La Fin des Temps - Glottkin
LES OMBRES S'ÉTENDENT
Aucun mortel n’a jamais reçu plus de signes favorables de la part des Dieux Sombres qu’Archaon, le Roi aux Trois Yeux. La faille dans la réalité ouverte au sommet du monde scintille étrangement. Les uns après les autres, les osts Démoniaques se rassemblent au pied du trône de l’Élu des Dieux. Chacun d’eux est mené par un Démon Majeur exalté par la confiance que son maître a placée en lui. Ces seigneurs du Chaos immortels se sont agenouillés devant Archaon, preuve de l’importance de ce mortel dans le Grand Jeu.
En dépit de la bénédiction des quatre Puissances de la Ruine, Archaon prend son temps. Les tribus du nord ont déjà attaqué le Vieux Monde à plusieurs reprises par le passé, et même si elles ont à chaque fois provoqué de lourds dommages, elles ont toujours fini par être vaincues. L’Élu des Dieux sait que les clans disparates des Désolations Nordiques ne prêteront allégeance qu’à un chef incontestable, et que s’il meurt, ses armées se débanderont aussitôt.
Plus les signes de l’apocalypse sont nombreux, plus les armées des terres civilisées ont des chances de s’unir contre les forces du nord, et plus les chefs de guerre d’Archaon risquent d’être tués avant que l’heure de frapper soit venue. Et si les anciennes races des Elfes et des Nains combattent aux côtés des armées du Vieux Monde, la victoire deviendra incertaine. Ce n’est qu’en isolant chaque race civilisée que les Dieux Sombres peuvent l’emporter. Et avant toutes les autres, c’est la race des hommes qui doit être vaincue afin que les Dieux puissent transmuter le monde selon leurs désirs.
C’est sans doute là le plus grand défi d’Archaon, car il n’est pas le seul agent mortel des Dieux. Tout comme les Puissances de la Ruine ont leurs Champions, les divinités du Vieux Monde ont leurs propres prophètes et hérauts. Ils parlent aux vivants par l’intermédiaire de rêves et de visions, tandis que les présages qu’ils donnent guident la destinée des croyants. Les Dieux que les hommes appellent Sigmar, Ulric, Shallya, Taal ou encore la Dame du Lac jouent leurs atouts, et aident les peuples civilisés à se battre contre ceux qui souhaitent les détruire. Il ne s’agit plus de plans s’étalant sur des siècles, car l’existence de ces divinités est bel et bien en jeu. En conquérant l’univers matériel, Archaon cherche à affaiblir, voire à tuer les Dieux qui défendent le monde de l’ordre face au Chaos.
Le Roi aux Trois yeux n’est pas stupide au point de penser qu’il peut réussir seul. Ses maîtres attendent de lui qu’il écrase le monde sous sa botte ferrée, par conséquent Archaon ne compte pas commettre le péché d’orgueil, comme tant de ses prédécesseurs. Bien que les Vents de Magie soufflent plus fort que jamais, ses alliés Démoniaques ne peuvent rester indéfiniment dans le monde des mortels, c’est pourquoi Archaon a rassemblé une avant-garde constituée par des hordes de monstres et de sauvages du nord. Cette levée comprend d’innombrables vétérans sur lesquels il peut s’appuyer, contrairement aux Démons si versatiles.
Avant de partir pour le sud, Archaon prévoit d’affaiblir l’Empire par des ruses magiques, et en envoyant les porteurs de maux de Nurgle les plus doués afin d’ouvrir la voie. Il compte répandre les épidémies dans les royaumes des hommes, et les plonger dans l’anarchie. Une fois que cette croisade de l’entropie aura atténué le voile entre les mondes, Archaon lancera ses armées de Démons.
Le pacte magique qui lie Archaon à ses maîtres exige de lui qu’il amenuise la frontière entre le monde matériel et le Royaume du Chaos, et qu’il annonce l’aube d’un âge où les lois de la nature n’auront plus cours. L’Élu des Dieux désire réussir plus que tout, en répandant la folie et la terreur, bien que la seule gloire qu’il puisse en retirer est la destruction de toute chose.
La Fin des Temps se manifeste partout dans l’Empire. Chaque nuit, le ciel prend une teinte verdâtre. Morrslieb, pleine et immense, donne du crédit aux délires des fous. Même les érudits les plus rationalistes commencent à écouter les discours des prédicateurs.
Il plane dans l’air un sentiment inquiétant et indéfinissable. Il sape les pouvoirs des Sorciers et les sens des simples gens. L’Empire est plongé dans le désarroi. Des cavaliers arrivent à la Cour Impériale de partout dans le Vieux Monde et même au-delà, et chacun apporte des nouvelles plus sinistres que le précédent. La Tilée et l’Estalie ont été dévastées par des myriades de vermine marchant sur les pattes arrières. La vitesse à laquelle ces nations du sud ont été envahies témoigne d’un plan fomenté depuis longtemps, et exécuté impitoyablement. Les seigneurs d’Altdorf ont été forcés d’admettre que ces rumeurs d’hommes-rats sont non seulement fondées, mais qu’en plus leurs terriers s’étirent sous toute la surface du Vieux Monde.
La Sylvanie, une province qui avait toujours abrité des forces impies, a été engloutie par les ténèbres. Les croisés qui ont tenté de la libérer n’ont pas réalisé que cette région n’est que la première étape d’une stratégie à plus grande échelle. Ayant échafaudé un plan afin de restaurer la gloire de Nagash, les Mortarchs ont capturé neuf prêtres et prêtresses, et utilisé leur sang sacré pour célébrer un rituel qui a ressuscité le Grand Nécromancien.
Le premier acte de Nagash a été d’absorber les Vents de Magie de Mort qui soufflent en Sylvanie. Il s’est ensuite rendu vers le sud, à travers les Montagnes du Bord du Monde, et a utilisé son pouvoir pour soumettre ou détruire ses ennemis les plus anciens, les Rois des Tombes de Nehekhara. En l’absence de Nagash, les Mortarchs ont raffermi leur emprise sur l’Empire en levant des armées de cadavres dans toutes les provinces. Néanmoins, chacun des neuf Mortarchs poursuit ses propres objectifs. Ainsi, les Vampires Mannfred et Vlad von Carstein souhaitent soumettre à leur férule les royaumes des hommes, et ne reculeront devant rien pour y parvenir.
Enfin, des tribus qui vénèrent le Chaos n’arrêtent pas d’attaquer les frontières des royaumes civilisés. Elles ont déjà détruit le Kislev, et répandu le sang des innocents sur les plaines gelées en se taillant une route du nord au sud des terres de la Reine de Glace.
Les armées des Comtes Électeurs se sont rassemblées afin de repousser les envahisseurs, avec à leur tête Luthor Huss et Valten, son protégé. Les osts des impériaux ont ancré leurs défenses au Bastion Doré, une muraille érigée non pas grâce à la sueur des maçons, mais grâce à des enchantements.
Pourtant, si impressionnant que soit ce mur, il ne parvient pas à tenir en respect les vents de la contamination. La foi qui lui sert de mortier est érodée par les énergies qui tourbillonnent à ses pieds. Il est désormais si affaibli que les armées des Dieux Sombres y créent des brèches. Seul le vaillant sacrifice de milliers de soldats impériaux est parvenu à contenir la marée.
Comme toujours, le coût des victoires remportées contre les hordes du nord a été terriblement élevé. Lors du dernier affrontement majeur, Karl Franz a mené personnellement la Reiksguard lors d’une charge désespérée, et a creusé un sillon sanglant dans les rangs ennemis. Malheureusement, la bravoure de l'Empereur l’a mené à sa perte. En effet, au plus fort de la bataille, Karl Franz a fini transpercé par l’épée du Vampire Walach Harkon. Au grand désarroi de ses troupes, l’Empereur est tombé de la selle de son Griffon et a disparu au milieu de la horde du Chaos.
Suite à cela, le Reiksmarshall Kurt Helborg est retourné en toute hâte à Altdorf pour éviter que l’Empire sombre dans l’anarchie à cause de la perte de Karl Franz. Lorsqu’il a atteint le Palais Impérial, il a trouvé les conseillers de l’Empereur en train de se disputer, chacun essayant de poursuivre égoïstement ses propres buts. Le Graf Boris Todbringer veut enrôler tous les soldats de Middenheim pour partir traquer son ennemi juré, Khazrak le Borgne. Le Patriarche Suprême Gregor Martak du Collège d'Ambre clame pour sa part que les Hommes-Bêtes sont une menace plus grande encore que ce qu’affirme le Graf. Les Comtes Ludenhof[1] et Liebwitz cherchent à quérir l’aide des Elfes, des Nains, des Bretonniens, et même des Halflings du Moot, tandis que le Culte de Sigmar affirme que seule la foi peut encore sauver le royaume de Sigmar. Parmi tous ces nobles, bien peu réalisent qu’en refusant de parler d’une seule voix, ils divisent cet Empire qu’ils essaient pourtant de défendre.
Les ménestrels se plaisent à rappeler que jusqu’à présent, les forces du mal ont toujours été vaincues. Mais désormais, les forces de l’Empire sont pressées de toutes parts, car la guerre fait rage aussi bien sur les frontières qu’à l’intérieur des terres. Des cultistes et des Sorciers prêtent l’oreille aux murmures des Démons, des mages renégats rongent le cœur des villes qui les accueillent, et des chamans appellent à eux des alliés ignobles en vue du festin à venir. Chaque nuit, les bûchers des Répurgateurs illuminent le ciel ; malgré tout, ces zélotes ne peuvent que couper les branches basses de l’arbre de l’hérésie, car celui-ci s’est enraciné profondément et se nourrit des péchés des hommes.
Tandis que les citoyens du Vieux Monde luttent contre la violence qui les assaille, le nord se prépare à la tempête qui s’annonce. Une comète à deux queues survole le ciel arctique, en laissant derrière elle une traînée de runes fatidiques. Pour une fois, les tribus du nord sont unies, car même l’haruspice le moins doué peut lire le changement à venir.
Une guerre gronde, un type de conflit auquel l’Empire ne s’attend pas…
Sommaire
Chapitre I : L’AVÈNEMENT DES FRÈRES GLOTT - Été 2525[modifier]
Alors que Morrslieb pendait dans le ciel nocturne au-dessus des Désolations Nordiques, mille chamans chantaient à l’unisson. Leur mélopée était reprise en chœur par un million de Démons regroupés sur la toundra balayée par le blizzard. Chaque ost récitait des prières en l’honneur des Dieux Sombres, et les voix se mêlaient pour former une cacophonie qui mettait en transe les esprits des mortels.Ces chants impies étaient portés vers le sud par des vents surnaturels, jusqu’aux oreilles de ceux qui étaient sensibles à ces complaintes irréelles. Ainsi les graines de la démence étaient semées, et elles allaient germer à la lueur de la Lune du Chaos.
Le flot d’aliénés se dirigeant vers le nord enfla. Ils se joignirent aux tribus sauvages des terres septentrionales. Les traîtres ayant fui l’Empire s’unirent ainsi aux hordes qui se préparaient à l’assaillir, rapprochant peu à peu le plan d’Archaon de sa conclusion. Chacun des quatre Dieux du Chaos a choisi des champions humains afin de défendre ses intérêts dans le Jeu Divin. Partout dans le monde, certains se sont dédiés entièrement à leur Dieu, et ont gagné en retour des pouvoirs surnaturels. Archaon sait qu’il existe des légions de tels guerriers dans le nord, des hordes de combattants en armures de bronze dont les âmes appartiennent au Dieu du Sang, des osts voués aux sensations extrêmes que peut leur accorder le Prince du Chaos, et des cabales de cultistes qui vénèrent le Seigneur du Changement sous toutes ses formes. Bien que ces mortels affirment officiellement s’incliner devant le trône de l’Élu des Dieux, ce dernier sait qu’en réalité, ils sont dominés par leur prosélytisme.
Afin de s’assurer l’obéissance de cette masse hétéroclite, Archaon a choisi des chefs de confiance qu’il a envoyés au sud. Ces lieutenants ont juré allégeance à un seul Dieu, néanmoins il peut compter sur eux pour répandre la mort.
Au plus profond des égouts d’Altdorf, une silhouette progressait au milieu des immondices. Son corps était aussi mou et gras que les énormes sangsues qui frétillaient sous ses robes. Elle fredonnait une comptine désuète du Nordland.
« Un suceur de sang sans dents, replets de ses plaies, essuyé au mouchoir des afflictions données… » chantonna-t-il en enroulant le plus gros des annélides autour de son cou, telle une écharpe visqueuse. « Bonne maladie à vous ! » tonna une voix puissante. une tête de la taille d’une armoire et coiffée d’andouillers émergea lentement de la fange. Elle avait des yeux noirs pétillants, et affichait un large sourire baveux. « Maître Cornu… » dit la silhouette en robes. « Êtes-vous Ku’gath, le Père des Épidémies ? » « Bingo ! » répondit joyeusement le Grand Immonde, comme si son interlocuteur venait de trouver la réponse à une devinette. « Je suppose que vous êtes le bon docteur Fest ? » « Festus, mon cher ami, » répondit le docteur tout en esquissant une révérence. « À votre service. Je suis ravi de rencontrer enfin mon généreux mécène ! » « Et ce n’est que le début ! J’ai d’autres cadeaux pour vous. À commencer par un coryza virulent, qui se multiplie déjà dans les narines du nord… » « Vraiment ? Qui va m’apporter cette délicieuse affliction ? » « Les Triplés ! » souffla Ku’gath avec un air de conspirateur. « C’est moi qui ai suggéré leur nom à l’Élu, avant de lui offrir trois des amphores de la collection de Grand-Père. Il est temps que la vie foisonne ! » dit-il en ouvrant les bras et en aspergeant Festus d’excréments. « Quel sera mon rôle ? » s’enquit ce dernier en essuyant les déjections dans ses yeux. « Il faut apprêter cette ville, en faire un terreau fertile ! » Festus sourit en imaginant ce que cela signifiait. |
Valkia, la championne de Khorne, a déjà assailli les terres de Naggaroth à la tête de la Horde Sanglante. Sur les rivages de Kislev, Sigvald le Magnifique a impressionné Slaanesh avec des actes de débauche toujours plus imaginatifs. Les armées de Tzeentch sont menées au sud par Vilitch le Maudit, même si en réalité ni Archaon, ni Vilitch ne sais qui dupe l’autre au sein de la toile tissé par l’Architecte du Destin. Seuls les serviteurs du Dieu de la Peste n’avaient plus de chef depuis la mort de Festak Krann au pied du Bastion Doré. Toutefois, la vigueur et la puissance des germes propagés par Nurgle devaient être dirigées par une volonté unique pour qu’Archaon parvienne à précipiter la fin du monde.
L’Élu des Dieux comprenait le Grand Jeu mieux que n’importe quel mortel. Sans un chef de guerre pour représenter les intérêts de Nurgle, l’union des quatre Dieux recherchées par Archaon risquait de s’effondrer. Il était vital de trouver quelqu’un pour servir de héraut au Seigneur de la Déchéance. Archaon rassembla ses cavaliers les plus rapides et les envoya à la recherche d’un champion capable d’apporter la gloire éternelle à Nurgle. Chaque jour, des rumeurs faisant état d’un nouveau seigneur de guerre arrivaient, le prétendant étant toujours plus putride que celui de la veille. Pourtant, leurs ambitions se bornaient au pouvoir temporel, et à la gloire au combat. L’ère à venir nécessitait un seigneur à la vision éclairée.
Ce ne fut pas un messager mortel qui présenta à Archaon l’élu qu’il recherchait. Alors que Morrslieb pendait comme un fruit pourri au-dessus de la steppe gelée et que la comète à deux queues poursuivait sa route dans le ciel, Ku'gath le Père des Épidémies apparut devant le trône de l’Élu des Dieux. Il apportait des présents de la part du Seigneur de la Déchéance en personne, trois amphores en céramiques contenant chacune une maladie capable d’affecter non seulement les hommes, mais aussi la terre et le ciel.
Suite à l’apparition de Ku’gath, Archaon s’enfonça dans les Désolations Nordiques. Désormais, il savait exactement sur quels champions mortels Nurgle avait posé le regard : les étranges triplés qu’on nommait simplement les frères Glott.
L’esprit affûté d’Archaon avait commencé à imaginer un plan audacieux. Il allait envoyer les frères Glott dans le Vieux Monde, aux côtés des plus ambitieux seigneurs de guerre qu’il pourrait trouver. Les tribus trop indociles ou impatientes formeraient l’avant-garde de l’armée. Les frères Glott recevraient le commandement de cette première vague d’invasion, divisée en trois forces. Chacune d’elle se verrait confier une des amphores offertes par Ku’gath. Ainsi, elles seraient emmenées au cœur de l’Empire par les osts de Nurgle avant de répandre leurs miasmes terrifiants.
C’est grâce à cette avant-garde d’adorateurs de Nurgle qu’Archaon pourrait tester les défenses des nations civilisées. Les épidémies allaient ravager leurs terres, si bien que les fils des Dieux de l’ordre seraient forcés de lancer toutes leurs forces dans la bataille, et de subir des pertes irréparables. Ce premier assaut serait si dévastateur qu’il ouvrirait la voie pour la suite de la conquête. Celle-ci finirait par s’étendre au monde entier, car une fois la race des hommes exterminée, les Elfes et les Nains seraient isolés et incapables de faire face au Chaos.
Dans le cas où l’attaque des frères Glott aurait un succès trop retentissant, Archaon se dirigerait vers le sud pour porter personnellement le coup de grâce à l’Empire. Au contraire, si les triplés étaient repoussés, ils provoqueraient dans tous les cas de tels dégâts que la Terre de Sigmar serait incapable de survivre à l’assaut suivant. L’esprit fourmillant de visions de massacres, Archaon enfourcha Dorghar, le destrier de l’Apocalypse, et s’en alla à la rencontre des champions que Nurgle avait choisis.
Une autre vague de Nordiques gravit la colline rocheuse vers les trois silhouettes qui se découpaient sur la crête. Otto Glott observait depuis le péristyle dallé de pierre du temple qui couronnait l’éminence, et sourit en voyant les guerriers aux masques couverts de sang qui se dirigeaient vers lui. Un tapis de corps tatoués s’étendait entre les colonnes du temple, et formait de-ci de-là des monticules de cadavres plaisants. Il gratta nonchalamment sa nuque couverte de croûtes galeuses.
« Venez, mes chers et sanguinaires amis ! » s’esclaffa-t-il. « Moi et mes frères serons heureux de vous envoyer dans la tombe ! » Il émit un rire gras. Ces soi-disant Pillards Rouges s’imaginaient que les frères Glott allaient se fatiguer, que les enfants chéris de Nurgle allaient finir par être submergés par le nombre. Ces Maraudeurs étaient vraiment stupides. Otto posa sa faux rouillée sur son épaule, ôta son casque et cracha un jet de salive, de sang et de mucus en direction du plus gros Nordique. L’amas de glaires l’atteignit à l’œil en produisant un bruit écœurant. La brute enragée bondit en avant en rugissant de colère. « Si prévisible… » dit Otto en haussant les épaules avant de remettre son casque et d’abattre sa faux. La tête du Nordique fut détachée de ses épaules et sauta comme un bouchon de champagne. Le corps décapité tomba en arrière, rebondit contre un pilier et s’affaissa au milieu de la masse de guerriers qui le talonnaient. Les candidats suivants arrivèrent bientôt. Leurs torses musculeux furent éventrés jusqu’à la colonne vertébrale lorsqu’Otto fit décrire des arcs redoutables à son arme. « Vous pensez vraiment que votre Dieu obtus est plus fort que Grand-Père Nurgle ? » leur cria Otto. « Aujourd’hui, les frères Glott vont vous prouver la faiblesse de Khorne ! » Otto se campa sur ses deux pieds et se prépara à recevoir la charge des Nordiques qu’il venait d’insulter. À côté de lui, son frère Ethrac brandit son bâton de bois noueux.« Le sang doit couler, leurs corps convulser… marmonna le Sorcier d'une bouche pincée. » « Leurs ossements piqués seront leurs seuls trophées ! » |
Quelques instants plus tard, plusieurs Nordiques s’élançant vers Otto ralentirent dans leur course, et furent parcourus d’un grand frisson avant d’exploser dans des gerbes de sang. Des esquilles d’os volèrent dans les airs et s’enfoncèrent dans les corps nus des guerriers suivants.
« Ghurk, montre-leur tes talents, » dit Otto. Une poignée de secondes plus tard, la montagne de muscles et de graisse qu’était Ghurk Glott s’abattit sur les survivants. Ses bras déformés laminaient les Nordiques. Le frère d’Otto et d’Ethrac avait beau être un gros tas de viande avariée aussi agressif qu’un aurochs, le voir passer sa colère sur ses ennemis faisait toujours sourire Otto. Il fit dégringoler deux guerriers pendant que Ghurk aplatissait un cavalier et sa monture en s’asseyant dessus. L’ennemi recula en désordre. Otto sourit en voyant la main d’un ex-futur champion de Khorne dépasser du postérieur de Ghurk. « Finissons-en, mes frères ! » s’exclama Otto en faisant signe à Ethrac de le rejoindre. Il bondit sur les larges épaules de Ghurk, en éventrant au passage un groupe de guerriers qui lui barrait le passage. « ASSEZ ! » La voix tonitruante produisit un écho si assourdissant qu’elle éclipsa les cris des mourants et des blessés pendant de longues secondes. Otto hésita. Les pillards stoppèrent net dans leur élan. L’autorité irrésistible de cette voix venait de balayer leur rage en un instant. Les Nordiques s’écartèrent, la tête basse, et laissèrent un chemin libre vers le sommet. Au pied de la colline, Otto et ses frères aperçurent une silhouette d’une telle majesté qu’ils s’inclinèrent instinctivement. Archaon, le Seigneur de la Fin des Temps, était arrivé. |
Les frères Glott retournèrent à la tribu des Fjordlings juste avant l’aube. Ils avaient cherché à attirer le regard des Dieux au Temple de l’Homme Mort, mais au lieu de cela, ils avaient reçu la bénédiction d’Archaon en personne. Il avait chargé les triplés de mener trois forces d’invasion au cœur du Vieux Monde. Chacune de ces armées avait reçu une amphore remplie de miasmes contaminants. Il ne restait plus qu’à rassembler les troupes et à se mettre en route aussi tôt que possible.
Progressant à travers le campement des Fjordlings sur les épaules de Ghurk, Otto alla décapiter son rival Eofric le Géant au moment où ce dernier sortait de sa tente. Otto empala sa tête sur la pointe de sa faux et attacha sa tresse blanche autour du manche, puis il la brandit bien haut. Pour ça part, Ghurk avala goulûment le cadavre d’Eofric sous le regard circonspect des anciens de la tribu. Personne n’osa s’interposer.
La rumeur du retour des frères Glott dans les fjords de Norsca se répandit rapidement. De toute façon, la plupart des chamans et des prêtres des runes l’avaient déjà prédit. Tous soutenaient les visées hégémoniques des frères Glott, arguant qu’ils avaient été bénis par Nurgle et par l’Élu des Dieux. Beaucoup de tribus se rallièrent à eux sans hésiter, avides de profiter du carnage à venir. Des dizaines de bandes de guerre dévouées à Nurgle rejoignirent également la tribu des Fjordlings, en espérant avoir l’occasion d’apporter les faveurs de leur Dieu aux misérables humains des terres méridionales. Depuis le ciel, les routes tracées par les tribus qui convergeaient vers les frères ressemblaient à une étoile à huit branches.
Les Triplés n’étaient que trop heureux de trouver de tels alliés. Les trois frères s’aimaient, mais il leur arrivait fréquemment de se disputer vertement pendant leurs errances, aussi la présence de nouveaux amis n’était pas pour leur déplaire. L’essentiel du temps, Ethrac parlait par énigmes, et adorait utiliser des mots et des concepts que ses frères ne comprenaient pas. Otto mettait un point d’honneur à rappeler sans cesse qu’il était l’aîné, même s’il n’était sorti du ventre de sa mère que quelques minutes avant les deux autres. Il se considérait comme un visionnaire, et comme le chef de sa fratrie, ce qui suscitait l’agacement d’Ethrac. Quant à Ghurk, la plupart des sons qui sortaient désormais de sa bouche étaient des mâchonnements. Il était autrefois le plus chétif de la fratrie, mais il avait tellement grossi à force de manger de la viande crue que ses frères avaient pris l’habitude de monter sur son dos au combat. Ils étaient ravis du destin de Ghurk, car avant de vendre son âme à Nurgle, il avait été un jeune homme à la beauté exquise, dont le sourire faisait tomber en pâmoison toutes les femmes d’Urfjord à l’Île aux Baleines. Cependant, cette époque était révolue. Depuis qu’il s’était voué à Nurgle, Ghurk était devenu un monstre à l’appétit insatiable.
En dépit de leurs frictions, les trois frères rassemblèrent de nombreuses tribus. Des dizaines de bandes de guerre leur jurèrent allégeance, et plantèrent trois clous dans les hampes de leurs bannières pour le prouver. Les frères Glott allèrent ensuite forger une alliance avec Gutrot Spume, le Seigneur des Tentacules, en capturant une Mutalithe à Vortex et en la traînant jusque dans l’immense cage thoracique qui lui servait de repaire. Spume sacrifia le monstre à Nurgle en l’immolant sur un bûcher, et affirma que cela leur assurerait des vents favorables. C’était une excellente nouvelle, car même si Gutrot Spume avait plusieurs milliers de guerriers sous ses ordres, c’était de sa flotte que les frères avaient besoin. La rumeur prétendait qu’il y avait plus de navires dans la flotte de Gutrot Spume que de Trolls des Glaces dans le Fjord de la Serre. Elle était au mouillage sur le rivage de la Mer des Griffes, ce qui était idéal pour les frères Glott, car leurs armées d’invasion allaient avoir besoin de tous les navires disponibles au cours des semaines à venir.
Les Nordiques levèrent l’ancre une semaine plus tard. Les tribus qui avaient suivi les frères Glott jusque sur le rivage étaient innombrables ; des Graelings, des Bjornlings, des Skaelings, des Vargs, des Baersonlings, des Aeslings, des Sarls… Ethrac impressionna tout le monde en montrant qu’il connaissait par cœur toutes les bannières et tous les symboles des tribus, même si en réalité, à la fin, même lui ne s’y retrouvait plus. La moindre tribu dans un rayon de cent lieues s’était jointe aux frères Glott.
Les derniers à arriver furent les Monteurs de Vers du Pic de la Corne de Glace. Ils chevauchaient les monstres aveugles qui hantaient les cavernes de leurs domaines souterrains, et même s’ils n’étaient pas nombreux, ils n’en étaient pas moins redoutables. Ils étaient visiblement favorisés par Nurgle, à en juger à leurs faciès goitreux et aux cornes moussues qui avaient poussé sur leurs fronts. Et si quiconque était sceptique, les ventres distendus et aux entrailles pendantes de leurs montures, ainsi que leurs gueules écumantes de rami, ne laissaient planer aucun doute sur leur allégeance. Ils étaient commandés par Orghotts Daemonspew, un guerrier cornu célèbre pour l’ichor Démoniaque qui coulait dans ses veines. Les frères Glott furent si impressionnés par le potentiel de destruction des Monteurs de Vers qu’ils proposèrent à Orghotts de prendre le commandement de la troisième armée, celle destinée à attaquer l’Empire par l’est. Orghotts cracha un jet de salive aux relents de soufre dans la paume de sa main, avant de serrer celle d’Otto. Les frères avaient ainsi trouvé les deux seigneurs de la peste qui leur manquait. Avec les triplés, ils formeraient l’état-major des trois forces de Nurgle, autant que les cercles formant le symbole de leur divinité.
Alors que les tribus embarquaient sur ses navires à l’ultime Fjord, il devint évident pour tout le monde que non seulement les vaisseaux de Gutrot étaient pourris de la cale au mât, mais qu’il s’en dégageait en plus des odeurs pestilentielles. Toutefois, cela ne gênait pas les fils de Grand-Père Nurgle, car la vénération de leur Dieu les avait immunisés à la pire des puanteurs. Le navire de la peste du Seigneur des Tentacules se nommait la Bête Pourrie. Ce soir-là, il fendit les vagues à la tête de l’escadre, laissant derrière lui un sillage de pollution. Depuis son poste d’observation sur le château avant du Loup Vert, Otto jura qu’il avait vu quelque chose s’agiter à travers les trous dans la coque de la Bête Pourrie.
La Mer des Griffes était dangereuse. Elle était infestée de monstres abyssaux capables de réduire en miettes une caraque. Pire encore, au cours des dernières décennies, elle était devenue le terrain de chasse des flottes voilées de brume d’Ulthuan. Les amiraux de Finubar le Voyageur, qui figuraient parmi les meilleurs du monde, traquaient les vaisseaux loups des Nordiques dès qu’ils tentaient de pénétrer dans le Grand Océan.
En naviguant par cabotage, la flotte de la peste pouvait échapper à l’attention des Hauts Elfes, mais ce faisant, elle se mettrait à portée des forts côtiers et des tours de guet bardés de canons qui protégeaient les rivages du Nordland, c’est pourquoi Otto et Ethrac étaient d’avis de tenter une traversée et de fuir toute apparition de la flotte d’Ulthuan. Toutefois, le Seigneur des Tentacules refusa une telle couardise. Sa flotte était la plus puissante de Norsca. Elle bénéficiait d’une sorcellerie redoutable, et il ne comptait pas se laisser impressionner par la menace des Asur. Il fit mander ses acolytes Sorciers, et entonna une incantation que même Ethrac ne comprit pas totalement.
Alors que la flotte était en haute mer, des nappes de brume blanche apparurent au-dessus des vagues, à quelques encablures. Des navires à la silhouette élancée voguaient à travers ce brouillard. Leurs coques aux proues en forme de rapaces étaient à peine visibles. Plusieurs bruits sourds résonnèrent au milieu des grincements du Loup Vert et des gémissements des rameurs perclus de maladies. Trois traits de baliste étaient venus se planter sur le bastingage. D’autres ne tardèrent pas à siffler et vinrent empaler les vigies perchées dans les nids-de-pie.
Une odeur immonde apparut dans la brume qui s’immisçait au milieu de la flotte de la peste. Sept piliers de brouillard verdâtre s’élevèrent du navire de Gutrot Spume et s’animèrent tels des serpents, et se dirigèrent à travers la brume blanche comme des prédateurs. Les frères Glott regardaient avec satisfaction ces tentacules adopter une forme de plus en plus tangible. On entendit des ordres criés au niveau des bateaux Elfiques, et une seconde plus tard, des volées de traits filèrent vers les tentacules. Cependant, les projectiles les traversèrent sans provoquer le moindre dommage avant de s’abîmer dans l’onde. Les tentacules étaient désormais proches des premiers vaisseaux aigles. Ils enserrèrent les membres d’équipage et les étouffèrent. Bientôt, les ponts des navires furent jonchés de cadavres.
Un des vaisseaux d’Ulthuan s’approcha pour tenter un abordage, toutefois il fut intercepté par une masse de pseudopodes qui jaillirent de la Bête Pourrie. Ils brisèrent les mâts et les ponts du bateau, et précipitèrent des dizaines d’Elfes dans les eaux glaciales. Un des tentacules fut tranché par un coup d’épée adroit, cependant les autres redoublèrent d’agressivité. Le navire fut réduit en miettes, et les survivants de la flotte Elfique tournèrent les talons avant de disparaître dans la brume, aussi vite qu’ils étaient apparus. Les frères Glott brandirent leurs armes afin de saluer la victoire magique de Gutrot Spume. Finalement, la marine des Elfes ne représentait pas un grave danger. Nul doute que les défenseurs de l’Empire ne feraient guère mieux face aux serviteurs de Nurgle.
Le lendemain de la bataille entre la flotte des Elfes et l’armada de la peste, cette dernière se sépara en trois flottes distinctes. La première emmenait une armée sous le commandement des frères Glott, et ses navires se dirigèrent vers la cité marchande de Marienburg. La seconde embarquait les guerriers d’élite de Gutrot Spume et vogua vers le Nordland. Elle avait pour mission d’emprunter la Vieille Route des Nains en direction d’Altdorf. La troisième fit route vers le Golfe de Kislev. Son amiral, Orghotts Daemonspew, avait prévu de débarquer près d’Erengrad puis d’emmener ses cavaliers au cœur de l’Empire. Grâce à ces trois axes d’invasion et aux amphores méphitiques que les armées emportaient, les frères Glott allaient non seulement répandre des épidémies à travers les terres, mais ils allaient également forcer les osts de l’Empire à se répartir sur un vaste front. Une fois qu’ils auraient obtenu une brèche dans les défenses, ils comptaient faire converger leurs trois hordes vers la capitale pour Geheimnisnacht. Ethrac suspectait que le Seigneur de la Déchéance lui-même jouait un rôle dans ce plan, et que ses agents les plus fidèles étaient en ce moment même en train de mener leurs activités secrètes au cœur d’Altdorf. En effet, Nurgle voulait s’approprier cette cité, et ce qu’elle incarnait.
Alors que l’hiver 2 525 cédait la place au printemps, la flotte des frères Glott quitta les côtes de Norsca et chercha un lieu où accoster. Bientôt, les vigies repérèrent à l’horizon les mâts de la flotte de Marienburg au mouillage dans le port, et les silhouettes des grues à vapeur. Marienburg était devenue puissante grâce au commerce maritime vers la Lustrie, Ulthuan et au-delà. Alors qu’ils se rapprochaient de Marienburg, les envahisseurs se mirent à chanter et à frapper leurs armes contre leurs boucliers, avides du carnage à venir.
Les cloches sonnèrent au sein de la cité lorsqu’elle repéra les mâts des bateaux des frères Glott. Des dizaines de détachements sortirent de leurs garnisons et se rassemblèrent sur les places et les quais, aux côtés des mercenaires et des miliciens. Les bannières flottaient dans le vent pestiféré qui soufflait dans les voiles de la flotte de Nurgle. Aux abords de la baie, les capitaines de la flotte marchande firent tirer les bordées de leurs vaisseaux, espérant ainsi gagner du temps pour les armées qui se rassemblaient dans la ville. Les boulets de canon traversèrent facilement les coques pourries des navires de la peste, cependant ces derniers étaient d’une résistance surnaturelle, et bien peu furent coulés.
Les frères Glott étaient implacables, aussi bien sur terre que sur mer. Le Loup Vert força le cordon de navires qui tentait de lui bloquer le passage. Derrière lui, le reste de la flotte déchaînait ses propres canonnades contre les vaisseaux chargés de défendre l’entrée de la rade. Des grues à vapeur précédemment dérobées sur des navires de la cité marchande furent ensuite utilisées. Elles avaient été modifiées afin d’envoyer leur énorme crochet relié à une chaîne à plus d’une encablure. Ces projectiles improvisés furent lancés les uns après les autres vers les vaisseaux de Marienburg. La plupart manquèrent leur cible, mais quelques-uns défoncèrent les ponts des navires qui défendaient la baie et s’agrippèrent fermement à leur coque. Avec une lenteur terrifiante, les vaisseaux de la peste se mirent alors à traîner vers eux ces bateaux pris au piège, tels des pêcheurs remontant leur filet. Les canons des Marienburgeois continuaient désespérément de tirer. L’air s’emplit de la fumée âcre de la poudre noire. Cependant, à chaque fois qu’un boulet forait un trou dans la coque d’un vaisseau de la peste, il en suintait un mucus épais qui se solidifiait aussitôt et refermait la voie d’eau.Les navires incrustés de bernicles continuaient de tirer les bateaux de Marienburg avec une lenteur cauchemardesque. Finalement, ils furent suffisamment proches pour lancer les grappins d’abordage. Même le marin le plus expérimenté n’était pas de taille face aux champions du nord en armures lourdes, si bien que les vagues se colorèrent de rouge sang lorsque les Marienburgeois furent massacrés. Des poissons carnivores se rassemblèrent autour des navires pour profiter du festin, mais ils périrent eux aussi rapidement à cause des miasmes propagés par la flotte de la peste. La mer fut bientôt constellée des ventres distendus et blancs des poissons morts.
À bord du Loup Vert, les frères Glott éprouvèrent un doute en apercevant les murailles de Marienburg qui tombaient à pic dans la baie. Ils n’avaient pas anticipé de telles défenses, car on disait dans le grand nord qu’il était aussi simple se s’emparer de la cité que d’un fruit mûr tombé de l’arbre. Pourtant, ces murailles étaient aussi robustes que les maçons Nains qui les avaient érigées plusieurs siècles plus tôt. Elles protégeaient les docks, et au-delà se trouvait la cité elle-même, une île de civilisation perdue au milieu d’une région marécageuse. Le seul passage dans le mur était une ouverture étroite nommée l’Ostport. Elle était protégée par autant de canons que toute une forteresse. Le mur avait été bâti de façon à résister aussi bien aux colères de l’océan qu’à celles des habitants des abysses.
Des volutes de fumée apparurent sur les remparts lorsque les batteries de canons ouvrirent le feu contre la flotte de Norsca. Les boulets filèrent en sifflant et, une seconde plus tard, ils déchirèrent les voiles, trouèrent les coques et réduisirent en miettes les navires les moins résistants. Un brick capturé s’approcha de la muraille et lança ses grappins vers le parapet, mais avant qu’un seul membre d’équipage ait pu débuter son ascension, la salve d’un Canon Feu d’Enfer produisit une traînée de geysers à la surface de l’eau, puis atteignit le pont du navire et le coupa en deux. Les marins furent obligés de sauter à l’eau, et ceux qui ne purent s’accrocher à un débris finirent noyés à cause du poids de leur équipement.Ethrac marmonna d’étranges syllabes en posant l’amphore offerte par Archaon sur la cuiller de la plus grande catapulte de siège du Loup Vert. Il se tourna alors vers ses frères, les yeux pétillants de malice. Ils étaient impatients de voir les effets de la générosité de Nurgle. Ghurk tira avec la force de dix hommes sur le bras de la catapulte. Il le lâcha brusquement, et l’amphore fut projetée au loin. Elle passa au-dessus des murailles en laissant derrière elle une traînée de fumée méphitique, puis disparut de la vue des Nordiques.
L’odeur humide d’une végétation exubérante emplit l’air quelques secondes à peine après que l’amphore se fût brisée sur les quais. Ethrac gloussa de plaisir tandis qu’Otto riait à gorge déployée. Les défenses de Marienburg étaient rapidement recouvertes par un tapis de végétation sombre. Des plantes délétères envahissaient les murs à une vitesse surnaturelle. L’odeur douceâtre de la mousse vint éclipser peu à peu la salinité de l’air marin. Les Nordiques regardaient d’un air médusé tandis que la muraille se fissurait lentement, jusqu’à ce que des pans entiers s’effondrent dans la mer. La végétation Démoniaque avait introduit ses racines dans les plus petites fissures du mur pour en désolidariser les pierres. Une mousse noire recouvrait tout avec une rapidité foudroyante, détruisant en quelques minutes un ouvrage qui aurait pu résister sans broncher à plusieurs millénaires d’érosion. La végétation se répandit même à la surface de l’eau en formant des îlots moussus et noirs. Les quais en étaient totalement envahis. Les navires de la peste se frayèrent un passage au milieu des îles moussues, jusqu’au port. Ils abaissèrent alors leurs rampes et une armée de déments et de monstres se déversa dans Marienburg.
L’acier étincelait dans toutes les rues du Suiddock. Les régiments d’infanterie piétinaient le tapis de mousse qui avait envahi leur ville alors qu’ils prenaient position aux carrefours et sur les places stratégiques. Derrière eux s’étirait un dédale de ruelles et de placettes pavées qui menaient aux halls des guildes de commerce et aux maisons des riches marchands. L’avance de la flotte de la peste vers le port avait été d’une lenteur implacable, si bien que les bourgmestres avaient eu le temps de planifier leurs défenses. Au niveau des docks, les sifflets des boscos Marienburgeois retentissaient pour rassembler les troupes. Des soldats aux uniformes chamarrés s’alignaient pour défendre le port. Ils étaient suivis par des dizaines de compagnies, chacune progressant sous une bannière qui clamait ses talents martiaux. D’autres encore parcouraient les rues au-delà, et se dispersaient afin de bloquer tout ennemi qui réussirait à effectuer une percée à travers les nombreux régiments établis sur les quais. Lorsque les tribus de Norsca débarquèrent enfin, les docks étaient occupés par un mur de lames. Néanmoins, contre la fureur des hommes du nord, aucune défense n’était inviolable.
Après avoir passé des semaines en mer, chaque Nordique était avide de se défouler contre les Marienburgeois. Ils chargèrent droit devant, sans obéir à la moindre discipline, les haches brandies et en hurlant leurs cris à la gloire des Dieux. Plusieurs centaines périrent en quelques minutes face à la mitraille des canons et aux balles des arquebuses. Pendant que cette première vague se brisait contre les défenses, d’autres navires de la peste débarquaient leurs cargaisons de guerriers enragés sur les quais. Les Nordiques sautaient par-dessus le bastingage sitôt que leur bateau avait accosté. Ils étaient si nombreux qu’ils ressemblaient à de l’écume bouillonnante débordant d’un chaudron. Ils atterrissaient lourdement sur les planches envahies de mousse qui commençaient déjà à pourrir. Ceux qui ne se cassaient pas une cheville couraient immédiatement vers l’ennemi, et finissaient empalés par les lances des soldats qui les attendaient de pied ferme. Même lorsque les champions en armure des tribus se ruaient au combat, ils étaient accueillis par des pointes de hallebardes qui s’immisçaient dans les failles de leurs harnois pour les empaler ou leur crever les yeux.
Fièrement dressés sur le pont du Loup Vert, les frères Glott ordonnèrent qu’on amène leurs armes secrètes : des sacs organiques et frétillants qui avaient été ramassés dans la cage où Ghurk avait effectué l’essentiel du voyage. Chacun de ces sacs translucides contenait une créature qui avait été autrefois un homme, avant qu’il soit ingurgité par Ghurk et rejeté sous la forme d’un être horrible. Au commandement d’Otto, les grues fixées au pont du Loup Vert furent détachées des catapultes de siège. Les sacs furent placés dans les cuillers des machines de guerre. Les Jarls devaient s’y mettre à plusieurs pour transporter ces lourds projectiles qui gigotaient sans cesse.
Les catapultes projetèrent au loin leur chargement, qui passa au-dessus de la ligne de front avant d’atterrir dans les rues au-delà. Seuls quelques Marienburgeois furent atteints par ce bombardement, et finirent écrasés sous le poids des projectiles. Cependant, leurs camarades étaient obnubilés par le combat qui faisait rage devant eux, et ils continuèrent d’avancer à travers les rues du Suiddock en ignorant les amas de membres désarticulés qui venaient d’atterrir à proximité. Ce fut une erreur fatale. Les sacs qui avaient atteint la boue saumâtre des égouts absorbèrent les immondices liquides, décuplant ainsi leur volume. Finalement, ils explosèrent lorsque leurs occupants revigorés en jaillirent. Les créatures distordues ouvrirent des gueules béantes et garnies de crocs, puis hurlèrent vers les cieux indifférents avant de se jeter sur les Marienburgeois éberlués.
Un rugissement fanatique résonna au-dessus des eaux du port alors que l’avant-garde des Nordiques redoublait d’efforts. Des centaines de tueurs en armures de plates et équipés de hallebardes cruelles arrivèrent au combat. Les tribus de Maraudeurs abattaient sauvagement leurs fléaux sur les boucliers des défenseurs. La confusion provoquée par l’attaque inattendue des Enfants du Chaos fut dévastatrice, ainsi que les frères Glott l’avaient espéré. Les cris de terreur en provenance des lignes arrières firent flancher les Marienburgeois qui affrontaient les Nordiques dans la mêlée. Finalement, ce fut la charge des élus de Nurgle qui les mit en déroute. L’anarchie s’installa sur les deux rives du Reik tandis que des créatures mutantes et des guerriers tribaux semaient la mort. Les attaquants obtinrent de nombreuses percées, et leurs hordes barbares se déversèrent dans les rues sans que nul ne puisse les stopper. Les soldats de Marienburg comptaient sur la discipline pour l’emporter, et suite à l’assaut dévastateur des frères Glott, il ne leur en restait guère.Ethrac se concentrait et tremblait sous l’effort tandis qu’il préparait un sortilège. Il leva la tête et hurla vers le ciel. Un nuage vert sombre s’échappa alors de sa bouche, et s’épaissit avant de dériver lentement vers les docks. Hochant la tête en signe d’approbation, Otto frappa le pont en bois à trois reprises avec sa semelle ferrée. Quelques secondes plus tard, Ghurk s’extirpa de la cale du Loup Vert dans une pluie de bois et atterrit sur le quai. Le mutant avait encore grossi au cours de leur voyage à travers la Mer des Griffes, et était désormais aussi haut que les maisons de pêcheurs qui s’alignaient sur les rives de la baie. Otto prévint Ghurk d’un simple mot avant de passer par-dessus le bastingage et d’atterrir sur ses épaules. Il leva alors fièrement sa faux, afin que tous ses guerriers puissent le voir. Ghurk grommela de mécontentement mais Otto l’ignora et fit un signe à Ethrac. Le Sorcier s’envola, comme s’il était porté par une main immatérielle, et vint se poser à côté d’Otto.
Au-dessus d’eux, le nuage qu’Ethrac avait invoqué se mit à dégorger une pluie noire sur les troupes qui marchaient dans la Suidstrasse. Au début, seuls quelques-uns tombèrent à genoux en crachant du sang. Puis de plus en plus s’écroulèrent. Ces victimes avaient la peau qui se couvrait de bubons, puis ceux-ci s’étendaient à leurs langues et leur tuméfiaient les paupières. Le commandant du régiment beugla des ordres pour tenter de restaurer l’ordre, en vain.
Le rugissement de la bataille et le crépitement des incendies s’entendaient jusque sur les hauteurs de Marienburg. Le tintement de l’acier contre l’acier, les cris de panique et les hurlements des blessés étaient portés par les vents fétides et résonnaient dans les oreilles de Mundvard le Cruel.
« Quel désordre ! » cracha le Vampire. Son visage était aussi ridé qu’un vieux pruneau. « Je déteste ces bruits. C’est inadmissible ! » « Vous avez raison, mon cher, » répondit une dame hideuse mais bien apprêtée qui sortit des ombres. « Cependant, l’idée d’être les sauveurs de cette ville n’est-elle pas romantique ? Quel plaisir de lâcher vos hordes contre ces Nordiques plutôt que contre nos concitoyens ! » « Ce n’est pas la question, Alicia, » siffla Mundvard. « Cela m’oblige à anticiper mon coup d’état, vous le savez bien. Je prends un risque en révélant mes armées dès maintenant, alors ne jouez pas avec mes sentiments, car ma patience a des limites. » Le temps leur était compté. L’odeur de brûlé empirait, et l’étrange mousse noire apportée par les Nordiques avait déjà commencé à se propager à la charpente de leur demeure. Mundvard fit signe à sa consort d’approcher d’un air impatient. Elle lui tendit la petite boîte à fermoir qui contenait leur plus grand trésor. Elle recula avec révérence tandis que Mundvard sortait le Tome Noir. « Dois-je convoquer les Dames Blanches ? » s’enquit Alicia. « Voire… la Bête ? » « Les deux, ma chère, » répondit gravement Mundvard. « D’ailleurs, convoquez-les tous. Même si cela me coûte de le dire, le temps des supercheries est terminé. L’heure de la guerre est arrivée. » |
Ghurk percuta les Marienburgeois avec la force d’un météore. Ses frères s’accrochaient à ses cornes pour éviter de tomber. Une dizaine de soldats déjà affaiblis par la maladie foudroyante finirent piétinés ou écrasés par ses bras immenses. Son membre ayant l’apparence d’un tentacule dévastait aussi bien les rangs des ennemis que les étals des échoppes. Les quelques survivants tentèrent d’échapper au monstre. L’un d’eux parvint à regagner les lignes arrières où se trouvaient les troupes de réserve, constituées pour la plupart de mercenaires. Ceux-ci furent horrifiés de le voir vomir un mélange de pus et de sang.
Otto arrima une de ses jambes à une des cornes sur le dos de Ghurk, puis se pencha en abattant sa faux. La lame décapita un homme et en égorgea un autre. L’arme prenait la vie d’un Marienburgeois dès qu’elle frappait. Pendant ce temps, l’immonde nuage d’Ethrac continuait de dériver en déversant une pluie mortelle sur les toits et les rues de la ville. La toux glaireuse des soldats infectés résonnait partout où les fluides corrompus tombaient en pluie. Cependant, le son qui ravissait le plus les frères Glott était le cri désespéré des mercenaires qui fuyaient devant eux : « la peste ! » s’écriaient-ils, et ce mot était une arme plus redoutable que toute une armée.
Alors que la rumeur de l’épidémie apportée par les envahisseurs enflait, la ligne arrière des défenseurs commença à vaciller. Pire encore, la mousse qui recouvrait la ville avait été revigorée par le sortilège d’Ethrac. Elle commençait à se répandre non seulement sur les vêtements et les uniformes des soldats, mais aussi sur leur chair, qui devenait alors translucide, et laissait apparaître un réseau de veines noires et malades. Soudain, comme si elles obéissaient simultanément à un ordre silencieux, les compagnies qui venaient renforcer la ligne de front sombrèrent dans la déroute. Tout l’or du monde ne pouvait les forcer à combattre les afflictions venues du nord et ceux qui les avaient amenées. Les mercenaires de Marienburg s’enfuirent des docks et se dirigèrent vers les portes de la ville pour aller trouver de nouveaux employeurs, et des adversaires moins redoutables à affronter.
Sans leurs mercenaires pour les soutenir, les troupes de Marienburg n’avaient plus la moindre chance. La panique se répandit au sein de la cité comme un feu de brousse. Otto et Ethrac emmenaient leur frère à travers les avenues, et les habitants s’enfuyaient en hurlant à leur vue. Un désordre total s’installa, jusqu’à ce que les rues deviennent le théâtre de combats dignes des pires cauchemars d’un dément. Puis des bannières chatoyantes apparurent à l’ouest. Une armée impériale arrivait par la route d’Altdorf. Les frères Glott se dirigèrent vers elle sans hésiter. Toutefois, avant cela, un ost pour l’instant invisible allait leur barrer la route…
La Bataille de Marienburg[modifier]
L’Armée des Frères Glott[modifier]
Les frères Glott ont pris la route la plus directe vers le cœur de l’Empire en choisissant d’attaquer la cité portuaire de Marienburg. Même si cette ville a fait sécession avec l’Empire il y a des années, la capturer permettra à l’armée du Chaos de remonter le Reik directement jusqu’à Altdorf. Les Frères Glott Les Pillards Rouges La Tribu des Yeux Injectés de Sang Les Maudits La Grande Avant-Garde Les Fils des Égouts
|
Les Morts Cachés[modifier]
Les armées de Mundvard le Cruel attendent depuis longtemps dans les quartiers à l’abandon de Marienburg que leur maître leur ordonne de capturer la ville. L’invasion des frères Glott a forcé Mundvard à intervenir, si bien que les morts forment désormais le meilleur espoir de survie pour la cité. Mundvard le Cruel Alicia von Untervald Les Discrets Les Tapageurs La Bête du Suiddock Les Dames Blanches
|
La colère de Mundvard se manifestait généralement d’une façon aussi discrète et mortelle que du poison, cependant, cette fois, le désordre qui s’était emparé de la ville l’avait plongé dans une froide fureur. Les docks étaient ravagés tandis que les navires des Nordiques déversaient leurs guerriers dans les rues. Des milliers, peut-être des dizaines de milliers de Marienburgeois étaient morts en quelques heures, avant que les armées de la cité jettent l’éponge. Les combats avaient englouti les domaines de Mundvard. Les tribus étaient si nombreuses qu’elles avaient réussi à envahir la cité en quelques heures à peine. Le spectre d’une épidémie hantait les rues, il était donc stupide de croire que les mortels avaient encore une chance de repousser l’invasion du Chaos.
Un nombre sans précédent de navires de guerre avait pénétré dans le port. Les eaux du rivage étaient constellées de cadavres et rouges de sang, dont l’odeur cuivrée planait lourdement dans l’air. Elle était électrisante pour un Vampire, même lorsqu’il était aussi maître de lui-même que Mundvard. Il ne s’était pas laissé aller à une violence débridée depuis des décennies, peut-être même un siècle. Ses canines s’allongeaient tandis qu’il pensait au massacre à venir, et l’apparence qu’il adoptait quand il se rendait au combat menaçait de le submerger à tout instant alors qu’il revêtait son armure de plates. Si les vivants étaient incapables de repousser le Chaos, c’était aux morts de s’en charger. Après tout, la maladie n’avait aucun effet contre ceux qui étaient déjà de l’autre côté de la tombe.
Le Vampire ferma les yeux et ravala sa frustration. Ce n’était pas un Sorcier rusé ou un Répurgateur zélé qui lui avait forcé la main, mais les brutes écervelées des Désolations du Chaos. Il aurait ri face à une telle ironie si elle n’avait pas mis en danger les plans qu’il fomentait depuis des siècles. Même les Hauts Elfes de l’armada d’Aislinn n’avaient pas fait preuve d’autant de témérité. Mundvard monta sur la terrasse située sur le toit de sa demeure avec Alicia. Ainsi perché au-dessus des rues, le Seigneur Vampire récita les mots de pouvoir qu’il avait appris dans les grimoires les plus précieux de Vlad von Carstein. La voix d’Alicia l’accompagnait, et l’effet sur les vents Aethyriques fut instantané.
Partout dans la ville, les pavés des rues se soulevèrent. Les portes des caves s’ouvrirent à la volée et la poussière glissa des passages dérobés des ruelles secrètes. Des légions de Morts-Vivants sortirent de ces milliers de cachettes. Une mer de cadavres jaillit des cloisons moisies de masures abandonnées, ou s’extirpa des entrepôts et des manufactures à l’abandon où elle attendait silencieusement. Les Morts-Vivants qui se pressaient dans les rues à la rencontre des Nordiques étaient un spectacle repoussant, toutefois les guerriers de Norsca étaient trop occupés à massacrer les derniers défenseurs de Marienburg pour les apercevoir avant qu’il soit trop tard. Ce n’est que lorsque la Suidstrasse s’emplit de bout en bout de cadavres gémissants que les frères Glott comprirent qu’un nouvel adversaire se présentait.
Ils furent surpris par ce spectacle, mais également enthousiasmés. Les nuances de vert et de gris sur les peaux des cadavres recelaient une beauté ensorcelante pour les serviteurs de Nurgle, parmi lesquels les triplés figuraient en connaisseurs. Certains des Morts-Vivants étaient recouverts de la tête aux pieds de poussière de plâtre, d’autres étaient si desséchés qu’il ne leur restait qu’une peau brunâtre sur les os. Certains sur le flanc gauche de l’ost étaient violacés, comme si leur chair commençait à peine à moisir, alors que ceux qui évoluaient à droite n’étaient guère plus que des squelettes jaunis. Néanmoins, tous se dirigeaient d’un pas traînant vers les pillards Nordiques.
Les rues situées de part et d’autre de la Suidstrasse étaient elles aussi encombrées de Morts-Vivants. Ethrac chuchota à son frère ce qu’il suspectait : un praticien doué dans les arts noirs avait œuvré dans les ombres de Marienburg, et agissait maintenant au grand jour pour la défendre. Cependant, étant donné le nombre de guerriers à leur disposition, il était peu probable qu’une horde de Morts-Vivants, même gigantesque, fût en mesure de les arrêter. Les Maudits dépassèrent les triplés. C’étaient autrefois de puissants guerriers dont les mutations étaient si terribles qu’ils ressemblaient désormais plus à Ghurk qu’à Otto. Ce dernier leur fit signe de continuer d’avancer avec sa faux, cependant le rire cruel d’Ethrac ne laissait aucun doute quant à la futilité de ce geste et de l’autorité qu’il voulait incarner : les Maudits n’obéissaient qu’à leurs plus bas instincts, et n’écoutaient plus les directives de leurs seigneurs et maîtres de jadis.Ils percutèrent le mur de chair morte avec une vigueur terrifiante, et abattirent les Zombies à coups de pinces et de griffes. Ils enjambaient les corps, tout en se débarrassant brutalement des mains qui tentaient de les agripper et de les griffer avec leurs ongles crasseux. En quelques secondes, la marée de cadavres se referma derrière eux, et les Maudits disparurent dans un océan de chair pourrie, se noyant avec abandon dans les fluides vitaux putréfiés qui dégoulinaient de leurs victimes mutilées.
Les Pillards Rouges déboulèrent d’une rue adjacente en hurlant. Ils étaient recouverts de sang de la tête aux pieds et brandissaient cinq bannières de Marienburg capturées en guise de trophées. Ils attaquèrent les guerriers squelettiques sur le flanc de l’ost Mort-Vivant, frappant sans discrimination avec leurs lames, leurs boucliers et même leurs poings. Néanmoins, ils étaient dix fois moins nombreux que les squelettes, et davantage de Morts-Vivants s’extirpaient des pavés des rues. Les frères Glott s’inquiétaient de voir leurs récents alliés se faire tailler en pièces. Otto fit signe à Ghurk d’avancer en lui donnant un coup de pied à la nuque. Ethrac continuait de marmonner ses chants étranges. Un instant plus tard, un groupe de Zombies qui se dirigeait vers Ghurk fut réduit en poussière, et fut balayé par la brise comme la cendre d’un foyer. Malgré tout, ce n’étaient pas ces quelques pertes qui allaient inquiéter la horde. Pendant ce temps, les Pillards Rouges traversaient la ligne de bataille des Morts-Vivants tel un tourbillon de mort. Les haches brisaient les os, et bientôt, les Pillards Rouges rejoignirent les derniers Maudits au cœur de la mêlée. Les membres tranchés volaient dans les airs et le sang caillé giclait.
Ce spectacle était à même de ravir le tueur psychotique le plus intransigeant. Ghurk avançait à pas pesants pour se joindre au combat, et balayait les Morts-Vivants aussi bien que les Nordiques qui lui barraient la route. Une bave acide se mit à dégouliner de sa gueule tandis que son estomac hypertrophié anticipait le festin à venir. Désireux de montrer lui aussi ses talents martiaux, Otto abattait sa faux et faisait sauter les têtes aussi facilement qu’un jardinier coupe les tiges mortes de ses plantes. Des centaines, peut-être même des milliers de cadavres convergeaient vers eux, cependant les hommes du nord étaient nés pour se battre, et ils étaient habités par une soif de sang sans bornes.
Une lueur dans les cieux suscita un cri d’avertissement de la part d’Ethrac, qui pointa un doigt osseux dans sa direction. Un palanquin semblable à celui d’une reine flottait dans le ciel, porté par les mains immatérielles d’une nuée d’esprits. Il accueillait trois femmes à la peau de porcelaine, et alanguies sur des coussins. Elles étaient d’une beauté irréelle, toutefois Ethrac avait reçu de la part de Grand-Père Nurgle le don de vision mystique, aussi vit-il ces trois créatures selon leur véritable apparence : des Morts-Vivants, qui ne simulaient une parodie de vie que grâce à l’utilisation des énergies les plus maléfiques.
Alors que le palanquin volait au-dessus des toits, un champion des Pillards Rouges sauta du sommet d’une maison pour tenter de s’y agripper. Sa main ensanglantée s’accrocha in extremis au bord de la plate-forme recouverte de coussins. Dans un effort qui fit tanguer le palanquin, il parvint à se hisser et se retrouva au pied des marches qui menaient au trône où les courtisanes étaient allongées. Il brandit alors sa hache et se jeta sur elles en hurlant une prière à Khorne. La plus grande des trois femmes chuchota quelque chose d’une voix qui évoquait la douceur de la soie glissant sur le couvercle d’un cercueil, puis ses yeux rougeoyèrent. Instantanément, le champion de Khorne se calma et vint s’asseoir sagement à ses pieds. Les deux autres Vampires sortirent leurs mouchoirs et se couvrirent le visage de dégoût lorsque leur reine égorgea le guerrier et le fit basculer par-dessus bord en le poussant délicatement avec le pied.
Ghurk ne se souciait pas des nouvelles venues et continuait de fourrager la forêt de membres qui se tendaient avidement vers lui. Otto coupait en deux les cadavres qui essayaient d’escalader le dos de son frère. À ses côtés, Ethrac déchaînait des traits d’énergie entropique contre les plus grands amas de Morts-Vivants, et les réduisait en flaques de mucus noir et gluant. Néanmoins, la marée de Zombies qui les assaillait recevait sans cesse des renforts, sous la forme des dépouilles des soldats de Marienburg qui jonchaient les rues.
Même si au départ, l’armée qui avait envahi la ville paraissait invincible, chaque Nordique qui tombait l’affaiblissait un peu plus, et venait aussitôt gonfler les rangs de ses ennemis. C’est ainsi que la nuée de morts était sans fin. En outre, les cadavres abattus par les troupes des frères Glott étaient rapiécés par la Magie avant de se relever, quant aux Nordiques qui succombaient, ils étaient ranimés par la Nécromancie et attaquaient leurs anciens camarades. La balance penchait inéluctablement en faveur des Morts-Vivants, par conséquent les frères Glott devaient réagir rapidement. Ils continuèrent de progresser au milieu de la horde à la recherche de la source de pouvoir qui l’animait afin de la réduire au silence.
Au niveau des docks, dans l’ombre des navires de la peste, les Spectres que Mundvard avait liés à son service de nombreuses années plus tôt abattaient leurs faux sur les Enfants du Chaos hébétés qui n’avaient pas suivi l’avance du reste de l’armée. Les malheureuses créatures ripostaient contre les choses immatérielles qui les harcelaient, toutefois leurs appendices et leurs griffes traversaient les Spectres sans leur causer le moindre mal. Les enfants de Ghurk poussaient des cris désespérés et des gémissements pitoyables tandis qu’ils étaient massacrés. Leur sang putride alla se mêler à celui de leurs victimes.
D’autres bandes de Nordiques débarquaient des ponts des navires pour rejoindre la bataille. Pendant une seconde, le soleil fut voilé par une ombre immense, puis une chauve-souris colossale se percha à la proue du Loup Vert. Elle ouvrit sa gueule immense et son cri surnaturel se répercuta sur les quais. Les vitres des fenêtres situées dans un rayon d’un kilomètre volèrent en éclats, à l’instar de la santé mentale de ceux qui l’entendirent. Les derniers Enfants du Chaos et les Nordiques s’écroulaient au sol en gémissant et en étant pris de convulsions mortelles.
Le cri du Terreurgheist était le signal que les frères Glott guettaient. Otto et Ethrac échangèrent un regard entendu quand ils conclurent la même chose : ce n’était pas un animal ordinaire, mais bien une créature morte-vivante si puissante qu’elle pouvait renverser le cours de la bataille. Les renforts en provenance des navires de la peste seraient bloqués tant qu’elle ne serait pas détruite. Si l’avant-garde des frères Glott était coupée du reste de l’armée, elle perdrait rapidement son élan. Et aucun des frères, pas même Ghurk, ne souhaitait mettre en péril leur seul espoir de victoire en fonçant tête baissée dans la mêlée.
Cependant, ce cri surnaturel leur offrait également une planche de salut. Car lorsqu’une créature morte-vivante aussi puissante se manifestait, cela signifiait que son créateur n’était pas loin. Les frères Glott étaient parfaitement conscients que la horde de Morts-Vivants était dirigée par une volonté supérieure. Ils comptaient mettre en application le vieil adage : couper la tête plutôt que tenter de blesser le corps. Se conformant à une suggestion d’Ethrac, Ghurk piétina une foule de Zombies gémissants puis suivit les rues jonchées de cadavres vers les docks. Les triplés étaient suivis de près par une dizaine de tribus avides de vengeance. Ils se retrouvèrent bientôt face à une nouvelle ligne de Morts-Vivants. Au-dessus, des Nuées de Chauves-Souris voilaient le soleil. On percevait parmi elles la silhouette gigantesque du Terreurgheist, et celles, luminescentes, des Esprits et des Spectres privés de repos éternel. Enfin, au centre de la ligne de bataille, les frères Glott repérèrent l’armure rouge d’un Vampire.
Les tribus de Norsca n’avaient pas besoin qu’on leur en donne l’ordre, et chargèrent droit devant en hurlant des prières au Seigneur de la Déchéance. Elles furent accueillies par le nuage de chauves-souris, qui tentèrent de les ralentir et de les désorienter. Des mains osseuses jaillissaient de la boue des docks. Elles appartenaient aux contrebandiers et aux criminels qui avaient fini sur la potence, puis qui avaient été enfouis à la hâte dans le sol. Les Nordiques fous furieux ne se laissèrent pas intimider, toutefois même leur fureur commençait à diminuer sous le poids de la fatigue.
Les frères Glott étaient à la pointe de l’assaut. La violence de la charge de Ghurk réduisait en poussière les squelettes. Le Vampire envoya ses Spectres des Cairns pour intercepter le monstre, toutefois Ethrac avait prévu une telle éventualité et avait préparé un sort destiné à briser l’enchantement de la non-vie des Spectres. Leurs corps prirent une forme matérielle sous leurs capes en lambeaux, jusqu’à ce qu’ils redeviennent de frêles Sorciers humains grelottant de froid et de terreur. Une bande de Nordiques les chargea et les tailla en pièces avant que les mages stupéfaits par ce changement de forme puissent de nouveau profiter de la vie qui coulait dans leurs veines.
C’est alors que Mundvard intervint et roua de coups le ventre de Ghurk. Otto abattit sa faux, mais le Vampire était vif comme une anguille, et habité par une colère froide. Sa lame mordit profondément les entrailles de Ghurk, trop profondément d’ailleurs, car une giclée de pus aveugla le Vampire au pire moment. La faux d’Otto en profita pour perforer le cou du Mort-Vivant, ce qui l’immobilisa le temps que Ghurk l’enserre avec son tentacule. Poussant un rugissement, le mutant projeta le Vampire loin dans la mer. Privée de l’influence de son maître, l’armée des morts se désagrégea.
Au même moment, des cors sonnaient aux abords de la ville: les renforts impériaux de la route d’Altdorf venaient d’arriver. Otto brandit sa faux pendant que son frère soignait les plaies de Ghurk. Cependant, les frères Glott étaient prêts à combattre encore dix armées s’il le fallait. Leur légende ne faisait que commencer.
L’Armée Irrégulière du Reikland[modifier]
La progression de l’armada de la peste a été implacable, mais lente. Après que les Hauts Elfes ont prévenu l’Empire de sa présence, le Reiksmarshall Kurt Helborg a ordonné qu’une armée des provinces occidentales aille renforcer les défenses de Marienburg. Malheureusement, elle est arrivée quelques heures trop tard…
Général Aldred van Carroburg Les Pointes Dorées Les Nobles Fils de l’Errance Les Frontaliers Les Lames Livides Les Joueurs d’Épée de Carroburg
|
Aldred van Carroburg chevauchait à la tête de l’armée irrégulière du Reikland à travers les environs de Marienburg. L’odeur de la fumée portée par le vent était tenace. Pire encore, une puanteur autre que celle des incendies était également portée par la brise. Même s’il mettait un point d’honneur à vitupérer bruyamment contre le destin qui l’avait amené ici, en réalité la colère de van Carroburg dissimulait de la peur. En effet, le général redoutait que le Reiksmarshall l’ait envoyé à la mort. Son armée totalisait à peine plus de deux cents hommes, et même si elle était composée en majorité de soldats expérimentés d’Altdorf et du Reikland, c’était une force misérable comparée à un ost de Nordiques qui venait de mettre à sac une des plus grandes villes du Vieux Monde.
Malgré tout, les vétérans du Reikland marchaient d’un pas décidé au son du tambour. Ils se rapprochaient des marécages qui entouraient la cité portuaire, et restaient à l’affût du moindre signe de l’ennemi. Conformément à ce que prédisait le message qu’Aldred avait reçu, Marienburg avait été envahie par une armée d’une taille impressionnante. L’odeur du sang qui planait dans l’air était forte, pourtant la ville avait un aspect décrépit, comme si elle avait été saccagée plusieurs années auparavant.
Des charognards volaient en cercles, en évitant les colonnes de fumée qui s’élevaient de la ville. Parfois, le vent charriait les fragrances de la mort et de la pourriture, ce qui provoquait des murmures craintifs au sein de la soldatesque. Le message transmis par les tours de guet du Reikland suggérait que l’ennemi avait amené des maladies, et une telle menace suffisait à faire flancher les cœurs les plus endurcis. Les soldats s’étaient munis de mouchoirs imbibés de vinaigre, afin de se couvrir le visage au premier signe d’épidémie.
La petite force croisait de plus en plus de signes de dévastation tandis qu’elle se rapprochait des portes de la ville. Elle voyait le grand temple de Manann. Ses vitraux étaient brisés, tout comme son célèbre dôme ressemblant au dos d’un poisson. Ils aperçurent aussi la route vers l’Île de Rijker. Le pont-levis de la forteresse était ouvert, et on pouvait imaginer que les criminels qui y étaient retenus prisonniers s’étaient enfuis. Des statues et des gargouilles gisaient brisées sur le sol pavé, au milieu de cadavres si mutilés qu’ils étaient méconnaissables. Des touffes de mousse noire avaient poussé entre les dalles de la route et les pierres des murs. Leur texture spongieuse émettait un bruit dégoûtant quand on marchait dessus. Toute la ville semblait être à l’abandon depuis un siècle alors qu’elle avait été envahie à peine quelques heures plus tôt.
Les impériaux pénétrèrent à l’intérieur des murs, à la recherche de l’ennemi. Van Carroburg aboya un ordre afin de rameuter ses hommes, car il avait entendu un chant lancinant en provenance des docks, à l’ouest. Le tambour des Pointes Dorées donna le rythme, et les régiments formèrent une ligne de bataille qui avança d’un pas mesuré à travers les ruines.
Une horde de Nordiques mugissants se déversa de part et d’autre des bâtiments branlants au bout de la Suidstrasse. Quand ils virent les troupes d’Altdorf, ils formèrent eux aussi un large front, et commencèrent à frapper leurs boucliers avec leurs haches. Derrière eux apparut une montagne de chair verdâtre sur laquelle étaient perchés deux seigneurs Nordiques. Ils s’agrippaient aux cornes qui jaillissaient de son dos tandis qu’elle avançait d’une démarche chaloupée.
Van Carroburg oublia instantanément toute fatigue et donna l’ordre de charger. À l’unisson, ses hommes poussèrent un cri de guerre. Ils abaissèrent leurs hallebardes et leurs lances, et resserrèrent les boucliers. Ils percutèrent l’ennemi avec une synchronisation parfaite. Le mur de métal impérial perfora les corps dénudés des Nordiques tandis que ces derniers ripostaient avec leurs haches. Un champion bouffi et engoncé dans une armure de plates se fraya un chemin jusqu’à la mêlée et gargouilla son défi. L’espadon de van Carroburg y répondit lorsque le général se fendit afin d’exécuter un Coup de Schwarzhelm parfaitement maîtrisé. L’attaque perfora le heaume cornu du champion, pourtant ce dernier ne s’effondra pas. En dépit du sang qui giclait de sa visière, il se rua en avant et tua Hensa, l’aide de camp du général, avant de périr enfin. Sur le flanc droit de l’Empire, les jeunes nobles à cheval ouvrirent le feu. Leurs pistolets déchargèrent des balles plaquées d’argent sur les mutants qui les chargeaient. Leurs tirs étaient précis, et arrachèrent les membres ou firent exploser les têtes de plusieurs aberrations. Les cavaliers firent ensuite volter leurs montures et se mirent hors de portée de la colère des mutants.
Malheureusement, cette tactique de fuite attira l’attention du Nordique en robes juché au sommet du géant vert. Le chaman marmonna de façon inintelligible, néanmoins quelques secondes plus tard, les Pistoliers virent que leurs montures ralentissaient dans leur course. Finalement, elles s’effondrèrent dans un fracas d’os cassés. Les mutants rattrapèrent les jeunes nobles juste après leur chute, et se ruèrent sur eux en faisant claquer leurs pinces et en ouvrant des gueules hérissées de crocs.
Pendant que la cavalerie qui protégeait les flancs se faisait massacrer, l’infanterie au centre de la ligne impériale luttait vaillamment contre la horde. Les soldats étaient animés par l’énergie du désespoir et par la détermination à ne pas céder le moindre pouce de terrain. Leur seul espoir consistait à tenir bon, afin que les vagues d’assaillants viennent se briser sur eux, telles les vagues contre une falaise. Les régiments agissaient de concert, rassemblés autour des Joueurs d'Épée de Carroburg et de leurs rivaux les Lames Livides. Ils avaient encore une chance de résister aux attaques désordonnées des Nordiques. Sur le flanc droit, les Pointes Dorées s’inspiraient de l’adresse avec laquelle les Joueurs d’Épée abattaient leurs ennemis. Le courage de Sigmar brillait dans les yeux de tous les soldats. Il s’agissait d’une bataille pour la survie, pas d’une simple escarmouche contre des brigands, et d’une certaine façon, une bonne partie des soldats de l’Empire attendait depuis longtemps une telle occasion de prouver sa bravoure.
Sur ordre de son capitaine, le mur de soldats formant le centre de la ligne de bataille se mit à avancer pas à pas, en luttant contre les Nordiques qui se jetaient sur lui pour tenter de briser son uniformité. Van Carroburg serra les dents et talonna son destrier. Son épée ancestrale abattait les Nordiques les plus grands et les plus menaçants. Les coups de fléaux et de marteaux rebondissaient sur ses épaisses jambières, cependant ils mutilèrent les flancs de sa monture, qui finit par vaciller. Affichant un rictus de colère et de douleur, le visage maculé du sang de ses adversaires, mais aussi celui de ses propres blessures, il continua d’avancer. Son armée n’était pas encore vaincue. Loin de là, même. De façon incroyable, les hallebardiers et les Joueurs d’Épée parvenaient à repousser les Nordiques. La discipline des troupes impériales leur permettait de s’en tirer glorieusement en dépit de la violence de la mêlée et de la force brute de l’ennemi.
Les soldats avançaient implacablement malgré la pression que les Nordiques exerçaient sur leur ligne de bataille. Les sauvages situés à l’arrière empêchaient leurs camarades qui combattaient de bouger librement, si bien qu’ils se faisaient tailler en pièces. Van Carroburg cria des encouragements en sentant que son armée pouvait l’emporter. Il enfonça la pointe de son arme dans l’œil d’un mutant qui tentait de le désarçonner. Malheureusement, un caprice du destin allait priver l’Empire d’une glorieuse victoire. En effet, en repoussant les Nordiques, les soldats s’étaient rapprochés des docks, et se retrouvèrent sur un sol aux pavés inégaux et glissants, car maculés de sang, et parsemés de plaques de mousse noire et de cadavres éventrés.
Tout d’abord un soldat, puis deux, puis dix trébuchèrent sur les entrailles et les fluides vitaux. Il n’en fallait pas plus pour les Nordiques. Poussant un cri de guerre qui glaça le cœur de leurs adversaires, ils se ruèrent au combat en redoublant d’efforts. Tant que la ligne de bataille tenait bon, la discipline et l’entraînement des troupes de l’Empire étaient des armes qui les rendaient capables de vaincre des ennemis aussi sauvages que les hommes du nord. En revanche, dans le chaos de la mêlée, ces atouts étaient inutiles. La soif de sang des tribus de Norsca les galvanisait tandis que la bataille tournait au carnage. Les intestins luisants glissaient hors des abdomens ouverts par les coups d’épée, et les membres tranchés et ensanglantés qui jonchaient le sol déséquilibraient les survivants et les empêchaient de fuir.
Finalement, le géant arriva dans la mêlée. Son bras immense pulvérisa les soldats de l’Empire tout autant que les Nordiques. Le guerrier au heaume blafard qui le chevauchait riait en tranchant les têtes avec sa faux. Quand il faisait un mouvement brusque, les bouts d’intestins qui pendaient de son ventre moisi projetaient des gouttelettes de fluides viciés sur les combattants. Le combat vira à l’anarchie, et donc à l’avantage des Nordiques. En vain, les Frontaliers menèrent une courageuse action d’arrière-garde alors que leurs camarades étaient engloutis par la horde. Ils furent les seuls à survivre à la bataille, leurs montures leur permettant de s’échapper en toute hâte. Le reste de l’armée fut massacré. Les Joueurs d’Épée de Carroburg furent les derniers à périr, et ils se battirent jusqu’à leur dernier souffle. Marienburg était tombée. L’Empire venait de goûter à l’entropie qui allait l’envahir au cours des mois suivants.
Gloussant de satisfaction, les frères Glott admiraient le carnage dans les rues de Marienburg. Otto appuya sa faux contre le mur couvert de mousse du temple de l’Oestdock, et passa son index entre les replis de son ventre afin de retirer le lichen noir qui s’y était accumulé. La végétation démoniaque se propageait si vite qu’elle avait réduit à néant les murs de la ville, et avait même infesté ses habitants. Les défenses de Marienburg étaient donc tombées non seulement grâce à la destruction des murailles, mais aussi grâce au vent de panique qui avait accompagné l’arrivée des Nordiques. Otto arracha un gros pan de mousse du mur et le tint sous son menton, en imitant la barbe d’un zélote de Sigmar, puis se pencha vers Ethrac en pouffant de rire. Ce dernier se contenta de hausser les épaules et poursuivit sa tâche consistant à prélever sur les cadavres les ingrédients de ses prochains sorts.
Dans le royaume des rêves, un Dieu à la crinière en bataille arpentait une forêt immensément vaste. Il était si grand que sa couronne aux bois majestueux se perdait dans les nuages, si puissant que même les chênes les plus vénérables s’écartaient à son passage, telles les vagues d’une mer émeraude. Il était plus fort que son jeune allié, le guerrier Sigmar, plus redoutable que Mórr, le sinistre Gardien de l’Outre-Monde, plus vieux qu’Ulric, le Dieu des Loups et de l’Hiver à la barbe blanche. Car c’était Taal, le Dieu de la Nature, et il était en chasse.
À l’horizon, une tempête infectait la lueur ambrée du crépuscule de printemps avec une pâleur semblable à celle du ventre d’un crapaud. Là où elle touchait la forêt, les arbres tombaient malades et leurs branches se tordaient pour adopter des formes étranges. Taal se moquait du sort des hommes, cependant la corruption de son paradis bucolique l’enrageait. Il se mit à courir. Des lacs se formaient dans ses empreintes de pied. Alors qu’il se rapprochait de la tempête, il décela une forme bouffie sise en son cœur. « Hors de mon domaine ! » rugit le Dieu de la nature, et des éclairs dansèrent au bout de ses bois. « Je te bannis de mon royaume, imposteur ! » « Tu n’es rien ! » répondit une voix bourdonnante, comme le vol de millions de mouches. Taal sentit sa peau le gratter et il regarda ses mains. Des taches blafardes les décoloraient. De la mousse se formait par endroits sur sa peau. « Non ! Arrête ! » cria Taal en se griffant les chairs pour tenter de se débarrasser de l’affliction qui l’envahissait. La seule réponse qu’il obtint fut un rire caverneux, le présage tonitruant de maux à venir. |
En dépit de sa puissance militaire et de ses épaisses murailles, Marienburg était tombée en un jour à peine. Le nombre et l’audace de la flotte nordique avaient eu raison des défenses de la ville portuaire et du courage de ses soldats. Certes, l’apparition impromptue de milliers de Morts-Vivants avait ralenti la progression des guerriers de Norsca, et à plusieurs reprises, les frères Glott avaient éprouvé des doutes, d’autant plus qu’ils n’auraient jamais pensé que les morts viendraient aider les vivants.
Pourtant, Marienburg avait été dévastée. Grand-Père Nurgle était parfois capricieux, mais il savait aussi se montrer extrêmement généreux. Les Nordiques avaient renvoyé les morts dans la tombe, et les cadavres pourris des Morts-Vivants aussi bien que les dépouilles fraîches des Marienburgeois jonchaient désormais les rues. Le plan de Nurgle se déroulait sans accrocs. Tout autour de la ville, une vie ignoble reprenait ses droits. De grosses mouches bourdonnaient joyeusement en allant pondre leurs œufs dans les yeux et les bouches de cadavres. Tel était le Grand Cycle. Il pouvait être interrompu, mais jamais stoppé.
Ghurk couinait comme un porc ravi alors qu’il engloutissait un autre corps mutilé. Ethrac avait déjà compté qu’il en avait gobé au moins douze. Les victimes qui respiraient encore seraient rejetées sous la forme d’Enfants du Chaos aussi désespérés de tuer que de mettre fin à leur existence misérable. Cette particularité immonde du métabolisme de Ghurk suggérait à quel point sa déchéance était grande, et que les triplés bénéficiaient toujours des faveurs de Nurgle. Ils se trouvaient dans l’arsenal et les chantiers navals, et tout autour d’eux, les Nordiques s’affairaient. Pour l’instant, ils avaient étanché leur soif de violence, et dépouillaient les cadavres de leurs armes et de leurs armures. Ils étaient visiblement enthousiastes à l’idée de tester les ravages que pouvaient faire l’acier d’Altdorf et les grandes zweihanders de Carroburg. Des bagarres éclataient çà et là, mais en dehors de ces quelques rixes, la horde de plusieurs milliers de guerriers était rassasiée par le carnage, et prête à écouter l’étape suivante du plan des frères Glott.
Alors que le soleil couchant inondait de rouge la boucherie à ciel ouvert dans les rues, les triplés expliquèrent leur croisade sacrée. Ils comptaient non seulement massacrer les faibles humains des terres du sud et incendier leurs cités, mais aussi apporter dans leur sillage une vie nouvelle, et répandre toutes sortes d’êtres vivants repoussants et vigoureux à travers les terres. Le règne bien ordonné et organisé de Karl Franz n’avait duré que trop longtemps. Il était temps qu’il cède à une glorieuse anarchie.
La horde hurla son approbation en brandissant ses armes. Grâce aux épidémies qu’elle véhiculait, l’Empire tomberait à genoux en quelques semaines. Même Ehtrac ne savait pas quels dons merveilleux renfermaient les amphores que les autres seigneurs de guerres avaient emmenées, mais comment pourraient-ils échouer, puisque Nurgle était de leur côté ?
Chapitre II : LE VOYAGE VERS LE SUD - Été 2525[modifier]
Gutrot Spume observait les hautes falaises de la côte du Nordland depuis la proue du Bête Gâtée. À bâbord et à tribord de l’imposant galion de Spume, les navires de la peste abaissèrent des rampes de bois qui soulevèrent de grandes gerbes d’eau. Chaque bateau, qui rivalisait en tonnage avec les plus gros bâtiments de Marienburg, dégorgea des Chevaliers du Chaos, des Éventreurs, des Dragons-Ogres, des Chars et des Autels portés par les mutants du nord.
Spume approuva en inclinant le heaume. Les pseudopodes qui lui tenaient de flanc gauche se tortillaient d’impatience tandis qu’Eogric le Vil approchait. « Pas d’hommes du sud en vue, » dit l’exécuteur d’un air déçu. « Cela me changera, » répondit Spume. « La dernière fois que je suis venu combattre sur ces côtes, leur Empereur lui-même avait pris part à la bataille pour nous repousser. » « Comment ? » Demanda Eogric de but en blanc. « Avec l’aide de sa sorcière des glaces de Kislev. Karl Franz a fui se cacher sous ses jupes, en la suppliant de congeler la mer autour de mes hordes. Quel genre d’homme laisse sa femme faire le travail d’un guerrier ? » « Un couard. » « Un couard chanceux. Cette fois… ce sera différent. » Le bois geignit comme un énorme tentacule sortit de la coque du Bête Gâtée et s’enroula autour de la taille de Spume. L’appendice de Kraken emporta le seigneur de guerre et le déposa sur le palanquin que charriaient ses mutants. « Cette fois, » tonna le Seigneur des Tentacules par-dessus son épaule, « je le tuerai moi-même. » Spume leva sa hache criblée de trous. Le vacarme d’une centaine de cors invita la grande procession à se mettre en branle. |
La Confrérie du Coutelas, une des tribus les plus aventureuses de la grande horde de Spume, était avide de démontrer sa connaissance du terrain du Nordland. Elle faisait partie des bandes qui, chaque été, pillaient les villages de la côte, emportant tout ce qu’elles pouvaient avant que les armées de Karl Franz les repoussent avec leurs Loups Impériaux. Jouant le rôle de fer de lance de la colonne qui progressait le long des falaises, la Confrérie du Coutelas suivit la route côtière vers l’ouest jusqu’à ce qu’elle vire au sud en direction de la forêt de Laurelorn. D’étranges bêlements et des feux dansants montèrent des profondeurs sylvestres, mais rares furent les bandes de Spume à avoir la bêtise d’aller enquêter ; celles qui le firent disparurent à jamais.
Avant la fin du premier jour de voyage, l’herbe épineuse des falaises laissa la place à des buissons, puis à une forêt décharnée. Un océan vert survolé par des choses sans nom s’étendait d’un bout à l’autre de l’horizon. La route côtière contournait le bois, puis tournait au sud pour en suivre la lisière. Le sentier accidenté longeait la frontière du Nordland jusqu’à Marienburg. Il n’était pas dans les intentions de Spume de pousser jusqu’au port de la cité, car il était probable que les frères Glott l’auraient déjà saccagé avant qu’il n’arrive. L’ost suivrait encore l’orée de la forêt pendant deux jours, après quoi il entrerait dans les bois du Middenland et se taillerait un chemin vers le sud-est, droit sur Altdorf. Selon le plan que les Glottkin avaient imaginé, chacun de leurs camarades seigneurs de guerre devait conduire son armée dans la capitale de l’Empire d’ici la Geheimnisnacht. Or, Spume avait ses propres ambitions et voulait atteindre la cité avant ses pairs, pour la mettre à sac et s’arroger la gloire de la conquête.
En quittant les routes de l’Empire pour s’engager dans une épaisse forêt, Spume se risqua dans une région à la végétation si dense que les rayons du soleil ne perçaient pas la canopée. Mais la confiance qu’il avait en ses propres capacités et celles de son élite en armure était si inébranlable qu’il pensait pouvoir vaincre tout ce qui se dresserait entre la porte nord d’Altdorf et lui, et qu’il arriverait là bien avant les frères Glott.
Malheureusement, le plan de Spume souffrait d’un défaut majeur : on n’entrait pas dans les bois profonds de l’Empire à la légère. Les armées du nord, habituées à la toundra et à la glace tassée, ne se figuraient pas à quel point le terrain était dense et quels maléfices il abritait. Les sentiers qui longeaient la forêt de Laurelorn étaient assez larges, et les Chevaliers et même les chars avançaient sans incident. Çà et là, un détachement de l’Empire ou un patrouilleur guettait la progression de l’ost et envoyait un messager avertir ses maîtres. À une exception près, tous furent espionnés à leur tour par les éclaireurs de l’ost monté. Les tribus nomades du nord étaient des cavaliers nés, chevauchant les destriers les plus robustes, et après des poursuites haletantes, mais brèves, ils rattrapaient toujours les fuyards impériaux et les achevaient. Chaque fois les cavaliers revenaient avec les têtes coupées des messagers, leurs sinistres bannières maculées de sang frais.
Or, un des patrouilleurs de la forêt de Laurelorn échappa à la vigilance des envahisseurs : Markus Wulfhart, célèbre héros du Middenland. L’éclaireur vétéran fonça sur les pistes à gibier de la forêt, tout en restant suffisamment discret pour ne pas être vu des intrus, pour atteindre le carrefour d’Elsterweld. À partir de là, il chevaucha à bride abattue jusqu’au camp forestier de Boris Todbringer, qu’il avertit qu’une vaste armée d’adorateurs du Chaos était en marche. À son grand étonnement, le Graf Todbringer lui dit qu’il le savait déjà. Des ambassadeurs d’Ulthuan avaient rendu visite au Comte Électeur le soir précédent, et leur avaient rapidement donné congé. Le Graf maintint qu’il ne pouvait pas quitter le cœur de la forêt pour la Grande Route du Nord, alors même qu’il était à deux doigts de débusquer et de tuer son plus vieil ennemi, Khazrak le Borgne, et ainsi de régler le cas des tribus d’Hommes-Bêtes une bonne fois pour toutes. Todbringer rappela que la présence d’envahisseurs de Norsca n’était pas inhabituelle à cette époque de l’année, et que la région côtière avait connu bien pire.Wulfhart s’efforça de décrire la taille des colonnes de guerriers en armure qu’il avait vu chevaucher vers le sud, mais Todbringer ne changea pas d’avis. Une étrange étincelle brilla dans l’œil unique du Graf, malsaine et dangereuse, qui menaçait d’exploser violemment à tout instant. Wulfhart décida de ne pas insister, et prit la route d’Altdorf en toute hâte, dans l’espoir que ses avertissements seraient pris plus au sérieux par la cour impériale.
Lorsque le message du Jagdsmarshal parvint au Palais Impérial, trois des Comtes Électeurs survivants requéraient une audience auprès du Reiksmarshal, Kurt Helborg. Les frontières de l’Empire étaient dans la tourmente, et les armées de Karl Franz n’avaient presque aucune marge de manœuvre. Si plusieurs Électeurs défendaient leur domaine l’épée à la main, les plus politiciens de leurs pairs préféraient se quereller dans les salles somptueuses de la demeure de Karl Franz. Les Électeurs Alberich Haupt-Anderssen du Stirland, von Liebwitz du Wissenland, et Gausser du Nordland criaient tous en même temps, leurs voix résonnaient dans le Grand Atrium à l’acoustique parfaite. Les servants des trois Comtes s’étaient retirés depuis longtemps, laissant leurs maîtres à leur guerre de mots. Seul Kurt Helborg, bras droit de Karl Franz depuis plus longtemps qu’il ne s’en souvenait, était resté pour écouter les débats.
Helborg en était venu à haïr l’appareil étatique de l’Empire au cours des derniers mois. Depuis la disparition de Karl Franz à la frontière nord, et celle de Volkmar dans la nuit du Stirland, il n’y avait plus beaucoup d’hommes avec assez d’autorité pour tempérer les personnalités énergiques des Comtes Électeurs. Chaque jour les politiciens aux atours flamboyants en étaient réduits à hurler et à se pointer mutuellement du doigt, chacun se croyant le plus apte à assumer la régence en l’absence de l’Empereur. De telles palabres étaient parfaitement inutiles en temps de guerre. L’Empire avait bien plus besoin de guerriers que de politicailleurs. Les derniers jours avaient vu toujours plus de signes de désastre rapportés à la Cour Impériale. De nouvelles maladies hantaient les rues d’Altdorf. Les foyers de toux-de-sang et de pneumocloques étaient de plus en plus nombreux, et toutes les plantes des jardinières étaient flétries et infestées de mouches. La population cédait à la paranoïa, et plusieurs quartiers durent être mis en quarantaine, entraînant parfois des émeutes qui ne furent matées qu’après l’intervention d’Helborg lui-même.
Des rumeurs persistantes indiquaient que Marienburg était tombée, et que l’ouest du Reik était asphyxié par des îlots de mousse tombale, une plante robuste qui polluait le grand fleuve jusqu’aux remparts de Carroburg. Les nouvelles de l’est étaient tout aussi mauvaises. Une patrouille de Bechafen avait traversé l’Empire au galop pour rapporter que les Morts-Vivants se massaient et se relevaient quelle que fût la vigueur avec laquelle on les battait, les terres étant saturées de Magie de la non-vie. Pire, on avait aperçu un navire de la peste dans le golfe de Kislev voguant vers la côte. Helborg combattait les Puissances de la Ruine depuis trop longtemps pour croire à des fabulations de la populace. L’Empire était assailli de toutes parts, et non par une armée conventionnelle, mais par un ennemi surnaturel. Il allait devoir prendre des mesures drastiques s’il voulait maintenir l’ordre. Et si l’on en croyait le discours passionné que Markus Wulfhart fit devant la Cour Impériale réunie, ce n’était que le début des problèmes d’Altdorf. Les armées du Chaos étaient en marche dans le Reikland et dans le Nordland ; leurs trajectoires convergeaient sur la capitale, et elles l’atteindraient dans l’année.
L’exposé du Jagdsmarshal ne fut pas la seule alerte communiquée à Helborg. Les morceaux d’un parchemin déchiré, portant les initiales V. v. C., étaient étalés dans les quartiers du Reiksmarshal. Outre l’avertissement, ils contenaient une proposition impensable. Si Helborg avait saisi la nature insidieuse des forces chaotiques qui rongeaient sa cité de l’intérieur, il aurait peut-être prêté plus d’attention à cette missive.
La cave de l’hospice abandonné était chaude et calme, exactement comme le docteur Festus les aimait. Le sinistre apothicaire entonnait un chant grave qui aurait fait la fierté de Detlef Sierck tandis qu’il s’agitait devant une paillasse couverte de fioles. Versant soigneusement un alambic de pus décanté dans un bol de sang de corbeau frémissant, il tourna la tête et prit une profonde inspiration pour chanter le prochain vers. La chanson était une comptine de Nurgling qu’il avait apprise lors de son séjour dans le jardin de son maître. Il ne pouvait plus se l’ôter de la tête - non que cela le dérangeât : il avait même ajouté quelques couplets de son invention.
« Glou-glou-glou-glou, tagada-tsan, bouillu le sang et hop au suivant… » Festus renifla goulûment la terrible puanteur qui émanait de la soucoupe de cuivre : proche de la perfection, mais il y avait encore du travail avant que le Sixième Ingrédient fût prêt. Toutefois, puisqu’il était de retour en terre civilisée, il espérait bien réussir. Il avait été presque impossible de mener correctement ses recherches dans les désolations glaciales du grand nord, avec tout ce blizzard sifflant dans ses oreilles. Si Festus s’était réjoui de la variété étourdissante des sujets d’expérience dans le nord, plus d’une décoction s’était congelée avant qu’il pût la faire avaler à un spécimen chanceux. Ses sangsues se plaignaient sans cesse du froid, et son équipement manqua de se briser chaque fois qu’il voulut tester ses poisons au combat. Il avait finalement empaqueté ses instruments pour repartir au sud, à Altdorf, une cité si grouillante d’activité que n’importe qui pouvait s’y cacher. Il fut heureux de retrouver son hospice comme il l’avait laissé. Il établit son laboratoire dans le sous-sol le soir même. Le temps que le docteur avait passé parmi les Nordiques s’était révélé très instructif, et il avait récolté des matériaux essentiels, mais au final, ses petites vacances l’avaient détourné du Grand-œuvre. On ne pouvait pas faire cadeau de la vie éternelle à l’humanité en marchant dans l’ombre de la mort. Cela impliquait de se couper un temps du monde des tueurs, ce qui convenait à un érudit comme Festus. Prenant à bras-le-corps la moitié supérieure d’un cadavre et tenant son bras tendu, il se mit à danser dans son atelier. « Tou-di-dou-da, gigote et crie, grignote les doigts et touille la bouillie… » Le docteur posa son partenaire de danse contre une chaise à trempette, puis tourna le robinet inséré dans la gorge d’un des cadavres suspendus la tête en bas aux arches de la cave. Un liquide gris grumeleux coula de la bouche ouverte du corps, et Festus remplit un carafon à ras-bord avant d’essuyer le trop-plein avec son doigt boudiné. Il ne put s’empêcher d’y goûter, en jetant des regards coupables autour de lui pour vérifier qu’aucun des cadavres ne l’observait. Grossier mais goûteux, et de toute façon, qui pourrait l’en blâmer ? Il s’était toujours demandé si ses confrères apothicaires récoltaient leurs meilleurs ingrédients à l’intérieur en plus de ceux de l’extérieur. Les premiers avaient assurément un goût exquis. Festus se souvint d’une autre chanson. |
||
« Seeeemons les fléaux, àààà tous les carreaux… »
Il y eut des bruits de bulles qui éclatent provenant du chaudron posé au centre de la pièce. Festus sursauta et se tut. Il n’avait pas encore allumé le foyer aujourd’hui, il en était certain. Le docteur entendit un sifflement. Tous les cadavres se tournèrent vers lui en articulant silencieusement son nom. La pièce s’emplit d’une puanteur indicible qu’il avait déjà sentie, quand il était encore humain. « Ah, » dit-il en replaçant précautionneusement sa bonbonne sur le comptoir. Une sueur froide perla sur ses bajoues flasques. Sa peur se dissipa quelque peu lorsqu’une petite tête cornue émergea du chaudron, avec un sourire dégoulinant d’ichor qui rappelait un vieil ami de Festus. « Abondance et générosité ! » couina-t-elle. « Abondance et générosité à toi aussi, mon petit, » dit prudemment Festus. Il jeta un regard alentour, mais les cadavres avaient repris leur posture habituelle. L’affreux petit Démon loucha en plissant les yeux, se mordit les lèvres, et le chaudron se remit à faire des bulles. « J’apporte des poubelles ! » cria-t-il en agitant ses petits bras difformes pour manifester sa joie de jouer les messagers. « Eh bien, dis-moi tout, » répondit le docteur. « À en juger par tes bois, je dirais que tu as un message de la part de Ku'gath, n’est-ce pas ? » « Dans l’mildiou ! Doc, hé, doc, brûle-moi vite ! » |
« Te brûler, mon petit ? Au nom de Nurgle, pourquoi ferais-je une chose pareille ? »
« Les frangins arrivent, triple-andouille ! Les frangins vont vite ! » dit gravement le Nurgling. Deux autres petits Démons cornus sortirent du chaudron et se placèrent à ses côtés en hochant la tête tels des enfants sérieux. « Les frangins… Tu veux parler des triplés ? Des Glott de Norsca ? » Les Nurglings opinèrent vigoureusement de la tête. « Les Glottkin seraient déjà près d’Altdorf, songea Festus, ça m’étonnerait… » « Altdorf mijote ! À la cocotte ! » entonnèrent les Démons. « Des Nurglings fumés pour un Altdorf changé ! » « Intéressant. Vous trois… seriez les Nurglings fumés ? C’est pour ça que Ku’gath veut que je vous brûle ? » Le premier Démon acquiesça joyeusement. Des bulles malodorantes s’élevèrent dans son dos et laissèrent des volutes grises dans l’air. « Brouillard ! » s'exclama-t-il. « Je vois, dit Festus. En te brûlant, mon petit, nous accommoderons la cité à notre goût, c’est bien ça ? » « Altdorf mijote ! À la cocotte ! » chantèrent les Démons en s’éclaboussant avec le contenu du chaudron. « Oui, oui, dit Festus. Si nous remodelons cette sinistre cité à l’image du jardin de notre maître, nous n’en serons que plus heureux. » Le docteur remplit un grand bol avec le bouillon infâme du chaudron, en écopant quelques Nurglings au passage. « Bien, mes petits amis altruistes. Il est temps pour vous d’aller au charbon… » |
Alors que les sommités d’Altdorf s’adonnaient à leurs rivalités de pouvoir, les armées infatigables de Gutrot Spume s’employaient à se tailler un chemin dans la forêt inextricable de la Drakwald. Afin d’accélérer le mouvement, la procession avait rompu sa formation et mis pied à terre, les Dragons-Ogres ouvrant la voie au palanquin de Spume. Bientôt le Seigneur des Tentacules fut lui aussi contraint à la marche, les vrilles du parterre végétal entravant les jambes des monstres comme celles des hommes.
La horde de Gutrot Spume, qui avait avancé si prestement en bordure de la forêt, en était presque réduite à ramper. Les bois de l’Empire se révélaient un obstacle bien plus efficace que toute armée mortelle. Les jours s’écoulèrent sur fond des rugissements occasionnels montant du cœur des bois, laissant entendre le terrible destin qui attendait les intrus. Les bandes du nord étaient de plus en plus désorientées et dispersées, et la forêt de la Drakwald les engloutit peu à peu. Celles que Spume envoya en éclaireurs ne furent jamais revues, tuées par des monstres sans nom ou par des hardes d’Hommes-Bêtes en maraude. Le canevas de la canopée des chênes géants masquait les étoiles ; Mannslieb n’était qu’un point intermittent et Morrslieb une lueur ténue. Non loin, des feux étranges brûlaient et des créatures hurlaient à la Lune du Chaos. Alors que les armées de Spume s’enfonçaient dans la masse végétale de la Drakwald, les guerriers de l’avant-garde découpèrent un rideau de mousses grimpantes, dévoilant un réseau de cavernes caché dans le piémont d’un sommet forestier.
Gutrot Spume avançait sur le paillis de racines de la Drakwald, son escorte en armures lourdes sur les talons. La forêt était remplie d’Hommes-Bêtes, dont les yeux perçants brillaient comme une nuée de lucioles piégées dans l’ambre. Parmi eux se trouvait le Chaman qui l’avait hélé dans une version mutilée de la Langue Noire. Les yeux ovins de la créature étincelèrent à la vue de Spume.
« Voilà un accueil inhabituel, » dit Spume alors que ses tentacules se tortillaient sur son flanc. Tout autour de lui, la harde de bipèdes feulait et chuchotait, haches au clair et pattes prêtes à bondir. Le Chaman répondit par une suite de jappements gutturaux. « Comme tu dis, » répliqua Spume, « mais mes compagnons ne sont pas aussi malins. Parles-tu la langue des hommes ? » Le Chaman tira de ses robes une fiole crasseuse remplie d’un liquide rose. Il en déposa une seule goutte sur sa langue avec un soin extrême, avant de mastiquer d’une manière qui rappela à Spume un bœuf en train de ruminer son herbe. « Quand l’Annonciateur est obligé, » grogna le Chaman en s’appuyant sur son bâton. « Excellent. Et si nous parlions de la chute de l’Empire ? » « Toi, tu es Celui-aux-Tentacules. Champion du Père Ur, montré dans le feu par le Père Corbeau la dernière lune. » « C’est vrai. Je suis le véritable élu de Nurgle. J’apporte les bienfaits de mon seigneur dans le sud, et tu m’y aideras, ou tu me laisseras passer. » « Alors le Père Corbeau a dit vrai. » dit le Chaman en se prosternant. Les yeux blancs de Spume s’écarquillèrent derrière son heaume comme un millier d’Hommes-Bêtes levaient leurs armes en signe de salut. |
Soudain une chose monstrueuse jaillit de la plus grande grotte, du sang dégoulinant de sa mâchoire velue. En partie crapaud, insecte et dragon, la bête était si ignoble que les guerriers d’élite de Spume eux-mêmes eurent un mouvement de recul en la voyant. Une langue griffue gicla et frappa là où se trouvait le plus gros d’entre eux juste avant de s’éloigner, et l’appendice collant se rétracta en claquant. Le monstre baveux émit un grondement guttural qui assaillait l’âme de l’intérieur. Plusieurs guerriers en armure hurlèrent d’effroi en se mettant des coups de hache et de masse sur leur propre casque pour faire cesser cet outrage à leurs sens.
Le mugissement de la créature fut comme un signal pour les Hommes-Bêtes qui apparurent sur les rochers surplombant la tanière du monstre. Les plus petits avaient encoché une flèche à leur arc, tandis que les plus grands toisaient les Nordiques impérieusement, en serrant de lourdes haches dans leurs mains noueuses. D’autres encore émergèrent des bois pour cerner l’avant-garde de Spume.
Plusieurs bêtes crièrent quand le Seigneur des Tentacules se fraya un chemin vers l’origine du vacarme. Les plus hideuses levèrent leurs bras poilus et braillèrent dans une forme bâtardisée de la Langue Noire. L’un des Hommes-Bêtes, un Chaman portant un bâton ployant sous les amulettes, pointa Spume du doigt et poussa quelques aboiements d’excitation. Il joignit les mains en croisant les doigts devant son poitrail pour former un poing double, un geste d’unité qui transcendait les barrières de la langue et de la géographie. Comme si elle avait compris le sens de cette mimique, le monstre répugnant qui avait surgi des grottes se retira dans son antre en expirant une brume multicolore par ses narines squameuses. Spume fit signe à ses gardes du corps de le rejoindre et approcha le Chaman entouré d’Hommes-Bêtes. La créature voulait clairement parlementer, et le Seigneur des Tentacules était enclin à le laisser faire. Des alliés connaissant le territoire de la Drakwald pouvaient se révéler très utiles, en effet.
Les tribus d’Hommes-Bêtes qui s’étaient jointes aux forces de Spume les guidèrent dans les bois, sur des sentiers que les Nordiques n’auraient jamais remarqués. Les heures passant, les chênes géants devinrent encore plus biscornus. Les verts et les bruns sombres firent place aux gris et aux blancs comme les arbres se couvraient de toiles d’araignée. La forêt s’était tue. Nombre de ceux qui se frayaient un chemin dans les broussailles s’interrogeaient jusqu’à ce qu’ils vissent des becs et des serres dépassant des sacs de soie. Çà et là, il y avait des ballots assez grands pour contenir un homme. Barbares et Hommes-Bêtes ne s’en émurent pas ; au contraire, cela les revigora. Une bonne bagarre contre un ennemi commun ne ferait que resserrer les liens entre les tribus, et il était grand temps de donner aux Dieux de quoi les occuper.
Le silence fut subitement rompu par un chœur de hululements. Les amas de toile se mirent à vibrer d’activité. Une Araignée grotesque sortit de chaque ombre, avec un Gobelin des Forêts sur son dos. Chaque Peau-Verte était paré d’os et de plumes fichés dans son épiderme. Au centre de la nuée avançait un Chef Gobelin dégingandé portant un masque orné de rémiges. Les yeux du Gobelin brillaient d’une lueur verte tandis que l’énorme Araignée grise qui lui servait de monture cheminait sur les toiles.
Apercevant un terrain découvert entre les arbres, Gutrot Spume fonça dans la forêt en appelant ses hommes à sa suite. Sa cavalerie serait privée de son avantage dans l’environnement confiné des bois, mais si son armée parvenait à atteindre la clairière, la donne s’en trouverait radicalement changée. Les guerriers en armure de Norsca fracassèrent les buissons en suivant leur seigneur, sous une pluie de flèches. Épaule contre épaule, ils se ruèrent entre les arbres, inconscients du fait que des créatures bien pires que des Gobelins se rapprochaient.
Guerre dans la Drakwald[modifier]
La Confrérie de la Rouille[modifier]
Espérant faire de l’ombre aux Glottkin, Gutrot Spume s’est entouré des plus féroces guerriers qu’il a pu trouver. Une bonne partie de sa force d’élite a succombé aux horreurs de la Drakwald, mais une alliance avec l’Homme-Bête appelé l’Annonciateur a renouvelé ses effectifs. Gutrot Spume Eogric le Vil Les Fils de la Dernière Peste L’Annonciateur Les Cavaliers Avariés Les Haches de Corne
Les Bêtes à Bois
|
La Myriade de la Drakwald[modifier]
Les flopées anarchiques de Peaux-Vertes de la Drakwald se combattent entre eux aussi souvent qu’ils livrent bataille à l’Empire. Lorsque les envahisseurs en armure de Spume s’égarent dans leurs domaines, Orques et Gobelins convergent sur eux avec des intentions meurtrières. Le Chef Masqué Tinitt Quat’Zyeux Grokka Hachegore Les Bandes à Grokka Tombe-des-Troncs Gobe-Rouge Les Cavaleurs à Plumes
L’armée de Gutrot Spume se fraya un chemin dans la forêt pour atteindre la grande clairière. À gauche, Eogric l’Exécuteur guidait les mutants lourdauds qui portaient l’Autels de guerre de Spume sur une trajectoire parallèle. Les imposantes créatures asservies se servaient de la masse du palanquin pour dégager les branches tordues, les lianes épaisses et la soie d’Araignée qui leur bloquaient le passage, tandis que des hardes d’Hommes-Bêtes bêlants les dépassaient en courant et en sautant. Non loin, les Dragons-Ogres et les Minotaures jouaient de leurs énormes haches pour tailler la végétation, les Gobelins des Forêts et les Araignées comme ils cherchaient à échapper à l’encerclement de leurs assaillants Peaux-Vertes. Les guerriers de Norsca que leur seule chance d’agir en temps que force cohérente était de former une ligne de bataille dans la trouée qui se trouvait devant eux. Là ils pourraient combattre selon leurs propres termes, plutôt que de subir les attaques de leurs ennemis Gobelins dans les bois. Les pièges tendus par la tribu des Plumes Empoisonnées avaient causé la perte d’armées entières par le passé, la Drakwald prenant un tribut de chair et d’âmes sur ceux qui tentaient de la traverser. Toutefois, les Gobelins n’avaient jamais rencontré des adversaires aussi tenaces. Une horde de tueurs en armures lourdes avait déboulé au cœur même de la toile de leur chef, et fonçait vers la clairière où la tribu faisait ses sacrifices à la Déesse Araignée. Les éléments avancés des forces des intrus y dressaient déjà un mur de lames et de boucliers. La taille de l’armée de Spume était à la fois un atout et un handicap. Leur assaut pêle-mêle dans la Drakwald avait déclenché une cacophonie de cris et de beuglements, et le tumulte de la bataille attirait plus que de simples Gobelins. De nombreuses tribus d’Orques Sauvages, brandissant des haches de silex et des lances ornées d’os, affluaient de l’autre côté de la grande clairière. À leur tête, un Peau-Verte massif se précipita dans la trouée éclairée par la lune, la langue pendante et les yeux révulsés tout en rugissant d’impatience. Les Orques étaient encore à un demi-mille, mais les Nordiques comprirent qu’ils devraient affronter non pas une armée, mais deux. Tout autour des envahisseurs, les Araignées tombaient des frondaisons comme une pluie de chitine. Le plancher végétal difforme grouillait de petits arachnides tandis que la cavalerie octopode jaillissait des bosquets pour former sa propre ligne de bataille. Des javelots et des flèches primitives se plantaient dans les muscles des Hommes-Bêtes qui se ruaient pour intercepter la horde des Gobelins, mais pour chaque projectile qui abattait sa cible, trois autres étaient esquivées ou rebondissaient sur des plaques rouillées. Humant l’odeur du sang, les hardes téméraires chargèrent les rangs des Chevaucheurs d’Araignée. Si la plupart détalèrent hors de portée, lorsque la mêlée s’engageait, les haches des Gors et des Bestigors taillaient les Gobelins chétifs et leurs montures tendres en pièces. Un bain de sang inonda la clairière : une opportunité pour les adeptes du Chaos de gagner la faveur de leurs Dieux. Gutrot Spume projeta trois de ses tentacules et saisit un Gobelin au front ceint de plumes comme il passait sur son Araignée. Il accrocha sa hache au rebord de l’Autel de Guerre qui avançait à côté de lui, puis se balança avec ses autres pseudopodes pour monter à bord. Il plaqua le champion Gobelin sur le billot à l’avant du palanquin, et pria Nurgle comme il éviscérait la créature piaillante et brandissait ses entrailles vers le ciel. Le tonnerre gronda en réponse à son offrande, et un étrange nuage noir se mit à tourbillonner au-dessus du champ de bataille. Enhardis par l’apparition de leurs alliés Orques Sauvages à l’autre bout de la clairière, les Gobelins des Forêts renouvelèrent leur attaque, en tombant sur la ligne du Chaos de tous les côtés à la fois. Les pointes de lance et les pattes chitineuses trouvèrent des failles dans les armures et percèrent la peau dure des fantassins de Spume. Des crocs enduits de venin mordirent les cous et les dos exposés des Minotaures enragés, qui se saisirent de leurs persécuteurs perfides, les détachèrent de leur prise et les écrasèrent par terre. Les Chevaucheurs d’Araignée mouraient par dizaines, chaque coup de hache ou de massue à deux mains transformant le Gobelin et sa monture en une masse confuse de membres brisés. Si les guerriers Gobelins péchaient par la qualité, ils se rattrapaient nettement en termes de quantité. Les lisières de la clairière étaient toujours masquées par l’afflux de corps descendant silencieusement des arbres pour se jeter dans la mêlée. Bien que l’armée de Spume pût compter sur plus de mille guerriers, les Peaux-Vertes de la Drakwald étaient au moins dix fois plus nombreux. Au jeu de l’usure, les envahisseurs du Chaos perdraient et leurs os iraient finir dans les sacs de toiles des autochtones. Au centre de la ligne du Chaos, Spume poussait ses suivants à combattre. Il faisait décrire de grands arcs à sa hache, et ses tentacules fouettaient les Araignées qui bondissaient par-dessus ses moulinets. Malgré sa position élevée sur l’Autel, la situation de Spume se dégradait vite. Chaque seconde apportait son lot d’ennemis se déversant de l’orée de la forêt pour sauter sur la plate-forme ou planter des crocs venimeux dans les brutes malbâties qui la supportaient. Les porteurs de l’Autel marchèrent pesamment, dans l’espoir d’échapper aux morsures d’arachnides. Ce faisant, ils emportèrent leur fardeau sous un pan de la canopée qui s’étirait dans la clairière. Un cri perçant annonça l’assaut de dizaines de cavaliers Gobelins qui surgirent de leur cachette et fondirent sur le palanquin. Des lances vinrent se ficher dans l’épaule, le cou et même dans la peau glissante des tentacules de Spume. Cela ne fit que nourrir sa colère, car Nurgle lui avait accordé une résistance telle qu’il ne pouvait succomber à de simples blessures. À droite de l’Autel, une Araignée de la taille d’un percheron projeta des fils de soie collante et arracha la hache de Spume de ses mains en tordant son gros abdomen. Le seigneur lança son plus long tentacule et la rattrapa, pour décapiter un Gobelin caquetant qui lui piquait le heaume avec sa lance. Distrait une seconde, Spume subit l’attaque du cavalier qui s’était glissé derrière lui, et qui planta la pointe de sa lame derrière le genou du Nordique. Alors que la bataille faisait rage autour de lui, Gutrot Spume donnait des coups de poing, de pied et de tête aux corps de chitine qui menaçaient de le noyer. Le fer d’une lance frappa durement son heaume, fendant ses lèvres constellées de furoncles et inondant sa bouche pourrie de sang. La pointe d’une autre pique vint se ficher dans sa cuisse. Davantage d’Araignées bondirent sur lui, pour l’enterrer sous une masse de crocs dégoulinants et de corps de jais. Le poison se mélangeait au flux sanguin de Spume comme de l’eau de fonte, mais ne le mit pas à genoux. Au contraire, les Araignées qui l’avaient mordu s’écroulèrent pattes en l’air et tressaillant, ravagées par les pestes surnaturelles que contenait le sang du Seigneur du Chaos. Pourtant le flot des bêtes ne s’interrompait pas. Un bourdonnement vociférant descendit du ciel, et les spirales de brume noire fusionnèrent en un ouragan de mouches couvertes de glu. Les insectes roulèrent pour former un visage gigantesque qui remplissait le ciel au-dessus de la clairière. Alors que Spume luttait en bas, l’apparition ouvrit grand la bouche et vomit une épaisse nuée vers le Nordique assiégé. Les insectes corpulents plongèrent en nombre tel qu’ils rejetèrent les assaillants du seigneur de Nurgle, ne laissant qu’un Spume exsangue mais plein de défi sur le palanquin. Il y eut un crissement assourdissant lorsque quatre pattes titanesques déchirèrent les toiles qui masquaient l’est de la clairière. Deux des Hommes-Bêtes en armures rouillées qui tentaient de flanquer les Orques Sauvages en approche furent épinglés, et leurs frères de hardes terrifiés s’enfuirent. Une Araignée bleu nuit qui aurait pu enjamber le Bête Gâtée franchit la lisière du bois. Deux monstres similaires la suivaient - l’une brun roux, l’autre noire. Leurs dos portaient des howdahs faits de branches garnis de Peaux-Vertes braillant ou riant aux éclats. Un cor de guerre sonna, et une troupe de Bestigors jaillit de la forêt pour tenter de trancher les jambes de l’Araignée de tête. L’immense créature se contenta de traverser la masse des Bêtes à Bois, comme s’il ne s’agissait que d’un rideau de fumée. Deux Minotaures maculés de sang se jetèrent sur le chemin du monstre, dont les mandibules découpèrent le premier comme sa patte antérieure empalait le second. Les syllabes gutturales de l’Annonciateur vibrèrent tandis que l’Araignée rousse chargeait les Guerriers du Chaos, la catapulte montée sur son howdah projetant des pelotes de toile collante dans les rangs ennemis. Quand le Chaman termina son incantation, le monstre ralentit, vira, et pataugea avec des soubresauts paniqués dans le cloaque bouillonnant qui était apparu à ses pieds. L’Araignée géante piaffa, éjectant des Gobelins du howdah, qui sombrèrent dans le bourbier. À droite, les Haches de Corne se ruèrent sur le plus gros des arachnides géants en écartant brutalement leurs alliés Hommes-Bêtes dans leur hâte de combattre. Le plus gros des Dragons-Ogres sauta par-dessus les Peaux-Vertes qui voulaient lui barrer la route, et les camarades du Shartak taillèrent et piétinèrent les Gobelins en le suivant. Le chef Dragon-Ogre accrocha ses deux haches à une branche basse et se servit de son élan pour projeter ses quatre jambes écailleuses massives sur l’Araignée dans un bruit de bois fracassé. L’arachnide recula en s’embrouillant les pinceaux, mais le Shartak n’en avait pas fini. Il sectionna un des membres antérieurs dans une fontaine de fluide blanc. La créature se glissa derrière deux grands chênes de la Drakwald ; ses yeux malveillants luisaient tandis que son abdomen se contractait. L’instant suivant, une liasse de soie gluante atteignit le champion Dragon-Ogre en pleine face. Aveuglé, le Shartak se cabra en battant sauvagement des bras et des haches. L’Arachnarok saisit sa chance, se rua en avant et coupa le guerrier en deux avec ses mandibules acérées. L’Araignée continua sur sa lancée avec les autres Dragons-Ogres, et en renversa deux avec la masse bouffie de son abdomen. Ses pattes piétinèrent encore et encore, les pointes chitineuses transperçant la chair écailleuse. Voyant les ravages de l’Arachnarok, l’Annonciateur leva les bras au ciel et poussa un bêlement suppliant. Le visage céleste géant répondit par une nouvelle éructation rugissante. Des essaims de Mouches-Démons déferlèrent telles des vrilles de fumée, qui trouvèrent les évents de l’arachnide et s’y engouffrèrent. L’énorme Araignée arrêta immédiatement son carnage, son dard empoisonné frémissant au-dessus d’un Dragon-Ogre à terre. Ses multiples yeux étincelèrent. Puis elle frémit, couina comme un crabe bouilli, et s’écroula, morte. Son dernier souffle fut couvert par un cri de guerre si puissant qu’il occulta tout le reste : les Bandes à Grokka chargeaient. Les Orques Sauvages abattirent leurs haches et leurs lances de silex sur les Fils de la Dernière Peste, mais leurs coups furent déviés par des parades expertes ou par des plaques d’armure et des boucliers. Néanmoins, les véritables armes des Orques n’étaient pas les instruments rudimentaires qu’ils brandissaient, mais leur physique musculeux et leur frénésie guerrière. Leur assaut implacable ne laissait guère le temps de riposter aux Nordiques. Lentement, mais inexorablement, la grêle de coups repoussait les guerriers de Spume vers les Gobelins des Forêts de l’autre côté de la clairière. Sur le flanc, une horde de plus de cent guerriers Orques chevauchant des sangliers percuta la harde qui venait en renfort des Fils de la Dernière Peste. La force de l’impact provoqua un bruit sourd quand les dents de dague heurtèrent les torses nus des Bêtes à Bois, les Peaux-Vertes tatoués ajoutant au décompte macabre en coupant des têtes cornues et en plantant des lances dans des poitrails chaque fois qu’ils trouvaient une ouverture. Les Hommes-Bêtes répliquèrent âprement, mais l’assaut des Orques était si déterminé que le premier et le second rang tombèrent. La harde vacilla, se tourna et décampa, abandonnant ses alliés Nordiques à leur sort. Grokka Hachegore se tenait au milieu du carnage, son Kikoup' en silex maculé de sang tourbillonnait dans des rangs d’adorateurs du Chaos si denses qu’il ne manquait jamais de cible. L’acier de Norsca entaillait ses bras, sa poitrine, même son visage, mais au lieu de cri de douleur, il ne lui arrachait que des hurlements de fureur. Les Peaux-Vertes proches du Chef de Guerre tiraient leur force des ravages causés par leur meneur qui fauchait les Fils comme du blé trop mûr. Puis Eogric le Vil joua des épaules dans la foule et trancha net le cou de Grokka. À la surprise générale, l’Orque décapité continua de se battre, et tua d’autres Nordiques avant qu’un nouveau coup de la hache d’Eogric fende son corps en deux. Le champion se pencha, ses intestins distendus pendant horriblement, et ramassa la tête de l’Orque Sauvage pour la lever bien haut. Le tonnerre gronda, mais il ressemblait plus un rire caverneux qu’à une véritable menace d’orage. Ce fut alors que les Cavaliers Avariés entrèrent dans la mêlée. La frustration née d’avoir passé une bonne partie de la semaine à marcher leur donna de la force. Des dizaines de lances à large fer et d’épées ensorcelées embrochèrent les Orques Sauvages ; l’élan de la charge rogna le flanc de l’armée Peau-Verte, le transformant en un fatras de corps démembrés et piétinés. Les destriers ruaient et mordaient tandis que leurs cavaliers coupaient têtes et mains. La fureur zélée qui semblait animer les Orques se dissipa totalement, ce qui en fit des proies faciles pour les guerriers vétérans de Spume. L’Arachnarok noire qui laminait la ligne de bataille de Spume se recroquevilla avant de bondir dans les airs en direction des Chevaliers du Chaos. Elle atterrit en faisant trembler le sol, tandis que son dard empoisonné perçait déjà les armures rouillées pour prédigérer la chair flasque en dessous. Le howdah de la créature accueillait un Chaman chétif qui baragouinait dans le langage stridulant des arachnides tout en agitant un bâton orné de plumes au-dessus de sa tête. L’atmosphère de la clairière devint oppressante, et la silhouette clignotante d’une Araignée impossiblement grande et faite de lumière de lune se manifesta au-dessus de la bataille. La tornade de mouches qui avait secouru Spume éclata et se dispersa, terrifiée par l’Araignée spirituelle. Chaque guerrier de l’alliance de Spume qui était touché par une des pattes Aethyriques de la bête se consumait dans une flamme verte et se transformait en carcasse desséchée en un battement de cœur. Champion renommé et humble Ungor étaient transpercés par des traits aranéides avant de tomber en cendre, tandis que le Chaman Gobelin coassait comme un dément à la vue de l’œuvre de la malédiction lunaire. Soudain un horrible braillement nasillard retentit dans la clairière. Attiré par l’étrange lumière, le Jabberslythe de l’Annonciateur vint s’affaler dans la mêlée, sa masse graisseuse réduisant un trio d’Ungor en bouillie désossée en atterrissant. L’air même se mit à ondoyer et à se gauchir en présence de l’ignoble bête comme elle gambadait dans les rangs des Orques Sauvages. Tout autour d’elle les Peaux-Vertes étaient pris de spasmes et tailladaient leur propre chair sous l’influence de l’aura de Magie indescriptible du Jabberslythe. Il ouvrit sa gueule en grand, projeta sa langue préhensile collante et cueillit le Chaman Gobelin sur son perchoir de toile. Le Peau-Verte piaillant fut halé dans le gosier du monstre, et disparut dans un claquement de babines rugueuses. Dans la seconde qui suivit, l’Araignée de lune titanesque qui dominait la bataille clignota, diminua, puis s’effaça complètement. Au centre de la ligne de bataille, Spume tirait le fer contre le Chef Gobelin masqué qui commandait les tribus de Chevaucheurs d’Araignée. Sa monture bavait du poison comme elle se tassait près du sol. L’Araignée Géante bondit les huit pattes en avant, prêtes à poignarder l’adversaire. Sept tentacules jaillirent, chacune saisissant un des membres de la bête, n’en laissant qu’un qui atteignit sa cible. Celui-là ne fit qu’égratigner le pectoral de Spume. Le Nordique riposta en abattant sa hache, dont le fer se ficha dans la tête bulbeuse de l’Araignée. L’arachnide gris commença à remuer violemment, pour tenter de déloger la hache malgré les affres de l’agonie, mais la lame rouillée était fermement plantée. Le Chef Masqué escalada le thorax tressaillant de sa monture, appuya le genou sur le cou de la bête mourante et porta une estocade sournoise de sa lance à pointe de silex, droit sur le heaume de Spume. Le Seigneur du Chaos se pencha sur le côté, esquivant le coup mortel au dernier moment. Il attrapa la hampe avec deux de ses tentacules, la cassa dédaigneusement et la jeta par-dessus la rambarde de l’Autel de Guerre. Le Gobelin se jeta sur Spume en criant, et mordit profondément dans son épaule découverte. Les tentacules enveloppèrent le Chef Masqué, mais cette fois pour le maintenir en place au lieu de le balancer au loin. Alors que les crocs du Gobelin inoculaient son venin faiblard, un peu du sang infecté du seigneur de Nurgle coula dans la bouche du Peau-Verte. Ce jour-là, Spume était béni par le Seigneur de la Décrépitude, et Nurgle avait la faveur généreuse. Les yeux du Gobelin blanchirent comme il rejetait la tête en arrière, en piaulant comme un porc qu’on éventre. Il se mit à enfler, lentement et grotesquement, tandis que la bénédiction de Nurgle faisait effet. Le corps du Gobelin gonflait comme champignon après la pluie comme les bienfaits inamicaux du Dieu de la Peste affluaient dans sa chair. Des cloques et des remous apparurent sur sa peau verte. Ses traits s’élargirent, assez comiquement, sur un visage trop distendu. Puis, dans une horrible pétarade humide, le Chef Masqué éclata.
Les Peaux-Vertes qui avaient assisté à la scène braillèrent et s’enfuirent dans la forêt tels des insectes dispersés par une torche. La panique se répandit dans la horde comme un virus. Les Araignées et leurs maîtres des forêts se retirèrent aussi vite qu’ils étaient venus, dans des troncs creux et des terriers boueux. Même les Araignées gigantesques qui portaient des howdahs repartirent dans les bois sans demander leur reste. Les guerriers de Spume poussèrent des cris de joie, tandis que les plus sanguinaires d’entre eux donnaient la chasse aux Gobelins trop lents ou trop meurtris pour s’échapper. Une fois les Gobelins des Forêts partis, Nordiques et Hommes-Bêtes contre-attaquèrent les Orques Sauvages qui continuaient de se briser contre leurs murs de boucliers. Les Peaux-Vertes avaient perdu de leur élan avec la mort de leurs chefs, et cette fois, ce furent eux qui durent reculer ; leurs adversaires en profitèrent pour les hacher menu et les piétiner dans la boue. Une plainte désespérée se répandit dans les rangs des Orques telle une onde tangible, et ils détalèrent dans les profondeurs de la Drakwald. Spume fit avancer son Autel de Guerre. Ses servants mutants se penchèrent docilement afin qu’il puisse sauter sur le thorax de l’Arachnarok piégée dans le bourbier magique. Il leva sa hache bien haut, psalmodia les sept noms préférés de son Dieu tutélaire et abattit sa lame sur la tête de l’immense Araignée. La boîte crânienne de la créature s’ouvrit en craquant comme un tir de canon. Dans son agonie, la bête convulsa brutalement, éjectant Spume et l’envoyant heurter violemment l’arrière de son palanquin. Il y eut un bruit de bris de céramique, et une puanteur si répugnante qu’elle retourna l’estomac de tous ceux qui la sentirent, même des adorateurs de Nurgle les plus fervents. Un infâme liquide gris-brun s’écoulait de la poupe de l’Autel de Guerre, débordant à grands flots de la jarre à peste en terre cuite qui le contenait. Partout où il touchait le sol, des vrilles épaisses de vignes épineuses émergeaient hors de terre en une profusion qui défiait tout entendement. Les étranges lianes tâtonnaient en quête des cadavres éparpillés dans la clairière, et se plantaient dans leur chair avant de rejaillir avec encore plus de vigueur. Les Nordiques, dans un silence ébahi, observaient les pampres soulever les corps d’humains et de Peaux-Vertes : des milliers de cadavres pendaient comme des fruits obscènes dans les taillis gris-brun difformes qui poussaient dans la clairière. La végétation magique se développa d’arbuste en bosquet, puis en forêt en l’espace de quelques minutes, pour former un vaste dôme de vignes entrelacées au-dessus des Nordiques extatiques. Un temple à la gloire de Nurgle venait de naître des corps que les hommes de Spume avaient semés sur la terre sacrée de la Déesse Araignée. Suite au massacre des tribus des forêts et à la mort de leur Chaman, toute la puissance magique que les Gobelins puisaient dans ce site avait été confisquée et transférée à Nurgle. C’était une offrande véritablement digne d’un Dieu, un festin d’énergie élémentaire qui revigora le Seigneur de la Déchéance dans les deux royaumes. Les Nordiques croyaient qu’un tel triomphe serait récompensé par les Dieux. Assurément, ce grand sacrifice avait énormément plu à Nurgle, et les dons accordés aux armées de Gutrot Spume ne faisaient que commencer. Chapitre III : LE DÉLUGE DE TALABHEIM - Été 2525[modifier]Loin au nord, les blocs de glace qui flottaient dans le Golfe de Kislev étaient poussés par la proue d’un immense navire. Ce n’était pas un vaisseau ordinaire, mais le Vulfbite, un bâtiment de guerre qui avait été coulé le long de la côte de l’Ostland. La carcasse pourrie de ce bateau avait été retirée des fonds marins par un Kraken asservi par le Seigneur des Tentacules, puis déposé sur le rivage afin que les champions du Pic de la Corne de Glace, les alliés des frères Glott, l’utilisent pour naviguer.Les barbares du Pic de la Corne de Glace étaient voués à Nurgle depuis des temps immémoriaux. Ils connaissaient même la dimension parallèle où vivait leur maître, car le Royaume du Chaos s’ouvrait régulièrement au niveau du Pic de la Corne de Glace. Ainsi, les guerriers de la montagne étaient si résistants que chacun d’eux valait douze hommes ordinaires au combat. Parmi les chefs de cette tribu, on comptait trois guerriers qui portaient tout particulièrement les faveurs du Seigneur de la Déchéance. Tous étaient dotés d’une endurance surnaturelle, et étaient âgés de plusieurs siècles. Leurs corps n’étaient plus que des amas pourris perclus de maladies. Le premier d’entre eux était Orghotts Daemonspew, connu dans le nord comme le Roi Bâtard à cause de sa nature semi-démoniaque. Le second était la carcasse infestée d’asticots nommée Bloab Rotspawned, le Seigneur des Mouches, qui avait aidé Orghotts avec ses sorts méphitiques pendant la Bataille des Portes de Kislev, en 2303. Le troisième était Morbidex Twiceborn, le Maître des Nurglings, un guerrier jovial suivi en permanence par une nuée de ces petits Démons. Archaon leur avait donné une chance de se distinguer, ils étaient donc pressés de prouver leur valeur en conquérant les terres du sud. Otto Glott les avait chargés d’atteindre le Fort d’Airain dans les Monts du Milieu, et de rallier à leur cause sa garnison de serviteurs de Nurgle. Orghotts avait accepté avec enthousiasme, car il avait vu là une occasion de se distinguer auprès de Nurgle. En menant une invasion au cœur de l’Empire, il comptait bien gagner l’immortalité qu’il convoitait depuis tant de décennies. Avides d’une gloire qu’ils ne désiraient pas partager avec le reste de leur tribu, ces trois champions partirent sur les immondes créatures qu’ils utilisaient comme coursier, et embarquèrent à bord de leur navire pour prendre la mer. La coque du Vulfbite avait connu des jours meilleurs, mais cela suffisait à Orghotts. La sorcellerie de Bloab Rotspawned avait rafistolé les nombreuses voies d’eau en les bouchant à l’aide d’amas de chairs frémissants, et de nouvelles voiles en peau de Mammouth avaient été taillées pour profiter des vents favorables. Les Krakens de Spume accompagnèrent alors le navire le long de la côte des Désolations Nordiques, allant jusqu’à le défendre contre les galions de l’Empire et les Vaisseaux Aigles des Hauts Elfes qu’il croisa lors de son voyage. En une semaine, le Vulfbite accosta sur les rivages du Golfe du Kislev. Alors que l’armada des frères Glott comptait des milliers de guerriers tatoués dans ses cales, et tandis que Gutrot Spume menait l’élite des combattants de Norsca, la force de Daemonspew comprenait en tout et pour tout trois membres. Cependant, ces hommes étaient originaires de terres situées tellement au nord du monde, qu’ils étaient littéralement imbus de la puissance brute du Chaos. Avec un seul navire à leur disposition, Orghotts et ses compagnons évitèrent soigneusement les batteries côtières de l’Ostland. Ils se dirigèrent vers le Golfe du Kislev, car l’essentiel de cette nation jadis puissante avait été dévasté.
Orghotts espérait atteindre Altdorf avant l’équinoxe d’automne, c’est-à-dire à temps pour attaquer de concert avec les frères Glott. Néanmoins, le chef de guerre ne pouvait pas rester toute une saison sans verser le sang. Ainsi, au lieu d’attendre Geheimnisnacht, il comptait bien répandre la mort et le désespoir partout où il se rendrait. Dès qu’il aurait rassemblé une troupe en recrutant les guerriers du Fort d’Airain, il serait en mesure de porter le fer aux soldats et aux habitants de l’Empire. Avec uniquement deux autres chefs à ses côtés, il était pour l’heure ambitieux d’envisager d’assaillir une ville de l’Empire, sans parler de ses plus grandes cités. Pourtant, Orghotts ne manquait nullement d’ambition, car il savait qu’il en aurait besoin afin de prouver à son maître qu’il était digne d’accéder au statut de Démon. Pendant que les cavaliers du Pic de la Corne de Glace s’infiltraient dans le nord de l’Empire, Vlad von Carstein suivait la route du Stir monté sur un coursier. Les nobles traits du Mortarch affichaient un rictus de dégoût. Quelques jours plus tôt, ses espions l’avaient informé qu’une armée d’invasion avait disparu sous les frondaisons de la Drakwald, et que la menace des forces du Dieu de la Peste n’était plus à craindre. Pourtant, lors de son retour du Bastion Doré, Vlad avait été contrarié de voir que les forêts de ses terres ancestrales avaient été corrompues. Là où s’étendaient jadis des bois où il était possible de se cacher aux yeux indiscrets, se trouvaient désormais des amas de fourrés pourris et de lianes si denses qu’il était impossible de les traverser. Cette végétation envahissait les routes et les sentiers, comme si elle était dotée d’une vitalité surnaturelle. Les lianes les plus épaisses se tendaient même vers Vlad à son passage, comme si elles sentaient sa présence et voulaient l’enserrer. Le Vampire grimaça de colère et se tint à distance de ces appendices noirâtres et inquisiteurs. Il ne comptait pas perdre de temps à taillader des plantes, et encore moins finir comme les cadavres qu’on apercevait dans l’enchevêtrement de végétation carnivore. En effet, çà et là, des corps en décomposition pendaient entre les branches, comme si les arbres étaient des gibets ayant connu un jour faste. On comptait de nombreux séides de Nagash parmi ces victimes : Vlad reconnaissait l’influence du Grand Nécromancien, et la façon dont ses marionnettes étaient transfigurées par ses pouvoirs. À peine quelques semaines après que les énergies de la non-vie se fussent déversées sur les terres, elles avaient été contrecarrées par une végétation envahissante qui polluait toutes les forêts. Indubitablement, une Magie puissante était à l’œuvre, car les forces de la nature corrompues par le Chaos prenaient possession des terres. Cette idée ne plaisait guère au Vampire, même si bon nombre de vivants avaient eux aussi succombé aux attentions envahissantes des lianes. Certains des cadavres étaient frais : des paysans ou des patrouilleurs à en juger à leurs habits, il y avait même des dépouilles de Goules. Ce n’était pas une grosse perte pour Vlad, car les tribus de mutants avaient toujours été indociles, mais cela ne présageait rien de bon pour le futur. Chacun des corps avait une liane enroulée autour du cou, et une autre qui plongeait au fond du gosier. Les morts les plus récents étaient transpercés par plusieurs appendices. Vlad comprit que la végétation se nourrissait des charognes, à la façon d’un ignoble parasite, voire dans une parodie de la malédiction des Vampires. Même si Vlad était parvenu à transcender les limites de sa condition grâce à son épée suceuse de sang, la façon dont ces plantes l’insultaient indirectement l’indignait au plus haut point. Entonnant une courte phrase en Nehekharien, Vlad se transforma en une silhouette de brume. D’une simple pensée, il se rapprocha des lianes. Cette fois, elles ignorèrent sa présence, et continuèrent leur pousse lente mais implacable. Intrigué, Vlad tira son épée (elle aussi immatérielle) de son fourreau, et trancha une des tiges les plus épaisses. Une sève ignoble s’écoula. Son odeur était si repoussante que même le Vampire recula d’un pas. Ce n’était pas là l’œuvre d’un homme, mais celle d’un être surnaturel et immensément puissant. Une vie incontrôlable qui anéantissait tout ce qu’elle touchait était en train d’imposer au monde un ordre nouveau. Seuls les agents du Chaos étaient capables d’un prodige aussi immonde. Retournant vers la route, Vlad mit fin à son sort et se remit en selle, puis ordonna à sa monture de se remettre en route d’une simple pensée. La Sylvanie devait avoir mieux résisté à cause de la Magie de la mort qui imprégnait son sol, toutefois le reste de l’Empire était menacé d’être entièrement corrompu par le Chaos. Même s’il renâclait à quitter ses terres ancestrales, Vlad prit finalement la décision de combattre pour tenter de défendre le reste de l’Empire, car c’était l’ordre du monde qui était en jeu. De plus, d’après les rapports de ses espions, les lianes n’étaient pas le seul mal à avoir envahi les provinces. Même si cela semblait incroyable, il devenait de plus en plus évident que la guerre de part et d’autre du Bastion Doré avait été un simple leurre : tandis que l’attention des serviteurs de l’Ordre était concentrée sur la frontière avec Kislev, la véritable attaque contre le Vieux Monde provenait de l’intérieur. Des agents infiltrés étaient en train de saper les défenses de l’Empire afin de préparer une invasion d’envergure. Il fallait agir, car les mortels, une fois de plus, n’allaient réaliser le danger que trop tard, et leurs provinces allaient tomber entre les mains des Dieux Sombres. Et si cela arrivait, Vlad perdrait toute chance de retrouver un jour Isabella. Pire encore, la civilisation, l’ordre et l’obéissance deviendraient des concepts utopiques, alors qu’ils étaient la base des convictions du Vampire. Son coursier s’arrêta au centre de la route. Vlad jeta un dernier regard aux atrocités végétales qui s’étaient emparées de ses terres. Il était temps de riposter. Le Vampire produisit un petit parchemin, se piqua le pouce avec une plume affûtée, pressa une goutte de sang et l’utilisa pour rédiger une nouvelle offre d’alliance aux seigneurs mortels de l’Empire.
Alors que le printemps se terminait et que l’été s’installait, une rumeur faisant état d’une épidémie terrible commença à se répandre dans l’Empire. De la mousse envahissait les rivières et des lianes recouvraient les routes forestières, et les rapports isolés devinrent de plus en plus nombreux, jusqu’à former le canevas d’un désastre imminent. Les villages et les villes qui avaient jusqu’à présent survécu grâce à leurs palissades et à leurs murs étaient peu à peu anéantis par la pandémie. Même les marchands les plus rapaces refusaient de se rendre dans les régions touchées, et les bateliers prenaient mille et une précautions pour ne pas entrer en contact avec les malades, afin d’éviter de propager l’épidémie. Les malheureux qui avaient bu l’eau du Reik virent leurs corps se couvrir de la même mousse qui se développait à la surface de l’eau, et finissaient par dépérir et mourir en quelques jours. À l’exception des sœurs de Shallya, ceux qui tentaient de les aider étaient contaminés et subissaient le même sort. Les eaux du Reik étaient noires, et le Talabec commençait à être affecté. La peau des gens qui vivaient près des rives des fleuves devenait noire elle aussi, et ces lépreux atteints par la mousse tueuse finissaient par répandre la maladie tandis qu’ils allaient chercher désespérément de l’aide aux alentours. Ceux qui tentaient de fuir les terres corrompues étaient bien souvent happés et tués par les lianes qui avaient envahi les routes et les sentiers forestiers de toutes les provinces. La terreur se répandit à travers l’Empire, car depuis le retour de Nagash, les morts trouvaient difficilement le repos, et avec tant de victimes des maladies, il était impossible d’offrir une sépulture décente à tout le monde. Les effets de la Magie Noire s’ajoutaient à ceux du désespoir, et les actes de cannibalisme se multiplièrent dans les provinces. Au bout de quelques semaines, les citoyens de l’Empire s’entre-déchiraient. Les villages et les villes s’affrontaient les uns les autres, si bien qu’au final, le traumatisme dû à l’épidémie fit plus de victimes que l’affliction elle-même. Les Chevaliers de Bretonnie eurent vent du mal qui assaillait l’Empire. Louen Cœur de Lion était revenu lors de l’équinoxe de printemps, laissé pour mort suite à sa défaite face à Malbaude, et avait fait vœu de servir aux côtés du Chevalier de Sinople. À peine ses écuyers avaient-ils terminé de récurer son armure qu’une demande d’assistance d’Helborg arriva. Louen passa alors de longues heures à prier la Dame du Lac, et finalement, il revêtit de nouveau son armure, puis rassembla tous ses Chevaliers valides et chevaucha vers l’Empire. Pendant que les champions de Bretonnie se dirigeaient vers Altdorf, Orghotts Daemonspew et ses sbires progressaient dans la neige des Monts du Milieu. Ils devaient affronter des blizzards cinglants, des Chimères à la fourrure blanche et des vols de Grands Aigles, malgré tout ils ne rebroussèrent pas chemin. Ils atteignirent le Fort d’Airain juste avant le solstice d’été, et livrèrent des duels contre les maîtres de la garnison, qui étaient eux aussi des serviteurs de Nurgle. Le sang à moitié Démoniaque d’Orghotts prouvait qu’il avait la faveur de son dieu, et il parvint finalement à rallier la garnison à sa cause en lui promettant des pillages et des massacres sans fin. Au beau milieu de l’été 2525, les deux lunes étaient présentes dans le ciel et un terrible rituel rassemblant des milliers d’Hommes-Bêtes se déroula dans la forêt. Les mutants festoyèrent et prirent part à une orgie hallucinante dont les effets se firent sentir à travers toutes les terres. Dans le ciel, Mannslieb était partiellement caché par la Lune du Chaos, et on ne voyait qu’un anneau de lumière autour d’un cercle noir. L’Annonciateur avait organisé cette vaste célébration. Il se tenait au sommet d’un dolmen couvert de runes, les bras tendus vers les cieux. Derrière lui avait été formé le plus haut tas de cadavres de la Drakwald. La Pierre des Hardes qui se trouvait en dessous était recouverte par cet immense monticule de charognes. La puanteur était insupportable, mais pour le Chaman, elle annonçait la gloire à venir.
Lorsque l’éclipse lunaire fut à son apogée, l’Annonciateur prit une fiole de sang de Démon sous ses robes et en versa trois gouttes sur ses lèvres. Immédiatement, il tomba au sol, pris de convulsions, et se mit à réciter des phrases en Langue Noire d’une voix qui n’était pas la sienne. Du sang gicla entre ses dents quand il se mordit la langue, puis le liquide rouge s’écoula dans sa barbichette de bouc. Dans le ciel au-dessus de l’orgie, quelque chose s’agita devant Morrslieb. Des vrilles de lumière verdâtre apparurent, et descendirent de la voûte céleste tels des serpents se déversant dans un puits. Plusieurs appendices atterrirent en différents lieux de la forêt, mais les plus nombreux touchèrent le tas de cadavres au centre de la clairière. Une lumière blanche aveuglante émana de la pierre des hardes sous le monticule, puis elle explosa. La détonation titanesque résonna dans toute la Drakwald, et une centaine d’autres Pierres des Hardes explosèrent également. Chacune céda la place à un portail ouvert sur une autre dimension. Alors que les Hommes-Bêtes retrouvaient peu à peu leur ouïe, ils entendirent le bourdonnement de voix immortelles. Des cloches sonnaient, et des nuages de grosses mouches apparurent. Aveuglés par l’explosion de lumière, les Hommes-Bêtes ne virent pas immédiatement les nouveaux venus, cependant ils bêlèrent d’adoration dès qu’ils les aperçurent. Des centaines de Démons putréfiés émergeaient des portails ouverts par l’Annonciateur. Il en arrivait toujours plus. Leur odeur immonde envahit les clairières. Ces créatures horribles étaient des cyclopes dotés d’une unique corne sur le front, et leur seule mission consistait à répandre les maladies. Orghotts Daemonspew descendit des Monts du Milieu au début de l’automne 2 525. Il était accoutumé au Pic de la Corne de Glace, où la réalité elle-même vacillait régulièrement, c’est pourquoi il n’était nullement gêné par le climat et le terrain qu’offraient les montagnes qui s’élevaient au cœur des forêts de l’Ostland. Leurs Maggoths enfonçaient leurs griffes dures comme l’acier dans la pierre, et arpentaient le terrain difficile avec l’agilité de singes évoluant dans la jungle. Ils déclenchaient parfois des éboulements ou des avalanches, toutefois ils parvenaient systématiquement à s’en sortir. Les Maggoths transportaient non seulement les seigneurs de la tribu du Pic de la Corne de Glace, mais aussi les guerriers nommés les Répugnants, qu’Orghotts avait récupérés au Fort d’Airain. Ils avaient enfoncé leurs lames dans la peau insensible des Maggoths pour que ces derniers les portent, et leur odeur immonde leur permettait de ne pas finir dévorés par leurs montures. La petite force de Daemonspew traversa infatigablement les Monts du Milieu. Ainsi que les frères Glott l’avaient prévu, aucune autre troupe de Norsca n’aurait pu négocier aussi rapidement les montagnes situées au cœur de l’Empire. Même s’ils furent repérés par des éclaireurs Ostlanders, le nombre restreint des Guerriers du Chaos les aida à échapper à toute attaque de la part des forces de l’Empire déjà débordées ailleurs. De plus, leur itinéraire n’aurait jamais été considéré envisageable par un général sain d’esprit, pourtant les Chevaucheurs de Maggoth atteignirent les bois qui entouraient Talabheim en quelques mois à peine, alors qu’une armée ordinaire aurait mis beaucoup plus de temps pour effectuer le même trajet. Talabheim était surnommée l’Œil de la Forêt, car c’était un havre de paix au milieu d’un océan de verdure infesté de monstres. La cité avait été bâtie dans le cratère d’un volcan inactif, et dont les parois fortifiées formaient des murailles imprenables. Elles n’avaient qu’une seule porte, au bout d’un long goulet gardé par le fort de Talagaad. Depuis l’arrivée en masse des Morts-Vivants dans les terres et les rumeurs d’épidémies, le Talagaad était occupée par une grande proportion des troupes régulières de la ville, et par un détachement issu de la garde personnelle du Comte Électeur. L’entrée de la ville était fermée, et même scellée magiquement contre les terreurs de la forêt, car Talabheim possédait ses propres fermes au sein de ses murs, c’est pourquoi ses habitants pouvaient survivre en autarcie. Pourtant, ces défenses ne furent pas un obstacle pour Orghotts et ses guerriers, car grâce à leurs montures, ils n’eurent qu’à attendre la tombée de la nuit, puis à gravir les pentes du cratère et les murailles qui les ceignaient. Une fois qu’ils atteignirent les mâchicoulis, ils restèrent cachés en dessous jusqu’à la relève du guet, puis lancèrent l’assaut. Les soldats qui surveillaient les murs n’étaient pas préparés face à une telle attaque. Le Maggoth de Morbidex Twiceborn, baptisé Tripletongue, roula le long de la pente et fit chuter mortellement les défenseurs. La monture de Rotspawned vomit un flot de vitriol démoniaque sur les fuyards. Orghotts rugit une prière à Nurgle alors que ses haches décapitaient l’ennemi, dont les têtes rebondissaient et tombaient vers les rues en contrebas. En quelques minutes, les cavaliers du Pic de la Corne de Glace purent dévaler les parois intérieures du cratère, suivis de près par les Répugnants du Fort d’Airain. La rapidité de l’assaut avait pris les premiers défenseurs par surprise, malgré tout, plus tôt cette journée-là, la Garde de la Caldeira de Talabheim avait été prévenue par le Magister Céleste Gerovangion d’une attaque possible la nuit suivante : dès que les cavaliers atteignirent les faubourgs, une grêle de carreaux d’arbalète et de flèches s’abattit sur eux. Alors que la petite force du Chaos fonçait vers les rues, elle se retrouva nez à nez face à des régiments entiers de troupes régulières. Au début, les soldats ne furent pas des obstacles sérieux, car lorsque Orghotts chargeait de concert avec Bloab et Morbidex, rien ne pouvait les arrêter. Les monstres et les champions de Nurgle fauchaient les humains par dizaines. Les griffes des Maggoths dévastaient les murs de boucliers et les formations de lanciers dès qu’ils se formaient. Pourtant, même la tribu du Pic de la Corne de Glace n’était pas invincible. Chaque coup de lance et de hallebarde sapait un peu plus l’élan de l’assaut. Même si les cavaliers avaient déjà laissé derrière eux un champ de morts constellé de Nurglings invoqués par Morbidex Twiceborn, toute la ville était désormais informée de leur présence. Peu à peu, les défenseurs érigèrent des barricades dans les rues, ou les bloquèrent à l’aide de grands feux. Des charges de la part des Ordres de Chevalerie de la ville vinrent à bout de plusieurs Répugnants alors qu’ils attaquaient le quartier religieux. Chacun des guerriers de Nurgle fut transpercé par plusieurs lances de cavalerie, tandis que les rangs arrières étaient dévastés par les tirs d’arquebuse des célèbres Balles de Bronze. Les cadavres des Guerriers du Chaos furent brûlés sur des bûchers érigés en toute hâte par les Répurgateurs, et la fumée noire qu’ils dégagèrent prouva aux défenseurs partout dans la ville que les envahisseurs pouvaient être stoppés. Puisque ses alliés faiblissaient, et qu’il se retrouvait face à toute la population d’une des villes les plus vastes de l’Empire, avec seulement une poignée de séides à ses côtés, Orghotts Daemonspew donna le signal de la retraite. Plusieurs guerriers du Fort d’Airain ne l’écoutèrent pas, car ils étaient obnubilés par le combat, mais les autres le suivirent dans la nuit, et gravirent de nouveau les murs sous un feu nourri afin de s’échapper. Moins de la moitié des envahisseurs parvinrent à regagner la sécurité des arbres, cependant ceux qui survécurent à ce combat découvrirent une agréable surprise sous les frondaisons. En effet, une procession de Démons de la Peste marchait à travers la forêt aux abords de Talabheim. À leur passage, l’air s’emplissait de mouches grasses. Le tintement des cloches et les marmonnements des Porte-Pestes se joignaient au concert des bourdonnements tandis que l’armée de sortait des bois. Les Démons les plus influents progressaient sur le dos de mouches Démoniaques énormes, et étaient jusqu’à présent restés sous les arbres pour ne pas être repérés. Les Bêtes de Nurgle gambadaient joyeusement entre les troncs, en laissant derrière elles des flaques d’ammoniac quand elles se soulageaient ou marquaient leur territoire. À la tête de cet ost se trouvait Épidemius, juché sur son palanquin. Orghotts sourit de toutes ses dents pourries et se dirigea vers Épidemius. Il s’inclina devant lui, en s’excusant de l’interrompre dans ses comptes, puis le prévint des formidables défenses de la ville. L’endroit était fortifié et prêt à se battre. Des fantassins, même de nature démoniaque, n’avaient que peu de chances de le conquérir. Il semblait donc que l’ost de l’Intendant avait choisi une proie hors de sa portée… Épidemius posa sa plume dans un geste lent et théâtral, et toisa Orghotts comme s’il le voyait pour la première fois. Puis l’Intendant énonça le problème en quelques syllabes sonores : si Talabheim ne pouvait être envahie, il fallait simplement trouver un moyen de faire sortir ses habitants… Épidemius descendit de son palanquin et se mit à tourner autour du Maggoth d’Orghotts d’une démarche pesante, tout en prenant des notes sur un parchemin en peau humaine. Il arriva au niveau de l’amphore offerte par les frères Glott, et la tapota de son index griffu. La solution était là. Il suffisait de répandre une épidémie dans la ville pour forcer ses habitants à en sortir. Avant la fin de la première moitié de la nuit. Orghotts avait supervisé la construction d’un grand bûcher au pied des murs de Talabheim. Le bois pourri utilisé se mit à dégager beaucoup de fumée. De tels foyers étaient souvent allumés par la tribu du Pic de la Corne de Glace. Orghotts versa le contenu de l’amphore sur le feu. La colonne de fumée se mua alors en un immense nuage blafard qui s’éleva toujours plus haut, jusqu’à former une couche de vapeurs épaisses au-dessus de la forêt. Ces nuages ne tardèrent pas à déverser une pluie battante, puis finalement un véritable déluge de gouttes blanches. Épidemius riait à gorge déployée tandis qu’une pluie de pus et de sang infecté s’abattait sur les toits de Talabheim. Les habitants de la cité étaient horrifiés. Le déluge était si intense que les gens sombrèrent dans la panique. Les égouts de la ville finirent par déborder, si bien que la meilleure défense de la ville - son cratère dépourvu d’entrées - devint sa plus grande menace. Les quartiers s’animèrent d’une foule affolée tandis que le liquide jaunâtre emplissait peu à peu l’immense cuvette du volcan. Rapidement, les fluides arrivèrent aux chevilles, puis finalement aux genoux des habitants terrifiés. L’odeur infecte aurait déjà été suffisante pour saper le courage de la plupart des humains. Les gens se bousculaient pour atteindre les hauteurs et échapper au cloaque des rues. La plupart n’obéissaient qu’à l’instinct de survie le plus primitif, et n’hésitaient pas à pousser les femmes, les vieillards et les enfants pour passer en premier. Les chefs militaires de Talabheim, qui avaient justement deviné que ce déluge avait été provoqué par les envahisseurs qu’ils venaient de repousser, rassemblèrent autant de régiments que possible en prévision de l’offensive suivante. Ils firent alors sonner les cors de guerre, qui se firent entendre malgré le bruit de la tempête surnaturelle. Enfin, les troupes régulières de Talabheim sortirent en masse par le fort de Talagaad afin de traquer l’ennemi. Et ce faisant, elles marchèrent droit dans le piège d’Épidemius. La Bataille de Talabheim[modifier]Les Démons[modifier]
La Vengeance de Talabheim[modifier]
L’avant-garde qui jaillit de Talabheim comprenait plus de mille vétérans, ainsi que les batteries d’artillerie prises sur les murs du cratère, des foules de zélotes détrempés, et même un Tank à Vapeur dérobé. Malgré tout, cette force paraissait bien maigre comparée à l’ost démoniaque qui sortait des bois. Il ressemblait à une marée de chairs suppurantes et bourdonnantes, et entoura peu à peu le flanc ouest de la ville, jusqu’à encercler la saillie de défenseurs. Les Porte-Pestes levaient leurs lames rouillées à la gloire de Nurgle, et se délectaient de la pluie purulente qui tombait des cieux. Les Démons à l’arrière de ces phalanges tenaient leurs mains en coupe, et comptaient méthodiquement les bacilles qui se multipliaient dans le liquide. Ceux qui étaient à l’avant avançaient d’un pas lent mais immuable, et une détermination surnaturelle brillait dans leurs yeux. À leur tête chevauchaient les Chevaucheurs de Maggoth du Pic de la Corne de Glace, qui riaient en voyant le revers de fortune que subissaient les Talabheimers. Ils agitaient leurs armes d’un air menaçant, pressés de les utiliser contre l’ennemi. Piégée entre la paroi du cratère et l’ost de Démons, l’armée de Talabheim était forcée de livrer bataille. Elle progressa donc à travers la boue pestilentielle, et forma un mur de lances et de boucliers pour stopper les innombrables Porte-Pestes qui arrivaient. Ces derniers engagèrent le combat non pas avec la fureur des hommes du nord ou des Peaux-Vertes, mais en formant un rouleau compresseur de chair avariée hérissé de lames triangulaires, qui obligea les lignes de l’Empire à reculer pas à pas. Les lances des Rustres de Talabheim frappaient avec précision, et chaque plaie dans le flanc des Démons libérait des flots de fluides corrompus. Parfois, les coups faisaient littéralement exploser les Porte-Pestes, qui ne laissaient comme seules traces qu’une brume ectoplasmique et une odeur immonde. Néanmoins, ces quelques succès n’empêchaient pas les Démons survivants de continuer à avancer. Les rangs de l’avant étaient poussés par ceux de l’arrière, et les ventres distendus se laissaient empaler sur les armes impériales jusqu’à ce que leurs entrailles se déversent au sol, ou que leurs organes jaillissent par les plaies ouvertes dans leurs dos. Cela ne les freinait guère, et ils continuaient de leurs voix entêtantes le décompte des plaies et des furoncles qui bourgeonnaient sur les mains et les visages des soldats impériaux. De fait, la simple proximité des Démons de Nurgle était nocive, si bien que de plus en plus de soldats sentirent leurs forces les abandonner, et tombèrent au sol en toussant, puis roulèrent dans leur propre vomi. La mêlée resta indécise pendant un long moment, jusqu’à ce qu’une voix claire s’élève et ordonne aux hommes de Talabheim de tenir bon. C’était celle de Reban Greiss, qui s’était frayé un passage jusqu’à la ligne de bataille. Il tailladait les Démons avec une épée qui brillait d’un feu violacé. Dès que l’arme s’abattait, les Démons qu’elle touchait s’évaporaient purement et simplement dans une flamme mauve. À ce spectacle, les Lanciers autour du Capitaine Greiss reprirent espoir. Ils passèrent leurs longues armes sous leurs aisselles et crièrent à leurs camarades des rangs arrière de tenir fermement les hampes, puis ils dégainèrent leurs dagues et entreprirent de poignarder les Porte-Pestes qui se laissaient empaler sur les pointes des armes d’hast. Les lames en acier transperçaient les yeux vitreux, et de plus en plus de Démons furent bannis dans le Royaume du Chaos. Des compagnies d’Épéistes et de Hallebardiers enveloppèrent les flancs de l’ost Démoniaque, et la mêlée vira alors bel et bien en faveur de l’Empire, dont les soldats avaient pris le contre-pied des Porte-Pestes. Au bout d’une heure de combats, plus d’un dixième des Démons de Nurgle aux ordres d’Épidemius avaient été bannis. Le sol du champ de bataille était détrempé par leur sang infecté. Les Balles de Bronze avaient investi une position surélevée sur les pentes du cratère, et tiraient salve après salve sur les énormes Mouches Démoniaques qui bourdonnaient au-dessus de l’ost. Leur sergent, Lutiger Swift, supervisait chaque volée, et indiquait à ses hommes de viser les articulations des ailes et des pattes, les yeux à facettes des Démons, ou encore les têtes de Porte-Pestes qui les montaient. Même si la plupart des balles qui touchaient leur cible n’avaient pas d’effet notable, parfois, l’une d’entre elles atteignait une zone vulnérable, et l’énorme insecte s’écrasait au sol dans un vrombissement furieux. Cependant, les autres Drones remarquèrent les Balles de Bronze et se ruèrent sur eux. Les serres des Démons frappaient les corps dénués de protection, tandis que les épées rouillées des cavaliers s’abattaient sur les visages et les crânes des arquebusiers. Les Balles de Bronze ripostaient en tirant à bout portant sur leurs assaillants, ou en utilisant les crosses de leurs armes comme des massues pour désarçonner les Porte-Pestes. Au centre de la mêlée, une mouche particulièrement énorme et répugnante enveloppa la tête de Lutiger Swift avec sa trompe, et la détacha de son corps avant de l’ingérer, comme un serpent avale un rongeur. Avant de mourir, le sergent poussa des cris de terreur si horribles que ses hommes perdirent tout courage et s’enfuirent. Les Démons les poursuivirent, mais alors qu’ils franchissaient à leur suite un affleurement rocheux, la voix grave de Bennec Sootson se fit entendre depuis une position cachée. Une seconde plus tard, une salve de canons percuta les Drones de Nurgle et les fit exploser comme des fruits mûrs. Ce fut ensuite au tour des Feu d’Enfer de Sootson de donner de la voix, et plusieurs autres Drones furent anéantis, ne laissant qu’une poignée de survivants. Leurs restes déchiquetés rebondirent sur les flancs blindés du Tank à Vapeur Miragliano alors que ce dernier négociait le terrain difficile pour s’approcher de la mêlée. Le canon de la machine de guerre tonna en libérant un nuage de vapeur. Le boulet de canon fila au-dessus des combattants et atteignit de plein fouet Tripletongue, le Maggoth de Morbidex. Le projectile lui arracha un bras et ouvrit un trou béant dans sa cage thoracique. Malgré tout, le monstre continua d’avancer imperturbablement. Lorsque les Maggoths chargèrent les lignes de l’Empire, les blessures de Tripletongue s’étaient déjà refermées, et un nouveau bras avait commencé à repousser à partir du moignon. De part et d’autre de Morbidex, Bloab et Orghotts se déchaînaient. Leurs Maggoths massacraient les Sigmarites qui ne cessaient pas pour autant leurs chants extatiques. Les fléaux matraquaient les géants livides, et atteignaient parfois les jambes de leurs cavaliers. Cependant, les dévots du Dieu de la Peste avaient déjà essuyé des horions bien plus redoutables au cours de leur carrière. Morbidex abattit sa faux, et empala plusieurs Flagellants d’un seul coup. Les humains fanatiques qui survivaient à son passage étaient rapidement submergés par des nuées de Nurglings. Pour sa part, Bloab Rotspawned invoquait des myriades de mouches carnivores, qui ne laissaient de leurs victimes que des tas d’ossements ensanglantés. À proximité, les deux haches d’Orghotts décimaient les Flagellants pendant que le Maggoth Whippermaw étirait sa langue préhensile pour attirer des proies dans ses gueules béantes. En quelques minutes, et en dépit de leur frénésie et de leur ferveur, les Flagellants furent exterminés. Daemonspew et ses acolytes se mirent alors en quête de nouvelles victimes à offrir en sacrifice à leur divinité. Ils trouvèrent bientôt un nouvel adversaire sous la forme du Magister d’Ambre Adric Vertbois. En effet, sur l’arête du cratère, une silhouette humaine était nimbée d’une aura de pouvoir. Elle grossissait à vue d’œil, et une immense paire d’ailes poussait dans son dos. Finalement, le Magister se transforma en une Manticore qui bondit sur Orghotts toutes griffes dehors. Le champion de Nurgle hurla de mécontentement lorsque les serres du monstre s’enfoncèrent dans son dos et lui mirent les os à nu. Il donna des coups de hache au hasard pour tenter de forcer son assaillant à lâcher prise. Quant à lui, le Maggoth d’Orghotts fit volte-face avec une vivacité insoupçonnable, si bien que la Manticore fut forcée de reprendre son envol pour éviter d’être engluée par la langue préhensile de l’asticot géant. Morbidex Twiceborn chargea en brandissant sa faux. D’un battement d’ailes, la Manticore se mit hors de portée avant de fondre sur Bloab Rotspawned. Elle déchiqueta la peau du Sorcier avec les serres de ses membres postérieurs et s’envola. Le corps éventré de Bloab laissa échapper des milliers de larves de mouches Démoniaques. Son Maggoth vomit un flot de bile en direction de la Manticore pour la chasser. Celle-ci fit un écart, et Morbidex cria triomphalement tandis qu’il saisissait cette opportunité pour abattre sa faux sur le cou de la bête. Cependant, la Manticore réussit à esquiver le coup, qui ne parvint qu’à lui trancher la queue. Mais ce faisant, elle offrit son ventre aux attaques des Répugnants du Fort d’Airain. Un des guerriers en armure se servit de la tête d’un épéiste de Talabheim comme d’un marchepied et bondit vers le monstre. Il frappa avec son arme en forme d’énorme faucille, et celle-ci s’enfonça dans le thorax de la Manticore dans un bruit écœurant. La bête mugit de douleur alors que le sang giclait de son poitrail. Orghotts en profita pour arracher une hallebarde des mains d’un soldat impérial et pour la projeter avec une force terrifiante. Ce javelot improvisé s’enfonça dans l’orbite gauche de la Manticore. La silhouette du monstre ondula et disparut, remplacée par le cadavre du Magister d’Ambre qui retomba au sol, où il fut rapidement submergé par une nuée de Nurglings voraces. Pendant ce temps, Épidemius observait le carnage et notait les maux qui s’épanouissaient dans le sillage de ses légions. Son palanquin l’amena près d’un trio de Bêtes de Nurgle qui bondissaient vers le Tank à Vapeur. La machine de guerre écrasait les rangs des Porte-Pestes, ne laissant derrière elle que de la gelée verdâtre. Épidemius éructa un ordre, et dans un bruit flasque, une des Bêtes sauta sur l’avant du Miragliano. Une seconde plus tard, le tir de canon du tank la fit exploser. Épidemius soupira de dépit et fit un geste avec sa plume. Ses Nurglings obéirent sur-le-champ et escaladèrent les flancs de la machine de guerre. Un des minuscules Démons enfonça son postérieur dans la gueule du canon, et ricana tout en se curant le nez. Au même moment, une autre bête de Nurgle se précipita sur le Miragliano, qui fit feu une nouvelle fois. Cependant, le canon bouché provoqua un incident catastrophique, et la machine de guerre explosa dans un geyser de vapeur et de débris métalliques. Ces derniers dévastèrent les rangs des troupes de Talabheim, qui s’étaient ralliées autour du Miragliano afin d’ancrer leur ligne. Un des morceaux tranchants atteignit Reban Greiss au cou, et mit fin définitivement au torrent d’invectives qu’il faisait pleuvoir sur les Démons depuis le début de la bataille. Avec la mort de leur capitaine et la destruction de leur plus puissante machine de guerre, les troupes de Talabheim perdirent courage. Elles tournèrent les talons et fuirent vers le fort de Talagaad, rejoignant ainsi les réfugiés qui tentaient de s’échapper par la route d’Altdorf. Rugissant de joie en comprenant qu’ils venaient de l’emporter, les Démons se lancèrent à leur poursuite.
Tandis que les réfugiés de Talabheim fuyaient le long du Talabec pour tenter de rejoindre Altdorf, une silhouette énorme et adipeuse parcourait les rues embrumées de cette même cité, tout en chantonnant à voix basse. Lorsque cet individu passait près d’une fenêtre, le petit Démon perché sur son épaule prenait une louchée de liquide fumant dans le réceptacle accroché au dos de son maître. Ce dernier saisissait alors l’ustensile que lui tendait son assistant et en versait le contenu sur le rebord de la fenêtre, avant de poursuivre son chemin. À son passage, la réalité vacillait, et des vapeurs empoisonnées se répandaient comme les tiges envahissantes d’une plante démoniaque. À cent lieues à l’ouest, le Reik était presque entièrement recouvert de mousse noire. Sur les berges, trois silhouettes étranges contemplaient les eaux polluées avec fierté. Deux d’entre elles étaient des hommes robustes vêtus de vêtements élimés et de pièces d’armure rouillées, la troisième était une monstruosité de la taille d’une maison. Derrière elles, on pouvait distinguer les ruines fumantes de Carroburg. La cité fluviale avait résisté pendant des mois, toutefois elle avait fini par être conquise. En amont des frères Glott, d’innombrables tribus de Norsca se dirigeaient vers Altdorf, non pas à bord de barges ou de barques, mais à pied. Les îles moussues qui recouvraient les eaux depuis Marienburg jusqu’au cœur de la Reikwald étaient si vastes qu’elles avaient fusionné pour former un épais tapis, à la façon d’une couche de moisissure sur du lait rance. Parfois, on apercevait la carcasse noircie d’une péniche à travers la pénombre, tels de petits sanctuaires de mort sur un fleuve gorgé d’une vie débordante. Même les guerriers en armure de plates étaient en mesure de marcher sur la mousse, leurs armes encore ensanglantées à la main. Les bannières capturées étaient brandies fièrement tandis que les barbares se rapprochaient peu à peu de la capitale de l’Empire. La guerre avait atteint le cœur de la nation de Sigmar. Dans les Montagnes Grises, un Roy vieux de près de cent ans mais paraissant dans la fleur de l’âge chevauchait un Hippogriffe, et menait une armée de Chevaliers assez vaste pour recouvrir toute la Passe de la Hache. Au-dessus du Roy, des Pégases si nombreux qu’ils voilaient le soleil filaient sur leurs ailes blanches. Toute une génération de Chevaliers parmi les plus courageux du royaume de Bretonnie était là. Les blasons ancestraux étaient déjà maculés du sang de précédentes batailles, cependant ces combattants ne comptaient pas abandonner leurs alliés en ces heures sombres, car l’honneur tout autant que le courage coulaient dans leurs veines. Des Démons parcouraient les rues inondées de pus de Talabheim, et grimpaient vers les hauteurs de la ville. Les cavaliers juchés sur leurs Maggoths s’étaient assuré de puissants alliés avec cette victoire, dont plusieurs tribus de Minotaures, attirées des profondeurs de la forêt par l’odeur du sang, et enrôlées en leur promettant toujours plus de carnages. Les Démons de Nurgle avaient emboîté le pas à Orghotts, ce Seigneur de Guerre mi-homme, mi-démon, et derrière lui se profilait une sarabande de créatures ignobles, unies par leur allégeance envers le Chaos. Un homme imposant arpentait les terres de l’Ostland, en tenant cachée l’Épée Runique qu’il possédait. Il avait masqué ses nobles traits sous de faux atours, car ses blessures n’étaient pas encore totalement guéries, et le Griffon qui l’accompagnait était lui aussi mal en point, et pour l’instant incapable de voler. Malgré tout, cet homme était d’une détermination à toute épreuve. Il allait reprendre la place qui lui revenait de droit à la tête de l’Empire, et prendre sa revanche sur ses ennemis, même si cela devait lui coûter la vie. Au sommet d’un fjord au nord de la Mer des Griffes, un Seigneur de Guerre engoncé dans une armure de plates baroque était juché sur un Coursier Démoniaque dont l’essence même n’était que férocité pure. Ce Roi Guerrier observait la baie en contrebas, où une centaine de vaisseaux-loups Kurgans faisaient voile vers le sud. Leurs proues plongeaient dans les vagues avant d’en ressortir dans une gerbe d’écume tandis qu’ils luttaient contre les embruns. Bien que son visage fût caché sous son heaume cornu et cyclopéen, on pouvait deviner que ce Seigneur de Guerre souriait de façon cruelle. Au cœur du Jardin Putride, un monticule de chair pourrie se vautrait dans sa bauge préférée. Il venait de terminer une nouvelle journée passée à accomplir les volontés de son maître, et il était satisfait de son travail. Des bulles issues de flatulences de contentement remontaient à la surface de la fange. Le Démon Majeur ferma les yeux et rêva à un monde que son maître et lui tentaient de rendre infiniment plus vil. Un groupe de cavaliers menait une armée de déments et de bêtes à travers la Drakwald. Leur progression, qui au début avait été lente et accablante, était désormais aussi rapide que s’ils chevauchaient à travers une plaine dégagée. La canopée n’était plus qu’un enchevêtrement de lianes, mais tandis qu’ils avançaient, un chemin s’ouvrait devant eux dans un bruit de bois brisé et de feuillage frémissant. À la tête de cette force, un seigneur de Norsca se tenait fièrement sur son Autel de Guerre, ses tentacules frétillant d’excitation. Trois demoiselles sublimes, aux soies aussi douces que leurs cœurs étaient de pierre, feulèrent de déplaisir en constatant les lianes qui avaient envahi la Drakwald. Le Sorcier en armure devant elles leur fit signe de rester calmes d’un air irritable. Non seulement risquaient-elles de l’embarrasser devant le plus illustre des von Carstein, mais elles risquaient aussi de contrarier Nagash en personne. En effet, la présence de leur maître divin était tangible, et le moindre signe de désobéissance pouvait entraîner l’annihilation. Le Sorcier ne pouvait pas se permettre d’autres pertes : les Vampires avaient encore un rôle à jouer dans ses plans. Dans le Royaume des Rêves, des étoiles scintillaient dans les cheveux dorés d’une Déesse. Des larmes striaient ses joues adorables, et lorsqu’elles tombaient, elles formaient dans le monde matériel des éclairs de colère qui zébraient le ciel. Deux grandes silhouettes l’observaient de loin. La première était une mère, toute de vert vêtue, l’autre un homme à la barbe blanche et portant une tête de loup en guise de capuche. Leurs visages étaient solennels, mais ils n’intervenaient pas. Non loin, l’amant de la Déesse en pleurs était en proie à une fièvre mortelle. Du pus jaune dégoulinait des commissures de ses lèvres alors qu’il gémissait de douleur, et à chacune de ses convulsions, le Vieux Monde tremblait, et un Patriarche tout autant que des paysans criaient dans leur sommeil troublé par le même cauchemar. Incapable de dormir dans sa chambre, un guerrier observait le brouillard poisseux qui avait transformé la fière cité d’Altdorf en un lieu de terreur. Au milieu des lueurs des lanternes et des chandelles brillaient férocement des bûchers funéraires. Certains avaient été allumés par ses propres Chevaliers afin de brûler des montagnes des pestiférés, mais il y avait aussi des incendies criminels allumés par des citoyens désespérés. Le vieux guerrier dégaina pensivement son Épée Runique forgée par les Nains, puis la rengaina, avant de la dégainer une nouvelle fois. Pour la première fois de sa vie, il ne pouvait avoir recours aux armes pour vaincre l’ennemi qui ravageait sa patrie. Alors que les cloches du Glockentor allaient sonner les douze coups de minuit, les cris désespérés d’une mère s’élevèrent dans l’obscurité. Lorsqu’ils cessèrent, le clocher trembla sous le premier coup. Une pile de lettres tomba du bureau du vieux guerrier. Il se leva et soupira profondément, puis saisit la torche accrochée au mur. Il se dirigea vers l’escalier en colimaçon qui menait à la plus haute tour du Palais Impérial, et s’apprêta à allumer un fanal synonyme d’un pacte terrible.
Chapitre IV : LA CHUTE D’ALTDORF - Automne 2525[modifier]Chaque nuit, la brume jaunâtre qui avait envahi les rues d’Altdorf s’épaississait davantage.À Sigmarzeit, elle était si impénétrable que les familles et même les patrouilles de soldats avaient pris l’habitude de se relier les uns les autres par une corde pour ne pas perdre un des leurs lors des sorties. Des silhouettes titubantes et des choses arachnoides hantaient les ruelles, mais lorsqu’un garde tentait de les rattraper, elles s’évanouissaient. Partout dans la ville, le tintement des cloches égrenait les heures, et évoquait plus un avertissement d’épidémie plutôt qu’une ville paisible. Le brouillard sapait les forces de ceux qui le respiraient et rendait nauséeux même les plus robustes. Beaucoup d’infirmes et de vieillards moururent. Le Reik était devenu un foyer d’infections pollué et pestilentiel, recouvert de mousse noire. Tant de mouches, de moustiques et de taons bourdonnaient la nuit qu’il était impossible de trouver le sommeil. Les jeunes filles assommées par la fatigue voyaient leur beauté se faner et devenaient des mégères au souffle court et rauque. Le Reiksmarshall et ses capitaines tentaient tant bien que mal de localiser la source de ces maladies étranges, en vain, car ces hommes d’épée n’étaient pas préparés à affronter un adversaire invisible. Pourtant, Kurt Helborg n’était pas homme à rester oisif tandis que sa cité se mourait lentement. Jusqu’alors, sa répression brutale des émeutes qui avaient eu lieu dans les quartiers pauvres avait envoyé un message clair aux indigents aussi bien qu’aux Bourgeois : ne faites pas de remous, ou vous le paierez de votre vie. L’ordre avait été restauré, même si cela avait coûté la vie à de nombreux innocents. En des temps moins troublés, ce comportement tyrannique aurait sûrement provoqué la dégradation du Reiksmarshall, voire son envoi en cour martiale, cependant, l’Empire étant au bord de l’annihilation, la brutalité d’Helborg était la seule chose qui parvenait encore à maintenir l’intégrité du royaume. Les demandes d’audience des maîtres de guildes outrés et des nobles indolents étaient à chaque fois refusées par les Reikscaptains, si bien que de la Place aux Gibets jusqu’à la Cour Impériale, le ressentiment grandissait, et le nombre de détracteurs d’Helborg ne cessait d’augmenter. Lorsque les soulèvements populaires menacèrent sa place, le Reiksmarshall ignorait les récriminations. Ses patrouilleurs sillonnaient le pays et lui rapportaient des nouvelles désastreuses. Les provinces qui n’étaient pas dévastées par les épidémies étaient attaquées par des hardes d’Hommes-Bêtes, par des barbares du nord ou par des Démons impossibles à stopper. Pire encore, il semblait que pas moins de trois armées différentes convergeaient vers Altdorf. Craignant un siège imminent, Helborg rassembla tous les régiments qu’il put à l’intérieur des murs de la capitale. Des réfugiés de Talabheim qui arrivaient de l’ouest à bord de barges fluviales se retrouvaient aux côtés de Stirlanders hagards, et des survivants de Carroburg buvaient sombrement leurs bières avec le guet d’Altdorf. Le Reiksmarshall avait envoyé des appels à l’aide à Kislev, à Marienburg, en Tilée, en Estalie et même en Bretonnie et auprès des Nains des Montagnes du Bord du Monde, mais pour l'heure, aucune réponse ne lui était parvenue. Tout le monde pensait que les alliés de l’Empire l’avaient abandonné. Après une nuit de plus sans sommeil, Helborg chercha de l’aide auprès de forces plus étranges. Des bûchers furent érigés aux carrefours, et tout le Collège Flamboyant reçut pour tâche de répandre des charbons enchantés qui pourraient s’allumer d’un simple cantique magique. Les chapelles et les statues de la ville furent bénites par les prêtres du culte de Sigmar. Les acolytes du Collège Lumineux tentèrent de dissiper les nappes de brume avec des rais de Magie pure. Des Magisters Gris usèrent de leurs connaissances des ombres pour tenter de trouver un remède aux maux de la ville, et des Astromanciens du Collège Céleste essayèrent de prédire quand les serviteurs du Chaos allaient attaquer. Les guérisseuses de Shallya installèrent un hôpital de fortune constitué de tentes, de couches et de brancards autour de leur temple, pour se préparer à recevoir les blessés des combats. Même les fantômes de la ville pouvaient être aperçus en train d’aiguiser leurs lames dans les ténèbres, car ils avaient été conjurés par les Magisters dépossédés du Collège Améthyste.
La tension était palpable, et devenait de plus en plus insupportable. Dans chaque rue, chaque immeuble et chaque demeure, les citoyens d’Altdorf se préparaient à la guerre. L’édit le plus récent d’Helborg exigeait que les habitants se concentrent sur le renforcement des défenses plutôt que sur l’inhumation des morts, et beaucoup de gens considéraient cette décision comme inhumaine, voire frisant la folie. Pourtant, personne n’osa protester avec véhémence, car la plupart des habitants étaient plus soucieux de leur propre survie que de l’enterrement de leurs voisins et de leurs amis. Néanmoins, le Reiksmarshall et ses conseillers avaient une raison secrète qui avait motivé cette décision : les cadavres qui jonchaient les rues allaient devenir une arme dans la guerre à venir, une arme entre les mains d’un puissant seigneur dont Helborg avait fini par accepter l’offre d’alliance. Les jours passaient, et le moment fatidique annoncé par le Collège Céleste approchait. La comète à deux queues flamboyait dans le ciel nuageux, et projetait une lumière crépusculaire sur la ville, même au petit matin. Cela plongeait Altdorf dans une atmosphère surréelle, et le temps semblait comme suspendu, car la nuit et le jour paraissaient identiques à cause de la luminosité et du brouillard omniprésent. La capitale ressemblait à un royaume éthéré, plus à une ville humaine autrefois bourdonnante d’activité. Les régiments de troupes régulières scrutaient la brume du haut des murailles, où des chaudrons de poix et d’huile avaient été installés pour repousser les futurs assauts. L’École d’Ingénierie vérifiait sans cesse les batteries d’artillerie. Les ordres des prêtres et des capitaines résonnaient dans le silence angoissé, et tentaient de redonner courage à leurs soldats. Beaucoup de marchands ambulants, de négociants et de Bourgeois fuirent vers le sud à la recherche d’un endroit sûr, et formèrent des groupes populeux sur les routes, en espérant que cela les protégerait des dangers. Cependant, dès qu’ils établissaient leur campement et qu’ils s’endormaient, ils étaient étranglés dans leur sommeil par les lianes rampantes, et leurs corps finissaient suspendus dans les arbres torturés qui avaient poussé dans les environs de la ville. Ceux qui préféraient rester dans la capitale n’avaient d’autre choix que se préparer à la tempête à venir, même si la fleur nocive du doute commençait à s’épanouir dans tous les cœurs, y compris les plus endurcis. Altdorf était au bord du désastre. Ses alliés l’avaient trahi, et les réserves d’eau et de nourriture étaient au plus bas, alors qu’il allait probablement falloir affronter un long siège. Aussi bien au sein de la soldatesque que du clergé et de la plèbe, aucun Altdorfer ne pouvait s’empêcher de penser que tout était perdu en dépit des efforts. Une silhouette en armure était agenouillée dans le Reikstemple, au milieu des statues des douze chefs de guerre de Sigmar. Elles étaient si immenses qu’elles se perdaient dans les ténèbres de la voûte, car les chandelles ne parvenaient à les éclairer que jusqu’aux genoux. Un faible rai de soleil traversait les vitraux du dôme, projetant une image déformée de Sigmar sur le sol, et sur le guerrier qui y était agenouillé. Helborg dégaina son Croc Runique et l’appuya devant lui, pointe vers le bas. Il ravala alors sa fierté et, pour la première fois depuis des décennies, il pria Sigmar de lui venir en aide.
Lorsque le fléau d’Altdorf survint, il n’arriva pas de l’extérieur, mais de l’intérieur. Dans le quartier des abattoirs, à proximité du Reik, le puits qui donnait sur le collecteur principal commença à dégager une fumée épaisse. Les habitants constatèrent avec horreur l’apparition de ces panachés verdâtres et huileux. Pire encore, ils ne sentaient pas la fumée, mais la chair humaine carbonisée. La colonne s’épaissit jusqu’à ressembler au tronc d’un arbre gigantesque dont le feuillage aurait été les nuages. La puanteur était telle que seuls les estomacs les mieux accrochés pouvaient approcher à moins d’un kilomètre du puits sans vomir le contenu de leurs entrailles. Tandis que la colonne de fumée continuait de polluer l’atmosphère, les nuages devinrent blafards et furent attirés vers la brume montante, ce qui renforça l’impression d’un arbre colossal dont les branches s’étendaient au-dessus de la ville. Toutefois, l’immense apparition végétale évitait soigneusement la zone du ciel où brillait la comète à deux queues. Des murmures de crainte et de stupeur parcouraient les rangs des prêtres et des soldats stationnés sur les murailles alors que les cieux prenaient une apparence surnaturelle. Cependant, personne ne voulait être le premier à abandonner son poste. Les messagers envoyés par les divers capitaines du guet revenaient tous en annonçant l’arrivée imminente de plusieurs forces d’invasion. Sur la grand-place d’Altdorf, Kurt Helborg déclara que le phénomène mystique dans le ciel était secondaire par rapport aux hordes qui allaient atteindre la cité. Malheureusement, une telle erreur de jugement allait coûter bien plus que des vies humaines. Pendant que la fumée impie montait des égouts et se mêlait aux nuages, la pluie se mit à tomber, tout d’abord doucement, sous la forme de gouttes blanchâtres. Elle éveilla immédiatement les pires soupçons au sein de la population. Les soldats constataient avec horreur ce fluide vicié qui mouillait leurs spallières et leurs casques. Un grondement de tonnerre étouffé se fit entendre. Il ressemblait affreusement au rire d’un Dieu maléfique. Enfin, lorsque Nurgle déversa son chaudron dans la réalité, la tempête éclata pour de bon. Lorsque la pluie battante et blanchâtre détrempa les cadavres qui jonchaient les rues, leurs corps explosèrent pour donner naissance à des arbres de chair dont les cimes atteignirent les toits en quelques secondes. Les ruelles auparavant vides s’emplirent d’une jungle démoniaque où s’enchevêtraient de grosses lianes. Des mouches aux longues pattes voletaient au milieu de cette végétation en butinant le nectar de la putréfaction. Beaucoup d’habitants se retrouvèrent pris au piège des racines surnaturelles, qui les vidèrent de leur sang avant de les suspendre aux branches par les chevilles, tels des gibiers de potence. La jungle était la plus épaisse au centre d’Altdorf. Là, les rues et les bâtiments commençaient même à disparaître, pour être remplacés par la vision cauchemardesque du Jardin Putride. Alors que les armées de Nurgle chargeaient à travers la plaine en direction des murs de la ville, le pilier de fumée ne cessait de grossir, et se mua en une tornade si haute qu’elle était visible depuis toutes les provinces de l’Empire. Une voix tonitruante résonnait dans le ciel, par-dessus le vacarme de la pluie battante. Son ton grave contrastait avec les mugissements et les plaintes de dizaines de millions d’âmes tourmentées. Enfin, au cœur de l’ouragan qui n’était encore une heure plus tôt qu’une simple colonne de fumée, la réalité se déchira. De la faille entre les mondes, les légions de Nurgle se déversèrent, apportant avec elles la promesse d’un ordre nouveau et révoltant, et d’une vie exubérante et macabre. Au sud de la ville, l’armée de Chevaliers Bretonniens apparut à l’autre bout de la plaine, et la recouvrit peu à peu, comme une immense tapisserie de couleurs éclatantes. Même si les destriers étaient couverts de boue et éreintés sous leurs caparaçons chatoyants, les nobles qui les chevauchaient se tenaient droits et fiers, resplendissants dans leurs armures étincelantes et leurs tabards à l’héraldique élaborée. Suite au retour à Couronne de Louen Cœur de Lion, des milliers de Chevaliers avaient répondu à son appel à la guerre, et avaient entrepris le long voyage à travers les Montagnes Grises afin de rallier la capitale de l’Empire. À peine un an auparavant, la Bretonnie avait été ravagée par une guerre civile, et le pays tout entier avait été dévasté à cause des machinations des séides de Nagash. Beaucoup de nobles avaient été marris de devoir repartir si tôt à la guerre, surtout pour la survie d’une nation étrangère. Pourtant Louen, assumant sans faillir son rôle de Haut Paladin de la Cour du Breton, avait clairement annoncé sa décision : tout Chevalier qui se soucierait en priorité de ses affaires au lieu d’aller porter secours à l’Empire ravagé par le Chaos serait dépouillé de son titre. Les Chevaliers s’étaient donc lancés dans un périple de quinze jours de marche forcée. Celui-ci aurait tué n’importe quel cheval ordinaire, mais pas les destriers de Bretonnie. Sous le commandement de Louen, la croisade avait même chevauché de nuit, les Chevaliers se relayant pendant que leurs camarades dormaient sur leurs selles. Ainsi, ils espéraient rejoindre Altdorf avant qu’il soit trop tard. Alors qu’ils approchaient de la cité, les arbres semblaient chuchoter à leur passage, toutefois, tout comme lors de la traversée des Montagnes Grises, aucune tribu ni aucun prédateur ne fut stupide au point d’attaquer une telle concentration de Chevaliers. À chaque aurore, Louen dirigeait les prières de ses hommes. Ils remerciaient la Dame du Lac de leur accorder la célérité nécessaire, et la suppliaient de donner à leurs montures la force d’atteindre Altdorf en temps et en heure. C’est ainsi que la colonne de marche qui atteignit la capitale impériale s’étirait sur près d’une lieue. C’était la plus vaste croisade depuis celles en Arabie. Seuls les Chevaliers du Graal étaient restés en Bretonnie afin de veiller à la sécurité des sanctuaires et des lieux sacrés. Malgré tout, lorsque les Chevaliers se déployèrent dans la plaine, ils constatèrent qu’ils n’avaient pas été assez rapides. L’avant-garde de Louen dépassa la Crète des Pins de Sang peu de temps avant Geheimnisnacht. Les croisés découvrirent alors un paysage envahi par la corruption du Chaos. La cité était assiégée, aussi bien depuis les terres que depuis le ciel. Des nuages de mouches virevoltaient au milieu de la brume, et des bannières décrépites claquaient sous le vent violent et méphitique. La plaine jadis verdoyante était recouverte par des hordes de serviteurs du Chaos. Ils étaient si nombreux que la cité avait l’air d’un îlot au milieu d’un océan vert et brun.À l’ouest, des milliers de Nordiques arrivaient par le Reik, et se dirigeaient vers les docks et le réseau de canaux de la ville, car la couche de mousse qui recouvrait les eaux était si épaisse qu’il était possible de l’emprunter à pied. Les frères Glott menaient la charge. Deux des frères étaient perchés sur les épaules du troisième, dont la masse énorme et difforme surplombait le reste de l’armée. Des guerriers en armures formaient le fer de lance de l’assaut. Ils étaient précédés par des meutes de molosses écumants. Des béliers fabriqués avec des troncs d’arbres couverts de mousse noire étaient transportés par les tribus qui les suivaient. À l’arrière de cette force, des monstres gigantesques beuglaient et agitaient leurs membres griffus. Au nord, des nuées d’Hommes-Bêtes jaillissaient des frondaisons de la Drakwald. Les mutants étaient menés par un groupe de Chevaliers de Norsca, dont les armures rouillées mais baroques leur donnaient l’allure de Démons. Des Dragons-Ogres et des Minotaures se frayaient un chemin à l’avant-garde, et se ruaient vers la Porte Nord. Cet ost était dirigé par Gutrot Spume, le Seigneur des Tentacules. Il était fièrement juché sur son Autel de Guerre, et hurlait des prières à Nurgle. L’armée qui arrivait de l’est était la plus ignoble des trois. Orghotts, Morbidex et Bloab Rotspawned sortaient de la forêt en écrasant les palissades érigées à la lisière pour tenir en respect les mutants de la Drakwald. Les pieux taillés en pointe furent dispersés par les Maggoths qui bondissaient vers la ville. Leurs langues préhensiles dardaient pour humer la corruption de l’air. Derrière les silhouettes bouffies des Maggoths venaient des milliers de Porte-Pestes menés par Épidemius. Ils chantaient des hymnes à la gloire de Nurgle en titubant vers Altdorf. Pire encore, ces trois osts n’étaient pas les seuls à assaillir la ville. La tempête de miasmes qui faisait rage s’était abattue avec violence sur les murailles, si bien que les mortels avaient été forcés de se mettre à l’abri. Ainsi, les remparts n’étaient plus défendus. Malgré tout, les Altdorfers ne s’avouaient pas vaincus. Des régiments de troupes régulières, des confréries de Chevaliers, des conclaves de Sorciers de Bataille, et même des batteries d’artillerie et des Tanks à Vapeur protégés de la pluie par des toiles de tentes sortirent des portes. Les couleurs d’Altdorf côtoyaient le rouge et le blanc de Talabheim, ainsi que l’héraldique des douze provinces. Le Reiksmarshall et ses capitaines positionnèrent l’armée autour des murs de la ville avec célérité. Chaque porte était défendue par une troupe suffisamment nombreuse pour mettre en déroute des dizaines de tribus. Malgré l’absence de l’Empereur, les guerriers de Karl Franz comptaient bien faire honneur à la mémoire de leur suzerain en défendant sa capitale jusqu’à la mort. Derrière l’armée impériale, les murailles se dressaient, mais les recoins des créneaux et les creux des statues étaient déjà envahis de mousse noire. Une tornade engendrée par les énergies bouillonnantes du Chaos tourbillonnait au cœur de la capitale, et formait un cône verdâtre et saturé d’éclairs qui reliait la terre au ciel. Cette tempête illuminait un visage ignoble dans le ciel ; il était si vaste qu’il mesurait plusieurs kilomètres de diamètre. Sa bouche immense était fendue en un sourire avide. Les éclairs se muaient en doigts boudinés immenses, dont les griffes vaporeuses déchiraient la voûte céleste. Des décoctions infâmes s’écoulaient de la plaie entre les univers pour inonder le monde matériel. Là où elles s’abattaient, elles venaient nourrir les graines de l’entropie semées dans les rues au cours des mois précédents. Des tentacules jaillissaient des pavés et se tendaient vers le ciel, telles des algues désireuses d’attraper les jambes d’un baigneur pour l’attirer sous l’eau et le noyer. Au-dessus de ce spectacle horrible, la comète à deux queues brillait encore plus fort que Morrslieb, pourtant la Lune du Chaos était pleine et immense dans le ciel. La lueur démente de la comète illuminait les terres, ainsi que les moindres chancres et bubons luisants qui constellaient les guerriers des hordes de Nurgle. Altdorf était au bord d’un abîme sans fond, et son destin ne reposait plus désormais que sur les lames des défenseurs massés au pied des murs. Partout sur la plaine, des hommes, des bêtes et des Démons soufflèrent dans leurs corps de guerre pour donner l’ordre aux hordes d’avancer. La Chute d’Altdorf[modifier]L’Alliance des Royaumes[modifier]
L’Ost du Chaos[modifier]
Les cors de guerre Bretonniens sonnaient encore et encore tandis qu’une armée de Chevaliers chargeait depuis la Crête des Pins de Sang vers la plaine du Reik. Cette force était constituée de deux grandes colonnes de cavalerie. La première se ruait vers les tribus tatouées arrivant de l’ouest par le fleuve, tandis que l’autre fonçait pour intercepter l’ost démoniaque qui surgissait de la forêt. L’air vibrait d’énergies protectrices autour des Chevaliers, car ils venaient de prier pendant une heure afin que la Dame du Lac leur accorde ses faveurs. Même si la tempête faisait rage, pas un seul Chevalier n’avait été touché par la pluie fétide, car les gouttes s’évaporaient comme par Magie avant de maculer leurs armures étincelantes. Un puissant cri de guerre résonna alors que les Chevaliers bénis dévalaient la pente en direction des séides méphitiques du Chaos. Otto Glott brailla des ordres depuis les épaules de son frère Ghurk. Ses guerriers changèrent de direction, se mirent en rangs et serrèrent leurs boucliers pour se préparer au choc, le tout dans un semblant de discipline qui parodiait les manœuvres impeccables des troupes régulières de l’Empire. La cavalerie percuta les lignes du Chaos avec la force d’un ouragan. D’abord dix lances, puis cent, s’enfoncèrent dans les corps des barbares et les empalèrent. Le mur de boucliers des frères Glott se désintégra comme une clôture en bois chargée par un troupeau d’aurochs furieux. Les Bretonniens hurlèrent triomphalement et poursuivirent sur leur lancée. Ceux dont les lances de cavalerie ne s’étaient pas brisées les utilisèrent contre les rangs suivants.
À l’est, le spectacle était plus ou moins le même. Un fer de lance de Chevaliers s’enfonçait dans la horde d’Épidemius. Les Porte-Pestes finissaient transpercés par les lances, tandis que les épées bénites découpaient leurs chairs molles. À la tête de l’assaut, Louen Cœur de Lion fonça sur un Cygor couvert de mousse qui venait de sortir des bois. Son Hippogriffe attaqua avec une telle férocité que le monstre fut jeté au sol. Pendant un instant, Louen se dressa sur sa selle, telle une légende vivante. Il brandit l’Épée de Couronne, dont la lame scintilla à la lumière de la comète à deux queues. Puis il se pencha, et écarta sans peine la main du Cygor qui tentait de le saisir. Profitant de la mauvaise posture de la bête, Louen sauta de sa selle et enfonça son épée jusqu’à la garde dans son œil unique. Le géant retomba lourdement dans la boue alors que le Haut Paladin remontait sur son Hippogriffe avec une agilité incroyable. La noble monture s’élança vers les cieux, et se remit en quête d’une autre proie digne de ce nom. Louen avait été blessé au front par la griffe du Cygor, et de la lumière s’écoulait de la plaie, plutôt que simplement du sang. Cependant, la Dame du Lac veillait sur lui, et la plaie, bien que profonde, commençait déjà à se refermer. À l’ouest, un tapis de cadavres d’hommes de Norsca recouvrait le sol, là où la cavalerie Bretonnienne était passée. Malgré tout, les guerriers tribaux refusaient de fuir, car ils savaient qu’ils combattaient sous le regard de leurs Dieux. Les nobles de Bretonnie abattaient des centaines d’ennemis, et en étaient venus à abandonner leurs lances pour tirer leurs épées, car la mêlée se faisait dense. Bientôt, en dépit des pertes qu’elle avait provoquées, l’élan de la charge Bretonnienne diminua, alors que les cavaliers n’avaient parcouru qu’un quart de la distance qui les séparait des troupes d’Altdorf. Cependant, l’attaque des Bretonniens avait été un impondérable ennuyeux pour les frères Glott, d’autant plus qu’ils ne pouvaient se permettre de subir d’autres pertes suite à la bataille coûteuse contre les Carroburgers, lorsqu’ils avaient cheminé le long du Reik. Seule la destruction des plus grandes cités de l’Empire pouvait mettre à bas l’Empire de Karl Franz, car il était le mortier qui maintenait l’alliance des hommes, des Elfes et des Nains. Il était essentiel que les armées des défenseurs d’Altdorf soient exterminées pour atteindre le but final, et ce quelles que soient les nations qui se portaient au secours de la capitale impériale. Otto Glott en avait conscience, c’est pourquoi il entreprit de tout faire pour réussir. Son frère Ghurk comprenait à peine pourquoi il sentait l’odeur des chevaux, toutefois cela signifiait pour lui la promesse d’un vrai festin. Le mutant beugla de joie et son tentacule balaya les destriers de plusieurs Chevaliers. Son autre bras, qui se terminait par une gueule de lamproie énorme, se mit immédiatement à festoyer sur les cadavres des animaux. L’appendice se colla au flanc d’un coursier, et déchira les chairs jusqu’à l’os pendant qu’Otto tranchait la tête du cavalier d’un coup de faux. Là où les frères Glott allaient, la force de l’élan Bretonnien se brisait, car les cavaliers se retrouvaient face à des adversaires invincibles. Il arrivait qu’un Bretonnien parvienne à enfoncer sa lance ou son épée dans la masse adipeuse de Ghurk, mais cela ne semblait pas affaiblir l’énorme mutant.Ethrac se délectait de la résistance surnaturelle de son frère. Il choisit les meilleurs sorts de son répertoire, afin d’accorder une mort ignoble à tous les héros Bretonniens qu’il croisait. Là, un Chevalier se liquéfiait à l’intérieur de son armure, et une masse visqueuse et rose s’écoulait des orifices du harnois. Ailleurs, un fier paladin tombait au sol en hurlant des prières désespérées à sa déesse tandis que la terre se muait en mare de pus et les aspirait, lui et son valeureux coursier. Les efforts des frères Glott stoppaient inexorablement la charge des Bretonniens. Les hordes tatouées qui suivaient les triplés reprirent courage. Ils abattirent leurs haches sur les destriers, et désarçonnèrent les Chevaliers avant de les achever de coups féroces portés aux jointures du cou et des membres, ou à l’aide de longues dagues insérées dans les visières. Et lorsque les guerriers d’élite de la horde arrivèrent, la tuerie s’intensifia. Une tempête d’acier éclata là où les lignes de bataille s’entrechoquaient, puis la horde profita du poids du nombre pour cerner les flancs du fer de lance Bretonnien. Au nord de la ville, la forêt dégorgeait les tribus bestiales que Gutrot Spume avait rencontrées dans la Drakwald. À l’ombre de la Porte Nord, Kurt Helborg observait avec horreur non seulement des escadrons de lourds Chevaliers du Chaos, mais aussi d’innombrables hardes qui apparaissaient sous les frondaisons envahies de lianes sinistres. La vision d’une telle nuée fit flancher les cœurs les plus endurcis. Le Reiksmarshall savait qu’il fallait contre-attaquer sur-le-champ. Il ordonna à ses hérauts d’envoyer un signal aux Ordres de Chevalerie, et établit son plan. Il commanda à son avant-garde d’aller intercepter la cavalerie du Chaos. Les hommes d’Altdorf et de Talabheim se mirent en position côte à côte, et abaissèrent leurs lances et leurs hallebardes. L’avant-garde de Gutrot Spume s’étira sur une longueur d’une demi-lieue avant de s’élancer et de percuter les lignes de l’Empire tel un raz-de-marée pestilentiel. Les Chevaliers du Chaos fonçaient à travers une forêt de lames. Les hampes des lances se brisaient comme des brindilles tandis que les fantassins impériaux périssaient sous les coups des épées enchantées. Les Dragons-Ogres massacraient les Hallebardiers, et quand ces derniers tentèrent de les encercler, les éclairs qui couraient le long des flancs des monstres les électrocutèrent. Sur le flanc gauche, une tribu de Minotaures plongeait tête la première dans la mêlée. Près de la moitié des créatures fut taillée en pièces par des salves d’arquebuses. Elles s’écroulèrent dans la boue, les yeux révulsés et la gueule écumante. Les autres atteignirent les lignes de tireurs impériaux, et les piétinèrent ou les encornèrent brutalement. Une fois les Arquebusiers massacrés, les Minotaures s’élancèrent vers les Chevaliers de la Reiksguard situés derrière. Néanmoins, ces adversaires étaient d’une autre trempe. Pendant que les premiers rangs tenaient bon, les autres encerclèrent les monstres et les chargèrent sur les flancs. Les longues lances s’enfoncèrent dans les torses velus.
Comme Helborg s’y attendait, l’avant-garde de l’armée du Chaos avait mordu à l’hameçon, et elle avait distancé les tribus d’Hommes-Bêtes qui suivaient dans son sillage. Conformément aux ordres du Reiksmarshall, les Ordres de Chevalerie avaient chevauché vers le nord-ouest, en évitant largement les hardes, comme s’ils tentaient de les fuir. Les hommes au pied de la Porte Nord pouvaient entendre les bêlements moqueurs des Hommes-Bêtes. Cependant, ces railleries cessèrent aussitôt que les Ordres de Chevalerie firent volte-face, et s’élancèrent non pas vers les hardes sur le point d’atteindre la ligne d’infanterie impériale, mais vers celles qui sortaient de la forêt en bandes désorganisées. Les Grands Maîtres donnèrent de la voix, en invoquant Sigmar, Myrmidia, Ulric et Mórr. Le sol à la lisière de la Drakwald se mit à trembler tandis qu’un millier de Chevaliers de l’Empire fonçaient en direction des hardes qui formaient hâtivement une ligne de bataille à l’ombre des arbres. En dépit de leur nombre, les Hommes-Bêtes n’avaient pas la moindre chance. Les lances transpercèrent les corps et jaillirent par les dos des Hommes-Bêtes telles des fleurs sanglantes. Les marteaux de cavalerie défonçaient les crânes de Minotaures, et les épées décapitaient les Ungors paniqués, qui ne savaient plus s’il fallait attaquer ou fuir. La violence de la charge impériale mit rapidement en déroute une bonne moitié de la horde bestiale, dont les guerriers se piétinaient mutuellement pour tenter de fuir, au milieu des bêlements de peur. Un trio de Ghorgons surgit alors des bois. Ils rugirent en attaquant les Chevaliers Panthères. Malgré tout, les impériaux ne se laissèrent pas abattre. Les Chevaliers Demigriffons se jetèrent sur ces proies pour les lacérer à coups de serres affilées et de hallebardes. Les Ghorgons périrent les uns après les autres, et l’élan de la charge des Chevaliers repoussa les dernières hardes. Les cors de guerre sonnaient triomphalement tandis que la cavalerie se positionnait de façon à bloquer le tunnel tapissé de lianes que les Hommes-Bêtes avaient emprunté pour sortir de la Drakwald. Si les hardes qui se pressaient dans ce goulet voulaient rejoindre le combat, elles allaient devoir trouver un autre chemin. Le pari d’Helborg avait payé. L’armée de Spume était privée de renforts pourtant pratiquement illimités. Le Reiksmarshall venait de gagner des heures précieuses. À l’est, Orghotts Daemonspew se dirigea droit vers les Tanks à Vapeur. Les moteurs des machines rugissaient au milieu de la fureur des éléments, et les tanks accélérèrent en produisant des nuages d’eau condensée. Un boulet de canon atteignit Tripletongue et arracha une partie de sa tête aveugle. Le monstre s’affaissa et son cavalier faillit être désarçonné, mais il reprit finalement son avance. Orghotts sourit cruellement, pressé de venger cet affront. Les Maggoths esquivèrent sans peine les Tanks à Vapeur lorsqu’ils les croisèrent. Bilespurter, le Maggoth de Rotspawned, saisit la tourelle du tank le plus proche et tira de toutes ses forces. La coupole en métal fut arrachée, et le Maggoth déversa alors à l’intérieur de la machine un jet de vomi démoniaque. L’engin avança sur quelques mètres de plus avant de s’arrêter dans un grincement et des jets de vapeur pestilentielle. Les trois autres Tanks à Vapeur se dirigèrent vers l’ost de Porte-Pestes, et forcèrent le palanquin d’Épidemius à les éviter. Les serviteurs de l’Intendant furent écrasés sous les roues des machines de guerre. Épidemius grommela d’un air irrité et tendit un doigt vers le ciel. Entonnant un chant lancinant, il fit apparaître une masse de nuages d’un blanc purulent, qui s’agglutinèrent au-dessus du Tank à Vapeur le plus proche en formant un cyclone. La machine se mit à tourner lentement sur elle-même, puis de plus en plus vite. Finalement, elle se renversa, et sa chaudière à vapeur se fissura en projetant des jets brûlants aux alentours. L’équipage d’Ingénieurs ébouillantés s’extirpa de sa machine en hurlant, mais il fut aussitôt mis en pièces par les lames des Porte-Pestes qui grouillaient autour du tank. Les Démons poursuivaient leur progression, sans se soucier des dégâts que l’artillerie de la Porte Est leur causait. Les boulets de canon fauchaient des rangs entiers. Chaque tir réduisait plusieurs Démons en pulpe verdâtre et gélatineuse. Les roquettes des Tonnerre de Feu s’abattaient depuis le ciel, et explosaient avec une force telle qu’elles créaient de profonds cratères parsemés de corps démembrés. Les Mortiers projetaient leurs bombes au milieu des arbres, et dévastaient les phalanges des lignes arrières, afin de les retarder. Malgré tout, cette nuit était celle des pestiférés, et ils n’allaient pas s’avouer vaincus en dépit des pertes terribles qu’ils étaient en train de subir. Sur tous les fronts, les armées de l’Empire étaient assaillies par les forces de Nurgle. Les épées étincelaient, les tentacules fouettaient les airs sauvagement, les gueules dégoulinantes de bave se refermaient sur les têtes et les bras des soldats, et les lances de cavalerie semaient la mort. Le banquet du carnage battait son plein, pour le plus grand bonheur du Dieu qui y participait depuis les cieux. Tous les guerriers présents sur le champ de bataille en avaient conscience : le destin de la ville, et sans aucun doute de tout l’Empire, allait se jouer au cours des prochaines heures.
Le docteur Festus sautillait dans la fange du Nouvel Altdorf, et Ku'gath cheminait à ses côtés. Une garde d’honneur de sept Porte-Pestes juchés sur des Drones de la Peste voletait à distance respectueuse, éblouie par ce mortel qui avait transformé le joyau de l’Empire en une bauge pestilentielle. Ils étaient suivis par une procession de Porte-Pestes qui s’étirait jusqu’au cyclone laiteux, au cœur de la ville. Depuis que l’apothicaire de Nurgle avait célébré son rituel dans les égouts d’Altdorf et ouvert une porte entre les mondes, la cité était au goût des Démons du Seigneur de la Déchéance. Des mares croupies et des lianes épaisses et à la croissance exubérante étaient apparues. Les plantes démoniaques brisaient les vitres et les portes pour s’insinuer dans les maisons. Des appendices étranges s’enroulaient autour des statues des Empereurs de jadis, de la mousse noire drapait les icônes en bronze de Sigmar, et du lichen donnait aux bustes des Théogonistes des barbes surréelles qui flottaient au gré de la brise pestilentielle. Les rues étaient couvertes de touffes d’herbes folles. Une variété incroyable de plantes cherchait ses nutriments dans le sol riche en cadavres, et déployait des atours tous plus horriblement magnifiques les uns que les autres. Des explosions de couleurs ponctuaient le vert et le gris. Des orchidées jaunes et rouges luisaient tout autant que le plus beau des furoncles. Des nuées d’insectes vrombissaient des refrains primesautiers, des Nurglings batifolaient dans la boue, et des ruisseaux d’immondices gargouillaient joyeusement dans les caniveaux. Partout abondaient des végétaux, des champignons et toutes sortes de formes de vie démoniaques, de la plus minuscule à la plus énorme. Ce spectacle gonflait d’allégresse le cœur de tous les serviteurs de Nurgle. Festus brillait d’une énergie immense qui faisait de lui un homme au moins sept fois plus puissant qu’il ne l’était une heure auparavant. Grâce aux faveurs que lui accordait son Dieu, il n’était plus qu’à un doigt de l’immortalité. Ku’gath, qui était tout autant une parcelle de son maître que les plantes démoniaques qui avaient envahi la ville, le savait mieux que quiconque. Il était ravi que son camarade fût sur le point de connaître l’apothéose et de rejoindre la cour des plus grands serviteurs de Nurgle. Après tout, il le méritait, et ses efforts pour cultiver le Jardin Putride devaient être récompensés à leur juste valeur. Pendant que les anciens maîtres d’Altdorf combattaient à l’extérieur des murs, la ville était à la merci des Démons, à l’exception du Temple de Shallya. En effet, l’édifice doté d’un dôme immense et les rues qui l’entouraient restaient purs et immaculés en dépit de la corruption des quartiers attenants. Si ce dernier havre tombait, le Jardin Putride serait libre de se répandre dans les moindres recoins de la ville, afin de la conquérir intégralement avant la fin de Geheimnisnacht. Le tissu de la réalité qui maintenait Altdorf avait été tellement infecté par les Royaumes du Chaos que seuls les praticiens de la Magie avaient désormais une chance infime de repousser les forces surnaturelles qui enserraient la ville. Et il fallait reconnaître que les Magisters d’Altdorf faisaient de leur mieux. Sur les berges du cours d’eau moisi qu’on nommait le Reik encore peu de temps auparavant, les Magisters Dorés tissèrent un sort qui recouvrit les murs de leur Collège d’une couche d’or inerte. À partir de l’édifice aux toits hérissés de cheminées crachant des fumées versicolores, cette couche d’or se répandit dans les rues alentours, afin d’empêcher les plantes démoniaques de s’enraciner. Cependant, même le métal n’était pas immunisé aux forces de l’entropie : la couche dorée s’écailla petit à petit, laissant prise à des plaques de mousse et à des champignons. La Grande Pyramide du Collège Lumineux ayant été envoyée dans l’éther, les Magisters de cet ordre s’aventurèrent en nombre dans les rues. Chantant dans la langue des rois du sud, ils conjurèrent un soleil d’énergie blanche qui bannit les Démons qui s’en approchaient. Les plantes touchées par ses rayons se racornissaient instantanément. Mais rapidement, les incantations des acolytes furent entrecoupées de toussotements et de d’éternuements, si bien que l’orbe finit par s’étioler et disparaître. Les Sorciers de Jade, qui manipulaient les énergies de la vie, étaient ceux qui souffraient le plus de l’expansion du Jardin Putride. Leur magnifique collège, un entrelacs de troncs d’arbres millénaires, n’était plus qu’une parodie grotesque de lui-même, tandis que les Magisters de l’Ordre se transformaient inéluctablement en arbres de chair étranges. Les visages de ces malheureux continuaient de hurler d’horreur dans les nœuds de l’écorce, tandis que leurs doigts bougeaient vainement au bout des branches. Seuls les Magisters Flamboyants se révélèrent suffisamment féroces pour repousser efficacement la jungle envahissante. Ils se transformèrent en avatars de flammes et attaquèrent en masse, mettant le feu aux plantes aussi bien qu’aux Démons qui passaient à leur portée. Pendant six heures, les Pyromanciens détruisirent par le feu l’engeance Démoniaque, mais ils finirent eux aussi par être défaits. La tempête se déchaîna rageusement au-dessus du Collège Flamboyant, au point que la pluie battante finit par éteindre les flammes de colère qui immolaient les Magisters. Ces derniers, épuisés et finalement vaincus, s’écroulèrent de fatigue sur le sol détrempé. Quant aux serviteurs de Shallya, Festus et Ku’gath se dirigeaient vers le temple pour s’occuper personnellement de ce problème. Les deux compères puisaient leurs forces dans la tempête de Magie qu’ils avaient déclenchée dans le quartier des abattoirs. Alors qu’ils suivaient les rues encombrées de végétation et de champignons, l’effervescence du Jardin Putride diminuait. Le fracas d’un combat résonnait un pâté de maison plus loin, à un endroit où les nuages d’orage se teintaient de rouge sous l’effet de flammes dévorantes. Lorsque les deux compagnons arrivèrent au coin de rue suivant et débouchèrent sur le Fleischmarkt, ils assistèrent à une scène digne des cauchemars d’un général enfiévré. Des soldats en armure maniant de grandes flamberges tailladaient une horde de Porte-Pestes qui se massait autour d’eux. Les têtes cyclopéennes volaient dans les airs tandis que les vétérans de l’Empire récoltaient une sinistre moisson. Derrière eux, un groupe de Chevaliers montés sur des Demigriffons s’empressait de contourner les flancs des Démons. Les montures déchiquetaient leurs proies avec leurs becs et leurs serres, et barraient le passage aux fantassins de Nurgle.
De l’autre côté de la place, les flammes conjurées par les derniers Magisters Flamboyants incinéraient les nuées d’asticots géants qui se dirigeaient vers eux. Des murs de flammes balayaient les rues de part et d’autre de la place, et consumaient la flore démoniaque. Les Nurglings explosaient sous l’effet de la chaleur, et plusieurs bâtiments avaient pris feu. Néanmoins, les nuages de tempête s’accumulèrent une fois de plus, et déversèrent des trombes de liquides ignobles sur les incendies, jusqu’à ce que ceux-ci s’éteignent. Ku’gath s’avança sur la place. Il souleva un de ses replis de chair et s’empara d’un Nurgling couinant. Il projeta le petit Démon dans les rangs des Joueurs d'Épée, et alors que le champion de l’unité allait le couper en deux avec son épée, la créature explosa et projeta une bile acide sur les visages et les mains des soldats. Des hurlements de douleur éclatèrent, provoquant l’hilarité du Démon Majeur. Il prit ensuite son élan, et percuta la ligne des Joueurs d’Épée telle une avalanche de chair. Festus lui emboîta le pas. Le régiment de soldats était désorganisé, et ils devinrent alors des proies faciles pour les Drones de la Peste qui accompagnaient les deux champions de Nurgle. Les deux apothicaires poursuivirent ensuite leur chemin sans rencontrer d’opposition. Il ne restait que peu de défenseurs dans l’enceinte de la ville, et plus rares encore étaient ceux qui osèrent attaquer un Démon Majeur. D’un simple mot, Festus liquéfiait les yeux des soldats et des miliciens assez stupides pour leur barrer la route. Au milieu de la Place aux Chandelles, ils virent un Tank à Vapeur qui écrabouillait les Porte-Pestes qui tentaient de le stopper. Son canon de tourelle projeta un jet de vapeur sur Ku’gath, mais le Démon renversa la machine d’un simple revers de la main. Dans la Rue Sigmarsen, ils aperçurent un conclave de Magisters Lumineux qui abattaient des Drones de la Peste à l’aide d’un rayon étincelant projeté par un ensemble de lentilles et de prismes. Festus ne fit qu’un geste, qui suffit à invoquer une nuée de sangsues ailées qui vidèrent les Magisters de leur sang en quelques secondes à peine. Les deux compères repartirent. Les balles de tireurs d’élite réfugiés dans les clochers et sur les dômes les harcelaient, mais leurs blessures se refermaient grâce aux capacités de régénération que leur maître leur avait accordées. C’était bien là la preuve de la supériorité de Nurgle : la créativité du Chaos ne pouvait que prévaloir sur les misérables inventions humaines. Même la mort n’avait pas de prise en ce royaume, pourtant la déesse de la guérison continuait de s’accrocher à sa pureté. Ils traversèrent le pont Unterwald bouché par des algues, et aperçurent enfin le Temple de Shallya. Aucune tâche ne piquetait ses murs d’albâtre ou les dalles blanches du parvis. Même le ciel au-dessus de l’édifice était d’un bleu cristallin, au lieu d’avoir la couleur maladive du lait caillé, comme partout ailleurs. Les environs étaient occupés par des tentes, et des brancardiers et des sœurs en robes blanches s’occupaient des blessés. Ku’gath arracha l’épée en bronze d’une statue de l’Empereur Magnus, et se rua vers le temple en beuglant. Il déchira une tente et réduisit ses occupants en pulpe d’un coup de poing. Festus resta en retrait et éructa de longues phrases en Langue Noire. Un gaz fuligineux sortit de sa bouche et alla s’immiscer dans les narines des sœurs paniquées. Une vieille femme coiffée d’une cornette s’approcha de lui et le frappa au visage, tout en lui enfonçant une dague dans le ventre. Festus resta interdit pendant un court instant, puis lui brisa une potion de dissolution sur la tête et inspira profondément les gaz issus de la décomposition accélérée de son visage. Depuis les airs, les Drones de la Peste jetaient des têtes de mort scellées avec de la cire au milieu de la foule. Les projectiles explosaient à l’impact, et même si leurs fluides immondes n’avaient aucun effet sur les sœurs, ils dévoraient la chair des soldats blessés qui tentaient de former une ligne de bataille devant le temple. Ku’gath broyait et écrasait tous les malheureux qui passaient à sa portée. Soudain, des gémissements et le cliquetis d’ossements se firent entendre non loin. Des rangs serrés de Morts-Vivants émergèrent des rues et convergèrent vers les Démons qui suivaient Ku’gath et Festus. À leur tête se trouvait Vlad von Carstein. Au même instant, le son d’un cor de guerre annonça l’arrivée des preux de Bretonnie, et le ciel bleu au-dessus du temple s’emplit de silhouettes ailées. Sans attendre, les morts et les vivants chargèrent ensemble l’ost Démoniaque. La Bataille du Temple[modifier]L’Armée des Demi-Morts[modifier]
La Joyeuse Cohorte[modifier]
Alors que les lignes de bataille se rapprochaient l’une de l’autre devant le Temple de Shallya, Louen Cœur de Lion plongea des cieux tel un rapace. Il lança son défi à Ku'gath, et le Grand Immonde tourna vers le Haut Paladin un faciès déformé par la rage. Des Drones de la Peste voletaient dans les cieux et vinrent à la rescousse du Démon Majeur, cependant ils étaient trop lents. Le Père des Épidémies eut à peine le temps de lever le bras avant que la lance de Louen le transperce. La pointe bénite s’enfonça de plus d’un mètre dans le cuir épais, puis les serres de l’Hippogriffe labourèrent le large torse du Démon. Avec une rapidité incroyable pour sa taille, Ku’gath attrapa la lance et l’utilisa comme levier pour projeter le Paladin et sa monture vers le Temple de Shallya. Ils heurtèrent le dôme si fort qu’ils le traversèrent et retombèrent au milieu d’une pluie de verre et de céramique. Du sang lumineux gouttait des arêtes effilées du dôme, mais du cavalier et de sa monture, il n’y avait plus le moindre signe. Le Démon Majeur brisa la lance comme un roseau et la jeta dédaigneusement, puis écrasa un soldat des troupes régulières qui lui perforait la hanche avec son épée. Dans le ciel, les Chevaliers Pégases affrontaient les Drones de la Peste qui tentaient de défendre le Démon Majeur. Le docteur Festus se fraya un chemin vers Ku’gath tout en l’applaudissant chaleureusement : Festus avait conscience qu’une créature de Nurgle avait des difficultés à toucher un sanctuaire de Shallya, et il trouvait que le Démon Majeur avait fait preuve d’un sens de l’improvisation magistral. À l’ouest, les rues furent encombrées par des hordes de Morts-Vivants. Ils débouchèrent sur la place, renversant maladroitement les jarres d’eau claire des prêtresses, et s’emmêlant dans les tentes alors qu’ils se dirigeaient vers les Porte-Pestes. Les Zombies attaquèrent les Démons avec leurs ongles sales, ou les tabassèrent avec des objets ramassés par terre. Normalement, de telles attaques n’auraient eu aucun effet sur les Démons de la peste, cependant ces derniers furent émerveillés par la variété des maladies de peau des Zombies, et tentèrent de les dénombrer alors même que les Morts-Vivants les submergeaient. En quelques minutes, la ligne de front des Démons fut noyée sous un tapis de Zombies. Putrefex Languemolle coassa des ordres afin que les Porte-Pestes ripostent. Les rangs suivants des Démons sortirent soudainement de leur stupeur, et entreprirent d’abattre les Zombies avec leurs lames rouillées. Malgré tout, l’assaut des cadavres ambulants n’avait pas été vain. Pendant que les premières lignes de Porte-Pestes étaient occupées, les troupes de choc de Vlad attaquèrent les flancs. Des hordes de squelettes portant des lambeaux d’uniformes impériaux assaillirent les Démons à la chair pourrie, tandis que des Revenants arborant l’équipement des tribus d’antan massacraient les Bêtes de Nurgle. Vlad menait personnellement une colonne de Gardes des Cryptes, et plongea dans une formation de Porte-Pestes. Le Vampire était un ouragan de destruction. Sa lame enchantée fauchait les Démons comme les blés. Les Revenants qui l’accompagnaient étaient eux aussi redoutables, car l’énergie magique qui émanait du Vampire leur conférait une force et une endurance bien supérieures à celles de n’importe quel mortel. Cet assaut inattendu fut si efficace que Vlad traversa la cohorte de Démons et resurgit de l’autre côté. Son escorte fit alors volte-face et forma un mur de boucliers qui coupa les Porte-Pestes du reste de leur armée. D’un coup magistral, Vlad avait isolé sa proie et se prépara à donner le coup de grâce. Campé devant les piliers du temple, Ku’gath surplombait la ligne de troupes régulières et de Flagellants qui protégeait la haute prêtresse en robe blanche. Il écarta violemment une poignée de soldats qui lui barraient le chemin, puis leva son épée pour frapper. Soudain, Louen Cœur de Lion surgit du péristyle. Son épée étincelait d’un feu divin. Alors que Ku’gath abattait son arme, le Haut Paladin attrapa la haute prêtresse par la taille et bondit. Les dalles furent pulvérisées lorsque le coup du Démon Majeur heurta le sol, cependant Louen venait de sauver in extremis la vie de la haute prêtresse. Après avoir éloigné la jeune femme de sa proie, Louen sauta sur une table qui avait été sortie sur le parvis pour servir à allonger les blessés, et fondit sur son énorme adversaire. Il saisit son épée à deux mains et frappa exactement là où sa lance avait déjà entamé le cuir de Ku’gath. La plaie s’ouvrit si profondément qu’elle exposa le cœur pourri et palpitant du Démon Majeur. Rugissant d’indignation, le Père des Épidémies baissa vivement la tête. Louen se retrouva empêtré dans les bois du Démon, qui l’envoya alors voler dans les airs. Alors que le Bretonnien était désemparé, Ku’gath l’intercepta en plein vol avec son épée, et l’envoya s’écraser au milieu des Nurglings qui grouillaient au pied de la statue de Magnus le Pieux. Le sang doré de Louen s’écoulait de ses blessures, cependant il se releva. Son bouclier se mit à briller d’une lumière azur lorsqu’il murmura rapidement une prière à la Dame du Lac afin qu’elle lui accorde ses faveurs. À l’arrière de l’ost Démoniaque, Festus bavait abondamment alors qu’il terminait de déclamer son rite d’abondance préféré. Il fit un geste en direction des Chevaliers Pégases qui affrontaient les Drones de la Peste. Les derniers cavaliers Bretonniens hurlèrent de douleur avant d’exploser dans une gerbe de viscères. Le sang et les lambeaux de chair des Chevaliers et des Pégases tombèrent au sol comme une pluie blasphématoire. Festus écarta les bras pour recevoir cette ondée magnifique, puis se lécha les doigts en ricanant d’un air vil. Ainsi libérés de leur duel aérien, les Anges de la Fange plongèrent vers le sol. Les pattes segmentées des Drones de la Peste s’enfoncèrent dans les corps dénudés des Flagellants qui attaquaient Ku’gath à coups de fléaux. Les prédicateurs hurlaient comme des possédés, et contre-attaquèrent les Démons bourdonnants. Ils déchiraient les ailes membraneuses avec leurs ongles crasseux, et allaient jusqu’à mordre la chair putride de leurs assaillants. Les Drones de la Peste étaient habitués à affronter des ennemis terrifiés, ou qui vomissaient le contenu de leurs estomacs en les voyant, mais les Flagellants étaient d’une autre trempe. Les Démons furent donc surpris par cette combativité inattendue, et perdirent deux des leurs en quelques secondes, lorsque leurs corps mous furent éventrés par les coups frénétiques des zélotes. Non loin, les Revenants de Vlad tenaient les Porte-Pestes en respect. À chaque fois qu’un des cadavres en armure était abattu, les sorts de résurrection du Vampire le poussaient à se relever et à réintégrer le mur de boucliers. De plus, la formation était renforcée par la présence de l’Empereur Wilhelm. Il était bien plus resplendissant dans la mort qu’il ne l’avait été de son vivant. Le tyran squelettique affrontait Putrefex Languemolle, et son épée qui brillait d’une lueur aveuglante croisait la lame corrodée de son adversaire. Marmonnant des malédictions que seul un Porte-Peste pouvait imaginer, le Héraut gratifia le Revenant d’un coup de pied au genou. Le tibia de Wilhelm céda dans un craquement sinistre. Le Roi Revenant mit un genou à terre, néanmoins le coup qu’il était en train de porter fit mouche. Il trancha la main du Démon et s’enfonça dans son abdomen en produisant un grésillement de chair brûlée. Tandis que l’Empereur Wilhelm se relevait, tel un fantôme jaillissant d’une tombe profanée, le Héraut Démoniaque mugit de frustration et s’évapora dans les airs. À l’entrée du temple, Louen Cœur de Lion chargea Ku’gath une fois de plus. Sa barbe était maculée de sang étincelant. Cette fois, il para le premier coup du Démon avec son bouclier, même s’il vacilla sous l’impact titanesque. Il effectua alors une roulade, et passa sous la garde du Démon, dont l’attaque suivante le rata d’un cheveu et alla à la place écraser un malheureux soldat contre le socle d’une statue. Cœur de Lion se débarrassa des Nurglings qui entouraient le Grand Immonde. Son épée scintilla à la lumière de la comète qui se rapprochait. Ku’gath fut aveuglé, et se couvrit les yeux en reculant, comme s’il venait de ressentir soudainement une douleur violente. À cet instant, l’Hippogriffe de Louen apparut sur le dôme fracassé du temple. Il était couvert de sang et ses plumes étaient ébouriffées, mais il poussa un cri et se rua sur Ku’gath en lui labourant le dos avec ses serres. L’animal arrachait de gros bouts de chair avariée et faisait rugir le Grand Immonde, aussi bien de douleur que de colère. Festus courut alors vers les combattants et jeta une cornue remplie de bile de Troll sur la tête de l’Hippogriffe. Il avait visé juste ; le flacon en verre se brisa. Le monstre piaula en se griffant frénétiquement la tête pour tenter de se débarrasser de l’acide qui le brûlait. Ku’gath en profita pour réagir. Il saisit l’Hippogriffe, le jeta au sol et lui brisa l’échine d’un coup d’épée. Le noble animal fut parcouru d’un spasme d’agonie. Ses ailes battirent désespérément dans les airs, puis il s’immobilisa définitivement. Partout dans le quartier des indigents, la résistance surnaturelle des Démons faisait face aux énergies inamovibles des Morts-Vivants. Les rares humains survivants contemplaient la fureur des combats qui éclataient lorsque les lignes de bataille se heurtaient. Cependant, pour chaque Démon qui disparaissait dans une explosion de vapeurs fétides, trois, cinq, et même dix Morts-Vivants gisaient démembrés sur le pavé, car la puissance de Nurgle enserrait toute la ville. Les Porte-Pestes, qui étaient déjà d’ordinaire des adversaires tenaces, attaquaient dorénavant avec une telle vigueur qu’ils abattaient les Morts-Vivants plus vite que Vlad ne pouvait les relever. Le cordon de Gardes des Cryptes que le Vampire avait établi dans la plus grande avenue diminuait inexorablement. Finalement, des Porte-Pestes réussirent une percée pour rejoindre les combats qui faisaient rage devant le temple. Quant au Comte Électeur von Carstein, il devait faire face à d’autres problèmes. Une marée des Nurglings s’était insinuée entre les jambes des Démons pour grimper sur le Vampire, à la recherche de points faibles dans son armure. Vlad feulait en tentant de se débarrasser de ces petits Démons parasites. Il les tailladait avec son épée, et fut soulagé de voir que les monstres n’avaient pas de sang pour déclencher les enchantements de la lame. Les Nurglings semblaient encore plus nombreux que les nuées sans fin de Porte-Pestes qui emplissaient les rues. Peu à peu, les petites créatures se rapprochaient de sa tête… Vlad entonna un ancien sortilège de Nehekhara et manifesta sa colère sous la forme d’un rayon de lumière qui jaillit de ses yeux. Les dizaines de Nurglings qui le recouvraient furent incinérés, et le rai étincelant fit même fondre les pavés du sol, les réduisant en une flaque de lave rougeoyante. Le Vampire renifla alors d’un air méprisant et essuya théâtralement sa lame sur sa cape. Soudain, une pince gigantesque frappa le Comte dans le dos et l’envoya valser à travers la place. Les dalles se fissuraient sous la pression de pattes énormes tandis que le Jardinier se jetait au combat en faisant claquer ses sécateurs. Un groupe de Lanciers blessés le chargea en criant des prières à Sigmar, toutefois le Jardinier leur cracha dessus un long jet de salive. Les fluides répugnants inondèrent les soldats, et firent se dissoudre leurs chairs jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un amas de gelée rose et de vêtements décolorés. Un beuglement s’éleva de l’autre côté de la place. Ku’gath titubait en arrière. Les Flagellants qui s’accrochaient à lui en le frappant férocement valsaient au rythme de ses mouvements effrénés. Le Démon Majeur battait des bras en s’éloignant de l’entrée du temple. Louen Cœur de Lion s’agrippait à son épée, dont la lame était enfoncée jusqu’uà la garde dans la gorge du Démon. De plus, le sang doré qui s’écoulait des nombreuses blessures du Bretonnien brûlait la chair de Ku’gath avec plus de virulence que le plus terrible des acides. Celle-ci noircissait, et ces blessures donnaient l’effet de charbons ardents rougeoyants au milieu d’un tapis de fungi. Pire encore pour Ku’gath, le sang de Louen s’insinuait dans la blessure béante de son torse. Le Grand Immonde mugissait et se débattait en vain. Le Haut Paladin s’accrochait fermement tandis que le Démon Majeur était peu à peu désintégré par les fluides vitaux qu’il avait contribué à répandre. Le sang sacré portait en lui la bénédiction d’une déesse encore plus puissante que Shallya. Le Démon Majeur tituba et heurta la statue de Magnus le Pieux, qui lui tomba dessus. Alors que Louen bondissait, l’énorme masse de la statue en bronze bloqua Ku’gath au sol. Au bout de quelques secondes interminables, la silhouette du Grand Immonde se réduisit finalement à une tache grasse et irisée sur le sol. Louen était gravement blessé, mais il se dressait triomphalement sur le socle où se trouvait auparavant la statue sévère de Magnus. Il pointa sa lame vers Festus et lui lança un défi tonitruant avant de se ruer vers lui. L’apothicaire s’empara d’une grosse sangsue collée à son dos et la jeta contre le Bretonnien, à la façon d’un bolas. L’annélide s’enroula autour de la jambe du Chevalier et le fit trébucher. Néanmoins, il était aussi agile qu’un Elfe en dépit de son âge, et effectua une roulade pour amortir sa chute, puis se releva et enfonça son épée scintillante dans l’abdomen de son adversaire avant qu’il puisse réagir. Une telle attaque aurait tué sur le coup n’importe quel adversaire ordinaire. Malheureusement, Festus était imbu du pouvoir de Nurgle, et il ne craignait pas la souffrance. Il brisa un flacon qu’il venait de saisir contre le visage du Bretonnien. L’ichor démoniaque rongea et dévasta à jamais le noble visage de Louen. Celui-ci recula en hurlant de rage et de douleur. Festus produisit alors une scie de chirurgien qui pendait à sa ceinture. Il bondit sur sa proie tel un crapaud, et entreprit de cisailler la gorge du Chevalier. Le sang doré qui gicla et lui macula les bras le brûlait atrocement, cependant Festus était toujours un mortel, et sa chair n’était pas aussi sensible au sang bénit que celle de Ku’gath. Le docteur sciait comme un boucher dément. Le Chevalier convulsait entre ses mains alors que ses fluides vitaux s’écoulaient à gros bouillons de ses carotides tranchées. Finalement, sous le regard horrifié des troupes régulières de l’Empire, Festus tira par les cheveux la tête ravagée de l’ancien Roy de Bretonnie, et celle-ci se détacha de son corps dans un geyser de liquide scintillant. Le docteur la brandit afin que tous puissent la voir. Le docteur poussa un cri triomphal. Au-dessus, la tempête émit un roulement de tonnerre, qui était en réalité le rire d’un père fier des accomplissements de son fils. Festus se mit à luire d’une lumière intérieure verdâtre. Celle-ci s’écoula par ses yeux et sa bouche, et tout son corps se mit à trembler sous l’effet des énergies démoniaques qui l’envahissaient. Les Démons sur la place qui n’étaient pas en train de lutter contre les Morts-Vivants se tournèrent vers Festus et s’agenouillèrent en scandant son nom. Vlad percuta le flanc du docteur avec la force de la foudre, et le fit chuter contre un enchevêtrement de tables et de tabourets. Le Vampire brandit alors sa lame pour porter le coup de grâce, mais avant qu’il puisse frapper, Festus prononça une phrase et dévasta le corps de von Carstein, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un tas de poussière qui s’envola dans la brise. Tous les combattants retinrent leur souffle alors qu’une armure sylvanienne vide s’écroulait au sol dans un fracas de métal. Un anneau en or doté d’un gros joyau roula sous une pile de bois brisé avant de s’immobiliser. Festus ricana et se releva, en saluant narquoisement les rangs de Morts-Vivants qui se traînaient vers lui. Au moindre de ses gestes, des poignées de cadavres ambulants s’affaissaient, leur chair et même leurs os rongés en quelques secondes par des nuées d’asticots voraces. Privés de la Magie de leur maître, les Revenants faiblissaient eux aussi, alors que de plus en plus de Porte-Pestes déboulaient sur la place. Les prêtresses de Shallya avaient mis à profit le temps gagné par les défenseurs. Des sœurs allaient et venaient avec des urnes remplies d’eau bénite, et nettoyaient les immondices qui maculaient le sol afin de créer une barrière mystique, un sol consacré que les Démons ne pourraient franchir. Elles avaient presque terminé le cercle. Festus renifla de mépris en observant leur tentative futile. D’un simple geste, il allait soulever les fondations du temple, et mettre à bas l’édifice, détruisant ainsi tous les espoirs des impériaux en un seul sort fatidique. Tout à coup, la masse de tables derrière lui explosa en projetant des fragments et des échardes aux alentours, et Vlad von Carstein reparut. Il tenait dans une main un pied de table brisé et pointu, et dans l’autre sa lame ancestrale. Son anneau brillait si férocement qu’il brûlait les yeux de ceux qui le regardaient. Le Vampire bondit si vite que l’œil ne pouvait le suivre. Festus saisit le bras armé de Vlad dans une étreinte d’acier, toutefois le pieu en bois que maniait le Vampire s’enfonça profondément dans son thorax. Immédiatement, le pari intuitif et risqué du Vampire s’avéra correct. Débordant d’énergies vitales incontrôlables, le corps de Festus transforma le bois inerte en un arbre tordu, qui poussa à une vitesse foudroyante. Le docteur se retrouva empalé sur le tronc d’un immense chêne de la Drakwald, dont les racines plongèrent profondément dans le sol, tandis que son feuillage corrompu montait vers le ciel. Le torse de Festus fut écartelé, au point qu’il finit par exploser dans une gerbe ectoplasmique grisâtre. Des cris de frustration montèrent du reste de la place tandis que la brume humide qui avait été le corps de Festus était balayée par le vent, puis aspirée dans le Royaume du Chaos. Les Altdorfers avaient repris le dessus. Les Démons étaient incapables de traverser le cercle sacré des prêtresses. Les rares soldats survivants qui s’étaient abrités dans le temple étaient trop exténués pour hurler de joie, mais tandis que les secondes s’écoulaient, ils se rendaient compte que les Démons ne pouvaient pas les atteindre. Grâce à l’intervention à point nommé des Morts-Vivants et de Vlad von Carstein, et au sacrifice des nobles Bretonniens, qui étaient tous morts en défendant le temple, le dernier sanctuaire de pureté d’Altdorf avait été sauvé, et toute la ville avec lui. À l’extérieur des murs, au nord de la cité, l’Autel de Guerre de Gutrot Spume porté par deux énormes mutants se frayait un chemin au milieu de la Reiksguard. Le Seigneur des Tentacules abattait sans cesse sa hache, et chacun de ses coups désarçonnait un Chevalier. Hans Zintler traversait la mêlée en direction du champion de Nurgle. Le Reikscaptain taillada les mutants soutenant la plate-forme impie. Son épée de vif-argent tranchait les appendices et les membres des monstres. Dans une lenteur consommée, le gigantesque Autel de Guerre bascula, et déversant des braises et des morceaux de cadavres sur les combattants des alentours. Spume sauta de la plateforme. Sa silhouette obèse se découpait dans la lumière de Morrslieb. Il se rua contre la Reiksguard. Ses six tentacules s’étendirent, et saisirent deux par deux des Chevaliers avant de les désarçonner. Le septième appendice brandissait la hache de Spume, et l’arme décapita les trois guerriers avant qu’ils puissent se dégager et se relever.Zintler cria un serment Sigmarite et se pencha adroitement sur sa selle pour frapper Spume entre les épaules. La lame transperça le Chef de Guerre et sa pointe jaillit de son torse. Malgré la gravité de cette blessure, les tentacules frétillèrent et attrapèrent le poignet du Reikscaptain, qui fut brutalement tiré de son destrier et désarmé dans la foulée. Spume fit volte-face, l’épée encore plantée dans son corps. Le champion de Nurgle émit un rire caverneux tandis que du sang s’écoulait de la visière de son heaume. Un des appendices retira lentement la lame ancestrale coincée entre ses côtes. Le Seigneur des Tentacules posa sa lourde botte sur le torse du Reikscaptain et posa sa grande hache contre le cadavre proche d’un destrier. Son pseudopode s’étendit, et Spume s’empara de l’épée avec sa main valide. Zintler se débattait et maudissait son ennemi, mais ses cris cessèrent dans un gargouillis lorsque Spume enfonça dans sa gorge la lame en vif-argent. La Reiksguard avait été brisée par la contre-attaque de Spume, et les Hommes-Bêtes purent se déverser de nouveau de la Drakwald et commencer à escalader le mur nord. À l’est de la ville, les troupes régulières tenaient bon contre les Démons répugnants qui les assaillaient. Épidemius était au beau milieu de l’ost de Porte-Pestes, occupé à compter les infections qui se déclaraient dans la ligne de bataille à chaque fois que ses serviteurs portaient un coup. Les présents de Grand-Père Nurgle étaient si nombreux et magnifiques que l’Intendant était presque submergé par l’émotion et l’émerveillement. Épidemius écrivait frénétiquement, une plume dans chaque main. Sa rédaction d’ordinaire lente et minutieuse s’était muée en un gribouillage empressé, car il s’était résigné à tout remettre au propre une fois la bataille terminée. Chaque fois qu’il finissait de noircir un parchemin, les Porte-Pestes autour de lui se sentaient revigorés, et les maladies propagées par leurs lames rouillées se faisaient plus virulentes. À proximité, Orghotts Daemonspew et ses Chevaucheurs de Maggoth chargeaient en direction des batteries d’artillerie qui étaient sorties de la Porte Est. En dépit des blessures terribles subies par les énormes vers aveugles, les trois champions de Nurgle avaient atteint les redoutes de l’artillerie. Les Grands Canons étaient renversés sur les servants tandis que les Maggoths se vengeaient des tirs de boulets qu’ils avaient essuyés. Néanmoins, les Chefs de Guerre n’étaient que trois face à plusieurs dizaines de pièces d’artillerie, certaines pointées sur Épidemius. Les neuf fûts d’un Feu d’Enfer tirèrent simultanément lorsque l’arme subit un incident de tir critique. Les Démons aussi bien que les hommes furent mis en lambeaux, et Épidemius regarda d’un air étonné l’énorme trou dans son torse, puis compta les infections qui y grouillaient. Finalement, ses mains lâchèrent les deux plumes, et le Héraut s’évapora dans les airs, comme le rêve d’un mortel qui se dissipe. Devant la Porte Est, les Porte-Pestes tenaient bon, mais sans l’influence de leur chef, leurs coups perdaient en vigueur. Malgré tout, les Démons n’étaient pas les seuls alliés qu’Orghotts avait emmenés depuis Talabheim. Un gigantesque Minotaure de bronze déboula sur le champ de bataille comme une tornade. Les runes noires de ses haches scintillaient sous l’effet des énergies du Chaos. Il était suivi par d’immenses hardes de ses congénères, qui se frayèrent un passage à travers la mêlée à coups de cornes et de sabots. Les régiments de Lanciers qui leur faisaient face hurlèrent de terreur en voyant ce géant en armure de bronze charger droit sur eux avec sa harde. Les armes d’hast se brisèrent contre le cuir épais des monstres, et leurs porteurs reculèrent d’effroi ou se jetèrent dans la boue, hors du chemin de ces machines de destruction. Les haches runiques du Seigneur Minotaure tombaient comme des lames de guillotine, et coupaient en deux les soldats. De plus en plus de monstres cornus percutaient les lignes des Lanciers, et leur champion rugit à l’intention de son Dieu qui l’observait. C’en fut trop pour les soldats d’Altdorf. Ils jetèrent leurs armes et s’enfuirent, dépassant les détachements des lignes arrières, qui avançaient déjà d’un pas hésitant pour combler la brèche. Les Minotaures ne les poursuivirent pas, et se mirent à la place à festoyer sur les cadavres, où à s’abreuver dans les flaques de sang et d’eau croupie. À moins de cent mètres, Mundvard apparut sur les remparts. Sa silhouette chauve et majestueuse écarta les bras et il se mit à entonner un sort. Sur le flanc des Minotaures jaillit un mur, non pas de pierre, mais d’ossements. Des régiments de squelettes se formèrent en quelques secondes, avec une précision et une discipline qui auraient suscité le respect d’un sergent instructeur. Les Morts-Vivants baissèrent leurs lances et frappèrent avec une telle coordination que les premiers Minotaures périrent en un instant. Depuis l’enceinte de la ville, une horde de cadavres pourris sortait par la Porte Ouest pour barrer la route aux énormes Hommes-Bêtes. Gavés d’énergie nécromantique, les Zombies submergèrent les derniers Minotaures puis les dépassèrent pour aller attaquer les Hommes-Bêtes qui avaient profité de la percée des monstres. Un monticule mouvant de cadavres scella la brèche dans les lignes impériales au moment même où une tribu de guerriers Nordiques arrivait depuis le nord. Le Minotaure couvert de bronze qui se frayait un chemin vers la Porte Est redoubla d’efforts. Un régiment de Pistoliers de Talabheim tenta de l’intercepter. Les salves à bout portant des armes à feu ricochèrent pourtant sur la peau métallique de la bête. Le géant d’airain bondit alors parmi les cavaliers. Ses haches frappaient les hommes et les chevaux, qui s’écroulaient dans des pluies d’entrailles. La bête rugit une nouvelle fois pour appeler le Dieu du Sang. Au moment où le monstre de bronze cherchait une nouvelle proie, une énorme flèche empennée de noir l’atteignit à la gorge, là où ses protections en airain ne couvraient pas sa peau. Un trait de lumière ambrée et vaporeuse flottait dans les airs, retraçant la trajectoire de la flèche jusqu’au sommet de la tour de la Porte Est. La silhouette du Huntsmarshal se détachait dans le ciel. Le Minotaure d’Airain beugla et ses yeux roulèrent dans leurs orbites métalliques, puis il s’écroula raide mort. Des cris triomphaux jaillirent des rangs impériaux, et les vétérans d’Altdorf redoublèrent d’efforts face aux Guerriers du Chaos qui tentaient de briser leurs lignes. La mêlée se déplaçait, faiblissait puis reprenait de plus belle tandis que de plus en plus d’unités se jetaient au combat. En dépit de la violence de l’affrontement, l’Empire tenait bon. Cependant, au niveau de la Porte Ouest, la scène était bien différente. Suite à l’assaut inattendu des Bretonniens, les frères Glott avaient perdu patience. À cent mètres de la porte, la muraille explosa dans une pluie de blocs de maçonnerie et de soldats démembrés. Ghurk passa par l’ouverture qu’il venait de créer dans le mur, au milieu de la poussière de mortier. Son rugissement de triomphe fut si puissant qu’il aurait pu rendre sourd un Dragon. Le mutant géant piétina les rangs de squelettes ou les balaya avec son immense tentacule, pendant qu’Otto tranchait les jambes des Morts-Vivants qui arrivaient sur les remparts. Ethrac lançait des malédictions mortelles aux troupes hors de portée de ses frères. Les guerriers antiques tombèrent du parapet en se désagrégeant sous l'effet d’une salive acide. Les Morts-Vivants qui se dressaient au pied des murs n’étaient pas plus gênants que des insectes pour Ghurk. Les frères Glott humaient avec bonheur les senteurs du Jardin Putride et en furent galvanisés. Un groupe d’Arquebusiers se positionna dans les tours de la Porte Ouest et prépara une salve. Ethrac brandit une grappe d’intestins et la pressa pour en extraire le jus, et les Arquebusiers se retrouvèrent aspergés de bile jaunâtre. Ils hurlèrent en se griffant le visage alors que l’acide leur liquéfiait la chair et les yeux. Juché sur l’épaule de son frère, Otto agrippa avec sa faux un des tireurs indemnes et le fit chuter, puis l’attrapa à la gorge alors qu’il tombait. Le champion de Nurgle secoua alors son captif comme un prunier, en lui demandant d’une voix menaçante où il pouvait trouver son maître. Le tireur tendit un bras tremblant en direction du Palais Impérial. Otto le remercia alors poliment, puis lui brisa le crâne contre le mur de la tour avant de tendre le cadavre à Ghurk, histoire de rassasier sa fringale. Au loin, deux fiers Griffons apparurent dans le ciel, et descendirent vers le cœur de la ville assiégée. On pouvait distinguer clairement le heaume emplumé de Karl Franz dans la lumière de la comète à deux queues. L’Empereur était enfin revenu. Les guerriers des frères Glott pénétraient dans la ville par la brèche dans la muraille, mais ils se rendirent compte que les rues qui entouraient la Porte Ouest étaient envahies de Morts-Vivants. Les pantins de chairs titubaient les bras tendus en direction des triplés qui menaient l’attaque. L’avant-garde des Morts-Vivants était menée par un guerrier chauve et aux ailes de chauve-souris portant une armure ornementée. Il se posa et reprit une apparence presque humaine. Il ne s’agissait pas de Vlad von Carstein, mais de Mundvard le Cruel, et il était bien décidé à massacrer ces sauvages qui avaient ravagé sa chère Marienburg, et qui à présent menaçaient de faire subir le même sort à Altdorf. D’ordinaire, le Vampire préférait prendre son temps avant de se venger, mais il fallait reconnaître que le temps venait à manquer aussi bien pour les mortels que pour les immortels. Le Terreurgheist nommé la Bête du Suiddock plongea d’un beffroi tout proche au moment où des rayons de lumière noire jaillissaient des yeux de Mundvard. Ils frappèrent Ethrac avec une force dévastatrice. Une seconde plus tard, la chauve-souris monstrueuse s’abattit sur Ghurk, et ouvrit la gueule pour libérer un cri plus terrible que tout un chœur de damnés. Ghurk vacilla, ses traits grotesques se déformant en un masque de douleur silencieuse. De plus en plus de cadavres sortaient des venelles et des bâtiments en face des frères Glott, jusqu’à ce qu’une marée de corps se forme, si vaste qu’elle ne pouvait avoir été convoquée que par un véritable maître des arts noirs. Elle avança comme une lame de fond qui submergea les triplés. Ghurk avait été sonné par le cri du Terreurgheist, mais il était beaucoup trop grand pour être immobilisé par de simples Zombies. Il effectua un balayage avec son tentacule. L’appendice saisit la Bête du Suiddock par une patte alors que le monstre se préparait à attaquer de nouveau. Il parvint à hurler, et une dizaine de tireurs d’Altdorf qui se cachaient dans la tour de la Porte Ouest devinrent livides et s’écroulèrent, foudroyés par une crise cardiaque. Mundvard entonna un chant de résurrection. Les humains se relevèrent immédiatement, et se servirent de leurs arquebuses pour frapper les Nordiques qui escaladaient tant bien que mal les décombres de la brèche afin de rejoindre les combats. Au niveau des rues, le Terreurgheist se mit à luire d’une énergie vert pâle alors que Mundvard tendait la main vers son immense carcasse. Tout d’abord lentement, puis de plus en plus vite, le monstre tira Ghurk de la mêlée. La Bête du Suiddock piaulait en brillant de plus en plus férocement, et battait frénétiquement des ailes. Ghurk fut traîné comme un enfant obèse s’accrochant à son cerf-volant. Otto et Ethrac étaient forcés de se tenir comme ils le pouvaient. L’élan de leur immense frère l’entraîna contre un vieux puits, qui se disloqua à l’impact, puis il percuta l’échoppe d’un forgeron. Otto repoussait tant bien que mal les soldats Morts-Vivants qui en profitaient pour grimper sur le corps de Ghurk. Le champion de Nurgle cracha un morceau de chair pourri coincé dans son gosier et libéra sa faux des corps des Zombies. Une forme scintillante descendait des nuages d’orage, et on commençait à percevoir un rire sardonique à travers le rideau de pluie laiteuse. Des rayons d’énergie noire fusèrent sur Otto et lui brûlèrent le cuir chevelu, au point que ses deux autres frères pouvaient sentir l’odeur de la chair calcinée. Au-dessus d’eux, un trio de silhouettes blanches volait sur un attelage Aethyrique. Les visages angéliques des Vampires femelles regardaient les champions de Nurgle d’un air moqueur. Rugissant de confusion et de rage, Otto lança sa faux en l’air. La lame incurvée atteignit au cou une des trois Vampires qui s’était penchée en espérant contempler la mort d’Otto alors que son Trône de Sabbat passait au-dessus des frères Glott. Ses deux sœurs poussèrent des cris horrifiés, et leur palanquin flottant s’éleva dans les airs. Le corps décapité de la reine Vampire bascula et, avant même de toucher le sol, il se transforma en cendres qui furent dispersées aux quatre vents. Otto rattrapa sa faux lorsqu’elle retomba, puis se dégagea des cadavres qui l’entouraient, en glissant dans son propre sang visqueux. Il se redressa péniblement et tâta son crâne. À son grand soulagement, l’os carbonisé se régénérait déjà. Les frères Glott passèrent ensuite près d’un grand temple, et une avalanche de cadavres leur tomba dessus, comme un raz-de-marée de lemmings. Ethrac se retrouva bloqué sous un monticule de chairs mortes qui s’accumulait sur les épaules de Ghurk. En dépit de ses efforts, il ne parvenait pas à se dégager, et criait à l’aide en se débattant. Otto se mit en devoir de pousser les cadavres et de les faire chuter dans la rue. Il y eut soudain un halo de lumière verte qui apparut sous les Zombies, et l’amoncellement de corps explosa soudain dans une gerbe d’asticots luminescents. Furieux, Ethrac se releva. Il était dégoulinant de fluides immondes. Malgré tout, les Morts-Vivants continuaient à attaquer, et bloquaient les rues pour stopper les frères Glott. Visiblement, ils voulaient les empêcher d’atteindre l’endroit où Karl Franz était descendu des cieux. Mundvard surplombait les rues. Les ailes de chauve-souris qui lui avaient permis de s’envoler sur le toit d’une chapelle proche redevinrent ses bras. Il les écarta, et entonna une incantation qui allait détruire les frères Glott une bonne fois pour toutes. Ethrac secoua la tête et tendit un doigt crochu vers le Vampire, avant de plonger la main dans sa sacoche et de jeter une poignée de spores noires dans le brasero magique accroché sur le large dos de Ghurk. Des volutes de fumée noire dérivèrent vers Mundvard alors qu’il était sur le point de terminer son sort. Elles l’enveloppèrent et anéantirent sa forme physique avant de se disperser. Lorsqu’elles disparurent, il ne restait de Mundvard qu’un squelette piqueté. Ghurk dépassa la maison au sommet de laquelle le Vampire se trouvait quelques secondes auparavant, et Ethrac n’eut qu’à tendre son sceptre pour faire chuter le squelette, qui se brisa en mille morceaux dans la rue. Après la destruction de son maître, la Bête du Suiddock fut attrapée par l’énorme tentacule de Ghurk, qui s’enroula une fois encore autour de ses pattes. Le mutant géant, dont le sillage de dévastation s’étirait jusqu’à la Porte Ouest, secoua la tête d’un air stupide avant de la lever et de voir le Terreurgheist qui battait follement des ailes pour tenter de s’échapper. Sans lâcher sa proie, Ghurk la projeta contre une statue de Sierck qui se trouvait au centre de la Place du Dramaturge. Comme l’énorme chauve-souris bougeait encore, Ghurk l’abattit ensuite contre la maison la plus proche. Le Terreurgheist n’était toujours pas vaincu. En désespoir de cause, Ghurk décida de lui sauter dessus à pieds joints jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ghurk grommela de contentement, et un roulement de tonnerre marqua l’approbation de son Dieu. Les frères Glott se dirigèrent ensuite vers le Palais Impérial, sans savoir que le plus puissant des Comtes Électeurs les attendait de pied ferme… Des Dieux et des Monstres[modifier]L’Ultime Espoir d’Altdorf[modifier]
Les Tueurs sur le Seuil[modifier]
Même si l’attaque de Vlad avait permis de gagner du temps, les frères Glott avaient l’avantage, et leurs serviteurs étaient galvanisés. Alors qu’ils approchaient de la cour extérieure du palais, le Griffon de Karl Franz bondit tel un lion titanesque. La bête plongea dans la ligne de bataille des Nordiques, toutefois l’appendice de Ghurk fouetta les airs et envoya valser le Griffon dans une pluie de plumes. Griffe Mortelle poussa un cri de colère et de douleur, tout en battant des ailes pour retrouver son équilibre. Le Griffon bicéphale de Martak sauta sur une pile de cadavres puis plongea. Ses serres frappèrent juste et arrachèrent l’œil de Ghurk. Le mutant tituba en frappant à l’aveuglette pour tenter d’atteindre le monstre, mais celui-ci s’était déjà éloigné. Dans les rues en dessous, des Morts-Vivants continuaient de harceler la forme énorme de Ghurk avec des lames étincelantes. L’acier enchanté mordait profondément la chair du mutant géant. Ethrac prononça une malédiction à l’encontre du Griffon qui avait arraché l’œil de son frère, et des plumes mortes tombèrent du corps de la bête lorsque celle-ci s’approcha pour une nouvelle attaque en piqué. Renonçant au dernier instant, Hurlevent retourna maladroitement au sommet du dôme du Reikstemple, où il s’écroula en vomissant de la bile sanglante. Martak entonna un contre-sort ; sa monture s’ébroua et retrouva ses forces. Le Patriarche Suprême projeta un trait d’ambre scintillant sur Ethrac, toutefois Otto s’interposa, et la lance magique se planta dans son ventre sans le moindre effet. Le champion de Nurgle haussa les épaules et arracha un morceau de chair brûlée de son abdomen avant de le mâchonner. Ethrac riposta en agitant les doigts et en prononçant une phrase dans la Langue Noire. Les lianes qui couraient sur le dôme du Reikstemple s’animèrent d’une vigueur surnaturelle, et se mirent à fouetter les pattes, les ailes et les deux têtes du Griffon. Martak cria un contre-sort destiné à dissiper la Magie néfaste d’Ethrac, mais il ne fit qu’iriser momentanément l’air autour de lui. Les pouvoirs du Patriarche Suprême n’étaient pas en mesure de s’opposer à ceux d’Ethrac, car ce dernier puisait dans l’exubérance et la vigueur sans fin du Jardin Putride. Des dizaines de plaies s’ouvrirent sur le corps de Martak sous l’effet du retour d’énergie magique, si bien que le Patriarche comprit que son combat était futile. Finalement, les lianes enserrèrent les membres du Griffon et tirèrent dans des directions opposées. Le noble monstre fut écartelé, et ses os se désolidarisèrent en produisant des craquements écœurants. Hurlevent piaula de douleur, et Martak bondit de sa monture à l’agonie. Ethrac sourit cruellement tandis que la bête explosait dans une pluie de viscères. Les lianes démoniaques frétillèrent joyeusement pendant que le Magister d’Ambre s’esquivait à l’intérieur du palais. Derrière Ethrac, Ghurk était aux prises avec Griffe Mortelle. Le monstre le lacérait, et Karl Franz se pencha en brandissant son épée. Otto hurla de rage lorsque l’arme forgée par les Nains s’enfonça dans le torse de Ghurk. Les vociférations d’Otto se muèrent en cris de joie lorsqu’il vit que l’attaque de Karl Franz n’avait fait qu’énerver son frère. Le mutant rugit et saisit Griffe Mortelle avant de le projeter contre la fontaine qui coulait au milieu du jardin. L’Empereur mit pied à terre. Ghurk renversa les quelques Morts-Vivants qui le gênaient et chargea Karl Franz. Otto abattit sa faux à la pointe brisée, mais au tranchant redoutable. Le bras de l’Empereur qui maniait le Croc Runique fut sectionné, et tomba au sol dans une flaque de sang. À l’intérieur du palais, Gregor Martak marchait au milieu des couloirs envahis de lianes. Il laissait derrière lui des empreintes de pas ensanglantées. Le duel magique contre Ethrac lui avait coûté cher. Des bêlements et des appels étrangement humains résonnaient entre les colonnades, car l’Annonciateur et sa harde bestiale avaient aperçu Martak qui s’enfuyait, et avait déduit que le Magister grièvement blessé serait une proie facile. Martak toussa du sang. Il était épuisé, et réalisa avec horreur qu’il n’avait plus la force de canaliser les Vents de Magie. Tous les muscles de son corps le faisaient souffrir le martyre, mais il continua d’avancer à travers les galeries du palais. Il se souvint du sort du changeforme, et tenta en vain d’adopter l’apparence d’un Dragon. De telles prouesses magiques étaient désormais hors de sa portée. Conjurer la lance d’ambre en dépit de la tempête surnaturelle qui faisait rage avait été une épreuve terrible, et à présent, le plus petit rituel risquait d’avoir des conséquences mortelles. Martak savait qu’il lui suffirait d’un bon steak saignant et d’une nuit de sommeil pour recouvrer toutes ses forces, cependant, s’il n’était pas assez rapide, ce serait lui qui serait au menu des Hommes-Bêtes dès la nuit suivante. Le Patriarche Suprême tourna à gauche, puis à droite, puis encore à gauche, espérant ainsi semer ses poursuivants. Malheureusement, les Hommes-Bêtes étaient des créatures habituées à suivre la piste d’une proie blessée. Martak n’avait aucune chance de leur échapper. Soudain, un vol de corneilles passa près de lui en lui griffant le visage. Il se protégea les yeux avec un bras et agita l’autre pour les chasser, et faillit tomber à la renverse en dévalant un escalier qui menait vers un niveau inférieur. Ses traces de pas ensanglantées trahissaient toujours sa piste. Il s’adossa au mur pour reprendre son souffle. Au-dessus du linteau se trouvait un panneau en ivoire sur lequel était gravé: MÉNAGERIE IMPÉRIALE. Entre-temps, à l’extérieur du palais, Ghurk enroulait son tentacule autour du cou de Griffe Mortelle tandis qu’Otto sautait de son dos pour s’approcher de l’Empereur. Karl Franz était parvenu à rester debout, les traits figés en une expression de défi. L’Empereur du Sud avait ramassé le Croc Runique et le tenait dans la main gauche. Son bras droit gisait au sol dans une mare de sang. Il était pâle, mais déterminé à mourir dignement. Otto était sur le point de cracher copieusement sur son adversaire lorsque le bruit du galop d’un cheval l’arrêta net. Instinctivement, le champion de Nurgle sauta sur le côté, et bien lui en prit, car il faillit être décapité par l’épée d’un guerrier aux cheveux blancs qui le dépassa en trombe. Le cavalier fit prestement volter son destrier autour de la fontaine, puis s’approcha lentement de son maître. L’épée qu’il tenait était presque identique à celle que Karl Franz serrait faiblement.
On entendit la pierre se fendre quand le mutant géant projeta violemment Griffe Mortelle contre la fontaine. Au même moment, les trois guerriers se lancèrent à l’attaque. La faux d’Otto fila vers le torse de Karl Franz. Le Croc Runique de l’Empereur tenta maladroitement de parer l’attaque, toutefois il était trop lent. Ce fut Helborg qui bloqua le coup. Son Croc Runique agrippa la faux par la hampe, et il l’arracha des mains d’Otto d’une vive torsion du poignet. L’arme vola dans les airs et retomba de l’autre côté de la cour. Otto grogna de colère et saisit l’épée qui pendait à sa ceinture, tout en gratifiant Helborg d’un coup de poing monumental qui l’envoya au tapis. Le Reiksmarshall avait gagné de précieuses secondes, que l’Empereur mit à profit pour enfoncer son Croc Runique dans le torse d’Otto. Malgré tout, la lame manqua d’un cheveu le cœur du champion de Nurgle. Otto pivota brusquement sur lui-même et arracha le Croc Runique de la main de son adversaire. Il porta un coup avec sa propre lame vers la gorge de l’Empereur. L’attaque fut interceptée par Helborg, qui agrippa le bras d’Otto et sa lame à mains nues. Le sang coulait entre ses doigts, là où il serrait le fil de l’arme. L’Empereur chancela, mais il avait échappé à la mort. Otto tira violemment son épée pour la dégager, tranchant ce faisant trois doigts au Reiksmarshall. Sans attendre, le champion de Nurgle frappa de nouveau. La pointe de l’épée s’enfonça dans l’œil d’Helborg avec une telle force qu’elle ressortit de l’autre côté de son crâne. Helborg murmura une ultime fois le nom de Sigmar afin qu’il le pardonne pour ses torts, puis il s’écroula au sol. Riant aux éclats, Otto se tourna de nouveau vers l’Empereur désarmé. Il extirpa le Croc Runique de son torse et le lança en l’air avant de le rattraper avec dextérité. Griffe Mortelle était inconscient, affalé contre la fontaine, si bien que Ghurk tourna son gros visage à l’orbite sanglante vers Karl Franz. Ethrac observait la scène en ricanant d’un air sardonique. Otto brandit le Croc Runique et l’abattit dans un rugissement triomphal. Un coup de tonnerre roula au moment où Karl Franz levait le bras pour se protéger du coup. La lame le sectionna et termina sa course dans le cœur de l’Empereur. Le monde sembla s’arrêter pendant une fraction de seconde. Le palais était illuminé par les éclairs de la tempête. Karl Franz glissa sur les dalles du sol. Otto Glott le surplombait de toute sa hauteur. Dans son dernier souffle, l’Empereur prononça le nom de son Dieu guerrier. Et le monde fut changé à jamais. Au-dessus des frères Glott, les cieux s’ouvrirent et révélèrent un royaume céleste. La comète à deux queues s’abattit par cette trouée dans un bruit dantesque, et tomba où l’Empereur avait rendu son dernier soupir. Les frères Glott furent projetés dans les airs. La foudre zébra les cieux, et forma une nova incandescente qui balaya la ville, détruisant la végétation du Jardin Putride, et soufflant la tornade qui tourbillonnait en son cœur. Quelque chose se matérialisa au point de chute de la comète, une silhouette imposante et dorée. L’Empereur Karl Franz jaillit des flammes. Il était indemne, et tenait à la main un marteau de lumière pure. Nimbé d’un pouvoir terrible qui crépitait autour de lui, il se rua sur les triplés. Ghurk grogna et étendit son tentacule, mais l’apparition était plus rapide que la lumière. Karl Franz saisit le pseudopode de Ghurk et tira dessus pour ramener à lui le mutant géant. Le marteau doré s’abattit. Le ventre de Ghurk explosa en répandant ses entrailles dans toute la cour. Le monstre mortellement blessé s’effondra face contre terre. Otto rugit et brandit son épée en chargeant Karl Franz. Ce dernier fit volte-face, la main tendue. La foudre en jaillit et percuta le champion de Nurgle de plein fouet. La décharge d’énergie projeta Otto de l’autre côté du Grand Boulevard, contre le mur du Reikstemple. Sa colonne vertébrale se brisa dans un craquement sinistre et il ne se releva pas. Le guerrier divin s’approcha enfin d’Ethrac. Le Sorcier paniqué cherchait désespérément une échappatoire. L’Empereur brandit son marteau, mais au même instant, Ethrac finissait de prononcer les derniers mots de son sort. Les corps des triplés se transformèrent instantanément en nuages de mouches grasses qui furent aspirées dans l’éther, en ne laissant derrières elles qu’une odeur méphitique. Dans le ciel, les nuages se dissipèrent et révélèrent une aube hivernale glaciale et pure. Dans le Royaume des Rêves, des larmes striaient les joues de Shallya, la déesse de la guérison. Ses mains délicates étaient posées sur la forme corrompue et frémissante qui avait été autrefois le Seigneur de la Nature. Des fils d’énergie s’écoulèrent de ses mains et, pendant quelques instants, les maladies qui affligeaient Taal disparurent. Mais le pouvoir de Nurgle était trop grand, et les chancres réapparurent bientôt. Pire encore, des taches décoloraient les bras de la déesse et des pustules se formaient sur sa peau. Elle secoua la tête d’un air désespéré. Ses longs cheveux blonds blanchissaient eux aussi, et tombaient en se dissipant dans un halo de brume. Derrière elle se trouvait la silhouette scintillante de la Dame du Lac, l’air pensif. Elle contempla un long moment le Paladin qui se trouvait à ses côtés. Inspirée par le sacrifice de son fidèle guerrier, elle s’agenouilla près de Taal et plaça les mains sur sa poitrine. Les taches sur les bras de Shallya disparurent progressivement, et ses cheveux blonds retrouvèrent tout leur lustre. Une lumière chaude irradiait sous ses mains ; elles se mêlaient aux énergies d’émeraude transmises par la Dame du Lac. La large poitrine de Taal se souleva et il ouvrit les yeux. Une autre silhouette approcha, celle d’un homme gigantesque portant une longue barbe blanche et un casque coiffé d’une peau de loup. Le Dieu observa les étoiles pendant un long moment, et finit par placer lui aussi ses mains noueuses sur le thorax de son ami. L’hiver était enfin là, et avec lui venait la possibilité d’une résurrection. Les pouvoirs géomantiques des trois divinités se mêlèrent et chassèrent la corruption du corps du Dieu de la Nature. Une couche de gel recouvrit entièrement Taal, et s’épaissit jusqu’à ce qu’il soit totalement enveloppé dans une gangue de glace. Ulric leva le poing et l’abattit, brisant le cocon translucide en milliers de fragments. Le Dieu de la Nature se leva lentement, de nouveau lui-même, et aussi majestueux que le soleil d’hiver. Dans le royaume des mortels, de grands changements se produisaient. Alors que l’astre d’une aube nouvelle pointait à l’horizon, la tempête surnaturelle qui avait fait rage au-dessus d’Altdorf disparut complètement. Les osts démoniaques se dissipèrent avec elle, car ils ne bénéficiaient plus de son énergie impie pour les maintenir dans le monde réel. Le dernier coup de tonnerre de Geheimnisnacht s’apparentait plus à un grondement de colère qu’à un rire maléfique et tonitruant. Gutrot Spume fut le premier à comprendre que l’heure de la conquête avait passé, et il ordonna à ses forces de se retirer dans la forêt. Orghotts Daemonspew et ses Chevaucheurs de Maggoth ne tardèrent pas à le suivre. Privés de leurs chefs et des osts démoniaques pour les soutenir, les armées de Nordiques qui encerclaient Altdorf furent mises en déroute les unes après les autres par les contre-attaques disciplinées des hommes du Vieux Monde. Dès la mi-journée du lendemain, les armées de Gutrot Spume, d’Orghotts Daemonspew et des frères Glott avaient été dispersées, et la ville avait été réinvestie par ses habitants, timidement au début, puis avec une vigueur née de l’espoir. Partout dans l’Empire, un feu blanc brûlait sur chaque fleuve et chaque rivière. Les vagues de Magie balayèrent la corruption de Nurgle et les eaux redevinrent cristallines. Les gens des provinces se rendirent compte du miracle qui se produisait, car toutes les maladies et les afflictions qui les tourmentaient disparurent purement et simplement, aussi bien dans les villes que dans les hameaux les plus reculés. Même si une grande partie de l’Empire avait été dévastée, les premières pluies de l’hiver lavèrent les paysages autrefois souillés. Avant la fin du mois, les enfants jouaient de nouveau sur les berges des cours d’eau. Leurs parents regardaient nerveusement à bonne distance, puis finalement, ils firent fi de leurs craintes et rejoignirent leur progéniture pour boire les eaux froides mais de nouveau pures. Au plus profond du Jardin Putride, les poutres pourries du Manoir de Nurgle grinçaient et vibraient au rythme de la fureur de son propriétaire. Aucune créature n’osait sortir de son trou, car toutes craignaient sa colère lorsqu’il subissait une défaite. Dans le laboratoire du Manoir, trois nouvelles amphores en céramique étaient posées sur l’établi poussiéreux. Un léger bourdonnement provenait de l’intérieur des réceptacles. Deux avaient plus ou moins la taille d’un homme, mais le troisième était une urne ronde et massive qui aurait pu contenir une créature de la taille d’une maison. Karl Franz avait retrouvé son trône dans le Palais d’Altdorf. Les énergies qui l’avaient ressuscité brûlaient encore en lui, et son esprit était cent fois plus puissant qu’auparavant. La salle du trône brillait de couleurs monochromes sous l’effet de la spirale de pouvoir gigantesque qui s’étirait du point d’impact de la comète vers le ciel. Altdorf avait été libérée de la malédiction grâce à la force de la comète à deux queues, toutefois cette force continuait de faire rage, et canalisait les énergies des étoiles vers le monde des mortels. En dépit de la victoire remportée contre les forces du Chaos, l’Empereur ne souriait pas. Les officiels et les Comtes Électeurs présents dans la salle du trône avaient un air grave. L’heure n’était pas aux célébrations. Près de la moitié de la population de l’Empire était morte au cours des derniers mois, et la Bretonnie avait épuisé la quasi-totalité de ses armées pour défendre son allié. Pire encore étaient les nouvelles apportées ce jour-là par les hérauts du Nordland. Une armada de vaisseaux loups avait été aperçue dans la Mer des Griffes, plus grande encore que la précédente. Les navires portaient le symbole du Roi aux Trois Yeux. Karl Franz roula en boule le parchemin avant de le jeter rageusement par terre. Archaon arrivait.
Source[modifier]
|