui le tenaillaient toujours. Le fait que l’épidémie ait été enrayée n’était qu’une maigre consolation, et à partir de ce jour, il ne trouva plus un sommeil serein, car il était convaincu que les âmes de ceux qu’il avait assassinés viendraient le tourmenter.
Geheimnisnacht arriva enfin. Morrslieb et Mannslieb brillaient de façon menaçante. Cette nuit s’accompagne de son lot habituel de terreurs, mais en ces temps lugubres, l’irruption de davantage de spectres et de Démons dans le monde des vivants passa presque inaperçue. En revanche, à l’approche de minuit, il devint clair que cette Geheimnisnacht était différente des autres. Le long du Bastion Doré, les prêtres, les Sorciers et les chamans sentirent un changement dans l’éther comme Nagash luttait pour canaliser Shyish, le Vent de la Mort. Aux douze coups de minuit, une aura d’énergie brute illumina la frontière. Des prêtres de Morr sombrèrent dans la folie, et des Sorciers d’Améthyste hurlèrent tandis que leur corps se désagrégeait. Chamans et Sorciers sentirent un afflux de puissance soudain, puis périrent lorsque celui-ci se retira tel une marée en emportant leurs âmes. Enfin, de part et d’autre du mur, les morts se levèrent.
Ces squelettes et ces zombies n’étaient poussés par aucune volonté. Même si nul ne le savait encore, Nagash n’était pas parvenu à dompter Shyish, si bien que les Morts-Vivants n’étaient guidés que par leur instinct. Ils s’en prirent aux vivants situés à proximité, ou errèrent sans but sur des lieues. Les Nordiques et les Impériaux furent ainsi forcés de livrer bataille contre les cadavres de leurs anciens camarades et ennemis. Il arriva même que les Morts-Vivants se battent entre eux, lorsqu’ils reconnurent des adversaires qu’ils avaient affrontés de leur vivant. Certains groupes furent attirés par les cercles rituels de Gelt, et des escarmouches eurent lieu lorsque les gardiens de ces lieux tentèrent de les protéger. Le plus grand nombre de Morts-Vivants se manifesta autour des bûchers érigés sur ordre de Ludenhof : une légion de squelettes carbonisés s’extirpa des cendres. Les Hochlanders durent lutter pour leur vie toute la nuit, et n’échappèrent à la déroute que grâce à l’intervention des Chevaliers du Soleil, qui s’étaient joints à Ludenhof lorsqu’il avait quitté le château von Rauken.
Trois jours après Geheimnisnacht, Karl Franz convoqua Gelt et lui demanda si la Sylvanie était toujours verrouillée par le Mur de Foi. Il aurait dû rencontrer le Patriarche plus tôt, mais les morts inhumés autour du château étaient si nombreux qu’il avait fallu trois jours de combats ininterrompus pour les vaincre. Gelt l’assura que le Mur de Foi tenait toujours, mais en réalité ce n’était pas le cas, bien que le Patriarche n’en sût rien. Néanmoins, ses paroles pleines de conviction ne réussirent pas à convaincre Karl Franz ; l’Empereur avait déjà négocié avec des êtres aussi énigmatiques que les Elfes, et il n’était pas facile de le berner, même pour un être aussi vif d’esprit que Gelt.
Leur conversation fut coupée par l’arrivée de funestes nouvelles. Alors que l’Empereur pressait Gelt de questions pour démêler le vrai du faux, un messager se précipita dans la salle du conseil, et annonça qu’un des cercles rituels situés dans le village d’Alderfen, en Ostermark, avait été réduit au silence, que la section correspondante du Bastion Doré s’était effondrée, et qu’une horde de Nordiques se déversait dans la brèche. Karl Franz oublia instantanément la Sylvanie et fit quérir le Reiksmarshall. Gelt en profita pour s’éclipser vers les écuries, et s’envoler vers le sud sur le dos de son pégase. Le Bastion Doré était son chef d’œuvre, et il était hors de question qu’il laisse ses ennemis le détruire.
La Défense d’Alderfen[modifier]
La Garnison d’Alderfen[modifier]
Personne ne s’attendait à un assaut d’envergure contre Alderfen, si bien que la garnison n’était qu’un assemblage hétéroclite d’unités stationnées là temporairement. Si les Ostermarkers de Wolfram Hertwig ne s’étaient pas trouvés là par hasard, la bataille d’Alderfen aurait sûrement tourné au carnage. Wolfram Hertwig, Comte Électeur d’Ostermark Capitaine Harald Dreist Valten Les Balbuzards du Nordland Les Frères Fleissman Les Frères-Loups Le XIIIe Reikland Le Rugissement du Lion |
La Horde Purulente[modifier]
La Horde Purulente était venue à Alderfen dans l’espoir de se couvrir de gloire et de se distinguer aux yeux d’Archaon. Elle avait passé des semaines à ronger son frein au pied du Bastion Doré, et à maudire à tue-tête cet obstacle qui la privait de ses victimes. Bien entendu, la situation changea brusquement lorsque la muraille commença à s’effondrer. Festak Krann Gurug’ath le Pourrissant La Confrérie des Corbeaux Les Boucliers Noirs de Daakon Har Les Chiens de Khoros Les Légions de Licteurs Æson le Déchu |
Le pégase de Gelt le servait loyalement depuis plus d’une décennie. il s’appelait Vif-argent et portait bien son nom, notamment ce jour-là, car il emmena son cavalier avec célérité au-dessus des terres. L’animal s’envola vers le sud aussi vivement que la lance de Myrmidia, et parcourut les nombreuses lieues qui menaient jusqu’à Alderfen. Au cours de son périple, Gelt put constater de ses propres yeux la présence des Morts-Vivants, et sut qu’en dépit de ce qu’il avait affirmé, les créatures de Sylvanie étaient de nouveau libres de parcourir les terres. Il en fut horrifié, à la fois à cause du nombre de victimes assassinées par les Morts-Vivants, mais aussi parce que sa réputation s’en trouvait entachée. Néanmoins, dès qu’il arriva à Alderfen, il mit temporairement ce problème de côté pour se consacrer aux tâches les plus urgentes.
En dépit de la distance qui le séparait du Bastion Doré, Gelt pouvait voir la brèche, qui s’étirait des remparts jusqu’aux fondations. Des Nordiques scrofuleux l’empruntaient et se jetaient immédiatement contre les lignes impériales qui tentaient de les contenir. Les cieux étaient voilés par les ailes noires de gargouilles, qui piaillaient d’impatience mais n’osaient pas se jeter sur l’ennemi tant qu’il n’était pas suffisamment affaibli. L’air résonnait du battement des tambours, de la clameur des cors de guerre et des chants rauques en hommage aux Dieux impies.
Tirant sur les rênes, Gelt fit signe à Vif-argent de descendre vers les collines où flottait l’étendard personnel de Wolfram Hertwig. Un assemblage de troupes hétéroclite se serrait sur l’éminence : des Middenlanders, des Wissenlanders, des soldats de Talabheim, des artilleurs de Nuln… il n’y avait presque aucun étendard de l’Ostermark, et l’œil affûté de Gelt repéra bientôt pourquoi. Quelques silhouettes vêtues de jaune et de violet, situées à quelques centaines de mètres de la brèche et à peine visibles au milieu des fourrures et des boucliers de la horde, indiquaient là où les Ostermarkers avaient tenté de repousser l’ennemi, et avaient échoué.Le tonnerre des canons et des mortiers se fit entendre, ponctué de façon intermittente par les salves d’arquebuses. Gelt vit les panachés de fumée s’échapper des bouches à feu, et les sillons sanglants tracés dans la horde quelques secondes plus tard. Il vit des Sorciers du Collège Flamboyant déclencher des conflagrations qui dévastèrent les rangs de soldats à la chair pâle et couverte de chancres, en ne laissant que des cendres et des flaques de métal fondu derrière elles. En dépit des pertes, les Nordiques poursuivaient leur avance. Les tambours battirent plus forts, les chants gagnèrent en détermination, et des renforts se déversèrent de la brèche pour remplacer les guerriers tombés.
Gelt ne prêta pas attention à la bataille elle-même, car il était obnubilé par le cercle de pierres situé dans un creux de la colline, et par les formes inertes qui le jonchaient. Il n’était pas étonnant que le rituel eût échoué, car son conclave avait été massacré par une force inconnue. Jetant un regard rapide aux lignes assiégées de Hertwig, Gelt prit une décision et éperonna sa monture. Un Sorcier de plus jeté dans la bataille, même s’il était aussi doué que Gelt, ne pouvait pas faire la différence, par contre, peut-être le Patriarche était-il en mesure de réparer les dommages que le Bastion Doré avait subis afin de bloquer l’arrivée de renforts. Dans un dernier effort, Vif-argent amena son maître au centre du cercle de pierres. Gelt mit pied à terre et puisa dans les vents de Magie, entamant ainsi le long et dangereux processus qui permettrait de rétablir l’enchantement.
Même si Gelt ne pouvait le savoir, le comte Hertwig s’était battu vaillamment jusqu’à présent, et avait été emporté par ses gardes du corps lorsque les lignes des Ostermarkers avaient été submergées. Le comte avait ensuite pris le commandement des premiers renforts qui étaient arrivés. Les joues striées par des lames de rage et de tristesse, il s’était mis en devoir de venger le massacre de ses hommes. Hertwig savait que les Épéistes et les Hallebardiers à sa disposition étaient trop peu nombreux et qu’ils finiraient par être vaincus eux aussi, mais il n’en avait cure : si la Fin des Temps arrivait vraiment, comme le clamaient les prédicateurs, alors Hertwig était déterminée à l’affronter l’épée à la main. Ainsi, lorsque la horde atteignit le pied de la colline, le comte brandit son Croc Runique, attirant à lui les cris de ralliement de ses hommes. « SIGMAR ! » hurlèrent mille voix à pleins poumons, si fort qu’elles éclipsèrent pendant une seconde le battement des tambours. « ULRIC ! » s’écrièrent pour leur part les Middenlanders, la férocité dans leurs voix nullement troublée par leurs effectifs réduits. Hertwig abaissa alors son épée, et les hommes de l’Empire dévalèrent la pente à la rencontre de leur destin.
En dépit de la concentration requise par le rituel, Gelt perçut la charge de Hertwig et le maudit pour sa témérité. Le comte n’avait-il pas compris que leur seule chance consistait à refermer la brèche dans le Bastion Doré ? Le Sorcier serait vulnérable tant que le rituel n’aurait pas été achevé, et il comptait sur le Comte Électeur pour tenir la horde en respect. Son regard se posa sur les cadavres à ses pieds.
Il sentait les effluves de Shyish planer sur le sol, et les dépouilles de batailles passées qui dormaient paisiblement dans la terre meuble du tertre. Il eût été si simple de leur redonner vie, afin qu’ils le défendent, le temps qu’il achève le rituel. Cependant, il savait qu’il ne devait pas utiliser un tel savoir, et pour de bonnes raisons. Il allait devoir se débrouiller autrement.
La horde du Chaos s’était attendue à ce que les défenseurs restent blottis en haut de leur colline, et n’avait pas anticipé leur élan de courage. Ainsi, la charge insensée d’Hertwig bénéficia grandement de l’effet de surprise. Le fracas des armes s’entrechoquant résonna le long des pentes. Des dizaines de soldats impériaux périrent dès les premiers instants, le crâne fendu par un fer de hache, les membres tranchés à coups d’épées, ou la gorge déchirée par des crocs venimeux. Malgré tout, l’assaut ne perdit pas son élan. Les hallebardes perçaient les cuirasses, les lances traversaient de part en part la peau noueuse des chiens de guerre, si bien qu’en quelques instants, la charge du comte le mena au beau milieu des rangs adverses.
De fait, Hertwig était si obnubilé par la vengeance qu’il ne se souciait plus de ce qui se passait autour de lui, mais seule une bande de Middenlanders était parvenue à le suivre. Des Nordiques morts et mourants jonchaient le sol autour du Comte Électeur, car même les armures de plaques maudites n’offraient aucune protection face à la lame du Croc Runique. Les Middenlanders s’inspiraient de l’exemple d’Hertwig et beuglaient leur dévotion à Ulric.
Non loin du Comte Électeur, une silhouette énorme et bossue tourna vers lui un regard intéressé. C’était Festak Krann le champion qui s’était arrogé le commandement de cette partie de la horde grâce à ses prouesses martiales et aux faveurs qu’il avait reçues de Nurgle. Il comprit que la mort d’Hertwig pouvait de nouveau attirer sur lui les attentions de son Dieu, c’est pourquoi il se fraya un passage au milieu des rangs serrés de guerriers en armure, et se rua sur sa proie.Hertwig se trouvait au cœur de la mêlée, par conséquent il ne remarqua la présence de Krann que lorsque celui-ci faucha avec sa hache les deux Middenlanders qui combattaient devant le Comte Électeur. L’arme du champion frappa une nouvelle fois, si vite qu’elle était impossible à esquiver, et Hertwig hurla de douleur quand elle défonça son épaulière et lui brisa l’épaule. Luttant pour surmonter la souffrance, Hertwig riposta, mais sa vision était brouillée, et son attaque ne fit qu’érafler le manche de l’énorme hache. L’arme tomba une fois de plus au moment où Hertwig rassemblait ses dernières forces pour une ultime estocade. Le dernier son qu’il perçut fut le cri de surprise de Krann quand la lame du Croc Runique s’enfonça profondément dans son ventre. Le Comte Électeur sourit de satisfaction, juste avant que le fer rouillé de la hache lui fende le crâne en deux. Krann eut un rire guttural tandis que le corps d’Hertwig glissait au sol, laissant le Croc Runique planté dans ses entrailles. Le cœur pourri du champion se gonfla de fierté. Sa blessure était plus inattendue que douloureuse, et Nurgle la guérirait, comme il l’avait toujours fait auparavant. Quant aux Middenlanders, leur courage s’évapora suite à la mort du comte, et ils prirent leurs jambes à leur cou, talonnés de près par les guerriers de Festak.
Krann ne les suivit pas. Un des chefs ennemis venait de périr, mais il restait encore beaucoup à faire. Les canons de l’Empire continuaient de tirer depuis le sommet de la colline, et on pouvait toujours voir les étendards d’une dizaine de provinces impériales flotter au vent. La bataille était loin d’être terminée. Krann saisit le croc runique par la garde et le retira de son abdomen dans un bruit de succion écœurant.
Un jet de sang mêlé de pus jaillit de la plaie. Krann s’aperçut instantanément que quelque chose n’allait pas : la plaie aurait dû se refermer en quelques secondes, pourtant le liquide écarlate et visqueux continuait de s’écouler. Il sentait la faiblesse l’envahir. Ce qu’il ne savait pas, c’est que le Croc Runique d’Ostermark était surnommé le Fendeur de Trolls et que ses enchantements empêchaient son corps de régénérer ses blessures. Krann tomba à genoux, sans que ses guerriers se préoccupent de son sort. À côté de lui, le corps sans vie de Wolfram Hertwig affichait toujours le sourire qu’il avait esquissé au moment de mourir.
Peu de troupes impériales réalisèrent la mort du Comte Électeur, car elles étaient trop occupées à se défendre. Bien des héros se révélèrent dans ce maelström de brutes hurlantes et de bêtes féroces, malheureusement bien peu survécurent assez longtemps pour entrer dans la légende. Leur bravoure permit toutefois aux lignes impériales de tenir bon. Sur le flanc droit, le capitaine Harald Dreist regrettait les actes d’adultère qui l’avaient forcé à trouver refuge au sein des Balbuzards du Nordland, un régiment stationné loin des maris cocufiés et en colère de Salzenmund. Jusqu’à présent, les cours d’escrime que Dreist avait reçus lui avaient permis de survivre, mais les Hallebardiers autour de lui se faisaient massacrer par les Nordiques. Non loin à sa gauche, Ar-Ulric Emil Valgeir, qui était trop vieux pour avoir suivi les Middenlanders et Hertwig vers la gloire (et la mort), faisait néanmoins preuve de sa bravoure en attaquant les serviteurs du Chaos à coups de hache runique. Les soldats proches ne manquèrent pas de noter la détermination avec laquelle Valgeir abattait les élus de Nurgle, et cela leur redonna du cœur au ventre.
Cependant, ce fut au centre de la ligne impériale que le vent tourna en premier. Les survivants d’un régiment de Talabheim décimé se rallièrent autour d’un jeune guerrier blond dont les marteaux étaient nimbés d’une aura sacrée. Ce n’était pas un vétéran, ni même un prêtre, mais un simple forgeron qui brandissait les outils dont il se servait autrefois pour battre le fer. Il n’était pas venu dans le nord pour échapper à son passé, ni parce qu’il en ressentait le devoir, mais parce qu’il y avait été poussé par un besoin qu’il ne parvenait pas à définir, si bien qu’il avait quitté son village natal du Reikland. Il s’appelait Valten, toutefois ceux qui le voyaient reconnaissaient l’influence de Sigmar, et retrouvaient immédiatement force et courage.
Chaque coup de marteau de Valten brisait un bouclier ou défonçait un crâne. À chaque fois qu’il tuait un ennemi, l’aura de puissance qui l’entourait grandissait, au point que même les serviteurs du Chaos commencèrent à reculer craintivement face à lui. Un monstre immense à l’épaisse carapace survint de l’arrière de leurs lignes, ses tentacules enfournant les Talabheimers dans sa gueule caverneuse. Valten resta impavide et s’interposa entre la bête et ses camarades, et ses marteaux eurent tôt fait de lui briser l’échine. Le monstre se cabra avant de s’écrouler, écrasant sous sa masse les Nordiques qui ne furent pas assez prompts pour s’écarter. Dès cet instant, le combat tourna véritablement en faveur de l’Empire. Les Nordiques furent refoulés par des Talabheimers avides de venger leurs camarades tombés au combat.
Il semblait bien que le cours de la bataille avait définitivement tourné. Quelqu’un cria triomphalement le nom de Valten, puis d’autres reprirent son appel. La plupart ne connaissaient pas le guerrier qui portait ce nom, mais ils le prononçaient comme s’il s’agissait d’un talisman capable de repousser la horde. À droite, le capitaine Dreist rallia ses hommes et les emmena contre les barbares désemparés. À gauche, Valgeir hésita, mais il ne pouvait nier que la lumière dorée de Valten entourait désormais tous les soldats impériaux présents sur les pentes de la colline. À la salve suivante des canons, toute la ligne impériale s’élança, éparpillant les Nordiques sur son passage.
« Valten ! Valten ! Valten ! » criaient les hommes de l’Empire tandis qu’ils piétinaient dans la boue la bannière de Festak Krann, à quelques mètres seulement de son cadavre.
« Valten ! Valten ! Valten ! » La Confrérie des Corbeaux, dont les chevaliers rongés par les maladies ravageaient l’Ostermark depuis plus d’une génération, fut exterminée jusqu’à la dernière âme corrompue par les marteaux de Valten.
« Valten ! Valten ! Valten ! » Les derniers Middenlanders, désireux de faire oublier leur déroute, se ruèrent à nouveau sur les barbares. Ils ne partageaient pas la réserve de Valgeir à propos de Valten ; ils ne se souciaient que de la victoire, et se moquaient que ce fût Sigmar, et non Ulric, qui la leur apportât.
« Valten ! Valten ! Valten ! » Les Nordiques avaient été repoussés aux alentours immédiats de la brèche. La victoire était à portée de main de l’Empire.
« Valten ! Valten ! Valten ! » Depuis le centre du cercle de pierres, Gelt entendit la clameur et se demanda brièvement de quoi il retournait, puis il se concentra de nouveau sur la tâche à accomplir.
« Valten ! Valten ! Valten ! » Le dernier étendard du Chaos fut déchiré et piétiné dans la boue, et la horde fut refoulée de l’autre côté de la brèche. La bataille avait coûté plusieurs centaines de vies impériales, mais la ligne avait tenu bon. Du moins, c’était ce qu’on croyait.
Ce fut Dreist qui le vit le premier : une montagne de chair en décomposition surmontée d’un visage barré d’un sourire féroce. Cette monstruosité était encore de l’autre côté de la brèche, et traînait sa forme énorme vers les Nordiques en fuite. Elle portait une lourde épée rouillée, et un fléau constitué de longues chaînes terminées par des crânes de métal. Elle était suivie par une légion de guerriers trapus qui marmonnaient sans cesse. Du pus s’écoulait des chancres et des ventres distendus. Des mouches bourdonnantes formaient des nuages qui s’agglutinaient sur les flaques d’humeurs répandues au sol. Puisque les mortels avaient échoué, il revenait aux Démons d’intervenir.
Néanmoins, l’ardeur que la présence de Valten inspirait aux hommes était telle qu’ils ne flanchèrent pas à la vue d’une telle horreur. Les sergents et les capitaines aboyèrent leurs ordres, et une ligne de bataille se forma à la hâte devant la brèche. Elle était mince, d’à peine quatre rangs de profondeur, cependant sa solidité provenait non pas du nombre mais du courage inébranlable de ses guerriers. Tandis que les Porte-Pestes approchaient d’un pas traînant, pas un seul soldat ne songea à s’enfuir. Les impériaux ignorèrent les cris de frustration des gargouilles, la puanteur surnaturelle des Démons et les mouches qui bourdonnaient à leurs oreilles. Ils chassèrent à coups de pied les Nurglings qui leur mordaient les chevilles et les mollets. Des hommes vomirent sous l’effet d’afflictions fulgurantes, mais ils continuèrent le combat jusqu’à ce que leurs membres deviennent trop faibles et que leurs yeux se liquéfient, car ils savaient que Valten allait leur apporter la victoire, et voulaient s’en montrer dignes. Valten n’hésita pas et se rua vers le grand immonde. Gurug’ath le Pourrissant car tel était son nom, ne tenta pas de se défendre, et parut même outré d’être attaqué si directement.
Sa peau humide se desséchait et se craquelait sous les coups de marteau, toutefois cela ne sembla pas l’affecter. Valten redoubla d’efforts. Il y eut un éclat de lumière doré et cette fois, le démon hurla de douleur, et abattit son épée pour tenter de couper en deux ce mortel insolent qui osait le défier.
Vif comme l’éclair, le jeune guerrier tenta de parer le coup, mais la force du démon majeur était phénoménale. L’épée brisa les marteaux et au même instant, le fléau de Gurug’ath atteignit Valten à la poitrine et l’envoya valser. La clameur cessa immédiatement dans les rangs de l’Empire lorsque les soldats virent leur champion étalé au sol. La lueur dorée s’étiola, et avec elle,tous les espoirs des hommes. Alors qu’une minute plus tôt, la certitude de la victoire était ancrée dans leurs cœurs, les soldats reculaient désormais devant la marée démoniaque. Le flanc droit s’écroula comme un château de cartes, et Dreist s’enfuit avec ses hommes, sans se soucier de préserver son honneur.
La carcasse pestilentielle de Gurug’ath fut secouée par un rire caverneux. Les Nurglings s’agglutinèrent autour de lui en piaillant de joie. Le grand immonde pourlécha ses babines gercées avant de s’avancer pesamment et de lever son épée pour achever Valten. Deux Talabheimers se précipitèrent pour tenter de soustraire leur champion aux griffes de la mort, mais Gurug’ath les faucha d’un coup de fléau. Poussant un nouveau rire rauque, le démon fit un pas de plus. Valten était parvenu à se redresser sur ses genoux, mais il était encore groggy, et ne vit pas l’épée qui s’abattait sur lui.
Sans prévenir, une ombre recouvrit les deux combattants. Ce n’était pas le crépuscule ; il n’adviendrait pas avant plusieurs heures. C’était une nuée venue du sud, un voile d’obscurité qui progressait à une vitesse surnaturelle et qui éclipsait la lueur du jour. Elle apparut au-dessus de l’horizon, et un battement de cœur plus tard, elle recouvrit les armées situées de part et d’autre de la brèche, plongeant le champ de bataille dans la pénombre. Partout, les combats cessèrent pendant quelques secondes, hommes et Démons levant les yeux vers le ciel pour tenter de comprendre ce qui arrivait. Frappé de stupeur, Gurug’ath retint son coup pour diriger son regard vitreux vers cet étrange phénomène. Il percevait la Magie qui saturait l’air, et se demanda d’abord s’il ne s’agissait pas là de l’œuvre d’un démon de Tzeentch désireux de lui ravir son triomphe imminent. C’est alors qu’un rire retentit, et que Gurug’ath sut avec certitude qu’il se trompait.
Le son résonna au-dessus du champ de bataille, comme surgi de nulle part. Il ne semblait ni menaçant, ni cruel, mais son intonation étrange trahissait une confiance en soi et une euphorie certaines. C’était le rire de quelqu’un qui s’estimait supérieur à n’importe quel mortel ou démon, et qui se réjouissait de cette intime conviction.
Au centre du cercle rituel, Balthasar Gelt sentit les vents de Magie frémir tandis qu’une autre présence les pliait à sa volonté, et lutta frénétiquement pour ne pas perdre le contrôle de son invocation. Une lumière dorée étincelait au milieu des menhirs à chaque fois que l’énergie s’échappait, cependant le Patriarche Suprême parvint toujours à en reprendre le contrôle. Des gouttes de sueur coulaient sur son front sous son masque d’or tandis qu’il tentait de stabiliser le rituel. Il était si concentré sur les flux de Magie qu’il nota à peine le froid et le vent hurlant qui souffla du sud, et qui balaya les collines avant de se heurter au Bastion Doré.
Le capitaine Dreist sentit le froid mordant sur son visage alors qu’il s’enfuyait loin des horreurs qui se déversaient de la brèche, et son cœur fut saisi d’une terreur irrépressible. Il cessa de courir et trébucha, puis tomba à genoux avant de se blottir au sol, les mains sur la tête. Tout autour de lui, les autres Nordlanders sombraient dans des affres identiques. Dreist perçut de nouveaux sons se joindre au rire profond. On entendait des hennissements de chevaux, le tonnerre de sabots invisibles, et des voix gutturales qui hurlaient leurs cris de guerre dans un reikspiel archaïque. Le tumulte grossit jusqu’à envahir les moindres recoins de l’esprit de Dreist et le plonger dans la folie. Des silhouettes vêtues de rouge et d’acier filèrent au-dessus de la forme prostrée du capitaine ; une légion de chevaliers qui galopaient vers le nord. Quelques secondes plus tard, il sentit le souffle d’air déplacé par une paire d’ailes gigantesques, et ferma les yeux de peur de ce qu’il risquait de voir.Les premiers à apercevoir les nouveaux arrivants furent les Porte-Pestes présents dans la brèche, et bien peu survécurent plus de quelques secondes à cette vision. Le vent hurlant soufflait sur les cadavres de l’épidémie, puis se mua en un fer de lance de cavaliers qui hurlaient de colère en abaissant leurs lances. Elles transpercèrent les crânes Cornus et les ventres distendus des Démons. Les entrailles putrides furent éparpillées au sol, et des volutes de gaz issus de la décomposition des chairs envahirent l’air. Mais les chevaliers n’en avaient cure, et poursuivirent sur leur élan, s’enfonçant au cœur de la légion démoniaque qui se pressait de l’autre côté de la brèche. Les Porte-Pestes tentèrent de riposter, mais les cavaliers paraient leurs coups sans efforts.
Gurug’ath en oublia Valten et traîna son immense forme pour tenter de rejoindre les combats sur le flanc droit de sa légion. Il n’avait fait qu’un pas lorsqu’une silhouette gigantesque plongea des cieux fuligineux pour enfoncer ses serres dans son dos. Gurug’ath tressaillit mais ne tomba pas, cependant son assaillant reprit son envol. Le grand immonde poussa un gargouillement de frustration en s’apercevant que les chevaliers étaient hors d’atteinte, puis fit volte-face pour aller achever Valten. Néanmoins, celui-ci avait repris ses esprits et esquiva l’énorme épée qui s’abattait sur lui.
Avant que Gurug’ath puisse porter une autre attaque, de nouveaux arrivants émergèrent de l’obscurité et se jetèrent sur les Démons. La plupart n’étaient pas armés, et ils ne se souciaient pas de leur propre vie, tout simplement parce qu’il s’agissait des cadavres des soldats d’Alderfen. Ils submergèrent Gurug’ath, certains se contentant de leurs ongles et de leurs dents pour attaquer la peau moisie du démon. Leur nombre paraissait sans fin ; des vagues de morts décérébrés surgissaient sans cesse au son du rire lugubre.
C’en fut trop pour les survivants de l’armée impériale. Encerclés par des Démons et des morts-vivants, la majorité d’entre eux lâchèrent leurs armes et prirent leurs jambes à leur cou. Malgré tout, deux poches de résistance subsistaient. La première était commandée par Emil Valgeir, qui n’avait jamais montré le moindre signe de faiblesse au cours de la bataille. L’autre se rallia autour de Valten, qui bien que désarmé, s’était relevé et se préparait à renouveler son assaut contre Gurug’ath. Au début, les humains frappaient les Démons et les Morts-Vivants sans discrimination, mais ils remarquèrent rapidement que ces derniers ne s’en prenaient pas à eux…
Vlad von Carstein observait les guerriers, aussi bien morts que vifs, lutter pour contenir les légions lépreuses qui se déversaient de la brèche. Il avait perdu de vue Walach Harkon et ses Dragons de Sang, car l’élan de leur charge les avait emmenés au-delà du Bastion Doré.
« Harkon est une tête brûlée, » déclara une voix à gauche de Vlad. Elle appartenait à une silhouette voûtée à moitié dissimulée par les ombres. « C’est un guerrier, pas un comploteur, » répondit Vlad. « Tu ne peux pas comprendre. » Visiblement, le Sans-Nom s’en offusqua, car sa forme s’évapora brièvement. « Tu sais donc qui j’étais. Tu connais mon nom. Réponds-moi ! » Vlad eut un sourire cruel et secoua la tête. « Cela déplairait à notre maître, et j’ai besoin de ses faveurs, tout au moins pour l’instant. Tu n’es pas le seul à vouloir retrouver ton passé. » « Je pourrais te forcer à me le dire… » siffla le Sans-Nom. « Tu penses vraiment y parvenir ? » le menaça Vlad en se tournant vers lui. « Essaie sur-le-champ, si tu l’oses. Sinon, la scène attend l’arrivée de son marionnettiste… » Le Sans-Nom feula de frustration avant de s’envoler vers l’est. Vlad se retrouva seul et secoua la tête avec dégoût. « Isabella… » pensa-t-il. « Que ne ferai-je pour te retrouver… » |
Le capitaine Dreist se releva en titubant. Il avait l’impression de ne fournir aucun effort, sans doute parce que son esprit était toujours en proie à la terreur. Ses mouvements étaient hésitants, lents. Il entendait une voix dans sa tête, qui lui murmurait des ordres auxquels il ne pouvait se soustraire. Tout autour de lui, ses hommes l’imitaient. Il comprit qu’il devait avoir l’air aussi hébété qu’eux. Sans qu’il le désire, il se mit à marcher d’un pas traînant en direction de la brèche dans le Bastion Doré. Ses hommes le suivaient tels des automates, comme s’ils étaient guidés par une créature qui avait oublié les contraintes des mouvements d’un corps humain.
Gurug’ath se débarrassa des derniers zombies au moment où la charge involontaire de Dreist atteignait les Porte-Pestes. Le grand immonde remarqua que les mouvements de ces humains étaient anormaux, et son don de double vue lui permit de déceler une silhouette invisible pour ces poupées de chair : un spectre immense et vaporeux dont la forme se découpait dans le ciel, relié à ses marionnettes par des fils de Magie Noire. Le Bastion Doré s’était mis à luire d’énergie dorée au niveau de la brèche ; le rituel de Gelt portait enfin ses fruits. Le grand immonde balaya d’un revers d’épée un groupe de pantins, puis retourna aussi vite que possible vers la brèche. Cependant, alors qu’il traînait son corps bouffi au milieu du charnier, Vlad von Carstein apparut dans une bourrasque afin de lui barrer la route.
Vlad avait déjà affronté des Démons Majeurs par le passé. Il savait que Gurug’ath était un adversaire redoutable. En revanche, le Vampire ne se rendait pas compte que ses talents martiaux se trouvaient diminués à cause des siècles que son esprit avait passés dans les limbes. Il esquiva le premier coup d’épée latéral de Gurug’ath, mais au même instant, le démon majeur lâcha son fléau pour l’attraper par le bras qui tenait son arme. Le grand immonde souleva le Vampire. Il émit un rire bruyant qui projeta des postillons purulents au visage de Vlad, et le railla pour sa défaite dans son langage impie.
Valten était occupé à se frayer un chemin jusqu’au démon majeur à travers les Porte-Pestes, et fut témoin de la scène. Il ne savait pas qui était cet étranger qui avait osé défier Gurug’ath, mais il était indéniable qu’ils avaient un ennemi commun. Il avait perdu ses marteaux lors de son affrontement contre le grand immonde, et même si ses poings lui suffisaient contre les Démons mineurs, il savait que désarmé, il n’avait aucune chance contre Gurug’ath. Pour sa part, Vlad luttait contre la poigne de fer du grand immonde, pourtant il ressentit la proximité de Valten et y vit une opportunité. Il ferma les yeux, a se concentra un instant afin de localiser un cadavre spécifique. Dès qu’il le trouva, il le ranima et le guida…
Tandis que Valten continuait d’avancer en direction de Gurug’ath, il tomba nez à nez avec le cadavre ensanglanté de Wolfram Hertwig. Le zombie affichait toujours un sourire sinistre. Il avait récupéré son Croc Runique, et le tendit à Valten. Le jeune guerrier saisit l’arme sans hésiter et s’élança de nouveau. Le Fendeur de Trolls mordit profondément le bras de Gurug’ath, qui gronda de douleur et relâcha sa proie sous l’effet de la surprise.
L’humain et l’immortel combattirent alors côte à côte, non pas en tant que frères d’armes, mais plutôt en tant que guerriers qui partageaient le même ennemi juré. La peau de Gurug’ath était épaisse, et son corps rongé par les maladies insensible à la douleur, cependant il finit par ployer sous les coups du Croc Runique et de la lame glaciale de Vlad. Les deux compagnons de fortune n’échangeaient aucune parole, mais cela ne les empêchait pas d’agir avec une synchronisation parfaite. Vlad para un coup d’épée hâtif, et Valten en profita pour se fendre et ouvrir une plaie béante dans le ventre de Gurug’ath. Quand celui-ci réagit et tenta de jeter l’humain au sol, Vlad saisit l’occasion et creva un œil au Démon. Un observateur extérieur aurait pu penser que les deux guerriers étaient habitués à combattre ensemble, mais un œil exercé aurait remarqué qu’ils ne se souciaient pas de se protéger mutuellement. S’ils avaient réellement agi de concert et s’ils avaient eu confiance l’un envers l’autre, peut-être seraient-ils parvenus à vaincre Gurug’ath. Malheureusement, leurs attaques ne faisaient que plonger le Démon Majeur dans une rage inextinguible, si bien qu’il reprit peu à peu l’avantage. De plus, toujours plus de Porte-Pestes se portaient au secours de leur maître à travers la brèche.
C’est en cet instant qu’au sud, debout au milieu du cercle de pierres, Gelt émit un cri de triomphe. Les menhirs s’illuminèrent et la Magie qu’ils libérèrent fusa vers le nord. L’air au-dessus de la brèche crépita et des étincelles jaillirent de la pierre lorsque la brèche dans le Bastion Doré commença à se refermer. Les blocs qui constellaient le sol émergèrent de sous les corps qui les recouvraient, et la lumière étincelante les éleva dans les airs. Les Porte-Pestes furent écrasés par la roche, ou bloqués de l’autre côté de la muraille. Tandis que la brèche se refermait, Valten s’éloigna de Gurug’ath afin d’éviter d’être emmuré vivant. Vlad l’imita, non sans faire un salut grandiloquent et moqueur au grand immonde avant de se retirer dignement.
Gurug'ath rugit et tenta de les poursuivre, mais il était trop lent. L’aura dorée le recouvrit et le piégea, telle une mouche prise dans l’ambre. Le Démon se débattit, cependant il n’avait aucune chance de se libérer. Il beuglait encore son impuissance lorsque la dernière pierre scella sa prison rocheuse.
Ainsi s’acheva la bataille d’Alderfen. Valten et Valgeir furent loués en tant qu’uniques vainqueurs, car Vlad et ses alliés s’éclipsèrent sitôt les combats terminés. Les morts qu’ils avaient ranimés s’effondrèrent une fois de plus, tandis que les esprits de Dreist et de ses hommes furent libérés de l’emprise qui les avait dominés.
Pendant qu’ils enterraient les morts, les survivants ressassaient la bataille, les actes héroïques de Valten, et l’étrange intervention des Morts-Vivants. Au crépuscule, tandis que l’armée bivouaquait à proximité du champ de bataille, Valgeir parcourut les alentours pour répandre du sel et de l’eau bénite. Bien peu de soldats trouvèrent le sommeil cette nuit-là…
Lorsqu’il céda le contrôle du rempart, Gelt était exténué, mais il ne put trouver le sommeil pour autant. Il considéra que c’était en partie dû au malaise provoqué par ses alliés inattendus. Bien que Gelt n’eût pas vu les Morts-Vivants, il avait senti leur venue perturber les vents de Magie. Leur arrivée n’était pas son unique préoccupation toutefois. La tradition et la tutelle des Elfes avaient édicté que l’esprit humain n’avait pas la capacité de contrôler plus d’un vent de Magie, mais dans sa tentative de rebâtir le Bastion Doré, l’esprit de Gelt n’avait pas seulement touché Chamon, le vent du Métal, mais aussi Hysh, le vent lumineux, ainsi que les étranges tourbillons qui se mêlaient à la foi sigmarite. Ce contact avait étendu la perception magique de Gelt, et celle du monde influencé par cette Magie. Il pouvait entendre des voix où d’autres ne percevaient que le silence, et voyait des secrets cachés à ses frères Sorciers. Cette découverte était à la fois terrifiante et exaltante. Terrifiante en raison des nombreux avertissements au sujet de Sorciers qui avaient outrepassé leurs capacités au prix de leur santé mentale ; exaltante par les possibilités et le prestige qui en découlent.
À la tombée de la nuit, deux jours après la bataille d’Alderfen, Gelt mit ses perceptions étendues au travail. Nul n’avait encore trouvé de cause plausible au décès de ceux qui avaient accompli le rituel à l’origine. Le capitaine Dreist, dont les souvenirs des jours récents semblaient épars, avait suggéré que ce pouvait être l’œuvre des Hommes-Bêtes, mais Gelt n’était pas convaincu. En dépit de leur diversité, les blessures avaient été infligées avec efficacité : gorges tranchées, crânes fracassés… si les Hommes-Bêtes avaient été impliqués, ils n’auraient pas laissé les corps, et les éventuels cadavres auraient été sauvagement marqués par des morsures, des griffures et des coups de cornes. En outre, les rejetons du Chaos n’étaient pas réputés pour leur discrétion, ce dont avait dû faire preuve le coupable pour ne pas attirer l’attention des gardes, voire des victimes elles-mêmes. Non, pensait Gelt, une autre main avait été à l’œuvre, de celles qu’on ne remarque que trop tard.
Gelt prit position sur la colline qui surplombait le cercle de pierres, ferma les yeux et laissa son esprit dériver sur les vents de Magie. Lorsqu’il les rouvrit, les couleurs du monde physique avaient passé. Baissant le regard, il vit que son corps était d’or, et au nord, le Bastion Doré miroitait comme l’argent. Sous lui, la Magie du cercle rituel luisait de jaune et de blanc en accord avec les travaux accomplis pour sa création, mais il y avait autre chose, une tache éclatante violette et verdâtre qui pesait dans l’air, l’empreinte du Démon.
Recherchant une seconde opinion en la matière, Gelt mit fin à sa transe et alla réveiller Emil Valgeir. Ou plutôt, il l’aurait fait si le vieux prêtre avait été en train de dormir, car il semblait qu’Ar-Ulric avait le sommeil aussi fugace que le Sorcier. Valgeir maugréa de contrariété tout d’abord, puis consentit à suivre Gelt jusqu’au cercle rituel. Il lança les os sacrés et confirma à contrecœur les soupçons du Sorcier : le massacre perpétré dans le cercle était l’œuvre d’un Démon. Pire, Valgeir suggéra que le Démon était probablement un changeforme car l’alerte n’avait pas été donnée. Gelt n’aimait pas cette idée, qui signifiait que la créature pouvait toujours se trouver dans le campement impérial, mais trouva le raisonnement logique et se résolut à entamer les recherches. Si le Démon était encore parmi eux, il le trouverait.
Toutefois, le matin suivant, les plans de Gelt changèrent. Un messager vint du château von Rauken, et requit sa présence au conseil de guerre de l’Empereur. Bien qu’il n’escomptât rien de bon de cette convocation, il ne pouvait s’y soustraire, et se rendit au nord après l’aube. Avant de partir, Gelt s’entretint avec Emil Valgeir, qui lui assura qu’il ne se reposerait pas tant qu’il n’aurait pas mis à jour le changeforme si celui-ci était réel.Le conseil de guerre fut tenu dans l’une des salles de banquet du château von Rauken, mais la pièce peinait néanmoins à contenir l’assemblée. L’Empereur était présent, ainsi que son garde du corps, Ludwig Schwarzhelm, et le Reiksmarshal, Kurt Helborg. Des sept Comtes Électeurs, seul Boris Todbringer manquait à l’appel. Le Grand Théogoniste Kaslain et Luthor Huss représentaient le culte de Sigmar, et il y avait les grands maîtres, les Sorciers et les généraux des milices venus de tout l’Empire. Chaque homme était accompagné d’un bataillon de scribes et de conseillers, qui augmentaient dramatiquement le nombre des présents. Tout compris, il y avait peut-être cinq cents personnes, dont Gelt jugeait qu’à peine deux douzaines étaient d’importance.
Puis on demanda à Gelt de prendre la parole, et le conseil écouta sa version de la bataille d’Alderfen en prêtant une attention particulière au récit du jeune Valten. Aldebrand Ludenhof fit part de son inquiétude quant à l’effondrement temporaire du Bastion Doré, mais fut par ailleurs très démonstratif pour féliciter Gelt, qui avait réussi à combler la brèche à lui seul. Le Patriarche informa le conseil des agissements des Morts-Vivants, de l’infâme Walach Harkon et ses Chevaliers de Sang qui étaient partis au nord, au-delà du mur, au grand soulagement de l’assemblée, et de la façon dont le reste de la horde s’était évanoui dans les ténèbres. Gelt ne dit rien sur le changeforme qu’il pensait situé là la frontière de l’Ostermark ; il attendrait d’avoir des preuves, ou que la créature soit tuée.
Si le conseil s’était achevé là, Gelt aurait encore été traité en héros. Toutefois, après l’exposé sur Alderfen, il fut la cible de la rancœur du Reiksmarshal au sujet de la défaillance du Mur de Foi autour de la Sylvanie. Helborg ne cria pas, mais sa voix était lourde de colère tandis qu’il énumérait les pertes infligées à l’Averland, au Stirland et à l’Ostermark par une Sylvanie revigorée, des événements que le Reiksmarshal savait augurer d’une attaque prochaine de ce domaine plongé dans l’ignorance ; un domaine que Gelt avait prétendu avoir mis en cage.
Gelt avait été tellement préoccupé par la guerre dans le nord qu’il ne s’était plus soucié de la Sylvanie. Même l’arrivée soudaine des morts-vivants à Alderfen ne lui avait pas fait faire le rapprochement - il y avait d’autres Vampires que ceux de Sylvanie au sein de l’Empire. Gelt était un homme brillant et perspicace, mais son obsession l’avait rendu aveugle à l’effondrement de sa cage. Tandis que la diatribe d’Helborg arrivait à sa conclusion, Gelt réalisa sa folie, et s’adressa au concile guerrier, mais il n’avait pas dormi depuis plusieurs jours, et manquait de discernement. Lorsque le Patriarche Suprême prit la parole, son intention fut de s’excuser pour son échec, mais il rappela à l’assemblé qu’il n’avait jamais prétendu avoir mis la Sylvanie en cage, et qu’on lui avait attribué cet exploit à mesure que s’était répandue la rumeur. Hélas, Gelt était trop las pour ravaler sa fierté, et ses excuses se muèrent en rancune, son indignation d’être blâmé pour les suppositions des autres était manifeste. En fait le Sorcier démontra au conseil qu’il avait accompli tout ce qu’il avait promis. Il avait émoussé la menace du retour de Mannfred von Carstein, et gagné du temps pour qu’une solution durable soit trouvée. Gelt ne réalisa même pas qu’il s’était mis à crier, jusqu’à ce qu’il se taise.
Le conseil se pencha ensuite sur d’autres sujets, mais le mal était fait. La conduite de Gelt et la perception de son échec en Sylvanie avaient érodé considérablement le respect qu’il inspirait au conseil. Karl Franz, toujours diplomate, avança que le Patriarche devait être exténué par la pression subie ces derniers jours, et suggéra qu’il se retire pour prendre un repos mérité. Lorsque Gelt refusa, la suggestion devint un ordre, et le Patriarche Suprême sut qu’il avait perdu la confiance de l’Empereur.
Prenant enfin congé, Gelt erra durant des heures à la lueur des torches dans les couloirs du château. Il savait qu’Altdorf serait bientôt au courant de sa disgrâce, et qu’un autre Patriarche viendrait le défier pour prendre sa place à la tête des collèges de Magie. Il serait retourné à la capitale séance tenante s’il ne lui restait encore l’affaire du changeforme à résoudre. Il pria les pages de seller son pégase, et s’apprêtait à partir à l’est lorsque Ludwig Schwarzhelm arriva ; le conseil s’était achevé, et l’Empereur avait requis une entrevue privée.
Gelt et Karl Franz se rencontrèrent ainsi une seconde fois ce jour-là, non plus dans une salle de banquet mais dans les appartements de l’Empereur. Schwarzhelm était le seul présent. Après lui avoir offert du vin, Karl Franz s’excusa pour l’accueil qu’avait reçu Gelt en ce jour. Il était, disait-il, sur le point d’intercéder en faveur du Sorcier, mais le fait que Gelt ait perdu sa contenance avait invalidé son intention. L’Empereur assura le Patriarche Suprême qu’il avait plus que jamais besoin de lui ; en fait, il demanda que Gelt dirige la portion de frontière tenue jusque-là par Wolfram Hertwig. Gelt, submergé par la générosité de Karl Franz, présenta les plates excuses qu’il aurait dû formuler quelques heures plus tôt, et ne s’attarda pas sur le choix de l’Empereur de partager cette décision en privé, sans que d’autres puissent l’entendre. En dépit de la confiance qu’il lui accordait, Karl Franz ne minimisait pas la part de responsabilité de Gelt dans ce qui s’était produit.
Gelt partit au matin, non pas seul, comme il l’avait prévu, mais avec une colonne de renforts. le comte Ludenhof et Luthor Huss chevauchaient à ses côtés, mais aucun des deux ne lui était de bonne compagnie. Ludenhof était assez amical, mais le regardait comme un oiseau de proie. Huss était plus taciturne. Les rumeurs à propos de Valten suscitaient beaucoup l’intérêt du prêtre, qui se demandait s’il s’agissait bien du jeune homme qu’il recherchait ces dernières années.
C’eût été une maigre consolation pour Balthasar Gelt, mais la situation n’enthousiasmait pas Vlad von Carstein plus que lui. Le Vampire abhorrait sa servitude envers Nagash, et serait bien resté dans la tombe sans l’opportunité de ramener sa bien-aimée dans ce monde. Nagash avait en effet promis de lui rendre la seule chose qui lui importait, et Vlad lui obéirait, au moins pour le moment…
Les alliés forcés de Vlad ne lui furent d’aucun réconfort. Walach Harkon était une brute hypocrite, qui prétextait une quête d’honneur et de gloire pour justifier son avidité sanguinaire compulsive. Au moins les circonstances les séparaient. Vlad était soulagé de laisser l’autre Vampire à ses exactions dans les vestiges de Kislev. Il était probable que le dragon de sang parvienne à tourmenter les adorateurs du Chaos, au lieu de perdre son temps à défier l’autorité de Vlad. Le Sans-Nom était pire encore, une créature parasite qui passait son temps à assouvir sa cruauté. Vlad en aurait volontiers été débarrassé, car il savait que les pouvoirs de l’individu éclipsaient les siens, mais la décision ne lui appartenait pas.
L’ironie de ses opinions n’échappait pas à Vlad. Beaucoup pensaient qu’il ne valait pas mieux que les autres sombres seigneurs, mais le Vampire savait que ce monde abritait de nombreux maux et il se comptait comme un mal nécessaire. Certes, il avait été un authentique tyran, mais sans jamais faire preuve de cruauté gratuite. Pour Vlad, la violence était un moyen et non une fin ; une source dont les eaux teintées de sang faisaient grandir l’ordre et la discipline. Il avait compris depuis longtemps que l’humanité réclamait un meneur, qu’elle nécessitait une main ferme pour la guider. Dans sa vie passée, Vlad avait cherché à être cette main, à recréer le royaume de Nehekhara d’antan sur les terres tumultueuses du Vieux Monde. Sa seule véritable folie avait été un excès de confiance envers les autres Vampires.
Vlad était conscient que Mannfred, à l’ambition sans limite, craignait que son seigneur revendique la suzeraineté de la Sylvanie. En vérité, Vlad n’en avait pas la moindre intention ; pour lui, cette province n’avait été qu’une première étape, une faiblesse à exploiter au sein de l’Empire. Toutefois, dans les jours à venir, tout ce royaume réclamerait l’ordre que lui seul pourrait offrir. Mannfred pouvait bien garder la Sylvanie, Vlad n’était pas attaché à ses paysans arriérés et ses nobles serviles. Cela ne signifiait pas que Vlad avait pardonné l’implication de Mannfred dans sa propre mort, il y avait bien des siècles de cela, mais rien ne pressait, l’immortalité offrait d’infinies perspectives.
Pour le moment, Vlad devait aider l’Empire à défendre sa frontière septentrionale. La bataille d’Alderfen avait dévoilé le jeu du Vampire, et il avait fallu partir rapidement. L’armée qu’il avait rassemblée en Sylvanie avait été trop lente pour atteindre à temps, ainsi avait-il dû l’envoyer à l’est pour conquérir Rackspire où le Bastion Doré rencontrait les Montagnes du Bord du Monde. Vlad avait besoin d’une forteresse, et avait choisi Rackspire pour remplir ce rôle.
Les défenses nord de la place forte étaient redoutables, mais ce n’était pas le cas du côté de l’Empire. Néanmoins, à la tête de sa garnison, le commandant Roch lutta contre les Morts-Vivants pendant trois jours, en espérant l’arrivée de renforts depuis l’ouest le long du Bastion Doré.
Personne ne vint. Juste après la bataille d’Alderfen, Vlad et le Sans-nom avaient poussé à l’est. Tandis que Vlad avait attaqué Rackspire et massacré ses défenseurs, le Sans-Nom imposa sa volonté sur plusieurs lieues du Bastion Doré, une étendue du mur qui avait été nommé Helreach par les gens d’Ostermark. Bien qu’il refusât de l’admettre, Vlad n’aurait jamais pu assurer un niveau de contrôle comparable à celui du Sans-Nom. Là où le Vampire aurait pu asservir les officiers de la garnison d’Helreach, le Sans-Nom dominait sans effort les esprits de tous les soldats, Sorciers et prêtres sur une longueur de mur de vingt lieues. Comme le malheureux capitaine Dreist et ses hommes à Alderfen, les pantins du Sans-Nom savaient qu’ils n’agissaient plus selon leur volonté, car ils étaient impuissants. Rackspire devint la forteresse de Vlad, et les soldats de Roch garnirent les rangs du Vampire. Vlad regrettait la nécessité de leur trépas, mais il était déterminé à ce qu’ils le servent sous une autre forme.
Ainsi Vlad prit-il le commandement des défenses à l’est de l’Empire. Ceux qui voyagèrent le long de Helreach ou vers Rackspire tombèrent vite sous le contrôle du Sans-Nom, dont la présence était aussi impérieuse que repoussante. Messagers, coursiers, paysans, renforts, tous ceux qui pénétraient sur le domaine du Sans-Nom devenaient ses marionnettes, incapables de penser ou d’agir par eux-mêmes. Les chanceux à qui on permit de partir avaient l’esprit purgé de tout ce qu’ils avaient vu, mais la plupart de ceux qui succombaient à l’emprise du Sans-Nom ne pouvaient espérer que le tourment d’une perpétuelle servitude.
L’arrangement n’était pas parfait, car le Sans-Nom ne pouvait pas répliquer le rituel de Gelt avec précision, dans une centaine d’esprits répartis en une vingtaine d’endroits, et le Bastion Doré n’était pas plus mal en point que le long de Helreach. Cela importait peu, car les marionnettes du Sans-Nom et les morts-vivants de Vlad constituaient une défense bien plus déterminée et disciplinée que ce que l’humanité pourrait jamais opposer. À chaque victoire, les morts Nordiques grossissaient les rangs de Vlad, jusqu’à ce que la frontière de l’Ostermark soit la plus solide de tout l’Empire. Au bout de deux semaines, Vlad considéra sa position si bien tenue qu’il commença à s’aventurer dans l’Ostermark et le Stirland, où il mit les temples à sac en cherchant ce qui pouvait rester d’Isabella, afin de ne plus rester au service de Nagash.
Tandis que Vlad consolidait son emprise sur Helreach, Gelt poursuivait sa gérance à l’ouest. Tout comme le Vampire, Gelt devait diviser son attention entre le rôle militaire qu’on lui avait assigné, et une obsession grandissante, en l’occurrence, le changeforme d’Alderfen. Selon Valgeir, le Démon avait encore frappé en l’absence de Gelt, pas aussi durement que lors de cette bataille, mais avait néanmoins laissé une impressionnante série de morts dans son sillage.
Quelques nuits avant, les officiers des Balbuzards du Nordland avaient été piégés sous leur tente de commandement quand ses piquets avaient été retirés. L’événement aurait été comique si ces mêmes piquets n’avaient pas été martelés dans les lumières d’une grande batterie de canons, les rendant inutilisables. Les ingénieurs s’étaient lamentés sur cette perte, mais moins que la nuit suivante, lorsque la créature imita les traits du maître ingénieur Ruddy Volmart et mit le feu aux chariots d’artillerie. L’explosion résultante s’entendit à plusieurs lieues à la ronde, et laissa un cratère noirci où le convoi d’artillerie avait été stationné. On ne retrouva nulle trace des sentinelles des wagons d’artillerie.
Des convois de ravitaillement étaient détournés de leurs routes officielles par des hérauts apparemment légitimes, sur des routes “sûres” où des Hommes-Bêtes les attendaient en embuscade. Les coursiers avaient été tués ou avaient disparu corps et biens. Les Nordiques survivants s’étaient barricadés dans les ruines d’une auberge, et étaient restés durant trois jours au bord de la mutinerie. L’affaire ne fut réglée que lorsque le capitaine avait ordonné à une compagnie des derniers Joueurs d’Épée du comte Hertwig de prendre la palissade d’assaut et de restaurer l’ordre. On ne retrouva jamais les meneurs. Les duels d’honneur entre officiers devinrent monnaie courante, provoqués par les successions d’événements les plus improbables. D’anciens rivaux se retrouvaient cantonnés à proximité les uns des autres, les effets personnels de l’un inexplicablement dérobés et stupidement arboré par l’autre. Pendant plusieurs jours, les Hochlanders et les Talabeclanders furent au bord de la guerre ouverte, tandis qu’une voix discrète rappelait la sempiternelle dispute des deux provinces au sujet des leurs frontières. Des rixes éclatèrent et les Nordiques, qui avaient récemment fait les frais de leurs propres émeutes, aidaient à présent les Joueurs d’Épées de l’Ostermark à garder les deux contingents à l’écart l’un de l’autre.
Au pire des troubles, le Démon avait même attaqué Valgeir, en dépit du fait que le prêtre avait eu la présence d’esprit d’appeler Ulric à l’aide, et put repousser la créature. Hélas, Valgeir ne vit guère son agresseur, et estimait avoir été chanceux de s’en être sorti, mais il réaffirma son intention de confondre le changeforme.
Bien qu’aucune des actions entreprises par le Démon en l’absence de Gelt n’eût de conséquences comparables aux meurtres de la bataille d’Alderfen, le Sorcier les trouvait bien assez préoccupantes. Que la créature agit en toute impunité l’irritait au plus haut point, et le fait que ses dernières exactions se résumassent à quelques espiègleries et brigandages ne l’apaisait en rien. Gelt était certain que la créature ne faisait que s’amuser en guettant l’opportunité d’accomplir quelque chose de spectaculaire, et il était déterminé à la traquer et mettre un terme à son existence surnaturelle avant que pareil méfait se produise.
Gelt et Valgeir recherchaient sans succès le changeforme, ce qui faisait croître leur aigreur. Ni les sorts ni les prières ne pouvaient détecter la forme choisie par le Démon. Ils ne pouvaient que suivre sa piste, mais puisque les lieux où elle s’était trouvée étaient marqués par les cadavres ou quelque sabotage, ce n’était guère aussi instructif que ce que Gelt aurait souhaité.
Peu après le retour de Gelt, Luthor Huss accompagna Valten au nord. Depuis son arrivée à Alderfen, Huss avait passé presque toutes les heures du jour à marcher avec le jeune, pendant et hors des combats, et était à présent convaincu que Valten avait un rôle à jouer dans les jours à venir. Dans un moment d’enthousiasme rauque, il suggéra même à Gelt et Valgeir que le garçon avait été envoyé par Sigmar, en tant qu’annonciateur de son retour. Valgeir, en particulier, n’était pas impressionné pas cette affirmation. Les églises de Sigmar et d’Ulric avaient toujours entretenu des relations distantes, et Gelt sentait que le prêtre loup redoutait que Valten éclipse l’église d’Ulric au profit de celle de Sigmar. Durant les semaines suivantes, il sembla que le changeforme avait abandonné ses pitreries, et sa piste se perdit. Gelt ne savait pas qui soupçonner, et ne pouvait rien faire dans tous les cas. Avec la quiétude du Démon, les choses revinrent lentement à la normale. Il n’y avait plus de mutinerie ou de patrouilles attaquées, et même les tensions entre Hochlanders et Talabeclanders s’apaisèrent.
De bien des façons, ce répit était une aubaine, car il laissa Gelt se soucier uniquement de repousser les incursions au travers du Bastion Doré. Le Sorcier était préoccupé par les brèches de plus en plus fréquentes. Conscient que ni lui ni l’Empire ne pouvaient permettre que ce rempart s’effondre comme celui qui entourait la Sylvanie, les insomnies de Gelt devinrent une bénédiction, car elles lui permirent de travailler très tard pour tenter de deviner la cause de ce déboire.
Enfin, Gelt découvrit que la source de l’instabilité du mur se trouvait à l’est, le long de Helreach. Le Patriarche Suprême avait pensé qu’il était peu probable qu’un problème survienne dans cet endroit, car des messagers voyageaient tous les jours le long de cette partie du mur, et ne rapportaient qu’une défense acharnée contre les forces du Chaos. Pourtant, les divinations de Gelt demeuraient inchangées. Il confia le commandement du cercle d’Alderfen au capitaine Dreist, et suivit la courbure du Bastion Doré vers l’est.
Le Sans-Nom sut immédiatement que Gelt avait pénétré sur son territoire, car tous les yeux le long d’Helreach étaient sous le contrôle de l’esprit. Il aurait adoré soumettre le Patriarche Suprême à sa volonté, mais le Sans-Nom sentit que la volonté de Gelt, bien qu’inférieure à la sienne, serait très difficile à dominer. Le Sans-Nom n’avait que faire des défis, et préférait de très loin la satisfaction d’une soumission immédiate.
Comme le Sans-Nom avait assis sa domination sur Helreach, nombre de ses défenseurs avaient péri au service de ses caprices. Certains avaient affronté à mort leurs camarades dans des arènes de fortune, poussés par les murmures cruels qui résonnaient dans leurs esprits. D’autres avaient rongé leurs chairs, juste parce que le Sans-Nom souhaitait ressentir l’expérience à travers ses marionnettes. Un jour, le spectre avait décidé que ses armées devaient marcher au combat sous des bannières de peau, et ordonna que des dizaines de ses pantins confectionnent de tels étendards à partir de la dépouille de leurs camarades. Ensuite, le Sans-Nom décida que des totems d’ossements seraient plus appropriés ; ces bannières furent abandonnées, et ses serviteurs s’arrachèrent la chair les uns des autres, incapables de désobéir à leur maître. Ironiquement, le Sans-Nom aurait mieux maintenu le Bastion Doré sans ces distractions, et n’aurait ainsi jamais donné de raison au Sorcier d’entrer sur son domaine. En l’état, le Patriarche devait mourir avant d’en voir trop et de gâcher les jeux du spectre.
Gelt aurait ainsi péri facilement, frappé par un trait de Magie Noire et dépecé par les pantins, mais ce ne fut pas le cas. Vlad von Carstein avait également eu vent de la présence du Sorcier à Helreach, et envoya ses propres serviteurs intercepter le Patriarche Suprême avant que le Sans-Nom ne frappe.
Cette nuit-là, le Sorcier et le Vampire se rencontrèrent. Vlad cherchait à faire de Gelt un allié plutôt qu’une dupe ou un esclave, et lutta pour convaincre le Patriarche Suprême par l’honnêteté et non la tromperie. En ceci, le Vampire échoua, du moins au départ ; même après leur alliance impromptue à la bataille d’Alderfen, Gelt n’était pas prêt à croire que lui et le Vampire servaient la même cause. Néanmoins, ce que Vlad dit au Sorcier ce soir-là ne tarderait pas à porter ses sinistres fruits.
Gelt ouvrit ses yeux en sursaut. Même dans la pénombre, il distinguait les madriers courbés au plafond et les tonneaux empilés contre un mur distant. La dernière chose dont il se souvenait était qu’il survolait le village de Harkar. Il se trouvait à présent dans une sorte de cellule, mais il ne savait ni comment, il était arrivé là, ni depuis combien de temps.
Il était désarmé, et on lui avait attaché les mains. Qu’il ait été dépouillé était un problème, mais pas ses liens. Gelt ferma les yeux et chercha le mantra de transmutation qui changerait la corde en poussière. « Bonsoir, votre éminence. » La voix portait un riche accent et articulait méticuleusement chaque syllabe. Abandonnant sa tentative de se libérer, Gelt tourna son attention sur le visage de prédateur qui avait surgi des ténèbres. « Je vous présente mes excuses pour ce désagrément, se moqua le Vampire. C’est un lieu sordide pour une rencontre entre des hommes tels que Vlad von Carstein et le grand Balthasar Gelt, Encageur de la Sylvanie. » Le cœur de Gelt se figea, à tel point qu’il en oublia l’irritation que lui causait ce titre dont on l’avait affublé. Dans un effort de volonté, il réprima sa peur et fixa son ravisseur avec plus d’aplomb qu’il n’en ressentait vraiment. « Si vous souhaitez me tuer, je vous saurai gré d’aller droit au but, car mon temps est précieux. » Vlad éclata de rire, un son étrangement chaleureux pour une créature au cœur froid, pensa Gelt. « Ne soyez pas trop hâtif, monseigneur. Vous êtes victime d’une incompréhension ; nous ne sommes pas nécessairement ennemis. En fait, j’ai même bon espoir que nous devenions alliés. » D’un geste ample, le Vampire s’assit sur tonneau en face de Gelt. Il se pencha en avant et trancha les liens du Sorcier d’un coup de griffe. Gelt ne bougea pas, refusant de concéder la moindre émotion. « Alliés, » dit platement Gelt, incapable de masquer son incrédulité. « Vlad von Carstein souhaite une alliance avec l’Empire ? » « Est-ce si difficile à croire ? » dit Vlad avec un geste de la main. Le Vampire souriait, nota Gelt, appréciant la représentation dont il était le seul témoin. « Vous savez certainement que la Fin des Temps est sur nous. Dans une heure si sombre, les vieilles inimitiés doivent être mises de côté. Dans tous les cas, je ne propose pas de m’allier à tout l’Empire, pas encore. Je ne pense pas que vos gens soient prêts à accepter mon aide pour l’instant, mais le temps fera son œuvre. » Gelt renâcla. « Et vous estimez que je suis plus aisément manipulable ? » Vlad leva un doigt réprobateur. « Oh, je sais très bien qui vous êtes. » « Veuillez vous expliquer, » s’irrita Gelt. « Le rempart autour de la Sylvanie ? Vous n’espérez pas me faire croire que ce fut entièrement votre idée ? Tout comme ce grand œuvre au nord. Je suis au fait de votre entrevue avec la petite ingénue de Neferata, et du parchemin qu’elle vous a remis. » Gelt sursauta à ces révélations. « Cette courtisane était une Vampire ? » |
Vlad poursuivit comme si le Sorcier n’avait rien dit.
« Une guerre sévit entre les forces du Chaos et celles de la non-vie depuis bien des années, et vous, mon ami, avez involontairement servi les deux camps. Je vous offre l’opportunité d’en choisir un, et de prendre le contrôle de votre destin. » « Et si mon choix est de décliner votre générosité ? » En dépit de tout, le Sorcier avait trouvé convaincantes les paroles du Vampire, et dut se rappeler que la créature qui lui faisait face n’était pas digne de confiance. Vlad se leva, s’inclina, et montra la porte de la cellule. « Alors vous êtes libre. Votre monture et vos effets vous attendent dans l’étable. Personne ne vous barrera la route. De toute façon, vous n’avez pas à vous décider tout de suite, mon offre restera valable indéfiniment. » Gelt se remit debout, ignorant la plainte de ses articulations, et marcha vers la sortie aussi dignement que possible. Il sentait que le Vampire jouait avec lui, mais quand bien même, il ne pouvait que se jeter dans la gueule du loup. Le Sorcier ne se trouvait plus qu’à un pas de la porte lorsque Vlad s’adressa de nouveau à lui. « Avant votre départ, permettez-moi de vous faire un présent. Un gage de ma bonne volonté. » Malgré lui, Gelt se retourna pour faire face au Vampire une fois encore, et jeta un regard maladroit sur le tome relié en peau humaine qui lui était tendu. « Le Révélations Necris expliqua Vlad tandis que Gelt retournait le livre entre ses mais. Une copie, bien sûr. Les esprits étriqués le considèrent comme… hérétique, mais je pense que vous saurez en saisir l’intérêt. » « Vraiment ? » L’ouvrage était chaud au toucher, une sensation désagréable, accompagnée d’autre chose que Gelt ne parvenait pas à décrire. « Comment pouvez-vous savoir que je ne vais pas simplement le brûler ? » Vlad s’avança, le regard intense. « Parce que vous avez déjà effectué vos premiers pas au-delà du stupide confinement de votre ordre. N’essayez pas de le nier ; les signes vous accablent. » Il haussa les épaules. « Peu importe, je n’ai plus besoin du savoir qu’il contient. Brûlez-le si ça vous chante, et restez dans l’ignorance de votre plein potentiel. Ou utilisez-le pour protéger votre royaume ; ce choix vous appartient. Comme je vous l’ai déjà dit, je ne suis pas votre ennemi. » |
Gelt ne parla à personne de sa rencontre avec Vlad. Il savait qu’une telle conversation serait considérée au mieux comme une traîtrise, et au pire une hérésie. En outre, il ne pouvait être en complet désaccord avec cette opinion, pas dans le cadre normal des événements. Mais voilà, ces jours lugubres n’avaient rien de normaux. Le monde changeait et balayait les vieilles certitudes. Aucune alliance de l’Empire n’avait été conclue sans verser le sang. Les Elfes, les seigneurs des chevaux de Kislev, et les Bretonniens, tous avaient répandu le sang sur le royaume de Sigmar, souvent au moindre prétexte. Même les Nains, de fidèles alliés en maintes occasions, avaient été prêts à brandir leurs haches contre l’Empire suite aux plus insignifiants différends. Si l’amitié était si inconstante, pensa Gelt, pourquoi l’inimitié serait différente ?
Le Patriarche Suprême connaissait le danger de telles pensées, et pendant les jours qui suivirent son retour il s’abandonna à la lutte pour tenir la frontière. Tant de travail avait été accompli à cet égard, car les hordes de Nordiques devenaient de plus en plus vastes et féroces. À présent, la moindre faille dans le bastion Doré provoquait le désastre des terres au-delà, et Gelt était de plus en plus conscient que sa Magie était la seule chose qui préservait l’Empire de la défaite. Et quand bien même, la victoire était souvent arrachée de justesse. À Kragvost, le Sorcier transmuta en plomb les armes des ennemis et corroda leurs armures.
À Fort Snaldren, lorsqu’il arriva trop tard pour sauver la garnison, Gelt employa les épées des morts pour forger des golems de fer à l’image des défenseurs, et avec leur aide, il tint le pont par-dessus du Talabec Supérieur pendant une demi-journée. Des milliers de Nordiques périrent le long de la section du Bastion Doré tenue par Gelt, mais le Sorcier savait qu’il en restait des centaines de milliers, prêts à se déverser sur le sud à la moindre opportunité. Il devint évident pour Gelt qu’il n’avait pas assez d’hommes pour tenir la frontière, et il savait que la situation était identique jusqu’à Erengrad. Il devrait s’accommoder des maigres renforts qui lui parviendraient, en espérant que les Dieux Sombres finissent par replonger en léthargie, comme cela s’était produit tant de fois auparavant.
Gelt s’épuisait au fil des semaines. Chaque bataille drainait ses forces, et si les autres hommes pouvaient trouver le réconfort dans le sommeil, Gelt avait été privé de ce luxe depuis la bataille d’Alderfen. Il pouvait bien se reposer une heure toutes les nuits, mais ses rêves étaient hantés par les secrets à demi percés qu’il avait aperçus lorsqu’il avait cherché à dompter le vent Lumineux aux côtés de celui du Métal. Parfois, Gelt craignait de perdre la raison, mais il s’agirait alors d’une étrange folie, pleine de merveilles et de possibilités, comme une saveur que la langue ne pouvait goûter, ou un joyau tout juste hors d’atteinte des doigts tendus d’un voleur. Si Valgeir avait été là, peut-être Gelt lui aurait-il parlé de son épuisement, mais Ar-Ulric se trouvait plus à l’ouest, à surveiller Huss et Valten, et Gelt était livré à lui-même. Dreist et les autres capitaines étaient des êtres ordinaires, habités de besoins matériels et de pensées simples ; ils n’auraient pas compris, c’est ce dont Gelt se convainquit. Le Sorcier ne pouvait faire montre de faiblesse devant des hommes qui lui étaient inférieurs, et il redoutait encore davantage que l’Empereur eût vent de sa fragilité. Karl Franz avait accordé sa confiance à Gelt, et le Patriarche Suprême était déterminé à ne pas faire défaut à son souverain. Il faisait certainement preuve de paranoïa, mais des semaines passées sans fermer l’œil ou presque avait ôté tout discernement à Balthasar Gelt.
Valgeir n’était pas complètement absent, car il peuplait souvent les pensées de Gelt. Les missives d’Ar-Ulric arrivaient sporadiquement à Alderfen, décrivant la progression de Valten à travers les provinces nord de l’Empire. La théorie de Luthor Huss, selon laquelle le garçon était le héros de Sigmar gagnait en crédit parmi les terres, au grand dam de Valgeir qui ne cachait pas son dégoût. Dans ses lettres, Ar-Ulric demandait si Gelt avait progressé dans son enquête concernant le changeforme, mais ce dernier était si irrité par ses échecs qu’il ne répondait pas. Gelt devenait de plus en plus reclus et taciturne. Prenant comme excuse le besoin de se focaliser sur la guerre dans le nord, il délégua la plupart de ses responsabilités de Patriarche Suprême à ses assistants.
Les batailles se succédaient, chacune plus sanglante que la précédente. Les murs de Moorholt furent mis à bas par un feu démoniaque, et le donjon de la forteresse serait tombé sans la bravoure extraordinaire du capitaine Pieter Hanseld, qui mena une charge héroïque pour reprendre le pont-levis. Hanseld périt lors de cette action d’éclat. Ses camarades Wissenlanders l’enterrèrent à l’ombre du donjon qu’il avait sauvé. Le village d’Eska fut assailli par des Nordiques sanguinaires, puis une seconde fois par des Hommes-Bêtes attirés par l’odeur du carnage. À chaque reprise, les hommes de Gelt les repoussèrent même si a posteriori, il eût peut-être été préférable de laisser le village aux mains de l’ennemi.
Pendant ce temps, l’offre de Vlad revenait souvent dans les pensées du Patriarche Suprême. Même si Gelt avait menacé de brûler le Révélations Necris offert par Vlad, son instinct l’en avait empêché. Il avait caché le grimoire des regards indiscrets, mais la tentation de le lire était forte. Après la seconde bataille d’Eska, alors qu’il observait les empilements de cadavres, Gelt finit par céder, et consulta l’ouvrage.
Rapidement, il devint évident aux yeux de tous que le Patriarche Suprême avait changé. Lorsqu’il était arrivé à la frontière, plusieurs semaines auparavant, Gelt avait réquisitionné le manoir d’un nobliau qui s’était enfui à Heffengen dès les premiers combats. La réputation du Sorcier était telle que peu de gens osaient s’approcher de l’édifice. De temps à autre, des serviteurs gravissaient la pente qui y menait pour assurer les quelques besoins du Sorcier, tandis que Dreist et les autres capitaines étaient convoqués de temps à autre pour y tenir un conseil de guerre. Les soldats stationnés à Alderfen évoquaient des lumières étranges qu’on voyait danser dans la demeure par les fenêtres à la nuit tombée, et des silhouettes fantomatiques qui erraient dans les bois tout proches. Le vent changeait de direction et devenait glacial quand il se heurtait à la colline du manoir. Au début, Dreist ignora ces rumeurs, toutefois il devenait de plus en plus mal à l’aise quand il devait rencontrer Gelt.
Une semaine plus tard, au cours de la bataille d’Akkerheim, l’utilisation d’une Magie interdite par Gelt devint évidente. Akkerheim était la plus grande bataille depuis l’arrivée du Patriarche Suprême. Lorsque toute une section du Bastion Doré s’effondra, les Nordiques firent passer deux bêtes mutantes et géantes à travers la brèche. En usant de leur force brute, elles empêchèrent le mur de se reconstituer. Même si ces créatures furent finalement abattues par les habiles archers du Stirland, et que le mur se reconstitua peu de temps après, ces monstruosités avaient permis le passage de centaines de maraudeurs, qui se déversèrent dans les champs d’Akkerheim. Si Balthasar Gelt n’avait pas été là, la bataille aurait tourné au massacre, toutefois sa façon de sauver Akkerheim ne fut pas au goût de tout le monde : d’un geste, Gelt invoqua des vapeurs noires. Les morts qu’elles touchaient se relevaient pour combattre auprès des impériaux.
Cette première invocation était maladroite, comme on pouvait s’y attendre de la part d’un homme qui venait d’emprunter la voie de la nécromancie, et beaucoup de cadavres s’affalèrent au bout de quelques minutes. Cependant, Gelt compensait la qualité par la quantité. Bientôt, une horde de corps décérébrés titubait vers les Nordiques acculés, car le Bastion Doré venait de se refermer derrière eux. Quelques soldats impériaux observèrent d’un air approbateur tandis que l’ennemi disparaissait sous une mer d’os et de chair pourrie. Ceux-là faisaient partie des vétérans d’Alderfen. Ils avaient déjà vu les Morts-Vivants leur venir en aide auparavant, et étaient satisfaits (bien qu’un peu anxieux) de les voir recommencer. D’autres étaient épouvantés par ce spectacle, et ne se calmèrent que lorsque la bataille prit fin, quand Gelt coupa les liens magiques et que les morts redevinrent inertes.
Une fois le choc initial passé, rares furent ceux au sein de l’armée de Gelt qui comprirent que c’était le Patriarche Suprême qui avait ranimé les morts. Et parmi ceux qui le réalisèrent, bien peu osèrent formuler des récriminations. Pour la soldatesque, tous les Sorciers disposaient de pouvoirs frisant le blasphème, si bien qu’ils ne faisaient guère de distinction entre les enchantements usuels de Gelt, comme transformer des hommes en statues de métal, et le fait de ranimer les morts. Depuis des siècles, on chuchotait que les mages du collège d’Améthyste célébraient des rituels aux effets similaires en cas de besoin, par conséquent les événements d’Akkerheim ne faisaient que confirmer la rumeur.
Néanmoins, tout le monde n’était pas aussi laxiste. Dreist était toujours hanté par la bataille d’Alderfen et par la présence ignoble qui avait pris le contrôle de son corps, et il craignait désormais que Gelt eût été contaminé. Lors des jours qui suivirent Akkerheim, ses craintes trouvèrent un écho auprès de Hans Kreiner, un prêtre de Sigmar récemment arrivé près de la frontière. Kreiner ne doutait pas une seconde de la corruption de Gelt, cependant il disparut une semaine plus tard. On l’aperçut pour la dernière fois en train de gravir la colline où était sis le manoir du Patriarche. Gelt ne fournit aucune explication, même s’il semblait que seul Dreist se souciait du destin du prêtre. Dès lors, Dreist opta pour la seule solution envisageable : il fuit vers l’ouest, longeant le Bastion Doré pour atteindre le château Skarlan, la forteresse depuis laquelle Aldebrand Ludenhof surveillait cette section de la frontière avec Kislev.
Lorsque le capitaine se présenta devant lui, Ludenhof essaya d’ignorer ses yeux déments et ses mains tremblantes, et écouta son rapport avec attention en dépit de son élocution hésitante. Le Comte Électeur refusa de croire à la déchéance de Gelt, cependant il ne voulait prendre aucun risque. Le lendemain, il prit la route d’Alderfen à la tête d’un groupe d’escorteurs. Il avait demandé à Dreist de l’accompagner, mais celui-ci avait paru si traumatisé à l’idée d’une telle éventualité que Ludenhof l’avait finalement laissé aux bons soins des sœurs de Shallya.
L’esprit bouillonnant de mépris et de contrariété, Vlad regarda s’éloigner l’escorte de Ludenhof. « Ludenhof n’a aucune idée de vos exploits, » avertit-il Gelt. « Il songe même à vous détruire. »
« Vous avez tort, » répondit le Sorcier. « Il percevra la nécessité de ceci, tous finiront par la voir. » Vlad rit. « Les sages sont toujours les plus fous. N’avez-vous pas vu son regard ; entendu le tremblement dans sa voix ? Il a peur de ce que vous avez fait, et veut vous voir mort. « Et qu’auriez-vous donc fait ? » demanda calmement Gelt. Vlad leva un sourcil. Il ne dit mot, mais le Sorcier comprit tout aussi bien. « Non ! » dit Gelt avec colère. « J’ai fait tout cela pour épargner des vies, pas pour en prendre. » « La prochaine fois que vous verrez Ludenhof, ce sera sur votre bûcher, tout ce sur quoi nous avons œuvré aura été vain, et les Dieux Sombres se riront de votre stupidité. » « Non, » fit à nouveau Gelt, mais sa voix fatiguée déplorait une vérité inéluctable. « Si votre allégeance va à la surie de l’humanité, vous ne pouvez vous permettre d’être loyal envers les individus, » souligna Vlad. « La vie de Ludenhof vaut-elle plus que les centaines de milliers qui périront s’il vous dénonce ? » Gelt resta silencieux. Puis, il parla d’une voix ferme. « Non, elle ne les vaut pas. » Bien, pensa Vlad, la leçon était faite. « J’ai conscience des difficultés que cela représente, et je peux m’acquitter de cette tâche si vous le souhaitez. » Le ton du Vampire ne recelait aucune moquerie. Gelt secoua la tête. « Non, ce fardeau est le mien. » « Bien, » répondit Vlad en agrippant l’épaule du Sorcier. « Alors il nous reste un espoir. » |
Après un voyage de trois jours, les doutes de Ludenhof se confirmèrent quand il arriva près d'Alderfen : le Patriarche Suprême avait renforcé le Bastion Doré à l’aide d’imposants contreforts en os. Des gargouilles émaciées étaient perchées au sommet des arcs-boutants ou sur les arbres proches, et dévisageaient les nouveaux venus de leurs yeux brillant d’un feu surnaturel. Mais ce qui étonna le plus Ludenhof fut le fait que les soldats et les villageois ne paraissaient pas effrayés par ces horreurs. Est-ce que la corruption de Gelt s’était répandue ? Le Comte Électeur n’en était pas certain.
Alors que Ludenhof et son escorte se dirigeaient prudemment vers le centre d’Alderfen, ils furent accueillis par Gelt en personne. Le Sorcier avait quelque peu changé depuis sa dernière rencontre avec le Comte Électeur. Celui-ci sentit que le Sorcier n’était plus aussi accablé qu’auparavant. Gelt lui offrit l’hospitalité, cependant Ludenhof la refusa courtoisement. Le Patriarche se lança alors dans une longue déclaration concernant ses découvertes, et le nombre de vies impériales qu’elles avaient permis d’épargner. Pourquoi sacrifier des vivants dans la défense de l’Empire, alors que les morts pouvaient prendre leur place au combat ?
Pendant quelques minutes, Ludenhof l’écouta parler avec un sentiment d’horreur grandissant, puis coupa le soliloque de Gelt et prit congé aussi poliment qu’il le put. En réalité, le Comte Électeur avait le plus grand mal à cacher son dégoût, toutefois le Patriarche était si fébrile qu’il ne remarqua rien. Alors que Ludenhof chevauchait hâtivement vers le Château Skarlan, il réfléchissait déjà à la façon d’agir. Il fallait mettre un terme à la folie de Gelt, et rapidement. Si le Comte Électeur avait jeté un dernier regard à Alderfen avant de partir, il aurait peut-être vu Vlad von Carstein observer la scène d’un air impassible depuis une fenêtre. Cependant, Ludenhof n’en avait rien fait, c’est pourquoi il ne se doutait pas des événements néfastes qui allaient bientôt assaillir son groupe.
De toute façon, le Comte Électeur n’avait pas le choix. Il distinguait les formes monstrueuses des créatures de Gelt sous les frondaisons, et craignit qu’elles attaquent s’il refusait d’écouter le Patriarche. En outre, Ludenhof espérait au fond de lui qu’il pourrait convaincre Gelt de renoncer à la voie de la nécromancie. Malheureusement, ses attentes furent déçues, car Gelt insista et répéta ce qu’il avait déjà dit à Alderfen. Pire encore, le Sorcier parla d’un pacte nécessaire avec les von Carstein de Sylvanie, et déclara que le seul espoir de l’Empire résidait dans une alliance avec le terrifiant Nagash. En déclarant cela, Gelt ouvrit les bras en signe de supplique, mais un des escorteurs de Ludenhof crut qu’il allait lancer un sortilège, et lui tira dessus avec son pistolet à répétition. L’arme aboya. La balle vint se loger dans l’épaule de Gelt et le désarçonna.
Immédiatement, les gardes silencieux de Gelt surgirent du sous-bois et s’en prirent à l’assaillant de leur maître. Les autres escorteurs avaient déjà vu leurs nerfs mis à rude épreuve, et réagirent en ouvrant le feu. Les balles fusèrent, cependant même si plusieurs créatures furent abattues, les autres continuèrent d’avancer. Ludenhof dégaina son épée et tenta d’organiser ses troupes, mais les escorteurs paniqués s’égaillèrent et devinrent des proies faciles. L’air s’emplit bientôt de cris de terreur, et les ordres désespérés de Ludenhof furent noyés dans le vacarme.
Surmontant la douleur qui déchirait son épaule, Gelt s’aperçut que la rencontre tournait au massacre et ordonna à ses créatures de stopper leurs attaques. Il ne s’agissait pas de morts décérébrés, mais de constructs créés à partir d’une Magie ancienne et difficile à contrôler, et puisque son esprit était déstabilisé par la souffrance, le Patriarche ne fut pas en mesure de les refréner. Quant aux créatures, elles considéraient simplement que leur maître était en danger, et agissaient en conséquence pour le préserver.
Le temps que Gelt reprenne le contrôle de ses séides, seul Ludenhof vivait encore. Le Comte Électeur avait été désarçonné. Ses vêtements étaient déchirés et ensanglantés, toutefois il se défendait vaillamment. Néanmoins, il fatiguait, et sa dernière attaque était si maladroite que la riposte de son adversaire l’aurait décapité si Gelt n’avait pas stoppé in extremis le geste de son construct. Ludenhof vit le coup arriver et sut qu’il ne pourrait l’éviter. Sa dernière pensée se porta vers sa femme et il ferma les yeux. La lame s’arrêta net lorsque le commandement de Gelt résonna dans la clairière. Ludenhof frissonna en rouvrant les yeux, puis retrouva sa composition. Il se tourna et regarda d’un air méprisant le Patriarche Suprême.
Gelt s’était remis debout et cherchait les mots pour expliquer la catastrophe qui venait de se produire. Il voulait convaincre Ludenhof de la nécessité de ses actions. Mais il ne trouvait pas les mots justes, et s’assit en silence, d’une façon que le Comte Électeur aurait pu confondre avec celle d’un criminel avouant implicitement sa culpabilité. Les constructs étaient immobiles et entouraient le Comte Électeur. Le Sorcier comprit qu’il ne pouvait plus justifier ce qu’il avait fait. Il libéra les constructs de la contrainte mentale qu’il leur imposait avant de détourner le regard. Ludenhof cracha dans sa direction alors même que les lames des créatures s’abattaient sur lui. Même si Gelt ne le vit pas, le Comte Électeur mourut courageusement, l’arme à la main.
Lorsque Gelt retourna à Alderfen, il tenta par tous les moyens de chasser le souvenir de Ludenhof de son esprit. Il ne craignait pas que cet assassinat fût découvert. La disparition du Comte Électeur ne passerait pas inaperçue, mais même si on retrouvait le corps, sa mort pourrait être attribuée aux Gobelins. C’était le sentiment de culpabilité qui rongeait Gelt, pas la crainte d’être découvert. En tuant Ludenhof, il avait franchi le point de non-retour. S’il venait à être mis à jour, les représailles seraient terribles, toutefois Gelt était surtout effrayé par les changements de sa personnalité.
C’est ainsi que le Patriarche Suprême se consacra corps et âme à d’autres affaires, à commencer par les piles de lettres d’Emil Valgeir restées sans réponse, Gelt ayant utilisé son temps libre pour étudier le Révélations Necris. De toute façon, ces correspondances n’apportaient que de mauvaises nouvelles en provenance de l’ouest ; suivant Huss, Valten avait voyagé dans le nord de l’Empire pour rallier des partisans. Désormais, même Karl Franz reconnaissait la nature divine du jeune garçon, ou en tout cas, il était suffisamment intelligent pour feindre de la reconnaître. Valgeir ne tarissait pas de paroles amères à propos du comportement de Huss, qui exploitait sans vergogne cette situation. Cependant, ce ne furent pas ces nouvelles qui attirèrent l’attention de Gelt. En effet, Valgeir soupçonnait que le changeforme d’Alderfen suivait de près l’itinéraire de Valten. Le prêtre d’Ulric accompagnait personnellement le jeune homme dans ses errances, et dans chaque ville, dans chaque village et dans chaque forteresse, des événements inexplicables et malheureux similaires à ceux d’Alderfen se produisaient. Ar-Ulric n’avait pas encore réussi à rassembler des preuves, sinon il en aurait informé l’Empereur, mais il était de plus en plus convaincu que Valten n’était pas celui qu’on croyait. L’avant-dernière lettre de Valgeir suppliait Gelt de le rejoindre.
Néanmoins, en dépit des suppliques de Valgeir, Gelt n’avait aucune intention de quitter Alderfen, du moins jusqu’à ce qu’il lise l’ultime missive. Sa rédaction remontait à une semaine, et elle avait été visiblement écrite de façon précipitée. Elle disait que l’Empereur, dans un moment de folie (du moins tel que Valgeir l’avait perçu) voulait confier Ghal Maraz à Valten, car il considérait normal que le Héraut de Sigmar porte l’arme de sa divinité.
Gelt n’avait pas besoin que Valgeir lui explique le danger que cela représentait. Continuant de lire, le Patriarche réalisa que la situation était pire que ce qu’il avait imaginé : Karl Franz comptait remettre personnellement l’arme à Valten dans le cadre d’une cérémonie officielle au château von Rauken. Gelt craignit que le changeforme eût pris l’apparence de Valten afin de se donner une occasion d’assassiner l’Empereur.
Le Sorcier vérifia une dernière fois la date de la lettre. Il calcula qu’il pouvait encore atteindre à temps le château von Rauken, mais qu’il n’y avait pas une seconde à perdre. Enfourchant Vif-argent, il s’envola vers le nord.
La Mort d’un Traître[modifier]
Le Changelin observait avec délectation les défenseurs du château von Rauken se mettre en rang. Des centaines de soldats attendaient sous des bannières criardes, et il en arrivait davantage chaque minute.
Le Démon n’avait pas de plan précis lorsqu’il avait pénétré dans d’Empire de longs mois auparavant. Tzeentch lui avait demandé de manipuler Gelt pour qu’il confine les Vampires en Sylvanie, ce que le Changelin avait réussi à faire en prenant l’apparence de Dieter, l’apprenti du Sorcier. Après quoi, il s’était adonné à ses mauvais coups dès qu’il en avait eu l’opportunité. Le cercle rituel d’Alderfen avait peut-être constitué une erreur, concédait-il, car des Chevaliers de la Reiksguard vinrent habilement se placer à sa gauche, mais ensuite, comment aurait-il pu deviner que les sbires de Nurgle étaient mieux placés pour attaquer la brèche que les serviteurs de son glorieux maître ? Après cette catastrophe évitée de justesse, qui avait obligé le Changelin à aider les humains pour s’assurer que son erreur ne profite pas à Nurgle, le Démon s’était amusé de mesquineries dictées par son instinct. Ainsi le Changelin avait-il joué de nombreux rôles durant les semaines passées, mais avait toujours repris sa forme actuelle. Il n’avait pas su pourquoi au départ, mais à présent, c’était tout ce qu’il pouvait faire pour se retenir de rire à l’opportunité qui se présentait à lui. L’Empereur Karl Franz, à portée de main ! Le Changelin était triste de devoir assassiner l’homme, car voilà des siècles qu’il n’avait pas incarné un monarque, mais le Démon ressentait que l’Empereur était touché par le divin, et qu’il lui aurait été impossible de l’imiter à la perfection. L’espace d’un instant, la conscience de ses propres limites abattit le Changelin, mais son enthousiasme revint vite - il s’amusait trop pour cela. Dans le cas présent, l’entrain du Démon revint lorsqu’il se rendit compte que la mort de l’Empereur entraînerait sûrement la disgrâce d’autrui. Un son de trompette fendit l’air, et le Changelin leva les yeux vers Griffe Mortelle tandis qu’il emportait Karl Franz dans le ciel. Ce ne serait plus très long… |
Vif-argent amena Gelt au château von Rauken peu après l’arrivée de l’Empereur. Le Sorcier vit l’estrade aménagée sur le champ de parade. Elle était décorée aux couleurs d’Altdorf et de blasons portant l’emblème de la maison de Luitpold. Des dignitaires étaient assis sur des gradins, dont quatre des Comtes Électeurs survivants, le Grand Théogoniste et Ar-Ulric Emil Valgeir. Devant eux, l’Empereur brandissait Ghal Maraz pour saluer l’assemblée. À ses côtés, Griffe Mortelle piaula longuement, et son cri triomphal suscita des vivats aussi enthousiastes que ceux accordés à l’Empereur, car l’animal était tout aussi adoré de la soldatesque que Karl Franz lui-même. À la droite de l’Empereur, Ludwig Schwarzhelm observait la célébration avec son air taciturne habituel. Gelt savait que le garde du corps de Karl Franz était aux aguets, mais serait-il assez vif pour le protéger en cas d’attaque ? Est-ce que les Chevaliers de la Reiksguard, qui étaient rassemblés non loin de leur maître, seraient en mesure de le protéger si le changeforme décidait de tenter de l’assassiner au beau milieu de la cérémonie ?
Alors que Vif-argent se rapprochait, le Sorcier distingua l’allée qui courait au milieu de la place, et au bout de laquelle Valten et Huss attendaient. Le premier était à pied, le second juché sur un cheval. Le pégase entama un plongeon vers le sol au moment où un Chambellan faisait signe à Valten et à Huss d’avancer vers l’Empereur. Une seconde plus tard, un cri d’étonnement parcourut la foule tandis que Vif-argent atterrissait à quelques mètres devant Griffe Mortelle. Schwarzhelm dégaina instantanément son épée et interdit au Sorcier de s’approcher. L’assemblée se leva avec indignation, pourtant Gelt ne put s’empêcher de remarquer le sourire qui barrait le visage de Valgeir en dépit de sa barbe fournie.
L’Empereur était outragé et somma Gelt de s’expliquer. Ce dernier dévoila ses suspicions envers Valten. Il parla des événements étranges d’Alderfen, et de ceux qui avaient suivi dans le sillage du jeune homme à travers l’Empire. Alors qu’il parlait, Huss et Valten arrivaient précipitamment : ils ne pouvaient pas entendre ce que disait le Patriarche Suprême, mais ils voyaient à son attitude que la situation était tendue. Luthor Huss avait été imperturbable depuis le début des sombres événements qui assaillaient l’Empire, et l’Empereur lui accordait toute sa confiance, contrairement à Gelt, dont Karl Franz se défiait. D’ailleurs, l’Empereur se lamentait intérieurement de voir un de ses anciens conseillers tomber si bas, et refusa qu’il gâche l’espoir qu’était censée susciter cette journée. Quand il s’aperçut qu’il ne parviendrait pas à calmer l’excitation verbale de Gelt, il ordonna que la Reiksguard l’emmène loin de l’estrade.
Gelt paniqua quand il vit s’approcher les chevaliers. Réagissant instinctivement, il entonna un sort afin de ralentir les gardes du corps, le temps qu’il parvienne à convaincre l’Empereur. Malheureusement, dans sa hâte, le Patriarche n’utilisa pas les connaissances alchimiques auxquelles il avait dédié sa vie, mais la sorcellerie qui l’avait hanté au cours de ces dernières semaines. Il ne réalisa son erreur que trop tard : des mains squelettiques jaillirent du sol pour agripper les chevilles des chevaliers, puis des cadavres dévorés par les vers s’extirpèrent de la terre humide. Pendant un instant, un silence de mort s’installa tant les convives étaient éberlués par le sort que le Patriarche Suprême des Collèges de Magie venait de lancer. Puis la Reiksguard dégaina ses épées, et Schwarzhelm beugla l’inévitable sentence : « mort au traître ! Plusieurs dignitaires de l’assemblée s’avancèrent l’arme au clair pour défendre leur souverain.
La vie de Gelt s’écroula en un battement de cœur, mais ce faisant, il comprit à quel point il s’était fourvoyé. Même s’il était considéré comme un traître, il pouvait encore accomplir son devoir ; Valten - ou la chose qui se faisait nommer Valten - pouvait encore être stoppée. Néanmoins, il devait d’abord échapper au courroux de la foule. Il planta son bâton dans le sol et appela à lui les énergies de la non-vie. Tout le champ de parade trembla tandis que les générations de morts inhumés dans son sol s’en extrayaient.
À plusieurs lieues à l’est, Vlad von Carstein perçut un frémissement dans le Vent de Mort, et sut ce que cela signifiait. Il esquissa un sourire et retourna à sa tâche consistant à enfoncer son épée dans la gorge du chef Nordique qu’il affrontait.
Au château von Rauken, la discipline qui régnait quelques minutes plus tôt se désagrégea tandis que les morts se levaient. Les soldats qui se rapprochaient de Gelt durent s’arrêter pour défendre leurs vies. Le Sorcier était protégé par un cercle de morts-vivants et par des esprits hurlants qui volaient autour de lui, si bien que nul ne pouvait l’atteindre. Au fil des minutes, de plus en plus de guerriers et de chevaliers étaient démembrés : l’assemblée s’était préparée à une célébration, pas à une bataille rangée, et cette impréparation lui coûta cher. Les officiers rétablirent petit à petit la discipline, mais les morts étaient au beau milieu de leurs unités, et se relevaient en nombres sans cesse grandissants alors que Gelt ressuscitait les soldats tués.
Auparavant, le Sorcier aurait tenté d’épargner les vies des soldats qui l’assaillaient, mais cette fois, il ne se souciait que de la survie de l’Empereur et de la mort de Valten. Il n’agissait plus rationnellement, car à vrai dire, son esprit sombrait lentement dans la folie. Il était rongé par la mort de Ludenhof et par le rejet qu’il subissait de la part de l’Empereur, tandis que sa perception était déformée par la sorcellerie qu’il employait. Finalement, Gelt perdit totalement la raison et sombra dans l’abîme de la démence. Il ne voyait plus le massacre dont il était responsable, n’éprouvait plus de remords alors que les lames rouillées des morts fendaient les crânes et faisaient couler le sang. Tel un naufragé se débattant désespérément pour atteindre une planche de salut, Gelt était concentré sur la seule chose qui, à ses yeux, pouvait assurer sa rédemption : la mort de Valten.
Pourtant, cet objectif restait pour l’instant hors de sa portée. Valten se précipitait vers l’Empereur, ses marteaux de forgeron à la main. Pour sa part, Huss avait talonné sa monture, mais par malchance pour lui, il avait été désarçonné par les mains des morts-vivants qui l’agrippaient. Dans un cri de rage, Huss se releva et invoqua un feu bénit qui carbonisa ses assaillants, cependant la horde était si dense qu’il ne pouvait pas se rapprocher de l’Empereur. Valten ne jeta pas de regard en arrière vers le prophète de Sigmar, car il savait quelle était sa priorité. Il courait vers l’endroit où la Reiksguard luttait pour défendre l’Empereur. Valten savait ce qu’il avait à faire. Les zombies s’accrochaient à ses jambes mais il s’en débarrassa. Les figures spectrales qui lui barraient la route furent également repoussées lorsqu’une aura dorée ceignit le front du jeune homme.
Kurt Helborg frappait de taille et d’estoc avec Porte-rancune, son Croc Runique. Tuer le Sorcier pour mettre fin à cette folie. Tels étaient les mots que le Reiksmarshal se répétait tandis qu’il éperonnait son destrier pour l'obliger à avancer. Il avait livré de nombreuses campagnes contre les Vampires et leur engeance, et il connaissait leurs points faibles. Tuer le Sorcier pour mettre fin à cette folie. Helborg se moquait que Gelt eût été son allié autrefois - le Reiksmarshal n’avait pas d’amis - car maintenant, le Patriarche Suprême était une cible, un ennemi à abattre afin que l’Empire survive. Tuer le Sorcier pour mettre fin à cette folie. Helborg poussa un juron et coupa en deux un zombie bouffi, puis continua sur sa lancée en criant férocement tandis que sa monture franchissait la dernière ligne de zombies et le portait aux côtés de Gelt. Porte-rancune s’abattit et aurait tranché la tête du Sorcier si ce dernier n’avait pas paré l’attaque avec son sceptre. Des étincelles jaillirent lorsque le Croc Runique percuta le Bâton de Volans, cependant le coup fut dévié.
Alors que la bataille continuait de faire rage, Emil Valgeir bondit des gradins avec une adresse insoupçonnée de la part d’un si vieil homme. Certains de ses disciples tentaient en vain d’atteindre leurs montures, d’autres fuyaient face à la marée de morts-vivants. Valgeir les ignora et courut vers l’Empereur, se servant de la hampe de sa hache pour pousser de son chemin les zombies aussi bien que les soldats impériaux. Le prêtre semblait impassible en dépit du danger qui les guettait, aussi bien lui que l’Empereur. Le squelette d’un énorme Nordique se dressa devant lui, mais la hache d’Ar-Ulric le réduisit en miettes. Valgeir enjamba le corps et atteignit enfin le cercle que les Chevaliers de la Reiksguard avaient formé autour de Karl Franz. Le prêtre d’Ulric n’était même pas essoufflé. Valten n’était plus qu’à quelques pas et se rapprochait rapidement de l’Empereur et de Griffe Mortelle. Valgeir vit qu’il n’avait encore tout juste le temps d’intervenir avant qu’il soit trop tard…
Jusqu’à présent, Karl Franz s’était maintenu à l’écart des combats. Il était clair que Gelt était devenu fou, cependant l’Empereur se doutait aussi que quelque chose d’autre clochait. Il avait donc décidé de rester à l’abri du mur de boucliers de la Reiksguard, le temps d’évaluer la situation. Même s’il renâclait à rester en retrait, il avait conscience que sa sécurité était primordiale pour l’avenir de l’Empire.
Tout cela changea subitement lorsque Valgeir atteignit la Reiksguard. L’Empereur fut abasourdi de voir un feu rose jaillir des paumes du prêtre et incinérer dix de ses gardes du corps. Profitant de la confusion, Valgeir se rua sur Karl Franz, puis, effectuant un bond prodigieux, il le percuta et le fit chuter de sa selle. L’Empereur lâcha Ghal Maraz lorsqu’il tomba lourdement au sol. Schwarzhelm et une poignée de chevaliers virent leur maître en danger et tentèrent d’intervenir, mais ils furent à leur tour engloutis par les flammes roses. Valgeir - ou plutôt, la créature qui avait pris son apparence - se jeta sur l’Empereur avant que quiconque puisse l’en empêcher. La hache de l’Ulrican s’abattit pour décapiter Karl Franz, et par-là même tout l’Empire. L’Empereur comprit enfin qu’en dépit de sa démence, Gelt n’avait pas menti quant à la présence d’un assassin, bien qu’à présent cette information ne lui fût plus d’une grande aide.
Un battement de cœur avant que la hache atteigne le cou de Karl Franz, Valten percuta le Changelin et dévia son attaque. Les deux adversaires roulèrent dans la boue. Le Démon changeait sans arrêt de forme pour tenter de prendre l’avantage. Karl Franz se releva rapidement et récupéra Ghal Maraz avant de se porter au secours du jeune homme, néanmoins il fut déconcerté de voir que désormais, il y avait deux Valten parfaitement identiques qui luttaient dans la boue. Le Changelin avait lâché la hache d’Ulric, tandis que le vrai Valten avait perdu ses marteaux, si bien que les deux combattants échangeaient férocement les coups à mains nues. Karl Franz hésita, de peur de blesser son sauveur plutôt que son assassin. Il ne voyait aucun moyen de reconnaître le vrai Valten du Changelin.
Peut-être le Démon aurait réussi à étrangler Valten, ou tout au moins à s’échapper, si Griffe Mortelle n’était pas intervenu. Les sens du griffon étaient plus aiguisés que ceux d’un homme et, poussant un cri furieux, il balaya d’un coup de serre le combattant qu’il avait identifié comme étant le Changelin. Les traits du Démon changèrent instantanément, et il prit l’apparence d’une silhouette encapuchonnée aux tentacules nimbés de flammes. Le Démon se redressa dans un piaillement de mécontentement, frustré d’être privé de sa proie au dernier instant. Son cri se mua alors en un hurlement d’agonie lorsque Schwarzhelm le transperça avec la pointe de la hampe de son étendard. La peau et l’armure du garde du corps de l’Empereur étaient noircies, mais il était plus déterminé que jamais. L’épée de Schwarzhelm s’abattit avant que le Changelin ne puisse modifier son apparence pour échapper à la hampe qui l’empalait. Le Démon poussa un ultime piaulement et son corps se réduisit à une masse gélatineuse qui se liquéfia ensuite sur le sol détrempé.
Nul ne fut plus frappé par cette vision que Balthasar Gelt. Alors qu’il luttait pour survivre aux attaques d’Helborg, il vit à quel point il avait été manipulé. Depuis le début, ce Valgeir qui prétendait être son ami était en fait le changeforme qu’il recherchait. Au lieu d’aider l’Empereur à déjouer la tentative d’assassinat, Gelt avait fourni une occasion parfaite au Changelin. Poussant un cri de désespoir, le Sorcier repoussa Helborg à l’aide de son bâton, puis talonna Vif-argent afin qu’il prenne son envol. Tandis que le Patriarche Suprême prenait la fuite, les vents de Magie se calmèrent, et les énergies qui animaient les morts se dissipèrent. Partout sur le champ de parade, les cadavres retombèrent lourdement au sol. Les survivants purent alors considérer la scène d’un air médusé, et tenter de comprendre les événements improbables qui venaient de se dérouler.
Même si les pertes qu’elle entraîna furent minimes comparées aux affrontements qui allaient suivre, l’improbable bataille qu’on nomma La Folie de Gelt eut de lourdes conséquences politiques. Tout d’abord, elle suscita la nomination de Gregor Martak, le maître du Collège d'Ambre, au rang de Patriarche Suprême, puisque Balthasar Gelt avait révélé sa corruption aux yeux de tous. Ce ne fut pas le seul malheur qui s’abattit sur le Collège Doré, car suite à la Folie de Gelt, Heldebrandt Grimm le Seigneur Protecteur des Templiers de Sigmar - également nommés Répurgateurs - entama une inspection minutieuse de l’ordre des alchimistes. Grimm était un homme pieux et impitoyable, si bien que de nombreux Sorciers dorés finirent sur le bûcher. Peu de ces victimes étaient effectivement corrompues, cependant le mal causé par Gelt était si grand que nul ne pouvait restreindre les errements des Répurgateurs. Au contraire même, certains les encouragèrent. C’est ainsi que le Collège Doré sombra dans la déchéance, et que la persécution de ses membres prit de l’ampleur. Seuls les alchimistes qui œuvraient afin de maintenir le Bastion Doré échappèrent aux suspicions qui pesaient sur tous les Sorciers de l’ordre Doré, car ils prouvaient quotidiennement leur valeur.
Gelt lui-même n’en sut rien. il avait fui pour rejoindre Vlad von Carstein à Rackspire dès la fin de la bataille. Sa santé mentale était si déficiente que rien de ce qu’il vit dans les halls du Vampire ne le dégoûta. Pire encore, Gelt apprit méthodiquement tout ce que Vlad lui enseignait, et aida le Vampire en participant activement aux recherches de la sépulture d’Isabella.
Aussi terribles que furent ces événements pour ceux qui les subirent, leur portée politique était limitée comparée aux décisions prises par le clergé sigmarite plus tard cette année-là. Quelques mois après la Folie de Gelt, le Grand Théogoniste Kaslain informa l’Empereur que l’Église de Sigmar n’aiderait plus à maintenir le Bastion Doré, car il s’agissait là de l’œuvre d’un hérétique. Jamais Volkmar ne manqua plus à Karl Franz qu’en cet instant. Certes, le vieil homme avait toujours été entêté et colérique, mais il n’aurait jamais pris une décision aussi stupide que celle de Kaslain. Même si Gelt avait été corrompu, cela n’enlevait rien aux mérites de ses travaux antérieurs. Malheureusement, Kaslain refusa d’écouter les arguments de l’Empereur et s’accrocha obstinément à sa décision.
Finissant par perdre patience, l’Empereur chercha à destituer le Grand Théogoniste, toutefois l’Église de Sigmar resserra les rangs derrière son chef, et en dépit des pressions exercées par l’Empereur, il ne parvint pas à faire remplacer le Grand Théogoniste. C’est ainsi que les conséquences de la Folie de Gelt furent rendues encore plus tragiques par la bêtise des prêtres.
Même s’il faudrait un long moment avant que les effets se fassent sentir, le Bastion Doré commença à s’effriter lentement dès l’instant où les prêtres cessèrent leurs prières. Les Sorciers du Collège Lumineux et du Collège Doré continuaient de célébrer leurs rituels dans les cercles de pierres, mais sans la foi du clergé pour servir de mortier, la roche des murs n’était plus invulnérable face aux attaques de Démons. Le long de la frontière, les serviteurs des Dieux Sombres martelaient la muraille, qui céda peu à peu sous leurs assauts incessants.
Finalement, la solidité du Bastion Doré fit défaut là où tant d’événements cruciaux avaient eu lieu : au village d’Alderfen en Ostermark. Alors que la foi ruisselait du mur comme de l’eau, Gurug’ath, le Démon Majeur qui avait été emprisonné dans la roche par Gelt tant de mois auparavant, se mit à bouger. Les Nordiques virent la muraille trembler et se fissurer tandis que Gurug’ath luttait pour se libérer. Ils se rassemblèrent par milliers, chantant et jouant du tambour, et vociférant des prières aux Dieux du Chaos pour aider le Démon Majeur à s’extirper de la roche. Finalement, Gurug’ath jaillit dans une pluie de gravats et un nuage de poussière, et une section du Bastion Doré d’une lieue de long s’écroula dans la foulée. Le grand immonde rugit triomphalement, et les Nordiques se déversèrent dans la brèche.
Alderfen fut conquis en quelques heures, et les marches septentrionales de l’Ostermark en quelques jours. Karl Franz savait qu’il n’avait pas beaucoup de temps pour repousser cette incursion avant que des événements similaires surviennent ailleurs sur la frontière. Il mobilisa tous les soldats à sa disposition et marcha depuis le château von Rauken pour affronter les envahisseurs. Ni l’Empereur, ni ses généraux ne savaient pourquoi les Nordiques avaient continué leur route plus profondément en Ostermark au lieu de bifurquer vers l’ouest et les grandes cités de Middenheim, de Talabheim et de Wolfenburg. Cependant, il était évident pour tous les chefs de l’Empire que ces ennemis devaient être écrasés rapidement.
Pendant ce temps à Rackspire, Vlad von Carstein fut mis au courant de l’incursion, et comprit l’objectif qu’elle poursuivait : au sud de l’Ostermark se trouvaient la Sylvanie et les réserves de Magie que Nagash avait enracinées dans son sol. Vlad ne pouvait pas laisser les Nordiques l’atteindre. Laissant le Sans-Nom protéger ce qu’il restait de la frontière entre l’Empire et Kislev, Vlad rassembla ses troupes et se dirigea vers le sud. Ses espions le tenaient informé des mouvements de Karl Franz et de l’armée impériale, c’est pourquoi le Vampire put mener sa force vers la ville où ils se rendaient. Qu’ils le veuillent ou non, les hommes de l’Empire ne combattraient pas seuls à Heffengen contre le Chaos.
La Bataille d’Heffengen[modifier]
Les Défenseurs d’Heffengen[modifier]
Heffengen fut la première bataille de la guerre déclenchée par l’invasion du Chaos. L’armée impériale n’était pas une garnison isolée, mais un ost bien équipé et motivé commandé par l’Empereur en personne. Si la préparation d’une bataille suffisait à la gagner, nul doute que l’Empire aurait gagné sans coup férir. L’Empereur Karl Franz Le Reiksmarshal Kurt Helborg L’Armée de Sigmar Le Cercle Intérieur de la Reikguard Les Épées de Steil Vlad von Carstein Estroth le Silencieux Les Morts de Rackspire |
Les Fléaux de l’Ostermark[modifier]
La horde du Chaos qui attaqua Heffengen était un amalgame de diverses bandes qui s’étaient rassemblées en quête de gloire et de butin. Elle n’avait pas de général officiellement désigné, mais plusieurs seigneurs de guerre rivaux, si bien qu’elle ne suivait pas de stratégie, et cherchait juste à s’attirer les faveurs des Dieux. Crom le Conquérant Akkorak le Corbeau, Pillard des Neuf Désolations Les fils de Nifflecht Les Griffes de Skael La Chasse Sauvage de Hraldar Les Ignobles La Légion des Tempêtes Les Massacreurs de Kruld |
La bataille d’Heffengen débuta à l’aube, le jour suivant l’arrivée de l’Empereur. Karl Franz avait envisagé de se retirer derrière les murs de la ville, mais il s’était rapidement rendu compte que ce n’était pas réalisable : les défenses d’Heffengen avaient été négligées, si bien que l’Empereur ne pouvait pas s’y fier pour retenir l’ennemi. C’est pour cette raison qu’il déploya son armée dans les plaines au nord, en utilisant les eaux profondes de la rivière Revesnecht pour verrouiller son flanc droit.
Le général Godfrei Talb avait demandé à l’Empereur l’honneur de commander les défenses de l’est, et Karl Franz le lui avait accordé. Talb avait sous ses ordres une dizaine de régiments originaires de l’Ostermark, malgré tout l’Empereur avait pris soin de renforcer davantage ces troupes, en engageant les mercenaires des Poings sanglants de Grub le Cannibale et en leur promettant encore plus d’or s’ils remportaient la bataille. De plus, Valten et Luthor Huss choisirent de se positionner sur le flanc est, et bien évidemment, l’Armée de Sigmar les suivit. C’était un nom grandiose derrière lequel se cachait en réalité une horde de Flagellants attirés par les exploits de Valten au cours des semaines précédentes. Karl Franz redoutait que la présence de l’Armée de Sigmar sème la discorde dans son ost, par conséquent il était satisfait de la voir se disposer à l’écart.
Le flanc ouest reposait sur les épaules des soldats de Talabheim. Le général Garrat Mecke semblait le seul homme sain d’esprit au sein de l’armée pressé d’en découdre, en dehors de l’impétueux Reiksmarshal, bien sûr. Depuis la disparition d’Helmut Feuerbach l’électeur du Talabecland, Mecke ne cachait pas son ambition de le remplacer, si bien que même à l’aube d’une bataille indécise, il saisissait l’occasion de prouver son mérite en conservant tout son allant. Karl Franz se méfiait des motivations politiques de Mecke, toutefois ce dernier avait sous ses ordres un nombre important de Talabheimers, c’est pourquoi l’Empereur avait mis de côté sa défiance envers lui face à la menace du Chaos.
C’est au centre de la ligne que se trouvaient les troupes d’élite de l’Empereur. Il s’agissait essentiellement de soldats d’Altdorf et de trois régiments de gardes du palais qui s’étaient positionnés à une demi-lieue des portes d’Heffengen. C’était également là que se trouvait la Reiksguard, avec à sa tête Kurt Helborg, qui piaffait autant d’impatience que son fougueux destrier, Krieglust.
Tous les soldats savaient à quoi s’attendre. L’arrivée de la horde avait été annoncée depuis plusieurs jours par la venue de pillards et de chercheurs de gloire. Des villages et des avant-postes avaient été attaqués. Certains avaient tenu bon, grâce à des actes héroïques que personne ne commémorerait ; les autres avaient été mis à sac suite à de violents combats dont les seuls vrais vainqueurs avaient été les corbeaux. Beaucoup des soldats présents ce jour-là avaient connu de telles escarmouches, ou avaient été témoins des scènes de désolation qu’elles laissaient a posteriori. Tous avaient eu vent de la prophétie annonçant la venue de la Fin des Temps. Certains en avaient été si ébranlés qu’ils étaient devenus fous et avaient rejoint les rangs pouilleux de l’Armée de Sigmar. Les autres récitaient des prières à Sigmar, Ulric ou Taal, aiguisaient leurs armes, et priaient pour que la mort les prenne rapidement s’ils ne parvenaient pas à remporter la victoire.
La horde avançait sous des nuées de corbeaux avides de se repaître des cadavres qui n’allaient pas tarder à joncher le sol. L’air frémissait sous des battements de tambours lents et funestes, tandis que les chants entêtants des notaires de Nurgle se mêlaient aux bourdonnements incessants de millions de mouches démoniaques et aux rugissements de bêtes mutantes. Cette cacophonie annonçait la damnation, si bien que les prières des impériaux redoublèrent de dévotion quand ils l’entendirent.
Dès que l’armée du Chaos fut à portée, l’artillerie de l’Empire ouvrit le feu à l’unisson. Pendant un instant, les clameurs des Nordiques furent couvertes par le tonnerre des canons, puis reprirent de plus belle une fois la fumée dissipée. Des maraudeurs assoiffés de sang éperonnèrent leurs montures et se placèrent en avant-garde. Alors qu’ils se rapprochaient, les claquements secs des longs fusils du Hochland en désarçonnèrent un grand nombre. Quelques-uns eurent assez de chance pour atteindre les lignes impériales et les attaquer avec leurs fléaux ou leurs lances, jusqu’à ce qu’une détonation d’arme à feu les envoie auprès de leurs Dieux.
Pendant ce temps, le reste de la horde approchait d’Heffengen telle une marée de malheur. Elle se moquait des pertes ou de la taille de l’armée impériale qui lui faisait face ; elle s’était languie trop longtemps de l’autre côté du Bastion Doré, et cette longue attente avait éveillé en elle une soif de meurtre qu’elle devait étancher. L’énorme Gurug’ath progressait au centre de la horde. Il avait sans doute plus de raisons que n’importe qui d’autre de haïr les frêles humains en face de lui, car la honte de son emprisonnement au sein du mur enchanté était vivace. Pire encore, alors qu’auparavant il était le seigneur de guerre de son armée, il n’était plus désormais qu’un des généraux de la horde, car son échec à Alderfen l’avait fait tomber en disgrâce auprès de son maître.
De fait, la horde n’était pas guidée par une seule volonté, mais plutôt par un instinct commun, et tandis que les premières bandes de guerre arrivaient à portée des arquebuses, elles payèrent le prix fort pour leur témérité. Elles ne suivaient pas de plan de bataille, pas de stratégie destinée à leur faciliter la victoire. Si cela avait été le cas, peut-être la horde du Chaos aurait-elle balayé les lignes de l’Empire. En réalité, au moment où les haches des Nordiques commençaient à fourrager les boucliers ennemis au centre de la ligne, au même moment, les flancs de l’Empire n’étaient nullement menacés.
Les Altdorfers subirent de plein fouet cette première charge, et en subirent les conséquences. Les hampes des lances et des hallebardes étaient brisées par les haches des Nordiques, et les soldats finissaient piétinés sous de lourds sabots ferrés. D’énormes barbares se taillaient un chemin sanglant à travers les rangs des humains en hurlant leur cri de guerre. Cependant, les Altdorfers étaient déterminés à faire honneur à leur Empereur, et ne fléchirent pas en dépit des pertes. Cinq régiments complets furent massacrés jusqu’au dernier homme dès les premières minutes de cette mêlée brutale, toutefois aucun soldat impérial ne recula d’un pouce, ni ne lâcha son arme pour implorer pitié. Les Altdorfers combattirent jusqu’au dernier.
D’autres forces se joignirent bientôt au combat. Tout d’abord la Reiksguard ; Kurt Helborg n’ayant pas attendu l’ordre de l’Empereur pour sonner la charge. Juste derrière la Reiksguard avançait la seconde ligne d’Altdorfers, qui s’était élancée dès que Karl Franz lui en avait donné le signal. Ces soldats savaient qu’ils allaient au-devant de la mort, pourtant ils n’hésitèrent pas une seconde, et hurlaient des imprécations afin d’étouffer la peur qui leur tordait le ventre. Cette contre-attaque s’abattit comme le poing d’un Dieu et éparpilla les Bandes guerrières de l’avant-garde avant de reconquérir le terrain que les régiments décimés avaient défendu avec tant de vaillance. Le croc runique d’Helborg fendit le crâne du seigneur de guerre qui avait mené la charge, et le cri triomphal du Reiksmarshal fut repris en chœur par ses chevaliers, car bien que Kurt Helborg eût toujours appliqué une discipline stricte à ses guerriers, ils aimaient leur chef et se réjouissaient tout autant de ses faits héroïques que des leurs. Hélas, la horde était immense, et ces quelques tribus vaincues n’étaient que les premières vagues d’une tempête en devenir.
Le visage d’ordinaire austère d’Helborg afficha un sourire d’exaltation sauvage. Son Croc Runique fendit en deux le casque et le crâne du chef des Nordiques. Rien ne pouvait lui apporter plus de joie que des ennemis à perte de vue, une juste cause à servir, et des guerriers valeureux à mener au combat. C’était le désir le plus cher de tout chevalier.
Le Reiksmarshal talonna sa monture pour s’enfoncer plus profondément dans les rangs adverses, sans prêter attention aux cris de joie de ces hommes suite à la mort du seigneur de guerre ennemi. Le Croc Runique vibrait telle une créature vivante entre ses doigts, avide de goûter au sang. Laissons ces barbares s’imaginer qu’ils sont les plus forts, » pensa Helborg. Par ses actions, il allait leur donner tort. Un énorme Démon surplombait la mêlée, et poussait violemment ses serviteurs pour se joindre au combat. À sa vue, les cris de joie de la Reiksguard se turent. Le Reiksmarshal n’hésita pas une seconde. « Suivez-moi, vermine ! » lança-t-il à ses chevaliers. « Nul ne pourra dire que la Reiksguard a fui devant cette outre à pus ! Pour Karl Franz ! Pour l’Empire ! » |
En effet, Gurug’ath menait l’assaut suivant, constitué d’une nuée de Démons et de Skaelings. Les Altdorfers survivants étaient épuisés suite à leur charge, néanmoins ils firent face, car cette fois, ils ne combattaient pas seuls. Les flancs de l’Empire n’avaient pour l’instant subi que des attaques sporadiques, et pouvaient désormais venir en aide au centre. À l’ouest, les batteries d’artillerie de Garrat Mecke et les arquebusiers apportèrent leur soutien. Les rangs des Nordiques vacillèrent sous la pluie de boulets et de grenaille. À l’est, l’Armée de Sigmar, incapable de se retenir plus longtemps, se jeta au combat. Ces fanatiques étaient menés par Valten, dont le front était ceint par la lumière de Sigmar, et pour la première fois les Nordiques éprouvèrent le doute. Dans un ultime élan, les Flagellants percutèrent les Skaelings, provoquant ainsi une mêlée d’une violence inouïe.
À quelque distance de là, Karl Franz vit le Reiksmarshal tomber et sut que l’heure était venue pour lui d’intervenir. Aussi bien Helborg que Schwarzhelm le lui avaient déconseillé, mais Karl Franz savait que sa présence au combat galvaniserait les troupes, de plus, l’issue de la bataille était incertaine. Certes, les Altdorfers avaient tenu bon, mais au prix de pertes terribles, et l’Empereur s’apercevait que les chefs du Chaos étaient sur le point d’exploiter les faiblesses dans les lignes impériales. Ignorant les exhortations de Schwarzhelm à rester en retrait, Karl Franz demanda à Griffe Mortelle de l’emmener au-dessus des combats. Le griffon poussa un cri perçant et prit son essor afin de porter son maître au secours d’Helborg.
L’arrivée de Karl Franz fit perdre tout espoir aux Skaelings. L’Armée de Sigmar qui leur faisait face n’adoptait aucune formation, et ne suivait aucune discipline, car elle se contentait d’obéir à un zèle implacable. Les Skaelings avaient sombré dans l’oisiveté lors des semaines précédentes, et ils se trouvaient désormais face à des adversaires qui ne craignaient pas de mourir. L’Armée de Sigmar déferlait comme un ouragan et éparpillait les Nordiques tels des fétus de paille. Une sainte lumière ceignait le front de Valten, et sa brillance baignait tous ceux qui le suivaient, leur donnant la force de poursuivre le combat.
Les fléaux décrivaient des arcs mortels, disloquaient les boucliers et défonçaient les crânes. Les Skaelings poussaient leurs cris de guerre braillards, sans parvenir à impressionner les Flagellants impavides. Dans les deux camps, des hommes s’effondraient face contre terre, les blessés finissaient impitoyablement piétinés par leurs camarades aussi bien que par l’ennemi. Un chef tribal hurla un défi à Valten. Ce dernier abattit Ghal Maraz. Le bouclier du Nordique vola en éclats, et son crâne fut fracassé par l’arme runique. Aux côtés du héros, Huss se battait comme un possédé, et abattait un barbare à chaque coup de son marteau à deux mains. Les Nordiques avaient beau être plus robustes et plus grands que les Flagellants, en cet instant leurs Dieux ne les soutenaient pas, car tous ceux qui suivaient Valten étaient imbus d’une fraction du pouvoir de Sigmar. Les Skaelings finirent par perdre courage ; ils lâchèrent leurs armes et détalèrent, sans plus se soucier de se distinguer auprès de leurs divinités.
À la vue de leurs adversaires qui prenaient leurs jambes à leur cou, les Flagellants poussèrent des meuglements de joie malgré leurs langues coupées. Leur cri fut porté par-delà les lignes de l’Empire, où les Ostermarkers et les Cannibales de Grub attendaient. Galvanisé par ce cri triomphant, le flanc est de l’Empire se mit en branle. Les hommes de l’Ostermark étaient avides de vengeance. Pour leur part, les ogres venaient s’arroger les cadavres, qu’ils comptaient bien dévorer pour rattraper les semaines de privations qu’ils venaient de vivre, ayant été forcés de ne manger que de piteuses rations impériales. Ils beuglaient de joie en imaginant déjà le festin à venir. C’est alors qu’un chant de guerre guttural s’éleva derrière les barbares qui reculaient en désordre, mettant un terme aux hurlements de joie qui résonnaient dans les lignes de l’Empire.
La ferveur des Flagellants avait été efficace face aux maraudeurs simplement protégés par d’épaisses fourrures, mais elle ne valait rien contre les guerriers qui les assaillaient à présent. Ces brutes en armures de plaques étaient les guerriers d’élite des Kurgans, la garde personnelle de Vardek Crom. Ce dernier avait juré allégeance à Archaon l’Élu, et était désormais son Héraut. Crom avait quitté la Cité inéluctable sur ordre de son maître, et s’était dirigé vers le sud pour porter le funeste message des Dieux. Il ne se doutait pas qu’ainsi, Archaon s’était débarrassé de lui, et qu’il espérait qu’il trouverait la mort dans les terres du sud. De toute façon, Crom s’était toujours considéré comme un conquérant, et brûlait de le prouver.
Les Kurgans dépassèrent leurs camarades en déroute. La mort les accompagnait. Perdus dans leurs visions d’apocalypse, les Flagellants ne tentaient pas de se protéger. Les haches mordirent profondément dans les chairs scarifiées ; les zélotes sigmarites tombèrent comme le blé sous la faux. Pourtant, ils ne cédèrent pas, et continuaient de combattre en dépit des plus graves blessures. Ils griffaient l’adversaire avec leurs doigts ensanglantés, le mordaient de leurs dents pourries. Néanmoins, bien que les Flagellants mourussent sans faiblir, ils ne parvinrent pas à ralentir les invincibles Kurgans.
L’Armée de Sigmar ne parvint à tenir sa position que là où combattaient Valten et Huss, car tout Nordique qui s’approchait des deux héros périssait dans les secondes suivantes. Malgré tout, ils n’étaient pas en mesure de reconquérir le terrain perdu, car leurs efforts ne suffisaient pas pour repousser la horde. Bientôt, l’Armée de Sigmar fut quasiment exterminée, au point que Valten, Huss et leurs derniers Flagellants formèrent un îlot de bravoure au milieu d’une mer de haine, et dont les rivages étaient constitués par les corps démembrés de zélotes. Les plus puissants Kurgans assaillaient ce bastion de résistance, persuadés que leurs Dieux les récompenseraient s’ils tuaient ces deux héros aux marteaux irradiant d’une lumière dorée. Les autres barbares se désintéressèrent des lambeaux de l’Armée de Sigmar et se jetèrent sans hésiter sur les lames des soldats d’Ostermark.
Des cris d’alarme se répandirent dans les lignes de l’Ostermark tandis que les capitaines vérifiaient une dernière fois l’intégrité de leur ligne, afin qu’elle tienne bon face à la charge des Kurgans. Les Ostermarkers n’avaient rien perdu de leur discipline, comme le prouva la volée de carreaux d’arbalète qui accueillit les Nordiques. Quelques barbares s’écroulèrent, mais la majorité des tirs ricocha contre les armures de plates éclaboussées de sang. En dépit de cela, la grêle de mort permit de ralentir l’avance des redoutables Kurgans, et brisa l’uniformité de leur ligne de bataille.
Beaucoup de Kurgans périrent au cours du corps à corps qui s’ensuivit, leur élan les entraînant droit sur le mur de lances de l’Empire. Constatant que la charge des barbares faiblissait, les capitaines d’Ostermark ordonnèrent à leurs détachements d’effectuer des prises de flanc, dans le but de submerger les Nordiques avant qu’ils se remettent en formation. Malheureusement, les Ostermarkers avaient progressé trop vite dans le sillage des Flagellants, sans remarquer la seconde vague de Nordiques qui dépassait à présent les positions de Valten et de Huss. Ainsi, au moment où les hommes de l’Empire s’élançaient pour la contre-attaque, ce nouvel assaut du Chaos les surprit sur le flanc.
En quelques minutes, les couleurs d’Heffengen, d’Essen et Bechafen qui flottaient fièrement dans la brise furent piétinées ; l’or et le pourpre de l’Ostermark furent déchirés et maculés de boue. Cette déroute ne fut pas le fait d’une quelconque lâcheté, car les impériaux se battirent honorablement, mais la discipline qui leur permettait de remporter les batailles s’était soudainement évanouie, à cause de l’assaut imprévu du Chaos.
Grub le Cannibale vit les lignes des Ostermarkers s’effondrer, et Godfrei Talb tomber sous les coups de hache. Il savait quelle tournure les événements allaient prendre. Poussant un beuglement qui recouvrit les cris des mourants, il commanda à ses buffles de tenir bon : il n’y avait nulle échappatoire, car les Nordiques s’étaient déjà lancés à la poursuite des soldats impériaux en déroute, et allaient atteindre les ogres d’une seconde à l’autre. Grub trouvait donc préférable d’affronter l’ennemi. Il serra sa massue et esquissa un sourire carnassier.
Vlad avait vu lui aussi la charge des Kurgans se diriger droit vers les ogres, et sut qu’il était temps d’agir. Le flanc gauche de la horde était étiré et désordonné, par conséquent le Vampire conclut qu’une contre-attaque avec une force disciplinée pouvait le briser.
Balthasar Gelt observait en silence la contre-attaque des Kurgans ainsi que l’anéantissement des Ostermarkers depuis le sommet d’une tour en ruine. Quelques semaines auparavant, il s’en serait voulu de ne pas porter secours à ses anciens camarades. Aujourd’hui, il les regardait mourir sans ressentir la moindre pitié. Il lui arrivait de s’inquiéter de la rapidité avec laquelle les échos de son ancienne vie disparaissaient, toutefois de telles pensées ne duraient jamais plus qu’un battement de cœur.
« Ce ne sont que des enfants qui se chamaillent, en tentant de mimer leurs ancêtres. Ils ne savent pas ce qui est en jeu… » dit Vlad en s’approchant. Son ton était presque triste, et Gelt en fut interloqué. « J’imagine que ce n’est pas votre cas ? » répondit le magicien avec lassitude. Il aurait voulu adopter un ton sarcastique, mais bizarrement, il n’en avait pas le cœur. Plus il passait du temps auprès du Vampire, plus ses désirs et ses émotions s’effaçaient. « Je suis prêt à défendre un trône que j’ai jadis convoité. C’est déjà bien assez. » répondit le Vampire. Gelt ne réagit pas, et se contenta de regarder à travers la plaine de Revesnecht, vers le même endroit que son allié - son maître - fixait intensément. "Qu’es-tu devenu ?" criait une voix dans la tête du magicien. Elle se tut lorsque Vlad von Carstein se tourna une nouvelle fois vers lui. « Je crois qu’il est temps d’intervenir, » annonça-t-il. « Êtes-vous prêt ? » Gelt s’inclina. « Oui, maître. » « Très bien. Dans ce cas, ne perdons pas de temps. » |
Par chance, Vlad disposait précisément d’une telle armée. Ses soldats n’avaient pas besoin de se reposer ou de dormir, et ils avaient pris position trois jours avant l’arrivée des premières troupes de l’Empire ou du Chaos à Heffengen. Le Vampire savait que Karl Franz refuserait l’aide qu’il lui proposerait, à cause de l’histoire de la lignée des von Carstein et des événements récents concernant Gelt. C’est ainsi que Vlad ne perdit pas de temps à tenter de forger une alliance. Au lieu de cela, il avait misé sur l’inévitabilité de l’affrontement sur la plaine de Revesnecht, et avait caché son armée en un lieu où nulle sentinelle et nul patrouilleur ne pouvaient la trouver. Seul Vlad, Gelt et une petite garde de Templiers de Drakenhof couraient le risque d’être découverts, cependant le danger était minime : ils étaient terrés dans un avant-poste abandonné aux abords de la Revesnecht, les espions de Vlad l’informant que cette tour avait la réputation d’être hantée auprès des habitants de la région, si bien qu’ils ne s’y aventuraient jamais.
Vlad n’avait pas besoin de donner un ordre verbal. Sa volonté s’étendait à ses serviteurs par l’intermédiaire des vents de Magie, néanmoins le Vampire estimait qu’il était nécessaire de respecter certaines formalités. Il commanda donc que son étendard personnel soit hissé au sommet de la tour en ruine, puis il brandit son épée, et déclama à haute voix les mots qui firent jaillir ses Morts-Vivants de leur cachette. Au début, rien ne se produisit, puis les eaux de la Revesnecht s’agitèrent, et des guerriers squelettiques en émergèrent avant de se rassembler sur la rive ouest, autour de bannières sinistres.
L’armée de Vlad progressait implacablement. La boue et la vase dégoulinaient sur les armes et à travers les cages thoraciques vides. Ces Morts-Vivants avaient patienté trois jours durant au fond de la rivière, attendant l’ordre de Vlad qui leur intimerait de surgir des eaux. Désormais ces squelettes, revenants et monstres ailés avançaient sur l’armée du Chaos.
Bien que pris entre les Ogres de Grub le Cannibale et les Morts-Vivants, les Kurgans firent face, et accueillirent même ces nouveaux adversaires avec bravoure. Des créatures gigantesques capturées dans les Désolations Nordiques furent libérées de leurs chaînes et lâchées sur les Morts-Vivants. Des chamans méphitiques en appelèrent à Nurgle, et répandirent une épidémie foudroyante parmi les ogres. Cependant, cela n’aida guère les Kurgans à prendre l’avantage, car le massacre qu’ils avaient commis jusqu’à présent devint la source -de leurs malheurs : alors que les combats faisaient rage, Gelt mit à profit ses récentes connaissances en nécromancie ; il plia les vents de Magie à sa volonté, poussant les cadavres des Ostermarkers et des Flagellants à se relever pour poursuivre la lutte. Au moment où Vlad se jeta dans la mêlée à la tête de sa garde, le déroulement de la bataille avait basculé, et la glorieuse victoire que les Kurgans étaient sur le point de remporter leur échappa.
Plus au nord, Huss et Valten continuaient le combat. De l’Armée de Sigmar, il ne restait que quelques dizaines de Flagellants encore en vie, cernés de toutes parts par les Nordiques. Les morts ne se relevaient pas en cet endroit, car la concentration de Gelt était monopolisée par la mêlée au sud. En dépit de cela, les Kurgans ne parvenaient pas à écraser la poche de résistance du prêtre et du jeune guerrier. Néanmoins, cela risquait de changer avec l’arrivée de Vardek Crom. Le champion d’Archaon avait compris qu’il avait là une occasion de se couvrir de gloire. Il se frayait un chemin à travers la mêlée, bien décidé à remonter le moral de ses troupes en tuant les deux héros.Remarquant que Crom approchait, Huss éperonna sa monture dans sa direction et abattit son marteau de guerre. Mais Crom était trop rapide et dévia l’attaque avec son bouclier avant de contre-attaquer, non pas en visant Huss, mais son destrier. L’animal hennit de douleur lorsque la hache lui trancha l’antérieur droit, et se cabra si brusquement que Huss en fut désarçonné. Crom se jeta sur lui avant qu’il ne puisse se relever, et lui transperça l’épaule avec son épée. Huss fut forcé de lâcher son marteau, mais parvint à invoquer des flammes sacrées qui engloutirent Crom. Le seigneur du Chaos recula en chancelant, cependant il n’abdiqua pas, et son coup suivant frappa durement le prêtre au niveau du crâne. Poussant un rire triomphal, Crom repoussa la main de Huss qui tentait désespérément de le frapper au visage, et se prépara à porter le coup de grâce.
Celui-ci ne se produisit jamais. Au moment où l’épée de Crom s’abattait, Valten intervint et arriva dans le dos du seigneur du Chaos. Ce dernier vit ce nouvel assaillant et leva promptement son bouclier pour parer l’attaque de Ghal Maraz. L’écu vola en éclat sous la force du coup, toutefois cela laissa le temps à Crom de faire volte-face et de tenter d’estropier le destrier de Valten, comme il avait fait avec celui de Huss. Mais cette fois, sa tentative échoua : la monture de Valten provenait des écuries personnelles de Karl Franz, et elle était entraînée pour la guerre. L’animal esquiva le coup de hache de Crom au moment où Ghal Maraz frappait de nouveau. Cette fois, ce fut l’épée du seigneur du Chaos qui vola en éclats. Le Nordique n’avait plus que sa hache pour se défendre, mais il n’abandonna pas.
Crom avait pu jauger la valeur de son adversaire, et il l’attaquait sans lui laisser de répit, afin que Valten ne puisse prédire d’où proviendrait le coup suivant. La hache mordit l’armure de Valten à plusieurs reprises, tandis que pour sa part, Crom échappait aux ripostes : le Conquérant avait déjà subi à deux reprises la puissance de Ghal Maraz, et il ne comptait pas laisser une troisième chance à son adversaire. Valten frappa encore et encore, son marteau passant à chaque fois à un cheveu du heaume de Crom. Au troisième coup, Crom se faufila dans la garde de Valten et, l’agrippant avec sa main libre, le fit chuter de sa monture. Valten heurta le sol et eut le souffle coupé. Crom en profita et se prépara à porter un coup fatal. Hurlant sa victoire, le champion abattit sa hache, mais ce fut cette fois au tour de Huss de sauver Valten. En dépit de ses graves blessures, le prêtre-guerrier agrippa de toutes ses forces le bras de Crom. La force du Conquérant était telle que Huss ne pouvait lutter même en pesant de tout son poids, cependant les quelques secondes qu’il gagna furent suffisantes pour Valten. Il serra fermement le manche de Ghal Maraz et frappa Crom de toutes ses forces au niveau du torse. La cuirasse se tordit et la cage thoracique du champion fut broyée. Le coup suivant atteignit le casque cornu de Crom et le disloqua. Ainsi périt le Héraut d’Archaon.
La mort de Crom scella le destin des Kurgans. S’il l’avait emporté face à Huss et Valten, il aurait peut-être pu mener une contre-attaque face aux Morts-Vivants. Mais les Nordiques avaient été désemparés par l’attaque de Vlad et par la mort de leur chef. Le Vampire goûtait à leur désespoir, et sourit sauvagement en menant les Templiers de Drakenhof à l’aide des Poing Sanglants de Grub le Cannibale. Alors qu’il progressait, Vlad vit la massue de l’ogre s’abattre sur un groupe de Nordiques armés de lourdes haches. Chacun de ses coups envoyait un corps disloqué voler dans les airs. Le Vampire modifia légèrement sa trajectoire au sein de la mêlée, car il n’était pas certain que l’ogre avait compris que les Morts-Vivants étaient dans son camp, et il ne voulait pas prendre le risque de recevoir un coup de massue intempestif.
Alors que le flanc est de la horde du Chaos s’effondrait, son flanc ouest était sur le point de se couvrir de gloire. C’étaient là que s’étaient rassemblés les cavaliers et les chevaliers de nombreuses tribus, sous les ordres d’un Kul, car il avait gagné cet honneur suite à un duel la veille de la bataille. Il se nommait Akkorak le Corbeau, Pillard des Neuf Désolations. Il combattait depuis longtemps au service des Dieux Sombres, en combattant aussi bien les tribus du nord que les frêles hommes de l’Empire. Lorsqu’Akkorak vit les étendards alignés face à lui, il ne ressentit pas la peur, mais voyait là un destin triomphant qui lui tendait la main. Le tonnerre des canons était tel le rugissement des Dieux à ses oreilles, et les rangs ennemis étaient autant de crânes à moissonner. L’heure du Corbeau était venue ; Akkorak dégaina son épée, poussa un cri d’exultation et lança son destrier au galop. Derrière lui, mille gorges reprirent son cri d’allégresse, et la terre se mit à trembler sous les sabots ferrés de fer tandis que les chevaliers et les Maraudeurs s’élançaient au triple galop à la suite de leur champion.
Les hommes de Talabheim virent la charge d’Akkorak, même s’ils ne savaient pas qui était ce seigneur du Chaos. Pour l’instant, sa silhouette se perdait dans celle de ses guerriers. Les sergents et les officiers aboyèrent des ordres sur un ton confiant. Le long de la ligne, les soldats étreignirent leurs épées, leurs lances et leurs boucliers. Les servants d’artillerie suaient sang et eau pour recharger leurs armes, et continuer à pilonner la horde à coups de boulets et de projectiles de mortier. Des trous béants s’ouvrirent çà et là dans le fer de lance d’Akkorak lorsque les tirs faisaient mouche, mais ils étaient immédiatement comblés par la masse inexorable des cavaliers.
Des tirs d’arquebuses grondèrent le long de la ligne, mais les soldats de Talabheim avaient tiré trop tôt, obéissant aux ordres précipités d’un capitaine paniqué, si bien que la salve fut inefficace. Des boules de feu rouges et orange explosèrent lorsque les Sorciers du Collège Flamboyant déchaînèrent des boules de feu et des météores contre la horde. Les boutefeux sortirent de leurs torpeurs les Canons Feu d’Enfer, mais les escadrons d’Akkorak continuaient de foncer malgré la mitraille. Le sol frémissait sous le galop des chevaux, au point que les hommes de Talabheim, qui n’avaient aucun désir de mourir en défendant une province rivale, commencèrent à reculer. Au début, les soldats firent quelques pas en arrière avant de recharger, ou alors un capitaine rassemblait ses troupes sur une éminence offrant une position favorable, qui était comme par hasard située en arrière. Seuls les servants d’artillerie ne bougeaient pas, car ils étaient rendus sourds et aveugles par le vacarme et la fumée de leurs machines de guerre. Ils ne remarquèrent pas la ligne de hallebardes et de lances qui se retirait peu à peu, et se concentraient sur une autre salve, qui peut-être parviendrait à mettre la horde en déroute.
Parmi les Talabheimers se trouvait le Sorcier d’améthyste Albrecht Morrstan. À l’instar de la plupart des membres de son collège, il avait été irrémédiablement transformé lorsque Nagash avait lié la Magie de la mort à la Sylvanie. Peu de temps auparavant, il était encore une créature de chair et de sang. Désormais, il subsistait à la limite qui séparait la vie de la mort. Morrstan avait déjà tendance à vivre reclus, mais au cours de ces dernières semaines, il s’était totalement isolé des citoyens d’Heffengen afin de cacher son affliction. Néanmoins, même s’il n’était plus que l’ombre de lui-même, il restait loyal à l’Empire. Il avait donc rejoint l’armée à l’aube, en camouflant sa silhouette translucide sous ses longues robes, craignant à chaque seconde qu’on découvre ce qu’il était devenu.
Mais maintenant, alors que la charge d’Akkorak était sur le point de percuter les lignes chancelantes de Talabheim, Morrstan avait une occasion de prouver sa loyauté. Il se découvrit le visage et se mit à entonner un sort. Les soldats à proximité reculèrent, horrifiés par sa forme translucide, toutefois Morrstan n’en avait cure. Le sol se fissura devant ses pieds, et une sphère d’énergie violette émergea de la faille. D’un geste de la main, le Sorcier l’envoya en direction de la horde. La charge sombra immédiatement dans l’anarchie. Les cavaliers de tête tirèrent sur les rênes de leurs montures pour tenter d’esquiver l’orbe violacé. Beaucoup y parvinrent. En revanche, on ne put en dire autant des cavaliers des rangs arrières. Ils ne savaient pas à quoi s’attendre, et constataient simplement la panique qui se propageait devant eux, et lorsqu’ils aperçurent finalement le soleil violet qui leur fonçait dessus, il était déjà trop tard. La sphère les engloutit et les transforma en statues d’améthyste.
Morrstan n’eut pas le temps de constater l’efficacité de son sortilège, car lorsqu’il avait révélé sa silhouette fantomatique, Garrat Mecke avait retrouvé ses esprits plus rapidement que ses hommes. Il ne vit pas la destruction causée par le Sorcier, car il était obnubilé par son apparence étrange, et voyait en lui une menace. Garrat dégaina donc son pistolet et tira une balle bénite dans la tête de Morrstan. Celui-ci hurla lorsque le projectile traversa son crâne immatériel et, un battement de cœur plus tard, ses robes vidées de toute substance tombèrent au sol. Dès le trépas du Sorcier, le soleil violet se dissipa. Néanmoins, l’enchantement n’avait pas été vain, car des statues d’améthyste se dressaient désormais là où se trouvait quelques secondes plus tôt une horde de cavaliers sanguinaires.
Privée de dizaines de chevaliers et de son élan, l’attaque d’Akkorak n’avait plus aucune chance de briser les lignes de Talabheim. Pourtant, le champion kurgan poursuivit sa charge. Après tout, n’était-il pas Akkorak, le Boucher de Teska, le Pillard des Neuf Désolations ? Il savait que le regard des Dieux était posé sur lui, et il ne comptait pas les décevoir. Alors que le Nordique se rapprochait du mur de lances, il brandit son épée, afin que ses runes scintillantes attirent l’attention des Dieux sombres. Une seconde plus tard, son destrier percuta la ligne impériale, et la tuerie commença.
Au centre, Gurug’ath beugla de douleur tandis que les serres de Griffe Mortelle lui labouraient le dos, et mugit une seconde fois quand le Croc Runique de Karl Franz lui fendit le crâne. L’Empereur venait de sauver la vie de Kurt Helborg. Celui-ci se remit sur pied, un peu sonné. Assailli par le griffon, le grand immonde avait momentanément oublié le Reiksmarshal, mais d’autres parmi ses séides comptaient bien achever ce que leur maître avait commencé. Ainsi, deux Porte-Pestes s’avancèrent vers Helborg. Leurs entrailles pendaient de leurs ventres lépreux, et se déversèrent au sol dans une giclée de pus pestilentiel lorsque le Croc Runique du Reiksmarshal finit de les éventrer. Helborg agrippa ensuite les rênes de sa monture et se remit en selle. Il appela à lui les survivants de la Reiksguard et s’élança à l’aide de l’Empereur, toutefois d’autres Porte-Pestes lui barraient le chemin.
Griffe Mortelle virevoltait autour de Gurug’ath, et lui arrachait de grands lambeaux de chair. Karl Franz serra son épée. Cela faisait plusieurs années qu’il n’avait plus manié le Croc Runique du Reikland au combat, au point qu’il en avait oublié sa légèreté et son équilibre parfait. Alors que Ghal Maraz pulvérisait toute opposition, Croc de Dragon était une arme qui demandait de la finesse, mais entre les mains d’un guerrier expérimenté, elle était mortelle, comme seule une épée de facture Naine pouvait l’être. Griffe Mortelle s’agrippa au dos du Démon en le lacérant. Poussant un cri perçant, il enfonça la tête dans le corps ravagé du grand immonde, et lui arracha une pleine becquée de chair pourrie grouillante d’asticots. Le grand immonde lâcha son épée et tenta d’attraper l’animal accroché à son dos, mais Griffe Mortelle enfonça ses serres encore plus profondément. Il mutila une nouvelle fois le Démon avec son bec, et Karl Franz en profita pour se pencher au-dessus du cou de sa monture. Saisissant le Croc Runique à deux mains, il l’enfonça dans le crâne de Gurug’ath. Helborg vit le Démon majeur expirer, et ressentit à la fois de l’admiration pour ce fait d’armes héroïque, mais aussi un peu de jalousie de ne pas avoir été celui qui avait porté le coup de grâce.
Tandis que Gurug’ath poussait un dernier gargouillis d’agonie, Griffe Mortelle reprit son envol, afin que Karl Franz puisse observer la totalité du champ de bataille. En contrebas, les Démons mineurs faiblissaient. Leur emprise sur le monde réel diminuait à cause du courage dont les mortels faisaient preuve. L’obstination des Nordiques s’évanouissait en même temps que leurs alliés démoniaques ; si bien que les troupes impériales purent entrevoir la victoire. À l’ouest, l’Empereur vit les Chevaliers d’Akkorak semer la dévastation dans les rangs de Garrat Mecke, mais les Nordiques étaient trop peu nombreux et dès qu’ils perdirent leur élan, ils furent submergés et passés au fil de l’épée par les Talabheimers. Juste en dessous de Karl Franz, Kurt Helborg et Ludwig Schwarzhelm ralliait la Reiksguard et les Altdorfers. Les soldats malmenés du Reikland retrouvèrent leur allant en voyant l’Empereur planer dans le ciel. Et à l’est…
À l’est, l’Empereur pouvait voir les lignes en lambeaux des Ostermarkers, et une légion morte-vivante en train de repousser les derniers Kurgans. Il reconnut l’ancien étendard de Vlad von Carstein flotter au-dessus des rangs de chevaliers en armures noires, et remarqua le Vampire, qui combattait avec autant de prestance que de sauvagerie. Karl Franz comprit alors quelle voie avait emprunté Gelt, et jura de se venger pour l’affront fait aux Collèges de Magie, et ce quel que soit le camp dans lequel se rangerait le Vampire. Mais pour l’heure, il se satisfaisait d’avoir quasiment remporté la bataille, et d’être parvenu à repousser cette nouvelle incursion en provenance du nord. C’est alors que le son d’un cor se fit entendre.
Vlad von Carstein le perçut lui aussi et regarda vers le nord, momentanément distrait. Le guerrier en armure qu’il venait d’étrangler se balançait au bout de son bras, fermement maintenu à la gorge par sa main griffue. Il connaissait ce cor et les guerriers dont il annonçait la venue. Vlad esquissa un sourire : une victoire écrasante était encore plus inespérée qu’une victoire sur le fil. Le Vampire ne tarda pas à distinguer les Chevaliers du Fort de Sang, qui avaient pu revenir dans le sud par la brèche ouverte dans le Bastion Doré. La silhouette d’Harkon juché sur son dragon zombie se détachait dans le ciel. Vlad fut forcé de reconnaître que même des brutes comme les dragons de sang avaient parfois un rôle utile à jouer.
Les Chevaliers de Sang dépassèrent les premiers fuyards Kurgans et Skaelings de la horde du Chaos. Vlad s’aperçut que quelque chose clochait. Il ne vit que trop tard l’arrière-garde des nouveaux arrivants. Ces cavaliers ne portaient pas des armures de plates archaïques, mais des harnois en acier typiques du nord. De plus, ils ne chevauchaient pas des cadavres de chevaux ranimés par Magie, mais des destriers puissants bardés de bronze. Vlad poussa un juron en comprenant qu’Harkon les avait trahis, qu’il avait renoncé à servir Nagash pour se soumettre au Chaos.
Les Dragons de Sang se séparèrent en arrivant au combat. Une moitié percuta l’armée de squelettes de Gelt, l’autre se dirigea là où la Reiksguard luttait pour conquérir le centre du champ de bataille. Harkon suivit ce groupe-là. Son dragon zombie plongea des cieux sur les cavaliers adverses. Laissant Gelt se débrouiller, Vlad mena les Templiers de Drakenhof à l’ouest : il fallait absolument stopper Walach Harkon.
Vlad n’était pas le seul qui cherchait à abattre Harkon. Alors que les Dragons de Sang se ruaient vers la Reiksguard, Karl Franz intercepta le Vampire. Les deux généraux se firent face dans les cieux. Harkon était le plus puissant templier de son ordre, et un des meilleurs guerriers à avoir jamais arpenté le monde. Karl Franz aurait dû périr en quelques secondes. Toutefois, il semblait que Sigmar était avec lui ce jour-là, car l’Empereur parvint à tenir tête à son adversaire durant de longues minutes. Le fracas de l’acier contre le Gromril résonnait dans le ciel.
Dès le début du duel, Karl Franz sut qu’il était surclassé. Harkon était trop rapide. Le Vampire parait aisément toutes ses attaques, cependant l’Empereur n’avait plus le choix. Ce combat allait se terminer par la victoire d’un des adversaires, et par la mort de l’autre.
Griffe Mortelle plongea une fois de plus vers le dragon, et Karl Franz attaqua une fois encore. Cette fois, la parade fut suivie d’une riposte foudroyante. Karl Franz eut à peine le temps de comprendre que jusqu’à présent, le Vampire avait joué avec lui. L’épée perça sa cuirasse et l’embrocha. Au même instant, le dragon pivota et agrippa le griffon avec ses serres, afin de l’empêcher d’emporter son maître en sécurité. « Tu es un imbécile ! » cracha Harkon. « L’époque des mortels est révolue. Voici venir l’heure des Dieux, et de ceux qui vont devenir des Dieux ! » « Même les Dieux peuvent périr, » souffla Karl Franz. Ses forces l’abandonnaient. Le Vampire était perdu dans ses visions de gloire future et n’écouta pas la réponse de l’Empereur. Il ne vit pas non plus le Croc Runique étinceler dans la main de Karl Franz. La pointe de l’épée traça un sillon dans sa joue gauche et lui creva un œil. Hurlant de douleur, le Vampire porta la main à son visage et retira sa lame toujours plantée dans la chair de son ennemi. Karl Franz vit l’épée ensanglantée ressortir de son corps, mais il ne ressentait aucune douleur, juste une fatigue immense. Ses yeux se fermèrent et il glissa de sa selle, le monde se mettant à tourbillonner autour de lui tandis qu’il chutait dans le vide. |
Les Nordiques reprirent courage et se joignirent à la contre-attaque des Dragons de Sang. Les hommes du Reik furent repoussés inexorablement. Ils s’étaient battus comme des lions pendant toute la journée, et avaient résisté là où même un dément aurait abandonné. Pourtant, le courage finit par leur faire défaut. Les Altdorfers battirent en retraite et furent fauchés dans leur fuite par les Dragons de Sang. Voyant que la retraite virait à la déroute, Helborg et la Reiksguard s’interposèrent. En dépit de la gravité de la situation, le Reiksmarshal ne s’avouait pas vaincu.
Au même moment, Karl Franz, l’Empereur de la maison de Luitpold, chuta de sa monture après que l’épée d’Harkon l’eût gravement blessé.
Aucun soldat de l’Empire ne vit le sang qui jaillit lorsque Walach Harkon retira l’épée du corps de l’Empereur, mais tous regardèrent horrifiés tandis qu’il chutait à travers les airs, silhouette minuscule se détachant dans le crépuscule. Karl Franz tomba au beau milieu de la horde du Chaos et fut englouti. Griffe Mortelle tenta de venger son maître, cependant l’attaque suivante d’Harkon lui était destinée. Le coup brisa l’aile du griffon, qui chuta à la suite de son maître.
Dès la disparition de Karl Franz, l’armée impériale se désintégra. Les Talabheimers, qui pourtant étaient les troupes qui avaient le moins souffert, jetèrent leurs armes et prirent leurs jambes à leur cou. Garrat Mecke beuglait des ordres et des menaces, mais ses vociférations s’arrêtèrent net lorsqu’un des mutins lui planta son épée dans le ventre. Les Altdorfers étaient déjà en déroute, et la Reiksguard leur emboîta le pas. Seul le cercle intérieur tint sa position pour permettre à Helborg de se retirer. Le Reiksmarshal et ses gardes emmenèrent de force avec eux Ludwig Schwarzhelm, qui mugissait des insultes et cherchait à s’enfoncer dans la horde pour tenter de récupérer le corps de Karl Franz. Helborg fut forcé de l’assommer tant le champion de l’Empereur se montrait obstiné. À l’est, Grub le Cannibale, toujours de bonne humeur malgré la perte de son oreille gauche et de la moitié de ses guerriers, reconnut avec dépit qu’il n’avait rien à gagner à mourir glorieusement. Il mena ses ogres vers la sécurité toute relative d’Heffengen. Valten et Huss le suivirent, le vieil homme ayant besoin de l’aide du Héraut de Sigmar pour se déplacer. Il ne restait aucun autre survivant de l’Armée de Sigmar. Même Gelt avait eu un pincement au cœur en voyant l’Empereur tomber. Il talonna Vif-argent et abandonna son armée.
Nul ne le savait encore, mais la perte de l’Empereur porta un coup si grave au moral de l’Empire, que quelques heures plus tard, ce serait au tour de la garnison d’Heffengen de s’enfuir. À la nuit tombée, la ville deviendrait la proie de Démons. Sa population serait massacrée, ou pire encore…
La soif de combat d’Harkon n’était pas étanchée, et il se mit en quête d’un autre adversaire digne de lui. Il aperçut la bannière de Vlad von Carstein, et fit plonger son dragon zombie. L’arrivée d’Harkon sonna le glas des Templiers de Drakenhof. Le Dragon de Sang percuta les chevaliers Morts-Vivants. Ceux qui ne périrent pas broyés par le monstre tombèrent sous la lame du Vampire. Vlad chercha à s’échapper, toutefois Harkon avait frappé trop rapidement. Le comte Vampire se retrouva cloué au sol par le poids du dragon zombie, incapable de bouger, et même de parler.
Ce n’était pas le cas d’Harkon. Il expliqua à Vlad à quel point il avait toujours détesté sa lignée, et se vanta de la façon dont Khorne lui avait proposé de devenir son champion. Il avait accepté sans hésiter, sachant que les Dragons de Sang n’auraient pas leur place dans le monde rêvé par Nagash, une terre stérile où la gloire disparaîtrait au profit d’une obéissance aveugle à un maître despotique. Il parla d’honneur, de triomphe, mais Vlad ne l’écoutait pas, car son esprit était ailleurs. Harkon était peut-être meilleur guerrier que lui, mais les talents d’un vrai Vampire ne se limitaient pas à l’escrime. Alors qu’Harkon poursuivait son discours délirant, Vlad laissa ses pensées planer sur les vents de Magie, à la recherche d’un courant spécifique. Dès qu’il le trouva, il le plia à sa volonté.
Le monologue d’Harkon fut brusquement interrompu lorsque son dragon se cabra et le désarçonna. Avant que le Dragon de Sang puisse réagir, ce fut à son tour de se retrouver bloqué par le dragon. Vlad se leva et lui jeta un regard méprisant. Il parodia ensuite le salut martial des Dragons de Sang, et tapota l’humérus du dragon. La bête obéit sans sourciller à son nouveau maître. Elle referma sa gueule autour du torse d’Harkon et le déchiqueta.
Vlad enfourcha ensuite sa nouvelle monture et quitta le champ de bataille. L’affrontement s’était soldé par un désastre, bien que Vlad n’en fût pas responsable. Ils avaient perdu l’Empereur et leurs armées ; et la province d’Ostermark était sans défense face aux hordes du Chaos. Alors qu’il s’envolait vers la Sylvanie, Vlad fit quelque chose qu’il n’avait pas fait depuis des siècles : il pria. Non pas un Dieu, car il ne se rappelait aucun de ceux qu’il aurait pu vénérer jadis. Au lieu de cela, il pria que Nagash leur apporte bel et bien la victoire contre le Chaos, comme il l’avait affirmé.
La sentinelle couverte de tatouages était endormie près de son feu, ivre de bière et des sanglants souvenirs de la récente bataille. Il n’émit aucun son, en dehors d’un soupir étouffé, lorsque l’épée lui transperça le cœur. Son assassin le laissa glisser doucement au sol. L’homme ressentit une souffrance fulgurante lorsque son poids enfonça la lame glissant le long de ses côtes.
L’assassin s’agenouilla, haletant. Il savait que sa survie avait été miraculeuse, et n’avait été due qu’à la puissante Magie de son amulette. Malgré cela, son cœur battait douloureusement dans sa poitrine, et ses poumons le faisaient souffrir à chaque inspiration. Son bras gauche était fracturé en deux endroits, et était maintenu par une attelle de fortune. Pourtant, la plus grande chance qu’il avait eue avait été de passer inaperçu au milieu du carnage. Il aurait dû être découvert, mais les Nordiques étaient ivres de pillage, et s’étaient rués sur Heffengen sitôt la bataille terminée, au lieu de détrousser les cadavres. Au loin, la ville était en feu. Des beuglements montaient avec les flammes tandis qu’un autre bastion de civilisation sombrait dans les ténèbres. Il sentit une colère sourde monter en lui et la refréna. L’aube allait se lever, et avec elles les premiers Nordiques, qui s’étireraient en baillant sous leurs fourrures. Il devait fuir sans tarder. Il se faufila au milieu des corps endormis, en se cachant entre les tentes et les piles de cadavres destinés au bûcher. Des molosses dormaient contre leur maître. Leur fourrure rêche frémissait de temps à autre. Il fit un large détour pour les éviter, conscient que ces animaux ne dormaient jamais profondément. Son seul espoir était que son odeur soit indécelable au milieu de la puanteur qui émanait du campement. Finalement, il trouva ce qu’il cherchait au milieu d’une futaie dont il ne restait que les troncs, les arbres ayant été coupés pour faire du feu. Le griffon était enchaîné à plusieurs de ces troncs. Il était immobile, en dehors de son immense poitrail, qui se soulevait et s’abaissait régulièrement. En dépit de la pénombre, on pouvait voir que son plumage était taché de sang, aussi bien celui de la blessure qui avait entraîné sa capture, que celui des entailles cruelles que les Nordiques lui avaient infligé pour se distraire, et des morsures des molosses. Contournant les braises d’un feu de camp et les brutes vêtues de fourrures qui dormaient autour, il s’approcha du griffon et posa doucement la main sur son flanc. La bête ouvrit son œil jaune, et sa pupille se dilata instantanément lorsqu’elle reconnut son maître. « Réveille-toi, vieux frère, » murmura Karl Franz. « Tout n’est pas encore fichu. As-tu la force de te déplacer ? » Le griffon émit un feulement d’indignation et gonfla son plumage. L’Empereur, sourit, pour la première fois depuis de longues heures. Sans attendre, il abattit son Croc Runique sur les chaînes qui entravaient Griffe Mortelle. Derrière lui, un des molosses se réveilla brusquement et se mit à aboyer… |
Chapitre V : LA TERRE DES MORTS - Hiver 2524 / Automne 2525[modifier]
Hormis les vents secs, et les sables mouvants, rien ne bougeait dans les déserts de Nehekhara, la Terre des Morts. Il y régnait une immobilité vigilante, une sensation aussi étouffante que le soleil brûlant. Des statues érodées, dédiées aux rois d’antan et aux Dieux rageurs, surveillaient les vastes mers de sable - sentinelles muettes dont les yeux de pierre ne clignaient jamais. Des tours de guet montaient la garde au sommet des dunes, et sur les plateaux craquelés se dressaient des pyramides monolithiques aux dimensions prodigieuses. Les constructions les plus titanesques étaient les nécropoles - des cités tumulaires qui dominaient les plaines stériles telles des montagnes. Leurs remparts offraient des vues panoramiques sur les ergs et les champs de sel qui s’étendaient jusqu’à l’horizon.Puis vinrent les ténèbres.
Un mur de nuages menaçants, noirs et abracadabrants, se refermait autour de Nehekhara. Le linceul sombre recouvrit tout, encerclant et occultant la Terre des Morts. Le contraste était absolu. Des millénaires durant, Nehekhara avait seulement connu les jours éclatants et les nuits claires, la lueur des étoiles illuminant le paysage desséché et blafard.
Le Roi Kalhazzar ancien souverain de Zandri et désormais grand commandeur de la plus grande flotte de guerre de Nehekhara, fut un des premiers à étudier l’approche de l’ouragan. À bord de sa nef de bataille dorée, le "Sphinx Couronné" le Roi vit les ténèbres éclipser le soleil au-dessus du Delta du Mortis. Suivant les ordres de Settra, Kalhazzar s’était préparé. L’embouchure du fleuve avait été fortifiée ; la flotte avait déjà levé l’ancre. Voiliers, galères, boutres et esquifs se tenaient prêts à repousser les envahisseurs et formaient un barrage dans l’estuaire. Les chalands s’enfonçaient dans les eaux empoisonnées, avec leur pleine charge de légions de squelettes. Leur rôle était d’appuyer les abordages, ou, si aucun ennemi ne se présentait par la mer, de transporter les renforts à Zandri ou plus en amont du fleuve Mortis.Le Roi Behedesh commandait les forces de Zandri à terre. Aussitôt reçu le message du Héraut de Settra, le fidèle Roi des Tombes quittait sa nécropole pour emmener son armée dans le désert. Il avait pour mission de garder les marches occidentales des Terres Arides. Après avoir pris position, ses guerriers furent ensevelis par des tempêtes de sable. Seuls leurs étendards dorés et les pointes de leurs lances dépassaient, scintillant sous le soleil sévère, avant de disparaître également sous la surface.
À la frontière extrême-orientale de Nehekhara, la Grande Reine Khalida, souveraine de Lybaras, observait les nuages dresser un rideau d’ombre sur le Golfe de la Peur. Bientôt, sa cité serait elle aussi coupée du soleil. Pressentant la menace, Khalida était sortie de son tombeau bien avant l’arrivée du messager de Settra. L’Impérissable désirait qu’elle rassemble ses légions et les conduise à Mahrak, où elle pourrait aider le Roi Tharruk à défendre l’entrée ouest de la Vallée Charnelle - et garder un œil sur lui. Ses célèbres légions d’archers étaient déjà alignées devant leurs fosses, prêtes à se mettre en marche. Mais la reine n’en donna pas l’ordre.
Bien que Khalida reconnût le Roi de Khemri comme le seigneur suprême de Nehekhara, elle seule commandait Lybaras et ses armées. C’était une reine combattante, fière et belliqueuse, et monter la garde n’était pas de son goût. Si comme Settra l’avait prédit, Nagash était de retour, elle ne doutait pas que le Grand Nécromancien rallierait ses neuf Seigneurs Noirs d’antan. Et il y en avait un qu’elle haïssait plus que tout autre : la première des Vampires, Neferata. Elle était à la fois sa cousine et l’ancienne reine de Lahmia, et c’était elle qui avait mis un terme à l’existence mortelle de Khalida. La simple pensée que son ennemie jurée pouvait revenir à Nehekhara déchaînait une rage froide dans l’esprit de la Grande Reine. Khalida regardait l’orage gonfler en ruminant des idées de vengeance. Et même lorsque son royaume fut happé par l’obscurité, elle resta figée dans sa contemplation silencieuse.
À Quatar, on avait réuni la cour royale. Cette assemblée de rois et de princes de dynasties variées se plia sans hésiter aux ordres de Settra, mettant ses querelles intestines de côté dans son empressement à obéir. Sur injonction de l’Impérissable, tous les Nécrotectes qui ne collaboraient pas à l’érection du grand mur de Khemri furent dépêchés hors du Palais Blanc, au cœur de la Vallée Charnelle, dans l’ancienne Vallée des Rois. Là, ils entamèrent la restauration des hiéroglyphes et l’éveil des grandes statues de guerre. Les structures monumentales furent bientôt ranimées et s’arrachèrent au flanc de la montagne, en faisant trembler la vallée sous leurs pas pesants.
Tandis que les idoles entamaient leur marche vers Khemri, au nord, les cieux furent gagnés par la noirceur. À Numas, le Roi Phar n’attendit pas que la tourmente soit sur lui pour réagir. Il vida les tombes de sa grande nécropole, et alla à sa rencontre avec ses légions dans la Plaine de Sel. Ce ne fut que lorsqu’il arriva en vue des eaux fétides de la Rivière Malade qu’il fit halte. Il envoya des factionnaires se poster en divers points de l’étendue désolée et mit ses légions en ordre de bataille, tout comme le Héraut de Settra l’avait demandé. Le Roi était versé dans l’art des combats désertiques, et conservait en réserve ses nombreux chars, renforcés par des contingents de Bhagar. Le Roi tirait fierté d’affronter les intrus descendant des Terres Arides. Toute armée qui parviendrait à traverser les Marais de la Folie et à franchir la Rivière Malade - la route d’invasion la plus probable depuis le nord - serait attendue par le Roi Phar. Les nuages noirs engloutirent les légions silencieuses, transformant leur monde de lumière aveuglante en ténèbres insondables.
Ce n’était pas le vent, ni aucune autre force naturelle, qui poussait la tempête à la course enlaçante ; les nuées impénétrables étaient attirées vers l’intérieur des terres par une volonté implacable. L’enceinte de noirceur tournoyait et glissait toujours plus bas, jusqu’à former un vortex d’une ampleur inédite. L’entonnoir tourbillonnant dessinait un nœud coulant qui se resserrait de plus en plus, au point de désigner sans doute possible le lieu où allait s’établir l’épicentre du phénomène : la Pyramide Noire de Nagash.
En compagnie de ses prêtres, de sa cour et de Nekaph, son champion et émissaire personnel, Settra l’Impérissable gravit les marches menant aux remparts de la plus haute tour de Khemri. Depuis ce nid d’aigle, le Roi des Rois contempla les ténèbres en approche. Nagash l’Usurpateur était donc de retour, songea Settra, et le nécromant venait de porter son attention sur le royaume qu’il avait toujours convoité.
Le grand mur, un rempart de blocs de pierre récemment érigé pour encercler l’intégralité de la plus grande cité de Nehekhara, semblait insignifiant face à l’immense muraille de nuages noirs qui se refermait rapidement.
Déjà trois quarts de la Terre des Morts étaient enveloppés par le voile d’ombre. Settra savait que sous le couvert de cette obscurité menaçante, les armées de Nagash étaient en marche et sondaient son domaine. Le Roi des Rois savait également que l’ultime bataille pour la domination de Nehekhara allait bientôt débuter.
Nagash termina son incantation en ouvrant grand la bouche - impossiblement grand -, tandis que son corps était pris de contorsions dues à l’effort considérable. De cette mâchoire béante affluaient des volutes si sombres qu’on eût dit qu’elles jaillissaient tout droit de son âme noire. Elles s’épanouirent vers le ciel, en formant un panache de fumée qui monta au-dessus de Nagashizzar avant de se mouvoir tel un serpent enserrant tout Nehekhara.
Le Grand Nécromancien expira les effets inouïs de son puissant sortilège pendant onze jours et onze nuits, encore qu’il ne fût plus possible de les distinguer sous le voile de ténèbres. Lorsque l’enchantement fut achevé, Nagash s’écroula. Il n’aurait jamais pu accomplir un tel exploit dans son état de faiblesse post-résurrection. S’il n’était pas entré dans le Dolmen de Valaya pour absorber la Magie accumulée dans la Déesse Ancestrale en sommeil, il n’aurait jamais eu la force de lancer un sort d’une telle magnitude. Toutefois, l’énergie requise pour conjurer ses spirales de Magie de mort avait complètement drainé les pouvoirs de Nagash.
Ayant discerné le parachèvement du sort de Nagash, Arkhan sortit sur le rempart tandis que son maître se relevait lentement de son triangle cabalistique tracé avec du sang. Le vieux Prêtre Liche avait toujours été le plus fidèle vassal de Nagash, et lui seul parmi les Seigneurs Noirs avait le droit de voir le Grand Nécromancien alors qu’il était le plus vulnérable. Nagash se laissa escorter par les gardes du corps convoqués par Arkhan, qui emportèrent son corps exténué dans la forteresse de Nagashizzar.
Nagash fut conduit jusqu’à son trône, un ouvrage antique fait d’os gauchis. C’était ici même, sur le siège de son pouvoir, que le Grand Nécromancien avait été assassiné. Après avoir accompli son Grand Rituel, un sort terrifiant qui avait déferlé sur les terres de Nehekhara en aspirant la vitalité de toute chose vivante, Nagash avait trouvé la mort lors d’une embuscade infâme. Ses plans avaient été ruinés à l’instant même de son plus grand triomphe, plus de trois millénaires auparavant.
Le trône était tombé en morceaux au cours des âges où la forteresse était abandonnée ou passée sous contrôle ennemi. Arkhan l’avait facilement raccommodé avec sa Magie. Or, ses incantations avaient pu restaurer la majeure partie de l’imposant siège de pouvoir, mais n’avaient pu remédier aux entailles laissées par la Lame Fatale. C’était cette maudite arme Skaven qui avait percé Nagash, et le trône porterait à jamais les marques des coups sauvages. Le Grand Nécromancien pouvait néanmoins s’y affaler pour recouvrer l’énergie dépensée pour lancer son sort.
Arkhan fit signe aux serviteurs squelettes de faire entrer une procession de prisonniers prélevée dans les geôles de Nagashizzar. Les opportunités de collecter du bétail avaient été nombreuses sur le trajet depuis la Sylvanie. Citadins de l’Empire, soudards des Principautés Frontalières, Mineurs Nains des piémonts des Montagnes du Bord du Monde et pour finir, des tribus entières de Peaux-Vertes, étaient attachés ensemble et traînés sans ménagement par des Morts-Vivants impitoyables. Débraillés et brutalisés, ils furent poussés dans la salle du trône et enchaînés au sol. Seuls les Nains avaient encore un peu de combativité en eux, mais leur résistance serait futile face à la volonté impérieuse de Nagash. Arkhan referma les portes aux premiers hurlements, et ne les rouvrit que lorsque le silence retomba.
Consommer des milliers d’âmes reconstitua les pouvoirs impies de Nagash. Il en faudrait encore beaucoup d’autres pour que le Grand Nécromancien puisse voyager. Comme il se reposait après son festin, Arkhan fit part de ses observations et de ses rapports sur les événements intervenus pendant l’incantation de Nagash.
Les Seigneurs Noirs présents dans le sud avaient exécuté leurs ordres et marché sur Nehekhara au moment où les nuages passèrent au-dessus d’eux. La route d’invasion la plus évidente, et donc la plus dangereuse, passait par les Marais de la Folie et continuait dans la Plaine de Sel. La conduite de ce fer de lance fut confiée à Krell. Le Roi Revenant commandait la plus grande armée de morts-vivants, composée d’innombrables légions de squelettes. C’était le marteau qui s’abattrait sur Khemri, et qui infléchirait sa course uniquement pour détruire Numas si l’occasion se présentait. Le vieux Dieter Helsnicht accompagnait Krell car l’association des talents tactiques et martiaux du revenant et de la puissante nécromancie du Grand Imprécateur serait pratiquement inarrêtable.
Le Vampire Mannfred von Carstein et ses serviteurs de Sylvanie attaquaient également depuis les Terres Arides, mais en opérant un mouvement en tenailles par l’ouest. L’arrogant seigneur Vampire était passé entre la pointe sud des Monts du Dos du Dragon et la bordure nord des Marais de la Folie. Son armée suivait un chemin qui longeait le Grand Océan. Ainsi, les forces de Mannfred contournaient la Plaine de Sel et finiraient par atteindre le fleuve Mortis, qu’elles pourraient alors remonter jusqu’à Khemri.
Au cours de sa longue histoire, sous les règnes des vivants comme des morts, cette voie d’invasion s’était révélée la plus efficace pour les armées provenant des Terres Arides et souhaitant s’enfoncer dans le royaume de Nehekhara. Le désert était dangereux, mais cette route n’était pas aussi bien gardée que la Plaine de Sel. Il y avait moins de tours de guet et de forteresses, et l’on pouvait avancer plus discrètement entre les dunes de sable et les oueds accidentés.
Désireux de garder ses distances avec les autres Seigneurs Noirs, et enclin à suivre la route la plus facile, Mannfred avait milité activement pour diriger l’armée qui emprunterait cette voie. Si Mannfred connaissait l’histoire des invasions de ces anciennes terres, il choisit de l’ignorer effrontément. Car s’il s’agissait effectivement du chemin le plus rapide et le plus sûr vers l’intérieur de la Terre des Morts, peu de ces incursions armées avaient atteint leur destination, et encore moins en étaient revenues. Les glorieuses chroniques militaires de Zandri étaient pleines d’exemples d’envahisseurs ayant osé s’introduire dans son domaine et ayant été anéantis par ses légions. La cité usait de sa puissance navale pour convoyer des troupes le long du fleuve Mortis et de la côte. Les légions pouvaient alors lancer des attaques soudaines sur le flanc ou le dos des intrus. Nagash et Arkhan se rappelaient maintes anciennes batailles qui s’étaient déroulées ainsi, et ils avaient décidé d’affronter directement cette menace, en la contrant avec leur propre attaque surprise.
Nagash reprenait ses forces, pensa Arkhan. Après avoir dévoré tant d’âmes, le Grand Nécromancien était à nouveau auréolé d’un nimbe de feu impie. Arkhan rompit le silence prolongé, résolu à exprimer ce qui accaparait ses pensées.
« Mon maître, je crains que tous les Seigneurs Noirs n’exécutent pas vos commandements. » Nagash se tourna sur son trône pour braquer ses orbites vides sur Arkhan. Le Prêtre Liche savait que, tout comme lui, le Grand Nécromancien pouvait toujours “voir”, d’une certaine façon. Il ne pouvait pas discerner les os noircis d’Arkhan, ni la tiare que les membres du Culte Mortuaire portaient lors des grandes cérémonies. Toutefois, grâce à la vision occulte, on pouvait observer le plan spirituel. Dans ce royaume, la véritable essence de Nagash était révélée - car il était d’une grande puissance, ceinte de sombres énergies. La Magie de mort était liée à son âme même. Arkhan devina que son maître contemplait rarement le monde profane, banal, de la matière. Il était de moins en moins concerné par la dimension physique, dédaignant sa nature transitoire. Enfin, Nagash parla. « VOS DOUTES SONT SÛREMENT FONDÉS, FiDÈLE ARKHAN. JE VOIS QUE VOUS VOUS POSEZ DES QUESTIONS A PROPOS DE MON PLAN. SOYEZ PATIENT. A TERME, TOUT SERA RÉVÉLÉ. MAIS JE DOIS ENCORE ME SUSTENTER. FAITES VENIR LE RESTE DES ESCLAVES. » Bientôt, les cris de terreur absolue recommencèrent. |
La dernière à recevoir ses ordres était Neferata, car bien que la reine Vampire fût la plus avide de gagner Nehekhara, elle était le Seigneur Noir à qui Nagash se fiait le moins. Sa puissance corruptrice reposait sur le subterfuge et l’intrigue, non sur des invasions brutales. Lors d’une bataille visant à forcer le passage dans la Terre des Morts, son art de la séduction était inutile. Mais puisqu’elle souhaitait si ardemment retourner à l’ancienne Lahmia, Nagash pouvait s’en servir comme d’un appât. Si son armée parvenait à attirer les troupes de Nehekhara et à dégarnir les défenses de Khemri, elle aurait finalement quelque utilité.
Tous les Seigneurs Noirs de Nagash, hormis Arkhan, croyaient conquérir Nehekhara. Ils s’imaginaient que le Grand Nécromancien était consumé par la vengeance, qu’il bouillonnait à l’idée de mettre enfin la main sur le trône de Khemri. Or, les ambitions de Nagash allaient bien au-delà. Néanmoins, avant de mettre en œuvre son grand plan, il devait s’inhumer dans sa Pyramide Noire afin de retrouver ses pleins pouvoirs. Alors seulement il s’emparerait de ce qui lui appartenait de droit.
La plupart des Peaux-Vertes s’enfuirent devant l’ost mort-vivant et la voûte de ténèbres menaçantes. Les tribus qui choisirent l’affrontement furent balayées. Krell ne prêtait guère d’attention à ces batailles, et leur consacrait peu de temps et de stratégie. Chaque fois qu’un chef de guerre Orque se mesurait à lui, les Morts-Vivants se contentaient de submerger les forces Peaux-Vertes, et concédaient des milliers de pertes pour l’emporter rapidement. La prudence n’était pas de mise, car Krell commandait la plus vaste armée de Morts-Vivants jamais assemblée depuis que Nagash et ses Vampires avaient jadis envahi Nehekhara.
Cette force ne ressemblait pas à celles qui, par le passé, défilaient fièrement hors de Sylvanie, avec leurs bannières arborant les armoiries d’une ancienne maison noble, et son seigneur Vampire imbu de traditions séculaires.
C’était une armée métissée, une horde débraillée qui mêlait citadins fraîchement ranimés et guerriers exhumés de cairns antiques. Certains régiments portaient des livrées de l’Empire, d’autres de nations oubliées. Cette union impie voyait des cadavres de Nordiques combattre aux côtés de leurs victimes. La nécromancie relevait des corps morts depuis moins d’une semaine comme les os tombés en poussière des barbares qui avaient participé avec Sigmar à la Bataille du Col du Feu Noir. Ils partageaient un destin commun désormais : former une masse obéissant à Krell.
Volsh tressauta dangereusement, et manqua de peu de tomber dans les corps empilés à l’arrière, alors que les zombies qui tiraient sa charrette s’empêtraient dans la boue. Les ordres de Krell accablaient son esprit, exigeant de Volsh de presser ses pantins. Il avait accompli la moitié de son incantation lorsqu’il aperçut à nouveau Dieter Helsnicht au-dessus de lui. Le maître nécromant entamait un long virage descendant.
Volsh jura dans la langue de Kislev - il avait perdu sa concentration, mais ce n’était pour cela qu’il maugréait. Malgré ses prières les plus ferventes, Helsnicht venait d’atterrir non loin de là. Le Grand Imprécateur s’adressa à lui avant même que sa monture replie ses ailes. « Encore et toujours à la traîne. Votre flanc est trop lent. Expliquez-moi quelles incantations vous utilisez et dans quel ordre vous les prononcez, » dit Helsnicht, dont la voix monta en un cri strident, afin d’être audible par-dessus la marche moite des légions de zombies embourbées jusqu’au genou. » Pris de panique, Volsh s’efforça de ne pas laisser paraître sa peur, en faisant tout son possible pour que sa langue indocile n’écorche pas les mots. « J’utilisais l’incantation de V… Vanhel, maître Helsnicht, » bafouilla Volsh, qui se haït de s’affoler sous les yeux pénétrants qui le fixaient. Dieter Helsnicht répéta les lois élémentaires de la non-vie tout en mettant pied à terre. Ce fut alors que le Nécromancien Pieter Duphrie et une autre formation de zombies émergèrent d’un fourré. À la vue des nouveaux venus, Helsnicht se remit en selle et reprit son envol, en marmonnant quelque chose de déplaisant à propos des « fichus paysans de Kislev. » Volsh regarda le Grand Imprécateur s’en aller dans la pénombre. Il était soulagé de le voir partir, et il ne pouvait pas dissiper l’impression qu’il y avait quelque chose - de la faim ou de la convoitise ? - qui brillait férocement dans les yeux du maître nécromant. Volsh songea à Mortemer, le Nécromancien de Moussillon. D’une manière ou d’une autre, il avait été tué, et son crâne avait été siphonné. Mortemer se traînait désormais dans les rangs du régiment de zombies qu’il contrôlait naguère. Volsh ignorait les circonstances exactes de la mort de son confrère, mais il commençait à avoir de sérieux soupçons. |
Quand le terrain rocailleux se fit plus humide, l’armée de Krell rencontra un dernier obstacle avant de quitter les Terres Arides : les Marais de la Folie. Dans son empressement, Krell n’essaya même pas de négocier les sentiers de ce cloaque, et fonça droit devant. Des milliers furent sacrifiés dans les bourbiers, qui se retrouvèrent remplis de tant de corps que les régiments qui suivaient pouvaient aisément traverser en les piétinant. Les guerriers qui sombraient dans les mares de boue étaient tels des insectes piégés dans la sève - suspendus dans leurs prisons pour l’éternité.
Alors que l’armée pataugeait dans la fange, d’autres Morts-Vivants furent emportés par des bêtes des marais ou des Gobelins. Peu importait à Krell, qui pressait sa force dans les bas-fonds. La cavalerie lourde, dont les Écuyers de la Mort et les Lances Noires peina dans les marécages, sous le fardeau des armures et des caparaçons. Mais tous les cavaliers n’appartenaient pas au monde matériel. Les nuées d’esprits des anciens chevaliers d’Averland galopaient dans la bourbe comme dans une prairie, et les Faucheurs du Feu Sorcier - des Émissaires d’Outre-Tombe du Stirland - traversaient les arbres rabougris et les haies putrides comme un rideau de brume.
Dieter Helsnicht ne connut aucune difficulté, grâce à la monture qu’il s’était façonnée en la dotant de grandes ailes de chauves-souris. Il planait au-dessus des colonnes en marche, considérant les méthodes de Krell avec dédain. Le Nécromancien décrépit était incroyablement vieux. Son existence était prolongée au-delà de l’espérance de vie humaine par la Magie Noire. Un tel blasphème prélevait un tribut sur son corps, qui n’était plus qu’une coquille desséchée. Toutefois, le Sorcier corrompu jouissait d’une vigueur surnaturelle. Il sentait le vent de Shyish - de la Magie de mort brute - dans les nuages noirs, et en tirait davantage de puissance.
Les Mortarchs avaient reçu leurs ordres d’Arkhan avant le départ des armées. Rares étaient ceux à qui Dieter Helsnicht acceptait de se subordonner. Arkhan était l’un d’entre eux. C’était un être légendaire, le bras droit du maître de la nécromancie, un natif de la lointaine Nehekhara. Helsnicht avait employé sa longue vie à rechercher les savoirs interdits. Devant lui se tenait quelqu’un de bien plus âgé, instruit des secrets des arts noirs dès leur origine. Helsnicht s’inclina devant le Prêtre Liche. Il avait prononcé son serment de servitude dans la langue de l’ancienne Nehekhara, afin d’étaler ses propres connaissances. Si l’effort avait fait impression, Arkhan n’en montra rien et se contenta d’un hochement de tête pour le congédier.
Arkhan avait été clair : c’était Krell qui commandait l’ost et qui devait manœuvrer les dizaines de milliers de morts-vivants. Des Nécromanciens subalternes avaient été adjoints à Krell pour relayer ses ordres et renouveler les pertes. Arkhan avait assigné Dieter Helsnicht à cette force, car le Prêtre Liche était convaincu que ses talents cabalistiques contribueraient à forcer le passage vers la cité de Khemri.
Arkhan soupçonnait que les Rois des Tombes de Nehekhara amasseraient des troupes dans la Plaine de Sel, imposant une longue guerre d’usure. Arkhan avait confié à Helsnicht que l’issue de la bataille dépendrait autant des pouvoirs magiques que des guerriers et des lames. Arkhan pressentait également que les Nécromanciens se révéleraient trop faibles pour remporter la victoire.
De par leur nature, les Nécromanciens étaient des parias. Dieter Helsnicht était encore plus solitaire. Il avait passé des siècles sans aucun contact avec les vivants, en s’entourant de morts qui n’avaient ni l’intellect, ni la volonté de parlementer. Ses injonctions étaient toujours exécutées sans la moindre question. La vénération qu’il vouait à Arkhan et à Nagash servait de point d’ancrage à ce qui restait de son esprit, mais celui-ci était déjà en train de déraper, et de retourner à l’état d’obsession qui l’avait conduit à se pencher sur les mêmes grimoires dans sa quête séculaire des secrets qui prolongeraient sa non-vie. Le Grand Imprécateur en était réduit à des méthodes toujours plus déplorables pour s’approprier les connaissances nécromantiques.
Avant même que l’armée de Krell s’extirpe des Marais de la Folie, le vieux nécromant avait dévoré la cervelle de trois de ses pairs.
Bataille à la Rivière Malade[modifier]
La Grande Armée de Numas[modifier]
La campagne éprouvante dans les déserts du nord de Nehekhara est menée par les légions de squelettes de Numas, dirigées par le Roi Phar. Au cours des combats prolongés et presque permanents, nombre de ces formations sont détruites et réformées à maintes reprises. Le Roi Phar Le Prince Dramkhir
La Légion Sphinx de Numas La Garde Écarlate La Batterie de la Porte de Bronze Le Roi Ramssus Les Géants d’Os de Bhagar |
Les marais gluants laissèrent enfin la place à des parterres de roseaux comme les hautes terres drainaient les eaux dans la Rivière Malade. Jadis, le fleuve paresseux serpentait dans des champs fertiles. Puis le Grand Rituel de Nagash avait dépouillé le royaume de Nehekhara de toute vie. La Rivière Malade n’était plus guère qu’un affluent de poison, une frontière sinistre qui gardait la Terre des Morts. La chair se flétrissait au contact de ses eaux. Les Peaux-Vertes l’appelaient l’Eau-sale, et peu de tribus osaient la franchir sur des radeaux d’os. Tel était le prochain obstacle que Krell devait surmonter.
En ralentissant le pas, Krell observa le paysage qui s’ouvrait devant lui. Au-delà de la rivière s’étendait le bassin de la Plaine de Sel. Après les marécages broussailleux, le panorama offrait un large horizon, sans rien pour bloquer la vue hormis les reflets de chaleur. Toutefois, Krell contempla bientôt une terre dont le soleil était éclipsé par les nuages noirs. La visibilité était limitée, encore que la vue surnaturelle du mort-vivant en fût moins affectée ; les formes se dessinaient à distance de tir de catapulte. L’air était sec, mais privée de soleil, Nehekhara se refroidissait rapidement, tel un corps qui avait rendu son dernier souffle.
L’armée de Krell avait déjà franchi plusieurs fleuves, qui représentaient un danger bien moindre pour les soldats Morts-Vivants. N’ayant pas besoin d’air, le temps qu’ils restaient sous l’eau importait peu. Si les courants forts pouvaient emporter les troupes au loin, ou les broyer dans des rapides hérissés de rochers, le débit de la Rivière Malade ne suffisait pas à décourager la traversée. Et Krell ne craignait pas que les eaux toxiques fussent nocives pour ses serviteurs. Toutefois, il s’attendait à ce que le passage fût contesté. C’était ce qu’il aurait fait s’il avait dû défendre une terre sans relief. Il n’y avait pourtant aucun signe de l’ennemi.
Krell était un guerrier né, élevé dans les contrées rudes et brutales du nord. Sa non-vie avait depuis longtemps consumé toute trace de sensibilité et de passions humaines. C’était une machine à tuer. Son esprit n’était que tactiques et réflexions simplifiées centrées sur son armée ; il la manœuvrait comme il maniait sa hache à double fer. Il sentait que l’ennemi était proche, et plus tôt il serait engagé, plus vite il serait détruit. Sachant que son armée serait la plus vulnérable alors qu’elle se hisserait sur l’autre rive, Krell rassembla toutes les créatures volantes de sa force : des nuages vivants de chauves-souris géantes et un duo de Terreurgheists. Il leur commanda de voler le long de la rivière pendant que les légions traversaient. Si l’ennemi tentait de s’avancer pour empêcher ses troupes de monter sur la berge, ses serviteurs ailés pourraient s’interposer sur-le-champ. Une fois la tête de pont établie, Krell était assuré d’avoir assez d’effectifs pour la renforcer.
Au signal de Krell, son armée avança sur un front de plusieurs milles de large. Les morts s’ébranlèrent mécaniquement, et les premiers rangs disparurent progressivement sous l’eau. On ne vit bientôt plus que les hauts de bannière au-dessus de l’onde, fendant la surface telle quelque menace aquatique. Les eaux grises virèrent au brun comme des centaines de morts-vivants labouraient le lit de la rivière. Les squelettes remontèrent sur la rive opposée par paliers : réapparurent d’abord les pointes des lances, puis des casques ou des crânes nus. Vinrent ensuite les charrettes macabres qui protestaient en grinçant. Elles laissaient derrière elles un sillage d’entrailles et de membres encore tressaillants, des débris flottants qui se désagrégeaient en dérivant.
Au premier signe de l’émersion de ses troupes près de l’autre berge, Krell envoya une deuxième vague d’infanterie, puis une troisième. Malgré l’obscurité, sa souveraine omnipotence, le Roi Phar, monarque de Numas de la Deuxième Dynastie au règne triomphal, ne perdit pas une miette de ces manœuvres. Phar se tenait sur une légère élévation, sous la Bannière du Faucon d’Or portée par Dramkhir, son héraut. De ce point de vue élevé, il pouvait observer la scène avec toute l’acuité de l’animal totémique. Le spectacle de la traversée de la Rivière Malade par la horde débraillée de squelettes donna au Roi Phar le sentiment de connaître déjà l’issue de la bataille. Devant lui étaient alignées les colonnes régulières de ses légions, comme à la parade. Bien des envahisseurs avaient emprunté cette voie, et l’armée de Numas les avait tous vaincus.
Sur ordre du Roi Phar, la Grande Armée de Numas se mit en mouvement. Les batteries de catapultes libérèrent leurs charges, dont on pouvait facilement suivre la trajectoire à leur traînée de feu éthérique vert. Les Géants d’Os de Bhagar tiraient volée après volée avec leurs immenses arcs, chaque flèche plus longue et plus épaisse qu’une hampe de bannière. Suivant un rituel millénaire, les fantassins avancèrent en frappant à l’unisson le manche de leur lance contre leur pavois cerclé de bronze. Des régiments d’archers leur emboîtaient le pas. Des vols de charognards du désert interrompirent leurs cercles au-dessus de l’arrière-garde et battirent de leurs ailes noires pour se diriger vers la rive.Le minutage était parfait. Au moment même où les premiers squelettes de l’armée de Krell se hissaient à terre, des paraboles de flammes illuminèrent le ciel noir. Les munitions maudites hurlaient en descendant, avant d’exploser en boules de feu verdâtres.
Des langues de flammes et des shrapnels d’os et de dents fauchèrent les régiments de Krell. D’autres tirs tombèrent dans la Rivière Malade en produisant des geysers, les projectiles magiques s’enfonçant dans le fond et éclatant sous l’eau. Les traits des Géants de Bhagar abattaient les chiroptères, dont un Terreurgheist.
Tandis que les régiments de Krell se faisaient décimer par l’artillerie, les légions de Phar se rapprochaient méthodiquement. Les formations d’archers étaient déjà en position et encochaient leurs flèches, pendant que les combattants avançaient en ligne. Les Morts-Vivants de Numas ne lancèrent aucun cri de guerre, mais le crissement de milliers de pieds sur le sel et le claquement distinctif des os auraient vrillé les nerfs de n’importe quel ennemi de chair et de sang.
Même si la situation était désespérée, les automates de Krell ignoraient la peur. Les régiments qui avaient traversé formaient une ligne piteusement fine comparée aux rangs profonds qui allaient les assaillir. Pire, une pluie de flèches constante commença à s’abattre, prélevant un tribut de plus en plus sévère.
Krell devait faire un choix tactique. Son seul espoir de franchir la Rivière Malade en force était de porter la bataille le plus loin possible de la berge. S’il parvenait à dégager assez d’espace pour se déployer sur la rive, ses effectifs supérieurs le conduiraient à la victoire. Si ses forces échouaient à contenir l’ennemi et si le combat se déroulait au bord de l’eau, il verrait son armée se faire anéantir en essayant de prendre pied sur la terre ferme. La circonspection dictait d’ordonner une halte, d’admettre son échec et de regarder les premières vagues se faire tailler en pièces.
Krell abaissa vivement sa Hache Noire, donnant ainsi le signal à ses forces volantes d’attaquer, et au reste de l’armée, de forcer l’allure au maximum.
Plongeant depuis la couverture de nuages noirs, les chauves-souris furent les premières à assaillir la ligne du Roi Phar. Elles piquèrent tels des milliers de fléchettes vivantes. Parmi elles volaient des créatures plus grandes, pourvues de crocs longs comme des sabres à même de fendre un homme en deux. Cette attaque aérienne surprise aurait pu semer le chaos dans un ordre de bataille de mortels, mais rien ne pouvait décontenancer les Morts-Vivants. L’armée de Numas était si disciplinée que l’issue était inévitable. Les forces de Phar terrassèrent l’ennemi, et laminèrent leurs restes sur le sol craquelé de la Plaine de Sel.
Alors que les régiments adverses allaient se heurter, le Terreurgheist fondit sur la Garde Écarlate, le centre de l’armée de Phar. La grande bête émit son terrible cri strident avant d’envoyer des coups de ses redoutables griffes. Ses serres déchiraient les boucliers et projetaient des gerbes de crânes, de côtes et de vertèbres. Cet assaut aérien ralentit la progression de l’armée de Numas, en l’obligeant à faire halte pour affronter le monstre. Bien que le délai accordé fût bref, il permit aux forces terrestres de Krell de s’éloigner de la rivière. La deuxième vague de troupes se traînait déjà sur la berge, avec la troisième sur ses talons. Le Terreurgheist causa beaucoup de pertes, mais la Garde Écarlate était trop nombreuse et trop implacable. Percée par des dizaines de lances, la bête rendit une dernière plainte assourdissante avant de s’écrouler.
L’infanterie de Krell finit par rencontrer la ligne de bataille de Numas, inaugurant un combat d’usure. La Garde Écarlate piquait de ses lances à l’abri de son mur de boucliers, tandis qu’en face, les Morts-Vivants aux bannières noires cherchaient à renverser l’ennemi. Les blessés n’émettaient pas même un murmure. Hormis le choc des lames, le fracas des os et de déflexion de coups appuyés, le combat était livré dans un silence mystique.
Depuis la rive nord Krell ne pouvait pas voir les passes d’armes, ni évaluer les progrès de son armée. Cependant, il était au fait de la qualité des troupes qu’il avait envoyées et de ce qu’elles pouvaient accomplir. C’étaient des régiments sans lignage, des os collectés dans les Jardins de Morr et recombinés pour combattre à nouveau. Les forces de Krell avaient encore l’avantage du nombre, mais sur le front, les effectifs jouaient contre son avant-garde, et le gros de son armée restait bloqué sur le mauvais rivage. Il savait qu’elle ne tiendrait pas longtemps, et s’effondrerait encore plus rapidement si l’ennemi assignait des formations d’élite à ce combat. Dans la pénombre, Krell perçut l’éclat d’armures dorées qui se frayait un passage vers la ligne de bataille, et il était certain d’avoir vu quelque chose d’énorme à l’horizon, qui se dirigeait vers ses troupes.
Disposant de peu de temps pour agir, Krell tint un conseil de guerre expéditif avec Dieter Helsnicht. Il lui ordonna de réunir ses confrères Nécromanciens et de concentrer leurs efforts sur le soutien des troupes de la rive opposée.
Alors que la bête ailée du Grand Imprécateur s’arrachait du sol, Krell se tourna pour établir rigoureusement l’ordre de bataille des prochaines formations à traverser la rivière. Il mit momentanément les squelettes au repos, et dépêcha à leur place un trio de Varghulfs, des créatures baveuses et démentes contraintes à rejoindre le combat. Ils étaient flanqués des Mange-carne, des goules dont la peau pâle contrastait grandement avec les ténèbres ambiantes. Puis Krell mobilisa la cavalerie. Sur les ailes, les destriers s’immergèrent au galop. D’autres, comme les Faucheurs de la flamme, chevauchaient sur l’eau, les sabots laissant des flammèches émeraude qui brillaient à la surface tel du phosphore. Enfin, Krell lui-même vint se placer au premier rang de la Légion Maudite et entra dans la rivière encombrée. Le peu que le seigneur revenant pouvait voir de la bataille disparut rapidement comme il s’enfonçait dans l’onde et entamait la marche pénible sur le lit spongieux du fleuve.
Sur la Plaine de Sel, la bataille faisait rage. Les guerriers qui servaient le Roi étaient de fidèles vassaux, les âmes de soldats défunts invoquées par les Prêtres Liches du Culte Mortuaire et liées une fois de plus à des enveloppes corporelles. Leur sens du devoir leur intimait de combattre pour le Roi Phar, aussi loyalement dans la mort que de leur vivant. Les squelettes et les zombies de l’armée de Krell, quant à eux, étaient des marionnettes écervelées, dont les corps inanimés avaient été relevés par des Nécromanciens ; leurs actions, hormis les rudiments d’attaque et de défense, étaient entièrement dirigées par leurs commandants. Il pouvait arriver qu’un champion de l’antiquité fût pris d’un éclair d’habileté martiale oubliée, se séparant temporairement de la horde avant de tomber à son tour.
Quel que fût le camp, lorsqu’un squelette était vaincu - lardé ou écrasé -, le guerrier derrière lui faisait un pas en avant pour prendre sa place. Le combat sembla d’abord équilibré. Mais lentement, inéluctablement, le poids des rangs des régiments de Phar se fit sentir. Les Morts-Vivants de Nehekhara firent graduellement reculer leurs adversaires. Puis vint la Légion Sphinx de Numas en cuirasses d’or, l’élite embaumée des forces de Phar, les plus doués de ses guerriers. Les coups rebondissaient de manière inoffensive sur leurs armures plus lourdes, tandis qu’eux-mêmes combattaient avec une dextérité inégalée par les autres Morts-Vivants. Aucune des troupes de Krell de ce côté-ci de la rivière ne pouvait résister à leurs hallebardes à large fer.
Ce fut alors que le prince Lamhirakh fit remarquer sa présence.
Monté sur un Sphinx de Guerre, le fils du Roi Phar luttait aux côtés de la Légion Sphinx. La statue léonine géante se cabrait, immunisée aux faibles attaques de ses ennemis, et en retombant, broyait des rangs entiers avec ses énormes pattes griffues. Sur son dos, Lamhirakh plantait encore et encore sa longue lance de chasse. Sa pointe scintillant dans la pénombre embrochait plusieurs adversaires à chacune des puissantes estocades du prince. Pas à pas, l’imposant construct de pierre s’enfonçait dans la masse broyée des guerriers de Krell.Il semblait que Krell avait trop tardé à envoyer ses propres troupes de choc. Les forces du Roi avaient déjà écrasé le gros de la tête de pont de Krell, et l’avaient fait reculer sur la moitié de la distance la séparant de l’eau. Elles arriveraient certainement à la rejeter dans la rivière avant que le seigneur revenant ait atteint la berge ; l’invasion de Krell serait déjouée alors même que ses armées n’avaient pénétré que de cent pas dans la Terre des Morts.
Du haut de son point d’observation, le Roi Phar contemplait fièrement son fils et son armée. Ils allaient couvrir Numas de gloire. Du fait de la taille immense de la force adverse, il pouvait bien pardonner qu’elle se soit enfoncée si loin dans son cher royaume. Maudits soient les pieds des intrus qui avaient profané sa terre ! La victoire, inévitable, était consommée si rapidement qu’elle se révélait exceptionnellement satisfaisante. Le vieux Roi s’apprêtait à descendre les marches des ruines, car il n’avait plus besoin de regarder la suite des événements pour la connaître. Son fils allait repousser l’ennemi dans la rivière et le massacrer comme il tenterait vainement de remonter la pente de la rive. Mais alors le Roi Phar aperçut quelque chose qui le cloua sur place. Peut-être y allait-il vraiment avoir une bataille après tout.
D’un geste, il signala au Roi Ramssus et aux Légions de Chars de Bhagar de se mettre en position ; finalement, l’armée de Numas aurait besoin d’eux. Puis le Roi Phar fit mander Amonkhaf, le grand prêtre de Numas, pour tenir un conseil de guerre.
Amonkhaf avait allégué que, peut-être, le ciel noir et bas était plus qu’une couverture pour l’ennemi, qu’un simple moyen de protéger de la lumière du soleil ceux qui redoutaient sa caresse - les Vampires et les revenants. Et la situation confirmait cette hypothèse incidente : les Nécromanciens semblaient puiser leurs pouvoirs dans ces sombres nuages, drainant une quantité d’énergie surnaturelle sans précédent.
Malgré les meilleurs efforts du Conseil des Sept - les prêtres du Culte Mortuaire qui servaient Amonkhaf -, leurs tentatives de dissiper les sortilèges de l’ennemi avaient échoué. Tel fut ce qu’Amonkhaf rapporta au Roi Phar lorsqu’il fut convoqué pour expliquer le changement soudain du cours de la bataille au passage de la rivière. Après son départ pour se présenter devant le roi, les Prêtres Liches de Numas avaient persisté dans leurs velléités de contrer la puissante nécromancie, mais leurs adversaires étaient tout simplement trop efficaces.
Les forces de Krell avaient été pressées à un jet de pierre du bord de la rivière mais, avec le renfort de la Magie, elles avaient pu tenir leur position. Les squelettes de Krell luisaient d’une vigueur infernale et commencèrent à renverser l’avantage, grignotant peu à peu du terrain. Avec chaque pas conquis de haute lutte, les hordes dépenaillées reprenaient de l’élan. Tout en avançant, piétinant les pertes, les régiments de Krell accroissaient leurs effectifs. Des vrilles de Magie de mort dégoulinaient des cieux sur la ligne de front, et les cadavres se redressaient. Leurs enveloppes détruites, les âmes des loyaux soldats de Numas étaient renvoyées dans le Royaume Éthéré, ne laissant derrière elles que des os éparpillés. Ces restes étaient ranimés par la nécromancie impie pour combattre leur formation de naguère.
Le choc de la meute des Varghulfs de Krell dans la mêlée centrale inaugura le démantèlement de la Grande Armée de Numas. Les derniers Gardes Écarlates furent anéantis, de même que le régiment derrière eux, comme les bêtes déchaînaient leur fureur. Les Varghulfs eux-mêmes furent percés et entaillés cent fois, mais leurs blessures se refermaient invariablement. La bataille s’était éloignée de la rivière et Krell, dont la présence n’était plus requise sur la ligne de front, recula pour s’assurer que ses forces traversaient en bon ordre.
La Bataille de la Rivière Malade était terminée, toutefois celle de la Plaine de Sel venait de débuter.
Le plan du Roi Phar visant à repousser les envahisseurs dans la rivière avait échoué, cependant il avait d’autres desseins. La Plaine de Sel était une vaste étendue plane, parsemée de buttes au sommet plat accueillant les ruines d’un âge oublié. Sur un tel terrain, la vitesse et la maniabilité pouvaient être plus mortelles que la force brute et le poids du nombre.
La croûte de sel desséchée volait en éclats sous les roues des chars et les sabots des montures squelettes. Deux légions de chars foncèrent sur la mêlée, en remontant les deux ailes. Le Roi Ramssus de Bhagar conduisait la première, et le Roi Phar en personne avait pris la tête de la seconde. Des centaines de chars filaient dans le désert bondé de morts. Comme les pinces d’un scorpion gigantesque, les légions se refermèrent sur les flancs des forces de Krell.
Au signal convenu, certains chars virèrent au dernier moment en soulevant un nuage de poussière. Ils enveloppèrent l’armée de Krell, en lâchant des volées de flèches contre son dos et ses flancs vulnérables. D’autres auriges se dirigèrent droit au combat, où leurs roues cerclées de métal labourèrent les rangs adverses telles des charrues dans un champ de culture. De petites unités de cavaliers squelettes évoluaient entre les chars en lardant de sagettes les régiments de Krell, le temps de trouver des cibles plus juteuses. L’attaque surprise d’un si grand nombre de chars devait châtier l’ennemi trop étendu et soulager la pression sur le centre assiégé. Or, le Roi Phar avait un autre stratagème en tête.
Il ordonna à ses chars de traquer les Nécromanciens ennemis et de les tuer à tout prix. C’était une suggestion du grand prêtre Amonkhaf. Les guerriers ramenés du Royaume des Âmes étaient loyaux, mais leurs esprits étaient embrumés. Lui-même répétait cette injonction, encore et encore, encourageant les légions à accomplir la volonté du souverain.
Imbus de puissance, Dieter Helsnicht et les nécromants de Krell s’étaient beaucoup avancés, souvent juste derrière les combattants de première ligne. Le Nécromancien Al’Grahib fut le premier à se découvrir, et à tomber. Ses incantations avaient fortifié les Écuyers de la Mort, néanmoins, les cavaliers s’étaient enfoncés si profondément dans les rangs adverses qu’Al’Grahib fut distancé et se trouva exposé aux chars et aux éclaireurs squelettes. Le cuir tanné qui lui servait de peau fut truffé de flèches avant qu’il ait pu lancer un autre sort.
L’affrontement fit rage pendant des heures. À certains endroits du champ de bataille, les formations se tenaient mutuellement en échec, incapables de passer outre la capacité des Nécromanciens ou des Prêtres Liches de relever leurs forces. Ailleurs, l’inertie de la charge ou la présence d’un puissant capitaine faisait pencher la balance, et des régiments entiers étaient écrasés sur le sol craquelé. Les ordres imprégnaient infailliblement les légionnaires d’un sens du devoir inébranlable « trouvez les Nécromanciens ; tuez-les à tout prix. Une demi-douzaine des praticiens des arts noirs fut aplatie, percée de traits ou égorgée.
Deux des Géants d’Os de Bhagar - ceux qui n’avaient pas été happés par la mêlée au centre - pointèrent leurs énormes arcs sur Dieter Helsnicht. Celui-ci volait en rase-mottes pour ranimer davantage de Morts-Vivants quand un trait transperça sa monture. Le nécromant tomba en spirale, hurlant pendant sa chute. Les ailes de la bête défunte ralentirent la descente, mais la culbute laissa Helsnicht avec des membres tordus selon des angles peu naturels. Par chance, il atterrit non loin de Krell et de sa Légion Maudite, et échappa aux formations d’éclaireurs squelettes en maraude et au cirque de chars. Dans un grincement d’os fracturés et avec la lueur démente de la Magie de mort dans le regard, Helsnicht se guérit et se redressa.
Privée de son irrésistible soutien magique, et avec des flancs sévèrement assaillis, la horde de Krell se retrouva immobilisée. Le cours de la bataille s’était inversé à nouveau, l’initiative repassant entre les mains de Phar. Cette fois, le Roi était déterminé à garder le pied sur la gorge de son adversaire. En ayant tué autant de Nécromanciens, et en mettant Helsnicht hors de combat temporairement, Amonkhaf et son Conseil des Sept pouvaient suivre le rythme auquel l’ennemi ressuscitait ses pertes. Si les Prêtres Liches ne pouvaient pas profiter du tourbillon de nuages de mort, ils étaient assez nombreux à lire des parchemins poussiéreux et à psalmodier des rituels monotones pour faire jeu égal dans la guerre d’attrition.
Une fois encore, la Légion Sphinx était au complet. Les guerriers tombés reprenaient leur place dans les rangs, bien qu’il ne fût pas rare qu’il leur manquât une part d’eux-mêmes : une côte, une mâchoire, ou tout le bras. Le prince Lamhirakh fut guéri de ses blessures, cependant il n’y avait pas de Nécrotecte à portée pour réparer la pierre ébréchée qui défigurait son Sphinx de Guerre - preuve de la férocité de l’engagement, car ces amalgames étaient notoirement difficiles à endommager.
La bataille prit donc une nouvelle physionomie, plus tactique, Krell et Phar attaquant et contre-attaquant sur la Plaine de Sel. Les deux camps ne manquaient pas de pions - les guerriers squelettes facilement remplaçables. Krell, avec ses hordes d’anonymes, avait l’avantage du nombre, mais celui-ci ne signifiait plus rien sur cette vaste étendue, où les cavaliers squelettes et les chars agiles pouvaient aisément éviter d’être pris au piège. Ainsi débuta une longue phase de feintes et de ruses, parfois rompue par des corps à corps d’une rare violence. Petit à petit, l’armée de Krell se frayait un chemin vers le sud.
Embuscade au Cœur du Désert[modifier]
L’Armée de Sylvanie[modifier]
L’armée que Mannfred emmena à Nehekhara est une force beaucoup plus restreinte que la horde titubante de Krell ; néanmoins, elle inclut un grand nombre de régiments d’élite et de prédateurs vampiriques. Mannfred von Carstein Acolytes Vampires Les Chevaliers du Sépulcre Les Chevaliers de la Mort Rouge L’Escorte d’Helmut Créatures de la Nuit La Garde de Drakenhof |
L’Armée de Zandri[modifier]
Le Roi Behedesh conduit son armée hors de Zandri, au cœur du désert. Là, ensevelis sous les dunes, ils attendent les envahisseurs qui oseraient mettre le pied à Nehekhara. Le Roi Behedesh II Aldrhamar Hapusneb Les Immortels de Zandri Les Boucliers Noirs de Zandri La Légion Crocogar Les Lions de Sable Les Veilleurs du Sous-Monde Ceux qui Rôdent sous les Sables |
Pendant que Krell et ses hordes pataugeaient dans les Marais de la Folie, une autre armée s’apprêtait à entrer en Terre des Morts. La force avait contourné les marécages par l’ouest après avoir passé le dernier Mont du Dos du Dragon. Son voyage l’emmena ensuite entre les Collines des Cairns et le Grand Océan. Il ne s’agissait pas d’une armée désordonnée, faite de troupes agrégées en route, mais d’un fier contingent de Sylvanie qui marchait sous l’infâme bannière des von Carstein. C’était une armée assortie au goût du prestige de son chef, Mannfred von Carstein.
La bordure occidentale de la vaste Plaine de Sel était parsemée de quelques tours de guet veillant sur la frontière de Nehekhara. Toutes furent rasées l’une après l’autre, et leurs garnisons détruites avec une facilité arrogante. Toutefois, malgré ces premiers succès, Mannfred ruminait. Jusque-là, son ambition l’avait conduit à quitter son domaine, où il régnait en maître, pour être asservi à Nagash en tant que l’un de ses Seigneurs Noirs. Il n’avait d’autre choix que de jouer son rôle en guettant une opportunité, comme il l’avait si souvent fait par le passé. Il avait appris à attendre son heure lorsqu’il était au service de Vlad. Mais la patience et l’hypocrisie n’ôtaient rien à l’irritation du Vampire orgueilleux forcé de se plier à l’autorité d’un autre.
Le seigneur Vampire ne plaçait sa confiance en nul autre que lui-même. Néanmoins, depuis le retour de Nagash, Mannfred se méfiait tout particulièrement des non Sylvaniens. Il se gardait des espions, et notamment de ceux d’Arkhan, le favori des capitaines de Nagash. Neferata, dont le harem était rempli de sycophantes conspirant à l’image de leur maîtresse, cherchait elle aussi à infiltrer ses propres agents dans les contingents des Seigneurs Noirs.
Mannfred savait qu’afin d’exploiter une occasion de tirer un profit personnel, ou de porter préjudice à l’un de ses alliés d’autrefois, il devrait le faire dans le secret. Personne ne devait rapporter ses faits et gestes à Nagash, hormis lui-même. En dépit de son ressentiment dévorant, Mannfred était intimidé par la puissance requise pour générer la voûte de nuages noirs. Mieux valait ne pas s’attirer les foudres du Grand Nécromancien. Si c’était là l’état affaibli de Nagash, de quoi serait-il capable lorsque son pouvoir serait pleinement restauré ?
L’Armée de Sylvanie quitta le bassin de sel craquelé et entra dans le désert, les dunes ondoyantes s’ouvrant sur une interminable étendue de sable. Ce n’était pas la première expédition de Mannfred dans cet antique royaume. Il avait déjà accompli ce voyage dans les années qui avaient suivi la chute de Vlad. Il était alors en quête des savoirs du légendaire Culte Mortuaire. À présent, il venait les destituer pour placer Nagash sur leur trône.
La destination fixée par Arkhan était la cité tentaculaire du désert de Khemri : tous les Seigneurs Noirs devaient converger pour reprendre l’épicentre du pouvoir de Nehekhara. C’était là tout ce que Mannfred connaissait du plan, et bien qu’il soupçonnât Arkhan de ne pas avoir tout dit, il se montrerait patient. Après tout, les propres manigances de Mannfred concernaient un trône qui lui revenait de droit, et il imaginait aisément que Nagash fût consumé par l’idée de reconquérir le royaume dont il avait été chassé.
Mannfred entendait jouer un rôle majeur dans la vengeance de Nagash, et recevoir la part du lion suite à la soumission de Nehekhara. Il ne courait pas après les honneurs, mais c’était un jeu. En démontrant son allégeance, et une fois le Grand Nécromancien assis sur son trône du désert, Mannfred pourrait satisfaire ses ambitions dans le nord. La Sylvanie lui appartenait et il faudrait s’occuper du cas de Vlad. Mannfred ne se souvenait que trop bien de la poigne de fer dans laquelle le vieux Vampire avait tenu ces mornes terres.
Obnubilé par ses machinations et par ce que Vlad pouvait comploter dans le nord, Mannfred ne remarqua pas que son avant-garde manquait à l’appel. Le seigneur Vampire avait missionné des meutes de Loups Funestes, certaines en avant de la route, d’autres autour du périmètre de ses forces. Tout n’était que sable nu, hormis quelques dunes, mais ils envahissaient un territoire ennemi et de telles précautions étaient de mise. Les chiens de Sylvanie étaient censés aboyer au moindre signe de l’ennemi ; on pouvait suivre leur hurlement lugubre même quand les bêtes étaient très éloignées, le vent de Shyish le portant aussi bien que les courants naturels. Les Loups Funestes s’étaient révélés d’excellents éclaireurs, car en tant que créatures de la nuit, ils voyaient très bien, sinon mieux, dans les ténèbres omniprésentes. Mais ils n’étaient pas du désert, et leur instinct résiduel était adapté à la chasse dans des environnements très différents.
Aucune créature de l’armée de Mannfred ne détecta quoi que ce fût de fâcheux. Un individu qui aurait survécu longtemps dans ce milieu inhospitalier aurait pu reconnaître les indices révélateurs. Les monticules au devant ne présentaient pas les contours naturels du sable poussé par les vents, mais ceux d’objets étrangers ensevelis. De subtils mouvements souterrains provoquant des rides dans le sable encerclaient les colonnes en marche. Seule l’ouïe la plus fine, associée à une compréhension pointue du désert, aurait permis de différencier les grains déplacés par un vent de sable et le glissement sinueux de quelque chose de beaucoup plus menaçant. Les Sylvaniens ne virent pas la queue serpentiforme qui s’enterrait, ne laissant dans son sillage que des tas de sable qui étaient naguère des Loups Funestes. Subitement, le désert s’anima sous les pieds de l’armée de Mannfred.
Lorsqu’il avait réuni son armée, Mannfred avait choisi ses lieutenants avec soin. Il avait fait appel à trois Vampires, car il savait bien ce que sa propre engeance pouvait apporter à une force combattante. Il n’en était pas moins conscient que ces êtres éminemment obstinés n’étaient pas dignes de confiance.
Mannfred ne sélectionna aucun de ses enfants, les connaissant trop bien. Il recruta donc Helmut - un von Carstein -, Krakvald - un lointain descendant d’Abhorash -, et un von Grecht. Le long voyage avait laissé à Mannfred le temps d’étudier ses subalternes et à son grand regret, plus il parlait avec eux, plus il suspectait que Neferata ou Arkhan avait introduit un agent dans son armée. « Et où avez-vous trouvé ce scarabée, au juste ? » demanda Mannfred, qui avait vu Gunther von Grecht caresser l’étrange amulette pendue à son cou. « Il est originaire de ces contrées, n’est-ce pas ? » « En effet, » répondit von Grecht, qui entreprit de narrer la longue histoire de la manière dont il l’avait subtilisé à un Baron en Averland. Mannfred prêta peu d’attention à ces paroles. Il en avait assez vu pour avoir la réponse qu’il attendait réellement. En entendant la question, les narines de Gunther s’étaient dilatées et ses mains s’étaient écartées du scarabée comme si l’objet était brûlant. Ce ne devait pas être un espion de Neferata, estima Mannfred. Ses agents étaient beaucoup plus malins, et avaient été entraînés à ne pas laisser paraître de tels signes de culpabilité. C’était donc certainement une taupe d’Arkhan. Mannfred pesait encore s’il était plus avantageux de déclencher une confrontation dès maintenant, ou s’il devait tendre un piège à von Grecht, quand les sables prirent vie soudainement. |
Jaillissant dans des geysers de sable, les Scorpions des Tombes abattirent leurs pinces dentelées sur les rangs de squelettes. Les monstruosités multipèdes faites de pierre, de métal et de bois pétrifié, détachaient les crânes ou plantaient leur dard dégoulinant de poison dans tout ce qui bougeait. Les rôdeurs sépulcraux furent les suivants à frapper, en surgissant des dunes avec moins de violence que les scorpions, mais avec un impact plus conséquent. Poussant un sifflement prédateur, les énormes serpents s’élancèrent. Tout ce qui croisait le regard des constructs était instantanément transformé en statue de sable, bientôt éparpillée par les vents. Des régiments entiers de squelettes s’évanouirent dans le désert, mais Helmut, l’un des plus talentueux acolytes de Mannfred, se montra plus alerte. Le Vampire détourna les yeux et abattit sa lame ; il fut récompensé par la séparation du serpent géant en deux moitiés qui s’affaissèrent en se tortillant, avant de tomber également en poussière.
Devant l’Armée de Sylvanie, le désert remuait comme un être vivant. Plusieurs mois durant, l’armée de Behedesh était restée immobile, dans l’attente d’un ennemi. Des corps sinueux se déterrèrent en se débattant et en agitant leur queue de cascabèle. Alors que le sable s’écoulait encore des bandeaux ornementés et des orbites vides, les légions s’alignèrent en rangs parfaitement ordonnés. Des plus grandes dunes émergèrent les Ushabti, des statues sculptées à l’image des anciens Dieux de Nehekhara, et animées pour la guerre.
D’un seul geste de sa lame cérémonielle, le Roi Behedesh II donna l’ordre d’avancer à son armée. Les légions se refermèrent sur la force du nord cernée de toutes parts.
L’expression calme de Mannfred laissa la place à un rictus de rage. Alors qu’il réagissait, son esprit affûté essayait de comprendre comment cela avait pu arriver. Il sut que ses molosses avaient été détruits par ces monstres du désert. Privée de ses éclaireurs, son armée avait foncé droit dans un piège. Alors que le sable s’écoulait le long des squelettes qui émergeaient du sol, Mannfred tenta d’estimer la taille de l’armée qui lui faisait face.
La cavalerie lourde de Mannfred, y compris les tristement célèbres Chevaliers de Drakenhof, se faisait décimer. Leurs armures n’offraient aucune protection contre le regard magique des serpents des sables. Un des revenants au casque noir, qui combattait pour les von Carstein depuis la première guerre de la Sylvanie contre l’Empire, se transforma en statue de sable sous les yeux de son maître. Les colonnes de marche de l’armée peinaient à se reformer, et les troupes étaient trop entremêlées pour soutenir efficacement les régiments pris à parti par les scorpions. Et pendant ce temps, l’armée de Nehekhara remontait à la surface et se rapprochait.
Mannfred ne pouvait se permettre de tergiverser. Il dégaina son épée et éperonna sa monture, et chargea l’ennemi le plus proche. Ivre de colère, le Vampire prouva une fois de plus qu’il comptait parmi les plus redoutables de son engeance. Il détruisit un serpent-amalgame avant de puiser dans les vents de Magie qui soufflaient puissamment pour ranimer des dizaines de squelettes. Le Vampire entreprit alors de réorganiser en quelques instants près de la moitié de sa force. Les régiments adoptèrent leurs formations de combat et se mirent en branle pour faire face à l’armée du désert.
À peine Mannfred avait-il établi sa ligne de défense que le Roi Behedesh et ses gardes des tombes arrivèrent. Les régiments de l’arrière-garde étaient encore à moitié recouverts de sable lorsque l’avant-garde percuta les troupes de Sylvanie. Si Mannfred n’avait pas réagi aussi rapidement, cette charge initiale aurait sans doute balayé son armée, et la bataille aurait été terminée en quelques minutes à peine.
Cependant, les forces de Mannfred étaient toujours en mauvaise posture. Sur ses flancs et son arrière, des escarmouches faisaient toujours rage contre les derniers Scorpions des Tombes. Sur son front, la ligne de Mannfred tenait à peine. Et ce fût alors qu’arrivèrent les Ushabti…
Ils venaient du temple d’Usirian de Zandri. Nul ne pouvait leur résister. Ces statues animées réduisaient en pulpe les boucliers, les armures et les os, et avançaient imperturbablement à travers la mêlée. Ces effigies à tête de chacal se riaient des coups de lances et d’épées, tandis que leurs immenses armes d’hast balayaient les rangs adverses. Elles étaient suivies par le Nécrotecte Aldrhamar, dont les hymnes insufflaient aux statues une résistance incroyable, et la capacité de se régénérer à une vitesse ahurissante.
Deux des lieutenants de Mannfred cherchèrent à préserver l’armée de Sylvanie. Helmut von Carstein détruisit le dernier de ces scorpions qui avait provoqué tant de dégâts, pendant que von Grecht mettait à profit ses talents nécromantiques pour relever des régiments entiers, les os brisés se ressoudant sous l’effet de la Magie. Il ranima ainsi encore et encore les squelettes qui finissaient disloqués sous les coups de Ushabti. Le troisième serviteur Vampirique de Mannfred fut submergé par la soif rouge.
Gorgivich Krakvald aurait sans doute mieux servi son maître en l’aidant à solidifier la ligne de bataille, ou en contrant les invincibles Ushabti. Au lieu de cela, il était aveugle au déroulement de la bataille, et mena les Chevaliers de la Mort Rouge droit devant. Cette cavalerie lourde était constituée de Dragons de Sang, l’élite de l’armée de Sylvanie. Leurs armures de plates étaient invulnérables face aux armes de l’adversaire, quant à leurs lances de cavalerie, elles empalèrent des rangs entiers de Morts-Vivants.
Krakvald traversa l’armée du Roi Behedesh aussi facilement qu’une épée trace un sillon dans le sable. Alors que le Vampire faisait faire demi-tour à son escadron pour charger une seconde fois, il aperçut une silhouette en haut des dunes. C’était Hapusneb le Hiérophante de Zandri, le plus ancien des prêtres-liches de Behedesh. Il chanta en lisant un parchemin poussiéreux, et son appel fut entendu. Le sol sous les sabots des Chevaliers de Sang se mua en sables mouvants, et des myriades de créatures du désert en jaillirent : des scarabées de Khepra et des scorpions de Numak, qui formèrent un tapis de chitine. Les insectes étaient assez petits pour se faufiler entre les joints des armures, et ils eurent tôt fait de recouvrir les chevaliers de pied en cap. Ces derniers périrent en quelques instants ; triste fin pour les plus grands guerriers de Sylvanie.
Le combat dura des heures. Ce fut un massacre ininterrompu pendant lequel la victoire resta indécise. Le Roi Behedesh avait un léger avantage, cependant son armée ne parvenait pas à délivrer le coup de grâce. La ligne de bataille avait pris la forme d’un vaste croissant, les régiments du Roi se trouvant au niveau de sa partie convexe, et tentant d’envelopper l’armée de Sylvanie. Seule la Magie des Vampires empêchait leurs forces d’être anéanties, car ils étaient en mesure de relever leurs pertes aussi vite que l’ennemi les provoquait.
Toutefois, lors d’un tel combat, il ne pouvait y avoir qu’une seule issue. La pression incessante sur les Vampires prélevait son tribut. Leurs sorts commençaient à se dissiper, tandis que la ligne de Sylvanie était grignotée petit à petit. Mannfred était poussé dans ses derniers retranchements en dépit de ses immenses pouvoirs, mais il refusa de s’avouer vaincu pendant des heures. Il semblait partout à la fois. Ce fut lui qui finit par vaincre les Ushabti, lui qui repoussa chaque percée, lui qui évita in extremis l’effondrement de ses lignes grâce à ses sorts. Malgré tout, Behedesh et ses régiments étranglaient irrésistiblement son armée.
Cependant, Mannfred était rusé. Même si son honneur devait en prendre un coup, il avait déjà établi un plan de fuite, car il était conscient que c’était le moment ou jamais. Invoquant un ultime sort qui balaya le champ de bataille de son souffle de mort, il s’enfuit en emmenant Helmut et les quelques unités qu’il avait encore en réserves.
Cette dernière manœuvre laissa ses dernières forces isolées en compagnie de von Grecht, son lieutenant le moins loyal, et de loin.
« Je ne pense pas que von Grecht s’en soit sorti, » dit Helmut d’un ton neutre.
Mannfred remarqua l’absence de sarcasme dans l’affirmation du Vampire et répondit en conséquence. « Effectivement. J’ai essayé de l’atteindre, mais la mêlée était trop dense. Mais je ne perds pas espoir de le voir revenir, même si j’admets que c’est une mince espérance. » Ils chevauchaient à la tête de la colonne de Morts-Vivants, à la recherche d’un point de repère dans l’immensité du désert de Nehekhara. « Mon seigneur, je suppose que von Grecht se trouvait en première ligne car il avait toute votre confiance ? » En dépit de sa situation difficile et de sa mauvaise humeur, Mannfred se permit un sourire, qui n’était cependant pas amical. Il devait reconnaître qu’Helmut avait su tirer son épingle du jeu. Étant donné les circonstances, Mannfred ne pouvait pas se passer de lui. De plus, en lui confiant de manière détournée qu’il était au fait des machinations de von Gretch, il faisait preuve d’une ruse insoupçonnée ; il indiquait à la fois qu’il n’était pas dupe, tout en renouvelant tacitement son allégeance à Mannfred. « Je t’ai sous-estimé, Helmut von Carstein, et je ne reproduirai pas cette erreur. Notre lignée commune aurait dû être un indice suffisant, même s’il est vrai que tous les von Carstein ne se sont pas forcément illustrés. Tu peux exprimer le fond de ta pensée… » répondit Mannfred. « Pour ma part, je vais partager avec toi certains secrets à propos des Rois des Tombes. » |
Mannfred comptait que ces troupes sacrifiées retiennent l’ennemi suffisamment longtemps afin de permettre aux survivants de son armée de s’échapper. Cela fonctionna en partie, car le détachement de Mannfred put prendre plusieurs heures d’avance avant qu’Helmut remarque des sillons dans le sable, qui signalaient la présence de poursuivants fouisseurs. Ainsi débuta une traque implacable.
Revigorés par le vent de Mort qui soufflait, les Vampires n’eurent aucune difficulté à pousser leurs séides à effectuer une longe marche forcée.
Ils durent mener de nombreuses actions d’arrière-garde contre leurs poursuivants. Mannfred parvint à les semer à deux reprises, la première fois en s’abritant dans des ruines lors d’une tempête de sable, la seconde en empruntant une direction inattendue. Mais à chaque fois un oiseau charognard, une patrouille de cavaliers ou des créatures fouisseuses les repéraient. Mannfred ne faisait jamais de pause, car ses troupes n’avaient pas besoin de repos ; de plus, il savait qu’à chaque fois qu’ils étaient repérés, le Roi Behedesh et son armée ne tarderaient pas à arriver.
Traqué sans relâche, Mannfred finit par arriver dans la plaine alluviale du fleuve Mortis. Le Vampire comptait s’enfuir vers le nord et quitter la Terre des Morts, et envisageait même de traverser le cours d’eau si ses poursuivants se faisaient trop pressants. Il cheminait pensivement en s’approchant des berges du fleuve, toutefois il ne s’attendait pas au spectacle qu’il était sur le point de découvrir.
Mannfred ne pouvait pas apercevoir l’autre rive, voilée par des nuages d’orage, cependant il voyait très bien la flotte de boutres de guerre. Les navires de Nehekhara étaient en train d’accoster et de débarquer leurs troupes.
Harkon avait répondu à l’appel de Nagash. Il avait emmené ses navires aux équipages de zombies jusqu’à la Terre des Morts, et faisait les cent pas sur son navire amiral, le Cercueil Noir, » tout en inspectant la voilure. Le vent qui portait les nuées fuligineuses vers Nehekhara poussait sa flotte exactement là où il l’espérait : vers le delta du fleuve Mortis. Il était si proche que Luthor prenait de grands risques en gardant amarrés à ses navires les barges de transport qu’ils remorquaient. Si l’ennemi attaquait maintenant, la flotte d’Harkon serait très vulnérable.
En dépit de ce risque, Harkon était torturé par l’hésitation, et se rendait régulièrement à la proue afin de scruter les ténèbres à l’affût d’un signe de la présence de l’adversaire, comme le claquement d’une voile, ou le son rythmique des tambours des rameurs. D’après ce qu’il savait, l’armada de Nehekhara était rassemblée quelque part entre lui et sa destination. Se faire surprendre en eau profonde avec les barges de transports encore chargées serait une véritable catastrophe.
Finalement, Harkon jugea qu’il avait assez attendu et donna le signal. Les Knorrs, les cogues et les navires marchands firent alors voile vers la rive. Pareillement, les imposants navires de guerre qui les avaient remorqués changèrent de cap, et gagnèrent en vitesse avant de couper les amarres, puis virèrent de bord rapidement pour ne pas s’échouer sur les plages. À cet instant, ils étaient si près du rivage qu’on pouvait entendre le sac et le ressac des vagues, et entrapercevoir les silhouettes des ruines qui montaient la garde le long de la côte rocheuse.
Pendant que le Cercueil Noir voguait vers les bas-fonds, Harkon observa ses navires de transport, qui avaient formé un bon tiers de sa flotte, se disloquer sur les écueils. Malgré tout, quelques navires furent assez agiles pour se faufiler entre les passes récifales avant d’accoster sur les plages. Harkon était certain que le Désolation, » l’embarcation pourrie de son bras droit, le capitaine Drekla, se trouvait parmi eux. Harkon put ensuite voir les silhouettes des zombies émerger des hauts-fonds avant de se rassembler sur les plages.
La graine a été plantée, il n’y a plus qu’à attendre qu’elle se développe, » pensa Harkon. Il donna ensuite l’ordre de hisser les grands-voiles afin de profiter de la prochaine marée pour remonter le delta. Une fois son plan établi, il se remit à faire les cent pas sur le pont.
À quelques milles de là à peine, le Roi Kalhazzar était posté sur le château avant de son boutre doré, le Sphinx Couronné. Néanmoins, il ne voyait rien, car le soleil était voilé. Les eaux d’ordinaires turquoises étaient grises. C’est alors qu’il l’entendit.
Les gongs des tours de gardes sonnèrent dans tout le delta, et les feux d’alarme s’allumèrent au loin, dans la pénombre qui noyait la côte. L’ennemi arrivait. Ses barges les plus éloignées lui signalèrent qu’elles avaient repéré quelque chose. Les membres d’équipage rejoignirent leurs postes mécaniquement, du moins, les rares qui ne s’y trouvaient pas déjà sans bouger depuis de longs mois. Les galères et les boutres levèrent l’ancre, et les rangées de rames se relevèrent, prêtes à répondre aux ordres de Kalhazzar. Les archers debout sur les ponts encochèrent leurs flèches. Le Roi comptait leurrer l’adversaire, et l’attirer à portée de tir des batteries côtières : il ordonna d’avancer droit vers la flotte pirate d’Harkon.
Le Vampire ouvrit les hostilités en faisant tirer la Grosse Bess, » l’énorme canon qui occupait l’essentiel de la section centrale du Cercueil Noir. L’arme cracha une langue de feu dantesque et son rugissement résonna jusqu’à Zandri. Le boulet de plusieurs quintaux fila au-dessus des eaux et alla percuter le Griffe d’Usirian, » pulvérisant les ossements et envoyant des échardes de bois pétrifié à plusieurs centaines de mètres de haut dans les airs. L’immense boutre de guerre coula en un instant, et avec lui plusieurs centaines de guerriers et de membres d’équipage.
La seconde fois où l’immense canon ouvrit le feu, les pièces ordinaires de la flotte d’Harkon firent écho à son grondement, car les navires s’étaient suffisamment rapprochés de l’armada nehekharienne. Celle-ci essuya stoïquement la canonnade. Les boulets provoquaient de grands geysers quand ils rataient leurs cibles, ou des explosions de débris quand ils faisaient mouche. Kalhazzar savait que le vent allait tourner. Les navires adverses seraient bientôt à portée des catapultes disposées le long des côtes. De plus, sa flotte était bien plus nombreuse que celle pourtant imposante du Vampire.
Dès l’instant où les tirs des caronades commencèrent à balayer les ponts des galères, Kalhazzar comprit que quelque chose n’allait pas. Il tourna les yeux vers la côte. Au milieu de la pénombre, il discernait des éclairs de Magie Noire, au niveau des emplacements des batteries côtières les plus proches, et comprit alors la ruse de l’ennemi. Dégainant son khopesh, il ordonna à sa flotte de passer à vitesse d’éperonnage.
Les boutres étaient si proches que Luthor pouvait entendre le battement sourd des tambours. Or, ils avaient accéléré la cadence ; les rames plongeaient et ressortaient vivement de l’eau. Ces bruits étaient accompagnés par des chants étranges, que le Vampire associa à des traditions surannées. Il était temps de dévoiler son arme secrète.
Le capitaine Drekla était assis en face de Luthor Harkon et attendait de recevoir ses ordres. Son maître l’avait convoqué à bord du Cercueil Noir. Le Vampire se tenait derrière un bureau marqueté en ébène de Lustrie, confortablement installé sur un fauteuil rembourré d’aspect excentrique.
« Je suis très satisfait de la façon dont vous avez réduit au silence les batteries côtières, » dit le Vampire pour briser la glace. Il attendit quelques secondes la réponse de son interlocuteur, mais celui-ci resta muet. Finalement, il poursuivit : « J’aimerais vous offrir ceci, en gage de mon estime, » dit-il en faisant glisser sur le bureau un crâne blanchi par le soleil. « Il appartenait au Roi Kalhazzar. Il déblatérait encore des imprécations il y a moins d’une heure… » Sans rien dire, le Crochet d’Argent de Sartosa tendit une main moite et incrustée de bernicles pour se saisir maladroitement du crâne. Un nouveau silence gêné s’ensuivit. Harkon fronça les sourcils en remarquant que les vêtements du capitaine étaient trempés, et qu’une flaque s’accumulait sous sa chaise. « Eh bien… j’ai été ravi de discuter avec vous. Faites de votre mieux pour réparer nos transports. Nous levons l’ancre dès que possible, » dit Harkon pour mettre un terme à la conversation. Sans dire un mot, Drekla se leva brusquement et sortit de la cabine en laissant une traînée d’eau saumâtre derrière lui. |
Il lui avait fallu des décennies entières, et sacrifier de nombreux zombies, afin de la récupérer. Une dizaine de ses navires en étaient équipés : ils sortirent les vessies conservées dans des tonneaux d’eau salée, des organes visqueux contenant un liquide inflammable au contact de l’air, qui avaient été récupérés sur les cadavres de ces gros reptiles de Lustrie appelés salamandres. L’efficacité de ce suc volatil contrebalançait largement les risques inhérents à son utilisation.
Les équipes de zombies récupérèrent les vessies et les placèrent dans les cuillers des catapultes. La courte portée de ces armes n’était pas un problème, car les boutres se rapprochaient à vive allure vers la flotte du Vampire. Des boules de feu ravagèrent les premières galères de Nehekhara au moment même où leurs éperons s’enfonçaient dans les coques pourries de l’avant-garde d’Harkon.
Des navires incendiés illuminèrent le delta. Certains bâtiments d’Harkon prirent feu lorsque des zombies maladroits laissèrent tomber les vessies qu’ils portaient, ou quand des boutres en proie aux flammes les percutèrent. Les bateaux d’Harkon avaient cependant un avantage : leur bois pourri brûlait mal ; en revanche, leurs coques avaient tendance à se désagréger en cas déperonnage.
Les navires suivants d’Harkon virèrent de bord afin de délivrer leurs bordées. Des boutres en profitèrent pour leur foncer dessus et les éperonner. On lança les grappins et les cordes, et de féroces abordages eurent lieu. De plus, les eaux étaient infestées de requins mortis. Harkon vit un de ces monstres jaillir de l’eau pour engloutir un brigantin. Le Cercueil Noir ouvrait le feu à bâbord et à tribord, aussi bien avec ses caronades qu’avec son artillerie.
Ce fut une bataille navale telle que le monde n’en avait jamais connu. Les galères dorées éperonnaient les galions ; les squelettes affrontaient les zombies au milieu des flammes. Les drakkars de Norsca se mesuraient aux rapides barques solaires. Des chauves-souris géantes piquaient sur les équipages, tandis que des Banshees flottaient au-dessus des vagues ou des ponts. Les crânes se fendaient sous l’effet de leurs hurlements. Au fond des eaux du delta, les Morts-Vivants tombés par-dessus bord continuaient de se battre, jusqu’à ce que leurs corps s’enfoncent complètement dans la couche de limon.
La bataille fit rage deux jours et deux nuits, au milieu des navires en feu et des silhouettes fantomatiques des spectres. Finalement, la dernière galère fut coulée, et la flotte diminuée d’Harkon arracha la victoire.
Mannfred étendit alors sa volonté à la recherche de matériaux utiles. L’aura de mort était oppressante, et le sol de la colline contenait de nombreux squelettes qu’il pourrait ressusciter pour renforcer son armée. Encore mieux, Mannfred perçut la présence d’esprits inapaisés. Usant des flots de Magie de la Mort, le Vampire entama les rituels afin de les lier à sa volonté. Il n’avait pas beaucoup de temps avant que l’ennemi arrive.
À l’est, Behedesh et les légions de Zandri progressaient en toute hâte. Le Roi des Tombes avait envoyé sa cavalerie patrouiller, et celle-ci atteignit bientôt la colline. D’autres créatures étaient tapies sous le sable, au cas où le Vampire essaierait de s’échapper. Behedesh avait acculé son adversaire, et il comptait bien ramener sa tête à Settra. Cependant, cela se révélerait plus difficile qu’il ne l’imaginait, car le haut prêtre Hapusneb lui avait rapporté qu’une autre armée ennemie avait débarqué à proximité de Port Pharoakh. Cela signifiait qu’elle avait remonté le fleuve Mortis, et ne présageait donc rien de bon, car Port Pharoakh était loin à l’intérieur des domaines de Behedesh.
Le Roi entra dans une rage insensée en apprenant que des étrangers avaient peut-être profané Zandri ou endommagé sa nécropole. Il jura de les faire payer chèrement pour ce crime.
L’armada qui était au mouillage sur le fleuve Mortis était celle de Luthor Harkon. Il avait fallu plus de deux semaines à ses séides pour réparer les navires qui pouvaient l’être, suite à la Bataille du Delta du Mortis, d’autant plus que la récupération des épaves avait entraîné de nouveaux combats. En effet, les guerriers ennemis engloutis par les eaux étaient un danger constant. Certains remontaient à la surface et s’accrochaient à des débris, d’autres parvenaient à s’extirper de la couche de limon et à resurgir sur les berges. Il était impossible de prédire les attaques de ces groupes de Morts-Vivants couverts de vase. Et entre chaque affrontement, Harkon était occupé à diriger les zombies lors de leurs opérations de récupération et de réparation des épaves, afin qu’un maximum de navires soient de nouveau en état de naviguer.
Lorsque la flotte hétéroclite leva enfin l’ancre pour se diriger vers le port de Zandri, elle était d’une taille impressionnante, même si la plupart des vaisseaux étaient en piteux état. Quelques-uns sombrèrent en chemin, mais il restait au final plus de cent cinquante bâtiments. Leur cargaison de zombies était si importante que leur ligne de flottaison se trouvait parfois à moins d’un mètre du bastingage. La plupart de ces navires devaient en permanence pomper l’eau qui envahissait leur cale à cause des réparations de fortune ou des trous dans le bois pourri. De plus, le fait de voguer à contre-courant n’arrangeait pas son allure.
Le Cercueil Noir était positionné fièrement au centre de l’armada. Les voiles noires de ses trois mâts flottaient au vent. Harkon avait ordonné à ses chauves-souris géantes de voler à l’avant de la flotte afin de l’informer du moindre danger, voire d’une opportunité. À plusieurs reprises, le Vampire ordonna de jeter l’ancre afin de bombarder un fort côtier, ou de débarquer des troupes pour piller un temple qui surplombait le fleuve. D’ailleurs, aux yeux de Luhtor Harkon, le pillage était la seule raison d’exister du capitaine Drekla et de ses hordes de noyés ressuscités.
Harkon avait repéré l’éminence rocheuse et les marches taillées dans le calcaire qui menaient vers les ruines qui la ceignaient. Le Vampire était habitué à piller les sites de Lustrie, et avait appris à fouiller même les édifices les plus décrépits, car à plusieurs reprises, il avait découvert des idoles en or et des reliques serties de joyaux au milieu des cryptes envahies par la végétation. Alors que son expédition gravissait les marches vers le sommet, le capitaine Drekla put contempler la force qui arrivait depuis le désert.
Behedesh ne comprenait pas pourquoi ses deux adversaires ne rassemblaient pas leurs forces, ou n’envoyaient pas des troupes pour tenter de l’attaquer de flanc. Même les Peaux-Vertes qui avaient osé tenter d’envahir ses terres avaient fait preuve de plus de stratégie. Le Roi des Tombes saisit cette occasion d’attaquer avant que l’ennemi réagisse. L’armée de zombies venait de resserrer les rangs quand les premières nuées de flèches lui tombèrent dessus. En revanche, l’attaque de Behedesh contre la colline rocheuse était plus délicate. En dehors des pentes escarpées, les seuls accès étaient des sentiers sinueux. Celui du versant sud était assez large pour accommoder un front de dix squelettes. Par contre, celui du versant nord était plus étroit, et n’était en mesure d’accueillir que la moitié de ce nombre. Behedesh ne pouvait pas compter sur sa supériorité numérique, néanmoins cela ne le dissuada pas. Il aurait la tête du Vampire, même s’il devait passer un siècle à le traquer.Les Faucons des Mers, une centurie de squelettes, furent les premiers à gravir les marches. Ils furent accueillis par les formes spectrales vêtues de suaires des prêtres du Dieu-vautour. Ils avaient été invoqués par Mannfred, et ne craignaient pas la morsure des armes ordinaires, qui traversaient leurs formes immatérielles sans les blesser. En revanche, leur propre toucher était capable d’arracher les âmes de leurs victimes à leurs corps. Grâce au poids du nombre, les squelettes furent en mesure de faire reculer les spectres de quelques mètres, mais cela leur coûta bon nombre de leurs guerriers.
Les Boucliers Noirs, la plus célèbre cohorte de Zandri, furent envoyés au versant nord. Ils furent organisés en dix compagnies de cinquante guerriers. Les squelettes formèrent un mur de boucliers et avancèrent sous leur bannière cérémonielle, un demi-cercle noir rehaussé de crânes dorés. Leur avance fut couronnée de succès, car leurs talents martiaux étaient supérieurs à ceux des squelettes hâtivement ranimés de Mannfred.
Ce dernier était posté sous une des dernières arches encore debout au sommet de la colline. Pour l’instant, sa position était forte, mais ce n’était qu’une question de temps avant que le Roi des Tombes amène des machines de guerre capables de bombarder la colline, ou des statues de pierre animées si colossales que ses séides n’auraient pas la moindre chance. Des nuées de charognards commençaient à voler en cercle au-dessus de l’éminence.
Même s’il avait réussi à gagner du temps, Mannfred était bel et bien pris au piège. C’est à ce moment qu’il entendit un son inattendu dans cette région de la Terre des Morts. En effet, au sud, des détonations d’armes à poudre noire se firent entendre. Abandonnant momentanément sa surveillance des combats qui faisaient rage sur les escaliers, Mannfred se rendit sur le versant ouest du tertre et aperçut une flotte au mouillage sur le fleuve. La pénombre l’empêchait de voir plus loin que quelques centaines de mètres, mais cela lui suffisait. Les navires les plus proches étaient certes des boutres de guerre et des barques solaires, c’est-à-dire des embarcations utilisées traditionnellement par le peuple de l’ancienne Nehekhara, cependant l’armada hétéroclite qui les entourait n’était certainement pas celle d’un Roi des Tombes. Depuis son point de vue, Mannfred distinguait les silhouettes de galions, de cogues et de frégates du Vieux Monde. Seul Luthor Harkon pouvait commander cette flotte.
Ravalant sa fierté une nouvelle fois, Mannfred appela à lui les créatures de la nuit. S’il avait été en Sylvanie, des nuées de chauves-souris lui auraient répondu, mais puisqu’il se trouvait dans le désert, ce furent les enveloppes desséchées de tels animaux qui se présentèrent à lui. Des milliers d’années plus tôt, le Grand Rituel de Nagash avait transformé en Morts-Vivants toutes les créatures de Nehekhara. Même si elles n’étaient guère dangereuses, ces chauves-souris allaient pouvoir transmettre un message à Harkon.
Le capitaine Drekla venait d’envoyer une chauve-souris géante vers le Cercueil Noir afin de demander des renforts. La mission d’origine de son expédition était de piller un temple, pas de faire face à toute une armée. Il allait avoir besoin d’autres régiments pour affronter les légionnaires squelettes sur un pied d’égalité.
De son côté, Behedesh avait été mis au courant de la taille de l’armada adverse, et cela lui posait un dilemme. Le seul endroit du fleuve Mortis où il était possible de débarquer rapidement un grand nombre de troupes était au niveau des quais en pierre de Port Pharoak, toutefois les escaliers qui menaient des quais vers les hauteurs des berges pouvaient facilement être bloqués, à condition de vaincre d’abord les régiments de zombies sur son chemin. Néanmoins, le Roi des Tombes ne pouvait pas se permettre d’assigner l’intégralité de son armée à cette tâche.
Behedesh avait déjà vaincu l’armée d’un Vampire dans le désert, et avait traqué les survivants sur de nombreuses lieues, avant de les acculer enfin au temple d’Ualatp. Même s’il ne savait pas que son adversaire était Mannfred von Carstein, le Roi pouvait néanmoins déduire que le général qui lui faisait face était un Vampire de grand pouvoir, comme l’indiquait l’aura d’arrogance et de sang qui l’entourait. Peut-être même s’agissait-il d’un des lieutenants de Nagash. Settra avait prévenu ses Rois des Tombes que la destruction des armées d’invasion ne suffirait pas, et qu’il était vital de traquer et d’anéantir leurs commandants. Trop de fois par le passé Nehekhara avait vaincu Nagash ou ses capitaines, mais les avait laissés s’échapper, leur donnant l’occasion de revenir ultérieurement pour provoquer de nouveaux ravages. Behedesh n’allait pas laisser cela se reproduire. L’ennemi allait subir son courroux.
Le Roi envoya de nombreuses cohortes sous les ordres de son bras droit le Roi Nemhetum, afin de circonscrire les hordes de zombies, tandis qu’il focalisait son attention vers le sommet de la colline. En effet, l’assaut s’enlisait, notamment sur le versant sud, car les défenseurs - un groupe de spectres - étaient invincibles. Jusqu’à présent, ils avaient anéanti trois centuries sans subir de pertes. Quant au versant nord, il n’était guère plus prometteur, même si les Boucliers Noirs progressaient lentement mais sûrement en écrasant les uns après les autres les Morts-Vivants de Sylvanie.Par conséquent, Behedesh savait où sa présence était requise. Il dégaina la Lame de Setep, dont le tranchant se mit à luire d’une teinte bleutée dans la pénombre, et mena les immortels, les gardiens des tombes de Zandri, vers le versant sud. Les spectres venaient de vaincre une nouvelle centurie, dont les ossements jonchaient les escaliers. Cependant, les esprits des anciens prêtres d’Ualatp réalisèrent tout de suite qu’ils allaient désormais affronter un adversaire d’une autre trempe. Ils reculèrent face à l’aura bleue de la Lame de Setep, et auraient probablement fui si la volonté implacable de Mannfred ne les avait pas forcés à combattre. Les spectres revinrent donc avec réticence en direction du Roi des Tombes et de sa garde d’élite d’Immortels.
L’étreinte glaciale des spectres abattit une poignée de gardiens des tombes, toutefois ils n’avaient aucune chance face à Behedesh lui-même. La Lame de Setep décrivait des arcs bleutés. Chacun de ses coups abattait un des esprits maléfiques. Poussant des hurlements d’agonie à laquelle se mêlait la joie d’être libérés du joug du Vampire, les spectres furent bannis les uns après les autres. Behedesh menait ses guerriers momifiés toujours plus haut, vers le sommet de la colline rocheuse.
Mannfred était tel une bête prise au piège dans le temple. Helmut et lui étaient forcés de ranimer sans cesse des squelettes afin de remplacer ceux que les Boucliers Noirs avaient abattus. Suite à la perte des spectres qui verrouillaient le versant sud, les Vampires seraient bientôt assaillis sur deux fronts. Alors qu’il allait avoir recours à des mesures désespérées, Mannfred observa une vaste nuée de chauves-souris dans le ciel. Certains de ces animaux Morts-Vivants allèrent affronter les charognards, tandis que les autres s’en prirent aux ennemis qui gravissaient les marches. Une chauve-souris monstrueuse, dont les ailes étaient aussi vastes que des brigantines, survola la colline avant de piquer vers la proie qu’elle avait choisie.
Car après avoir reçu le message de Mannfred, Harkon avait agi sans tarder. Il avait convoqué les créatures ailées qui avaient établi leurs aires au sommet des mâts de la flotte. Le Cercueil Noir s’était rapidement trouvé au cœur d’un véritable nuage de chauves-souris. À cet instant, le Roi Pirate avait fait apparaître une grande paire d’ailes membraneuses dans son dos, et s’était envolé à la tête de sa myriade de vermine volante.
Luthor comptait venir directement en aide à Mannfred, mais il avait repéré une cible tentante au pied de la colline : un Sorcier esseulé, occupé à lire un parchemin. Harkon pensait qu’une bonne partie de l’armée du désert tomberait en poussière si ce jeteur de sorts était anéanti, c’est pourquoi il piqua droit sur lui dès qu’il l’aperçut.
Hapusneb, Hiérophante de Zandri, était seul et vulnérable, car il se tenait en retrait de l’armée de Nehekhara. Le temps qu’il remarque la forme ailée qui lui tombait dessus, il était déjà trop tard. Luthor Harkon frappa avec ses deux lames, et décapita le Hiérophante. Les scarabées qu’Hapusneb était en train d’invoquer ne pouvaient pas le protéger contre cet assaut inattendu. Au contraire, ils eurent tôt fait d’emporter le corps du prêtre-liche sous les sables lorsqu’il s’écroula au sol…
Néanmoins, au grand dam d’Harkon, l’armée de Behedesh ne semblait pas affectée par la destruction du Hiérophante. Certes, elle n’était plus en mesure de régénérer ses pertes, toutefois Behedesh et ses immortels de Zandri continuaient de massacrer les régiments qui leur faisaient face, même si leur élan se réduisait petit à petit, au fil des affrontements et des marches à gravir. Les rais de Magie Noire déchaînés par les Vampires moissonnaient les rangs de l’ennemi, cependant Behedesh restait déterminé. Ainsi, au moment où son dernier immortel s’écroulait, il gravit la dernière marche et atteignit le sommet.
Ce fut là, sur une éminence surplombant le fleuve Mortis, que le Roi Behedesh croisa le fer avec Mannfred von Carstein. C’était un duel où l’endurance inflexible se mesurait à la rapidité surnaturelle, où un Roi doré affrontait un seigneur de la nuit. Les deux combattants frappaient infatigablement. Le Vampire portait plus de coups, et l’un d’eux arracha son heaume au Roi des Tombes, sans toutefois le blesser. Finalement, le Roi de Zandri abattit son arme, qui creusa un profond sillon dans la cuirasse du Vampire, et mit ses côtes à nu. La chair du mort-vivant fumait au contact des énergies magiques de la lame de Setep.
Mais soudain, Behedesh tituba. Il lâcha son arme pour agripper la pointe de l’épée qui dépassait de son torse. Derrière lui, Helmut von Carstein souriait cruellement, puis il retira son arme. Behedesh s’écroula en convulsant. Ainsi périt un des derniers Rois des Tombes de Zandri.
Cependant, avant qu’Helmut puisse se vanter de son assassinat, le corps de Behedesh fut parcouru d’un ultime spasme avant de se transformer en une nuée de scarabées de Khepra qui recouvrirent le Vampire et le dévorèrent en quelques secondes.
« Ma reine, » dit Nalharad en s’agenouillant et en s’inclinant si bas que son front toucha presque le sol poussiéreux. « Je vous apporte la nouvelle que vous attendiez. Les sceaux de Lahmia ont été brisés. »
Khalida se tenait gracieusement et fièrement, et accueillit l’information d’un léger hochement de tête. « Bénie soit la déesse Aspic, » murmura-t-elle en traçant le signe de la divinité dans les airs. « Une prophétie avait annoncé ce jour. C’est pour cette raison que je me suis éveillée. Convoquez Hassep. Nous marchons dans l’heure. » Nalharad s’inclina une nouvelle fois et sortit à reculons de la chambre. Les portes se refermèrent derrière lui. Khalida s’autorisa ce qui aurait pu passer pour un sourire derrière son masque mortuaire, si seulement sa chair ne s’était pas desséchée au fil des âges. Elle attendait cette nouvelle depuis si longtemps ! N’importe quel Vampire aurait pu vaincre les sceaux de Lahmia, toutefois Khalida devinait sans peine l’identité de l’intrus. Neferata, sa cousine, la Reine Éternelle de Lahmia, première parmi les Damnés, était revenue. C’était elle qui avait mis fin à l’existence mortelle de Khalida. Au cours des millénaires, Khalida avait rêvé aux mille morts qu’elle lui infligerait. Elle fit mander son armure. Lahmia l’appelait, et sa colère ne ferait que croître au fil des heures, jusqu’à ce qu’elle mette la main sur Neferata. |
Lahmia fut autrefois le joyau de Nehekhara, la ville aux mille et unes merveilles. Elle était alors nommée la Cité de l’Aube, et était célèbre pour ses murs blanchis à la chaux, pour ses jardins verdoyants et pour son atmosphère capiteuse, mélange de fleurs de lotus et d’encens d’Orient porté par la brise. Désormais, c’était un lieu de désolation, une cité maudite dont les ruines étaient hantées par des âmes damnées.
Neferata avait ruminé sa revanche au cours des siècles ayant suivi sa fuite de Lahmia. Puis ce besoin de vengeance s’était estompé. Elle avait voyagé de par le monde, et amassé des richesses qui dépassaient l’entendement. Néanmoins, elle savait au fond de son cœur glacé qu’elle se mentait. D’une certaine façon, elle était toujours en cavale, et fuyait les souvenirs d’une époque irrévocablement révolue, d’une civilisation disparue. Le Pinacle d’Argent, son nid d’aigle au sommet des montagnes, n’avait été qu’une façon de parodier Lahmia en y accumulant luxe et raffinements. Le retour de Nagash l’avait brusquement ramenée à la réalité.
Et aujourd’hui, Neferata revenait à Lahmia, non pas pour la reconquérir, mais pour l’anéantir.
Son armée avait rapidement détruit les quelques sentinelles de pierre qui gardaient les portes de la Cité Maudite, tandis que Neferata elle-même n’avait eu aucun mal à déjouer les sceaux magiques qui les protégeaient. Elle s’attendait à ce que les hiéroglyphes maudits fussent prévus pour repousser les Vampires, et fut amusée de constater qu’en réalité, ils servaient principalement à emmurer des créatures à l’intérieur de la cité. Visiblement, les esprits des gens massacrés de son ancienne cour avaient un sommeil plutôt difficile…
À Lybaras, la grande reine Khalida s’éveillait. Tous les messagers de Mahrak et de Quatar étaient arrivés, et patientaient dans l’antichambre de la salle du trône depuis des semaines, attendant que la reine leur accorde son attention. Néanmoins, lorsque Nalharad, le Maître des Éveils de Lybaras, osa approcher de la chambre de la reine, les gardiens de la Tour d’Albâtre décroisèrent leurs hallebardes et laissèrent entrer le Prêtre Liche racorni afin qu’il informe Khalida de ce qu’ils avaient appris.
Le Prêtre Liche rassembla les guerriers et les statues de Lybaras. L’armée avança sous un ciel noir, suivant fidèlement sa reine. Finalement, la dernière légion passa sous la grande arche, et les portes de bronze de la cité se refermèrent dans un claquement sonore qui résonna contre les dunes. Khalida laissait derrière elle une ville totalement déserte. Ses temples et sa nécropole avaient été vidés de leurs gardiens. Il ne restait plus que les sceaux et les malédictions des prêtres afin de les protéger d’éventuels intrus.
Khalida mena sa procession martiale loin de Lybaras. La reine-guerrière ne cheminait pas à pied, mais sur une barge céleste cérémonielle recouverte d’or. Celle-ci glissait majestueusement au-dessus du sable brûlant ; elle était le symbole des victoires de Khalida, cette dernière ayant gagné la barge de haute lutte, suite aux guerres contre les lézards des Terres du Sud. Elle était accompagnée par le prince Nefhotep héraut de Lybaras, qui portait fièrement le totem sacré de la ville. Derrière Khalida venaient ses célèbres légions d’archers marchant au pas cadencé sous l’icône de l’aspic. Au centre se trouvaient les statues à tête de faucon : la légion de Phakth, le Dieu-rapace, porteur d’une justice rapide. Ils avaient quitté leur veille devant les portes du temple de Phakth, car Khalida avait récité les serments et des torts impardonnables, capables d’appeler les statues à la guerre. Non loin, les reptations des Nécroserpents des Chevaliers des Nécropoles donnaient l’impression qu’ils progressaient sur une mer agitée.
Le prince Settuneb magnifique sur la plate-forme en ivoire de son attelage, menait les escadrons de chars. Dans leur sillage venait le Roi Hassep sur son Sphinx de Guerre en marbre noir. Sa silhouette régalienne surplombait sans difficultés l’infanterie et les nuages de poussière soulevés par l’armée en marche. Khalida avait désigné Hassep en tant que maître de guerre, c’est-à-dire son général le plus influent et son bras droit. C’était là un grand honneur que la monarque bien-aimée de Lybaras avait accordé, mais il était mérité, car le Roi Hassep et le prince Settuneb appartenaient à la Première Dynastie, des seigneurs si vénérables qu’ils avaient servi Settra au cours de leur vie. Hassep emmenait des légions de soldats aux rangs impeccables équipés de kopesh ou de lances, et qui portaient des boucliers aux couleurs de Lybaras.
Le dernier conseil de guerre entre Khalida et Hassep avait été houleux. Ce dernier arguait que l’armée devait obéir aux ordres de Settra et marcher en force sur Mahrak. Une fois là, elle pourrait barrer la route menant vers la Vallée des Rois, voire l’emprunter elle-même si les envahisseurs se rapprochaient de Quatar. Désobéir à Settra était risqué, affirmait le plus ancien Roi de Lybaras. Au début, Khalida ne voulait pas froisser son maître de guerre, et l’écouta en silence, mais elle déclina respectueusement ses conseils. Alors qu’Hassep poussait plus loin son argumentation, la colère de Khalida explosa. Sa fureur était visible derrière son masque mortuaire fissuré. À l’évidence, elle ne tolérerait aucune objection à ses décisions.
Malgré tout, Lybaras n’était pas seule.
En effet, le Haut Roi Tharruk dernier seigneur de Mahrak, avait quitté sa ville en entendant parler des événements qui secouaient Lybaras. Khalida était obnubilée par sa quête de vengeance, et avait oublié que les méfaits de Lahmia avaient engendré d’autres rancunes. Le Roi Tharruk avait également des raisons de haïr Neferata, tout comme trois princes de Mahrak. Après avoir perdu sa lignée lors des horribles festins de sang perpétrés à la cour de Lahmia, Tharruk avait aidé à la destruction de la ville.
L’incendie de la Cité Maudite avait été un premier pas, mais le Roi avait été outré d’apprendre que Neferata elle-même était parvenue à s’échapper. Ce jour-là, Tharruk avait fait le serment de venger les siens et de rapporter la tête de Neferata à Mahrak.
Cependant, contrairement à Khalida, Tharruk n’était pas unanimement soutenu par son peuple, si bien que seul un tiers des guerriers de la nécropole marchaient à ses côtés. Un autre tiers était parti vers l’ouest pour aider Khemri, tandis que le dernier tiers était constitué par les forces de dynasties mineures qui se contentèrent de rester à Mahrak pour la défendre. Pareillement, le culte mortuaire de la ville ne participait pas aux expéditions, en dehors du Prêtre Liche Khuftah. Haptmose, le Hiérophante de Mahrak, avait interdit à Khuftah de partir, mais le Prêtre Liche était dévoué à son Roi et avait juré de le servir loyalement. Nul doute que Khuftah serait puni lors de son retour à Mahrak, néanmoins cela n’affectait pas sa détermination.
En dépit de l’immensité désertique qui la séparait de ses ennemis, Neferata voyait tout grâce à son bassin de divination rempli de sang. Elle observa quelques instants les légions amassées contre elle, avant de brouiller l’image en agitant doucement la surface du liquide carmin avec le doigt. Elle suça alors le liquide rouge sur son index en souriant d’un air entendu.
Tout se déroulait comme Arkhan le lui avait dit, lors de leur ultime conversation à Nagashizzar. Le vieux Prêtre Liche avait souligné qu’elle était un appât idéal, ce que Neferata avait été forcée de reconnaître. Sa simple présence en Terre des Morts avait suffi à attirer l’ennemi, comme des papillons hypnotisés par une flamme.
Neferata appela ses demoiselles. Elle leur fit signe d’approcher quand elles se présentèrent. Elles n’avaient plus que quelques heures de distraction avant le début des préparatifs…
La Bataille de Lahmia[modifier]
Les Légions de Lybaras[modifier]
Les armées de Lybaras sont célèbres pour leurs excellents archers, qui constituent une bonne partie de l’infanterie et de la cavalerie lorsqu’elles se rendent à la guerre. Khalida Hassep Les Légions Aspic La Légion de Phakth Les Chevaliers du Temple d’Asaph La Charrerie de Settuneb La Légion du Cobra Les Gardes de la Tour d’Albâtre |
L’Armée de Mahrak de Tharruk[modifier]
Le Roi Tharruk a quitté Mahrak pour venir aider Khalida, même s’il n’emmène qu’une fraction des forces de sa cité. En réalité, Haptmose, Hiérophante de Mahrak, a trahi son Roi et a secrètement prêté allégeance à Nagash. Le Roi Tharruk Khuftah |