La Fin des Temps - Archaon
Sommaire
Chapitre I : HONNEUR ET MORT - Printemps 2528[modifier]
Averheim se tenait seule. De tout le puissant Empire, il ne restait plus que cette cité. Certes, quelques villages isolés n’avaient pas encore été ravagés par la marée du Chaos ou les déprédations des Skavens, mais ils étaient dispersés et leurs habitants rarement capables de se défendre eux-mêmes. Parmi les vestiges d’une nation dévastée par la guerre, seule Averheim se tenait invaincue.Une forteresse plus faible serait tombée bien plus tôt. Elles furent nombreuses à connaître ce sort, mais Averheim était une cité forgée par la guerre. Son établissement datait d’avant l’époque de Sigmar. Elle avait résisté à l’épreuve des siècles avec honneur, et portait ses cicatrices avec fierté. Bien qu’Averheim eût été saccagée plusieurs fois, par les Orques, et les Morts-Vivants notamment, l’Averburg en son cœur n’était jamais tombé. Même Gorbad Griff'Eud'Fer n’avait pas réussi, et le pilier des crânes érigé en témoignage de cet échec se dressait toujours au centre de Plenzerplatz. En outre, à chaque défaite, les Ingénieurs d’Averheim reconstruisaient des murs plus hauts et plus épais. Avant la chute d’Altdorf, la cité avait été aussi impénétrable que ce que les artifices des héritiers de Sigmar avaient pu le faire. À présent, c’était un obstacle bien plus redoutable, car il tenait autant de l’ouvrage des Nains que de celui des hommes.
L’Averburg, la forteresse qui dominait la cité comme un contremaître sévère, était plus moderne que la cité qu’il défendait. Ses fondations, bâties par Siggurd, le premier Comte Électeur d’Averland, avaient également été agrandies et amélioré au fil des siècles. À présent, l’Averburg était une cité en lui-même, ses remparts hérissés de tours, de batteries d’artillerie, et de parapets diaboliquement conçus pour aiguiller les assaillants sous une grêle de plomb et de boulets de canon.
Ces défenses avaient été éprouvées maintes fois lors des semaines précédentes. Averheim avait été assiégée depuis un peu plus de deux mois. Une marée d’hommes-rats enragés et de Nordiques aux chants guerriers avait afflué et reflué autour de ses murs, testant ses défenses à chaque opportunité, sans se préoccuper des pertes subies. Une fois, les murs avaient été gainés d’une série de douves, mais plus maintenant. Les fossés étaient tellement remplis de corps pourrissants qu’il était impossible d’en distinguer les contours.
La plupart des morts picorés par les charognards étaient des Skavens. Pendant des siècles, leur existence avait été considérée comme une légende par la populace de l’Empire, mais les hommes-rats émergeaient désormais en force. Ils attaquaient presque tous les jours en une mer grouillante et pépiante qui traversait les champs de morts. Des machines de guerre branlantes crépitaient tandis que la nuée avançait, et tirait des éclairs éthériques et des projectiles pestiférés contre les murs en quête d’une faille à exploiter.
Jour après jour, ils n’en trouvèrent aucune. Les arquebuses éternuaient et les Feu d’Enfer rugissaient. La forteresse d’Averheim défiait ses tourmenteurs. Les boulets de canon creusaient des sillons sanglants dans les rangs qui avançaient, et projetaient des corps brisés dans l’air. Les tireurs d’élite impériaux visaient les armures laquées et les palanquins glauques des Seigneurs de Guerre, leurs tirs se détachant du tumulte des combats.
Environ la moitié des attaques se solda par une retraite bien avant que les Skavens n’atteignent les murs, la vantardise des assaillants balayée par l’abattage qui les accablait. À d’autres moments, des grappins de corde, de chaînes et de chair nouée permettaient à la vermine d’atteindre les remparts, et d’âpres mêlées se formaient le long des parapets de pierre pâle.
Or, les Skavens qui atteignirent les vastes positions de tir des murs de la ville n’améliorèrent guère leur situation par rapport au fait de patauger dans le bourbier en contrebas. Les hommes-rats avaient remporté beaucoup de victoires durant les mois précédents et avaient dominé ou détruit les royaumes au sud et à l’ouest de l’Empire. Même au sein de cette nation, ils avaient connu leurs lots de succès, jusqu’à arriver à Averheim, tout du moins.
La garnison d’Averheim se constituait de vétérans. La plupart avaient parcouru des centaines de lieues et livré des dizaines de batailles pour atteindre la maigre sécurité de la cité. Ils n’allaient pas céder sans combattre. Les hommes de dix provinces luttaient sur les murs, leur rivalité effacée par une lutte désespérée. Les Chasseurs du Stirland libéraient leurs traits aux côtés des fameux tireurs d’élite de Nuln, les miliciens du Talabecland et de l’Ostermark laissaient leurs différends territoriaux de côté et combattaient en frères. En outre, Averheim n’était pas défendue que par les hommes de l’Empire : de vieux ennemis et d’anciens alliés occupaient ses murs avec autant de ferveur que les héritiers de Sigmar.
Sur le mur nord, où les remparts étaient aussi larges que le fleuve Aver, les Skavens émergèrent sur ce qui semblait une portion inoccupée, jusqu’à ce que le martellement des sabots emplisse l’air et que le Duc Jerrod fasse entrer en lice les derniers Chevaliers de Bretonnie. Ces cavaliers savaient leur patrie perdue, ravagée par la peste, la trahison et les hordes, sans espoir de rémission. Néanmoins, ils combattaient comme la Dame l’avait demandé, déterminés à ce que les dernières forces de Bretonnie apportent leur contribution.
À l’est, où la nuée de Skavens était la plus dense, les bannières des Nains se dressaient sèchement aux côtés de celles des hommes. Les Nains en dirent peu sur ce qui les avait conduits jusqu’aux murs d’Averheim, mais leurs alliés comprirent que les forteresses des Montagnes du Bord du Monde avaient subi une tragédie. Tout comme les Chevaliers du Duc Jerrod, les Nains combattaient à Averheim plus par défi que pour restaurer leurs propres royaumes. La plupart avaient prêté le Serment du Tueur. Leurs crêtes teintes se voyaient même à travers la fumée des combats, et beaucoup d’eux eurent la mort glorieuse qu’ils espéraient.
Assaut après assaut, les Skavens étaient rejetés des murs, mais jamais sans coût. Par poignées ou par dizaines, les défenseurs mouraient. Qu’importe qu’il s’agît d’une paille comparée aux pertes hideuses infligée à l’ennemi, Averheim avait peu d’espoir de recevoir des renforts, et la horde assiégeante grandissait chaque jour. Pire, lorsque les Skavens se repliaient, des fois même avant, le bombardement reprenait.
Dès le début, Averheim avait été ceinte de batteries de Canons Apocalypse. Jours après jour, nuit après nuit, ils crachaient un feu maudit contre les murs de la cité, réduisant les bâtisses en gravats, les greniers en cendres, et les garnisons en viande carbonisée. Les pierres blanches se boursouflaient et noircissaient là où les projectiles impies touchaient les murs, déformant leur chair. Les canons d’Averheim répondaient aux viles machines, tirant salve après salve sur les tourmenteurs de la cité, et ouvrant des plaies suintantes dans les machines bestiales. Pourtant, peu de ces choses furent détruites. Des flammes roses brillaient dans le ciel tandis que les Sorciers Nordiques alimentaient les monstruosités en Magie. Des cris montaient tandis que des servants trapus enfournaient des colonnes d’esclaves parfois des Skavens, souvent des humains d’Averland, dans la gueule des Canons Apocalypse. Stimulés par la sorcellerie et la chair, les plaies des Démons se refermaient et rapidement, les canonniers d’Averheim eurent l’interdiction de gâcher des tirs contre eux.
Tous les quelques jours, le pilonnage des Canons Apocalypse abattait une section des murs extérieurs d’Averheim, et alors, la cité était sur le fil du rasoir. Dès que les pierres blanches s’écroulaient, les Skavens revenaient à la charge, jacassant en pensant au pillage. Pire, les Nordiques se ruaient dans le sillage des hommes-rats. Leur Maître de Guerre était un ennemi rusé. Il ne se préoccupait pas des vies Skavens, mais refusait de gaspiller ses propres forces dans un assaut voué à l’échec contre un mur intact. Toutefois, à la moindre brèche dans les pierres d’Averheim, c’était autre chose. Avant que la poussière ne soit retombée, les bandes de Guerriers du Chaos en armures sinistres étaient en route, leur chant morne résonnant contre les remparts assiégés.
Une telle attaque rasa un grand pan des murs est de la cité. Des centaines d’hommes et de Nains périrent parmi les pierres qui dégringolèrent. Des milliers de plus répandirent leur sang suite à la brèche, repoussant les Skavens et tenant les hordes du Chaos en respect. C’était la dernière bataille en date, car le Maître de Guerre du Chaos lui-même marchait en première ligne. C’était une brute dans une armure azurée, et dont le corps siamois était éclairé en permanence par une flamme vacillante. C’était Vilitch le Maudit, qui depuis le début voulait s’emparer d’Averheim.
Du feu démoniaque coulait des doigts de Vilitch comme l’eau d’une source dans les montagnes. Nul ne pouvait lui faire face, et ceux qui essayèrent finirent leurs jours en agonisant tandis que les mutations ondulaient le long de leurs corps en feu. Le dernier des Templiers de la Lumière Éternelle périt lors de cette brèche, presque quatre-vingts guerriers endurcis furent réduits en misérables pleurant des larmes de sang par la main corrompue de Vilitch. Les Nains ne firent guère mieux, et les bannières de Zhufbar furent réduites en cendres lorsque les lourdes lames de l’avant-garde de Vilitch taillèrent à travers les armures de Gromril. Tandis que les Nordiques en armure noire écrasaient les gravats jusqu’à pénétrer dans les rues d’Averheim, trois régiments de miliciens Talabheimer, qui se pensaient jusque-là être gardés en réserve, s’avancèrent en répétant le nom de Sigmar, sachant pourtant pertinemment que leurs chances de victoire étaient des plus minces.
Le désastre fut évité par l’arrivée des plus grands champions d’Averheim. L’Empereur fut annoncé par le cri strident de Griffe Mortelle. Le Griffon fondit du ciel à une vitesse terrifiante, ses serres déchiquetant le mur de boucliers des Nordiques. Des éclairs jaillissaient des doigts écartés de l’Empereur, un marteau crépitant de bleu ciel dans sa main tandis qu’il châtiait les sbires de Vilitch. L’intervention de l’Empereur apporta un répit aux Talabheimers, qui avancèrent à sa suite, ignorant le nombre grandissant de leurs morts.
Tous savaient que Karl Franz avait émergé changé des ruines d’Altdorf, même si peu connaissaient la cause de sa transformation. Les défenseurs d’Averheim ne s’en préoccupaient pas. Ils ne voyaient que le pouvoir de Sigmar reposant sur ses épaules, et avec lui, la réponse à leurs prières désespérées. Il frappait de droite et de gauche, et les plates des Nordiques cédaient sous chaque coup. La foudre crépitait à chaque frappe du marteau, chaque impact sonnant le glas d’un ennemi. Avant la chute d’Altdorf, beaucoup pensaient que Karl Franz n’était qu’un homme d’état, pas un véritable guerrier. Leur avis avait bien changé à présent.
C’était une brèche trop large pour que l’Empereur la tienne seul, mais il n’eut pas besoin de le faire. Ungrim Poing de Fer, le commandant du contingent de Nains d’Averheim, avait remarqué l’attaque et s’était déplacé pour la contrer. Les Tueurs affluaient dans les rues, leurs hymnes funèbres noyant les chants discordant des Nordiques. Puis les haches naines fendirent les Armures du Chaos, et les défenseurs commencèrent à reprendre du terrain.
Ungrim avait enduré une transformation similaire à celle qui avait balayé Karl Franz. Plusieurs mois en arrière, il avait posé les mains sur les runes gravées sur l’Autel de Grimnir, et avait accueilli l’esprit ancestral dans son âme. En même temps, sans le savoir, il avait absorbé Aqshy, le Vent du Feu, qui s’était lui-même ancré dans ces mêmes runes. Ungrim était devenu une force destructrice, son sang bouillonnant plus que jamais à l’idée de combattre. Le feu dansait sur la Hache de Dargo à chaque moulinet, et son cri de guerre était un torrent de flammes vives. Ungrim avait longtemps souhaité se libérer de son serment de roi, de sorte à embrasser la vocation du Tueur. Karak Kadrin était tombé, mais Ungrim était encore lié à son devoir. L’alliance entre l’Empire et les Nains était très ancienne, et le Roi Tueur ne pouvait pas faire passer ses propres désirs avant les besoins d’un allié. Tant qu’un coin de l’Empire résistait, Ungrim Poing de Fer avait juré de le défendre. Cet acte désintéressé comprenait une part de gloire, néanmoins la rancœur d’un destin qui lui était refusé ajoutait du poids à chacun de ses coups de hache.
Pris entre le feu et la foudre, entre l’espoir ravivé des hommes et la rage débridée des Nains, l’attaque de Vilitch s’effondra. Quelques dizaines de Nordiques poursuivaient le combat, emportés par la joie de la bataille, mais la plupart jetaient leur épée et leur bouclier pour fuir vers la sécurité menaçante des campements de siège. Vilitch courait avec eux. Son champion personnel, le porteur du glorieux étendard à l’effigie de la lune, avait été réduit à une carcasse noircie par un éclair, et Vilitch n’avait aucun désir de partager le même sort.
Alors que les Nordiques battaient en retraite, les Skavens revenaient à la charge. Le Verminarque qui les menait avait le culot de croire que les hommes-rats pouvaient triompher où les guerriers de Vilitch avaient échoué. Averheim aurait pu encore tomber à cet instant, sans le savoir combiné des Ingénieurs Nains et des Sorciers du Collège Lumineux. Lorsque les Skavens s’approchèrent, les Sorciers lièrent le vent de Hysh à leur service. Guidés par la vue perçante des Nains, les magiciens levèrent les pierres du mur est écroulé, et les imbriquèrent à nouveau en un terrible rempart. Même si le nouveau mur n’était pas aussi solide ni aussi diaboliquement conçu que l’ancien, il empêcha la ruée des Skavens, mais pas avant que la Hache de Dargo n’ait tranché la moelle épinière du monstrueux Verminarque.
Ainsi s’acheva une des fables de la résistance d’Averheim en dépit des circonstances. Mais il y en aurait bien d’autres avant la fin du siège, chacune écrite dans le sang des défenseurs.
C’est lors de la bataille du mur que Vilitch vit pour la première fois l’Empereur depuis sa renaissance. Pendant les semaines qui suivirent, le Maître de Guerre prit soin de ne jamais se risquer lui-même comme il l’avait fait ce jour-là. Tout puissant qu’il était, Vilitch reconnaissait la supériorité des pouvoirs de l’Empereur et d’Ungrim sur les siens, et ne comptait pas perdre la vie en les affrontant directement, pas tant qu’il disposait des vies de ses serviteurs sans valeur.
Des Démons furent invoqués par des sacrifices et envoyés contre les murs, mais les Prêtres-Guerriers s’avancèrent pour les bannir. Le Changelin, qui il n’y avait pas si longtemps, avait presque ravi la vie de Karl Franz, fut tiré de la Forge des Âmes par la Magie de Vilitch, et reçut l’ordre d’infiltrer la cité afin d’achever sa tâche. Toutefois, l’Empereur possédait une vue et une sagesse bien supérieure à ce qu’elle avait été. Les capacités mimétiques du Changelin ne pouvaient plus désormais dissimuler ses buts, et le Démon fut réduit en pulpe par le marteau de l’Empereur quelques instants à peine après qu’il eut posé les yeux sur lui.
Jour après jour, semaine après semaine, le statu quo se maintenait. Tous les matins, l’Empereur et Griffe Mortelle volaient autour d’Averheim, espérant découvrir des alliés pour briser le siège, mais aucun ne se présentait. Nul autre n’aurait pu braver le ciel, car des vols de Gargouilles sillonnaient les thermes en quête de proies. Ces créatures lâches auraient déchiqueté tout autre adversaire, mais elles n’osaient défier la foudre vivante, et ne s’en prenaient pas à l’Empereur et sa monture.
Dans la cité, les rations furent divisées à plusieurs reprises pour faire durer les stocks de vivres. La faim devint une compagne permanente, même si les Nains ne semblaient jamais désireux de boire une bière, une vingtaine de Middenlanders, rendus fous par les privations, se mirent à dévorer les corps de leurs camarades tombés. L’Empereur ordonna que les malheureux soient exécutés lorsqu’il apprit la nouvelle, car il savait qu’aucune trace de corruption mentale ou physique ne devait être tolérée s’il voulait que la cité tienne.
Les munitions manquaient rarement. Tout dérangé que Marius Leitdorf ait pu être, il avait appris à placer sa foi dans la poudre noire ; l’Averburg n’était qu’un vaste entrepôt de boulets et de balles. En effet, le Comte avait souvent déclaré que les réserves de l’Averburg permettraient de tenir jusqu’à la fin du monde. Cette bravade était sur toutes les lèvres au début du siège, même si peu la répétaient à présent que la fin du monde semblait bien plus proche qu’elle ne l’avait jamais été. Néanmoins, chaque attaque ennemie était accueillie par une grêle de tirs qui creusait à peine les réserves apparemment sans fond. Les Nains maugréaient sur la qualité inférieure de la poudre noire des hommes, et le piètre calibre de leurs boulets de canon, mais ils les employaient de toute manière avec l’efficacité réputée de leur peuple.
De façon incroyable, le moral dans l’enceinte des murs restait fort. Les hommes de l’Empire avaient foi en Karl Franz, l’authentique héritier de Sigmar, qui combattait à leurs côtés. Il ne pouvait s’agir que d’une question de temps, disaient-ils, avant qu’il ne les conduise à la victoire et la vengeance. Pour leur part, les Nains se battaient avec stoïcisme, chacun prêt à narrer une péripétie exposant les pires privations si l’un d’eux se plaignait de son sort. Le Duc Jerrod et ses Chevaliers se recueillaient entre chaque bataille, passant l’accalmie à prier avec ferveur. Quelques soldats impériaux se moquaient parfois de cette conduite étrange, mais plus jamais après avoir observé les Bretonniens au combat. Ils étaient complètement différents des Flagellants de l’Empire, qui surclassaient leurs ennemis par leur zèle effréné. Les Chevaliers se concentraient davantage, créant un îlot de silence dans le tumulte des combats, sans alléger la moisson de créatures impies qu’ils fauchaient en l’honneur de leur Dame.
Puis, lors d’un froid matin printanier, tout changea. Tandis qu’il effectuait son vol dans le ciel infesté de Gargouilles, Karl Franz vit les éclaireurs d’une vaste armée se faufiler le long de l’ancienne route naine. Pendant un moment, il se réjouit de la possibilité qu’il s’agît d’alliés, venu secourir Averheim, mais rien ne put dissimuler la véritable nature de l’armée lorsqu’il s’approcha. Des Démons s’agitaient dans ses rangs, des tambours battaient au rythme des chants guerriers portés par la brise, et sur chaque bannière et chaque bouclier figurait l’étoile à huit branches du Chaos. L’Empereur vola au nord, poussant Griffe Mortelle à s’élever pour ne pas signaler sa présence. L’armée en approche s’étirait sur des milles le long de la route. C’était une nation en marche, telle une lance pointée vers Averheim. Au centre de la horde, une colonne de chevaliers avançait sous une bannière criarde, un guerrier au casque doré à sa tête. L’Empereur comprit qu’il ne s’agissait pas d’un simple chef, mais de l’auto-proclamé Seigneur de la Fin des Temps, dont les rumeurs avaient si souvent parlé.
Ainsi, à son retour à Averheim, Karl Franz convoqua un conseil de guerre, et dévoila un plan désespéré. La horde d’Archaon atteindrait les murs avant la fin de la semaine, et balayerait les défenses d’Averheim. Toutefois, confia l’Empereur à ses alliés, il n’avait pas vu de Canons Apocalypse au sein de la horde. Si les défenseurs faisaient une sortie pour détruire les engins de siège qui ceignaient encore la cité, il restait une chance que ses murs tiennent.
Les Ruines de Bolgen[modifier]
L’Armée de Sigmar[modifier]
Rien ne saurait plus unir l’Empire que le nom de Sigmar. Après la chute d’Altdorf, l’Empereur fit savoir que chaque bataille serait dorénavant livrée sous le regard sévère de Sigmar. Il ne s’agissait plus d’une guerre pour survivre, disputée entre mortels, mais d’un conflit où s’affrontaient les dieux eux-mêmes.
L’Empereur
Karl Franz avait toujours été source d’inspiration pour ses troupes, mais jamais autant après sa mort supposée à Altdorf. En effet, de nombreux soldats avaient remarqué combien leur Empereur était plus fort et plus robuste qu’il ne l’avait jamais été, un guerrier capable de balayer la dévastation apportée par le Chaos. De nombreuses fables disaient qu’un champion de la Lumière émergeait chaque fois que les hordes se déversaient du Nord, et beaucoup croyaient qu’il s’agissait de Karl Franz. Nul ne savait que la nouvelle force de l’Empereur provenait du vent d’Azyr, libéré après la destruction du Grand Vortex. Ils ne voyaient qu’un héritier de Sigmar, maniant le pouvoir céleste du Heldenhammer.
Ludwig Schwarzhelm
Schwarzhelm était un vieil homme lorsqu’Averheim fut assiégée, et il paraissait encore plus vieux. L’Empire qu’il avait connu et aimé depuis plus de soixante ans était presque détruit, et ses alliés et rivaux au sein de la cour nourrissaient les vers. Mais le vieux briscard avait encore de la force, et il était déterminé à mener sa dernière campagne jusqu’au bout. Schwarzhelm avait prêté serment il y a longtemps de protéger l’Empereur, un devoir auquel il considérait avoir échoué à Heffengen, et plus récemment à Altdorf. Tandis que la sortie vers Bolgen débutait, Schwarzhelm était déterminé à ne plus faillir : il allait combattre aux côtés de l’Empereur jusqu’à ce que la mort vienne le prendre.
Capitaine Matthias Corber
Avant que Kislev ne soit envahie par les Nordiques, Matthias Corber n’était guère plus qu’un brigand arpentant la route reliant Erengrad à Salkalten. Des temps désespérés forment toutefois d’étranges tandems, et la guerre conduisit Corber à rejoindre les rangs des éclaireurs de Valmir von Rauken, ce qui le mena à Averheim, au service de Karl Franz. Corber ne dit jamais ce qui le fit changer d’allégeance. Toutefois, les survivants de sa bande de voleurs, qui chevauchent à ses côtés, pensent que le cataclysme a éveillé la nature noble de leur chef. Certains respectent son choix, la plupart s’en moquent, tant que l’argent et la bière coulent à flots.
Les Joueurs d’Épée de Carroburg
Régiment de renom, les Joueurs d'Épée de Carroburg prouvèrent leur réputation maintes fois après la chute d’Altdorf. Lorsque Carroburg elle-même fut assiégée, ils se taillèrent un passage à travers les hardes d’Hommes-Bêtes qui l’encerclaient. Durant les semaines qui suivirent, ils dirigèrent la garnison de la cité lors d’une marche longue et dangereuse à travers les provinces infestées de Skavens du Reikland et du Talabecland, jusqu’à enfin arriver à Averheim quelques jours avant le début du siège. Il ne reste que la moitié de ceux qui quittèrent Carroburg, mais leur détermination est aussi solide que les lames dont ils tirent leur nom. La légende de Carroburg est loin d’être enterrée.
Les Chevaliers du Griffon
Les Chevaliers du Griffon furent fondés après la précédente Grande Guerre Contre le Chaos, un fait qui pèse sur chaque frère chevauchant à la bataille aux côtés de l’Empereur. Chargé de la défense des temples de Sigmar dans la capitale, ils ont failli à leur tâche. À présent, les Chevaliers cherchent à venger leur honneur en se montrant l’égal de la Reiksguard. Ce défi informel ne passa pas inaperçu auprès des Chevaliers de la Reiksguard, qui n’y voient qu’une extension de la longue rivalité existant entre les deux ordres.
La Légion du Griffon
Aux côtés des armées d’Altdorf et du Reikland, qui lui sont directement fidèles, l’Empereur dispose d’une garde personnelle de milliers de soldats, entretenue grâce sa fortune non négligeable. Bien qu’elle soit considérée par les militaires d’Altorf comme une bande de mercenaires à la solde dorée, la Légion du Griffon constitue un corps d’élite comme tous ceux des états impériaux. Malgré la destruction de la majorité de ses effectifs pendant la chute d’Altdorf, plusieurs régiments de Joueurs d'Épée de la Légion du Griffon sont parvenus à s’échapper au sud avec l’Empereur, afin de poursuivre le combat sur les murs d’Averheim.
L’Armée de Sigmar | ||
Karl Franz Ascendant Ludwig Schwarzhelm Egrig Schuler, Erich Falstrom, Astromancien Matthias Corber Heinroth Grimm Marek Zimm |
La Reiksguard Les Chevaliers du Griffon Les Joueurs d’Épée de Carroburg Les Gardes-frontières de Corber La Légion du Griffon Les Buffles de Salkalten |
La Légion de Flammes[modifier]
Vilitch le Maudit avait grandi en pouvoir et en influence pendant plusieurs décennies. Lorsqu’il assiégea la cité d’Averheim, le Sinistre Siamois dirigeait une horde presque aussi vaste que celle qui avait saccagé Altdorf. La prudence avait jusque-là retenu Vilitch d’atteindre son but, mais l’arrivée imminente d’Archaon força la main du Maudit.
Vilitch le Maudit
Le Sorcier appelé le Sinistre Siamois était en réalité deux frères fusionnés en une seule entité. Thomin était brutal et tout en muscles, mais décérébré depuis la transformation ; Vilitch détenait toute l’intelligence que les frères possédaient autrefois, ainsi qu’un contrôle total sur leur forme conjointe. Persuadé de sa supériorité sur les autres Nordiques, Vilitch avait par deux fois défié Archaon, et l’avait payé cher. Lorsque la Fin des Temps menaça, Vilitch mena sa horde d’Ardents au sud, mais subit un revers sous la forme d’un tir de long fusil du Hochland. Heureusement pour le Sorcier, la balle traversa le crâne vide de Thomin, ce qui l’affligea au pire d’une gêne légère.
Les Princes Azurés
La plupart des Sorciers redoutent de former des apprentis à leurs arts sombres, de peur que la trahison de leurs élèves n’abrège leur vie de façon spectaculaire. Tel n’était pas le cas de Vilitch, qui considérait qu’une vaste coterie de Sorciers accroîtrait sa valeur aux yeux de Tzeentch. Peut-être était-ce vrai, car les serviteurs du Grand Sorcier envoyèrent de fréquents avertissements à Vilitch pour qu’il ne soit jamais pris par surprise. Bien que chaque Prince Azuré ne sût qu’une fraction des connaissances de leur maître, ensemble, leur pouvoir rivalisait avec l’un des anciens Collèges de Magie. Ou plutôt, il en aurait été ainsi si Vilitch n’avait pas gaspillé leurs vies pendant les mois de siège. À Bolgen, il ne restait plus que six Princes Azurés.
Les Ardents
Vilitch n’était pas du genre à inspirer la loyauté de ses serviteurs, mais il ne se préoccupait pas non plus d’acquérir cette précieuse commodité. La plupart des bandes guerrières marchant sous sa bannière étaient ainsi contraintes à lui obéir par la Magie, et ne pouvaient agir sans sa permission. Nulle n’était plus étroitement liée que les Ardents, qui avaient été une des premières conquêtes du Maudit. Des années d’emprise avaient laissé les Ardents incapables d’entreprendre quelque action par eux-mêmes, même si Vilitch le souhaitait. Néanmoins, leurs talents restaient affûtés, si bien que leur lourdeur d’esprit ne préoccupait pas le Sinistre Siamois.
La Horde des Corvidés
Tribu des Kurgans, les Corvidés avaient suivi Vilitch à la guerre sous les auspices d’un chef ensorcelé, Eirak Redmane. À la mort de ce dernier lors d’une escarmouche à travers Helreach, la direction de Vilitch rapporta tant de butin aux Corvidés que leur partenariat se poursuivit. Toutefois, il n’était pas passé inaperçu auprès des chefs des Corvidés que la horde de Vilitch était en train de s’épuiser contre les murs épais d’Averheim. Au moment où l’Empereur fit sa sortie, les rumeurs de soulèvement allaient bon train autour des feux de camp de la horde des Corvidés.
Fils du Sombre Orage
Archaon était beaucoup de choses, mais certainement pas un idiot. Il savait que Vilitch tenterait de s’emparer de son statut d’Élu des Dieux, et que la meilleure façon de parer à toute tentative était de garder un œil dans le campement du Maudit. Les Fils du Sombre Orage étaient les derniers d’une longue lignée d’espions de ce genre. Ces brutes en armure reçurent l’ordre d’obéir à Vilitch jusqu’à l’arrivée d’Archaon, et faisaient partie des tueurs les plus efficaces de la horde du Maudit. Lorsque le mur est d’Averheim tomba, ce furent les Fils du Sombre Orage qui combattirent dans la brèche aux côtés de Vilitch. Ils le firent à nouveau à Bolgen, dissimulant toujours leur véritable loyauté.
Broyeur
La Carnabrute baptisée Broyeur fut liée à la volonté d’Adroch, un des Princes Azuré survivants. Adroch avait secrètement entraîné la bête à résister à toute sorte de sorcellerie, dans l’intention d’utiliser Broyeur pour usurper Vilitch et prendre le commandement des forces du siège. Toutefois, Adroch ignorait que Vilitch avait implanté des sorts de commandement plus profondément encore dans l’esprit de la bête. Au premier signe de rébellion, Broyeur pulvériserait Adroch, et tous ceux qui se tiendraient à ses côtés.
La Légion de Flammes | ||
Vilitch le Maudit Adroch, Premier des Azurés Veredon, Second des Azurés Borath, Troisième des Azurés Gast, Narak et Tievoth, Les Ardents La Horde des Corvidés Fils du Sombre Orage |
Les Chevaliers à Lames Maudites Les Glorieux Abatteurs Les Griffes Tranchées La Tribu des Crânes Les Serres du Chaos Les Mal Récompensés Broyeur Le Rugissement Infernal |
La plus grande concentration de Canons Apocalypse se trouvait sur la berge éloignée de l’Aver, parmi les collines en ruine de Bolgen. Une douzaine de batteries de machines démons étaient dissimulées dans les vestiges de ce qui avait été un village prospère d’Averland. Les habitants de Bolgen étaient morts depuis longtemps. Leurs os étaient étalés autour du camp des assiégeants, ou pendaient en guise de trophées aux tentes et aux totems impies plantés à l’entrée du village. Même en cette heure, l’air était animé de chants gutturaux. Toutes les quelques secondes, le hurlement arythmique des Canons Apocalypse fendait l’air, parfois suivi de cris de détresse lorsqu’une des machines brisait ses chaînes et se repaissait de ses servants.
Quelques heures après minuit, tous les chiens des ruines de Bolgen s’assirent et hurlèrent. Autour de leurs feux de camp, les sentinelles nordiques vêtues de fourrures se levèrent en sursaut, jurant tout en scrutant la nuit, se demandant quelle odeur avait fait réagir les bêtes. Beaucoup fixaient le fleuve Aver et les champs de mort au pied des murs d’Averheim, se méfiant d’une sortie des défenseurs. Ils virent que les portes de la cité étaient closes, que les feux de garde brûlaient sur les remparts, et battirent les chiens pour qu’ils se taisent. Ou plutôt ils essayèrent. Les bêtes ne cessaient d’aboyer avec plus d’ardeur et de détresse à chaque minute qui passait.
Au centre du village désolé, au cœur des ruines du temple sigmarite, Vilitch le Maudit sifflait des ordres à sa cabale de sorciers. La moitié était envoyée apaiser le vacarme soudain par n’importe quel moyen; le reste poursuivait le rituel autour du cercle aux huit pointes. Grâce à ses dons divinatoires, Vilitch avait eu vent de l’approche d’Archaon plusieurs jours plus tôt, et s’était juré de prendre Averheim avant l’arrive de l’Élu des Dieux. Tous deux étaient rivaux depuis longtemps, et cette rivalité avait conduit Vilitch à une invocation plus importante que toutes celle qu’il avait effectuées jusque-là. Il voulait disposer d’assez de Démons pour prendre la cité, mais également pour défier Archaon, du moins, si le hurlement des chiens ne perturbait pas le rituel de Vilitch au point qu’il se retrouve entraîné dans le Royaume du Chaos.
Or, la clameur des chiens ne faisait que monter. À présent, certains Nordiques, les moins imbibés d’hydromel et de bière, ressentaient l’inconfort des bêtes. L’air avait une saveur aigre-douce, comme le calme avant la tempête. Le vent, jusque-là une brise du Nord, commença à tourbillonner et hurler à travers les pierres calcinées de Bolgen. Des étincelles se mirent à danser sur les armes, crépitant d’une pointe d’épée à une autre.
Soudain, il y eut un éclair aveuglant doublé d’un rugissement colossal. Les totems des assiégeants explosèrent, criblant les hommes alentour de fragments d’os, d’armes et d’autres trophées macabres. Lorsque la lumière diminua, un portail miroitant de lumière azurée se dressait parmi les ruines, des contours grésillants et indistincts. Les Nordiques restèrent interdits un moment, puis un cri d’alarme traversa le camp tandis qu’un chef en armure de plates tentait de rallier ses hommes.Cette action intervint trop tard. Dans un cri perçant, une ombre surgit des profondeurs bleutées. D’un battement d’ailes, la créature se rua sur le chef nordique, le plaquant au sol. Le guerrier tenta de s’en prendre à son assaillant, mais Griffe Mortelle plongea son bec acéré, perforant le plastron de métal et éviscérant la brute avant que sa hache ne pût l’atteindre.
Tandis que leur chef rendait son dernier soupir, les Nordiques reprenaient courage. Ils se massèrent autour du Griffon en brandissant fléaux et haches, et poussaient de viles injures pour oublier leur peur. Griffe Mortelle étendit ses ailes, renversant les attaquants les plus proches, qui furent brisés par une force suffisante pour permettre au Griffon de prendre son envol.
D’autres nordiques affluaient vers la place, nombre d’entre eux engoncés dans les plates austères de champions. À nouveau, Griffe Mortelle surgit, et projeta cette fois une demi-douzaine de Nordiques à terre. Des chevaux hennissaient tandis que des chevaliers se ruaient sur la place, leurs lances abaissées vers les flancs soyeux du Griffon. Or, Griffe Mortelle ne combattait pas seul. Il y eut une soudaine lueur sur les épaules du monstre lorsque l’Empereur projeta de la foudre sur les cavaliers menaçants. La chair grésilla et les plaques d’armure se soudèrent. Les destriers hurlèrent et convulsèrent, désarçonnant leurs cavaliers avant que leurs cœurs ne cèdent sous la pression. La charge se mua en tumulte, son élan perdu, plusieurs mètres avant d’atteindre les intrus. Griffe Mortelle était déjà en mouvement. Avant que les chevaliers survivants n’aient recouvré leur discipline, le marteau de l’Empereur luisait dans la confusion. Les armures étaient embouties et le sang giclait à chaque frappe, jusqu’à ce que la menace des Chevaliers du Chaos soit écrasée. Toutefois, les Nordiques arrivaient, se pressant pour piéger le Griffon et son maître dans une prison de chair et d’acier.
Plusieurs secondes s’étaient écoulées, mais la fureur de l’attaque de l’Empereur avait été telle que tous les yeux étaient rivés sur son carnage, et toutes les armes brandies contre lui. Le portail, scintillant au cœur de la place du village, n’était surveillé que par les regards agités des mourants. C’était une grave erreur. Dans un son de trompettes, les forces d’incursion de l’Empereur chargèrent dans les ruines de Bolgen, leurs guerriers avides de récompenser leurs tourmenteurs pour l’horreur des mois passés.
Depuis l’instant où il avait dressé ses plans, l’Empereur avait su qu’une sortie conventionnelle aurait été impossible. Le camp des assiégeants était trop loin des murs d’Averheim, et l’Aver trop large pour qu’une telle percée soit envisageable. Cependant, au fil des semaines, son emprise sur la Magie des Cieux avait grandi au point qu’il s’était senti capable d’en appeler plus qu’à la foudre. Le pont de tempête avait sapé une partie de la force de l’Empereur, mais avait par ailleurs merveilleusement servi sa cause. Une armée de soldats triés sur le volet se trouvait à présent au beau milieu du camp des assiégeants nordiques, et le resterait tant que le pont pouvait être maintenu.
L’Empereur avait choisi ses troupes les plus disciplinées pour cette action. Les zélés, les hésitants et les téméraires étaient restés derrières les murs d’Averheim, sous la direction d’Ungrim Poing de Fer, au cas où une autre attaque ne menace pendant la sortie. Non, ceux qui avaient suivi l’Empereur étaient l’élite des fils de Sigmar : les Joueurs d’Épées de Carroburg, les Templiers de la Reiksguard et des Chevaliers du Griffon, des vétérans endurcis par les batailles de la frontière entre l’Ostland et Kislev, et les derniers régiments de la Légion du Griffon, la garde personnelle de l’Empereur.
Chaque formation de la sortie était menée par un capitaine connaissant ses ordres et son affaire. Lorsque les chevaliers et les éclaireurs émergèrent du pont de tempête, ils éperonnèrent leurs montures et galopèrent droit vers une des batteries de Canons Apocalypse qui luisaient aux abords du village. Les Nordiques, se rendant enfin compte qu’un autre danger perçait en leur centre, s’écartèrent de l’Empereur et formèrent leurs rangs en hâte pour contrer le nouvel assaut. En vain. Les lances s’abaissèrent, les pistolets crachèrent la poudre et les cavaliers traversèrent la maigre ligne pour se diriger vers leurs cibles.
L’infanterie impériale, incapable se suivre le rythme des chevaliers, prit position autour du pont de tempête. La détermination des soldats était renforcée par la certitude que tous périraient si leur voie de repli était coupée. Toutefois, leur véritable but était de faire diversion, de représenter un ennemi si tentant qu’aucun guerrier au sang chaud ne pourrait résister à son appât. Les lances furent agrippées et les arquebuses mises en joue, au moment ou les premiers chiens se jetèrent à la gorge de leurs assaillants. Seuls les Joueurs d’Épée de la Légion du Griffon ne tinrent pas leur position avec le reste des forces. Ils avancèrent sur ordre de Ludwig Schwarzhelm, l’acier de leurs lames reflétant la lumière du feu tandis qu’ils se frayaient un chemin afin de rejoindre l’Empereur.
L’effet de surprise avait déjà amené loin la sortie impériale, et continuerait de jouer en sa faveur pendant quelque temps encore. À l’ouest de Bolgen, les Pistoliers de Matthias chassèrent une bande de Maraudeurs ivres et de servant d’armes trapus des ruines de la taverne du Géant Bourré. Tandis qu’une moitié des hommes de Corber pressaient les Nordiques en fuite, des langues de flammes illuminaient les vestiges de la taverne à mesure que leurs tirs successifs de pistolets et d’arquebuses faisaient voler un Canon Apocalypse en éclats. Quelques rues plus loin, les Chevaliers du Griffon transpercèrent un mur de boucliers, puis se ruèrent pour détruire une autre machine démon. Deux des chevaliers se penchèrent trop près en plantant leurs lances dans leur cible. Le canon mourant poussa un ultime rugissement et crachat une gerbe de flamme qui réduisit les deux guerriers et leurs Demigriffons en squelettes tordus.
Ailleurs, la chasse ne se déroulait pas si bien. La Reiksguard d’Egrig Schuler croisa la route d’une des cabales de sorciers de Vilitch. Avant que les chevaliers n’aient pu réagir à cette menace, une flamme rose lécha leurs rangs, tuant instantanément Schuler et réduisant une demi-douzaine de ses chevaliers en masses de chair misérables en pleine mutation.
Avant que le second de Schuler ne pût prendre la direction de l’unité, un cri de guerre monta de la colline tandis que les Chevaliers à Lames Maudites chargeaient. Il y eut un tonnerre de carillon de l’acier contre l’acier, et d’autres membres de la Reiksguard s’effondrèrent dans la boue.
Depuis sa position sur le temple en ruine, Vilitch entendait la bataille par les oreilles de son jumeau, et les cris de « Sigmar ! » percer la nuit. Pour l’instant, il ne pouvait rien y faire. Le rituel suivait son cours, et ne pouvait pas être interrompu sans un terrible risque. Mieux valait tenter sa chance, estima Vilitch, et accélérer l’invocation jusqu’à sa conclusion. Qu’importe les succès remportés par les faibles de l’Empire pendant ce contretemps, ils seraient balayés une fois les Démons libérés. Vilitch se pencha plus près de la silhouette immobile de son jumeau, accaparant plus de la force de Thomin pour son compte. Tout autour du cercle, les sorciers de sa coterie frémissaient et hurlaient tandis que le courant magique libéré les traversait.
Sur la place du village, une brève accalmie s’était abattue. Pris entre l’Empereur et les Joueurs d’Épée de Schwarzhelm, les défenseurs de la place avaient peu de chances de l’emporter. Les flancs de Griffe Mortelle étaient striés de sang, et les pavés ne se distinguaient plus guère sous les cadavres ravagés des Nordiques et de leurs bêtes. Tandis que le dernier guerrier du Nord fuyait, l’Empereur reforma ses forces en un carré. Il apercevait déjà des formes sombres découpées par les feux de camp non loin, celles de bannières qui se rassemblaient. C’était une chose que de vaincre des Nordiques pris au dépourvu et désorganisés. C’en était une autre de résister à une attaque déterminée des meurtriers en armure de plates issus des Désolations du Chaos.
Les guerriers de l’Empereur n’eurent pas à attendre le prochain assaut bien longtemps. L’ennemi vint de tous côtés, boucliers levés et formulant les plus noirs des serments. Des sorciers projetaient un feu corrupteur balayant au-devant du mur de boucliers qui avancait. Les flammes vacillaient et mouraient en atteigant l'Empereur, et également de l'autre côté de la place, face aux contre-sorts murmurés par l'astromancien Falstrom dans son précieux orbe de divination. Néanmoins, le feu prit racine ailleurs, et plus d’un Ostlander périt dans son étreinte, ou fut occis par ses camarades, qui redoutaient la créature mutante qu’il était devenu. En réponse, l’Empereur brandit son marteau devant lui, en hurlant dans l’ancienne langue des Unberogens. La foudre crépita de la tête ardente de l’arme, et percuta un sorcier, le projetant contre des pierres avec un craquement répugnant.
Des arquebuses tirèrent lorsque les boucliers se rapprochèrent. Il faisait trop sombre, et les Nordiques se déplaçaient trop vite pour être visés avec précision, mais les Ostlanders n’en avaient cure. Les sergents et les capitaines exhortaient leurs hommes à viser bas et là où l’adversaire était le plus massé. Ils n’y auraient pas le temps de recharger, ce qui rendait chaque balle plus précieuse que de l’or. Des sons métalliques résonnaient tandis que des projectiles ricochaient sur les boucliers ou perforaient les armures.
Cela ne ralentit guère les Nordiques. Les chants guerriers enflaient à travers la fumée âcre de la poudre noire, les guerriers en armure enjambaient leurs morts et leurs blessés, ou les poussaient du pied. Puis, avec une dernière clameur en faveur de Tzeentch, la charge des Nordiques percuta l’ennemi.
Tassé comme il l’était, le carré impérial, se froissa presque sous la force brute de l’impact. Les lances se brisèrent contre l’acier du Chaos, les épées forgées à Nuln gâchèrent leur élan contre des boucliers ou des capes en épaisse fourrure. En retour, les haches et les masses des Nordiques déviaient sans peine les épées et les boucliers pour mordre profondément la chair. La plupart des Guerriers du Chaos combattaient sans se préoccuper de leur défense, jetant leur bouclier de côté pour produire une deuxième lame, ou frapper avec un poing ganté. Ils méprisaient les faibles du Sud, et réfléchissaient peu, car il fallait au moins deux hommes pour retenir un Nordique, et au moins un troisième pour avoir la moindre chance d’abattre la brute.
Tant que Griffe Mortelle vivait, l’Empereur n’était guère mis en danger, même par ces nouveaux ennemis. Il se trouvait toujours au plus fort des combats, châtiant avec son marteau et la foudre. Ailleurs, ce n’était que là où se trouvaient les Joueurs d’Épée que les hommes de l’Empire rencontraient un véritable succès. Un coup de ces zweihanders ouvragés pouvait fendre un Guerrier du Chaos en deux, lorsque le porteur de l’arme disposait d’assez de temps pour placer son coup. Les sergents les plus vifs réalisèrent cela rapidement. Sur leur ordre, les hallebardes et les boucliers cessaient d’être des armes dans le sens premier du terme, ils étaient employés comme outil pour retenir ou entraver un adversaire assez longtemps pour qu’un Joueur d’Épée puisse lui fendre le crâne.
De telles tactiques pouvaient fonctionner tant que les forces de l’Empereur avaient l’avantage du nombre; qui demeurait, pour le moment du moins. Or, à chaque seconde qui passait, le danger grandissait. Partout à travers les camps, des chaînes étaient brisées et des cages ouvertes tandis que les Nordiques libéraient leurs animaux sauvages sur la place. Des chiens enragés et des Enfants du Chaos chancelant étaient aiguillés vers les formations impériales, bien qu’il en fallût peu une fois l’odeur du sang flairée. Une Carnabrute noueuse à la peau rubis, haute comme plusieurs hommes, percuta les Joueurs d’Épée de Carroburg. Ignorant les lames qui l’égratignaient, la créature piétina jusqu’au cœur de la formation, le poids de chacune de ses pattes calleuses broyant deux ou trois vaillants soldats de Carroburg à la fois.
Avant que la bête ne puisse réduire les Joueurs d’Épée en miettes, Falstrom prit le commandement des vents tournoyant autour du pont de tempête, et les dirigea droit sur elle. Des corps volèrent à travers la place, soufflés par la bourrasque, mais cela n’arrêtait pas le monstre, qui balayait les derniers Joueurs d’Épée sur son chemin, ses sabots fracassant les pavés pour trouver une prise. Pas à pas, la créature bravait la rafale, identifiant son tourmenteur grâce à son instinct. Falstrom recula d’un pas, puis il vit une chose qui avait échappé aux yeux jaunes du monstre. D’un geste sec, le sorcier libéra les vents.
Sans rafale contre laquelle lutter, la Carnabrute tituba en avant. Elle était encore déséquilibrée lorsque Griffe Mortelle frappa son flanc un instant plus tard, la force de l’impact enfonçant profondément ses serres dans l’épaisse peau de la bête. L’élan du griffon fit déraper la Carnabrute, qui agrippa la gorge de Griffe Mortelle d’une griffe, tandis qu’elle tendait l’autre pour s’agripper au sol. Le marteau de l’Empereur étincela une fois, et la Carnabrute hurla de douleur lorsque l’impact brisa le membre refermé sur la gorge de Griffe Mortelle. Ainsi libéré, le Griffon se fendit en avant et plongea son bec entre les plaques chitineuses du cou de la créature. Une gerbe de sang noir jaillit tandis que Griffe Mortelle déchiquetait la gorge de la Carnabrute.
Les hommes de l’Empire poussèrent une ovation en voyant la créature s’effondrer enfin, une clameur qui redoubla de force tandis que Schwarzhelm levait bien haut l’étendard de Karl Franz. En dépit de sa bravade, le Champion de l’Empereur était troublé. Le temps jouait en leur défaveur : le ciel s’éclaircissait de plus en plus. Les ténèbres étaient certes porteuses de craintes, mais elles dissimulaient par ailleurs le désespoir. À la lueur de l’aube, trop d’hommes qui avaient suivi l’Empereur à la bataille se rendraient compte de l’ampleur des forces déployées contre eux. Schwarzhelm reconnu cette peur, mais refusa d’y succomber; sa place était aux côtés de l’Empereur en dépit des circonstances.Même si aucun de ceux qui combattaient sur la place ne s’en rendait compte, le plan de l’Empereur rencontrait un succès inespéré. Attirés par la lueur des éclairs et les vives couleurs des bannières impériales, les Nordiques se marchaient presque dessus, poussés par leur détermination d’atteindre la place. Les hauteurs du village, desquelles les Canons Apocalypse crachaient des projectiles démoniaques sur les murs d’Averheim, étaient bondées de guerriers trop ivres ou lents pour rejoindre les leurs. Ces hommes furent renversés à pleine vitesse, leurs cris d’agonie noyés par la clameur qui émanait plus loin au bas de la colline.
Lorsque la Carnabrute s’écroula, treize Canons Apocalypses avaient été détruits et une demi-douzaine d’autres avaient brisé leurs chaînes pour saccager le campement. Deux s’en prenaient même l’un à l’autre, un duel qui auréolait le ciel de Bolgen de flammes multicolores avant qu’une des machines démons n’émerge blessée mais triomphante.
Toutefois, le coût de cette opération audacieuse avait été élevé. Presque la moitié des cavaliers de la Reiksguard avait été tuée durant l’affrontement contre les Chevaliers à Lames Maudites. L’élite chevaleresque impériale ne parvint à vaincre que grâce à l’intervention des Pistoliers de Matthias Corber, qui avaient assailli le flanc des Chevaliers du Chaos à coup de pistolet et de sabre, quelques moments à peine après le décès de Schuler.
Trop d’Ostlanders avaient péri lors de cet affrontement et des combats qui avaient succédé contre des Maraudeurs à cheval, mais la gloire de la bataille les portait à présent, et les cavaliers de Corber comptaient leurs victoires, pas leurs pertes. Maintenant que l’aube était naissante, les éclaireurs savaient qu’il était temps de s’éclipser. Tirant sur les rênes de leurs montures, ils revenaient vers le portail qui crépitait au centre du village, et vers le salut qu’il promettait.
Des nuages s’agglutinaient au-dessus du temple sigmarite de Bolgen tandis que Vilitch arrivait enfin au bout de son rituel. Alors que le sorcier prononçait la dernière syllabe, ses mots furent répétés par une voix plus caverneuse que la sienne, les mots résonnant à travers les ruines du village comme le tonnerre. Dans un rugissement sourd, le centre du cercle rituel fit place à des ténèbres multicolores, et la horde démoniaque en jaillit. En contemplant les fruits de son labeur par les yeux de Thomin, Vilitch se consterna. L’invocation avait été effectuée sans encombre, mais son ampleur était loin d’atteindre ce que le sorcier avait souhaité. Des centaines de Démons, non les milliers pour lesquels il s’était démené, étaient libérées du cercle d’invocation. La hâte avait contrecarré les plans du Sinistre Siamois, elle et la sortie imprévisible des défenseurs d’Averheim. Néanmoins, il pensait pouvoir encore l’emporter.
Ainsi la vague d’assaut suivante sur les positions de l’Empereur fut-elle presque quatre fois supérieure à la précédente. Les Démons, fous d’enthousiasme, se ruèrent en criant et en gambadant, des gloussements déments jaillissant de leurs bouches tandis que leurs doigts produisaient des langues de feu. Lorsque l’un d’entre eux était tué, il se séparait en deux abominations bleues plus petites et plus maussades que son “parent”, mais tout aussi déterminées à arracher la vie de leurs ennemis. Des silhouettes dégingandées vinrent à la suite des Horreurs, des flammes suintant et giclant de leurs orifices en perpétuel changement. Et après eux, prenant de la vitesse : des Hurleurs tranchants comme des rasoirs, les bêtes chasseresses du royaume démoniaque. Ils étaient rapides, trop pour les balles, et plongèrent à travers les rangs impériaux, leurs cornes et leurs épines tranchant chair et armure.
Enfin, derrière les Démons avançait Vilitch, ses Élus faisant rempart autour de lui. Les Ardents avançaient implacablement, poussés par la volonté de leur maître. Une telle détermination était absente de la lie qui se précipitait dans le sillage des Ardents. Il s’agissait des survivants des attaques antérieures, avides de se venger, et de laver l’affront à leur virilité que leur échec avait engendrée.
La Légion du Griffon encaissa le gros de cet assaut démoniaque, tout comme elle avait supporté les plus lourds fardeaux pendant ces longues heures. Les hommes tremblaient lorsque la nuée percuta leur ligne, puis ils reprirent courage en voyant la bannière impériale flotter au-dessus de leurs têtes. Schwarzhelm ne connaissait pas la peur. Ou plutôt, il l’enterrait si profondément en lui-même que nul ne pouvait la deviner sur ses traits. L’Épée de Justice avait déjà fauché sa part de Nordiques cette nuit, et à présent le Champion de l’Empereur se ruait pour occire des Démons. Il taillait de droite et de gauche perdant le compte des corps étranges qu’il laissait derrière lui.À l’ouest, les Démons s’en tiraient mal. C’était là que l’Empereur et Griffe Mortelle combattaient, et leur puissance seule était suffisante pour repousser l’assaut. En outre, les Démons semblaient plus maladroits et lents en présence de l’Empereur, ce qui en faisait des proies faciles pour ceux qui combattaient dans l’ombre de leur souverain. Pour beaucoup de ces soldats, c’était la preuve ultime que Karl Franz n’était plus vraiment un mortel, mais avait été touché par la divinité de Sigmar, car seule la plus sainte des puissances pouvait avoir affaibli les Démons, pensaient-ils.
Hélas, l’exemple de Schwarzhelm et les exploits de l’Empereur ne furent pas suffisants pour sauver une situation qui ne faisait qu’empirer. Le côté est de la place, où la Carnabrute avait commis tant de ravages, tenait à peine. Une fois encore, les hommes de Carroburg prouvèrent leur valeur.
Ils résistaient en crachant et jurant tandis que les Horreurs les assaillaient, mais mouraient tout de même. Le capitaine Corber vit le danger depuis son front relativement épargné au sud, et envoya des Ostlanders soutenir la force déclinante des Carroburgers. Un bref moment, le front est se stabilisa et repoussa l’ennemi. Puis un feu rose calcina les pavés couverts de cadavres et le terrain recapturé fut perdu.
L’Empereur était sur le point d’ordonner la retraite à travers le pont de tempête, abandonnant ceux qu’il avait envoyés dans les ténèbres, lorsqu’un nouveau cri de guerre retentit. Des versants nord arrivèrent une bande hétéroclite de Chevaliers et de Pistoliers. Ils étaient maculés de sang et exténués, et trop de selles étaient vides dans leurs rangs, néanmoins les hommes de la place avaient rarement contemplé une vision aussi exaltante.
Les nouveaux arrivants dispersèrent les Nordiques derrière Vilitch, puis percutèrent les Ardents. Les pistolets tiraient et les hommes criaient de défi en brandissant leurs épées et leurs lances, mais la ligne des Ardents ne céda point. En fait, elle frémit à peine. La peur et la douleur n’avaient aucune emprise sur ces esprits soumis, ils ne comprenaient que l’ordre de se battre. Et ils luttaient avec une force et une adresse non restreinte par leur servitude. Les Ardents arrachaient les cavaliers de leur selle, tranchaient les membres et les crânes avec une avidité meurtrière. Ils combattaient malgré des blessures qui auraient mis au tapis des hommes plus faibles, ne s’écartant jamais d’une lame si cela compromettait le coup fatal qu’ils s’apprêtaient à porter.
Le timbre d’acier de l’Empereur ordonna à ses hommes de se replier par le pont de tempête. Au même moment, il lança Griffe Mortelle au combat contre les Ardents. En dépit des blessures et de la fatigue, le Griffon se rua une fois encore.
Alors que Griffe Mortelle percutait les esclaves de Vilitch, les hommes de l’Empire entamaient leur retraite. Les blessés passèrent les premiers, les valides tirant ceux qui ne pouvaient plus marcher; les braves se resserrèrent davantage face à la pression des Démons bafouillants. Seul Schwarzhelm et la Légion du Griffon avancèrent, déterminés à aider l’Empereur à secourir les chevaliers.
Les Ardents de Vilitch étaient à présent pressés sur trois fronts, et le sorcier se désespérait de plus en plus. Il avait envoyé des Démons et du feu magique sur ces Sudistes, les avait assaillis avec des effectifs écrasants et la force inexorable de ses Ardents. N’allaient-ils donc pas mourir ? Vilitch aiguilla la corpulence de Thomin vers les compagnons de Schwarzhelm, et projeta un feu crépitant du bout de ses mains contrefaites. Il jubila en voyant le centre de la Légion du Griffon réduit en cendre et l’étendard impérial prendre feu. Mais les Joueurs d’Épée avançaient tout de même. Modifiant à nouveau la posture de son frère, Vilitch déchargea des éclairs sur Griffe Mortelle, mais le sceau sur le plastron de l’Empereur brûla à blanc et la foudre se dissipa comme de la fumée dans la brise. Un Demigriffon percuta Vilitch, puis rendit son dernier soupir lorsque la lame de Thomin lui trancha la gorge. Le chevalier, éjecté de sa selle par le trépas de sa monture, rugit de défi, puis mourut lorsque le morgenstern de Thomin brisa son crâne. Vilitch n’avait pas le temps de se réjouir. Le bon suivant de Griffe Mortelle l’amena à côté du sorcier. Un coup d’estoc de la patte du Griffon envoya Vilitch voler à travers la place, avant qu’il ne s’écrase dans les ruines d’une ancienne caserne de la milice.
Vilitch recouvra ses sens pour voir Schwarzhelm et le dernier de la Légion du Griffon se replier à travers le pont de tempête. Griffe Mortelle et l’Empereur couvraient leur retraite, la foudre se répercutant et grésillant à travers la horde démoniaque. Sifflant de frustration, Vilitch fit remettre Thomin sur ses pieds et l’envoya charger vers le portail, bousculant Démons et Maraudeurs dans sa détermination à laver son affront. Dans un dernier battement d’ailes, Griffe Mortelle repoussa les Démons et bondit à travers le portail.
Aveuglé par la rage et l’humiliation, Vilitch pénétra dans le pont de tempête en courant, une flamme changeante vacillant à l’extrémité de ses doigts tendus. Ce ne fut que lorsqu’il franchit le seuil que le sorcier se rendit compte que la sortie, où qu’elle eût pu se trouver, avait été fermée avec le passage de l’Empereur. Il se retourna pour revenir sur ses pas, juste à temps pour voir le portail donnant sur Bolgen se noyer dans les ténèbres. L’Empereur s’était échappé, et il était piégé.
Vilitch n’avait aucune idée du temps qu’il avait passé à errer dans les ténèbres. L’Échec le tourmentait, et l’obscurité le mettait mal à l’aise. Il aurait donné cher pour la capacité à produire une flamme, mais il n’avait plus senti les Vents de Magie depuis la fermeture du portail. Il guidait à présent la silhouette massive de son frère dans le noir, cherchant un moyen de s’échapper.
C’était la faute de Thomin s’il avait été piégé, de cela, le sorcier était certain. Son frère siamois avait été trop lent, ce qui avait permis à l’ennemi de s’enfuir. « Gros balourd, » siffla Vilitch, comme il l’avait fait tant de fois depuis Bolgen. « A quoi peuvent bien servir tous tes muscles s’ils ne fonctionnent pas quand on en a besoin ? Tu as été mou et maladroit. Je maudis le jour où le sort m’a enchaîné à toi. » Thomin restait silencieux, réagissant de la même façon à chaque insulte murmurée depuis que les jumeaux avaient été fusionnés. Il marchait péniblement dans les ténèbres. Ses pas lourds frappaient contre un sol qu’il ne voyait pas, à un rythme imperturbable malgré le flot constant d’injures de Vilitch. Puis, Thomin s’arrêta. Non pour cause d’épuisement, car son corps était infatigable. En fait, la voie de Vilitch était bloquée par une paroi rocheuse qui ne voulait pas se briser, quelle que soit la force avec laquelle les poings de Thomin la martelaient. Pire, lorsqu’il se retourna, Vilitch découvrit un obstacle similaire derrière lui, sans qu’il puisse s’expliquer comment il avait pu arriver là. |
La panique monta dans la gorge du sorcier, mais elle s’évanouit avec une nouvelle découverte. Il y avait de la Magie en ce lieu, un pouvoir qu’il pouvait exploiter. Une flamme jaillit du son bâton de Vilitch. Dans cette lumière, le sorcier vit à travers les yeux de Thomin que ce qu’il avait pris pour de la pierre était en fait un cristal brillant. L’image des jumeaux se reflétait à travers, se dédoublant à l’infini dans la splendeur fractale de la pièce.
« Où suis-je ? » siffla tout haut Vilitch. - Dans le domaine du Grand Sorcier, » murmurèrent un millier de voix joyeuses. « Il a entendu tes prières, fidèle champion, et il est heureux de les exaucer. - Quelles prières ? » demanda-t-il. « Je n’ai formulé aucune supplique. - Moi si, » dit Thomin, sa voix desséchée après des décennies de silence. « C’est mon tour à présent. » Non ! pensa Vilitch. Il lutta pour parler, mais s’aperçut qu’il ne se souvenait d’aucun mot. Rites et sorts, les études et les calculs d’une vie entière, balayés de son esprit comme on souffle une chandelle. Ils ne lui manquaient pas. En effet, Vilitch oublia leur existence; il ne se rappelait même plus de son nom. Le temps que le labyrinthe de cristal change de nouveau, et que Thomin marche sous le ciel d’orage du Royaume du Chaos, la chose qui avait été Vilitch le Maudit était accrochée muette à son épaule, attendant avidement les instructions de son frère. |
Sur le mur nord, des Ingénieurs utilisèrent des longues-vues pour observer la rive opposée de l’Aver et les décombres du camp de Vilitch. Les Skavens, qui ne faisaient jamais des alliés fiables, avaient déjà pillé les lieux. Cette trahison laissait la partie nord des installations de siège en piteux état, au point que l’Empereur aurait pu envisager une sortie s’il n’avait pas su que la horde d’Archaon parcourait elle aussi la région.
L’Empereur ne parla de cette nouvelle menace à personne en dehors de ses plus proches conseillers. Ainsi, de ce que les défenseurs d’Averheim en savaient, Karl Franz leur avait offert leur première victoire - la première d’une longue série, puisqu’il semblait que le vent de la guerre avait tourné. Beaucoup se lancèrent dans des célébrations, mais ceux qui s’intéressèrent aux survivants de la sortie de la nuit précédente réalisèrent à quel point la victoire avait été coûteuse. Malgré tout, une rumeur évoquant l’arrivée imminente de renforts se propagea dans les garnisons sordides et les casernes. On disait que l’Empire n’était pas encore vaincu, que des armées convergeaient vers Averheim et qu’elles allaient briser le siège une bonne fois pour toutes. Bien évidemment, rien n’était plus faux. Ces mensonges nés d’un espoir vain ne les rendaient que plus cruels. Une histoire répandue racontait que Valten, le Héraut de Sigmar, était toujours vivant dans le nord, et qu’il rassemblait tous les hommes ayant la force et le courage de se battre. Seul l’Empereur savait que Valten était mort, car dans un rêve trop réel pour être le fruit de son esprit, il avait vu l’attaque qui avait décapité le Héraut de Sigmar. Valten ne viendrait pas. Personne ne viendrait.
Même s’il était accablé, l’Empereur ne se reposait jamais. De fait, il ne dormait quasiment plus. Avec l’aide d’Ungrim et de Jerrod, il supervisait les préparatifs avant l’arrivée d’Archaon. Pendant les attaques qui se raréfiaient, les Ingénieurs et les Sorciers Lumineux œuvraient pour renforcer les murs branlants. Des pièges à poudre noire furent posés et dotés de mèches fabriquées par les Nains qui ne pourraient pas s’allumer par mégarde. Derrière les murailles les plus vulnérables, on érigea des barricades à l’aide de décombres dans les rues pour canaliser l’ennemi vers des embuscades soigneusement préparées.
L’Empereur avait eu vent de rumeurs faisant état d’armées alliées en chemin. Il savait que ces histoires étaient nées d’espoirs futiles. L’Empire n’avait plus d’armées en dehors des troupes harassées et décimées retranchées à l’intérieur des murs d’Averheim. Cependant, alors que les heures s’égrenaient et que la horde d’Archaon se rapprochait, l’Empereur dut reconnaître qu’il restait encore un ost dans l’Empire, et de grande taille qui plus est. Il ne voulait pas faire appel à lui, car ces alliés étaient à peine moins menaçants que les ennemis qui allaient bientôt se presser contre les murs. Néanmoins, la fin justifiait les moyens, car Averheim avait désespérément besoin d’aide pour survivre, et ce quelle que fût sa nature.
Cette nuit-là, Karl Franz mena une autre sortie depuis l’enceinte d’Averheim sur le dos de Griffe Mortelle. Il était accompagné par une dizaine de Chevaliers de Jerrod montés sur de vifs Pégases. Les Gargouilles s’écartèrent en piaillant alors que les éclairs de l’Empereur formaient un canevas sur la toile nuageuse. Les Démons firent aussitôt demi-tour pour se ruer sur les proies moins dangereuses qui suivaient l’Empereur, en vain. Même si les Chevaliers de Bretonnie étaient affamés depuis le début du siège, leurs montures étaient des créatures frugales qui n’avaient rien perdu de leur rapidité légendaire. Peu de Démons pouvaient rivaliser avec elles. Les Chevaliers résistèrent à l’appel du combat et obéirent à leur devoir en suivant l’Empereur. Leur orgueil de chevalier pouvait attendre. Alors qu’une nouvelle tempête d’éclairs se déchaînait pour disperser les vols de Gargouilles, les Chevaliers les avaient déjà distancées de près d’une demi-lieue en se dirigeant vers l’est. Leur chef, Aubric de Bastonne, transportait dans ses fontes un parchemin portant le sceau impérial.
C’est ainsi que l’Empereur proposa une alliance au Grand Nécromancien Nagash. De toute façon, un pacte tacite avec les Morts-Vivants s’était déjà produit auparavant. Au cours de l’invasion des frères Glott, le Vampire Vlad von Carstein s’était battu aux côtés des vivants, et avait même été nommé Comte Électeur en échange de son serment de défendre l’Empire.
Ungrim et Jerrod s’étaient élevés contre cette décision de l’Empereur. Pactiser avec un von Carstein était une chose, mais parlementer avec son maître immortel en était une autre. Toutefois, l’Empereur était resté intraitable, car il savait qu’il ne pouvait compter sur aucune autre aide. Ulthuan avait été détruite. Les Nains qui ne se trouvaient pas déjà à l’intérieur des murs d’Averheim s’étaient enterrés si profondément qu’aucun message ne pouvait les joindre. Les alliés d’antan n’étaient plus, et le seul espoir résidait dans un ennemi juré. Ni le Nain, ni le Bretonnien ne partageaient la logique de l’Empereur, néanmoins ils avaient fini par céder. Tous se doutaient que Nagash tenterait de détourner une éventuelle victoire à ses propres fins, cependant ce problème était secondaire par rapport à la menace qui se rapprochait d’Averheim à grands pas.
Les Chevaliers d’Aubric furent capturés par les séides Vampires de Mannfred von Carstein dès qu’ils eurent franchi les limites enténébrées de la Sylvanie. Le seigneur de cette terre était tombé en disgrâce auprès de Nagash, car ses machinations l’avaient finalement conduit à une âpre rivalité avec Neferata. Pour sa part, la Reine des Mystères ne servait Nagash que contrainte et forcée, mais comme le Grand Nécromancien ne sortait que rarement de sa torpeur au sein de la Pyramide Noire, elle en avait profité pour retourner au Pinacle d'Argent pour ne pas avoir à supporter la présence de créatures telles que Mannfred.
Conscient de la précarité de sa situation, Mannfred ne fit pas exécuter les Chevaliers sur-le-champ, et les fit emmener presque sans les toucher jusqu’à la Pyramide Noire. Une fois là, Aubric fut autorisé à délivrer son message avant d’être mis à mort sans recevoir de réponse.
Le plan de l’Empereur avait une faille : il reposait sur la bonne volonté de Nagash d’accepter une alliance, or ce dernier n’y voyait aucune raison valable. Depuis qu’il était retourné en Sylvanie, le Grand Nécromancien était resté languide dans la Pyramide Noire, occupé à drainer la Magie des Terres pour se revigorer. Il était certain que lorsqu’il aurait terminé, il serait en mesure d’affronter seul les dieux du Chaos. Mais à l’heure actuelle, le processus n’était qu’à moitié achevé. Nagash ne désirait pas attirer l’attention des dieux du Chaos avant d’être prêt, et ne voulait pas mettre en péril son plan pour sauver une poignée de mortels, qui de toute façon lui seraient plus utiles morts que vifs.
Néanmoins, cette proposition ne fut pas rejetée unanimement. Parmi les Mortarchs survivants de Nagash, Vlad von Carstein ressentait encore une forme de loyauté envers l’Empire. De plus, il était conscient de l’arrogance démesurée du Grand Nécromancien. Vlad savait que la Sylvanie connaîtrait le même destin qu’Averheim si sa faction restait oisive, et il décida d’agir.
« Des imbéciles! Tous des imbéciles !”
La voix de Vlad von Carstein étouffa le bruit tonitruant de la porte qu’il claquait derrière lui. Gelt ne détourna pas le regard du chandelier couvert de cire sur lequel ses yeux étaient rivés. « Tu n’as rien à dire ? » lui lança Vlad. « Tu n’as… » commença-t-il avant de partir dans une quinte de toux qui projeta des postillons verdâtres sur le parquet ciré. Les chancres et les pustules avaient disparu, cependant les “dons” d’Otto Glott l’affligeaient encore. Gelt ne connaissait pas la gravité des maux de son maître, car ce dernier ne montrait jamais le moindre signe de faiblesse. « Que se passe-t-il ? » Vlad s’essuya la bouche. « Karl Franz a enfin demandé de l’aide, mais Nagash a refusé, et mes pairs n’ont pas le courage de le défier. Ils ne voient pas ce qui est en jeu. - Alors les sacrifices auxquels j’ai consenti ont été vains. Je n’aurais jamais dû vous écouter ! |
Pour la première fois depuis qu’il était entré dans la salle de bal, Vlad sourit férocement. « Tu penses encore que je suis responsable de ton destin ?
- Votre pouvoir est impie. - Tu as librement choisi de l’accueillir, » lui lança Vlad. « Je me suis juste assuré que ta déchéance ne soit pas inutile. - J’en doute. » Vlad tituba sous l’effet d’une nouvelle quinte. « Dans ce cas, crois au moins ceci : nous allons nous rendre à Averheim, toi et moi, quitte à y aller seuls. Nagash n’a pas tenu sa promesse de me rendre Isabella, et je ne lui suis redevable en rien. » Il fit une pause. « Et puis, je suis toujours lié par mon serment… » - Il vaut donc quelque chose à vos yeux ? » s’étonna Gelt. - Étrangement, oui, » reconnut Vlad. « Il semblerait bien que notre partenariat nous ait affectés tous les deux… » |
Ils chevauchèrent en toute hâte, poussés par la Magie Noire de Vlad, malgré tout Gelt estimait qu’ils ne progressaient pas suffisamment vite. Il avait hâte de rejoindre les vivants, même si c’était pour mourir à leurs côtés. À chaque heure qui passait, il redevenait peu à peu l’individu qu’il avait été, avant que Vlad ne l’entraîne sur la voie de la nécromancie. Ses pensées s’éclaircissaient et sa volonté se raffermissait. L’influence de Vlad s’évaporait, même si Gelt ne savait pas si cela était dû à l’effet des miasmes d’Otto Glott ou simplement parce que le Vampire acceptait de relâcher son étreinte. De toute façon, il n’en parla pas avec le Vampire.
Au lieu de cela, Gelt passa des heures à partir en éclaireur pour la cohorte de Templiers, et chassa peu à peu de son esprit les sorts qu’il avait appris auprès de Vlad. Ce n’était pas chose aisée, car la tentation murmurait sans cesse à ses oreilles, toutefois le sorcier était déterminé à retrouver son humanité, et à atteindre la rédemption par ses actes. Il n’espérait pas être accueilli chaleureusement par ses anciens amis. Après tout, sa déchéance était en partie responsable des maux qui accablaient l’Empire. Malgré tout, il était déterminé à se racheter. Et si Vlad devinait les pensées de son acolyte, il ne le montra pas, et le laissa parcourir les terres selon son gré.
Pendant ce temps, loin à l’ouest, l’avant-garde de l’armée d’Archaon atteignit enfin Averheim. Les hordes envahirent le village de Bolgen par l’Ancienne Route des Nains, et chassèrent les Skavens qui occupaient les ruines depuis la défaite de Vilitch. Au crépuscule, le nord de l’horizon était envahi de bannières noires, qui étaient plus nombreuses au fil des minutes. Le matin suivant, les terres entre Bolgen et l’Aver étaient recouvertes de tentes et de feux de camp, et toujours plus de tribus affluaient. Elles se répartirent à l’ouest et à l’est des barges, obligeant les bandes de guerre qui assiégeaient la ville à leur faire de la place.
Même depuis les murs d’Averheim, on pouvait voir que les nouveaux venus n’appartenaient pas au même peuple que celui qu’ils venaient de rejoindre. Leurs hampes de bannières étaient décorées de crânes et leurs armures avaient la couleur du sang. Quant à leurs chants guerriers, ils n’étaient guère plus que des hurlements discordants. Le ciel prenait une teinte écarlate à leur passage, et les eaux de l’Aver rougissaient comme si elles étaient mêlées à du sang. Ces tribus étaient celles des Skaramor, et parmi elles marchaient les Faucheurs de Crânes, les terribles champions du Dieu du Sang.
Jusqu’à présent, la réputation des Faucheurs de Crânes s’était bâtie sur des rumeurs ignobles, car leurs bandes de guerre ne s’étaient jamais aventurées dans l’Empire. Ils considéraient les hommes du sud comme des faibles, si bien que leurs têtes coupées ne fournissaient pas des trophées dignes de ce nom. Ainsi, ils préféraient parcourir les Désolations Nordiques et affronter de vrais guerriers : les Kurgans, les Hungs, les Kvelligs et les autres. Mais puisque désormais, les faibles hommes de l’Empire avaient été massacrés par les autres tribus, les Skaramor affluaient par dizaines de milliers pour se mesurer aux survivants endurcis. Leurs seigneurs avaient juré allégeance à Archaon, même si en réalité ils ne servaient que le Dieu du Sang. Ils allaient noyer Averheim dans le sang de ses défenseurs, et empiler leurs crânes en l’honneur de leur dieu. Ils accompliraient ce massacre sous le commandement d’Archaon, mais seulement parce que Khorne le leur avait ordonné.
Il y avait de nombreux chefs de guerre parmi les Skaramor, mais un d’entre eux arborait plus ostensiblement que les autres les faveurs de Khorne. Skarr Bloodwrath parcourait les terres désolées depuis des siècles. Il avait vaincu d’innombrables ennemis, et avait même été tué à plusieurs reprises, mais à chaque fois, il avait ressuscité au milieu du sang de ses victimes. Skarr avait bien progressé sur la voie de l’immortalité - du moins, c’est ce dont on pouvait se convaincre en le regardant - et il terrorisait tout autant ses serviteurs que ses ennemis.
« Quels sont tes ordres, Élu des Dieux ? » gronda la voix de Ka’Bandha derrière Archaon.
Celui-ci nota l’impatience dans la voix du Démon. Il détailla le cercle de champions agenouillés sur la terre brûlée autour de lui. Parmi eux, seul Ka’Bandha était resté debout, car il détestait sa servitude. Les mortels ne valaient pas mieux que des chiens. Ils cherchaient désespérément à plaire au Seigneur des Crânes, et donc à son émissaire. Ils obéiraient tant que le sang coulerait. Pour sa part, Ka’Bandha brûlait d’être plus qu’un serviteur. Archaon ne répondit pas, et regarda au-delà du fleuve, en direction de l’ultime forteresse de l’Empire. Ses ennemis se terraient derrière leurs murs. Ils allaient mourir sans comprendre que leur cause avait été vaine. Encore une dernière bataille, et l’Empire disparaîtrait à jamais. Une quête longue de plusieurs siècles était sur le point de s’achever. Un homme ordinaire aurait exulté à cette idée, ou aurait été inquiet de voir l’œuvre d’une vie s’achever, mais pas l’Élu des Dieux. Son âme n’était plus qu’un abysse noir sans fond. « Quels sont tes ordres ? » répéta le Démon d’une voix menaçante. Archaon savait que le Buveur de Sang tenterait de le tuer sitôt qu’il perdrait les faveurs de Khorne, mais pas avant. Pathétique. Le Démon était capable à lui seul de vaincre une armée, pourtant il n’oserait jamais s’attaquer à son maître mortel de peur d’offenser son dieu. Et Khorne était le plus facile à satisfaire des quatre frères. S’il le désirait, Archaon pouvait faire attendre Ka’Bandha pendant des heures. Se détournant d’Averheim, il s’adressa enfin à ses champions. « Ils se sont bien battus. Nous allons leur offrir une mort glorieuse. Mais n’oubliez pas que Karl Franz est à moi… » |
Parmi tous les guerriers des Skaramor, seule la Reine du Sang Valkia était l’égale de Skarr. Elle avait elle aussi l’estime de Khorne, d’autant plus depuis qu’elle avait massacré les habitants de Naggaroth. Les vétérans de cette campagne marchaient désormais sur Averheim sous la bannière décorée de crânes de Valkia. Ils étaient moins nombreux que les guerriers de Skarr, cependant ils compensaient leurs faibles effectifs par une sauvagerie démesurée.
Skarr et Valkia avaient beau bénéficier des faveurs de Khorne, on dénombrait un guerrier au sein de l’ost qui croulait littéralement sous les dons du Dieu du Sang. Scyla Anfingrimm faisait partie des Skaramor depuis qu’il les avait rejoints, après avoir dévoré son ancienne tribu. Scyla était jadis un grand champion qui ravageait les côtes de tout le Monde Connu, toutefois cette époque était révolue depuis longtemps. Il n’était plus un homme ni de corps ni d’esprit, et son seul désir était de tuer et de détruire. Ses instincts de tueur étaient plus aiguisés que jamais. Beaucoup de Skaramor pensaient que Scyla jouissait toujours de l’estime de Khorne, et combattre à ses côtés revenait à se distinguer aux yeux de leur dieu. Ainsi, les tribus rouges suivaient sans hésiter Scyla lorsqu’il se ruait au combat.
Des affrontements éclatèrent cette nuit-là comme les Skaramor affirmaient leur domination. Des cris de guerre et le fracas des armes retentirent le long de la vallée de l’Aver tandis qu’une nouvelle hiérarchie naissait dans le sang. Les chefs qui refusaient de jurer loyauté envers les nouveaux venus furent décapités et leurs corps jetés dans le fleuve, et un grand nombre de ceux qui acceptèrent de se soumettre à Valkia ou à Skarr furent de toute façon sacrifiés au Seigneur des Crânes. Leurs têtes furent ajoutées aux totems plantés à la limite de la portée des canons.
Les derniers Skavens détalèrent cette nuit-là, car ils ne comptaient nullement poursuivre le siège aux côtés de tels alliés. Leur absence passa inaperçue : l’attention des défenseurs était accaparée par la horde de guerriers assoiffés de sang qui venait d’arriver. Quant aux Skaramor, ils se moquaient éperdument de la fuite de cette vermine.
De plus en plus de tribus arrivaient dans la vallée de l’Aver. Elles n’attaquaient pas les murs, et passaient le temps en luttes intestines, en attendant l’arrivée de celui qui les menait à la guerre. Des milliers de guerriers périrent lors de ces escarmouches, mais il en arrivait toujours plus, sous le regard implacable d’un soleil rouge sang. La nuit, Averheim était tourmentée par le battement des tambours, et le sommeil des défenseurs était perturbé par les chants guerriers et les hurlements des hommes offerts en sacrifice.
Archaon n’arriva qu’au bout de plusieurs jours, à la tête des Épées du Chaos, et accompagné de Ka’Bandha. Des nuages noirs zébrés d’éclairs rouges envahirent le ciel. Les chants cessèrent quelques instants avant de reprendre de plus belle.
Ils avaient tort.
L’assaut contre le mur nord débuta quelques heures après l’apparition de la bannière d’Archaon sur les crêtes. Les Skaramor avancèrent sous un ciel carmin voilé de nuages noirs, en hurlant comme des damnés et en chantant dans leur langue gutturale. Au début, les sentinelles évitèrent de tirer, de crainte qu’il s’agisse d’une ruse destinée à les pousser à révéler les positions des garnisons. Cependant, lorsque les défenseurs comptèrent le nombre de torches qui illuminaient la plaine, ils comprirent que cette attaque n’avait rien d’une diversion. Des ordres fusèrent le long des remparts. Les lourds volets en bois des meurtrières furent ouverts et les canons vomirent une tempête de feu.
Pendant quelques instants fatidiques, le rugissement de la salve noya les beuglements des Skaramor. Cela ne dura qu’une poignée de secondes, et bientôt les cris des mourants disparurent au milieu des cris extatiques des guerriers des rangs arrières. Les explosions secouèrent le cimetière à ciel ouvert qu’était devenue la plaine au nord de la ville. Les flammes jaillissant des gueules des canons illuminaient brièvement les corps tatoués tandis qu’ils étaient projetés dans les airs par les déflagrations. Il était impossible de viser correctement dans la pénombre, pourtant cela n’avait aucune importance : les hordes de Skaramor formaient un tapis de corps si dense qu’aucun boulet ne pouvait manquer de provoquer un carnage.L’ost se rapprochait, et les chants devinrent des hurlements hystériques tandis que les régiments se divisaient en bandes éparses. Des bottes de paille enduite d’huile furent enflammées et jetées depuis les remparts. Leurs flammes jaunes éclairèrent les alentours et permirent enfin aux artilleurs, et surtout aux tireurs, de percevoir clairement leurs cibles. Les arquebuses crépitèrent le long du rempart. Au milieu des claquements secs des armes impériales, on distinguait le bruit caractéristique des armes à canon rayé des Nains. Des dizaines de Skaramor périrent. Les morts et les mourants étaient piétinés impitoyablement par leurs camarades. Les armes à feu aboyèrent une seconde fois. Au pied des murs, les guerriers foudroyés lâchaient les chaînes et les grappins qu’ils tenaient, mais cela n’empêcha pas plusieurs crochets de trouver prise sur les créneaux. En quelques secondes, chaque chaîne se tendit sous le poids de toute une cordée de Skaramor, qui se mit à grimper le long des murailles.
Les canons et les mortiers continuaient de pilonner les Skaramor qui s’agglutinaient au pied de l’enceinte, tandis que les Arquebusiers prenaient désormais pour cible ceux qui escaladaient. Les balles sifflaient en ricochant sur les plaques d’armure, ou allaient se loger dans les crânes des assaillants. Des dizaines de Nordiques tombèrent dans le vide, le corps grêlé de plomb. D’autres furent emportés par la chute de leurs camarades morts, ou furent achevés par ceux qui les suivaient et qui ne voulaient pas être ralentis dans leur ascension par un blessé ou un mourant.
Pendant que les tireurs faisaient feu sans discontinuer, les autres défenseurs s’acharnaient sur les grappins. Leurs épées ne pouvaient pas taillader les chaînes, c’est pourquoi les Nains intervinrent avec leurs haches et leurs lourds marteaux. Ils frappèrent le bronze jusqu’à ce que les maillons cèdent, ou martelèrent les créneaux jusqu’à ce qu’ils se fissurent et que le poids des assaillants en arrache des pans entiers. Cependant, pour chaque grappin qui était détaché d’une façon ou d’une autre, trois autres trouvaient prise sur la pierre.
L’assaut dura des heures. Les environs des murailles furent recouverts de cadavres tandis que les Skaramor étaient abattus par les flèches, les balles, la mitraille et les pierres qui leur pleuvaient dessus. Néanmoins, la vigueur de l’attaque ne diminuait pas. Vers minuit, le vent tomba. L’odeur de la poudre et la fumée envahirent les remparts, au point que la horde en contrebas disparut presque totalement. En dépit de cela, les défenseurs continuaient de tirer, car ils étaient conscients que la horde du Chaos était si vaste que leurs projectiles feraient forcément mouche.
Des milliers de Skaramor périrent avant d’atteindre le pied des murs, des centaines de plus s’écroulèrent à cause de leurs blessures et furent piétinés par leurs camarades, pourtant les défenseurs ne criaient pas victoire. La gorge des hommes était râpeuse à cause de la fumée âcre qui planait sur les remparts. Leurs muscles étaient las à force de tendre les cordes de leurs arcs ou de jeter des pierres - voire les cadavres qui jonchaient le parapet - par-dessus les créneaux, dans le but de tuer toujours plus d’assaillants.
Car les morts s’amoncelaient sur les murailles. Au cours de l’assaut, les Skaramor lançaient des haches, des javelots et autres armes de jet vers les remparts. L’immense majorité de ces projectiles rebondissaient contre la pierre, mais certains mordaient la chair. Des tireurs s’écroulaient lorsque ces lames leur fendaient le crâne, et les imprécations des Tueurs Nains mouraient sur leurs lèvres quand ils périssaient. Chaque cadavre de défenseur qui tombait du parapet était accueilli par des cris de joie de la part de la horde. Les Nordiques n’avaient cure de perdre mille fois plus de guerriers que les défenseurs, car cette attaque voyait mourir les plus faibles d’entre eux, tout en offrant un massacre digne de ce nom au Dieu du Sang.
Peu avant l’aurore, l’assaut reprit de plus belle. Des grappins s’accrochèrent aux murs est et ouest. Les troupes détrempées qui avaient été envoyées pour renforcer la garnison nord du Duc Jerrod furent rappelées en toute hâte pour défendre d’autres zones. Ungrim Poing de Fer orchestrait les défenses à l’est. Le feu qui courait dans ses veines donnait naissance à des langues de flammes qui carbonisaient les Skaramor grouillant au pied des murs, mais à chaque fois des guerriers indemnes arrivaient pour remplacer ces pertes. À l’ouest, la situation n’était guère plus brillante. Les éclairs de l’Empereur tuèrent des dizaines de Nordiques sans que cela vienne à bout de l’ardeur des barbares survivants.
Pire encore, les derniers Canons Apocalypse - qui étaient restés silencieux pendant des jours sur ordre d’Archaon - avaient repris leur pilonnage. Alors que le ciel se dégageait un peu, l’air fut strié de traînées incandescentes. Le bombardement était moins violent qu’au cours de semaines précédentes, toutefois il avait gagné en précision. Les tirs prenaient pour cible les tours de la porte nord. Chaque impact faisait trembler les murs vénérables et arrachait des fragments de roches qui tombaient et fracassaient les crânes des Skaramor en contrebas.
Et il n’y avait pas que des Skaramor qui périssaient dans l’ombre de la porte nord. Archaon avait lâché ses plus grands monstres contre les battants d’acier et de duramen, afin qu’ils les disloquent. Deux Géants et une Carnabrute gisaient morts sous la grande arche de pierre, éventrés par des tirs de canon Feu d’Enfer bénéficiant d’ouvertures aménagées astucieusement dans les murs. Toutefois, Archaon avait d’autres monstres sous ses ordres, et il les envoyait au massacre sans hésiter.
L’aube se leva et les cieux grondèrent au-dessus d’Averheim. Le son était semblable au rire guttural d’un dieu cruel. Une pluie battante tomba sur la vallée de l’Aver, transformant le sol déjà mou en un bourbier sanglant. Les défenseurs, qui quelques minutes plus tôt espéraient qu’une pluie survienne afin d’étancher leurs gosiers desséchés, se mirent à frissonner sous l’ondée glaciale qui détrempait leurs vêtements. Malgré tout, ils continuèrent de tirer encore et encore, profitant du jour naissant qui facilitait leur visée.
Il y eut une brève accalmie dans les combats lorsque la vague suivante de Skaramor se traîna à travers la boue. Le lever du jour apportait de l’espoir pour les défenseurs, mais aussi de mauvais présages. Quand ils scrutèrent à travers le rideau de pluie, ils réalisèrent que les pertes qu’ils avaient causées allaient se retourner contre eux. À certains endroits, les cadavres s’empilaient si haut que le sommet se trouvait quelques mètres à peine sous les créneaux. Les morts offraient ainsi aux attaquants une voie d’accès presque aussi pratique qu’une tour de siège. Ils ne se privèrent pas d’une telle aubaine, et commencèrent à escalader les macabres monticules.
La situation était encore pire à la porte nord. Le bombardement des Canons Apocalypse avait dévasté les tours qui flanquaient l’entrée, détruisant ainsi la plupart des canons et des Feu d’Enfer qui étaient jusque-là parvenus à repousser les monstres d’Archaon. Les rugissements des bouches à feu s’étaient mués en salves intermittentes, qui ne masquaient plus les cris de fureur des Géants qui martelaient les portes avec des rochers ou leurs poings.
Des roquettes de Tonnerre de Feu furent récupérées en toute hâte par les défenseurs, qui les allumèrent et les jetèrent sous l’arche. Les explosions secouèrent les portes et un Géant s’écroula, la poitrine dévastée. L’autre rugit de douleur. Son visage avait été atrocement brûlé, mais il continua d’attaquer les battants jusqu’à son dernier souffle.
Non loin à l’est, Skarr fut le premier à atteindre le sommet des remparts. Une dizaine de défenseurs périrent sous ses coups de hache. Les couleurs de l’Ostland et du Talabecland étaient maculées de sang. Un capitaine Ostlander rugit un défi et mena ses Joueurs d’Épée à l’attaque. Le coup suivant de Skarr brisa sans difficulté l’épée du capitaine et lui trancha la tête. Hurlant triomphalement, il poussa le corps décapité qui tenait encore debout et s’avança. Derrière lui, d’autres Skaramor se hissaient sur le parapet.
Des cris en l’honneur de Sigmar, de Grimnir et de la Dame du Lac retentirent sur les murailles, mais l’ennemi était trop nombreux. C’était désormais aux Nordiques de faire un carnage, car bien peu d’humains pouvaient les égaler au combat. Seuls les Tueurs Nains et les Chevaliers de Jerrod parvenaient à leur tenir tête, toutefois ils devaient céder du terrain. Un flot de Skaramor se déversait sur les remparts, si bien que Jerrod fut obligé de sonner la retraite.
Ungrim et l’Empereur étaient déjà au courant de la situation : depuis plusieurs minutes, des défenseurs refluaient pour échapper au massacre. C’étaient des paysans de Bretonnie et des miliciens de l’Empire qui jusqu’alors avaient combattu bravement, mais dont les nerfs avaient fini par lâcher. Aucun Nain ne se trouvait parmi eux; ils moururent sans tourner le dos à l’ennemi.
L’Empereur ordonna à Griffe Mortelle de s’envoler afin d’estimer la gravité de la situation. Il aperçut les hommes de Jerrod qui descendaient précipitamment des murailles vers la Plenzerplatz. Il comprit qu’aucun renfort ne serait en mesure d’endiguer la situation, et de toute façon il n’avait pas de réserves. Puis soudain, une explosion de lumière noire au niveau de la porte lui fit comprendre que la cité était perdue…
Archaon mena Dorghar vers la porte nord sans se soucier des tirs qui sifflaient autour de lui et qui ricochaient sur son armure. L’heure du dénouement de sa destinée approchait, et aucun projectile de paysan ne pourrait l’empêcher.
Il était suivi par les Épées du Chaos. Devant lui, les immenses battants des portes l’attendaient. Ils étaient fendus et griffés, si bien qu’on pouvait apercevoir leurs renforts en acier en de nombreux endroits. L’Élu des Dieux gronda de surprise. Il n’aurait jamais cru que les portes résistent si longtemps face aux créatures qu’il avait déchaînées contre elles. Les battants tenaient encore sur leurs gonds envers et contre tout, tandis que leurs assaillants avaient été réduits en piles de chairs sanglantes et d’os brisés. |
« Viens à moi, U’zuhl ! tonna l’Élu des Dieux en brandissant la Tueuse de Rois. « Accorde-moi ta force ! »
Immédiatement, une lumière noire parcourut la lame et Archaon sentit la fusée de l’arme se refroidir. Le Démon qui l’habitait avait obéi, pour cette fois tout au moins. Archaon abattit la Tueuse de Rois sans hésiter. La pointe de l’arme frappa la porte. Il y eut un éclair aveuglant et froid puis une explosion assourdissante arracha le battant de ses gonds et l’expulsa à plusieurs dizaines de mètres dans l’avenue qui s’étirait derrière. Archaon sourit sous son heaume à trois yeux. La cité d’Averheim était à lui. Karl Franz n’allait pas tarder à tomber sous ses coups. |
Pendant que l’Empereur rassemblait ses derniers chevaliers pour aller protéger les troupes qui battaient en retraite depuis le nord, les défenseurs du mur ouest se retiraient en bon ordre dans les rues d’Averheim. À chaque carrefour, des capitaines et des Thanes ordonnaient à leurs guerriers et s’arrêter et de repousser leurs poursuivants avec des volées disciplinées. C’était une retraite éprouvante et lente, mais les soldats ne paniquèrent pas en dépit des horreurs qui se ruaient sur eux.
En revanche, aucune retraite ne fut mise en place à l’est, car les Skaramor étaient arrivés trop vite et avaient coupé les troupes d’Ungrim du reste de la ville. Estimant que les rues en feu n’étaient pas un endroit digne pour mourir, le Roi Tueur avait rallié ses Nains autour des plus grandes tours des murailles. Des langues de flammes indiquaient le lieu où Ungrim dirigeait son dernier carré. Les chants de mort des Tueurs étaient portés par le vent partout dans la ville. Les fils de Karak Kadrin seraient désormais seuls pour faire face aux horreurs qui allaient apparaître sur le mur est.
Au sud, le Forge-runes Gotri Hammerson vit la horde démente submerger les positions d’Ungrim. Il commanda aux Nains de Zhufbar d’abandonner leurs défenses, qui seraient de toute façon bientôt submergées, et se précipita le long des remparts. Il était décidé à ce que l’acier de Zhufbar vienne en aide au feu de Karak Kadrin.
Des colonnes de flammes rouges jaillirent dans les quartiers situés au nord d’Averheim tandis que les envahisseurs Nordiques brûlaient, tuaient et pillaient sur leur passage. Des hurlements de terreur et de souffrance retentirent au milieu de la pluie battante alors que les défenseurs en fuite étaient débusqués et exécutés impitoyablement. Les haches tranchaient les têtes, qui formaient ensuite des piles macabres au milieu des ruines. Puis les Nordiques reprirent leur route à la recherche de nouvelles victimes.
La Steilstrasse, qui était la route principale entre la porte nord et la Plenzerplatz, restait dégagée, mais seulement parce qu’il s’agissait de l’itinéraire emprunté par l’Empereur et le Duc Jerrod. L’infanterie descendait l’avenue à marche forcée vers la Plenzerplatz et la sécurité relative de l’Averburg, tandis que les chevaliers de l’Empire et de Bretonnie protégeaient leurs arrières. Ils contre-attaquaient sans cesse pour ralentir les Nordiques, et jusqu’à présent, ils avaient réussi à tenir la horde en respect grâce à leurs lances et aux éclairs de l’Empereur. Néanmoins, chaque charge leur coûtait cher, car des chevaliers étaient jetés au sol et taillés en pièces. Jerrod fut désarçonné à deux reprises, et ne dut son salut qu’au sacrifice de son vieil ami Taurin l’Errant, puis à la fureur de Griffe Mortelle, dont les griffes lacérèrent une bande de chevaliers aux heaumes funestes. Peu à peu, le groupe se rapprochait de la Plenzerplatz, en sachant qu’il ne devait pas céder à la panique sous peine d’être massacré.
Plus au sud, des officiers aboyaient des ordres pour mettre en formation les troupes qui investissaient la Plenzerplatz. Derrière eux, une chaussée étroite menait vers l’Averburg, dont les portes étaient ouvertes pour accueillir les défenseurs. Les premiers régiments se dirigeaient vers elles lorsqu’une ombre immense passa au-dessus de la place puis vint se poser sur le monument en forme de pilier de crânes, érigé des décennies plus tôt en commémoration de la victoire contre Gorbad Griff’eud’Fer. Les arquebuses tonnèrent et les flèches sifflèrent tandis que les troupes tentaient d’abattre le monstre. Ka’Bandha émit un rire tonitruant alors que les projectiles rebondissaient contre son cuir épais, puis il se lança dans une incantation grondante dans une langue impie. Un sang noir se mit à couler de son corps et à dégouliner sur le pilier de crânes. Le liquide remplissait les orbites et les os creux avant de former une flaque épaisse au pied du monument.
Les soldats redoublèrent d’efforts. Malgré l’affolement, certains notèrent qu’il y avait bien trop de sang pour qu’il jaillisse simplement des veines du Démon. Ka’Bandha poursuivait son rituel, et peu à peu la flaque de sang s’étendit sur la place et vint lécher les chaussures des soldats.
Les premiers cris de terreur montèrent quelques secondes plus tard, lorsque des bras noueux émergèrent du sang et s’agrippèrent aux jambes des soldats. Ceux-ci tombèrent à la renverse et s’enfoncèrent dans le liquide carmin, alors que la flaque n’aurait dû être profonde que de quelques centimètres à peine. La panique se propagea comme les miliciens reculaient en désordre. Un Prêtre-Guerrier s’avança en récitant des prières avec ferveur, et força les soldats à faire face en les repoussant avec le manche de son marteau. Mais tandis qu’il exhortait les hommes à combattre, un Démon cornu et voûté jaillit de la mare de sang à proximité. Il bondit vers le Prêtre-Guerrier et le décapita d’un seul coup d’épée avant de chercher une autre victime. Le cadavre du prêtre tomba dans le sang en éclaboussant les alentours. Au même moment, des centaines de Démons similaires aux premiers apparurent. Prononçant une ultime syllabe, Ka’Bandha étendit ses grandes ailes membraneuses et se joignit au carnage.
Il était impossible d’enrayer la déroute sur la Plenzerplatz. Les hommes de l’Empire avaient tout donné lors du siège d’Averheim. Ils avaient fait face aux feux démoniaques et affronté des guerriers qui ne craignaient pas la mort. Toutefois, l’apparition de Démons au cœur de la ville avait finalement eu raison de leur volonté. Seuls les Nains tenaient leurs positions en formant à la hâte un mur de boucliers. Des miliciens dépenaillés les dépassaient, poursuivis par des Sanguinaires hurlant de rage. Ils s’enfuirent vers la chaussée menant à l’Averburg, et les Nains se retrouvèrent seuls au milieu d’une marée démoniaque. Pendant quelques minutes, les haches fauchèrent les corps écarlates et les coups de pistolets claquèrent sur la Plenzerplatz, jusqu’à ce que finalement le mur de boucliers cède sous la pression insupportable des hordes de Démons.
En dépit de ce coup du sort, l’Averburg aurait peut-être pu tenir, malheureusement, ses portes étaient ouvertes afin d’accueillir la retraite des défenseurs, et elles ne se refermèrent pas assez rapidement. Ka’Bandha bondit entre les battants et les retint avec ses immenses bras. Pendant huit fois huit battements de cœur, la force du Démon se mesura au mécanisme de fermeture à vapeur de facture naine. À chaque seconde, des dizaines de Sanguinaires se précipitaient à travers l’ouverture dans la cour intérieure de l’Averburg. La mitraille des Feu d’Enfer les accueillit et mit en charpie les premiers groupes, mais il en venait toujours plus, et ils massacrèrent les servants des machines de guerre avant qu’ils puissent recharger. Finalement, des grincements de métal torturés signalèrent la destruction du mécanisme de fermeture des portes. Poussant un rugissement, Ka’Bandha passa sous le linteau décoré de l’effigie de Siggurd et pénétra dans l’ultime forteresse de l’Empire. Lorsque les chevaliers de l’Empereur atteignirent la Plenzerplatz, elle était jonchée de cadavres. La mare de sang bouillonnait autour du pilier de crânes. Les murs de l’Averburg dégoulinaient de sang, et les hurlements de la garnison retentissaient. La forteresse n’était plus un refuge, mais un abattoir.
Jerrod vit la dévastation qui régnait sur la Plenzerplatz et jura entre ses dents. Averheim était à feu et à sang. La défaite était arrivée si brutalement !
Jerrod se tourna sur sa selle et vit Griffe Mortelle se poser près de lui. Le visage de Karl Franz affichait une mine grave. Averheim avait été sa ville, et l’ultime bastion de son peuple. « Vos chevaliers se sont battus comme des lions, » dit l’Empereur. “Sans eux, jamais nous n’aurions résisté aussi longtemps. - Certes, mais cela n’a pas servi à grand-chose… - Chaque jour de résistance a compté comme une victoire, » le corrigea l’Empereur. « Et nous n’avons pas encore dit notre dernier mot. » Il pointa le doigt vers la Steilstrasse, où des bannières noires et un heaume doré étaient visibles à travers la fumée. |
« À la tête de cette horde chevauche celui qu’ils nomment l’Élu des Dieux, l’émissaire des frères sombres sur cette terre. Si nous le tuons, nous pourrons au moins contrecarrer leurs plans pour un temps. Et dans tous les cas, notre mort entrera dans les légendes. » Il fit une pause. « Et nos chances seraient meilleures avec de preux chevaliers à nos côtés. Peut-être votre Dame daignera-t-elle bénir notre cause ?
- La bénédiction de Sigmar ne suffit-elle donc pas ? » ironisa Jerrod, l’esprit combatif ravivé par les paroles de l’Empereur. « Certes, il nous accompagnera, mais en ces heures sombres, j’accueille volontiers l’aide de toute divinité.’’ Aucun d’eux n’ajouta rien pendant un moment. Les bannières noires se rapprochaient inexorablement. « Une dernière charge ? » proposa finalement Jerrod. « Une dernière charge, » acquiesça l’Empereur. « Une charge dont ils se souviendront. » |
Une Dernière Charge[modifier]
Les Élus de la Dame[modifier]
Les chevaliers de l’Empereur ne se rendent pas seuls au combat. Les fils de Bretonnie encore en vie ont juré de défendre le royaume de leurs anciens rivaux, et ils ne comptent pas faillir dans leur devoir, même face à une mort certaine.
Jerrod, le Duc sans Terre
Même si à l’époque, Jerrod ne le savait pas, il a participé aux premières batailles de la Fin des Temps, lorsque la Bretonnie fut plongée dans la guerre civile. Depuis, l’ancien Duc de Quenelles a livré d’innombrables combats, y compris au nom de l’Empire qu’il considérait jadis comme un ennemi. La Bretonnie étant ravagée par les épidémies, et son roi étant mort depuis longtemps, Jerrod ne continue le combat que parce qu’il estime qu’il doit accomplir son devoir. Il ne lui reste plus que sa foi envers la Dame du Lac, toutefois elle est suffisamment forte pour lui permettre d’affronter la horde d’Archaon sans faillir.
Les Compagnons de Quenelles
Les Chevaliers qui combattent aux côtés de Jerrod sont ceux qui le suivent sur tous les champs de bataille depuis les premiers jours de la guerre civile en Bretonnie, et qui ont survécu à tous les dangers. Gioffre d’Anglaron est mort sous les coups de la hache de Krell à La Maisontaal, Raynor et Hernald ont péri au cours des affrontements désespérés d’Altdorf. Il ne reste qu’une trentaine de Chevaliers sur une compagnie qui en dénombrait autrefois des centaines. Néanmoins, ces survivants sont la crème de la chevalerie bretonnienne. Ils suivent leur devoir et leur foi en la Dame du Lac, et se dressent face au mal, même s’ils doivent pour cela prendre la défense de l’Empire.
La Roture
Les Chevaliers de Jerrod se battent pour l’honneur et par sens du devoir, mais les paysans qui les ont suivis jusqu’à Averheim ne sont préoccupés que par leur survie. Ils sont encore plus dépenaillés que d’ordinaire, et arborent diverses héraldiques originaires de toutes les anciennes provinces de Bretonnie. La plupart ont perdu leur suzerain, mais ont jugé qu’ils avaient plus de chances de survivre en suivant Jerrod plutôt qu’en s’aventurant seuls dans les terres grouillantes d’Hommes-Bêtes. Bien des serviteurs du Chaos ont sous-estimé ces paysans, en les jugeant simplement faibles et couards, et en oubliant que ces hommes sont poussés par la force du désespoir, et que celle-ci leur a permis jusqu’à présent de s’en sortir face aux pires dangers.
Les Élus de la Dame | ||
Le Duc Jerrod Charise des Étoiles Scintillantes Les Étoiles de l’Aube |
Les Compagnons de Quenelles La Roture |
Le Throng du Destin[modifier]
Alors que l’Empereur mène son ultime charge contre les forces du Chaos, les Nains résistent encore sur le mur est. Ils ont choisi le lieu de leur dernier carré, et se battront jusqu’au dernier sans faillir, car c’est le serment qu’ils ont prêté devant leur roi et leurs compagnons.
Ungrim Poing de Fer
La couronne de Karak Kadrin est lourde à porter pour Ungrim, car elle lui rappelle sans cesse ses échecs passés. Chaque jour, le Roi Tueur sent grandir le besoin d’accomplir son serment de Tueur, car seule une mort glorieuse pourra restaurer son honneur et celui de sa lignée. Ce fatalisme exacerbé n’est pas passé inaperçu auprès des autres Nains d’Averheim. Lors de l’assaut d’Archaon, certains se sont plutôt tournés vers le Forge-runes Gotri Hammerson pour les guider plutôt que vers Ungrim Poing de Fer. Néanmoins, ils ne sont pas majoritaires, car les royaumes nains ont subi tant de désastres que désormais, les Tueurs sont plus nombreux que tous les autres Nains au sein du Throng.
Gotri Hammerson
Peu de Forge-runes de Zhufbar ont réchappé de la destruction de leur forteresse. Gotri Hammerson est le plus âgé de ces survivants. Comme Ungrim, il est déterminé à ce que les Nains et les hommes meurent ensemble en affrontant le Chaos, et il a ressenti de la honte en voyant que la plupart de ses pairs n’étaient pas de son avis. Malgré tout, il a rallié à lui les Nains de Zhufbar prêts à le suivre et a rejoint la garnison d’Averheim.
Les Fils du Kazakrendum
Les Tueurs étaient un spectacle répandu à Averheim a cours des jours qui ont précédé sa chute. Ils croient qu’Ungrim n’est autre que la réincarnation de Grimnir, et sont convaincus qu’il va les mener à une mort honorable. D’ailleurs, beaucoup ont déjà péri glorieusement, tandis que les survivants sont convaincus que leur rédemption approche. Pour tous les Tueurs, ces jours derniers sont le Kazakrendum, les Jours Guerriers de la Fin du Monde, et ils comptent bien affronter la mort une hache dans la main et une chope de bière dans l’autre (de préférence de Bugman’s XXXXXX).
Le Throng du Destin | ||
LE THRONG DE L’INCARNATION DU FEU
Greki le Fou Les Fils du Kazakrendum |
LES ZHUFBARAK
Les Porteurs du Feu de Zhufbar La Holzengard L’Escadron du Lac Noir |
La Ruée des Berserks[modifier]
Au cours de son attaque contre Averheim, Archaon envoya les hordes de Khorne. Les enfants de Nurgle avaient échoué à détruire Altdorf, les disciples de Vilitch pilonné les murs d’Averheim sans résultat, et la plupart des serviteurs de Slaanesh se trouvaient à l’est et menaient leur propre guerre.
Archaon, l’Élu des Dieux, le Roi aux Trois Yeux, le Seigneur de la Fin des Temps
Archaon a juré de précipiter la Fin des Temps, mais il poursuit avant tout une cause personnelle. Il déteste l’Empire depuis bien longtemps, car il estime que ses fondations reposent sur une croyance envers un faux dieu. Ainsi, il cherche depuis des décennies à mettre à bas le royaume de Sigmar, et à prouver une bonne fois pour toutes les mensonges sur lequel il est bâti. C’est devenu chez lui une obsession, et il se moque des actes de destruction apocalyptiques qu’il sera forcé de déclencher sur Averheim tombe. En réalité, l’orgueil de l’Élu des Dieux est tel qu’il suscite même l’admiration de Slaanesh.
Skarr Bloodwrath
Cet archétype du champion de Khorne ne vit que pour récolter des crânes au nom de son maître. Il n’a aucun sens de la stratégie, et ne souhaite rien à part enfoncer sa hache dans le corps de ses ennemis, et voir leur sang gicler sur son armure. Skarr est déjà mort de nombreuses fois, mais à chaque fois Khorne l’a ressuscité avant que son corps ait le temps de refroidir. La rage de Skarr est telle qu’aucun seigneur de guerre en dehors d’Archaon n’a la moindre chance de le contrôler. En revanche, même l’esprit embrumé par la soif de sang de Skarr peut sentir la gloire qui émane d’Archaon; si bien qu’il s’est agenouillé - avec réticence - devant lui.
Valkia la Sanglante
La Reine du Sang n’espère rien moins que devenir l’épouse consort de Khorne. Dans son esprit, chaque crâne qu’elle moissonne est une part infime de l’offrande qu’elle voue au Dieu du Sang. À l’instar de Ka’Bandha, elle a vu dans la quête d’Archaon l’occasion de gagner les faveurs de Khorne, bien qu’elle déteste le Buveur de Sang et même tous les Skaramor. À ses yeux, ce ne sont que des brutes stupides indignes des dons de Khorne, car leur dévotion n’est dictée que par leur égoïsme, alors que pour sa part, elle désire sincèrement plaire à son belliqueux seigneur.
Les Épées du Chaos
Ces survivants de la bande de guerre originelle d’Archaon sont devenus des légendes dans le nord. Étrangement, les Épées du Chaos ne cherchent par les faveurs des dieux, car ils combattent uniquement pour la gloire d’Archaon. Et en échange, ils bénéficiaient des récompenses accordées à leur maître. En effet, plus Archaon s’élevait, plus les Épées du Chaos gagnaient en puissance. Néanmoins, une telle loyauté a un prix. Au fil du temps, la personnalité d’Archaon a fini par les envahir, si bien qu’au cours du siège d’Averheim, tous ces guerriers à l’exception des plus charismatiques ne sont plus que de simples extensions de la volonté de fer de l’Élu des Dieux.
La Rage des Crânes
Les plus vieilles chroniques impériales parlent d’une bande de guerre qui portait ce même nom, et dont les heaumes étaient coiffés de la rune de Khorne en forme de crâne stylisé. Les légendes racontent que les guerriers de la Rage des Crânes combattirent pour Morkar, le premier Élu des Dieux, et elles disent vrai. En effet, depuis des siècles, ces chevaliers sanguinaires ont perpétué le combat de Morkar, en refusant de prêter allégeance à quiconque. Seule la venue d’Archaon a poussé ces combattants à se rallier aux armées du Chaos, car ils ont compris que le treizième Élu des Dieux leur apporterait la gloire.
Les Verseurs de Sang
Des milliers de Faucheurs de Crânes se précipitent contre les murs d’Averheim, guidés par une ferveur fanatique envers Khorne. Les Verseurs de Sang forment l’essentiel de ces guerriers d’élite. Ce sont des vétérans de la guerre menée par Valkia à Naggaroth. Ils y ont affronté des furies assoiffées de sang, des Exécuteurs d’Har Ganeth aux draichs effilés. Aucun mur n’a pu sauver les Naggarothi, si bien que les Verseurs de Sang ne craignent pas ceux d’Averheim.
La Ruée des Berserks | ||
Archaon, l’Élu des Dieux Les Épées du Chaos Skarr Bloowrath Valkia la Sanglante Scyla Anfingrimm Les Verseurs de Sang La Marée Rouge |
La Rage des Crânes Les Épées du Massacre Les Hérauts de la Fin des Temps Les Haches de Khorne L’Ost du Destin Les Épées Sanglantes |
La Garde du Massacre La Traînée de Sang Les Colériques Les Fils de Karamox Brokk Valgrokk |
Aucun cor ne sonna la dernière charge de l’Empereur. Seule une prière fut chantée sous les couleurs glorieuses de l’Étendard Impérial, afin que Sigmar et la Dame du Lac daignent accorder leur aide à leurs serviteurs lors de leur ultime sacrifice. Et cela sembla être le cas, car chaque cavalier qui chevauchait auprès de l’Empereur ce jour-là fut investi d’une parcelle de la puissance de Sigmar. Et tandis que les chevaliers de Jerrod éperonnaient leurs montures, une silhouette fantomatique apparut dans les cieux maussade, et écarta les bras en signe de protection pour les preux guerriers de Bretonnie. Puis la prière fut étouffée par le tonnerre des sabots sur les pavés. Les lances de cavalerie s’abaissèrent, les épées furent tirées, et la tuerie commença.
Au moment où ils atteignirent l’extrémité de la Steilstrasse, les Skaramor ne formaient plus qu’une horde indisciplinée. Ils étaient ivres de carnage, et recouverts du sang de leurs précédentes victimes. Ils ne se doutaient pas qu’ils allaient se heurter à une dernière poche de résistance au cœur des ruines d’Averheim. Cette arrogance aveugle leur coûta cher.
Les premières bandes de guerre rencontrèrent leur destin à la jonction de la Steilstrasse et de la Plenzerplatz. Les Nordiques n’étaient pas prêts à recevoir la charge et se débandèrent dès que les premières lances empalèrent les guerriers de tête. Les épées fendaient leurs casques coniques et les crânes qu’ils protégeaient. Les survivants reculèrent précipitamment. Les moignons des bras et des jambes tranchés inondaient la rue sous des geysers de sang.
Le sol trembla lorsqu’un champion nordique monté sur une créature de bronze et de feu démoniaque se rua à la rencontre des chevaliers. Sa hache runique s’abattit. Elle décapita un guerrier de la Reiksguard, puis en désarçonna brutalement un autre. Il y eut un cri perçant et le champion des Dieux Sombres disparut sous une montagne de plumes. Le marteau de l’Empereur frappa le séide du Chaos en pleine tête. Au même instant, Griffe Mortelle mettait le Juggernaut en pièces, en projetant en tous sens des bouts de métal imprégnés d’ichor.
Les chevaliers impériaux poursuivirent sur leur lancée en direction de la bannière d’Archaon. Ils ne tentaient pas de massacrer tous ceux qui fuyaient devant leur charge. Il leur suffisait de repousser la nuée de Skaramor et de mettre à profit leur élan pour atteindre leur cible. S’ils avaient ralenti, ou pire, s’ils s’étaient arrêtés, ils auraient été submergés en quelques secondes. De plus, l'achèvement des blessés et des fuyards était entre de bonnes mains.
En effet, les quelques régiments d’infanterie encore présents aux côtés de l’Empereur s’étaient élancés à sa suite. Ces soldats étaient pour la plupart des vétérans de l’assaut contre le campement de Vilitch, et le souvenir de leur victoire improbable dans les ruines de Bolgen leur donnait des ailes. Les Nordiques qui avaient eu la chance de survivre à la charge des chevaliers se retrouvèrent donc assaillis pour la seconde fois en quelques secondes.
Les Joueurs d’Épée fourrageaient les armures des barbares. Le sang coula à flots et l’avenue fut enfin dégagée. Les soldats de l’Empire, qui venaient de remporter leur première victoire depuis des jours, continuèrent sur leur lancée à travers la pluie battante pour se couvrir de gloire.
Jerrod perdit le décompte des vies qu’il prit lors de ces minutes fatidiques. Quel que fût le nombre de bandes de Nordiques exterminées lors de cette charge, il y en avait toujours une autre qui se trouvait entre les chevaliers et leur proie. Pour couronner le tout, plus ils s’enfonçaient loin dans la Steilstrasse, plus ils dépassaient des rues perpendiculaires d’où des renforts ennemis pouvaient jaillir pour attaquer leurs flancs. Et effectivement, des flots de barbares déchaînés déboulaient sans cesse des rues proches du grand boulevard d’Averheim.
Non loin sur sa droite, Jerrod vit un énorme Enfant du Chaos hérissé de tentacules et de crocs sortir par une de ces ruelles. Heureusement, le monstre était trop lent, et il fut une proie facile pour les nombreuses lances de cavalerie qui s’enfoncèrent dans son flanc. Au même instant, de la fumée et un cri de guerre sauvage s’élevèrent d’une avenue à gauche de Jerrod.Des cavaliers en armures rouges jaillirent de la rue. Leur élan et le poids de leurs Juggernauts suffirent à désarçonner plusieurs Bretonniens. Jerrod tira sur ses rênes pour retenir sa monture tout en abattant son épée. La lame bénite brillait d’une lumière blanche. Elle pourfendit un bouclier orné d’une rune funeste, et laissa derrière elle une traînée de flammes tandis que le Duc se fendait pour enfoncer sa pointe dans le cœur de son adversaire. Le guerrier du Chaos beugla une unique fois puis glissa de sa selle. Malgré tout, son énorme Juggernaut continua d’attaquer Jerrod en mugissant sauvagement.
Des détonations retentirent à gauche lorsque les hommes de Matthias Corber intervinrent. Ils ne disposaient pas de lances de cavalerie ou d’épées longues, mais ils avaient chevauché avec les Bretonniens en conservant leurs armes enroulées dans leurs capes afin que la poudre noire ne s’humidifie pas. La première salve de Corber serait aussi sa dernière, car jamais ses hommes ne pourraient recharger leurs armes sous un tel déluge, cependant elle arriva à point nommé.
Une grêle de balles s’abattit sur les Massacreurs de Khorne. Une dizaine de projectiles atteignirent le Juggernaut que Jerrod affrontait. La plupart rebondirent sur l’épaisse peau métallique du monstre, mais certaines pénétrèrent sa cuirasse. Le Juggernaut se cabra. Le sang démoniaque s’écoulait de ses blessures. Il retomba au sol avec une telle force que les pavés se brisèrent. Pris en étau entre la fureur des armes à feu impériales et l’acier des Bretonniens, les autres Massacreurs furent finalement vaincus. Une fois la fumée dissipée, Jerrod éperonna de nouveau son destrier et fonça à travers le rideau de pluie.
Haut dans le ciel, Balthasar Gelt était enfin arrivé à Averheim, et ce qu’il vit lui donna la nausée. La pluie cachait une grande partie de la bataille, mais il était évident que la ville était tombée. Des Nordiques escaladaient les murs et envahissaient les rues. Ils ressemblaient à des nuées de fourmis rouges et noires progressant dans le crépuscule.
Le sorcier guida adroitement Vif Argent à travers le rideau de fumée en cherchant des yeux des survivants, ou le moindre signe de combats. Il ne vit que trop tard le vol de Gargouilles qui se dirigeaient vers lui en hurlant de joie à l’idée d’un repas facile.
L’instinct de Gelt le poussa d’abord à avoir recours aux sorts de Nécromancie qu’il utilisait depuis des mois, mais dans un effort, il repoussa cette tentation et se remémora les sorts d’alchimie qu’il avait manipulés tant d’années durant. Il projeta alors un rayon de lumière dorée droit sur les Démons. Le sort était d’abord hésitant, et le faisceau grésillait sous la pluie battante, mais il gagna en puissance comme Gelt reprenait confiance en lui. Il remarqua alors que Chamon, le vent du Métal, soufflait de plus en plus fort au-dessus d’Averheim. Il ne savait pas pourquoi, et n’avait pas de temps à perdre à chercher une réponse. La lumière dorée crépitait en touchant les Gargouilles. Des dizaines de monstres périrent en un clin d’œil, et les autres s’enfuirent.
Pendant de longues minutes, Gelt ne donna pas d’ordre à Vif Argent, et décrivit silencieusement des cercles dans la pluie et la fumée. Il était hors d’haleine, pourtant il se sentait de nouveau lui-même pour la première fois depuis des mois. Néanmoins, il ressentait toujours cette noirceur au fond de son âme, qui ne demandait qu’à être libérée. Pour l’heure, Gelt sut qu’il avait la force de lui résister. Enfin, il fit signe à Vif Argent de plonger.
Sur le mur est, un grand nombre de Tueurs d’Ungrim trouvèrent la mort qu’ils cherchaient depuis si longtemps. Ils firent preuve de prouesses guerrières que même les Skaramor ne pouvaient égaler. Les Nains combattaient sur les remparts du Magnusspitze. Au début, leur carré faisait dix rangs de profondeur, mais il se réduisait désormais au mieux à trois ou quatre. Des cadavres aux armures rouges jonchaient le parapet. Les Tueurs s’étaient battus comme des héros, particulièrement là où Ungrim Poing de Fer maniait sa hache.
Les Nains résistaient depuis longtemps, mais il semblait que leur fin arrivait. L’instinct de Scyla Anfingrimm l’avait mené vers le Magnusspitze, et il était accompagné par les plus terribles bouchers de la horde d’Archaon. Ces guerriers maniant des haches étaient mi-hommes, mi-bêtes, des mutants énormes qui cherchaient à apaiser leurs souffrances dans les cris d’agonie de leurs victimes. Ils étaient désormais dédaignés par les Dieux Sombres, et se dirigeaient inéluctablement vers la transformation en Enfants du Chaos. D’ailleurs, ceux-ci étaient également nombreux. Ils bondissaient, rampaient, se traînaient sur les pavés d’Averheim en suivant instinctivement Scyla.Alors que les Skaramor n’avaient pas réussi à dépasser les escaliers du Magnusspitze, il s’avéra impossible de repousser l’ost dément de Scyla, car les horreurs se hissèrent le long des flancs de la tour avec leurs tentacules et leurs griffes. Les Fils de Kazakrendum se mirent dos à dos et entonnèrent leurs chants de mort, qui montèrent en notes mélancoliques alors que la mort approchait inexorablement. Les haches tailladaient la chair corrompue tandis que des griffes longues comme des cimeterres et des gueules béantes hérissées de crocs prenaient la vie des Tueurs Nains.
Ungrim Poing de Fer tenait sa position au sommet de l’escalier du Magnusspitze. Il était harassé, et la Hache de Dargo était ébréchée en plusieurs endroits. Pourtant, il poursuivait le combat, car sa volonté de fer était renforcée par un pouvoir dont il ne comprenait pas vraiment les origines. En effet, la fureur d’Aqshy, le vent du Feu, bouillonnait dans ses veines. Des flammes l’entouraient comme une cape, et carbonisaient les bêtes qui s’approchaient de lui, tout en épargnant les Tueurs qui l’entouraient. À chacun de ses cris de guerre, une langue de flammes jaillissait de sa bouche et dévalait les marches pour engloutir les monstres immondes qui s’y agglutinaient.
Un Géant surgit de la fournaise. Sa chair noircie fumait et se couvrait de cloques. Il utilisait un tronc d’arbre en guise de massue, et l’abattit droit vers le casque du Roi Tueur. Ungrim esquiva le coup, et celui-ci alla pulvériser la pierre du sol au lieu de son crâne. La Hache de Dargo riposta. Le feu dansait le long de son fil. Le Géant fut éventré et tomba face contre terre en rugissant de douleur. Quelques secondes plus tard, il cessa de beugler car un autre coup d’Ungrim lui fendit le crâne.
C’est à ce moment-là que Scyla surgit. Il gravit à quatre pattes les marches du Magnusspitze, et se fraya un chemin à coups d’épaule au milieu des mutants, sans se soucier de ceux qu’il faisait basculer dans le vide lorsqu’il les poussait violemment. Ungrim s’aperçut du danger et tenta de retirer sa hache du crâne du Géant, mais celle-ci était bloquée entre les os brisés.
Scyla atterrit sur le dos du Roi Tueur une seconde plus tard. Les flammes dévoraient le pelage de ses bras, mais l’Enfant du Chaos semblait insensible à la douleur. Il frappa sauvagement Ungrim au visage. Le poing massif tordit le nasal d’Ungrim et pulvérisa son nez épaté. L’autre main agrippa la cape en peau de dragon qui pendait des épaules du Nain. Ce dernier fut soulevé de terre et lâcha involontairement la Hache de Dargo. À plusieurs reprises, Scyla se servit du Roi Tueur comme d’un fléau improvisé pour disperser les Tueurs aux alentours. Lorsqu’Ungrim fut abattu de cette manière pour la troisième fois, il parvint à saisir une hache runique tombée au sol. Alors que Scyla se préparait à le faire voler une quatrième fois, le Roi Tueur frappa.
L’arme laissa une traînée de flammes derrière elle. Ungrim visait Scyla au front, mais ses mouvements chaotiques l’empêchaient de frapper avec précision. Néanmoins, le hurlement de douleur de Scyla résonna au-dessus du Magnusspitze lorsque la hache s’enfonça dans l’arcade sourcilière. Le fer disloqua l’os et mutila l’œil droit du monstre. Scyla lâcha instinctivement Ungrim et porta la main à sa blessure.
Le Roi Tueur rebondit plusieurs fois avant de s’immobiliser près du cadavre du Géant qu’il avait tué. À moitié aveugle et submergé par la rage, Scyla bondit une fois de plus vers sa proie. Ungrim arracha la hache fumante de la dépouille du Géant, et alors qu’un énorme poing allait lui arracher la tête, le Nain esquiva l’attaque et riposta vigoureusement, en touchant la créature au ventre. Un sang épais jaillit de la blessure et recouvrit en partie le Roi Tueur. Scyla poussa un autre hurlement de souffrance. Ses pieds dérapèrent sur le sol en pierre maculé de sang, sans qu’il parvienne à stopper dans son élan. L’Enfant du Chaos heurta le parapet du Magnusspitze dans un bruit écœurant, puis tomba par-dessus bord et disparut dans l’abîme voilé de fumée.
Ungrim ne savait pas si l’Enfant du Chaos avait survécu à cette chute vertigineuse, cependant il constatait que le flot de monstruosités se tarissait. Il en profita pour regarder vers l’est à travers le brouillard et la pluie, et comprit pourquoi. En dépit de la visibilité réduite, il distinguait des rangs de guerriers en armures de Gromril qui avançaient le long des remparts. Il percevait le tonnerre des canons Dracs de Fer et le bourdonnement de plusieurs Gyrocoptères. Les Zhufbarak arrivaient. Il semblait qu’Ungrim allait encore devoir attendre avant d’accomplir son serment de Tueur.
De l’autre côté de la ville, le contingent de l’Empereur avait perdu une partie de son élan, toutefois il était près d’atteindre son but. Plus de la moitié des Chevaliers avaient survécu et suivaient encore l’Étendard Impérial. Les autres étaient morts, ou étaient restés en arrière pour repousser les Skaramor qui se déversaient par les rues situées de part et d’autre de la Steilstrasse. Leurs épées étaient émoussées et ils étaient exténués, pourtant pas un d’entre eux n’envisageait d’abandonner le combat.
Le bras de Jerrod était lourd. Son crâne lui faisait souffrir le martyre, et tout son corps était engourdi par la fatigue. Malgré tout, ses coups restaient sauvages et déterminés. Le Duc était abasourdi de voir que Karl Franz ne semblait pas éprouver de la fatigue, si bien qu’il se mit à prier pour que le pouvoir qui habitait l’Empereur ne se tarisse pas avant que la bataille fût terminée et Archaon tué.
Devant Jerrod, Ludwig Schwarzhelm ne ressentait pas lui non plus la moindre lassitude, cependant il ne savait pas s’il tirait son énergie du désespoir ou s’il jouissait lui aussi de la bénédiction de Sigmar. Une lance barbelée fila vers son abdomen, toutefois il la dévia avec la hampe de l’Étendard Impérial, puis contre-attaqua avec l’Épée de Justice et trancha la gorge de son assaillant. À travers le rideau de pluie, il pouvait voir des chevaliers en armures noires attendre autour de leur roi au heaume doré, et se demanda pourquoi ils n’agissaient pas.
D’autres Nordiques se ruèrent dans la mêlée. Leurs haches désarçonnèrent deux chevaliers de la Reiksguard. Pendant un instant, Schwarzhelm se retrouva isolé au milieu d’un groupe d’ennemi. Son épée frappait furieusement des boucliers aux décorations ignobles. Une pointe de lance l’atteignit à l’épaule. Elle transperça l’épaulière et s’enfonça dans sa chair. Le champion de l’Empereur réprima un cri de douleur et passa sa propre lame dans la visière de son adversaire. Celui-ci poussa un rugissement de souffrance avant de glisser sans vie sur les pavés.
Un concert de piaulements se fit entendre lorsque les Chevaliers Griffons déboulèrent à la hauteur de Schwarzhelm et laissaient leurs montures se déchaîner contre les Nordiques. Quelques instants plus tard, l’Empereur en personne arriva. Ses éclairs foudroyèrent les rangs serrés des barbares. Jamais Schwarzhelm ne s’était senti aussi inutile en tant que garde du corps. La transformation de l’Empereur dans les ruines d’Altdorf lui avait conféré une force et une détermination extraordinaires. Est-ce à cause de cela que l’Élu des Dieux ne s’est pas joint à la bataille ? se demanda-t-il. Est-ce que Karl Franz est devenu si redoutable que même le Seigneur de la Fin des Temps craint de l’affronter avant de l’avoir affaibli ? Si cela était bel et bien le cas, alors l’Élu des Dieux avait assez attendu, car un cor sonna et les Épées du Chaos talonnèrent leurs montures.La charge des Chevaliers du Chaos avait la force d’un météore. Leur impact envoya rouler au sol les cadavres de guerriers de la Reiksguard et de Chevaliers Griffons. Archaon chevauchait au premier rang. Sa lame scintillait tandis qu’elle tranchait aussi bien les armures que les chairs. Au même moment, des hurlements déments résonnèrent dans les rues perpendiculaires. Des Skaramor envahirent la Steilstrasse en plus grand nombre que jamais. Schwarzhelm comprit que l’Élu des Dieux ne cherchait pas à affaiblir Karl Franz, mais qu’il attendait simplement des renforts pour écraser ses adversaires. En dépit de ce revers de fortune, le champion de l’Empereur ne se découragea pas, bien au contraire. Le comportement de l’Élu des Dieux prouvait qu’il craignait encore une éventuelle défaite, donc tout n’était pas perdu.
Les chances de victoire des défenseurs avaient été minces dès le départ, et elles s’étiolaient davantage à chaque seconde. Même au mieux de leur forme, il aurait fallu au moins trois chevaliers de la Reiksguard pour tenir tête à un seul chevalier d’Archaon, et les soldats de l’Empire étaient épuisés. La charge des Épées du Chaos avait privé les guerriers de l’Empereur de leur élan. Ce qui aurait dû être un fer de lance vengeur pointé vers la tête d’Archaon se muait inexorablement en un groupe d’humains désespérés et cernés de toutes parts.
Skarr Bloodwrath menait la charge au nord de la Steilstrasse. Il avait déjà amassé de nombreux crânes au nom de Khorne, mais il lui en fallait toujours plus. Il allait avoir l’occasion de prouver sa valeur, car il tomba sur les chevaliers de Jerrod. La hache du champion du Dieu du Sang découpait les preux de Bretonnie en quartiers de chair sanguinolents tandis que les Skaramor dépassaient leur seigneur à la recherche d’autres proies encore vivantes sur la Steilstrasse et ses environs.
Jerrod vit ses frères tomber et se rua en direction de leur assassin aux côtés de Bretonniens et de chevaliers de la Reiksguard, qui abaissèrent leurs lances. La distance était trop courte et les pavés trop glissants à cause de la pluie et du sang pour que les coursiers puissent parvenir au triple galop, cependant, la force de l’attaque fut dévastatrice. Les lances de cavalerie perforèrent les cuirasses. Les crânes furent fracassés par les épées en acier bénit, et les Skaramor furent piétinés sous les sabots des pur-sang. Jerrod frappa vers la tête de Skarr. La lame de son épée était telle une flamme argentée dans la lueur du crépuscule. Elle fut déviée au dernier instant par le manche de la hache du champion de Khorne, puis l’élan de Jerrod l’emmena loin de son adversaire.
Skarr eut un rire tonitruant en entendant le Duc le maudire, puis il se rua de nouveau sur les Chevaliers de Bretonnie. Le métal démoniaque décrivait de grands arcs, et changeait brutalement de direction lorsque le champion tirait vivement sur les chaînes. Une des haches atteignit un chevalier au cou. Elle trancha le gorgerin et l’épine dorsale, envoyant la tête décapitée rouler au sol. La chaîne de l’autre hache s’enroula autour d’une lance de cavalerie et du bras de son porteur. Avant que le chevalier puisse se libérer, Skarr tira brutalement sur la chaîne. Sa victime fut désarçonnée et tomba aux pieds du champion de Khorne. Avant que le chevalier puisse se relever ou esquiver, la première hache de Skarr revint dans la main de son maître, qui l’abattit prestement pour trancher la tête du Bretonnien.
Skarr beugla d’une joie cruelle et hurla une prière au Dieu du Sang. Son cri se termina dans un bruit étranglé lorsque Jerrod arriva derrière lui et abattit son épée sur son épaulière. La lame bénite trancha le métal et la chair du champion, et s’enfonça jusque dans sa cage thoracique. Skarr était mort avant d’avoir touché le sol.
Désormais, les routiers de Corber combattaient à côté des chevaliers et payèrent cher leur témérité. Des Massacreurs mettaient en pièces le flanc gauche des Joueurs d’Épée de Carroburg, puis furent à leur tour malmenés par une charge de Chevaliers Griffons menée par Schwarzhelm. Au fil des minutes, le nombre de défenseurs d’Averheim diminuait tandis que des Skaramor arrivaient sans cesse.
Schwarzhelm retournait auprès de l’Empereur lorsque Valkia attaqua : Archaon avait interdit à quiconque de tenter de tuer l’Empereur, cependant les Champions du Chaos avaient d’autres trophées à prendre. Ainsi, Valkia cherchait à s’emparer de l’Étendard Impérial et du crâne de son porteur, afin d’aller les déposer au pied du trône de Khorne. Schwarzhelm faisait volte-face vers la Reine du Sang lorsque Slaupnir fila droit vers ses côtes. Il leva son épée pour parer, toutefois il était éreinté, et la fulgurance de l’assaut de Valkia le prit au dépourvu. La pointe de la lance érafla sa cuirasse et arracha l’extrémité de la hampe de la bannière qu’il tenait.
Feulant de façon menaçante en constatant que son coup avait manqué sa cible, Valkia prit son envol puis retomba sur Schwarzhelm et dirigeant son arme vers son visage. Néanmoins, le champion de l’Empereur se tenait prêt. L’Épée de Justice atteignit le milieu de la hampe de Slaupnir et para le coup. Avec une adresse que bien peu de guerriers de l’Empire auraient pu égaler, Schwarzhelm contre-attaqua sur-le-champ. La pointe de son épée ouvrit le canon d’avant-bras de Valkia et l’entailla jusqu’au coude.
La Reine du Sang piailla et s’envola en ruant sauvagement. Un de ses sabots heurta le casque de Schwarzhelm, et l’autre le désarma en le frappant au poignet. L’Épée de justice tomba au milieu de la mêlée qui opposait les chevaliers de la Reiksguard aux Épées du Chaos. Schwarzhelm se trouva sans défenses face à Valkia.
Celle-ci plongea une fois de plus en tenant fermement son épée à deux mains. L’armure de Schwarzhelm résista à l’impact, cependant il fut désarçonné. Il tomba au sol sans lâcher l’Étendard Impérial. Il roula sur les pavés au milieu des sabots des chevaliers des deux camps qui s’affrontaient implacablement. Finalement, il parvint à planter l’extrémité de la hampe au sol et à se relever, mais un coursier au caparaçon noir le heurta dans le dos et il tomba une fois de plus. Le Chevalier du Chaos ne le remarqua même pas et poursuivit sur sa lancée, l’épée brandie pour fendre le crâne d’un Bretonnien.
Avant que Schwarzhelm puisse se relever, Valkia fut sur lui. Elle poussa un cri sanguinaire en battant des ailes pour passer au-dessus des chevaliers qui se trouvaient entre elle et sa proie. Elle tenait fermement Slaupnir avec son bras valide, et dans ses yeux étincelait une rage avide. Elle savait que le champion de l’Empereur ne lui échapperait pas une troisième fois. Quant à Schwarzhelm, il avait conscience d’être condamné.
Dans un ultime effort, le champion de l’Empereur serra fermement l’Étendard Impérial, et pointa son extrémité fendue à la manière d’une pique. Cette fois, Slaupnir perfora la cuirasse de Schwarzhelm et lui transperça le cœur. Le champion de l’Empereur mourut sur le coup, mais son dernier geste de défi ne fut pas vain. L’élan de Valkia l’emmena droit sur la lance improvisée de Schwarzhelm. La hampe pénétra l’armure de la Reine du Sang et lui brisa l’échine. Pendant un instant, les deux cadavres restèrent enlacés dans une étreinte fatale. Ils formaient un tableau macabre au milieu du chaos des vivants. Finalement, le Juggernaut d’un Massacreur les piétina et ne laissa derrière lui que deux formes ensanglantées et méconnaissables.
Au moment où Schwarzhelm mourait, l’Empereur se retrouva enfin face au Seigneur de la Fin des Temps. Un silence surnaturel tomba sur le champ de bataille lorsque le regard d’Archaon croisa celui de l’Empereur. Le destin sembla planer dans l’air, comme s’il hésitait sur le chemin qu’il allait emprunter. Puis l’Élu des Dieux pointa la Tueuse de Rois vers l’Empereur et l’instant fatidique prit fin.
Archaon ne s’élança pas vers l’Empereur : son geste servit simplement de signal aux chevaliers à ses côtés. Ils abaissèrent les visières de leurs heaumes et s’élancèrent vers Griffe Mortelle. Aucun d’eux n’atteignit l’Empereur. Ceux qui ne furent pas réduits en cendres par ses éclairs périrent sous les griffes de sa monture.
Archaon ne bougea pas d’un pouce tandis que ses chevaliers étaient massacrés. Ce n’est que lorsque ce bref combat fut terminé qu’il hocha silencieusement la tête à l’encontre de l’Empereur. C’était peut-être un salut, ou alors témoignait-il ainsi de son impatience du combat à venir. Ensuite, l’Élu des Dieux rugit un ordre et Dorghar s’élança sur le sol pavé recouvert de sang et d’entrailles.
Le violent combat sur la Steilstrasse tournait lentement au désastre pour l’Empire, en revanche les affrontements sur le Magnusspitze avaient pris une autre tournure pour les défenseurs. Alors que jusqu’alors, les forces d’Ungrim étaient en mauvaise posture, l’arrivée des Zhufbaraks avait permis de rééquilibrer les choses.
Les haches runiques des Tueurs avaient trouvé un nouveau souffle grâce à l’arrivée de Gotri Hammerson, car leur Magie s’éveillait grâce à la proximité du Forge-runes. De plus, les ingénieux mécanismes de tir des armes à poudre noire des Nains n’avaient pas souffert de la pluie, et leurs salves métronomiques aidaient grandement à tenir les Skaramor en respect. Cependant, les guerriers du Chaos continuaient de s’élancer à travers la grêle de plomb sans se soucier des pertes. Même la fureur d’une paire de Canons-Orgues que les Nains avaient tiré sur près de deux kilomètres le long des remparts n’arrivait pas à venir à bout de la fureur des attaquants avides de sang. Par conséquent, c’étaient toujours les haches runiques des Tueurs qui permettaient aux défenseurs de tenir le sommet du Magnusspitze.
Ce fut au-dessus de cette mêlée que Vif Argent emmena son maître. Les Gargouilles survivantes avaient rassemblé leur courage et harcelaient Gelt pendant sa descente. Des dizaines de Démons avaient payé cet acharnement de leur vie, car ils avaient été carbonisés par des éclairs ardents, ou avaient été transmutés en statues qui étaient allées s’écraser au sol des centaines de mètres plus bas. Nonobstant, la faim tenaillait les Gargouilles et fouettait leur audace, si bien que dans leur cerveau minuscule, la perspective du festin qui les attendait si elles menaient leur traque avec succès prévalait sur le danger inhérent à la poursuite du mage doré.Gelt était à moitié aveuglé par la pluie battante et s’accrochait à Vif Argent alors qu’il plongeait vers le sol. La ligne de tireurs Zhufbaraks se rapprochait rapidement. Leurs canons étaient pointés droit sur Gelt. Une compagnie impériale aurait peut-être commis l’erreur de tirer en apercevant ce sorcier qui tombait soudainement des cieux, mais pas les stoïques guerriers de Zhufbar. Une voix grave ordonna aux Arquebusiers de cesser le feu, laissant ainsi le temps à Gelt d’éviter leur zone de tir. Dès l’instant où les sabots de Vif Argent frôlèrent le sommet de la bannière runique des Nains, la voix tonitruante du chef Nain résonna de nouveau, suivie par les détonations de trente arquebuses. Les Gargouilles étaient obnubilées par leur proie et n’eurent pas l’idée de fuir. Les balles sifflèrent dans les airs et les réduisirent en charpie.
Gelt rencontra Ungrim et Hammerson peu de temps après, et ils lui parlèrent des horreurs qui avaient assailli Averheim. Et même si le nom de Balthazar Gelt était désormais honni dans tout l’Empire, la nouvelle de sa déchéance et de sa corruption n’avait pas encore atteint les oreilles des Nains. L’alchimiste en fut quelque peu rassuré, même s’il savait que cela ne lui accordait pas le moins du monde l’absolution pour ses péchés.
En regardant vers l’ouest, le sorcier vit des éclairs tomber du ciel, et comprit que l’Empereur était toujours en vie. Il pressa les Nains de se rendre là-bas afin de venir en aide aux hommes, mais il se heurta à un refus catégorique. Non pas que les fils de Grungni ne souhaitassent pas assister leurs alliés, d’ailleurs le serment qu’ils avaient prêté les poussait dans ce sens. Cependant même Ungrim, dont l’esprit était consumé par le feu de Grimnir, ne voyait pas par quel moyen ils pourraient quitter le Magnusspitze sans périr dans les rues de la ville avant d’avoir rejoint l’Empereur.
Tandis qu’un nouvel assaut des Skaramor se heurtait aux défenses du bastion, Gelt se plaça au sein de la ligne de bataille des Nains. Il était dévoré par le besoin de se repentir, toutefois avait-il fait un si long voyage pour mourir sans y parvenir ? Les conjurations et les rituels de jadis envahirent de nouveau son esprit, comme le flot d’une rivière anciennement asséchée qui investit son lit derechef. Les sorts lui venaient instinctivement, et il manipulait Chamon sans la moindre difficulté, car le vent du métal était lourd comme du plomb fondu dans ses mains, et se laissait contrôler sans offrir la moindre résistance. En dépit de cela, Gelt ne s’immergea pas totalement dans la Magie dorée. Il venait de s’arracher à la Nécromancie, et il ne souhaitait pas devenir l’esclave d’un autre pouvoir. Ainsi, il saisit de simples échardes de puissance dans les courants de l’éther, et les façonna en lances scintillantes auréolées de fumée blanche.
Alors que le sang des Nordiques et des Nains se mêlait sur le sol en pierre, Gelt chercha une solution pour venir en aide à l’Empereur. Si les Nains ne pouvaient pas s’y rendre à pied, il devait trouver un autre moyen. Il repensa à cette femme au teint si pâle dans la taverne, avant sa lente descente vers la damnation. La Magie est ascendante, avait-elle dit. Des choses auparavant inimaginables sont désormais possibles. Jusqu’alors, il avait oublié ces paroles, car il les pensait responsables de sa déchéance, néanmoins il était conscient de leur véracité. Il se rappela des livres de savoir cachés dans les cryptes de son collège, et d’un sort en particulier, le Creuset, dont le pouvoir était si terrifiant qu’aucun sorcier n’avait été capable de le maîtriser depuis la fondation du collège. Toutefois, Gelt sentait que Chamon l’enveloppait comme une cape d’or et le suppliait de s’ouvrir à sa puissance. Des choses auparavant impensables étaient bel et bien à portée de main.
Lorsque l’assaut suivant des Skaramor se débanda, Gelt fit rapidement part de ses intentions à Ungrim et Hammerson, qui acceptèrent en dépit de leurs doutes. Ils n’avaient aucune envie de mourir face à du menu fretin tandis qu’un combat plus digne les attendait ailleurs. Si le sorcier humain était capable de les emmener hors des fortifications, ils étaient prêts à le suivre.
Alors que le tonnerre de l’artillerie secouait une fois de plus le Magnusspitze, Gelt s’envola vers le centre de la tour et planta le Bâton de Volans en son cœur. Le sorcier ferma ensuite les yeux et ouvrit son esprit à Chamon. Le vent du Métal, qui cherchait un vaisseau mortel depuis que le Grand Vortex avait été détruit, se lia au sorcier. Il y eut un éclair de lumière, et une onde de chaleur balaya les rangs éparpillés de Skaramor. Au sommet du Magnusspitze, de l’or fondu coula entre les fissures de la maçonnerie, mais de Gelt et des Nains, il n’y avait plus le moindre signe.
La bataille faisait toujours rage sur la Steilstrasse. Des groupes de soldats impériaux combattaient dos à dos tandis que des Faucheurs de Crânes les attaquaient sauvagement. Les hommes de Carroburg et de Quenelles, d’Ostland et d’Altdorf étaient lentement envahis par le désespoir. Néanmoins, à chaque fois qu’ils allaient capituler, ils se rappelaient leurs amis assassinés, leurs familles massacrées, et cela leur permettait de tenir quelques minutes de plus. Mieux valait combattre le plus longtemps possible pour que l’ennemi paye sa victoire le plus cher possible.
Ils puisaient ainsi dans des réserves de force et de courage insoupçonnées, et crachaient au visage des Nordiques même quand la mort venait les prendre. Jamais au cours de la longue histoire de l’Empire tant d’hommes n’avaient combattu avec tant de bravoure face à une défaite si probable.
Au centre de la rue, là où se tenait jadis la statue d’Heinrich Leitdorf, l’Empereur et l’Élu des Dieux livraient un duel implacable. Les Épées du Chaos avaient formé un cercle autour des deux adversaires pour empêcher la Reiksguard ou n’importe qui d’autre d’interférer avec le duel que livrait Archaon contre son ennemi juré.
Le pouvoir d’Azyr faisait de l’Empereur l’égal d’Archaon physiquement, et le désespoir qui l’habitait lui permettait de rendre coup pour coup à l’Élu des Dieux. Un fracas métallique retentissait tandis qu’U’zuhl et le marteau de lumière s’entrechoquaient et qu’un feu démoniaque zébré d’éclairs crépitait à chaque attaque. Pendant que leurs maîtres s’affrontaient, Griffe Mortelle et Dorghar s’entre-déchiraient. Des plaies rouges s’ouvraient dans les flancs du Griffon, tandis qu’un sang démoniaque et fumant coulait sur le cuir épais du Destrier de l’Apocalypse.
L’Empereur invoqua des éclairs depuis les cieux, et la foudre s’abattit sur l’armure noire d’Archaon. Ce dernier ripostait avec ses propres enchantements, si bien que des feux versicolores entouraient son adversaire, mais à chaque fois, le Sceau d’Argent de l’Empereur luisait et dissipait la Magie hostile.
Les coups d’une précision époustouflante décrivaient une danse de mort parfaite, et si rapide que le reste du monde semblait tourner au ralenti. Autour des deux adversaires, des Nordiques et des Impériaux s’écroulaient sous la pluie battante. Un feu démoniaque jaillissait et enflammait les cadavres autour d’Archaon tandis que le duel se poursuivait.
Finalement, le marteau de lumière dévia le bouclier d’Archaon, et le coup suivant percuta l’armure de l’Élu des Dieux dans un fracas métallique qui fut presque étouffé par son cri de douleur. Toutefois, cette attaque avait découvert la garde de l’Empereur, et la Tueuse de Rois riposta aussitôt pour en tirer parti.
Griffe Mortelle vit le coup arriver avant son maître. Il se cabra pour tenter d’éviter la lame, mais pas assez rapidement. Au lieu de toucher l’Empereur au cou, l’épée heurta la tête de Griffe Mortelle. Si elle avait atteint sa cible initiale, la Tueuse de Rois aurait décapité l’Empereur. Le Griffon tomba au sol en poussant un piaulement pathétique. La force du coup l’avait totalement désorienté, et une profonde entaille courait le long de son crâne. Il survivrait à cette blessure, cependant l’Empereur venait de perdre son plus précieux allié.
L’Empereur bondit de sa selle lorsque Griffe Mortelle s’effondra. Il atterrit en mettant un genou à terre et se releva juste au moment où Dorghar se ruait sur lui. La Tueuse de Rois s’abattit alors que la monture démoniaque le dépassait, et transperça la dorsale métallique avant de s’enfoncer dans son dos. L’Empereur contre-attaqua avec le marteau de lumière, néanmoins Dorghar allait trop vite. Le coup se perdit dans le vide, et Archaon éclata d’un rire sardonique.
L’Élu des Dieux ne talonna pas Dorghar pour une seconde passe, mais lui intima d’avancer lentement vers l’Empereur. Les Épées du Chaos resserrèrent le cercle comme Archaon se préparait à porter le coup de grâce.
« Depuis des années, j’entends parler de Karl Franz, le plus grand des Empereurs depuis Sigmar. »
La Tueuse de Rois s’abattit dans un arc incandescent. Le marteau de l’Empereur la para dans un tintement métallique. Le marteau vibra mais résista à l’impact. Archaon leva son arme et frappa derechef. « Tu as usurpé ton pouvoir. Je vais te l’arracher et le rendre au Grand Architecte, car c’est lui son vrai maître. » Une fois encore, la Tueuse de Rois scintilla et le marteau de lumière vint l’intercepter. Cependant, cette fois, il n’y eut pas le fracas du métal, mais un bruit similaire à du verre brisé, et le marteau de lumière explosa dans une pluie de fragments scintillants. La foudre tomba des cieux. Cette fois, elle ne se dirigea pas vers Archaon, mais elle frappa l’Empereur. Pendant un instant, celui-ci se tint vaillamment debout au milieu de la tempête électrique, mais il finit par chanceler et tomba à genoux. L’arc électrique s’inversa soudainement, comme s’il était aspiré par les nuages d’orage, puis il se dissipa dans un ultime crépitement tonitruant. |
Archaon fut surpris de constater que l’Empereur s’était relevé avant même que la foudre disparaisse totalement. Son poing ganté fila en direction du visage de l’Élu des Dieux. Ce dernier eut un rire moqueur et contre-attaqua avec son bouclier. Le pavois en acier heurta l’Empereur au visage et à la poitrine. Il fut renversé, le visage ensanglanté par la force du choc.
Archaon fit un pas en levant son arme. « Pathétique. Ton pouvoir s’est envolé et tu ne vaux même pas l’effort qu’on t’achève. Tu n’as plus d’armée, plus d’empire. Aucun dieu ne te protège. Ils se contrefichent de ton destin. - Peut-être, toutefois j’ai quelque chose que tu n’auras jamais. » Archaon renifla avec mépris. « Vraiment ? Je t’en prie, dévoile-moi donc ce que tu possèdes et que je n’ai pas… » Il ne décela que trop tard l’accumulation d’énergie magique, alors qu’étrangement, Karl Franz l’avait perçue avant lui. L’Empereur essuya le filet de sang à la commissure de ses lèvres et sourit. « Il me reste l’espoir… » |
La lueur dorée qui balaya soudainement la Steilstrasse illumina toute la ville. Avant qu’elle se fût dissipée, de l’or fondu se mit à couler entre les pavés. Il recouvrit les morts et les blessés, qui formèrent des centaines de statues; figées dans un silence de plomb au milieu de la clameur de la bataille. Un second éclair de lumière s’ensuivit un battement de cœur plus tard : les statues s’étaient muées en Nains parés au combat.
Tel était le pouvoir du Creuset : transformer la chair vivante en métal malléable à souhait, qui pouvait de nouveau prendre l’apparence de la vie. Gelt expérimentait cet enchantement depuis des décennies, toutefois les résultats avaient toujours été funestes. Ce ne fut que ce jour-là, lorsque la voix de Chamon résonnait clairement dans son esprit, et que sa puissance coulait sans ses veines, que Gelt put accomplir un tel prodige et faire resurgir les veines de minerai sous la forme d’une rivière de métal en fusion. Et malgré cela, l’enchantement restait imparfait, car toutes les statues ne furent pas transmutées. Des dizaines de Nains restèrent coincés sous la forme d’effigies dorées, condamnés à contempler la fin des temps sans pouvoir agir.
Néanmoins, les Zhufbarak survivants s’élancèrent à la rescousse des humains sous le regard sévère d’Hammerson. Ils massacrèrent les Skaramor tandis que ces derniers étaient aux prises avec les derniers guerriers de l’Empereur. Ungrim Poing de Fer était en mouvement avant même que la lueur dotée du sort le quitte. La Hache de Dargo coupa en deux un chef Nordique. Les Tueurs suivaient leur roi et balayèrent les rangs ennemis sous un raz-de-marée de haches.
Sans dire un mot, la bande de guerre d’Archaon fit volte-face pour affronter cette nouvelle menace. Des lourds écus formèrent un obstacle, en vain : Ungrim Poing de Fer avait disloqué plus de murs de boucliers qu’il ne pouvait se le rappeler, et il était capable de discerner la moindre faille dans de telles défenses, aussi facilement qu’il repérait une veine de Gromril dans la roche. Sa hache s’abattit et trancha net deux boucliers mal agencés, et un des guerriers d’Archaon tomba au sol, lui aussi coupé en deux de l’épaule à la hanche. Un autre Nordique s’avança et abattit son arme vers la tête du Nain, cependant la lame fut déviée par le lourd casque couronné. Le guerrier du Chaos tomba raide mort une seconde plus tard.
Les Tueurs s’engouffrèrent dans la brèche ouverte par leur roi; le mur de boucliers commença à céder sous la violence de l’assaut. Ungrim atteignit Archaon à l’instant où celui-ci allait abattre son arme pour mettre fin à la vie de l’Empereur. La Hache de Dargo heurta la Tueuse de Rois juste au-dessus de la garde. Le coup d’Archaon fut dévié et il perdit l’équilibre. Ungrim poursuivit son assaut au milieu des flammes qui dansaient autour de lui, toutefois le pavois de l’Élu des Dieux para toutes ses attaques.
Balthasar Gelt se tenait au milieu d’un cercle de Nains qui allait en s’élargissant tandis que les fils de Grungni repoussaient leurs adversaires. Malgré le pouvoir de Chamon, Gelt sentait que le Creuset avait sapé ses forces. Il avait été vulnérable pendant quelques instants, néanmoins il sentait un nouvel afflux de puissance l’investir. Il vit les Zhufbarak aller à la rescousse des humains survivants pendant que les Tueurs et Ungrim portaient le fer aux Épées du Chaos. Pourtant, son groupe risquait d’être submergé rapidement. Il devait gagner du temps si le moindre d’entre eux souhaitait s’en sortir. Il fit donc appel une fois encore à la toute-puissance de Chamon, qui lui répondit.
Partout sur la Steilstrasse, les armes et les armures des morts entendirent l’appel de Gelt. Au début, le métal se tordit et protesta, puis il fondit et se mit à couler sur l’avenue, en formant des ruisseaux entre les combattants des deux camps. Puis, modelé par la volonté du magicien, les flots s’élevèrent vers le ciel, formant une barrière qui s’élargissait et montait au fur et à mesure que du métal en fusion venait la renforcer. Petit à petit, un mur d’acier forma un périmètre au milieu de la rue et sépara les Nains et les humains survivants des légions d’Archaon sur le point d’arriver pour les massacrer.
N’étant plus cernés par l’ennemi, les hommes de l’Empire et de Bretonnie puisèrent dans leurs dernières forces. Ils ne poussèrent aucun cri de guerre, mais ils s’élancèrent tout de même à l’assaut pour éliminer les Nordiques pris au piège à l’intérieur du mur. Voyant cela, les Zhufbarak levèrent leurs haches et allèrent leur prêter main-forte.
Au nord, là où s’affrontaient l’Élu des Dieux et Ungrim Poing de Fer, le mur de Gelt mit plus de temps à se former. Ni Archaon, ni son adversaire n’avaient le temps de remarquer l’enchantement qui prenait vie autour d’eux, car ils étaient conscients que la moindre seconde d’inattention leur serait fatale. L’armure noire d’Archaon était éraflée et tordue en de nombreux endroits, tandis que la cape en peau de dragon d’Ungrim était en lambeaux. Malgré tout, aucun des deux ne parvenait à prendre l’ascendant, et le duel s’éternisait. Soudain, le mur magique de Gelt s’insinua entre les deux combattants. Le rugissement de rage d’Ungrim fit écho à celui d’Archaon, qui était tout aussi frustré que le Nain de voir son adversaire lui échapper.
Après une seconde de silence, le fracas du métal résonna quand les Nordiques se mirent à marteler l’obstacle. Gelt se précipita alors aux côtés de l’Empereur.
L’Empereur était encore à genoux lorsque Gelt s’approcha. Le sorcier mit pied à terre et tendit la main à son suzerain.
« Vous avez trouvé le chemin du retour ? » demanda l’Empereur. Gelt ne sut pas s’il parlait uniquement du voyage de la Sylvanie à Averheim. « Oui, enfin… » répondit-il en grognant d’effort tandis qu’il aidait l’Empereur à se relever. « J’aimerais me racheter… » - Vous avez bien commencé, me semble-t-il… » L’expression de l’Empereur était indéchiffrable, malgré tout Gelt senti une partie de ses remords disparaître. « Mais je doute que nous ayons l’occasion de célébrer cette petite victoire… » Les blessés gémissaient de douleur partout à l’intérieur du périmètre délimité par le mur magique. Les hommes et les Nains valides leur venaient en aide comme ils le pouvaient, ou abrégeaient les souffrances des mourants. Plus loin, les Tueurs privés d’ennemis massacrèrent les derniers Nordiques pris au piège. Une fois leur sinistre besogne achevée, ils sortirent des pierres et entreprirent d’aiguiser leurs haches. Ils savaient aussi bien que Gelt que la bataille n’était pas terminée. L’Empereur se rendit près du corps meurtri de Schwarzhelm, qu’il ne pouvait identifier que parce qu’il gisait près de l'Étendard Impérial. Gelt le vit bouger les lèvres mais n’entendit pas ses paroles, en partie parce qu’il murmurait, et en partie parce que Gelt lui-même était concentré sur le maintien du mur enchanté qui les isolait de la horde. Le temps pressait. « Pourquoi avoir fait ça, mon gars ? » grommela Ungrim après les avoir rejoints. « J’allais couper la tête de ce parvenu ! - Vous n’auriez jamais réussi, mon seigneur, » intervint l’Empereur après avoir jeté un dernier regard à Schwarzhelm. « Je pensais comme vous, cependant les dieux lui ont insufflé tous leurs pouvoirs. Il est bien trop puissant. Aucun d’entre nous ne peut le vaincre seul. - Dans ce cas, allons l’affronter ensemble, vous et moi ! Gelt vit que Karl Franz secouait la tête. « Mes pouvoirs m’ont été repris. Nous avons désormais le choix entre la mort ou la fuite. » Il se tourna vers Gelt. « À condition, bien sûr, que vous puissiez encore nous emmener… » Gelt observa rapidement le mur qu’il avait créé, en tentant d’ignorer le sang qui battait dans ses tempes, et dont le tempo était donné par les coups de haches et d’épées que les Nordiques infligeaient à l'obstacle magique. « Je ne peux pas tous nous emmener, » dit-il enfin. « Et ceux que je ne puis sauver, je ne peux les porter bien loin.” |
- Alors, laissez-moi là, avec les miens ! le pressa Ungrim. « Les Fils du Kazakrendum vont leur faire regretter d’être venus à Averheim !
- Il est hors de question de vous abandonner ! » protesta l’Empereur. Un rugissement assourdissant monta au sud-est et attira le regard de Gelt et de tous les guerriers à l’intérieur du refuge. Au loin, la silhouette d’un Buveur de Sang se découpait sur les murailles de l’Averburg. Des cors de guerre et des milliers de voix cruelles résonnèrent au sein de la forteresse. Les coups de haches et d’épées contre le mur magique redoublèrent. Ungrim fit un pas d’un air décidé. « Écoute mon gars, on n’a pas le choix. Soit on meurt tous, soit certains se sacrifient. Prends tes hommes et mes frères de Zhufbar, et va-t’en ! L’Empereur hésita, puis finit par acquiescer lentement. Au sud, un autre rugissement indiqua que le Buveur de Sang prenait son envol. Gelt ne perdit pas une seconde. Il puisa de nouveau dans le vent de Chamon, et sentit le goût métallique caractéristique envahir sa bouche. Sa vision prit une teinte dorée. Avant la transmutation, il entrevit Karl Franz offrir à Ungrim un vieux salut nain, et les dernières paroles qu’il entendit furent celles que le roi adressa à ses Tueurs : « À vos haches ! On va montrer à ces krinkaz de quel bois on se chauffe ! » |
Le serment de Vlad disparaissait avec la destruction d’Averheim. Il éprouva quelques remords face à cet échec. Une créature inférieure aurait sans doute tenté de trouver la rédemption en lançant une charge héroïque et inutile, afin de laver son honneur souillé, néanmoins Vlad n’était pas Vampire à commettre des actes irréfléchis. La Sylvanie allait plus que jamais avoir besoin de lui. Alors que des rais de lumières commençaient enfin à poindre à travers la masse nuageuse, il aperçut un éclair de lumière dorée sur les collines à l’ouest. Il semblait donc que Gelt avait atteint la ville avant lui. Il s’interrogea furtivement sur le destin du sorcier, avant de le considérer comme négligeable.
Vlad ordonna aux Templiers de Drakenhof de repartir vers l’est avant de jeter un dernier regard aux ruines de la ville. Et une chose inhabituelle se produisit : une immense colonne de flammes s’éleva dans le coin nord-ouest de la cité. La fournaise était si intense que son rugissement pouvait être perçu malgré la distance. Les flammes orange formaient une fontaine incandescente dont les langues allaient lécher la voûte nuageuse.
Pendant un instant, Vlad crut déceler la forme d’un visage hurlant de défi au milieu des flammes, comme si une âme indomptable jetait ses dernières forces dans un ultime combat avant de passer dans l’oubli. Un autre Vampire aurait sans doute tenté d’enchaîner cette essence spirituelle et de la plier à sa volonté, mais Vlad se contenta de la regarder se dissiper dans les courants brûlants avant qu’ils retombent en cascade sur les rues de la ville.
Les flammes rugissantes inondèrent les avenues. Les bâtiments s’effondrèrent comme des arbres pris dans un ouragan, et leur destruction engendra de grands nuages de poussière et de suie. Ces nuées ardentes submergèrent ensuite les murs d’Averheim avant de s’étendre dans la vallée et d’asphyxier toutes les âmes vivantes à des lieues à la ronde. Finalement, au bout de longues minutes, le silence retomba sur les plaines, sur lesquelles la fumée s’étendait tel un linceul. Vlad fit volte-face et entama son long voyage de retour.
Chapitre II : LA TERRE DE LA NUIT - Printemps 2528 / Été 2528[modifier]
Il y a bien longtemps, Mannfred von Carstein avait recouvert la Sylvanie d’un voile de ténèbres et d’apostasie qui avait affaibli la lumière du soleil et rendu muette la foi des étrangers. Cependant, tout compétent que fût le Vampire dans les arts noirs, son œuvre était celle d’un apprenti maladroit comparée aux ténèbres qui étouffaient à présent cette terre, et avait été affaiblie au point de presque disparaître à maintes reprises. Ce n’était plus le cas à présent. Nagash, le Grand Nécromancien de jadis, avait fait de la Sylvanie son nouveau repaire, et avait rebâti les enchantements de Mannfred avec une habileté et une audace qui avaient impressionné leur fier créateur. La Pyramide Noire de Nagash reposait à présent au centre de la Sylvanie, sur l’île irrégulière où s’était auparavant dressé le cercle rituel des Neuf Démons. Un lac de Magie mortelle clapotait autour du rivage de l’île, son niveau descendant à mesure que Nagash absorbait l’énergie de Shyish et la liait à ses desseins.Heure après heure, car les cycles diurnes et nocturnes n’avaient plus cours dans ce lieu abandonné, les teintes violacées d’une Magie interdite délavaient le littoral désolé, à la fois messager et exécuteur de la volonté du Grand Nécromancien. À présent, la Sylvanie était véritablement la terre de la non-vie. C’était un royaume de calme et d’ombre, d’ordre absolu, et protégé par des armées innombrables.
Tout ce qui se déplaçait sous les arbres creux de la Sylvanie possédait une vie exclusivement conférée par la Magie de Nagash, et tout ce qui restait immobile était lié à sa volonté. Durant les premiers jours de l’invasion d’Archaon, avant la chute de Middenheim face à la horde, des chefs nordiques avides de gloire avaient franchi les murs d’os avec leurs guerriers et s’étaient enfoncés dans les forêts silencieuses et les champs désolés. Nul n’en revint. Les morts ensevelis en Sylvanie étaient innombrables et chacun était une dague entre les mains du Grand Nécromancien. Ceux qui vinrent en Sylvanie pour gagner la faveur de leurs dieux n’y trouvèrent qu’une servitude forcée dans la mort.
D’aucuns, en Sylvanie, possédaient encore une vigueur et une motivation propre, mais ils prenaient soin de ne pas attirer l’attention de leur nouveau monarque. La loi de Nagash irritait les Vampires plus que tout. Au début, ils s’étaient réjouis de son arrivée, car la douce Magie de la mort qui s’accrochait à lui rendait ces parasites plus forts que jamais. Or, les Vampires étaient également habitués à assouvir leurs propres envies, et non à obéir aux injonctions d’un autre. Ils avaient vite pris ombrage de la présence de Nagash, et leurs esprits nourrissaient depuis amertume et jalousie. Aucun n’osait défier le Grand Nécromancien de la moindre façon, car ils avaient bien retenu le destin de ceux qui l’avaient fait.
Même Mannfred, qui haïssait Nagash pour lui avoir ravi son royaume sans effort, ne le défiait pas ouvertement. Le Vampire était certes orgueilleux, mais il était plus perspicace encore. Dès le début, il n’avait pu concevoir de scénario lors duquel il survivait à un affrontement avec le Grand Nécromancien, et avait ainsi choisi de servir en tant que bras droit des ténèbres plutôt que d’être réduit en poussière et dispersé par le vent. Il s’y était résolu, pour le moment, du moins.
Ainsi Mannfred avait-il remarqué le départ de Vlad pour Averheim, et avait également rapporté la conduite rebelle de son seigneur à Nagash. Il ne s’était pas directement adressé au Grand Nécromancien, qui passait la plupart de son temps en convalescence dans la Pyramide Noire, se préparant à l’inévitable confrontation avec les Dieux Sombres. Il murmura la traîtrise observée aux oreilles d’Arkhan, la voix de Nagash en toutes choses. Mannfred s’était lui-même promis de briser le vieux liche, en paiement de ses tromperies passées. Toutefois, l’opportunité de détrôner Vlad de la tête de sa famille maudite prenait le pas sur toutes ses autres ambitions. Arkhan serait l’arme de Mannfred pour terrasser Vlad. Puis, une fois qu’il ne lui serait plus d’aucune utilité, le liche serait détruit, et Mannfred bénéficierait de toute la faveur de Nagash.
Mannfred avait espéré l’ordre de poursuivre son “père” errant, et ramener Vlad par le col afin qu’il encoure la colère de Nagash. Cette fois, il fut déçu. Arkhan transmit simplement l’ordre de Nagash selon lequel Mannfred endosserait l’autorité de Vlad au niveau des frontières du nord. Les forces du Chaos n’allaient pas se contenter de détruire l’Empire, surtout si leurs dieux jaloux avaient prédit la stratégie de Nagash. Une attaque était pressentie, et c’était à présent à Mannfred, au lieu de Vlad, qu’il incombait de la repousser.
Bien que déçu par les fruits de sa trahison, Mannfred se consolait par le fait d’avoir supplanté Vlad, même s’il n’en avait pas terminé avec lui. Il ne lui était à aucun moment passé par l’esprit que Nagash favoriserait le seigneur sur son enfant illégitime, mais c’était en vérité le cas. L’obstination et l’étrange sens de l’honneur de Vlad en faisaient un subordonné plus fiable que Mannfred ne le serait jamais. Nagash estimait que Vlad vivait pour quelque chose de plus grand que lui-même, bien que le vénérable Vampire ne comprit pas tout à fait ce pour quoi il luttait. Le Grand Nécromancien était certain que Vlad le servirait un jour de bon gré, s’il pouvait seulement être convaincu, ou brisé. Mannfred, quant à lui, n’existait que pour servir ses ambitions. Quand bien même on distillerait Mannfred pour n’en garder que l’essence la plus fondamentale, en épluchant toute la chair et l’intellect de sa carcasse, son instinct de serpent resterait intact.
Archaon ne s’était pas préoccupé de la Sylvanie, car seul l’Empire l’obsédait, mais certains au sein de l’ost du Chaos comprenaient l’ampleur de la menace posée par Nagash. En effet, Nurgle en personne, si souvent distrait par ses accès créatifs, avait été particulièrement offensé par l’existence d’une terre où son fléau n’avait aucune emprise, et il avait échafaudé ses plans.
Ainsi la Sylvanie était-elle assaillie par un ost démoniaque, envoyé sur ordre du Père des Pestes. C’était un défilé traînant et pourrissant, tout de plaies suintantes et de membres gangrenés, dissimulé sous un nuage bourdonnant de mouches, qui s’étirait sur plusieurs lieues. Cet ost était la ruine en marche. Où qu’il passait, les camps et les forêts sombraient en décrépitude, les animaux tombaient malades et mouraient. Et toujours, l’air était empli du vrombissement monotone et écrasant des intendants démoniaques, qui savouraient l’étendue des horreurs qu’ils avaient dispensées.
Deux êtres menaient cet ost, mais aucun n’était vraiment ce que son apparence suggérait. La comtesse voilée parlait peu, mais c’était sa volonté qui conférait son élan à l’ost, ou plutôt la volonté du Démon Bolorog, que le puissant Nurgle avait enchaîné à l’âme de la noble. Elle était vêtue de la parure fanée de palais depuis longtemps détruits, et sa beauté pâle contrastait avec les rangs suppurants qui l’accompagnaient.
La comtesse était l’arme la plus récente et la plus puissante du Père des Pestes contre la non-vie, un vaisseau d’entropie et de renouveau dont la caresse insufflait aux morts une vie pervertie. Là où elle marchait, d’étranges plantes poussaient sur les tombes et les charniers de Sylvanie, les os inertes se liquéfiant en fluides grouillant de vie microscopique. Le Père des Pestes avait toujours fait preuve d’humour, et était hilare d’avoir choisi un Morts-Vivants|Mort-Vivant pour transformer la Sylvanie en jardin luxuriant.
L’esprit de la comtesse avait été tiré de bon gré du voile de la mort, et revigoré par la volonté toute-puissante de Nurgle, mais elle ne le servait pas sans poser de questions. Au passage du jour, lorsqu’une nuit morne s’épanchait dans une autre, et que sa force était à son apogée, on pouvait l’entendre protester de deux voix distinctes. Lors de ces débats, l’esprit de la comtesse cherchait toujours à se libérer de ses entraves, et le Démon luttait désespérément pour maintenir son emprise sur le corps et l’esprit de son esclave. Il avait réussi jusque-là, mais les conflits se succédaient sans cesse.
La femme était en effet en décalage étrange avec l’ost pourrissant, mais son compagnon était plus incongru encore, et de loin. Il avait le crâne rasé et le regard dur d’un Prêtre-Guerrier sigmarite, son marteau à deux mains tel un écho du puissant Ghal Maraz. Pas étonnant que le malheureux Luthor Huss soit encore moins maître de son destin que celle qu’il servait.
L’esprit à l’œuvre derrière les yeux du Prêtre-Guerrier n’était pas le sien, mais celui qui avait servi en tant qu’un des Mortarchs de Nagash. Le Sans-Nom n’avait jamais eu aucune considération pour le Grand Nécromancien, et ne l’avait servi que contre la promesse de voir son identité restaurée. Il avait aidé Vlad von Carstein à protéger pour un temps la frontière nord de l’Empire, mais lorsque la défense s’effondra, il avait décidé d’aller se divertir avec quiconque croiserait son chemin. L’esprit était puissant et malin, versé dans la cruauté et le tourment, et avait étanché cette soif bien avant que Luthor Huss n’ait croisé sa route. À son crédit, le Prêtre-Guerrier avait blessé le Sans-Nom plus profondément qu’il ne l’avait jamais été en plusieurs âges de ce monde. Cependant, le châtiment infligé au Prêtre-Guerrier pour son effronterie avait été de servir depuis lors d’hôte, à travers lequel l’esprit pouvait laisser libre cours à sa cruauté.
Le Père des Pestes avait rallié l’esprit à sa cause de la plus simple des façons. Tout comme Vlad, le Sans-Nom avait senti l’incapacité de Nagash à respecter sa part du marché; mais contrairement au Vampire, il s’était préparé à changer d’allégeance afin de laver cet affront. Le Sans-Nom doutait que Nurgle ait la moindre intention de lui octroyer le savoir qu’il recherchait, mais le Père des Pestes lui avait au moins accordé assez de pouvoir pour rendre plus tolérable son existence informe et dépourvue de souvenirs. Luthor Huss n’en savait rien. Son esprit était piégé dans une prison dressée par le Sans-Nom, et le pouvoir de sa foi plié à une volonté impie.
Mannfred sentit la présence de ses adversaires dès qu’ils eussent pénétré le mur d’os qui longeait le Stir. Il était certain que l’un des Mortarchs faisait partie de l’ost démoniaque, sans que ce soit pour lui une surprise. Certains s’étaient déjà retournés contre Nagash par le passé, et nul doute que d’autres le feraient dans le futur; le Grand Nécromancien avait un talent particulier pour attiser la flamme du ressentiment chez ceux qui le servaient. Mannfred reconnaissait également la femme, même si son identité restait un mystère à ses yeux. Ce n’était guère important. Mannfred von Carstein admettait avec réticence que Nagash lui était supérieur, pour le moment du moins. Il n’avait rien à craindre de quiconque d’autre.Mannfred ne tenta même pas de défendre les fortifications de la rive du Stir, ni la forteresse croulante d’Eisigfurt. À chaque endroit, le Vampire aurait pu se retrouver pris à son propre piège, si la bataille tournait mal. La défaite aurait sûrement suivi; une défaite ou l’indignation insupportable d’être secouru par un autre Mortarch. Au lieu de cela, Mannfred choisit de harceler ses adversaires tandis qu’ils se dirigeaient au sud, droit vers les Neuf Démons et la Pyramide Noire.
Les premières escarmouches emplirent Mannfred de confiance. Bien qu’il ne se fût pas lui-même rendu à la bataille, ses subalternes rapportèrent que la colonne démoniaque était lourde et pesante, difficilement capable de réagir aux Loups et aux Esprits harcelant ses flancs. En outre, le pouvoir de Nagash était si souverain que même la Magie de Nurgle, du pourrissement et de la ruine, peinait à s’enraciner dans le sol stérile de Sylvanie. Le temps que les envahisseurs aient atteint la ville de Templehof, Mannfred pensait avoir pris leur mesure, et il se décida à les écraser sous un déploiement de force irrésistible.
Lentement mais sûrement, Mannfred accrut ses forces aux limites de la Lande Lugubre. Il réanima les cadavres rongés par les vers de cette morne étendue, soutenant leurs effectifs par des Revenants de Drakenhof, de Templestadt et de Vorengheist, chaque régiment mené par un vassal Vampire loyal à lui seul. En dessous de Nachtrecht, des Goules fracturèrent des cercueils de pierre, et traînèrent leurs occupants vampiriques enchaînés jusqu’à Mannfred. Les esprits tourmentés de la lande et des marais furent invoqués et liés, et des Vampires mineurs tirés de leurs repaires sanglants. Les bannières en lambeaux se dressèrent à travers la terre désolée, tandis que l’ost démoniaque cheminait vers le sud, avec le bourdonnement de leur nombre comme seul signe de leur arrivée.
L’attention de Mannfred était si rivée sur l’armée en approche qu’il ne remarqua pas le retour de Vlad en Sylvanie. Le plus ancien des von Carstein avait chevauché nuit et jour après avoir observé la chute d’Averheim. Il s’était abrité dans les ombres comme il le pouvait et avait enduré la dure lumière du jour lorsqu’il était impossible de s’en abriter. Nombre de ses Templiers n’avaient pu soutenir son allure, et furent abandonnés lorsqu’ils étaient trop affaiblis par la soif ou le soleil.
« Chevauchez-vous si rapidement vers votre mort ? »
La voix de la jeune femme était à peine audible par-dessus le bruit des sabots du cauchemar, mais Vlad les entendit tout autant, et tira sur ses rênes. Elle se tenait à l’abri d’un chêne noir, à un pas de la route. L’ourlet de sa robe blanche était taché de boue, une ombrelle ouverte reposait nonchalamment sur son épaule droite. C’était une figure innocente dans un royaume tourmenté, semblant posséder une espérance de vie comparable à celle d’une chandelle au fond de la mer. Néanmoins, Vlad ne s’en serait pas laissé conter, même sans reconnaître les traits de la jeune femme. « Je n’ai pas le temps de jouer avec vous, » dit le von Carstein, « ni avec votre maîtresse. Dites-moi ce que vous avez à me dire, et laissez-moi. - Je n’ai pas de maîtresse, » rétorqua la jeune femme, visiblement irritée. « Je porte ce message parce que j’ai choisi de le faire, non parce qu’elle m’y a contrainte.” |
- Alors délivrez-le moi, et disparaissez. Ma patience n’est plus ce qu’elle était. »
Les yeux de la jeune femme s’étrécirent. « La Reine des Mystères a été gratifiée d’une vision. La mort et l’objet de votre désir vous attendent à la fin de cette route. Elle ne voulait pas que vous les trouviez sans y être préparé. » - Pourquoi ? » Vlad soupçonnait quelque duperie. Elle haussa les épaules. « Peut-être pense-t-elle toujours beaucoup à vous, même en cet instant. Je ne le sais ni ne m’en préoccupe. Je vous l’ai dit, je ne suis qu’un messager. » - Ne chevaucherez-vous donc pas avec moi, afin de faire état de mon sort ? » - Je ne pense pas. Je n’ai nulle envie de rencontrer ce qui vous attend. » Elle eut un sourire triste. « Mon temps dans ce monde touche à sa fin, tout comme le vôtre, et je préférerais m’éteindre sur ma terre natale. » La jeune femme fit une révérence et se glissa derrière les arbres, laissant Vlad à ses pensées. |
Vlad n’avait guère idée sur ce qu’il attendait en Sylvanie, mais il en avait assez ressenti pour savoir que son royaume était menacé. En outre, il savait que la plus grande menace ne provenait pas de l’extérieur, de la sorcellerie et des lames que Chaos pouvait mobiliser, mais de l’orgueil démesuré des dirigeants du domaine. Que Neferata se soit déjà enfuie en était une preuve suffisante. Vlad et elle avaient représenté beaucoup de choses l’un pour l’autre au fil des millénaires, mais le comte de Sylvanie n’avait jamais vu la Reine des Mystères consentir longtemps une alliance avec le camp perdant. Ce que le Chaos n’avait pas détruit, Mannfred, Arkhan et Nagash le lui livreraient à cause de leur arrogance aveugle. Dans son cœur froid, Vlad ne savait comment changer la situation, il n’était même plus certain que la Sylvanie vaille qu’on la défende, mais sa fierté l’empêchait de renoncer à son ancien royaume sans se battre.
Au sommet de la Lande Lugubre, Mannfred von Carstein avait vu son ost grandir, sans se réjouir des raisons de cet accroissement. Luthor Harkon, le corsaire Vampire était revenu des côtes de Lustrie et avait appris la bataille qui s’annonçait. Toujours prompt à combattre lorsque l’occasion s’offrait à lui, il avait tiré ses propres hordes de Zombies de leurs repaires à l’est de la Sylvanie, et les ajoutait à présent à l’armée de Mannfred sans invitation ni autorisation.
Mannfred méprisait le Mortarch, dont la santé mentale semblait de tenir qu’à un fil. Il se consola toutefois en sachant que la bataille allait certainement fournir à Harkon d’amples opportunités de le conduire à sa perte, qui se faisait attendre, et si aucune ne se présentait d’elle-même, Mannfred était tout à fait disposé à permettre au corsaire de saisir sa chance. En outre, ce qui manquait aux forces d’Harkon en termes de vigueur, elles le compensaient plus que de raison par leur nombre inquantifiable.
Alors que la procession bourdonnante se rapprochait le long de la route d’Eisigfurt, Mannfred organisait ses sbires pour la bataille, Les hordes traînantes d’Harkon se trouvaient à une courte distance sur les collines plus au sud. Une auberge de relais depuis longtemps abandonnée, le Mort et Enterré, une relique du passé impérial de la Sylvanie, marquait l’extrémité sud de la ligne des pirates, tandis que les ruines calcinées d’un temple sigmarite leur servaient de limite au nord.
Mannfred ne comptait pas se fier aux troupes d’Harkon pour remporter la victoire, ni ignorer entièrement leur présence. Le seigneur de Sylvanie était confiant dans la supériorité de sa volonté sur celle de son rival, et n’hésiterait pas, au besoin, à rafler au corsaire le commandement de ses hordes. Les Zombies de Mannfred mèneraient l’attaque, pressés vers l’ennemi par les Nécromanciens dont les charrettes étaient réparties parmi leurs rangs. Ce n’est que lorsque les Démons seraient coincés sous les Morts-Vivants, que Mannfred libérerait ses véritables atouts, ses revenants et les Vampires rendus fous dans leurs cercueils.
Lorsque l’ennemi arriva enfin en vue, Mannfred dut se retenir de rire face à la pauvreté des forces alignées devant lui. C’était presque insultant; il y avait des milliers de Démons, mais le Vampire avait dix fois plus de Morts-Vivants sous ses ordres, et il pouvait en lever encore à volonté. C’était comme si la bataille était déjà remportée.
Le Sans-Nom observait la lande à travers les yeux d’emprunt de Luthor Huss. La crête de la colline distante grouillait de corps en décomposition et de bannières d’oripeaux, mais le Sans-Nom ne s’en préoccupait pas. En fait, il se satisfaisait de constater que son ennemi le craignait assez pour avoir réuni une force semblable. Plus de marionnettes à faire danser, à condition d’en trouver les fils.
« Êtes-vous prêt ? » demanda la comtesse, sa voix douce mêlée d’une tonalité gutturale. Le Sans-Nom ne pouvait dire si c’était vraiment elle qui parlait, ou le Démon accroché à son âme. Cela importait peu pour le moment, mais il s’était promis qu’il briserait sa servitude, en temps voulu. Le Démon ne lui était d’aucun intérêt, il avait vaincu des centaines de telles créatures par le passé. Mais la comtesse ? Elle transpirait du dégoût d’elle-même, du désir de vengeance, et aussi de regret. Elle constituerait un délicieux jouet. Pendant un instant, les traits de Huss prirent une expression des plus inhabituelles, tandis que le Sans-Nom anticipait les plaisirs à venir. Il se délectait d’imaginer démêler les contradictions de la comtesse, et de les tisser d’une façon nouvelle. Cet esprit torturé serait son premier familier, dont les tourments accompagneraient, telle une musique, ses victoires futures. « Je vous ai demandé si vous étiez prêt ? » La voix de la comtesse, plus gutturale que douce à présent, tira le Sans-Nom de sa rêverie. La malice disparut du visage de Huss tandis que le Sans-Nom luttait pour contenir sa colère. Patience, se tança-t-il. Son corps actuel n’était capable d’abriter qu’une portion de sa puissance. Il lui faudrait bientôt un autre vaisseau, plus fort. Peut-être un des Vampires déployés contre lui ? Le Sans-Nom répugnait à habiter de la chair morte, mais il haïssait encore plus la soumission. « Je le suis, comtesse, » répondit-il finalement. « Commençons. » |
Aucun cri de guerre ne marqua l’avancée des Démons, juste un ordre murmuré du bout des lèvres par leur général voilé. La marche lasse des Porte-Pestes devint peut-être un soupçon plus rapide, pas davantage. Ils chancelaient sur la route en donnant l’impression de souhaiter faire autre chose, n’importe quoi d’autre, puis, ils formèrent une ligne de bataille qui chercha à concurrencer à celle qui était déployée en face d’eux.
Avec une discipline aux antipodes de leur apparence gangreneuse, les Porte-Pestes se mirent en formation sous des bannières d’où pendaient des cloches, tandis que des Nurglings pépiaient et gloussaient entre leurs pieds. L’essaim bourdonnant se sépara lorsque de grosses mouches grimpèrent vers le ciel. Et partout sur les flancs, des bêtes tentaculaires bondissaient et marchaient avec entrain, avançant et revenant sur leurs pas avec impatience en attendant que leurs maîtres les rattrapent. Au cœur de la horde, trois Grands Immondes pressaient et réprimandaient les autres Démons avec un calme et un confort étranges.
Mannfred envoya des Zombies à la rencontre des Démons tandis qu’ils franchissaient la ligne d’ajoncs noirs marquant les limites de la Lande Lugubre. Les morts ambulants ne prêtèrent aucune attention aux ronces qui lacérèrent leur chair pourrie, mais hachèrent et frappèrent les créatures suppurantes avec des lames et des pioches rouillées. Des plaies s’ouvrirent dans la chair cireuse des Porte-Pestes, de l’ichor et des vers jaillissant de leurs blessures. Les épées pestilentielles répliquèrent, et les mouches s’enfonçaient dans la chair des Zombies, heureuses de ne pas se repaître de cartilage démoniaque. Des corps en lambeaux s’entassaient sur les broussailles, leurs blessures bouillonnant de fluides innommables.
Les Zombies avançaient sans bruit, poussés vers les lames des Démons par une volonté qui n’était pas la leur. Des dizaines de corps gisaient déjà, le compte des pertes lourdement en faveur des Porte-Pestes. Mais il ne demeura pas ainsi. L’esprit de Mannfred s’affairait au renouvellement de ses troupes. Puisant dans la Magie de la mort qui imprégnait la Sylvanie, le Vampire insuffla une nouvelle non-vie à ses esclaves tombés et les poussa vers la mêlée.
Des généraux de l’ost démoniaque, Mannfred ne pouvait voir que l’hôte du Sans-Nom. Il y avait bien des hérauts et des émissaires parmi les Démons, et les silhouettes vautrées de trois Grands Immondes, mais le Vampire les identifia rapidement comme de simples laquais, indignes de son attention. Le Sans-Nom était une autre affaire. L’armure de Huss luisait même dans la pénombre, son porteur chevauchant fièrement, moqueur et provocateur. Mannfred reconnut immédiatement l’esprit, et fut ravi qu’il ait pris le contrôle du Prêtre-Guerrier, car cela doublerait son plaisir de l’occire. Mais même la vue perçante de Mannfred ne put apercevoir la comtesse dissimulée parmi les rangs des Porte-Pestes.
Même ainsi, Mannfred aurait dû se douter que quelque chose se tramait. Tandis que les hérauts pustuleux parmi les Démons libéraient toutes sortes de Magie afin de faire pleuvoir une pourriture corrosive sur les rangs de la horde de Zombies, le Sans-Nom ne faisait pas appel à ses propres pouvoirs, se contentant de tout juste contrer les enchantements de Mannfred.
Au sud, la horde d’Harkon se pressa sur le flanc des Démons. Déjà engagés sur leur front, les Porte-Pestes ne pouvaient guère traiter avec cette menace secondaire, mais les forces du pirate s’en tiraient moins bien que celles de Mannfred. Harkon n’avait jamais été un véritable adepte de la Nécromancie, et ses invocations étaient éparses et fragiles, facilement perturbées par les deux prétendus mortels au cœur du déploiement démoniaque.Les lignes de Zombies du corsaire n’étaient pas aussi compactes que celles de Mannfred. Cette faiblesse fut bientôt, sans le vouloir, exploitées par les Bêtes de Nurgle, qui bondissaient à travers les brèches à la recherche de nouveaux compagnons de jeu. Toujours plus gauches qu’elles le pensaient, les créatures heurtaient trop souvent des groupes de Zombies. La confusion des bêtes était alors vite submergée par le désir de jouer avec autant de Zombies que possible. Leur affection débordante brisa le cœur de plusieurs formations, et l’assaut d’Harkon commença à s’enliser.
L’attention de Mannfred n’était pas accaparée au point de ne pas se rendre compte de la situation critique de l’autre Mortarch, mais il ne s’en préoccupa point. Tant que les Démons étaient tenus en respect, rien d’autre n’importait. Dès que les bourdons de la peste entreraient en lice, il serait temps de libérer les Revenants, qui attendaient patiemment à ses côtés, dépourvus de volonté propre. Le Vampire voulait en finir au plus vite avec cet affrontement, car il s’était pour le moment montré indigne de sa présence. Il trouvait le vrombissement des Mouches-Démons suprêmement agaçant.
Plus loin au sud, Mannfred vit Harkon frustré. Le pirate tira son sabre à poignée d’os et rejoignit la charge suivante. À ce spectacle, un sourire se dessina sur le visage du seigneur de la Sylvanie. D’un chuchotement, il affaiblit la Magie assurant la cohésion de l’avant-garde du pirate. Son interférence fut récompensée presque immédiatement. Une paire de Bêtes traversa les rangs qui s’effondraient et rebondirent joyeusement sur le pirate, le jetant au sol. Le sourire de Mannfred s’élargit. Les Démons ne parviendraient pas à tuer Harkon, mais leur étreinte humiliante l’amusait.
Le tintement de cloches dans le ciel noir signala l’arrivée tant attendue des Drones de la Peste. Une nuée de lames et de dards heurte le flanc des Zombies de Mannfred, des proboscides tâtonnant en quête de cervelles moisies. Mannfred s’était préparé à l’attaque, et avait canalisé sa Magie afin de revigorer ses sbires décérébrés, mais ses pertes étaient malgré tout horribles. Les Zombies étaient éviscérés par des dards reluisants, tailladés par des épées rouillées ou même écrasés par l’impact des créatures. Les cavaliers ne laissaient échapper aucune joie, nulle clameur n’émanait de leurs lèvres entaillées.
Il ne planait qu’un ennui profond, et le décompte muet des tués. Sur un ordre mental de Mannfred, les Revenants avancèrent enfin. Ils y en avaient cinq colonnes, chacune menée par une demi-douzaine de lieutenants vampiriques. Armés d’acier maudit, ils marchaient en parfaite synchronisation. Les Porte-Pestes étaient trop absorbés par le combat pour les remarquer. Les glaives tranchèrent la chair démoniaque et brisèrent les os noueux. Les lances traversaient les cages thoraciques et les vertèbres, répandant des abats pestilentiels sur la lande. Des bêtes vampiriques arrivèrent derrière les revenants, en poussant des hurlements à glacer le sang, leurs serres avides.
Mannfred chevauchait en première ligne, sa monture grondant de faim en se ruant. Les bannières noires de Sylvanie flottaient derrière le comte, et sa lame enchantée fauchait tous ceux qui ressentaient sa caresse. D’une dizaine d’estocades vives comme une vipère, il tua un des Démons Majeurs avant que le monstre bouffi n’ait pu lever son fléau. Mannfred fendit ensuite le crâne d’un Porte-Peste, et la matière noire qu’il renfermait le répugna.
L’élan de la charge de Mannfred le porta au-delà du tas de corps qui avait marqué l’endroit où les Zombies avaient retenu les Porte-Pestes. Ses colonnes silencieuses étaient telles cinq griffes tailladant la masse de chair démoniaque. Le cœur de la formation de Porte-Pestes se flétrissait déjà devant lui, incapable de résister à la discipline des revenants et à la fureur de ses Vargheists. Soudainement, il y eut un vide devant lui, une brèche dans les rangs putrides. Les Porte-Pestes n’entreprirent aucune action pour empêcher Mannfred de s’élancer, mais ses ennemis l’attendaient néanmoins.
Mannfred vit le sourire du Sans-Nom derrière les yeux vides de Huss, mais ce ne fut pas le pantin de prêtre qui attira son attention. Cet honneur, tout douteux qu’il fût, fut accordé à la Vampire qui se tenait aux côtés de Huss. Mannfred la reconnut avant même qu’elle ne déchire son voile.
« Quelle peine peut vous affliger au point de n’avoir aucune parole aimable pour votre famille ? » demanda Isabella von Carstein, et un rire cruel vibrait derrière ses mots. Pour la première fois depuis de longues années, Mannfred fut submergé par un sentiment de surprise, qui éclipsa la bataille faisant rage autour de lui. Il méprisait Isabella plus encore que Vlad, et l’aurait occise en un instant s’il ne s’était pas retrouvé momentanément stupéfait, incapable de parler ou d’agir. Il sentait le pouvoir d’Isabella comme une force presque tangible, une puissance qui défiait ses souvenirs d’un être qu’il avait toujours rejeté en tant que maîtresse de Vlad. Mannfred comprit qu’il avait commis une grave erreur, et fut étreint par un doute inhabituel.
Tel ne fut pas le cas des trois Vargheists qui avançaient dans le sillage de Mannfred. D’un mouvement flou d’ailes et de griffes, ils dépassèrent leur maître, rendus frénétique par la perspective de goûter de la chair qui n’avait pas encore pourri. Ils étaient rapides, mais Isabella l’était davantage. Elle tira son épée, et un Vargheist décapité chuta parmi les ajoncs. Le deuxième hurla à la mort l’instant d’après, lorsqu’Isabella plongea sa lame jusqu’à la garde dans la poitrine de la créature. Le troisième, voyant l’arme de sa proie piégée, rugit de triomphe et bondit. Isabella ne tenta pas de libérer sa lame. Elle esquiva la charge avec grâce d’un simple pas de côté, tout en griffant légèrement le flanc pâle du Vargheist. Mannfred était alors sorti de sa fugue et il avait poussé Ashigaroth en avant, mais il arrêta sa monture lorsque le dernier Vargheist poussa subitement un hurlement atroce.
Mannfred tira Ashigaroth en arrière. Ses yeux passèrent du mince sourire d’Isabella à la raillerie manifeste du visage d’emprunt du Sans-Nom, puis au Vargheist. La créature se tortillait de façon incontrôlable, ses os grinçant et craquant sous la contrainte de violents spasmes musculaires. Les lignes noires laissées pas la caresse d’Isabella s’élargirent tandis que l’infection se répandait. Les muscles et les os se décomposèrent en un mucus visqueux. Dans un dernier cri mêlé d’un gargouillis immonde, le Vargheist se liquéfia entièrement, la chair puissante se déposant comme de la pluie sur les buissons épineux. Où tombaient les gouttes putrides, les ronces prenaient de nouvelles formes, d’étranges pousses démoniaques émergeant de leurs racines et de leurs tiges. Toute cette horreur ne prit que quelques secondes.
Isabella tira enfin son épée du corps du deuxième Vargheist. Les Porte-Pestes convergèrent, leurs mains couvertes de plaies agrippant les pattes d’Ashigaroth, clouant la monture sur place. Mannfred trancha les doigts et les bras des Démons, mais il y en avait toujours pour prendre leur place. Isabella sourit et fit un pas vers Mannfred, ouvrant ses bras en grand, en prévision d’une étreinte. Un rire double résonna à travers la lande tandis que la comtesse et le Démon en son sein exultaient face à la détresse du Vampire.
Ne s’avouant pas vaincu, Mannfred projeta sa volonté sur les vents, pressant tous les Morts-Vivants de venir à son aide. Il sentait un bourdonnement dans son esprit, comme si le Vent de la Mort avait été infesté par les nuées pestilentes de Nurgle. Néanmoins, Mannfred refusa de se laisser abattre, et sa volonté féroce finit par surpasser le vrombissement parasite.
À l’unisson, Zombies et revenants se dirigèrent vers leur maître, leurs ordres précédents surclassés par une urgente nécessité. Les hordes innombrables des morts et les quatre griffes restantes de l’attaque de Mannfred convergèrent vers leur seigneur en mauvaise posture.
Isabella parlait à présent, son ton moqueur fluctuant entre le sien et celui de Bolorog tandis qu’elle énumérait les doléances de Nurgle à l’intention du Vampire. Mannfred n’écoutait guère, si absorbé qu’il était par sa tentative d’évasion. Plus Isabella se rapprochait, plus le bourdonnement s’amplifiait, et le Vampire sut que le toucher de la comtesse mettrait fin à son existence. Tout autour de Mannfred, Zombies et revenants déchiquetaient et hachaient les Démons. Le Vampire sentait la pression sur lui s’alléger tandis que les Démons étaient contraints de se défendre contre les Morts-Vivants convergeant sur sa position.
Mannfred passa la pointe de son épée en travers de la panse bouffie d’un héraut, et un arc de fluide méphitique se dessina derrière l’acier. La pression sur lui s’était enfin relâchée, tandis que ses Morts-Vivants inexorables submergeaient les Démons intraitables. Surmontant le bruit dans son esprit, le Vampire projeta des impulsions de lumière flétrissantes avec son bâton acéré. Les Démons s’effondraient autour de lui, et Ashigaroth se libéra.
La fuite aurait été une option tentante, et Mannfred l’aurait saisi sans hésiter si sa fierté le lui avait permis. Or il ne pouvait supporter qu’on puisse dire que lui, Mannfred von Carstein, avait été poussé à s’enfuir par Isabella, quels que pussent être les appuis dont elle bénéficiait dorénavant. Pour sa part, la Vampire nota le changement de situation de son ennemi et fit un léger signe de tête. À son côté, la chose qui avait été Luthor Huss sourit.
Le Sans-Nom ne possédait pas l’étendue du savoir de Mannfred dans le domaine de la sorcellerie, mais rares étaient ceux à pouvoir rivaliser avec lui sur son terrain de prédilection. L’esprit avait toujours été obsédé par le contrôle de ce qui l’entourait, vivant, Démon ou Mort-Vivant, et en cela, son expertise était hors pair. Le Sans-Nom s’étira hors de son vaisseau mortel, son esprit déferlant tandis qu’il cherchait de nouveaux hôtes. Il ne pouvait pas s’attaquer aux Revenants de l’armée de Mannfred. Ils possédaient en effet une conscience rudimentaire suffisante pour lui opposer une résistance, bien que pitoyable. Le Sans-Nom aurait pu remporter sans effort un tel défi. Sa propre volonté aurait aisément brisé, la faible étincelle noire qui constituait celle d’un revenant. Toutefois, remporter les milliers de combats que cela requérait aurait beaucoup étiré la substance du Sans-Nom. Il ne souhaitait pas prendre un tel risque, d’autant qu’il avait de meilleures options. Les Zombies n’avaient pas de volontés propres, et le seul duel serait livré directement entre le Sans-Nom et Mannfred von Carstein.
Perturbé et distrait par la présence d’Isabella dans les Vents de Magie, Mannfred ne sentit pas l’intrusion du Sans-Nom avant qu’il ne soit trop tard : dix mille étincelles explosant à travers sa conscience tandis que le contrôle de la horde de Zombies lui était ravi. Mannfred riposta, mais le nuage noir de la volonté du Sans-Nom était dense et suffocant, et gagnait en force à chaque nouveau corps qu’il dominait.
Soumettez-vous. Le murmure écorché résonnait à travers la lande, coassé par des millions de gorges en lambeaux obéissant à un unique esprit.
Soumettez-vous. Non content de dérober les esclaves de Mannfred, le Sans-Nom poursuivit, étouffant la volonté démente d’Harkon et prenant le contrôle de sa force de pirates.
Soumettez-vous. Mannfred agrippa son crâne lorsque le Sans-Nom, galvanisé par sa réussite, opposa directement sa volonté à celle du Vampire. Des mouches volaient autour de Mannfred, attirées par le festin à venir.
Soumettez-vous. Des doigts avides agrippèrent les armures des Revenants. Des plates oxydées furent arrachées à des os séculaires, qui furent extirpés à leur tour. Des bannières tombaient tandis que Zombies et Démons écrasaient les rangs de la non-vie, le bourdonnement des intendants augmentant à mesure.
Soumettez-vous. Les Vargheists, trop bestiaux pour résister vraiment à la volonté du Sans-Nom, chancelaient et mugissaient tandis que son esprit faisait pression sur le leur. Désorientées, à l’agonie, les créatures furent des proies faciles pour les épées pestilentielles qui vinrent réclamer leurs non-vies.
Soumettez-vous. À travers la lande, les lieutenants de Mannfred luttaient pour se dégager des Morts-Vivants rebelles. La plupart furent tirés au sol par la horde et démembrés, frappant sauvagement et désespérément tandis que des doigts avides ouvraient leurs gorges et leurs entrailles. Cependant, certains réussirent à s’enfuir au sud sur la route d’Eisigfurt dans le couvert futile du Mort et Enterré. Luthor Harkon s’échappa avec eux, la parure de pirate souillée de sang et de fluides pestilentiels, des Démons apathiques se traînant à sa poursuite.
Soumettez-vous. Cette fois, la voix était celle d’Isabella, gracieuse et précise là où les autres étaient rauques. Zombies et Porte-Pestes s’écartèrent tandis qu’elle avançait vers le champ d’os brisés et d’armures broyées, les ronces mutant à son passage.
Soumettez-vous. La comtesse se rapprocha encore, les doigts tendus vers la chair de Mannfred. Un rire tonitruant ébranla le ciel alors que Nurgle posait ses yeux sur le monde des mortels, satisfait du travail de son émissaire.
Puisant dans ses réserves, Mannfred chassa le Sans-Nom de son esprit, dans un effort presque insoutenable. Alors que toute pression disparaissait de ses pensées, Mannfred évita de justesse le toucher d’Isabella, dont les doigts raclèrent à la place un des membres antérieurs d’Ashigaroth. Le bâton de Mannfred produisit à nouveau une lumière cinglante. Les Démons qui se trouvaient à proximité furent réduits en poussière, et le Vampire comprit enfin que son arrogance lui avait coûté la bataille,
Avant que son sort n’ait pris fin, Mannfred avait lancé Ashigaroth dans le ciel. Loin en dessous, il entendit la frustration d’Isabella, et en tira un léger plaisir. Cette étincelle de satisfaction s’étouffa vite. Ashigaroth était une créature mythique qui devait également beaucoup à la Nécromancie. Son héritage ralentissait la propagation de la caresse entropique d’Isabella, mais pas plus; Mannfred savait qu’il connaîtrait bientôt le même sort que le Vargheist.
L’affinité avec un serviteur était un concept étranger à Mannfred, pas la survie. Les Drones de la Peste d’Isabella étaient déjà à sa poursuite. Le Vampire savait qu’ils le submergeraient s’il se retrouvait à pied, et il avait été trop affaibli par l’agression du Sans-Nom pour tenter de s’échapper grâce à la sorcellerie. Il lui fallait un abri tandis qu’il s’affairerait à neutraliser le poison nécrotique d’Isabella. Un abri et des créatures à sacrifier pour sa monture.
Ashigaroth parvint jusqu’à la cour emmurée du Mort et Enterré avant que le fléau d’Isabella ne prélève son tribut. Les membres antérieurs et la cage thoracique de la monture se décomposèrent en mucus dès qu’il toucha la terre tassée, répandant des âmes à demi digérées, désarçonnant un Mannfred von Carstein outré.
Mannfred se remit debout et regagna sa dignité, puis il se tourna vers sa monture affligée. Les effets du fléau s’accéléraient, il n’avait que quelques instants pour sauver la bête. D’un geste, le Vampire lia le débordement d’âmes et les fit voler en éclats, utilisa leur essence mourante pour guérir Ashigaroth. La progression du fléau ralentit, mais ne s’arrêta pas, et Mannfred jura en Reikspiel qu’il employait rarement. Il lui en fallait plus, mais où puiser une telle ressource ? « Venu voir ou votre traîtrise nous a conduits ? » Un Vampire couturé, l’un des capitaines d’Harkon, se rappela Mannfred, avait émergé de l’entrée en ruine de l’auberge. Mannfred ne lui répondit pas. Il fit trois pas rapides vers le Vampire, fracassa son crâne contre le mur d’une main, et arracha son cœur de sa poitrine de l’autre. Voilà qui est mieux, pensa Mannfred, tandis que l’esprit mourant du Vampire laissait échapper son essence. |
Lacérant l’âme de cet effronté comme il l’avait fait avec les autres, le seigneur de Sylvanie en nourrit Ashigaroth. Cette fois, l’influx magique fut suffisant pour faire refluer le fléau. Il faudrait quelque temps avant qu’Ashigaroth puisse voler de nouveau, mais il le ferait.
« Est-ce la seule réponse que tu saches donner, moisissure de fond de cale ? » Luthor Harkon, toujours plus rapide que le suggérait son apparence, s’était glissé hors de l’auberge et avait posé sa lame sous la gorge de Mannfred avant qu’il ne puisse réagir. « Donne-moi une bonne raison de ne pas t’arracher le cœur et le balancer à cette femme démoniaque. » Mannfred n’eut pas le temps de répondre hormis un regard méprisant. Un fracas de sabots retentit tandis qu’une bande de Templiers de Drakenhof pénétra dans la cour, de l’ichor démoniaque maculant leurs armures, et une bannière de minuit à leur tête. « Laissez vivre cet asticot, Harkon. Il sait se montrer utile lorsque ses propres intérêts sont en jeu, n’est-ce pas ? » L’humeur de Mannfred s’assombrit. Il connaissait cette voix autant que la sienne, et la haïssait comme nulle autre. « Vous avez commis un vrai désastre, Mannfred,” dit Vlad. « Voyons ce que nous pouvons faire, voulez-vous ? » |
Mort et Enterré[modifier]
Les Défenseurs du Mort et Enterré[modifier]
Les défenseurs du Mort et Enterré ne s’appréciaient guère les uns les autres, mais des temps désespérés engendraient des alliances de même nature. Une poignée de Vampires contre une horde d’ennemis, dont l’un était capable de ravir le contrôle des Morts-Vivants aux seigneurs de Sylvanie, ne constituaient pas les meilleurs auspices. Toutefois, il n’y avait aucune autre option que de tenir et se battre.
Vlad von Carstein
Vlad était arrivé au Mort et Enterré juste à temps pour voir l’armée de Mannfred tomber sous le joug du Sans-Nom. Il avait remarqué la présence d’Isabella parmi l’ost démoniaque, et sa vue l’affectait plus que toute autre blessure ne l’aurait fait. Néanmoins, Vlad dissimula son désarroi. Il ne faisait confiance ni à Mannfred ni à Harkon pour disposer de la clairvoyance requise pour survivre à ce qui allait arriver, et ne voulait laisser transparaître aucune faiblesse qui aurait pu faire remettre en cause son autorité. Le salut d’Isabella, s’il s’avérait possible, devrait attendre.
Mannfred von Carstein
Humilié, vaincu, et une fois de plus subordonné à son seigneur haï, Mannfred discernait de grandes opportunités dans la bataille à venir. Il ne pensait pas l’emporter, car Isabella s’était déjà montrée extrêmement dangereuse. En fait, il considérait que nombre de ses rivaux et ennemis, ce qui ne faisait guère de différence dans l’esprit de Mannfred, étaient à portée de main. S’il devait périr au Mort et Enterré, Mannfred était déterminé à ce que Vlad, Harkon, Isabella ou le Sans-Nom le précédent dans l’oubli. De préférence tous, si possible en suppliant qu’on les épargne.
Luthor Harkon
Harkon avait un grand respect pour Vlad en tant chef, mais peu de foi quant à sa véritable allégeance. Trop souvent, Vlad avait démontré un plus grand attachement aux vivants qu’à ceux de sa race, et aux yeux d’Harkon, cela plaçait le doyen des von Carstein tout juste au-dessus des mortels qu’il affectionnait. Néanmoins il était satisfait que Vlad soit contraint de garder un œil sur Mannfred. En dépit de ses vantardises, Harkon n’avait nulle envie de se mesurer au seigneur de la Sylvanie, il en avait trop vu mourir ce faisant.
Capitaine Drekla
Drekla était le bras droit d’Harkon, ce qui était quelque peu ironique du fait qu’il ait perdu sa main gauche en suivant l’amiral vampire au combat. C’était également le seul Vampire de la flotte d’Harkon présent à la bataille de la Lande Lugubre et ayant atteint le Mort et Enterré. Rien de cela n’importait à Drekla, dont la loyauté de fer était inversement proportionnelle à l’intelligence. Où que se rende Harkon, Drekla le suivait, quelles que fussent les chances de victoire.
Les Templiers de Drakenhof
Jadis un grand ordre de chevalerie, les Templiers de Drakenhof avaient été fortement réduits depuis le retour de Nagash. Loyaux à tous les Vampires de la lignée des von Carstein, ils avaient été de nombreuses fois pressés au combat par Vlad et Mannfred, et se voyaient confier les missions les plus périlleuses simplement car nul autre corps de troupes n’était capable de les mener à bien. Au fur et à mesure, un lourd tribut avait été prélevé parmi les Chevaliers de Drakenhof. La poignée de Templiers qui était arrivée au Mort et Enterré avec Vlad étaient la plus grande formation encore existante.
La Nosantra, Lieutenants de Mannfred
Mannfred avait choisi la plupart de ses lieutenants avec comme critère le fait qu’il ne constituerait aucun danger pour lui. Ainsi, très peu eurent assez de volonté pour échapper au désastre de la Lande Lugubre. Ceux qui restaient possédaient la force nécessaire pour se frayer un passage, ou plus de raison que Mannfred ne l’avait soupçonné. A son arrivée, Mannfred avait identifié ceux de la deuxième catégorie, et s’était résolu à ne pas les sous-estimer à l’avenir, si d’aventure certains survivaient à l’affrontement au Mort et Enterré.
Les Défenseurs du Mort et Enterré | ||
Vlad von Carstein, Mannfred von Carstein, Luthor Harkon Capitaine Drekla Karkanoth de la Nosantra Brachanasta de la Nosantra |
Zaphaniah de la Nosantra Igorin de la Nosantra Bastarno de la Nosantra Marja de la Nosantra Les Templiers de Drakenhof |
Les Ravis et les Pourris[modifier]
Leurs forces à présent étoffés par des milliers de Zombies, Isabella et le Sans-Nom ne voyaient plus aucune raison de retarder davantage leur campagne. Ils envoyèrent la majorité de leur légion démoniaque au sud afin d’assaillir le Mort et Enterré avec une marée de morts dérobés, et les Porte-Pestes qui restaient.
Isabella la Maudite
Il était impossible de dire si les paroles et les actions d’Isabella von Carstein étaient bien les siennes ou celles de Bolorog. Le Démon avait attisé les souvenirs les plus cruels de sa vie passée, nourrissant la comtesse de demi-vérités et de la haine qu’elle avait oubliée. Isabella adorait Vlad autant qu’elle l’abhorrait, car elle ne se rappelait plus si elle avait effectivement été son égale, ou une simple vassale. Toutefois aucune confusion n’existait à l’égard des autres Vampires : Isabella les avait toujours détestés. Ils étaient trop nombreux en Sylvanie à l’avoir traitée avec dédain, ne lui montrant de la déférence qu’en présence de Vlad. C’était cette haine qui alimentait le fléau d’Isabella, car il plaisait à Nurgle que ces morts impérissables soient défaits par leur propre mesquinerie.
Le Sans-Nom
Le Sans-Nom se délectait de la tournure des événements. Une armée de morts à ses ordres, et trois des cinq Mortachs restants de Nagash offerts en pâture. Le Sans-Nom avait en tête de défier Nagash une fois le pouvoir des trois Mortarchs ajouté au sien. Il n’avait pas oublié Luthor Huss, et pensait que la conscience du Prêtre-Guerrier avait entièrement été écrasée par sa volonté. Cependant, Huss avait perdu sa saveur, et le Sans-Nom avait hâte que la bataille soit terminée afin de rechercher un nouvel hôte vivant. Son heure de gloire était proche, il en était persuadé.
Cœur Fétide
Cœur Fétide prévalait sur les autres hérauts qui avançaient vers le Mort et Enterré. C’était un Démon de longue date qui avait vécu maintes ascensions et chutes dans les rangs de sa légion, et qui ne se réjouissait pas de la perspective d’une nouvelle rétrogradation suite à un échec. Rares sont ceux, dans les royaumes mortel et immortel, à être plus implacable et déterminés qu’un Héraut de Nurgle, ce qu’allait prouver Cœur Fétide avant la fin de la bataille.
La Légion Gangreneuse
De prime abord, la Légion Gangreneuse semblait le plus pingre des dons. Déployer une seule légion en Sylvanie, quand d’autres campagnes en disposaient de trois, aurait pu passer au mieux pour une insulte, au pire pour une folie. Cependant, la Légion Gangreneuse était de loin la plus vaste des légions recensées de Nurgle, dépassant deux autres formations du Seigneur de la Peste combinées. Seule une fraction de la légion lutta au Mort et Enterré, le reste poursuivant au sud vers les Neuf Démons sous la direction du Grand Immonde Scrofulox.
Pusregnant le Glorieux
Trois Grand Immondes commandaient la légion assignée aux ordres d’Isabella, trois frères pourrissants du Royaume du Chaos. Le plus âge, Torporgath, avait été tué par Mannfred sur la Lande Lugubre, son essence piégée dans la Forge des Âmes. Les deux frères restants, Pusregnant et Scrofulox, jurèrent de venger cet affront, et mémé peut-être d’offrir l’essence ternie de Mannfred en échange de celle de leur frère perdu. Scrofulox s’était rendu plus au sud, il incombait donc à Pusregnant de s’acquitter de cette tâche.
Les Morts Dominés
Tirée de son sommeil pourrissant par Mannfred von Carstein ou Luthor Harkon, cette horde ne servait plus désormais que la volonté du Sans-Nom. Les Zombies se comptaient par milliers, chaque paire de membres rongés par les vers était une extension de l’esprit cruel qui les dirigeait. Ce fut à travers leurs gorges que le Sans-Nom prononça son cri de guerre, « Soumettez-vous’’. Le volume sonore de l’intonation commune aurait suffi à faire fuir les mortels. Toutefois, les Vampires sentirent l’implacable volonté derrière ces mots, et savaient que la bataille allait se livrer autant sur le plan physique que mental.
Les Ravis et les Pourris | ||
Isabella la Maudite Luthor Huss (Le Sans-Nom) Pusregnant le Glorieux Cœur Fétide |
La Légion Gangreneuse Les Canailles Lépreuses Les Morts Dominés |
La première attaque contre l’auberge eut lieu peu après l’arrivée de Vlad. La horde de Zombies entama la longue descente du versant est, les pieds des Morts-Vivants pataugeant dans la boue. Ces “survivants” de la Lande Lugubre avaient des membres et des lambeaux de chair en moins pour prouver leurs efforts. Cette avancée était le signal pour les Zombies convergeant vers le Mort et Enterré depuis d’autres fronts. Dans un bruissement, la cage de chair commença a se refermer.
Vlad avait préparé l’auberge pour l’attaque du mieux possible, même s’il n’y avait pas réellement grand-chose à faire. Les murs de la cour côté est fournissaient la meilleure défense, mais étaient aussi les plus proches de la horde. Il avait néanmoins choisi de tenir ici, avec une poignée de ses Templiers de Drakenhof. Bastarno, un des lieutenants de la coterie de Mannfred appelée la Nosantra, avait décidé de se tenir à leurs côtés. Vlad suspecta qu’il avait été envoyé comme assassin, mais n’avait nulle crainte d’un Vampire qui avait choisi une existence dans l’ombre étriquée de Mannfred.
L’auberge elle-même était vide, car son toit menaçait de s’effondrer, mais la tour de guet sud était encore relativement solide. Zaphaniah, un autre lieutenant de Mannfred, s’était propose pour servir de vigie au sommet des pierres incrustées de mouss. Il avait déjà rapporté que la plupart des Démons avaient poursuivi leur route vers le sud, un message qui avait empli Vlad de sentiments mitigés. Il se sentait agacé que les envahisseurs se promènent si librement en Sylvanie. Par ailleurs, il était conscient que moins il y aurait d’assaillants contre le Mort et Enterré, meilleures seraient les chances de ses défenseurs. Quoi qu’il en soit, Vlad était satisfait que Zaphaniah ait choisi une hauteur. Il était fébrile et cadavérique, après avoir passé trop de temps à la poursuite du savoir au lieu d’acquérir de la force. Mieux valait qu’il reste hors d’atteinte.
La cour ouest de l’auberge du Mort et Enterré se résumait à de la boue. Elle était bordée par des clôtures de bois qui n’entraverait que brièvement la horde. Vlad, Mannfred et Luthor s’étaient rarement mis d’accord depuis leur ascension au rang de Mortarch, mais avaient vite convenu que leurs meilleurs combattants seraient requis pour tenir ce terrain.
Ainsi, le reste des forces des Vampires prit position derrière la clôture. Tous ne l’avaient pas fait de bon gré. Brachanasta, le Varghulf était un prédateur, peu habitué a se comporter en proie. De même, le Roi Goule Karkanoth s’était longtemps repu de la chair de ceux qu’il avait piégés dans son réseau de grottes sordide, et il ne souhaitait pas attendre dans un traquenard d’être dévoré. Toutefois, aucun n’avait osé défier Mannfred, et tous s’étaient soumis sans résistance à son regard froid.
Luthor Harkon et le capitaine Drekla avaient censément été désignés pour aider Mannfred a défendre la cour ouest, mais aucun des deux ne souhaitait réellement lutter aux côtés du Seigneur de la Sylvanie. Ainsi, ils se tinrent du coté nord de la cour, le plus loin possible de Mannfred. De la Nosantra, seul Igorin sembla ne pas remarquer l’hostilité entre son maître et les pirates, mais Luthor savait reconnaître une brute sans cervelle lorsqu’il en voyait une et ne fut guère surpris par ce manque de perception.
La cour défendue par Vlad fut attaquée en premier. Les Zombies atteignirent le mur, leurs doigts cherchant prise dans les craquelures et le mortier usé par le temps. Vlad se tint au sommet des pierres, usant de sa Lame Vampire pour hacher de la chair pourrie et faire voler en éclats des os blanchis. Des mains avides s’élevèrent, tentant d’agripper les pieds du von Carstein, mais Vlad était si vif qu’on ne pouvait le suivre des yeux, et s’échappait avant même que les doigts ne se resserrent. Il sentait le poison d’Otto Glott le ruiner un peu plus a chaque effort, mais il ravalait le mal qui l’étourdissait, tentait d’ignorer le bouillonnement dans son sang, et poursuivait le combat.
Les Templiers de Drakenhof étaient tout aussi efficaces, sans toutefois se livrer a une démonstration de bravoure. Ils restaient en selle, usant de la hauteur de leur monture pour frapper au-dessus des pierres de taille instables. Quant a Bastarno, il abandonna la défense du mur. A la place, il tirait les Zombies un par un ou deux par deux dans la cour, avant de les tailler en pièces avec sa paire d’épées à la garde de dragon. Un mur de chair inerte s’éleva le long du rempart de pierre, mais il y avait toujours plus de Zombies pour prendre la place de ceux qui étaient tombés.
Le massacre était encore plus marque dans la cour ouest. Ashigaroth n’avait pas encore recouvré assez de forces pour voler, mais la bête était plus que capable de déchiqueter les esclaves décérébrés du Sans-Nom. Dès que la horde menaçait de faire une brèche, les griffes d’Ashigaroth ratissaient par-delà la clôture et fauchaient des Zombies par vingtaines. Le Varghulf, Brachanasta, poussa un hurlement a glacer le sang, et bondit par-dessus la clôture pour se battre de l’autre coté. Il sautait d’un groupe de Zombies à l’autre, apparemment insensible aux lames rouillées contre son cuir, tout en émettant des rugissements de défi qui semblaient se réverbérer à travers les os de ses victimes.
Les Zombies continuaient d’affluer, tels des pantins sans cervelle poussés a leur perte par un maître insensible. La folie de Luthor Harkon avait rejailli sitôt la bataille commencée. Il se pavanait le long du mur nord, beuglant des ordres a des fidèles qu’il n’avait plus, son sabre plus souvent au fourreau qu’au clair. Il aurait péri de nombreuses fois sans la loyauté de Drekla, toujours à ses cotés, taillant en pièces les Zombies s’approchant trop du Roi Pirate.
Les Zombies étaient trop nombreux. Quatre Templiers de Drakenhof périrent, tires de leurs selles et piétinés par la horde. Igorin tenta de rivaliser avec la performance de Brachanasta sur le versant ouest, jusqu’à ce qu’un Zombie colossal lui fasse sauter son épée des mains, et que le Vampire de la Nosantra disparaisse sous la marée de Morts-Vivants. Karkanoth était monté sur le mur, ses muscles secs le propulsant la où Igorin avait été englouti, mais il revint sur ses pas sur un ordre aboyé par Mannfred. L’arrogance avait déjà coûté cher au seigneur de Sylvanie en ce jour, aussi était-il peu enclin à voir se répéter les erreurs commises sur la Lande Lugubre. Cependant, rien ne pouvait tirer Brachanasta de la mêlée. Le Varghulf s’abandonnait dans son élément, ce dont pouvait attester le tas de chair et d’os broyés sur lequel il combattait.Au sud, les défenseurs risquaient d’être submergés. La masse de chair que formaient les Zombies avait entrepris d’escalader la tour de guet, et en dépit des sorts foudroyants de Zaphaniah, qui faisaient s’écrouler les Morts-Vivants par dizaines, il y en avait toujours plus qui prenaient leur place. Vlad remarqua le danger, et se déplaça pour soutenir le Nosantra. Il se déplaça en courant jusqu’au coté de la tour le plus proche, se hissa à bout de bras, bousculant des épaules les Zombies jusqu’à atteindre la plate-forme du haut de laquelle luttait Zaphaniah.
La Lame Vampire étincelait, balayant les morts avides de la tour. Vlad jura silencieusement. Le monde prit devant lui une teinte écarlate tandis que son sang lui montait aux yeux : le fléau des Glott resserrait son emprise sur le corps du comte. Vlad se fendit de nouveau, tranchant trois Zombies d’un seul coup, mais il remarqua un léger tremblement dans son bras, et l’écho de cette faiblesse résonnait à travers sa chair. Pendant un instant, Vlad von Carstein connut l’incertitude, redoutant que la maladie surnaturelle provoque son trépas. Puis la détermination du comte reprit le dessus, il enferma son bref désespoir dans la cage de sa volonté, et se jeta une fois encore dans la bataille.
L’intervention de Vlad avait fourni un répit à Zaphaniah, ce que le Vampire parcheminé mit à contribution sans tarder. Un vent spectral se mit à tourbillonner autour des doigts étendus du Nosantra, les esprits piégés dans son souffle poussant des cris stridents tandis que l’invocation du Vampire siphonnait leur essence. Les Zombies furent balayés par les rafales, ou précipités au sol lorsque des pierres se descellèrent des parois. La tour de guet fut ébranlée jusqu’à ses fondations tandis que le vent prenait de la vitesse, mais Zaphaniah poursuivait son chant. La face sud entière de la tour s’effondra, les débris portés par le vent broyant la masse des Zombies sur leur passage.
Enfin, Zaphaniah libéra le sort qu’il avait tissé. Le cyclone de sorcellerie laboura le sol en direction du sud, à travers la horde qui se levait. Ceux qui se trouvèrent pris directement dans son étreinte furent démembrés. Leurs membres et leurs organes tombèrent en pluie sur l’auberge. D’autres furent projetés hors du passage de la tornade, en se fracassant les uns sur les autres. Lorsque l’enchantement de Zaphaniah disparut finalement au loin, l’approche par le sud n’était plus qu’un enchevêtrement de corps malmenés. Toutefois, il y avait encore davantage de Zombies au-delà, et ils s’avançaient à présent en piétinant les restes broyés de leurs prédécesseurs.
C’en était trop pour la tour de guet, qui chancela une dernière fois avant de s’effondrer. Vlad entendit la plainte et le craquement de la pierre. Il sauta, et atterrit lourdement, mais quasiment droit, sur le toit de l’auberge du Mort et Enterré. Il glissa le long du pan est, des tuiles s’éparpillant autour de lui, avant de s’abattre sur le sol, puis il bondit à nouveau pour se retrouver au milieu de la cour emmurée. Zaphaniah ne fut pas aussi vif. Dans un faible gémissement, il disparut sous une cascade de pierres, et la tour sur laquelle il avait combattu devint son tertre.
Mannfred sentit le reflux magique du vent de la Mort et entendit la tour de guet s’effondrer. Pivotant sur la selle d’Ashigaroth, il vit la descente ignominieuse de Vlad sur le toit de l’auberge, et sourit. Puis Mannfred se rendit compte d’une chose qui aurait du l’interpeller plus tôt : le Sans-Nom était encore à une certaine distance des combats, et son emprise sur la horde était bien plus faible que ce qu’elle avait été sur la Lande Lugubre.
Avec un sourire plus large, Mannfred gagna le versant de la colline et commença a lutter pour reprendre le contrôle de ce qui lui appartenait. Les Zombies résistèrent au début, l’influence résiduelle du Sans-Nom était encore puissante, mais Mannfred n’était pas d’humeur a tolérer la moindre opposition. Se drapant de la Magie de la Mort, le Seigneur de la Sylvanie implanta sa volonté a travers les enchantements de son ennemi.
Instantanément, les Zombies les plus proches du Mort et Enterré cessèrent d’avancer, leurs bras retombant mollement sur leurs flancs tandis que Mannfred reprenait leur contrôle. Même ainsi, la volonté du Sans-Nom refusa de lâcher prise. Des dizaines de morts furent arrachées à l’emprise de Mannfred, mais le Vampire s’en moquait. Environ la moitié des Zombies du Mort et Enterré étaient à présent dominés par le Seigneur de la Sylvanie, qui les envoyait en jubilant sur l’autre moitié. A l’ouest comme à l’est, la pression se relâcha sur les défenses des Vampires tandis que les Zombies s’entre-tuaient. De tous les défenseurs, seul Brachanasta ne bénéficia pas de ce changement. Le Varghulf ne pouvait distinguer l’allégeance des Zombies et continuait de les déchiqueter en s’abandonnant à son avidité bestiale.
Dans la cour est, Vlad saisit l’occasion de reprendre des forces. La peste des Glottkin grandissait à chaque instant, comme répondant à l’appel de la créature possédée rodant dans le noir. Le premier des von Carstein suintait du sang par les pores de sa peau, rougie par les lésions. Ainsi, alors que Mannfred canalisait la Magie de la Mort pour imposer sa volonté à la horde, Vlad l’employait pour restaurer sa propre chair. Progressivement, les lésions s’estompèrent, mais le feu persistait dans les veines du Vampire, quoi qu’il fasse. Pour la première fois, Vlad réalisa l’ampleur de sa situation, car tout effort permettait à la maladie de croître. Il savait qu’il périrait bientôt si la victoire se faisait trop attendre.
Malheureusement pour les défenseurs, de l’auberge du Mort et Enterré, la victoire était au mieux lointaine. Ni le Sans-Nom, ni Isabella n’avaient souhaité confier à d’autres le soin de mener la bataille, et ils avançaient vers le gîte tandis que le gros de leur armée poursuivait sa route vers le sud. Le Mortarch et la comtesse étaient accompagnés d’un Grand Immonde, Pusregnant. Le Démon était déterminé a venger le bannissement de son frère survenu sur la Lande Lugubre, et il avait amené avec lui des Porte-Pestes et leurs sous-fifres pour obtenir réparation.Mannfred perdit une fois de plus son emprise sur la horde lorsque le Sans-Nom fut assez proche, la volonté morne et haïssable brisant sans effort la domination du Vampire. Mannfred recula comme sous l’effet d’un coup, mais il se ressaisit vite, conscient que plusieurs Templiers de Drakenhof l’observaient. Tout autour du Mort et Enterré, la horde regagnait son unité et chancelait a nouveau vers l’auberge.
Soumettez-vous. La voix du Sans-Nom, soufflée par les gorges en lambeaux de ses esclaves portait sans mal dans l’air lourd. Elle était censée susciter le désespoir, mais le rappel de sa défaite sur la Lande Lugubre ne fit que décupler la colère de Mannfred.
Les Zombies se déversaient des ruines de la tour de guet, menaçant d’envahir les deux cours. Vlad et Mannfred vinrent combler la brèche, toute inimitié oubliée face à la cause commune. Les deux von Carstein n’échangèrent pas un mot. Ashigaroth bondissait aux ordres de Mannfred tandis que les deux Vampires luttaient côte à côte. En tant que rivaux, chacun connaissait l’autre aussi bien que lui-même, et ces mêmes instincts qu’ils avaient si souvent employés pour se faire obstacle assuraient à pressent leur survie mutuelle.
Tous les autres Vampires ne pouvaient pas en faire autant. Dans la cour ouest, un des Templiers de Drakenhof fut tiré de sa selle par des mains insensibles, coincé sous une masse suffocante de chair morte, son corps gargouillant fut mis en pièces, organe par organe, et ses restes humides furent éparpillés.
Au nord, les Porte-Pestes atteignirent enfin le Mort et Enterré. Le sabre d’Harkon faucha le premier, le Démon s’effondrant avec un regard accusateur, mais des dizaines d’autres arrivaient à sa suite, entourés d’un nuage de mouches noires.
Une Bête de Nurgle pleine d’entrain traversa le mur est. Bastarno tenta de s’écarter mais il fut trop lent, et il se retrouva coincé sous la masse écumante de la créature. Le Vampire entailla son agresseur avec des coups rapides et meurtriers, mais le Démon semblait ne pas tenir compte de ses blessures. A la place, la Bête regarda avec affection le Vampire qui se débattait, elle pencha sa tête et passa sa langue visqueuse en travers du visage et de la poitrine de Bastarno. Les zones touchées du visage et de l’armure commencèrent à se couvrir de cloques, et les cris du Vampire furent aussi brefs qu’atroces. Sentant son compagnon de jeu immobile, la Bête le regarda, un instant confuse, puis elle bondit à la recherche d’un nouvel ami.
Des Nurglings surgirent dans la cour ouest de l’auberge après être passés par des canalisations. Karkanoth siffla tandis que la nuée se répandait entre les jambes des Zombies qu’il affrontait, et il écrasa férocement la tête d’une créature grimaçante des qu’elle apparut. Chaque coup de talon fut gratifié d’un craquement humide et d’un cri indigné. Après une dizaine d’exécutions de ce genre, les Nurglings s’enfuirent en une nuée tapageuse dans l’ombre d’un chariot renversé, d’où ils entreprirent de bombarder Karkanoth avec leurs excréments.
Une ombre corpulente s’avança sur la colline ouest tandis que Pusregnant gravissait le versant à la tête d’une bande de Porte-Pestes. Brachanasta, lassé de la piètre résistance opposée par les Zombies, se rua rapidement sur le Démon Majeur. Un coup de griffe du Varghulf ouvrit la panse fétide du Grand Immonde. Le Démon se contenta de rire, et asséna un coup qui pulvérisa le bras gauche de Brachanasta. Le visage ratatiné au bout de la langue de Pusregnant gloussa en voyant le Varghulf rugir de douleur et de colère, puis se tut en voyant les muscles déchiquetés de Brachanasta se reconstituer autour de son os brisé. Les lèvres bestiales du Varghulf se retroussèrent, et il bondit une nouvelle fois sur Pusregnant, en découvrant ses énormes crocs.
Les Porte-Pestes traversèrent le mur effondré et le corps de Bastarno en pleine liquéfaction. Les Templiers de Drakenhof chargèrent pour repousser les Démons, plongeant leurs lances dans la chair surnaturelle. Les Porte-Pestes tombèrent par poignées, un fluide noirâtre s’écoulant en bouillonnant de leurs blessures. D’autres jetèrent un coup d’œil morose aux lances piégées dans leur peau distendue, puis abattirent leurs épées pestilentielles et firent vider leurs étriers aux Vampires.
Un héraut corpulent, au statut indiqué par des cornes majestueuses, chancela à travers la clôture brisée. Son épée était incrustée de saleté mais pas moins mortelle. Il encaissa sans broncher le coup d’épée d’un Templier, avant de trancher le Vampire en deux. Puis il tituba à nouveau, et dans son élan, ouvrit une plaie profonde dans le ventre de Karkanoth. Sifflant de douleur, le Roi Goule bondit et jeta le héraut à terre, ses serres affilées se refermant sur le crâne du Démon. Dans un grondement féroce, Karkanoth trancha la tête du héraut et jeta son cadavre par-dessus la clôture.
Le bourdonnement à l’est de la cour se fit à la fois plus aigu et plus intense tandis qu’un essaim de Drones de la Peste fondit assez bas pour que les pattes des Mouches à Peste éraflent le toit de l’auberge du Mort et Enterré. Les épées pestilentielles traversèrent sans effort les heaumes des Templiers de Drakenhof, tandis que des proboscis distendus entourèrent les épaules de Karkanoth, avant de le tirer vers le ciel et de faire disparaître à jamais.Au sud, Vlad vit enfin sur le versant la silhouette en armure de Luthor Huss, et perçut également le vil esprit qui tenait le Prêtre-Guerrier sous son emprise. Le regard du Vampire luisit d’une énergie lugubre. Des éclairs jaillirent de ses yeux et réduisirent une douzaine de Zombies en poussière, ouvrant un chemin à travers la horde. Ignorant le feu dans ses veines, Vlad bondit dans cette ouverture, qu’il agrandit par une série de coups brefs et méthodiques. Il savait que si le Sans-Nom était détruit, la bataille serait à moitié remportée. Espérant que son pacte tacite avec Mannfred tienne jusque-la, Vlad s’enfonça plus profondément dans les rangs ennemis.
Les lèvres de Huss se fendirent d’un sourire creux. A l’unisson, les Zombies du sud reportèrent leur attention de Mannfred à Vlad et se rapprochèrent de lui. La Lame Vampire frappait de taille et d’estoc, faisant voler les membres et se répandre les viscères, mais l’anneau de mort se resserrait et s’épaississait.
Mannfred vit Vlad disparaître derrière les bras ballants des Zombies, et fut tourmenté par un choix. D’un côté, cela réchauffait son cœur de pierre de voir Vlad finir si ignominieusement. De l’autre, il savait que ses chances de survie seraient grandement amoindries sans le concours de son seigneur. Sa décision prise, il soutint suffisamment le regard de Huss pour ricaner, puis pressa Ashigaroth vers le haut de la colline et la bataille faisant rage dans la cour ouest. Vlad était abandonné.
Plus loin à l’ouest, les griffes et les crocs de Brachanasta avaient lacéré la chair verruqueuse de Pusregnant en une douzaine d’endroits. Le Varghulf bondit à nouveau, trop vif pour l’épée pesante du Démon, ses longues griffes se serrant sur les épaules du Démon tandis que ses crocs dardaient vers la gorge de Pusregnant. Hélas pour le Varghulf, les bajoues flasques du Grand Immonde rendaient sa gorge difficile à atteindre, et les dents de la bête vampirique ne parvinrent qu’à arracher un morceau de gras purulent.
Brachanasta cracha son ignoble bouchée, et se prépara à mordre à nouveau. A ce moment, le Grand Immonde ouvrit sa bouche en grand. Il eut un haut-le-cœur, et vomit entre ses dents pourries un flot d’asticots, de bile et de fluides corrompus, dont il aspergea le faciès et la bouche du Vampire. Aveuglé, Brachanasta retira ses griffes de la chair du Démon Majeur et s’éloigna en chancelant, tout en frappant comme un dément pour dégager les Zombies et les Porte-Pestes de son chemin. Il sentait déjà ses entrailles de dissoudre, tandis que les organismes qui grouillaient dans la bile de Pusregnant se multipliaient dans sa chair. Le Varghulf ne parvenait même plus à rugir, car seul un mucus brun sortait de sa gueule. Alors que Brachanasta tombait à genoux, le fluide saumâtre coulant entre ses crocs, Pusregnant s’approcha et leva son épée rouillée, puis il trancha la tête du Varghulf.
Mannfred atteignit la cour ouest pour se rendre compte qu’il s’était détourné d’une situation inextricable pour se retrouver dans une autre. Au centre, Harkon et Drekla combattaient aux côtés des Templiers de Drakenhof, tel un anneau rebelle qui rétrécissait, et dont Mannfred comprenait qu’il ne ferait pas long feu. Des Zombies et des Porte-Pestes se pressaient de toute part, les premiers répétant le chant murmuré du Sans-Nom, les autres bourdonnant leur compte incessant.
La démence d’Harkon n’avait fait qu’empirer à mesure que la bataille faisait rage. Il proférait des insultes de marin à chaque coup, ses mots aussi obscurs qu’inintelligibles. Drekla, en revanche, luttait sans parler. Son sabre se levait et s’abattait comme la hache d’un bourreau, de l’ichor et du mucus maculant sa cape incrustée de coquillages. Le capitaine immobilisait ses ennemis avec son crochet et les pourfendait avec sa lame. Il devait parfois délaisser cette tactique pour agripper la ceinture d’Harkon, et empêcher la folie de son maître de le faire s’enfoncer dans la horde.
Un soudain vrombissement au-dessus de sa tête attira l’attention de Mannfred, et il s’abaissa de côté sur sa selle juste à temps pour éviter le proboscis préhensile d’un Drone de la Peste. Avec un grognement, le Vampire leva son bâton, et des éclairs cinglants jaillirent de sa pointe. Le Démon volant fut réduit en poussière, ainsi que deux autres qui se trouvaient à ses côtés. Ceux qui restaient s’éloignèrent dans un bourdonnement soudain devenu colérique. Une Bête de Nurgle bondit devant Mannfred, la langue pendante. Les griffes d’Ashigaroth sectionnèrent le Démon en plein bond. Les deux moitiés atterrirent à ses pieds, avec un bruit humide, les yeux aveugles de la créature fixant le ciel avec perplexité.
Avec un rire qui ébranla les poutres du Mort et Enterré, Pusregnant chargea à travers la clôture brisée, jusque dans la cour ouest. Trois Porte-Pestes et deux Templiers de Drakenhof furent écrasés sous la masse du Démon Majeur, mais ces désagréments ralentirent à peine Pusregnant. Il fit décrire à son énorme épée une trajectoire lente et inexorable, qui faucha une douzaine de Zombies ainsi que le dernier des guerriers en armure couleur de nuit.
Harkon vit la bête approcher. Crachant un serment a faire rougir le plus aigri des marins, il se rua sur Pusregnant. Poussant un rugissement mêle de rire, le Grand Immonde fit tournoyer son fléau, dont les crânes enchaînés caquetaient tout en accélérant. Le choc aurait dû réduire la chair d’Harkon en pulpe, mais une fois encore, Drekla tira son maître hors de danger. Cette fois, cependant, le capitaine paya son geste de sa misérable existence. Les crânes hilares manquèrent leur cible initiale, mais frappèrent Drekla en pleine poitrine et le broyèrent sans coup férir.
Pendant une précieuse seconde, l’attention de Pusregnant fut accaparée par les lambeaux de chair qui avaient été Drekla. C’est à cet instant que Mannfred attaqua. Il fit sauter Ashigaroth au-dessus des Zombies et des Démons qui s’affairaient entre le Vampire et sa proie. Pusregnant rugit de fureur lorsque les griffes d’Ashigaroth se plantèrent dans la chair putride de son dos, et à nouveau lorsque des décharges magiques dépecèrent son épaule jusqu’à l’os. Ses tendons cédèrent, et le fléau tomba de la main du Démon, mais la corpulence dont Pusregnant était nanti signifiait qu’on ne pouvait le défaire si aisément.
Le Démon se redressa et se secoua, tentant de déloger Ashigaroth de son dos. A ce moment, Harkon se précipita et plongea son sabre sans la panse suintante du Grand Immonde. Des fluides nauséabonds aspergèrent le bras d’Harkon, et une myriade de Nurglings surgirent des entrailles de Pusregnant, griffant et mordant le Vampire qui les avait dérangés pendant leur sommeil. Harkon les ignora, et retira son sabre du ventre du Démon Majeur avec le bruit d’une toile que l’on déchire.
Pusregnant rugit à nouveau, et abattit encore son énorme épée, pour fendre l’amiral Vampire en deux. A ce moment précis, Mannfred se rua en avant, et enfonça de toutes ses forces la pointe de Gheistvor dans les replis de peau moisie qui entouraient le crâne du Grand Immonde, avant de fendre l’arête osseuse encroûtée qu’ils protégeaient.
Le mugissement d’agonie de Pusregnant cessa net lorsque l’acier de Gheistvor traversa la base de sa cervelle purulente jusqu’a s’enfoncer dans sa moelle épinière contrefaite. Ashigaroth bondit hors d’atteinte tandis que la carcasse bouffie du Grand Immonde s’écroula en avant, manquant de peu écraser Harkon sous sa masse putride.
Mannfred sentit l’esprit maléfique du Démon s’élever du tas de chair, il et se précipita pour en aspirer l’essence. La majeure partie lui échappa, et retourna dans le Royaume du Chaos. Néanmoins, cette substance intangible était plus puissante que celle de toute autre créature sur le champ de bataille, et même les fragments que Gheistvor put dérober furent suffisants pour soigner les dernières blessures d’Ashigaroth.Le von Carstein était si absorbé par la destruction de Pusregnant qu’il lui fallut un moment pour se rendre compte du calme qui régnait soudain tout autour de lui. Les Porte-Pestes l’encerclaient en rangs serrés, le fixant d’un regard noir sous leur front cornu, sans esquisser le moindre mouvement pour s’approcher. Même les nuées braillardes de Nurglings s’étaient cachées sous la chair nauséabonde de leur père défunt.
Un applaudissement d’une lenteur sarcastique attira l’attention Mannfred. Isabella était assise sur l’un des derniers poteaux intact de la clôture, ses jupes délicatement arrangées autour d’elle. Elle sauta en riant dans la cour jonchée de cadavres, ses mains étirées. Les Porte-Pestes se pressèrent autour d’elle, et le nuage de mouches s’épaissit à mesure que cette foule s’assemblait.
Mannfred avait peu envie de se risquer dans une autre confrontation avec Isabella, et de toute façon il n’était plus nécessaire qu’il le fasse. Il gratifia la comtesse d’une révérence moqueuse, et dirigea Ashigaroth vers les cieux. Harkon, malgré sa folie, comprit la signification du départ du Seigneur de la Sylvanie. Trop épuisé pour voler par ses propres moyens, il bondit sur le cadavre de Pusregnant puis s’élança en quête d’une prise sur le flanc d’Ashigaroth. Les doigts d’Harkon se refermèrent sur une excroissance osseuse, et il put lui aussi échapper aux mouches qui tourbillonnaient en dessous.
Cependant, Mannfred n’avait ni le désir ni le besoin de sauver la misérable vie d’Harkon. Le Seigneur de la Sylvanie gronda et frappa. La lame enchantée de Gheistvor sectionna le bras d’Harkon au niveau du coude. Alors que Mannfred filait au sud pour faire part de son échec, un morceau d’Harkon toujours accroché à sa monture, l’amiral Vampire plongeait vers le destin auquel il avait essayé de se soustraire.
La chute d’Harkon fut amortie par l’épais tapis de cadavres recouvrant la cour, mais pas suffisamment. Il y eut comme le bruit de cassure d’une branche pourrie, sa jambe gauche se plia de cote selon un angle révulsant et il se retrouva face contre le monticule de morts. Toutefois, le Seigneur de la Côte Vampire n’abandonna pas. Hurlant de douleur comme un dément, il se redressa sur les genoux en appuyant la pointe de son sabre sur le tapis de macchabées.
Alors que les Démons se rapprochaient, Harkon balayait devant lui avec sa lourde lame, et fendit le ventre et l’aine des Porte-Pestes. Il hurlait un nouveau défi à chaque ennemi qu’il fauchait, exhortant les Démons à affronter sa lame, afin de terminer ce que Mannfred avait commence.
Une douzaine de Démons s’étaient ainsi couchés sans vie, venant grossir le tas de cadavres, lorsque leurs rangs s’ouvrirent pour laisser le passage à Isabella. Elle observa un moment le Vampire mutilé, un léger sourire jouant sur ses traits, sans tenir compte du torrent d’injures qui jaillissait des lèvres du Vampire. Puis, sans prononcer le moindre mot, elle pénétra dans l’arc menaçant du sabre d’Harkon. La lame d’Isabella para celle de l’amiral. Avant qu’Harkon ne frappe à nouveau, Isabella écrasa le sabre du pied, le piégeant contre la chair molle des victimes d’Harkon. L’épée de la comtesse fendit l’air, et la main de l’amiral se détacha de son poignet.
Tandis qu’un nouveau flot d’injures emplissait l’air, Isabella fit signe aux Porte-Pestes. Ils s’avancèrent, saisirent Harkon par ses bras tronqués, et le tinrent fermement. Ignorant les postillons qui lui éclaboussaient le visage, la comtesse s’agenouilla devant Harkon. Murmurant des mots apaisants en contradiction avec la cruauté de son sourire, elle prit la tête du Vampire entre ses mains comme s’il s’agissait d’un amant, et la serra entre ses doigts. Isabella se délecta de voir son fléau prendre racine. Peu après, le corps d’Harkon était réduit en liquide fétide.
Isabella se remit debout, et secoua ses doigts avec dégoût pour les débarrasser du mucus. Il était malheureux que Mannfred ait pu s’échapper, mais elle sentait que la présente bataille n’était pas encore terminée.
Sur les versants sud, Vlad avait enfin émergé du flot étouffant de chair morte en taillant à travers, et l’effort l’avait drainé à la fois de ses forces et de sa volonté. La Lame Vampire lui ouvrait le chemin tandis que le comte gravissait la pente, mais les lésions s’étaient rouvertes et un sang infecté s’écoulait des joints de son armure. Le Vampire savait que son temps filait à toute vitesse. Sans savoir que ses alliés étaient tous morts ou en fuite, il chancela jusqu’au sommet de la colline vers l’auberge du Mort et Enterré, en tailladant les Zombies sur son chemin.
Voyant Vlad entamer son repli, le Sans-Nom intima à Huss d’éperonner sa monture. Tandis qu’il chevauchait, le Prêtre-Guerrier leva son marteau béni, et se prépara a frapper afin de détacher la tête du von Carstein de ses épaules. Averti par le martèlement humide des sabots sur la chair morte, Vlad pivota pour faire face à son adversaire, et chercha désespérément un moyen de se tirer de ce mauvais pas.
Le marteau s’abattit. Vlad para, le choc de l’impact courant le long de son bras et lui arrachant un
sifflement de douleur. « Prêtre ! Je sais que vous pouvez m’entendre, » cria Vlad en s’écartant d’un coup qui aurait fendu du granite. « Vous êtes un pantin, le jouet de la même sorte de créature que vous avez juré de détruire, en y dédiant votre vie.” Huss ne répondit pas, mais le Sans-Nom le fit, ses mots s’échappant non seulement de la bouche du Prêtre-Guerrier, mais aussi des Zombies massés autour de Vlad. « Il ne peut vous entendre. Il est en mon pouvoir. » Vlad ignora le sarcasme et esquiva, son épée fendant une paire de Zombie en deux. Malgré les paroles du Sans-Nom, il ressentait une étincelle de défi dans l’esprit de Huss. Le Vampire immisça sa volonté dans le brouillard qui noyait l’âme de Luthor Huss. « C’est ainsi que tu honores la mémoire de Sigmar, Prêtre ? » se moqua Vlad. « En servant les Dieux Sombres ? » |
Huss fit une grimace de douleur. Cette fois, le marteau, s’abattit un peu plus vite qu’auparavant, ou peut-être Vlad était-il un peu plus lent, affaibli par la peste des Glott. Quoi qu’il en fut, l’arme s’écrasa sur l’épaule du Vampire, et l’envoya vriller parmi une douzaine de mains avides. Vlad hachait et coupait, tranchant mains et avant-bras, mais davantage venaient le retenir.
« Je vous l’ai dit, il ne peut pas vous entendre, » répéta le Sans-Nom, faisant ruer Huss en avant. Le marteau à deux mains se leva une fois encore, les lèvres du Prêtre-Guerrier esquissant un sourire qui n’était pas le sien. « Alors c’est peut-être un lâche, » répondit Vlad, tentant en vain de se libérer des Zombies qui l’entouraient. « Trop faible d’esprit pour défendre sa foi. » L’expression de Huss fluctua de nouveau. « Ou peut-être n’a-t-il besoin que d’une opportunité de prouver sa valeur ? » Le marteau s’abattit de nouveau. Vlad projeta sa volonté en une ultime incursion dans le Vent de la Mort, espérant gagner son pari au-delà de tout espoir. |
A travers Huss, le Sans-Nom ricana, ce soudain amusement lui faisant retenir le coup de marteau. Des centaines de corps brisés et sans vie se relevèrent une fois encore, emplis d’une vigueur renouvelée par le sort de Vlad, mais ce ne fut pas tout. Le sol gronda, la terre détrempée se fendant tandis que des morts depuis longtemps ensevelis s’en extirpaient. Le Sans-Nom rit à nouveau, et étira sa redoutable volonté pour prendre lui-même le contrôle des pantins que son adversaire lui avait si gentiment procure. Tout comme Vlad l’avait escompté.
Tandis que le Sans-Nom étendait son emprise sur ses nouveaux serviteurs, une fissure se dessina sur la prison qui retenait l’esprit de Huss. C’était la plus infime des craquelures, provoquée par le soudain étirement de la volonté du Sans-Nom, mais c’était précisément ce que Vlad avait attendu. Le Vampire se concentra sur elle et la martela. Seul, il n’aurait jamais réussi, pas dans son état actuel, mais Vlad n’était pas seul.
Une lumière dorée éclaira les ténèbres tandis que Luthor Huss se libérait enfin de l’emprise du Sans-Nom. Le Prêtre-Guerrier hurla d’humiliation et de rage, le pouvoir de sa foi transformant ce cri inarticulé en colonne de feu rageur. Alors qu’il se trouvait à une longueur de lance du prêtre, Vlad sentit la colère de Huss lui boursoufler la peau.
Pour le Sans-Nom, dont la majeure partie de l’essence était encore abritée dans la chair du Prêtre-Guerrier, les conséquences furent incommensurablement pires. L’esprit se volatilisa comme une ombre surprise par le soleil de midi, son cri s’étouffant tandis que la puissance de la foi de Huss le consumait. L’esprit libéra un ultime gémissement, puis fut entièrement dissous par le feu.
A travers le champ de bataille, les Zombies reliés à la volonté de l’esprit crièrent une fois en faisant écho à leur précédent maître, puis ils s’écroulèrent, bouche bée. Huss ne le remarqua pas, ou n’y prêta pas attention. Il galopa le long du versant, un feu purificateur jaillissant de son marteau pour brûler la chair réanimée. Bientôt il y eut un cercle de corps calcinés autour de Luthor Huss. Seul Vlad n’était pas léché par les flammes. Huss se rappelait tout ce que le Sans-Nom avait vu par ses yeux. Il lui répugnait de se battre avec Vlad comme allié, même si le Vampire avait porté le titre de Comte Électeur. Néanmoins, le Prêtre-Guerrier réalisait qu’ils avaient tous deux un ennemi commun à présent, et il avait épargné à Vlad la morsure de son feu béni.
Alors que Huss se déchaînait contre l’ennemi, Vlad tomba à genoux et brisa les enchantements qu’il avait précédemment lancés. La plupart des Zombies s’écroulèrent, inertes. Il ne pouvait pas se risquer à les contrôler, car sa volonté diminuait, et il lui faudrait mobiliser toutes ses ressources pour conserver l’intégrité de son corps en décomposition. L’énergie qu’il parvint à extraire du bannissement, Vlad l’employa pour endiguer la progression du fléau des Glott. La rémission était moindre qu’auparavant, car l’infection s’était enracinée lors de sa confrontation avec le Sans-Nom, mais la Magie récupérée donna a Vlad la force de continuer.
Tandis que les derniers Zombies s’effondraient, Huss grimaça en voyant qu’on le privait de vengeance, puis sa colère gronda en voyant des Porte-Pestes émerger des ténèbres. Il vit immédiatement qu’il était encerclé, et qu’ils étaient trop nombreux pour qu’il les affronte seul. Il se renfrogna encore davantage. Chevauchant la ou Vlad se trouvait encore a genoux, le Prêtre-Guerrier hésita, puis il se baissa, tendit la main et aida le Vampire à se relever. Pendant un long moment, le Vampire et le prêtre se tinrent sans bouger tandis que se rapprochaient les Démons, dont le bourdonnement s’amplifiait encore. Ils n’échangèrent pas un mot, juste un bref regard qui exprimait leur incrédulité mutuelle quant à la situation mieux qu’aucun discours ne l’aurait pu. Puis Huss brandit son marteau, et hurla le nom de son dieu guerrier. Nimbé de flammes, il chargea sans crainte la masse couronnée de mouches, martelant son défi à chaque coup. Vlad haussa les épaules, comme face à une plaisanterie qu’il était le seul à comprendre, puis il suivit le prêtre sans prononcer la moindre parole.
Il est fort dommage qu’aucun chroniqueur n’ait assisté a la scène qui s’ensuivit. Le monde pourrait ne jamais en revoir de telle, et les deux alliés auraient sans doute nié qu’elle ait jamais eu lieu, si quiconque avait pu en parler. Vlad et Huss savaient qu’il n’existait aucune échappatoire, mais cette certitude ne fit que renforcer leur détermination.
Huss était affaibli par des mois passés sous l’emprise du Sans-Nom, mais sa foi était un réservoir de force intarissable. Ses flammes réduisaient les Porte-Pestes en cendre, l’épaisse fumée de leur trépas dispersant les mouches. Son marteau luisait d’une lumière dorée, tel un phare d’espoir dans les ténèbres. Les épées pestilentielles cassaient sous ses coups, et la chair démoniaque brûlait.
Vlad, souffrant toujours de la peste des Glott, refusa néanmoins de rester passif tandis que son allié mortel agissait. La Lame Vampire rivalisait mort pour mort avec le marteau de Huss, les coups de Vlad étaient plus rageurs et moins précis qu’a son accoutumée, mais bien assez utiles. Huss luttait pour une sainte vengeance, pour être absous des actes commis alors qu’il était sous le contrôle du Sans-Nom, alors que le Vampire ne se battait que pour avoir la chance d’apercevoir Isabella une dernière fois.
Le souhait de Vlad fut enfin exaucé, dans l’ombre des ruines de la tour du Mort et Enterré que projetait la lune. Un instant, Huss était dressé dans ses étriers, son marteau défonçant le crâne d’un héraut corpulent. L’instant suivant, une ombre tomba depuis les décombres sur la croupe de sa monture, et du sang aspergea les ténèbres, après qu’Isabella lui eut tranché la gorge d’une oreille a l’autre.
Vlad entendit le dernier cri gargouillant de Luthor Huss, et se tourna pour voir sa chère Isabella faire basculer le Prêtre-Guerrier du haut de sa selle. Puis elle glissa sur le sol avec grâce, et planta un pied dans le plastron de Huss comme un chasseur posant avec un trophée.
Aussitôt, les Porte-Pestes s’immobilisèrent en appréhendant ce qui allait se produire. Vlad avança vers Isabella, l’épée tirée. Les Démons s’écartèrent de son passage, cessant leur bourdonnement, et Vlad von Carstein, premier des Comtes Vampires, se rendit a la rencontre de son destin.
« Se cacher derrière un prêtre, » désapprouva Isabella. « Êtes-vous donc devenu si faible ? »
Vlad s’arrêta à deux pas de la comtesse, réprimant son exaltation et son désarroi. Les Porte-Pestes qui encerclaient le Vampire étaient si loin de ses pensées qu’ils auraient tout aussi bien pu ne pas exister. « Je ne me cache derrière personne, » répondit-il en faisant un pas sur sa gauche. Isabella imita son mouvement et ils commencèrent a se tourner autour. « Et je trouve que mes récents alliés, bien que contraires aux traditions, bien plus acceptables que ceux que vous avez choisis. Toutefois, vous n’êtes pas réellement ce que vous paraissez, n’est-ce pas ? La puanteur du Démon ne se dissimule pas aisément. » Isabella sourit faiblement. « C’est bien moi, mon bien-aimé. Le Démon que vous sentez me confère juste le pouvoir d’exaucer mes vœux. Le Grand Nurgle m’a accordé ce dont vous m’avez toujours privée : la chance de suivre mon propre destin et de le façonner. - Vous étiez mon épouse, je ne vous ai rien refusé. - J’étais votre jouet, toujours dans votre ombre. - Le Démon altère vos souvenirs. Nous nous sommes toujours traités en égaux. Vlad s’arrêta et se tordit, pris d’une quinte de toux, un sang infecté lui montant au visage. - Alors prouvez-le. Rejoignez-moi au service du Père des Pestes. Vous ne pouvez échapper a sa bénédiction de ce côté de la mort, alors embrassez-là. Renaissez en tant que vaisseau de la ruine. |
- Est-ce donc la raison de tout ceci ? » s’enquit Vlad, son maintien presque retrouvé. « Me recruter pour servir la cause de votre maître ? »
- Non. Mon œuvre en Sylvanie ne fait que débuter. Mais le Grand Nurgle vous acceptera, si je le souhaite. » Vlad n’eut même pas a considérer sa réponse. Depuis que Nagash l’avait ressuscité, il avait passé chaque jour a chercher le moyen de ramener sa chère Isabella, en acceptant tous les marchés et les compromis. Maintenant qu’elle se tenait devant lui, il ne pouvait y avoir qu’une seule réponse. « Non. Ce que vous me demandez, je ne puis vous l’offrir. » Il laissa choir son épée. « J’ai cru pouvoir endurer les pires ténèbres pour me tenir a vos cotés. J’avais tort. » Isabella le fixa. « Réfléchissez, mon bien-aimé. Il n’y a aucune échappatoire. Le refus signifie la mort. » Vlad renâcla. « Je suis revenu du néant pour celle que vous étiez, pas pour la créature narquoise que vous êtes devenue. J’y retourne de bonne grâce. Ce monde n’a plus rien a m’offrir. » Vlad ne bougea pas lorsqu’Isabella leva les mains sur son visage. L’espace d’un instant, il crut distinguer l’ombre d’un remords dans ses yeux. Puis ses doigts glacés éraflèrent sa peau, et le bouillonnement de son sang monta en un crescendo rageur. En rendant son dernier souffle, Vlad von Carstein jura de se venger d’un dieu. |
La puanteur du Verminarque était un mélange immonde de chair putréfiée et de pelage galeux. La créature oscillait sans cesse sa tête de droite a gauche tandis qu’elle se trouvait face au trône de l’Élu des Dieux, de la salive luisant de Malepierre derrière ses dents en biseau.
Malgré sa posture voûtée, le rat-démon était tellement grand qu’il dépassait Archaon sur son trône et étendait son ombre au-dessus de l’Élu des Dieux en personne. Des parasites grouillaient sur la peau cireuse de la créature, se répandant a travers les plaies et les bubons qui constellaient les zones de chair nue. Sa posture était à la fois obséquieuse et opportuniste, trahissant son intention de servir jusqu’a ce que son maître ait tourné le dos. Se trouver dans la même pièce que cette créature emplissait Archaon de mépris. Ils avaient beau être allies, l’Élu des Dieux serait toujours révulsé par cette vermine qui osait marcher comme les hommes. « Vous souhaitez que nous creusions sous la cité ? » s’enquit l’énorme rat, baissant ses yeux sur le trône d’Archaon, ou reposait Ghal Maraz sur des ossements. Le Marteau de Sigmar était le prix d’Archaon, arraché aux mains sans vies de ce chiot de Valten. Il servait à la fois de trophée et d’avertissement à tous ceux qui approchaient du trône. « C’est un travail dangereux. Exorbitant. Requérant beaucoup d’esclaves. » - Je suis conscient du fait que les enfants du Rat Cornu ont prêté allégeance à la cause des Dieux Sombres. » Archaon laissa l’accusation s’attarder. Le Verminarque inclina sa tête et changea d’approche, cherchant a tirer parti de la situation. « Que cherchez-vous qui soit si important ? - Quelque chose de très ancien, et qui remettra ce monde entre les mains des Dieux Sombres. » Une lueur passa sur les yeux perçants de la créature. “Est-ce précieux ? » Archaon était sur que l’esprit du rat échafaudait déjà des plans pour s’emparer du prix de l’Élu des Dieux. Le Démon avait-il conscience de la limpidité de ses désirs ? C’était sans importance. Cela ne le rendait que plus facile a manipuler. L’avidité et la peur étaient les deux fouets qui guidaient l’âme du Skaven, et Archaon savait manier l’un comme l’autre. « C’est inestimable, » concéda le Roi aux Trois Yeux. |
- Alors nous le chercherons et le trouverons selon votre souhait. J’y veillerai personnellement. » La créature se retourna pour partir. Archaon leva un poing ganté, et quatre Épées du Chaos en armure noire barrèrent le passage du rat. Le fouet de l’avidité avait fait son office, à présent c’était au tour de celui de la peur de mordre profondément. « Il est si précieux et si important, » ajouta Archaon, que celui qui le dérobera sera pourchassé jusqu’aux confins du monde. Il ne trouvera aucun refuge dans ce royaume ou dans celui qui repose au-delà, car aucun dieu ni mortel n’osera l’aider a se cachet. Un jour, plus tôt qu’il ne le croirait possible, les Démons des quatre puissances le débusqueront. Chaque parcelle de sa peau lui sera arrachée, son âme, écartelée et lacérée. Et alors seulement, ses véritables tourments débuteront. » Les paroles de l’Élu des Dieux flottèrent dans l’air un moment. Le Verminarque ne se retourna pas vers Archaon, mais sa queue pleine de croûtes s’agitait frénétiquement tandis que le Démon considérait sa réponse. « Nous le chercherons et le trouverons, » répéta le rat, se retournant à demi pour envoyer a Archaon un regard a la fois implorant et venimeux. « Pour la gloire des dieux. » Satisfait, l’Élu des Dieux baissa son poing et les Épées du Chaos se retirèrent. Sans une parole de plus, le Verminarque ouvrit la lourde porte, et s’évanouit dans la nuit. « Pour la gloire des dieux, » reprit Archaon, se redressant pour laisser courir un doigt le long de l’acier runique de Ghal Maraz. « Ceux qui existent vraiment. » |
Ça et la, des étendards royaux de Nehekhara étincelaient dans la pénombre, mais pas autant que ceux qui avaient entamé la longue marche depuis le sud. Trop de ces rois du désert avaient offensé Arkhan, involontairement ou à dessein, et avaient ainsi compromis leur droit d’exister. Désobliger Arkhan revenait à contrarier son maître maudit, et ni l’un ni l’autre ne supportait d’être froisse.
Il était évident pour Mannfred que Nagash avait déjà appris sa défaite. Ce fut donc plein d’anxiété que le Seigneur de la Sylvanie arriva à la Pyramide Noire, car il savait que l’échec était aussi généreusement récompensé qu’un affront. Il s’écoulait rarement un jour obscur en Sylvanie sans que le Vampire ne maudisse le fait qu’il ait lui même rendu possible de retour de Nagash, et ainsi gâché sa propre existence.
En définitive, ce fut Arkhan, et non Nagash, qui reçut Mannfred dans la salle du trône dorée de la Pyramide Noire. Le Grand Nécromancien était encore endormi dans les profondeurs de la structure, occupé à drainer la Magie de la Mort glacée dans sa forme squelettique. Le Roi Liche savait qu’il valait mieux ne pas déranger son maître sauf si les circonstances prenaient une tournure des plus apocalyptiques.
Ainsi Mannfred rapporta ses péripéties à Arkhan, plutôt qu’à son maître. Le Seigneur de la Sylvanie prit soin d’exposer l’arrogance et les erreurs, et par conséquent la honte de la défaite, comme incombant exclusivement au lamentable Luthor Harkon. Il aurait aimé faire passer Vlad pour responsable du fiasco sur la Lande Lugubre, toutefois il ignorait si le von Carstein avait ou non été tué au Mort et Enterré, et ne voulait pas risquer de compromettre sa version des faits par un élément inconnu.
Arkhan écouta impassiblement les paroles du Vampire, ne donnant à ce dernier aucun indice sur ce qu’il en pensait. Il soupçonnait le Seigneur de la Sylvanie de mentir en grande partie sur ce qui s’était produit sur la Lande Lugubre, mais il s’en préoccupait peu. En vérité ni Arkhan, ni Nagash ne se lamentaient sur la possibilité d’une défaillance au nord, le Vampire y avait été envoyé autant pour tester les envahisseurs que pour quoi que ce fut d’autre, à son insu. C’était regrettable, sans plus, que la bataille ait coûté à Nagash les services de Luthor Harkon. L’amiral corsaire s’était avéré à plusieurs reprises l’atout le plus faible de Nagash, et il se dispenserait facilement de ses services. Le moindre roi de Nehekhara était aussi puissant qu’Harkon, et de plus motivé par le sens du devoir, non la folie. Arkhan savait que de nouveaux Mortarchs seraient promus lorsque Nagash sortirait de son sommeil, une nouvelle confrérie de mort qu’il aurait à guider au service de sa sombre majesté.
La description de la bataille fournie par Mannfred permettait au moins de confirmer l’ampleur de l’invasion. En vérité, une légion démoniaque, quelle que soit sa taille, ne perturbait pas Arkhan, pas lorsqu’elle devait affronter les forces déployées dans l’ombre de la Pyramide Noire, Et même si d’autres suivaient, le Roi Liche était confiant dans le fait de pouvoir les détruire sans troubler le Grand Nécromancien. Après tout, les Mortarchs avaient affronté une situation bien pire à Nehekhara et ils en étaient sortis victorieux. Ce n’était pas la complaisance qui dictait à Arkhan la stratégie à suivre, mais une sinistre certitude. Il connaissait les aptitudes exactes des forces de Nagash, et s’attendait au pire à une impasse éprouvante sur les rives du lac qui entourait la pyramide.
Néanmoins, Arkhan était avant tout prudent. Des forces supplémentaires ne feraient qu’augmenter les chances de victoire. Par ailleurs, Mannfred avait failli à ses responsabilités en dépit des probabilités d’échec envisagées par Nagash. Une telle négligence méritait une punition, même s’il s’agissait d’une humiliation, et non d’une forme plus durable de marquer un manquement. Ainsi fut-il permis à Mannfred de quitter très brièvement les Neuf Démons. Quelques heures plus tard, il volait à l’est en direction des montagnes, avec pour instruction d’offrir à Neferata tout ce qu’elle souhaitait en échange de son retour aux côtés du Grand Nécromancien.
« Je suis navré, par ce qui vous accable, votre majesté. »
Mannfred ne parvenait pas à masquer son amusement. La chambre jadis glorieuse était en ruine, ses trésors volés et ses murs enduits de graffitis gobelins. Neferata se retourna et lui jeta un regard de pur poison. « Vos paroles ne m’intéressent pas. » Mannfred secoua la tête. « Il sied mal à quelqu’un de votre rang de mentir si ouvertement. Si vous n’aviez pas désiré me parler, vous m’auriez éconduit à ce qu’il reste de votre porte. » - « Dois-je imaginer que cela vous aurait arrêté ? » - « Probablement pas, j’aurais consenti à un effort symbolique. Par ailleurs, ce ne sont pas mes mots que je transmets. Arkhan requiert votre retour en Sylvanie. » - « Arkhan ne formule aucune requête. Il donne des instructions. » - « En effet, son instruction est justement de vous offrir ce que vous désirez en retour. » - « Je ne suis pas intéressée par la mesquinerie du liche. » - « Et en vérité, moi non plus. Lui et son maître ont volé mon royaume, et je ne vois pas comment le reprendre. Pas avant qu’ils ne soient détruits. » - « Alors détruisez-les. » Neferata dégoulinait de mépris. « Pareille chose n’est pas aisée, » reprit Mannfred. « En outre, mes chances de survie sont bien meilleures dans l’ombre de Nagash, pour le moment du moins. L’occasion se présentera d’elle-même. Pendant ce temps, il m’incombe, il nous incombe, de trouver notre plaisir ou nous pouvons, tant que nous le pouvons. » Il lança un regard narquois a Neferata. « Je pense que nous savons tous deux qu’il y a en effet une chose en possession d’Arkhan que vous désirez ? » La Reine des Mystères esquissa un mince sourire. « Khalida. » |
Mannfred était excédé de devoir jouer le rôle de messager, mais se consola avec le fait que l’ampleur de son échec avait été dissimulée à Nagash. Malgré tout le Vampire avait refusé l’ordre, jusqu’à ce qu’Arkhan eût fait mention d’un savoir plus vaste sur ce qui s’était produit à la Lande Lugubre. Peu désireux de mettre au pied du mur l’insondable liche, et de risquer le courroux de Nagash, Mannfred avait fini par accepter.
Le seigneur de Sylvanie voyagea seul, uniquement accompagné par son ressentiment. Chaque heure qui passait le dépossédait davantage de ses propres terres, et en faisait un serviteur utilisé à contre-emploi. Il ne pouvait pas laisser les choses se poursuivre ainsi.
La Neferata que Mannfred trouva au Pinacle d'Argent n’avait plus rien de celle avec qui il avait combattu plusieurs mois auparavant. Le maintien légendaire de la Reine des Mystères n’était plus qu’un souvenir lointain. Ses manières étaient sauvages, et son humeur à fleur de peau.
Une partie des éléments responsables de son état sautait aux yeux. Les pièces autrefois luxueuses de sa forteresse avaient été saccagées durant sa longue absence, tout d’abord par les Nains, puis par les Skavens, et enfin par les Gobelins. Les envahisseurs les plus récents se trouvaient encore sur place au retour de Neferata, et leurs cadavres gisaient encore un peu partout, les corps affichant les traces des plus terribles blessures. De tous les bibelots et les parures, les précieux trésors que Neferata avait passé plusieurs vies à accumuler, il ne restait rien, tout avait été dérobé ou détruit.
Toutefois, le coup le plus terrible ne s’était pas abattu sur les possessions de Neferata, mais sur sa véritable passion : l’information. Le tumulte qui avait ravage le Vieux Monde depuis le retour de Nagash avait mis en pièces son réseau d’espions et de contacts Des centaines de ses servantes avaient péri pendant les incursions skavens, ou lorsque le Chaos s’était emparé de l’Empire. Mannfred soupçonnait qu’une bonne part d’entre elles avaient simplement renié leur loyauté envers la Reine des Mystères, et choisi à la place de disparaître sous le couvert de l’anarchie qui s’étendait. Il se garda naturellement de faire part de cette intuition a Neferata.
Ainsi, à la grande surprise de Mannfred, Neferata accéda rapidement à sa demande. La vie qu’elle avait passée des siècles à bâtir était partie en fumée, et la Reine des Mystères n’attendait qu’une occasion de faire payer cette perte. Elle avait si rapidement accepté que Mannfred ne la crut pas au départ, s’attendant à recevoir une dague d’argent dans le dos dès qu’il se retournerait. Puis, Neferata formula une petite requête, presque triviale, de celle que, comme Mannfred le savait, Arkhan serait trop heureux de lui accorder. Le marché fut conclu. Les portes délabrées du Pinacle d’Argent s’ouvrirent en grand une dernière fois, et la Reine des Mystères quitta sa forteresse pour prendre part à la guerre.
Pendant ce temps, l’armée d’Isabella poursuivait sa progression à travers la Sylvanie, droit en direction de la Pyramide Noire. Elle ne fit aucune tentative pour relever les morts afin qu’ils grossissent ses rangs, ce qui conduisit Arkhan a spéculer sur les capacités de la comtesse en la matière, mais elle ne désirait aucun renfort de toute manière. Comme Arkhan l’avait prévu, deux autres légions démoniaques se joignirent à la première, leurs rangs chancelants attirés dans le monde des mortels par les maladies qui fleurissaient dans le sillage d’Isabella.
Krell reçut pour mission de ralentir les Démons où il le pouvait, et le Roi Revenant jeta consciencieusement les habitants les plus sauvages et bestiaux de la Sylvanie en travers de l’armée purulente. Ces combats tournaient immanquablement en massacre à sens unique, mais Arkhan n’en avait cure. Le Roi Liche faisait peu confiance aux Vampires, et aucune en ceux qui étaient tenaillés par une faim dévorante. Ainsi, il ordonna à Krell de disposer de leurs vies sans retenue. Mieux valait qu’autant de Varghulfs et de Vargheists que possible périssent loin de la Pyramide Noire, où leur indiscipline ne pourrait que ruiner un plan de bataille structuré.
Toutes dépensières qu’elles étaient, les tactiques de Krell eurent pour effet de malmener l’ost démoniaque. Le Roi Revenant ne tenta pas de s’en prendre directement à Isabella. La comtesse voyageait toujours au cœur de l’ost, et n’avait pas daigné prendre part aux combats depuis le siège du Mort et Enterré. La présence de Mannfred l’aurait peut-être poussé à se découvrir, mais le Seigneur de la Sylvanie était très loin, et n’aurait pas risqué sa vie dans une seconde confrontation.
A chaque nouvelle escarmouche qui lui était rapportée, Arkhan devenait de plus en plus convaincu qu’Isabella n’était pas simplement le meneur des Démons, elle était leur point d’ancrage. La corruption de Nurgle ne se répandait que là où elle marchait, et l’emprise des envahisseurs sur le monde des mortels était plus forte lorsqu’elle était à proximité. Quoi que Nurgle ait pu prévoir, Isabella en était certainement la clé, et Arkhan eut la conviction grandissante qu’elle cherchait à entrer dans la Pyramide Noire, pour s’emparer de son pouvoir. Ce sacrilège ne serait pas permis. Ainsi, lorsque les Démons furent enfin en vue de la pyramide, leur approche tirant les Rois Goules de leurs tanières sur les collines, Arkhan avait rassemblé ses forces dans l’intention de détruire Isabella et d’anéantir à sa source la corruption démoniaque
Si les fondations de la Pyramide Noire s’enfonçaient profondément dans le lac de Magie Noire, elle était reliée au rivage par un isthme de pierre, les vestiges d’une route menant à ses portes. Peu de créatures, Démons, mortels ou Morts-Vivants, pouvaient survivre au contact des eaux d’améthyste du lac. Ainsi, l’isthme serait le seul point d’approche d’Isabella, et Arkhan avait établi son plan de bataille en conséquence.
Arkhan était très ancien. Il avait éprouvé ses tactiques lors des batailles formalisées des royaumes de Nehekhara, et en faisait bon usage. Il avait réuni les osts de Sylvanie sur une ligne allant d’est en ouest, en opposition directe avec la progression des Démons, assez large pour déborder l’armée ennemie, et assez profonde pour résister à sa charge. Des Archers Squelettes étaient positionnés sur les tours de la pyramide, leurs flèches encochées et prête à faucher tout Démon qui tenterait de traverser le lac porté par ses ailes en lambeaux. Les légions des Rois des Tombes, hérissées de lances et appuyées par d’immenses constructs, gardaient les flancs éloignés. Leurs ordres étaient de tenir, et d’amenuiser les forces ennemies. Arkhan avait confié le commandement des flancs proches à Mannfred et Neferata. Krell mis à part, il s’agissait de ses plus grands généraux, et le Roi Liche voulait les garder à portée de main. Mais ce fut au centre de la ligne de bataille, devant l’isthme, qu’Arkhan déploya sa véritable force. Krell devait tenir le pont, lui et la Légion Maudite, et ils ne le feraient pas seul.Cachés sous les eaux tourbillonnantes du lac se trouvaient des centaines de Morghasts. Contrairement à d’autres, ils pouvaient résister à la Magie de la mort brute, protégés comme ils l’étaient par leur héritage divin, bien qu’il eût été corrompu. Les Morghasts étaient le piège d’Arkhan. Restait à savoir si Isabella tomberait dedans.
L’armée d’Isabella fut lente à attaquer. Elle se rassembla paresseusement le long des collines au nord. L’une après l’autre, les bandes de Porte-Pestes formèrent une ligne à une lieue de la Pyramide Noire. Le vent portait la plainte des cloches accrochées aux bannières, et le décompte incessant des Porte-Pestes grondait comme le tonnerre sur une montagne lointaine. Les rangs s’écartaient tandis que des Nurglings portaient des palanquins en première ligne, afin que leurs maîtres observent le champ de bataille. Des Grands Immondes arpentaient les rangs, offrant des mots d’encouragement qui étaient aussi peu appréciés que leurs plaisanteries grossières.
Les heures passèrent, et certains Rois des Tombes envoyèrent des messagers à Arkhan, le suppliant de les laisser attaquer. Le Roi Liche refusa chaque requête. Avec le Lac de la Mort et les remparts de la Pyramide Noire dans son dos, cette position lui donnait un avantage stratégique qu’il ne comptait pas abandonner. Les bannières de l’ost démoniaque se multipliaient sur les collines, les nuages de mouches les accompagnant rivalisant avec ceux du ciel, et à nouveau, des messagers requirent la permission de lancer une attaque. Cette fois, le Roi Liche envoya Krell donner sa réponse. Peu après, le revenant ramena à Arkhan la tête du roi Pharak comme preuve que son message avait bien été transmis.
Pendant la majeure partie du jour, les deux osts se toisèrent l’un l’autre, à travers la vallée parsemée de rochers, avec une patience qu’aucun mortel n’aurait pu posséder. Puis sans qu’Arkhan n’ait pu en identifier la raison, une clameur discordante de cloche retentit, et les Démons pestiférés descendirent de la colline.
Les catapultes commencèrent à tirer dès que l’ost du Chaos arriva à portée, projetant des crânes enflammés à travers le ciel ténébreux. Des cris à déchirer l’âme accompagnaient chaque munition, mais les Porte-Pestes ne s’en préoccupaient pas. Ils avançaient droit devant d’un pas traînant, sans prêter attention aux boules de feu qui s’écrasaient dans leurs rangs, ni aux corps broyés de leurs semblables qui gisaient dans le sillage des projectiles. Les flèches suivirent peu après, se ruant depuis le ciel comme une nuée d’insectes poussés par le même but. Les volées s’abattirent sur les formations serrées, s’enfonçant profondément dans la chair malade. Des brèches s’ouvrirent dans les bandes de tête, exploitées rapidement par des charges précises de Cavaliers Squelettes opérant en avant des phalanges de Morts-Vivants.
Les Démons avançaient toujours, les bandes de Porte-Pestes se pressant sans enthousiasme derrière celles qui étaient ravagées par les traits et l’artillerie. Des Bêtes de Nurgle furent libérées de leurs chaînes corrodées par des dresseurs presque distraits par l’exubérance des animaux, qui bondirent a travers le champ de bataille, et dépassèrent facilement les Porte-Pestes patauds. Des Nurglings fonçaient par à-coups. A un moment, des canailles lépreuses s’arrêtaient et se chamaillaient pour un membre coupé ou une pointe de flèche scintillante. L’instant d’après, ils se ruaient vers autre chose, criant d’excitation de leurs voix haut perchées.
Une autre volée de crânes hurlants frappa, et projeta en l’air des cadavres de Démons. En réponse, les Grands Immondes donnèrent de la voix, chantant les louanges de Nurgle dans l’argot confus des terres de la peste. Au-dessus de leurs têtes, le ciel se couvrit tandis que le père fécond répondait aux suppliques de sa progéniture. Des météores de matière gangreneuse s’abattirent des nuages sur la ligne de bataille d’Arkhan. Les os cassaient comme des brindilles pourries, ou étaient réduits en poussière, des Sphinx et des Ushabti dorés étaient écrasés, et dissous par les sécrétions virulentes des projectiles.
Des Bêtes de Nurgle avaient atteint les phalanges de Nehekhara à présent, bondissant avec insouciance sur les lances, leurs larges sourires se muant en grimaces tandis que les fers s’enfonçaient dans leur chair. Avant que les créatures ne meurent, leurs tentacules claquaient contre les premiers rangs, balayant les boucliers, et éparpillant les os et les armes. Alors, les voix sépulcrales des Prêtres-Liches récitaient d’anciennes incantations, et les squelettes se ressoudaient pour combattre de nouveau.
Les Drones de la Peste bourdonnaient au-dessus, leurs cavaliers jetant des têtes réduites infectées. Les os tombaient en poussière là où ces projectiles frappaient, et même les Prêtres-Liches ne pouvaient les restaurer. A l’ouest de Neferata, le roi Kantep dirigeait ses forces depuis le howdah d’un Sphinx doré, jusqu’à ce qu’il soit frappé par trois de ces choses. Son corps momifié se défit en quelques secondes. Un cri de colère emplit l’air tandis que le roi trépassait pour de bon, et ses princes crachèrent des jurons en ordonnant à leurs archers de décrocher du ciel les monteurs de mouches. Les squelettes obéirent, et les flèches à pointe d’or perforèrent les carapaces et la peau cireuse pour envoyer les Démons vriller et s’écraser au sol. Or ces flaches étaient cruellement requises ailleurs. Alors que les Démons volants mouraient, les Porte-Pestes avançaient sous leur couvert et heurtèrent enfin les légions de Kantep.
Neferata vit les phalanges de l’ouest commencer à ployer, maudit la stupidité néhekharienne, et envoya la Garde Lahmiane enfoncer le flanc gauche des Démons. Sous sa selle, Nagadron déchiquetait la chair putride avec une joie vorace, et sa maîtresse tailladait et crachait de fureur sur les Porte-Pestes. Neferata avait suffisamment appris de la chute de l’Empire pour savoir que les serviteurs de Nurgle avaient été les architectes de son trépas. Bien qu’elle ne se préoccupât nullement du bétail qui avait perdu sa misérable vie parmi les ruines impériales, la Reine des Mystères déplorait la destruction insensée des lignées et des réseaux d’espions qu’elle avait si patiemment mis en place. Chaque coup qu’elle portait était un remboursement pour ses efforts gâches, mais elle n’en tirait qu’une satisfaction fugace.
Plus à l’est, Mannfred von Carstein n’avait nul désir de se battre en personne. La dernière chose qu’il souhaitait était de risquer un second face-à-face avec Isabella. Ainsi ne combattait-il qu’à travers ses serviteurs Morts-Vivants, en levant des hordes de squelettes pour les envoyer de façon inconsidérée sur l’ennemi. Ces décérébrés n’étaient pas de taille contre les Démons, mais Mannfred s’en moquait. Aussi près du lac de Magie de la Mort, les sorts du Vampire étaient inexorables, et il renouvelait ses sbires plus vite que les Porte-Pestes n’arrivaient à les faucher.
Les lignes de bataille fluctuaient à mesure que les caprices de la guerre favorisaient un seigneur de guerre ou un autre. A l’extrémité est du front des Morts-Vivants, un Grand Immonde conduisit une percée de Porte-Pestes si profondément dans les lignes des Rois des Tombes qu’il parvint presque aux berges du lac. C’est alors que les griffes d’un Nécrosphinx tranchèrent la gorge du Démon Majeur, et que l’assaut perdit son élan. Tandis que le Démon ventripotent s’immobilisait, un grondement de gongs annonça la contre-attaque d’une phalange d’Ushabti. De lourdes lames dorées fauchèrent des Porte-Pestes par dizaines, avant que leurs pattes sculptées ne piétinent des pierres rendues glissantes par les entrailles enchevêtrées. A l’ouest, des Nurglings se ruaient sur d’immenses constructs, se pressant sous leurs plaques d’armure pour chercher les faiblesses du mortier. Et au centre, Isabella émergea enfin de ses rangs, un calice ornementé dans une main, une fine lame dans l’autre.
Trois Grands Immondes avançaient aux côtés de la comtesse déchue, des Nurglings piaillant et se chamaillant à leurs pieds. Ils étaient accompagnés de Porte-Pestes. L’attitude des Démons Majeurs était inhabituellement stoïque, l’humour coutumier des seigneurs de la pestilence mis en suspens, pour le moment du moins. Il leur avait été confié un devoir sacré par Nurgle en personne : que la comtesse atteigne indemne la Pyramide Noire.
Quant à Isabella, elle ne partageait pas la gravité de son escorte, mais avançait vers l’isthme a la manière d’une reine lésée venu réclamer ce qui lui revenait de droit. Krell envoya des loups en décomposition contre la comtesse, mais elle les réduisit en poussière en plein élan d’un geste dédaigneux. Des Terreurgheists quittèrent leurs perchoirs sur les flancs de la pyramide, et plongèrent en criant sur la comtesse. Immédiatement, les Grands Immondes protégèrent Isabella derrière un mur de leur propre chair suppurante. L’un d’eux vit la moitié de sa cage thoracique arrachée par des griffes squelettiques et s’écroula sans vie, mais pas avant d’avoir fracassé le crâne de son assassin avec son fléau. Un autre jeta une poignée de Nurglings dans l’air. Les petits hurlèrent avant d’éclater contre les ailes de cuir d’un Terreurgheist et de les maculer de fluides virulents. Les membranes moisirent en un instant, et le monstre partit en vrille. Il plongea dans une bande de Porte-Pestes, qui le taillèrent en pinces à coups d’épées pestilentielles avant qu’une quelconque sorcellerie ne régénère ses blessures. Abandonnant son garde du corps mortellement blessé, Isabella pressa le pas, et envoya ses Porte-Pestes contre les lances rouillées de la Légion Maudite.
Au milieu de l’isthme, Arkhan surveillait le champ de bataille avec satisfaction. Il voyait Krell faire se replier la Légion Maudite comme prévu et préparait les invocations qui libéreraient les Morghasts dissimulés. Les ennemis étaient plus forts et plus nombreux que le Roi Liche ne l’avait anticipé, mais ses préparatifs s’étaient avérés efficaces. Toutes les forces d’Isabella étaient engagées, et la sorcière traîtresse avançait droit dans le piège. Une fois la comtesse détruite, les Démons seraient privés de point d’ancrage, et la victoire acquise, sans avoir à réveiller Nagash. Cependant, ce que le Roi Liche ne pouvait pas savoir, c’était qu’une troisième armée avait atteint la Pyramide Noire.
Loin en dessous, un gémissement caverneux résonna sous les anciennes fondations de la Sylvanie. Des étincelles crépitèrent tandis que les Foreuses à Malepierre creusaient la roche vivante, rapprochant toujours plus ses porteurs Skavens de leur destination. Des dizaines d’équipes trimaient dans trois tunnels séparés, qui conduiraient l’armée skaven sous le Lac de la Mort, directement au cœur de la Pyramide Noire de Nagash.
L’expédition avait commencé plusieurs semaines auparavant, avec des centaines de machines d’excavation supplémentaires, mais le chemin avait été périlleux. Les mouvements tectoniques qui avaient engendré le lac avaient rendu caduques toutes les connaissances skavens sur cette partie de la Sylvanie. Chaque crissement d’une foreuse risquait d’inonder les tunnels d’un flot de Magie de la Mort, ce que des centaines de Skavens avaient déjà payé de leur vie. Encore maintenant, alors que le temps pressait, le chef de l’expédition, Ikit la Griffe, restait en retrait des forages, et ordonnait à ses tunneliers de creuser des chambres d’écoulement au fur et à mesure. De cette façon, le Technomage espérait que les accidents ne coûteraient pas la vie des équipes d’assaut sur les talons de celles de forage. Plus important, il espérait épargner sa propre vie.
Les Verminarques avaient confié cette mission à Ikit bien avant l’arrivée d’Isabella von Carstein en Sylvanie. Au départ, le Technomage n’avait pas souhaité accepter, et avait tout fait pour éviter de quitter la sécurité de ses ateliers, mais à présent, il se sentait fier. Les Foreuses à Malepierre et les tunneliers étaient les créations d’Ikit, et il doutait qu’un autre eut procuré les outils nécessaires, ou effectué les améliorations opportunes.
Devant, le tunnel s’illumina soudain d’une lueur violette. Les brefs cris de panique des équipes de forage mourantes résonnèrent dans la galerie. Ikit bondit de coté tandis qu’un flot bouillonnant de Magie mortelle le dépassa et se déversa dans un écoulement. Le chef Technomage vérifia sa montre cliquetante. Il était impressionné de n’arriver ni trop tôt, ni trop tard, mais la synchronisation importait peu si ses os étaient mis à nu par un flot de Magie brute.
Pendant ce temps, dans une salle noire, plus proche qu’Ikit la Griffe ne s’en était rendu compte, Nagash sortait de son sommeil. Il sentait la présence de l’Armée du Pourrissement sur les rives du lac, ainsi que le pouvoir du Chaos qui imprégnait Isabella. Laissant échapper sa frustration de voir ses plans perturbés, le Grand Nécromancien s’éleva de son tombeau, afin de défendre sa Pyramide Noire.
Le Siège de la Pyramide Noire[modifier]
Gardiens de la Pyramide[modifier]
Les forces qui attendaient Isabella au pied de la Pyramide Noire étaient les meilleures qu’Arkhan avait pu réunir. Cet ost ne connaissait aucune faiblesse, aucun désir personnel qui aurait pu mettre en péril les plans de Nagash. C’était une force levée dans un but unique : faire voler en éclats l’Armée du Pourrissement et la renvoyer vaincue dans le Royaume du Chaos.
Nagash
Nagash sorti de son sommeil de mauvaise grâce, car son absorption de la Magie de la Mort de Sylvanie était encore loin d’être achevée. Néanmoins, sa puissance dépassait de loin celle de toute autre créature mortelle, y compris les autres Incarnations. Shyish, le Vent de la Mort, était empli des esprits de tous ceux qui avaient péri, et par conséquent surpassait tous les autres vents, excepté Ghyran, le Vent de la Vie. Cependant, Nagash n’aurait jamais été capable d’une chose aussi banale que se croire trop puissant, et il était réticent à abandonner les dernières bribes du Lac de la Mort. Quoi qu’il en soit, le Grand Nécromancien s’était réveillé avec le sentiment que ses plans étaient mis en péril, et avait choisi de prendre part à la bataille.
Arkhan
Pour Arkhan, le monde succombait enfin à l’ordre tant attendu. Il ne restait qu’une dernière, quoique longue, campagne, celle qui verrait Nagash vaincre pour de bon l’anarchie démente du Chaos. Le monde qui suivrait serait statique et stérile, un domaine hors du temps et dans un ordre parfait dans lequel Arkhan servirait avec joie. Le Roi Liche n’avait aucun désir particulier, aucune récompense à demander pour son dévouement inaltérable. Arkhan servait car il n’avait rien d’autre, et il n’envisageait pour lui-même aucun destin, mis à part le fait de se tenir à la droite de Nagash dans une désolation parfaite et figée.
Krell
Krell avait été détruit maintes fois, et chaque fois restauré grâce à la sorcellerie de Nagash. Le Roi Revenant n’avait aucun ressentiment pour son sort, il était lié, corps et âme noire, au service du Grand Nécromancien, et aurait fait face à sa mort véritable sur un simple ordre de son maître. Toutefois, Krell ne voyait pas la nécessité d’un tel sacrifice au siège de la Pyramide Noire. L’Armée du Pourrissement, bien que vaste, était une arme brutale et maladroite. Krell avait passe une éternité à massacrer de telles forces, et était déterminé à ajouter une autre destruction à son actif.
La Légion Maudite
Les guerriers sans vie de la Légion Maudite luttaient déjà aux côtés de Krell de leur vivant. A cette époque ils combattaient pour la gloire de Khorne, mais dans la mort, la Légion Maudite servait Nagash aussi fidèlement que leur chef. Krell n’avait mené qu’une partie de sa vieille bande de guerre lors de la campagne de Nehekhara. Toutefois, à son retour de Sylvanie, Nagash avait envoyé des nécromants aux quatre coins du Vieux Monde, avec l’ordre de réunir les vestiges de la légion, et de les restaurer. Ainsi une terreur de jadis marchait à nouveau sous sa bannière, la Légion Maudite dans son intégralité.
Le Grand Ost de Morghast
Les Morghasts étaient jadis des êtres divins, les serviteurs du tout-puissant Ptra. Tués par Nagash, ils furent refaçonnés à sa sinistre image, et devinrent les annonciateurs de la mort et du désespoir. Beaucoup avaient été détruits pendant les longues années de quiétude du Grand Nécromancien, mais plus encore avaient survécu, et ils avaient quitté leurs repaires souterrains pour servir celui qui les avait corrompus. Après avoir absorbé toute la puissance de la Magie de la Mort, Nagash comptait faire partager le destin de Ptra, et de ses hérauts, à chaque dieu du Chaos, et ainsi consolider sa place en tant qu’être divin unique dans toute la création.
Les Sepulchrex
Garde d’Ushabti du sanctuaire intérieur de Nagash, les Sepulchrex ne répondaient qu’aux ordres de ce dernier. Même Arkhan, en dépit de la confiance qui lui était accordée, ne pouvait les contrôler. Nombre des rois de Nehekhara trouvaient étrange que Nagash s’entoure de représentation de dieux qu’il avait lui-même mis à bas, mais Mannfred von Carstein, pour qui l’orgueil était une chose familière, avait saisi la vérité en la matière. Les Sepulchrex portaient l’image des dieux précisément parce que Nagash les avait vaincus, ils représentaient le rappel d’une victoire prisée, et leur servitude silencieuse était l’une des dernières fiertés du Grand Nécromancien.
Gardiens de la Pyramide | ||
Nagash, Arkhan le Noir, Krell, La Légion Maudite La Légion Silencieuse La Légion Évidée |
La Légion de la Lune Pourpre La Légion Abjurée La Nuée Perçante Melodrax, Les Sepulchrex Le Morghane |
L’Armée du Pourrissement[modifier]
Isabella savait qu’Arkhan lèverait ses meilleures troupes pour défendre l’isthme, mais cela ne la préoccupait pas. Le Démon en elle lui murmurait les progrès d’Ikit la Griffe, tandis que les tunnels des Skavens s’approchaient de la Pyramide Noire. Si tout se passait comme prévu, le nombre de légions réunies par Arkhan importerait peu…
Isabella von Carstein
Plus Isabella se rapprochait de la Pyramide, plus Bolorog devenait insistant et agité. Le Démon ne tolérait aucun délai, et guidait la comtesse en lui rappelant des souvenirs de sa vie passée, et en les altérant pour y inclure une déchéance factice. Bolorog avait remarqué que la détermination d’Isabella se dégradait lentement depuis le meurtre de Vlad, et le Démon voulait s’assurer que la comtesse reste sous son emprise assez longtemps pour remplir leur mission commune. Pendant ce temps, dans les tréfonds de l’esprit d’Isabella, l’infime part préservée de sa psyché hurlait inutilement qu’on la libère.
Scrofulox
Dernier des trois frères qui avaient dirigé la Légion Gangreneuse, Scrofulox était réticent à prendre part à l’assaut d’Isabella sur l’isthme, préférant réduire Mannfred von Carstein en pulpe avec ses poings monstrueux. Toutefois, la comtesse resta intraitable, et au moment où l’Armée du Pourrissement avait lancé son attaque, Scrofulox portait plusieurs cicatrices lui rappelant sa divergence d’opinion. Bolorog avait murmuré à Isabella où planter ses griffes pour s’assurer de l’obéissance du Grand Immonde.
La Légion de la Déchéance
Le fléau propagé par la Légion de la Déchéance était une des nombreuses créations de Nurgle qui dévorait les cadavres. L’incorporation de cette formation à l’Armée du Pourrissement n’était donc pas fortuite. En effet, le calice d’Isabella, si souvent empli du sang de mortels lors de l’existence passée de la comtesse, contenait à présent du l’ichor extrait des hérauts de la Légion de la Déchéance, fermenté et distillé au point d’atteindre une virulence inexorable. Les Porte-Pestes de la légion étaient maussades, même selon les standards de leur engeance, et n’étaient pas même enthousiasmés par la perspective de mettre à genoux le soi-disant Grand Necromancien.
Ikit la Griffe
Peu de choses avaient changé pour Ikit la Griffe depuis que les hommes-rats avaient juré allégeance à l’Élu des Dieux. Il fallait percer les secrets de la Magie et de la technologie, et qui mieux que le chef Technomage du Clan Skryre pouvait montrer le chemin ? Néanmoins, pas même un Skaven du rang d’Ikit n’échappait totalement aux mutations qui s’opéraient dans l’Empire Souterrain, et il avait trouvé prudent d’entreprendre l’incursion en Sylvanie, de peur que son dévouement au Rat Cornu soit remis en cause. Ikit se consolait en se disant que nul autre n’aurait pu accomplir cette mission avec pareil style, et il avait hâte d’observer de ses propres yeux les effets de ses bombes à Malepierre spéciales.
Les Technocturnes
Ikit la Griffe considérait les Technocturnes comme des êtres aussi proches que possible de ce qu’un Skaven pouvait qualifier d’indispensables. C’est-à-dire qu’ils n’étaient pas suffisamment malins pour représenter une menace directe envers leur maître, sans être pour autant assez stupides pour mettre par inadvertance ses plans en péril. Chacun d’eux portait un équipement conçu par Ikit et alimenté par de la Malepierre, incorporant des commutateurs de suicide dont seul le chef Technomage connaissait l’existence. En outre, pour cette mission, Chacun avait été équipé d’une bombe à Malepierre compacte. Aucun des Technocturnes ne connaissait la puissance ou l’instabilité réelle de ces appareils, car Ikit avait pris grand soin de leur dissimuler ces informations.
Les Malecrocs
Les Malecrocs n’étaient qu’une des légions aux ordres d’Ikit la Griffe. Peu de ces guerriers étaient issus du Clan Skryre, la plupart avaient été acquis auprès d’autres clans en échange de cargaisons massives d’armes expérimentales. La Malepierre avait beau être la principale devise de l’Empire Souterrain, il y avait toujours des Seigneurs de Guerre désireux de la troquer pour obtenir d’authentiques armes conçues par la Griffe. Beaucoup de Malecrocs maniaient des versions stabilisées de ces mêmes mécanismes, comme des Lance-Feu, des Foreuses à Malepierre ou des Jezzails.
L’Armée du Pourrissement | ||
Isabella la Maudite Scrofulox Grorpox Hartgnaw Rottlescab La Légion de la Déchéance La Légion Gangreneuse |
Les Canailles Lépreuses Les Chamailleurs Les Ricaneurs Les Corneilles Pesteuses Ikit la Griffe Les Technocturnes Les Malecrocs |
La bataille débuta pour de bon lorsque les premiers Porte-Pestes de l’Armée du Pourrissement arrivèrent au milieu de l’isthme. Krell produisit un chuintement, assimilable davantage au dernier soupir d’un esprit qu’à un ordre en bonne et due forme, et le piège se referma.
Avec un mugissement aussi profond que les racines des montagnes, les Morghasts émergèrent du Lac de la Mort. La Magie s’écoulait de leurs ailes, la lumière d’améthyste inversant les ombres dans l’obscurité. Des âmes gémissantes crépitaient et se tordaient autour des armes des Morghasts, les victimes d’anciens pactes les liant au sort de leur bourreaux. Arkhan regarda l’ost se ruer au combat et profita d’un rare moment de satisfaction. Les envahisseurs avaient connu le succès pendant les semaines qui avaient abouti à cette situation. Il était temps pour eux de payer l’audace d’avoir défié Nagash.
L’avant-garde des Démons, une vaste bande de Porte-Pestes fut la première à souffrir de l’arrivée des Morghasts. Sans ralentir, les messagers ailés frappèrent les Démons sur chaque bordure de l’isthme. Les armes auréolées d’âmes piégées s’abattirent, tranchant la peau flasque et les muscles putréfiés, éparpillant les membres et les abats sur la pierre. Les Porte-Pestes ripostèrent pesamment, se tournant pour affronter la menace tailladant leurs flancs, mais furent rapidement désintégrés par cet assaut implacable. Lorsque sonnèrent les cors de la Légion Maudite, et que ses lances vinrent contribuer au massacre, les Démons de l’isthme avaient été réduits à un tas de corps purulents et démembrés.
Sans une hésitation, les Morghasts s’envolèrent à nouveau. Cette fois, les osts se divisèrent, chaque groupe d’Annonciateurs et d’Archai cherchant leurs propres cibles parmi la deuxième ligne des Démons. Leurs ordres imposés par la volonté silencieuse de Krell, étaient simples : dégager le passage jusqu’à la chose qui avait été Isabella von Carstein, afin que la Légion Maudite mette un terme à son existence.
Que Krell ait souhaité suivre un tel plan était une chose. Encore fallait-il que les Démons permissent son exécution. Le timbre exubérant de Scrofulox résonna à travers l’isthme, braillant à ses sbires de contrer l’attaque des Morghasts. Des Drones de la Peste se précipitèrent pour barrer la route aux Annonciateurs. La première vague périt, fauchée par la force redoutable des Morghasts, mais la deuxième parvint à les ralentir, avant qu’une troisième endigue complètement leur avance. Des échardes d’os et des fragments de carapace démoniaque tombaient du ciel à mesure que les adversaires ailés virevoltaient. Les Démons étaient plus nombreux que les Morghasts, mais ces derniers étaient plus forts, et plus agiles.
Sur l’isthme en dessous, les Porte-Pestes étaient encore en train de se reformer. Il n’avait guère facilité les choses que plusieurs Nurglings - possédant à la fois l’insoupçonnable faculté d’imiter la voix de stentor de Scrofulox, et une absence totale de considération pour le déroulement de la bataille - aient hurlé des ordres parasites, et souvent contradictoires. Il ne fallut guère de temps aux hérauts de l’armée pour déloger et châtier les perturbateurs, mais cela n’avait pas été suffisant. Ainsi, les Porte-Pestes se trouvaient toujours désordonnés lorsque la Légion Maudite les percuta. Des lames des tertres perforèrent la chair démoniaque, et plusieurs vingtaines de Démons rejoignirent les rangs des bannis.
Alors même que les Morghasts commençaient à prévaloir dans le combat aérien, les Bêtes de Nurgle se joignaient aux hostilités. Elles heurtèrent les Gardes des Cryptes de la Légion Maudite comme des béliers de siège suintants et bondissants. Leur salive corrosive dissolvait os et armure, et leurs tentacules s’agitaient de joie. Des dizaines de Revenants furent renversés, ou virent leur crâne éjecté de leurs épaules par la caresse affectueuse d’un appendice visqueux.Trois des Bêtes aperçurent la bannière noire de la Légion onduler dans la pénombre. Décrétant que ces haillons avaient tout pour faire un excellent jouet, elles se traînèrent joyeusement vers lui, leurs bouches disgracieuses dégoulinant d’impatience. Il était peu probable que les créatures aient remarqué les dizaines de Revenants qu’elles écrasaient, tant elles étaient absorbées par leur trouvaille douteuse.
De tous les guerriers agglutinés autour de la bannière, seul Krell résista. Alors qu’une Bête bondissait vers lui, le Mortarch se campa sur ses appuis et se pencha en prévision du choc. La spallière de l’épaisse armure de Krell s’enfonça dans la panse rigide de la créature, ce qui repoussa le Démon, avec une expression déconcertée. Sa confusion ne dura pas. Les mains gantées de Krell empoignèrent la hampe de la Hache Noire, dont le fer enchanté vint trancher la tête bulbeuse de la bête. Les deux autres Démons, tiré de leur humeur enjouée par le trépas de leur compagnon, grognèrent et se ruèrent sur Krell. Or, la Hache Noire était toujours en mouvement. Elle dessina un arc brutal et faucha les deux animaux, les laissant frétiller sur le sol. Sans se préoccuper de l’ichor qui maculait son armure, Krell fit le plus imperceptible des signes de tête, et la Légion Maudite se dirigea sur sa cible.
A l’extrémité est de l’isthme, Arkhan était loin d’être satisfait de la tournure des événements. Il avait compté sur les Morghasts pour se rendre maître du ciel, mais les Démons avaient fait preuve d’une étonnante résistance. Sifflant son irritation, le Roi Liche écarta les bras et tendit ses mains, non pas pour puiser dans les Vents de Magie, mais, dans l’essence de sorcellerie brute du Lac de la Mort. Elle l’imprégna selon sa volonté, bouillonnant vers le ciel de chaque coté de l’isthme et se cristallisant en échardes d’améthyste tranchantes comme des rasoirs. Il y eut un coup de tonnerre lorsqu’Arkhan frappa dans ses mains, suivi de stries lumineuses tandis que les éclats violacés s’élançaient aux abords de la pyramide.
Les Drones de la Peste furent désintégrés en un instant, réduits en lambeaux détrempés par la sorcellerie d’Arkhan. Les Porte-Pestes directement en dessous s’en sortirent à peine mieux, car seuls ceux qui étaient protégés par les cadavres de leurs congénères survécurent au barrage. Des Nurglings gloussaient et s’étalaient sur le sol, leurs ventres et leurs crânes ouverts par les fragments d’améthyste. Des Bêtes geignaient et s’effondraient. Seule Isabella resta indemne, et ce, uniquement parce que Scrofulox l’avait saisie au moment de la manifestation du sort, et l’avait fourrée dans les replis de sa panse. Le Grand Immonde avait été durement puni par ce geste d’abnégation, sa chair lacérée par les échardes. Néanmoins, la comtesse n’eut aucun mot de gratitude, juste une expression révulsée et une pâleur plus prononcée que d’ordinaire.
Arkhan n’avait pas dit son dernier mot. Tandis que gémissaient autour de lui les âmes captives de la Magie de la Mort, le Roi Liche prononça un second enchantement juste après le précédent. A travers l’isthme, les os dévastés des morts furent imprégnés d’une nouvelle vie. La Magie traversa les Morghasts, les squelettes et les Revenants, ressoudant leurs corps rompus et instillant une vigueur nouvelle à ceux restés intacts.
Alors que son sort s’accomplissait, Arkhan envoya son esprit à l’est et à l’ouest au-delà de l’isthme en quête d’informations. Ce que le Roi Liche vit le satisfit grandement. Sur ses flancs immédiats, Mannfred et Neferata repoussaient les envahisseurs en passant sur eux toute leur frustration. Plus loin, même les Rois des Tombes tenaient leur terrain. Arkhan avait eu peu d’attentes en ce qui concernait les rois de Nehekhara. Nagash avait depuis longtemps tué les meilleurs de leur caste, ne laissant que ce que le Roi Liche considérait, pas tout à fait à tort, que des imbéciles consanguins. Seule Khalida, regrettée de Lybaras, était considérée à ses yeux comme s'approchant d’un égal. Le reste n’avait gagné que le mépris d’Arkhan, en dépit de talents martiaux bien assez utiles. Ramenant son attention à son propre combat, Arkhan leva les bras au ciel une fois de plus, et intima aux morts relevés de broyer les Démons qui subsistaient.
La bataille aurait bien pu s’achever alors. Scrofulox et Isabella pouvaient bien haranguer leurs troupes, les Morts-Vivants étaient simplement trop nombreux. Les Morghasts, dégagés de leurs obligations aériennes, volaient librement sur le champ de bataille, se ruant sur les Porte-Pestes encore chancelants après l’assaut sorcier d’Arkhan. Les épées pestilentielles et des gongs corrodés tintaient sur la pierre tandis que leurs porteurs étaient fauchés, et il flottait un parfum nauséabond de chair broyée et décatie.
Peut-être cette puanteur attira-t-elle l’attention de Nurgle. Ou alors, le Père des Pestes avait-il suivi depuis le début la progression d’Isabella, déterminé à ce que l’échec des Glottkin ne se reproduise pas avec son émissaire le plus récent. Peut-être Nurgle s’ennuyait-il, son œil vagabondant entre ses éternels passe-temps, la concoction et la libation. Quelle qu’en fut la raison, le Père des Pestes fixait à ce moment-là la Pyramide Noire, et il décida de répandre ses bienfaits à ceux qui combattaient à ses pieds. S'appuyant contre son chaudron, Nurgle bascula la marmite rouillée de côté. Il déversa son contenu à travers les fissures dans la réalité, ce qui et le fit s’écouler sur le monde des mortels.
Pour Isabella et Scrofulox, les bienfaits de Nurgle étaient plus que bienvenus, même s’il n’était pas des plus plaisants. Une pluie épaisse et graisseuse tomba du ciel, ses eaux visqueuses se déversant là ou les Démons avaient subi leurs plus lourdes pertes. Les serviteurs de Nurgle qui combattaient sous cette pluie n’étaient pas affectés, mais les Morts-Vivants étaient tirés sous les eaux troubles par des mains avides, invisibles sous la surface. Tandis que les morts étaient repoussés, la soupe maladive bouillonnait. Des Porte-Pestes en émergèrent. Ceux qui avaient été blessés ou tués pendant les combats étaient régénérés par l’élixir de jouvence de leur seigneur et maître. Pour Arkhan et Krell, le bienfait de Nurgle était un rappel amer qu’il n’existait pas un seul artifice des mortels que les dieux ne pouvaient égaler.Sentant le cours de la bataille lui échapper, Krell redoubla ses efforts déjà prodigieux. Le Roi Revenant pataugeait à travers les flaques de mucus écumant, ignorant les mains gangreneuses qui agrippaient ses jambières, et notant à peine les épées pestilentielles qui rebondissaient contre son armure. La Hache Noire frappait sans cesse, chacun de ses mouvements s’achevant par la mort d’un Porte-Peste. Derrière Krell avançait la Légion Maudite, liée à sa volonté depuis des siècles. En dépit de pertes qui augmentaient à chaque pas, les squelettes et les Revenants frappaient les Démons et les repoussaient à mesure,
Depuis son point de vue avantageux, Arkhan vit Scrofulox brutaliser les Porte-Pestes les plus proches pour qu’ils forment un semblant de ligne de bataille. Les Démons mollassons étaient des cibles faciles pour la hache de Krell, et le liche estimait que la plupart étaient encore désorientés par leur récente résurrection. Malgré tout, l’intervention de Nurgle avait grandement inversé le cours de la bataille, et la situation de la Légion Maudite était périlleuse. Écartant rapidement l’option indigne de faire appel à Mannfred ou Neferata, Arkhan choisit la seule alternative qui s’offrait à lui. Convoquant les Morghasts à ses côtés, le Roi Liche guida Razarak, sa monture, dans le ciel afin de joindre ses forces à celles de Krell.
Sur son chemin, Arkhan observa l’isthme avec déplaisir. En dessous de lui, la bataille était devenue une rixe, un affrontement désordonné qui offensait profondément l’esprit du Roi Liche. Des groupes de Porte-Pestes s’étaient taillé un passage à travers les rangs de la Légion Maudite, ruinant l’organisation méticuleuse d’Arkhan. A l’ouest, les Chevaliers de la Légion Maudite étaient endigués dans une marée furieuse de Nurglings. Pour chaque petit Démon occis, une demi-douzaine d’autres se joignaient au combat en pouffant de rire. Il fallait six on sept Nurglings pour tirer un Revenant de sa selle, et Chaque tentative coûtait la vie de nombreux petits Démons, mais les Nurglings ne se lassaient jamais de ce jeu. A l’est, les Drones de la Peste harcelaient le flanc droit de Krell. Des Mouches-Démons bouffies bourdonnaient autour des Revenants, esquivant les coups de lance et d’épée qui leur étaient destinés. Puis elles attrapaient leurs victimes avant de prendre de la hauteur et léchaient enfin les corps dans les eaux éthériques du Lac de la Mort.
L’avance de Krell avait ainsi laissé une traînée de restes squelettiques broyés derrière elle. Arkhan puisa dans le Lac de la Mort afin de restaurer ces os éclatés. Il les réunit pour former des régiments hétéroclites qui avancèrent à la suite de Krell. Le Roi Liche s’écœurait de contribuer en personne à l’aspect désordonné de la bataille, mais exécrait encore davantage la possibilité d’un échec. Alors même que cette pensée malvenue menaçait d’émousser l’esprit d’Arkhan, un vol de Gargouilles et de Drones de la Peste se rassembla devant lui. Le Roi Liche n’hésita guère. La pensée de déplaire à Nagash était douloureuse, et poussa Arkhan vers l’essaim bourdonnant, tandis qu’il projetait des éclairs d’améthyste avec son bâton.
Loin en dessous, Krell arrivait enfin près de sa cible. Les Porte-Pestes qui s’étaient tenus sur son chemin avaient été réduits en abats, et leur ichor dégoulinait sur sa hache. Il ne restait plus que Scrofulox entre le Roi Revenant et Isabella, mais le Démon pressait déjà sa masse vers Krell, ce qui ne le laissa pas marquer le moindre temps d’arrêt.
Les crânes aux extrémités de son fléau caquetaient tandis que le Grand Immonde faisait tournoyer son arme. Le coup visait à fracasser le crâne usé de Krell, toutefois, le Revenant s’y était attendu, et leva son arme pour parer. Un tintement sourd retentit lorsque la lame de la Hache Noire mordit profondément la chaîne corrodée du fléau, sectionnant ses maillons et envoyant voler les crânes vers les rangs de la Légion Maudite. Or Scrofulox n’avait pas compté que sur son fléau. A peine les chaînes s’étaient-elles rompues que l’énorme épée pestilentielle s’abattait sur le flanc gauche expose de Krell, enfonçant son armure et lui pulvérisant trois côtes.
Krell tituba dans une bande de Porte-Pestes, ses os brisés raclant l’intérieur de sa cuirasse. Les Démons firent pleuvoir les coups d’épées pestilentielles sur l’armure du Revenant en quête d’une faiblesse éventuelle engendrée par Scrofulox. Avant qu’ils ne puissent en trouver une, la Légion Maudite se pressa pour soutenir son seigneur, repoussant les Démons assez longtemps pour que Krell recouvre son équilibre. Scrofulox était tout proche, étonnamment rapide, et faisant déjà tournoyer son épée pour achever l'impertinent Roi Revenant.
Cette fois, Krell ne fit aucune tentative pour bloquer le coup du Grand Immonde. Il se baissa simplement sous l’arc de la pesante lame, puis il se redressa, et abattit sa hache contre la panse du Démon Majeur. Scrofulox était bien plus lourd sur ses appuis que le Revenant, et n’avait aucune chance d’être balayé. La lame de jais entailla les replis constellés d’échardes du ventre du Démon, d’où sortirent des organes malades et une odeur horrible. Scrofulox rugit, humilié plus que souffrant, et attaqua encore. A nouveau, Krell évita le coup maladroit, avant de planter sa hache une seconde fois dans les entrailles du Démon.
Cette fois, cependant, la Hache Noire s’embourba dans la chair épaisse de Scrofulox. Peu importait la force avec laquelle le Revenant tirait sur le manche de son arme, il ne pouvait pas la dégager. Alors, le Démon Majeur décocha un coup de poing, et Krell fut catapulté au loin, sa hache toujours enfoncée dans le corps de son adversaire. Isabella, qui observait le duel derrière son corpulent garde du corps, applaudit une fois et rit du malheur de Krell, son amusement ne faisant que grandir tandis qu’elle voyait les yeux du Revenant brûler de colère,
A nouveau, la Légion Maudite se pressa aux cotés de Krell, les Revenants parvenant cette fois-ci à tenir Scrofulox à distance. Toutefois, Isabella n’était plus disposée à rester oisive. Elle s’avança brutalement, déchira le couvercle de son calice, et brandit le récipient doré. Le fluide qu’il contenait se mit à bouillonner, et donna naissance à un épais nuage de spores dont les replis nauséeux s’étendirent aussitôt vers le sud parmi la Légion Maudite. Où se déposaient les spores, le métal et les os s’effritaient, consumés par les bactéries voraces du nuage. En quelques instants, le premier rang de la Légion Maudite fut réduit en un tas liquéfié. Les spores poursuivaient déjà leur chemin, afin de faire partager un destin similaire aux rangées de squelettes qui avançaient derrière.
Protégé comme il l’était par une Magie puissante, Krell résista aux spores, mais n’émergea pas pour autant indemne du nuage. Son armure n’était guère plus qu’une masse rouillée, et son coté doit entier était piqué et enduit de fluide mielleux et verdâtre. Le Roi Revenant ne céda pourtant pas, et chancela devant lui, vers sa hache, toujours plantée dans la panse de Scrofulox. Hélas pour Krell, il titubait à chaque pas, et le Grand Immonde n’eut aucun mal à saisir les os fragilisés du Revenant. Le Démon souleva Krell par les tibias, et le regarda un moment tandis que les minuscules rejetons de Nurgle festoyaient, Puis, avec un éclat de rire vite étouffé, Scrofulox abaissa le cadavre en décomposition de Krell vers sa bouche aux dents pourries, et avala le Mortarch tout rond. Les Porte-Pestes piétinèrent les vestiges de la Légion Maudite, tandis que le rire perçant d’Isabella résonnait entre eux.C’est alors que frappa Arkhan. Le Premier Mortarch plongea du ciel, des Morghasts aux ailes en lambeaux derrière lui. Les Drones de Nurgle survivants hurlaient à leur suite, l’air vrombissant sous leur ressentiment, mais les Démons étaient trop lents. Les Morghasts balayèrent les Porte-Pestes, leur lames-esprits ratissant les Démons par le dessus. Les Morghasts Archai convergèrent vers Scrofulox qui, alourdi par un repas qui avait du mal à passer, essayait vainement de les décrocher du ciel. Quant à Arkhan, il se rua droit vers Isabella, fondant sur elle comme une comète d’améthyste.
Prise par surprise, Isabella, se protégea instinctivement de l’attaque d’Arkhan avec ses bras, ce qui n’empêcha pas les flammes de l’engloutir. Sa peau et ses cheveux s’embrasèrent, noircissant tandis que le feu prenait racine. Son rire se changea en cris, des flocons de peau calcinée volaient au vent, puis Isabella prononça un centre-sort. Les flammes moururent, comme une chandelle que l’on souffle, laissant la comtesse avec par endroits une chair à vif luisant d’un rouge colérique. Isabella restait pourtant debout, son calice doré dans une main noircie, les yeux enfoncés dans leurs orbites, fixant avec haine le Roi Liche se posant devant elle.
Arkhan ne vit pas un grand défi dans la chose noircie qui lui faisait face. Le feu qui avait ravagé Isabella avait également régénéré les maigres blessures du Roi Liche, et drainé l’essence de la comtesse pour renforcer la sienne.
Toutefois, le Roi Liche restait prudent. L’impétuosité était tout autant étrangère à Arkhan que la compassion, et il prit soin de se protéger lui-même avant d’approcher davantage. Les pierres de la Pyramide Noire étaient liées avec autant de mortier que de fragments d’âmes torturées, et le Roi Liche en libérait de nombreux à présent, afin de dresser un bouclier d’esprits tandis qu’il se ruait sur son ennemie.
Même maintenant, Isabella était plus rapide qu’il y paraissait. Tandis que les armées s’affrontaient tout autour d’elle, la comtesse laissa choir son calice et bondit sur Arkhan. Des lambeaux de peau noircis se détachaient d’elle alors qu’elle se déplaçait, mais elle n’y prêta pas attention. Tout ce qui l’intéressait, était d’effleurer Arkhan de sa caresse maudite. Elle était proche de l’échec, et ne voulait pas en payer le prix. Elle s’élança, ignorant la douleur de ses blessures, et bondit au-dessus de la tête de Razarak. Elle atterrit lourdement, ses pieds en équilibre précaire sur le dos de la monture d’Arkhan. Le Roi Liche frappa avec son épée, qui lui sauta de la main en heurtant la fine lame de la comtesse, puis Isabella serra la gorge du Mortarch avec sa main libre.
Arkhan sentit les esprits-boucliers hurler misérablement tandis que le fléau d’Isabella les consumait. Il n’avait cure de leurs trépas, bien sur, mis à part le fait malheureux qu’ils auguraient du sien. A nouveau, il projeta son feu éthérique sur la comtesse, qui s’embrasa comme précédemment. Cependant, Arkhan sentit le bouclier de son âme céder devant le fléau d’Isabella, et fut contraint de concentrer ses efforts à le maintenir. Isabella perçut l’altération du flot magique du Roi Liche.
Jetant son épée de côté, elle referma sa main sur la première autour de la gorge d’Arkhan. Le fléau mordit le Mortarch plus férocement encore. De désespoir, il draina la Magie qui soutenait son armée, sapant l’énergie des Morghasts afin de confiturer la malédiction qui l’assaillait. Le Roi Liche sentit l’emprise du fléau se relâcher, repoussée par la puissance qu’il venait de dérober.
Ce fut alors qu’Isabella changea de tactique. Bien qu’elle n’eut fait aucune tentative pour l’employer, elle n’avait pas oublié la Magie de sa vie passée. Maintenant qu’Arkhan était uniquement concentré sur le fléau, elle fit appel au même feu éthérique que le Roi Liche avait utilisé contre elle, et attaqua.
Les flammes qui consumaient la chair d’Isabella coururent sur ses bras et mordirent le Roi Liche, étouffant le feu ardent de ses orbites et embrasant ses lourdes robes. Au même moment, la peau noircie de la comtesse se régénérait, recouvrant son teint d’albâtre tandis que le feu éthérique calcinait Arkhan de l’intérieur vers l’extérieur. Isabella resta ainsi un moment de plus, son rire retrouvé, puis elle se baissa à travers les flammes, posa un baiser sur le crâne nu du Roi Liche, et sauta du dos de sa monture squelettique.
Arkhan resta sur la selle de Razarak un moment de plus, et chercha désespérément un moyen de consolider son pouvoir déclinant, mais il était trop affaibli. Les os noircis et sans vie du Roi Liche touchèrent le sol un instant après Isabella.
ASSEZ !
La voix était sombre et majestueuse, tous les cauchemars et les horreurs émanant d’un seul mot. Nagash était enfin sorti de la Pyramide Noire, et une chape de plomb s’abattit sur le champ de bataille. Même les Démons furent momentanément intimidés par l’ombre de noir et d’os qui émergeait de l’immense porte de la pyramide et descendait l’isthme. La progression du Grand Nécromancien était lente, presque sereine, mais implacable, aussi inévitable que la nuit succédant au jour.
Sur le passage de Nagash, des étincelles violacées dansaient sur la roche, insufflant une nouvelle vie à ses serviteurs tombés. Toutefois, une bande de Drones de la Peste, fut la première à reprendre ses esprits et fonça défier Nagash. Les Démons n’arrivèrent pas à portée d’épée. Les yeux du Grand Nécromancien luisirent d’un vert intense, et projetèrent des éclairs cinglants, qui réduisirent les Démons en poussière. Des Porte-Pestes suivirent l’exemple de leurs congénères montés, et subirent le même sort. Tous ceux qui s’avançaient dans l’ombre courroucée étaient victimes de la fureur de sa Magie. Des vortex sillonnèrent l’isthme, en laissant des statues de cristal dans leur sillage. Des flammes d’améthyste et des vrilles d’énergie violacées balayèrent la voie surélevée, réduisant les Démons en cendre ou en pulpe.
Ainsi, avant que le Grand Nécromancien ait franchi la moitié de l’isthme, la plupart des Démons avaient choisi de poursuivre le combat contre ses sbires, conforté dans la croyance maintes fois avérée que certaines tâches incombaient aux généraux et aux dieux, pas aux simples soldats. C’est pourquoi, les obstacles détruits ou écartés de son chemin, le Grand Nécromancien se retrouva bientôt à dominer de sa hauteur la comtesse parvenue qui l’avait forcé à sortir de son sommeil.
Isabella restait silencieuse tandis que Nagash se rapprochait d’elle, sa lame et son calice à nouveau entre ses mains. Razarak renâclait et tournait autour d’elle, la volonté de Nagash lui interdisant d’attaquer. Si la comtesse éprouvait la moindre peur, elle ne le laissait pas paraître, et se tenait droite et fière alors que le Grand Nécromancien s’approchait de plus en plus. Scrofulox, regrettant déjà le geste impulsif qui lui avait fait avaler Krell, se traîna rapidement hors du chemin de Nagash. Ses ordres avaient été d’assurer la sécurité d’Isabella jusqu’à l’arrivée du soi-disant Dieu des Morts. Son devoir était accompli, et il n’avait aucun désir de périr à la place de la comtesse maintenant que Nagash était apparu.
« VAMPIRE PARVENUE, PIÈTRE BRANCHE D’UNE LIGNÉE A L’AGONIE. »
La voix était celle de la mort incarnée, le raclement du couvercle d’une tombe dans le froid et l’obscurité. « J’AI LONGTEMPS RECHERCHÉ VOTRE ESPRIT PARMI LES MORTS, ET JE COMPRENDS ENFIN POURQUOI JE N’Y SUIS PAS PARVENU. RENIEZ-VOUS VOTRE HÉRITAGE SI AISÉMENT POUR CHERCHER A OPPOSER VOTRE PUISSANCE D’EMPRUNT A LA MIENNE ? » Isabella sentit son port altier défaillir tandis qu’une peur fugace l’étreignait. Nagash avait raison. Le fléau de la comtesse ne saurait affecter un être d’une telle puissance, et sa Magie n’était que de la prestidigitation comparée au pouvoir ancien et au savoir maléfique de Nagash. Avec effort, elle retrouva son sang-froid, tentant d’ignorer la punition du Démon dans ses veines. « Non, puissant Nagash. » Elle tenta en vain de croiser le regard de l’ombre courroucée. « Vous avez mal compris mes intentions. Je ne suis pas venue vous défier. » - VOUS AVEZ TRAVERSÉ MON ROYAUME SANS INVITATION, DÉTRUIT MES SERVITEURS. DE QUOI S’AGIT-IL, SINON D’UN DÉFI ? » Isabella baissa les yeux. Il aurait déjà pu l’annihiler, elle le savait, mais au fond de lui, Nagash répugnait à laisser des énigmes sans réponse. Isabella constituait un mystère, et le Grand Nécromancien n’avait pas résisté à l’envie de le percer avant de la détruire. Isabella ressentait une étrange gratitude. Dominer Mannfred avait été un délice, tuer Vlad avait été une vengeance aigre-douce pour une vie volée. Mais cela ? Ce moment possédait une saveur unique, étourdissante. « Une diversion, » murmura-t-elle, rictus aux lèvres. Comme s’il s’agissait d’un signal, la première explosion étouffée retentit au sud. Isabella leva les yeux pour voir plusieurs de pierres de taille noires se détacher du flanc de la pyramide et glisser dans le Lac de la Mort. Nagash poussa un rugissement de colère à faire trembler le sol, et Isabella comprit que quoi qu’il puisse advenir, elle avait déjà gagné. |
Par chance plus que par dessein, les équipes de forage d’Ikit la Griffe avaient pénétré les fondations de la Pyramide Noire au moment où les os noircis d’Arkhan avaient touché le sol. Le chef Technomage avait fait trimer ses Skavens pendant les dernières heures de l’approche, de plus en plus conscient qu’il dépassait l’heure convenue d’arrivée. La Griffe était déjà en train de préparer les excuses pour son échec lorsque la première Foreuse à Malepierre perça le ventre de la pyramide.
Sans attendre les ordres d’Ikit, les Guerriers des Clans s’étaient rués entre les équipes de forage en nage, pour pénétrer dans la pénombre. Tous étaient heureux d’échapper aux confinements périlleux d’un réseau de galerie de plus en plus instable, bien qu’ils eussent été bien moins enthousiastes s’ils avaient su qui attendait à l’intérieur. Ikit n’avait partagé les détails de la mission avec personne, et pour une bonne raison. Peu de Skavens avait l’étoffe de héros, et s’introduire dans le sanctuaire du Grand Nécromancien requérait de tels individus, ou au moins d’amples promesses de récompenses.
Ikit n’était ni ignorant, ni un héros, et donc ce fut avec un immense soulagement qu’il découvrit que Nagash avait quitté les lieux. Il avait toujours été question d’arriver seulement après que le Grand Nécromancien ait été poussé à prendre part à la bataille, et cela avait fonctionné. Ikit envisageait à quel point ses retards avaient peut-être permis de respecter ce minutage, puis il se rappela que Nagash allait certainement défaire l’Armée du Pourrissement en peu de temps. Un succès était un succès, mais son aboutissement était encore incertain. Ikit disposait de six bombes à Malepierre, deux fois ce qui était nécessaire pour abattre la Pyramide Noire, mais aucune précaution n’importerait s’il était tué avant d’avoir placé les charges, et réglé les minuteries de mise à feu afin de permettre à son armée de s’échapper. Ikit donna des ordres. Son groupe de fouisseurs retrouva un semblant d’ordre, et s’enfonça parmi les tombes.
Nagash avait beau être absent et libérer sa fureur sur l’ost démoniaque, la Pyramide Noire était loin d’être dépourvue de gardes. Des statues liées à des esprits étaient dispersées à travers la tombe. Elles ne possédaient pas une conscience suffisante pour agir de leur propre chef, mais étaient bien assez en prise avec le royaume des mortels pour que d’autres utilisent leurs yeux afin de surveiller les lieux. Durant les longs mois du repos de Nagash, cette tâche avait été confiée à Varisoth le Gardien, un nécromant de Sylvanie dont la loyauté et l’absence d’ambition convenaient parfaitement à Nagash.
Varisoth n’avait pas dormi pendant les longs mois de sa veille, car Nagash savait que le Gardien n’avait pas à subvenir à de tels besoins mortels. A présent, il observait à travers les yeux d’un Ushabti, et aperçut les Skavens. Varisoth était dépourvu de toute fierté et étendit sans hésitation son esprit à travers les Vents de Magie pour alerter son maître. Toutefois, la rage de Nagash était si intense que Varisoth sentit que son appel n’était pas entendu. Le nécromant se mit debout et murmura sept âpres mots de réveil. Des esprits depuis longtemps défunts surgirent des parois de la salle, tourbillonnant autour du trône de Varisoth, le soulevant des pierres serties d’or et le portant en direction des intrus. L’esprit du nécromant se répandait déjà à travers la pyramide, et tirait ses gardiens immortels de leur sommeil.
L’attaque survint juste après que la première bombe à Malepierre eut été placée, dans une grande galerie directement en dessous du sanctuaire de repos de Nagash. Selon les calculs trois fois vérifiés d’Ikit, il s’agissait du cœur structurel de la Pyramide. A cet endroit, une explosion d’une puissance suffisante pourrait faire s’effondrer tout l’édifice. Sur ordre de Varisoth, des Ushabti récemment éveillés descendaient de leur piédestal avec un craquement de pierre ancienne, aisément perdu parmi les centaines de bruits de pas des Skavens.Ikit supervisait le placement de la première charge à Malepierre lorsqu’un chœur de cris terrifiés retentit. Il se tourna et vit une marée de Guerriers des Clans paniqués détaler dans sa direction. Derrière eux avançaient des Ushabti dépourvus d’expression, leurs grandes lames dorées se levant et s’abaissant de façon meurtrière à chaque pas. Les statues animées étaient déjà maculées de sang Skaven.
Se cramponnant pour résister à la déferlante de ses sbires en fuite, Ikit leva Malefoudre et envoya un éclair warp sur les constructs en approche. Il frappa l’une des statues en plein centre avec un bruit assourdissant, creusant un trou béant sa poitrine et envoyant des débris dorés dans toutes les directions. A nouveau, Ikit frappa l’Ushabti, et cette fois, d’autres tirs se joignirent au sien. Le craquement sec des Jezzails résonna dans la salle. Ikit vit un Ushabti s’effondrer lorsqu’un projectile s’écrasa contre sa jambe droite.
Des éclairs de Malefoudre fusèrent tandis que les apprentis d’Ikit se joignaient aux hostilités, puis se turent lorsque le chef Technomage leur intima de continuer à appéter les bombes. Le temps qu’Ikit reporte son attention sur la bataille, les Ushabti avaient été réduits en pièces, mais les échos de pas lourds sur la pierre indiquaient au Technomage que le combat n’était pas terminé. Une confirmation suivit rapidement. Un jet de Lance-Feu, d’un vert brillant dans les ténèbres, montra des ennemis arrivant de tous côtés. Des Gardes des Tombes émergeaient des alcôves et des couloirs secondaires autour de la salle. Des nuages d’esprits tourbillonnaient depuis les ouvertures au plafond. D’autres Ushabti, issus d’autres parties de la pyramide, convergeaient implacablement.
Ikit était tiraillé. Il ne faisait pas confiance à ses subalternes pour amorcer correctement les bombes, pas plus qu’il ne pouvait compter sur ses Guerriers des Clans pour affronter les Morts-Vivants sans son autorité. A contrecœur, il laissa ses Technomages à leur travail et hurla ses ordres aux guerriers hésitants. Ceux qui avaient fui la première attaque étaient déjà loin, disparus à la recherche du tunnel d’entrée. Toutefois, la victoire sur les Ushabti avait donné du courage aux autres, et leur détermination s’affirma lorsqu’un jet de Lance-Feu toucha le centre d’une cohorte de Gardes des Tombes. Les vivats discordants furent si intenses que personne ne prêta attention au sort de l’équipe d’arme, dont le câble d’alimentation s’était rompu. Le liquide volatil avait pris feu, et immolé les deux héros de l’instant.
Profitant du regain de moral de ses troupes, Ikit les fit se ruer en avant. Il avait besoin de temps pour amorcer les bombes et les Guerriers des Clans étaient facilement remplaçables. Les chefs Technomages, en revanche, ne l’étaient guère, et Ikit restait derrière avec les équipes d’arme pour mieux superviser l’assaut et battre en retraite si les circonstances l’exigeaient.
Le rythme de la bataille s’accéléra à mesure que d’autres gardiens de la pyramide prenaient part au combat. Les esprits tourbillonnaient à travers la salle, leurs doigts glacés traversant la chair et les os pour arracher la vie aux créatures effrayées. Une griffe, réalisant que ses armes étaient sans effet contre les ennemis éthérés, perdit son sang-froid. Hurlant de panique, ses Skavens s’enfuirent en courant, les esprits avides sur leurs talons. Ikit vit la déroute débuter et ordonna à ses Lance-Feu de tirer dans le couloir de retraite. Les hurlements se firent plus désespérés encore, plus affolés tandis que les flammes vertes noyaient les fuyards, mais Ikit n’en avait cure. Tout ce qui lui importait était que les nuées d’esprits aient été prises dans le même torrent, consumées par le même feu warp que ceux qu’elles avaient mis en déroute.
Les Jezzails poursuivaient leurs salves punitives, délivrant tir après tir sur les Ushabti. Toutefois, ce duel n’était pas entièrement en faveur des Skavens. Plusieurs constructs avaient en effet des arcs, et décochaient des traits sans discontinuer. Des flèches longues comme des lances sifflaient à travers la salle, pourfendant les pavois de Jezzail et empalant chaque paire de Skavens abrités derrière. Mais ce fut dans le fracas des boucliers, ou les Guerriers des Clans affrontaient les gardes squelettiques, que les Skavens firent parler le poids du nombre. Ne voyant que les ennemis immédiats, leur courage dopé par les éclairs verdâtres de leurs équipes d’armes en train de faire feu, les Guerriers des Clans s’en prenaient à leurs ennemis avec une détermination quasi frénétique.
Varisoth avait attendu dans l’ombre tandis que la bataille faisait rage, ce qui avait permis à la relique sur son trône de s’abreuver de mort et de destruction. A pressent, la Machine Mortis glissait en avant. Le nécromant fit sauter les sceaux de son reliquaire, et brandit avec révérence le crâne noirci qu’il abritait. Aussitôt, une pale énergie spectrale s’embrasa dans les orbites vides, et des courants de Magie de la Mort s’en découlèrent comme des serpentins en quête de l’essence des vivants. Les Skavens tombaient raides morts à leur contact. Pire pour eux, la Magie alimentait les gardiens squelettiques, ressoudant leurs os et les poussant à combattre avec une vigueur renouvelée.Ikit la Griffe assista à toute la scène, et vit le crâne noir dans les bras tendus du nécromant dépenaillé. Les éclairs jaillirent de Malefoudre, traversant le nuage d’esprits qui soutenait la Machine Mortis, ce qui engendra la soudaine instabilité du châssis. Au sommet du trône ébranlé, Varisoth chancela avant d’enfin glisser et tomber entre les grilles de fer du reliquaire. Il faillit laisser échapper le crâne noir dans sa chute. Néanmoins, la pâle Magie continuait de luire et d’onduler, aspirant la vie de tous les Skavens à proximité, tout en revigorant les guerriers défunts qu’ils affrontaient. Même emportés par leur fureur, les hommes-rats ne purent rester aveugles à cette menace. Un par un, puis par dizaines, les Guerriers des Clans rompirent bientôt les rangs.
Réalisant que la situation ne pouvait être sauvée qu’en tuant le nécromant, Ikit la Griffe s’apprêta à lancer un autre éclair avec Malefoudre. Avant qu’il ne put le libérer toutefois, il entendit un cri d’alarme coupable. Un Technomage tenait l’une des bombes à Malepierre, la serrant dans ses bras pour tenter de cacher à Ikit la lueur verdâtre qui émettait des pulsations à travers la coque du dispositif.
Étouffant sa frustration, Ikit fit le compte des explosifs. Deux bombes avaient été armées, plus celle qui était bercée par son imbécile d’apprenti. Peut-être que des explosions en chaîne se chargeraient du reste. Dans tous les cas, il n’y avait rien à faire. Ikit ne pouvait pas empêcher la sphère de détoner. Il avait le choix entre abandonner son armée dans la Pyramide Noire en espérant réussir, ou périr ici même. Il n’hésita pas. Le chef Technomage actionna ses compensateurs Warp, et prononça une série de syllabes. Il y eut une bouffée de fumée verdâtre et une puanteur moisie. Lorsqu’elle fut dissipée, Ikit la Griffe avait disparu, abandonnant son armée à son sort.
Un moment après, la bombe à Malepierre détona, et une lumière éclatante envahit la salle.
La Pyramide Noire était plus ancienne que toutes les autres civilisations du Vieux Monde, et elle ne relâcha pas facilement son emprise sur le royaume matériel. Mais elle le fit néanmoins.
Un battement de cœur après la première détonation, une énergie verte et brillante dévasta ses caveaux profonds. L’impensable chaleur dégagée fit couler les bas-reliefs en or comme de l’eau avant de les faire bouillir. Pour les Skavens sur place, la mort fut instantanée, si rapide que nul d’entre eux ne pressentit son sort. Varisoth et d’autres gardiens du sanctuaire durent leur salut au crâne noir du reliquaire. Surchargés par le torrent de mort libéré par l’explosion de la bombe, les pouvoirs du crâne protégèrent les Morts-Vivants réunis dans ses environs immédiats, et repoussèrent la tempête de feu warp qui faisait rage.
Un second battement de cœur après, une onde de choc fendit les antiques pierres noires. Les plus proches de l’épicentre furent réduits en poussière. D’autres furent projetés par la déflagration, et s’écrasèrent contre les murs et les plafonds qui avaient tout juste résisté à l’onde de choc. Les parois extérieures de la Pyramide Noire furent secouées mais tinrent bon.
Un troisième battement annonça une seconde explosion, lorsque détonèrent les charges à Malepierre sans amorce malgré tout. Des pans de maçonnerie de la taille de bâtiments se détachèrent des flancs de la pyramide, s’écrasant, sur l’isthme, le Lac de la Mort, et même aussi loin que le Château de Drakenhof, à plusieurs lieues de distance. Des flammes émergeaient des balcons et des embrasures, incinérant des milliers de Morts-Vivants. Toujours protégé par le crâne noir, Varisoth fut propulsé des entrailles de la pyramide comme un boulet de canon, et s’écrasa sur les berges rocailleuses du Lac de la Mort.
Au quatrième battement, ce qui restait de la pyramide commença à s'effondrer, les murs s’écroulant sur eux-mêmes, ou dégringolant dans les eaux éthériques du lac d’améthyste. Il allait falloir près d’une heure avant que les derniers décombres s’immobilisent enfin.
Depuis l’isthme, Nagash regardait la seule constante de sa longue non-vie se désintégrer devant ses yeux, ce qui le rendit fou. Il se retourna vers Isabella, mais elle n’était plus là. Elle avait fui au moment de l’incendie de la pyramide.
Poussant un hurlement de rage qui ébranla les montagnes distantes, Nagash projeta sa Magie devant lui. Le sort qu’il lança n’avait aucune forme, aucune logique, aucun objectif. C’était un raz-de-marée punitif, son courroux concrétisé par la sorcellerie. La Magie hurla comme un vent violent à travers l’isthme, et lorsqu’elle la touchait, la chair démoniaque était réduite en cendre. Scrofulox, trop lent pour s’échapper comme Isabella l’avait fait, fut déchiqueté par l’enchantement, et il ne resta bientôt de lui que de la poussière et les restes broyés de Krell.
Isabella, assez rapide pour échapper à la vue de Nagash, mais incapable de se soustraire à sa Magie, fut balayée par le torrent et projetée à plusieurs centaines de métrés, ne s’arrêtant qu’en heurtant les vestiges d’un autel d’Ulric avec un bruit atroce. Sa chair avait résisté à ce qui avait fait succomber celle des Démons, mais Isabella gisait brisée, et entendait Bolorog crier dans sa tête. Le Démon dans son sang était à l’agonie, et à travers leur lien, elle partageait chaque instant de son martyr.
La vague balaya plus loin à l’est et à l’ouest, roulant à travers le champ de bataille où Mannfred et Neferata combattaient, avant de poursuivre sa course, s’affaiblissant à chaque lieue parcourue. C’est alors que Nagash fut submerge par l’épuisement. Tandis que la bourrasque magique se taisait enfin, il l’appuya lourdement sur son bâton, et réalisa sa terrible erreur. Avec la destruction de la Pyramide Noire, son lien avec le Lac de la Mort avait été irrévocablement détruit. Il était encore maître du Vent de la Mort, toujours ancré en lui. Toutefois, il ne pouvait plus puiser dans le vaste réservoir d’énergie qu’il avait jalousement engrangé et enterré dans la roche de la Sylvanie après sa résurrection. Pire, dans un accès de fureur, le Grand Nécromancien avait presque épuisé la totalité de ce qu’il avait passé des mois à absorber. Nagash avait eu le pouvoir d’un dieu. A présent, il était redevenu mortel, et n’était pas plus puissant que les autres Incarnations.
Le long de l’isthme, des squelettes et des Revenants se tenaient immobiles. Sans ennemi à combattre ni ordre de leur maître, ils scrutaient les restes de leurs ennemis l'air absent, attendant patiemment un changement de circonstances. Les Morghasts s’agenouillèrent devant leur créateur, leurs ailes en lambeaux repliées.
Nagash était encore agenouillé dans la poussière lorsque Mannfred et Neferata rejoignirent l’isthme. Rien n’avait pu dissimuler la destruction de la Pyramide Noire, et il avait frappé les deux Vampires, presque au même moment, que le Grand Nécromancien avais pu être tué dans l’explosion, ce qui aurait laissé une opportunité de prendre sa place. Ainsi, ils avaient laissé la bataille entre d’autres mains, et volé au sud. Aucun Vampire n’osa s’adresser à Nagash, de peur de trahir une déception si grande qu’elle ne pouvait être dissimulée. Ils attendaient simplement en silence.
Nagash, perdu à soupeser ses maigres options, nota à peine leur arrivée. Il n’était pas question de mesurer l’ampleur du coup que le Chaos lui avait porté, ni de savoir comment il pourrait revenir à son plan d’origine. Des années en arrière, lorsque Teclis était venu le trouver dans le vide entre la vie et la mort, afin de forger une alliance contre le pouvoir grandissant du Chaos, Nagash avait refusé. Néanmoins, il avait vu dans le plan du mage quelque chose qu’il pouvait utiliser à son profit. Cela l’agaçait, mais il n’avait jamais cherché à se rendre maître de la Magie de la Mort, et avait accepté à contrecœur que l’esprit de Teclis puisse aller presque de pair avec le sien. Hélas, contourner le projet du mage, et accaparer le pouvoir de la Mort pour sa seule ascension, avait échoué.
Deux possibilités se présentaient d’elles-mêmes à pressent, toutes révulsantes pour le fier Nagash. La première était de succomber aux dieux du Chaos, de devenir leur serviteur, comme tant de ses vassaux l’avaient fait ces dernières années. L’autre était de faire front avec les vivants contre les forces du Chaos, ce qui forçait le Grand Nécromancien à traiter des mortels en égaux. Il lui importait peu de sentir que des êtres avaient été imprégnés comme lui de l’essence brute de la Magie. Les autres, en particulier les mortels, lui seraient toujours inférieurs.
Aucune voie n’était attirante, car chacune revenait à admettre son échec, et concéder que Nagash n’était pas le tout-puissant qu’il prétendait. En outre, il suspectait Teclis d’avoir interféré avec son destin presque autant que les Dieux du Chaos l’avaient fait, car seul cela pouvait expliquer comment sa résurrection méticuleusement planifiée avait failli tourner au désastre.
Le Grand Nécromancien prit une décision et se releva. Les squelettes et les Revenants se reformèrent sous leurs bannières une fois encore tandis que sa volonté les obligeait. Les Morghasts se redressèrent, leurs armes brandies en guise de salut. Neferata s’agenouilla enfin devant son maître. Mannfred n’en fit rien, bien qu’il évitât de croiser le regard de Nagash lorsqu’il le balaya.
Se détournant de ses Mortarchs les plus versatiles, Nagash scruta le champ de bataille. Ses yeux reposèrent un long moment sur les os noircis d’Arkhan. Le Roi Liche ne pouvait pas être véritablement détruit tant que son maître arpentait le monde des mortels, car leurs destins étaient trop étroitement liés. Assurément, Arkhan lui avait encore failli. Ni lui, ni Krell ne méritaient de renaître. Cependant, Nagash savait qu’il était sur le point d’entrer dans un repaire d’ennemis, et en dépit de leurs erreurs, Krell et Arkhan lui étaient loyaux. Nagash s’approcha d’eux tour à tour et toucha leurs testes de la pointe de son bâton, cédant une part de son essence pour restaurer ses serviteurs.
Puis le Grand Nécromancien entama une longue marche jusqu’aux restes éparpillés de la Pyramide Noire, relevant tous ceux capables de tenir une arme. Contre toutes les attentes, Varisoth était parmi eux, protégé par le crâne noir de Morghane et éjecté par l’explosion. Le nécromant croyait qu’il n’avait été restauré seulement afin d’être châtié pour son échec, mais Nagash en avait pardonné de plus grands encore en ce jour.
Peu après, l’armée des morts s’était mise en route. A la colère de Mannfred, Nagash avait placé Neferata à la tête du royaume, lui ordonnant de diriger la Sylvanie en son absence. De bien des façons, cette décision était inévitable. Il y avait à présent plus de nobles de Nehekhara que de Vampires en Sylvanie. Leurs coutumes étaient étrangères à Mannfred, et la révolte certaine s’il avait tenté de leur imposer sa volonté, fut-il au nom de Nagash. Néanmoins, Mannfred devait lutter pour ravaler sa rancœur. Il savait qu’il s’écoulerait bien des jours avant qu’une confrontation avec Nagash ne résulte en autre chose que sa propre destruction. A l’opposé, Neferata était enchantée. Régner sur la Sylvanie lui importait peu, une chose qu’elle était certaine d’avoir fait comprendre à Mannfred avant son départ, mais la Reine des Mystères se réjouissait que son nouveau statut ait placé la haïssable Khalida entièrement en son pouvoir.
Toutefois, plus que la perte de la Sylvanie, c’était la destination de Nagash qui troublait Mannfred. Entre une alliance avec les mortels ou avec les serviteurs des Dieux Sombres, le Grand Nécromancien avait choisi la première. A chaque pas, l’armée des morts progressait à l’ouest, en direction d’un royaume qui était l’antithèse de la non-vie. Vers Athel Loren.
Chapitre III : L’ESPOIR RENAÎT - Printemps 2526 / Automne 2528[modifier]
Peu de temps après que Malékith fut couronné Roi de l’Éternité, Athel Loren connut une période de stabilité. Les réfugiés d’Ulthuan et de Naggaroth venant compléter les rangs des guerriers Asrai, les Hommes-Bêtes n’eurent aucune chance. Les hardes furent exterminées ou chassées des douze royaumes. Les bornes gardiennes furent sécurisées contre de nouvelles intrusions provenant des désolations ou s’étendait naguère la Bretonnie. Des milliers de vies furent perdues dans cette entreprise, et beaucoup de bosquets ancestraux furent incendiés. Néanmoins, une forme de victoire avait été remportée. La majorité des Elfes estima que cela en valait la peine, et se concentra sur les reconquêtes futures.Or, malgré ces triomphes, les Elfes étaient en train de perdre la guerre au sens large. La Trame – l’équilibre naturel que les Asrai s’efforçaient à protéger - évoluait dangereusement comme le Chaos devenait dominant. Ce n’était pas seulement dû aux difficultés que connaissait Athel Loren. Les succès des Dieux Sombres y affectaient la Trame plus que partout ailleurs, et chacun de leurs assauts contre l’ordre naturel amenait le monde plus près de sa destruction.
Mais un tel changement ne se ferait pas du jour au lendemain. Sans une explosion chaotique telle que lors de la chute des Anciens, il faudrait des siècles pour que la Trame soit atteinte si sévèrement que le monde s’en trouverait déchiré. Toutefois, le point de non-retour, au-delà duquel elle glisserait inexorablement dans un Chaos intemporel et informe, était proche. On en percevait déjà les signes précurseurs.
Comme la balance penchait, la folie commença à s’emparer d’Athel Loren elle-même. Les Esprits des Forêts étaient toujours plus nombreux à se rallier à la cause de Coeddil, et une révolte née à Cythral se répandit dans le domaine sylvestre.
Les défenseurs de la forêt durent se disperser davantage, permettant à la corruption de pénétrer plus avant, dans un cercle vicieux de destruction. Les régions les plus imprégnées de Magie souffrirent plus que les autres, et bientôt les sentiers de Fyr Darric et d’Argwylon ne furent plus praticables. On vit de plus en plus souvent des Dryades courir au côté des Démons, et des Hommes-Arbres enragés démolir des sanctuaires secrets.
Heureusement pour les Elfes, les Esprits des Forêts qui gardèrent raison étaient toujours plus nombreux que ceux qui avaient été pervertis par le Chaos. Durthu lui-même resta lucide, et œuvra avec Alarielle à endiguer la corruption. Les progrès étaient lents, et faciles à inverser. Les esprits d’Athel Loren étaient des créatures de Magie, et ressemblaient - par certains aspects - aux serviteurs démoniaques du Chaos. Cette parenté n’aurait pas du suffire à les inféoder aux Dieux Sombres, mais la triste vérité était que nombre d’esprits s’indignaient de la présence des Elfes, ou espéraient le retour d’un âge plus simple, bien qu’ils n’en eussent qu’un souvenir ténu.
Malékith et Alarielle avaient toujours su que la situation allait empirer, mais n’en avaient fait part qu’à peu de leurs sujets. Leurs appréhensions furent bientôt confirmées. La marche d’Archaon sur Middenheim révéla que les forces du Chaos n’avaient pas été vaincues, mais avaient juste fait une halte. Elles reprirent leur invasion avec des effectifs qui défiaient l’entendement.
Le premier coup frappa Arranoc, le glorieux Été Sans Fin, ou le soleil ne perdait jamais de son éclat. Les Démons se déversèrent des Cryptes de l’Hiver, annoncés par le froid de ces cavernes maudites. Les clairières et champs qui n’avaient jamais connu que de splendides étés disparurent sous un givre épais. Ceux qui survécurent à la glaciation étaient engourdis et décontenancés par le changement soudain, à commencer par les Esprits des Forêts, qui sombrèrent instantanément dans un sommeil si profond qu’ils ne s’éveilleraient plus jamais dans le monde des vivants. Amadri Ironbark, l’esprit roi d’Arranoc, s’endormit.
Privé de l’autorité d’Amadri et de leurs esprits alliés, les Elfes ne purent organiser qu’une défense symbolique. L’Eté Sans Fin, naguère le plus beau et le plus doux des royaumes sylvestres, devint un repaire de folie et d’horreur, ou les agiles Démonettes voletaient d’arbre en arbre, en quête de nouveaux jouets à tourmenter. Toutefois, les Elfes d’Arranoc refusaient d’abandonner leur patrie. Ils luttèrent et moururent sur les fleuves gelés et les clairières figées; leurs flèches et leurs lances n’étaient que des piqûres d’épingle dans le cuir d’un léviathan d’outre-monde.
Les autres royaumes vinrent au secours de l’Été Sans Fin comme il glissait dans un hiver éternel. Les Elfes d’Atylwyth, dont les bois étaient soumis à un frimas permanent, avaient l’habitude de combattre dans le froid, et leur arrivée ralentit les Slaaneshi. Le salut d’Arranoc vint pourtant d’une source jadis inconcevable. Beaucoup d’Elfes Noirs exilés s’étaient installés en Atylwyth, le lieu leur rappelant Naggaroth. Quelques despotes prirent l’initiative de marcher au nord, et plus encore le firent sur ordre de Malekith.
Grâce à ces renforts, les Elfes d’Arranoc finirent par reprendre leur domaine, mais pas à rétablir la situation. Même si les Démons avaient été repoussés, l’Été Sans Fin resta pétrifié dans la glace. Pire, de nouvelles portes donnant sur le Bois des Songes - le Royaume du Chaos - s’étaient ouvertes sur les sites des plus grandes batailles. Elles allaient devoir être constamment gardées, sous peine de voir d’autres Démons envahir Athel Loren. Bien qu’Arranoc revint entre les mains des Elfes, il était aussi sûrement perdu que l’Ulthuan englouti, et une terre à jamais maudite.
Arranoc n’était qu’un début. Juste après que les Cryptes de l’Hiver eurent été scellées de nouveau, Athel Loren eut à subir des myriades d’attaques. En Anmyr, le Terne-Gîte, l’Arbre du Malheur tomba en tas de pourriture. Morghur, mythique Cyanathair maudit, renaquit du paillis puant, et le vent apporta des bêlements de joie quand les Hommes-Bêtes assaillirent les frontières du Terne-Gîte. La dame Delynna d’Anmyr fut la première à périr parmi des centaines ce jour-là, sa chair mutant en une chose indicible avant que la menace prenne fin par la lame. Morghur échappa à l’anarchie qui s’ensuivit, les Elfes tournant leurs lances et leurs arcs contre les restes difformes de leurs parents corrompus par la caresse de Morghur. D’autres Elfes se hâtèrent d’aller défendre les bornes gardiennes. Ils arrivèrent bien trop tard. Quand la lance de dame Tevaril abattit la créature qu’était devenue Delynna, les pierres avaient été renversées, et les hardes avaient franchi la frontière pour tout saccager.
Arranoc ne devait sa survie relative qu’à l’aide des autres royaumes. Or, Anmyr ne recevrait pas un tel soutien, car les autres domaines étaient eux aussi pris d’assaut. Sous les Voûtes, des sorciers nordiques soumirent les morts d’antan à leur volonté, et les jetèrent contre les lisières d’Atylwyth, de Cavaroc et de Modryn. Les maîtres de chevaux et les seigneurs faucons affrontèrent les Morts-Vivants dans les vastes plaines de Cavaroc, les sabots tonnant sous un Ciel noir de flèches. Mais les montagnes étaient riches de dépouilles, et les sorciers qui les animaient prenaient garde à ne pas s’exposer aux yeux perçants des éclaireurs de Modryn.A l’est, Drycha la Ronce de Malheur finit, après des années d’efforts, par briser les pierres sentinelles de Cythral, libérant Coeddil l’Homme-Arbre corrompu et son armée d’esprits cruels de leur prison millénaire. Dame Draya l’Effraie les retint un temps, ses Éclaireurs Sylvains recevant l’appui des Æsanar de Nagarythe, le royaume deux fois brisé. Néanmoins, les suivants de Coeddil étaient trop nombreux, et la rage de l’Homme-Arbre trop entière. Les halls de Tyr Vanna et de Tyr Edrell tombèrent face aux esprits, et l’armée de Draya se retrouva acculée devant le Mur de Cullodinen. Les Elfes de Cythral furent disperses à l’issue de cette bataille, et les cendres de leur reine se mêlèrent à celles d’un bosquet incendié. La seule raison qui empêcha Coeddil de percer plus avant fut l’autorité d’Alith Anar. Le Roi Fantôme rallia les Cythrali et harcela l’ost de Coeddil, bloquant chaque incursion par la discrétion et la ruse.
A Torgovann, où le bûcher funéraire de Daith l’aveugle flambait encore, les portes du Bois des Songes se couvrirent de pourpre et des Chiens-Démons s’élancèrent sous le ciel étoilé. Plus le sang coulait, plus les portes baillaient, et il n’y eut bientôt plus assez de flèches à Torgovann pour abattre tant de Démons. Mais ils furent contenus, une fois encore grâce à l’aide des Asur et des Druchii.
A Wydrioth, Argwylon, Fyr Darric et Talsyn, il se produisit les mêmes choses, et Athel Loren n’échappa à la destruction qu’à la faveur des Elfes que ses habitants avaient accueillis quelques semaines plus tôt. Tout comme dans l’ancien temps, la forêt avait été sauvée par l’arrivée des premiers Elfes, les exilés assurèrent sa conservation contre le Chaos.
Mais c’eût été une erreur que de considérer les Elfes comme force unie, car les haines et les rancœurs d’antan ne pouvaient être effacées aussi vite. Maintes défaites que connurent les défenseurs d’Athel Loren n’étaient dues qu’au refus des Asur de collaborer avec des Druchii, ou des Asrai de se fier à quiconque hormis leurs propres clans - un héritage malencontreux de l’apogée du royaume.
C’était une vérité de tous connue qu’il n’y avait guère de tendresse entre Malékith et Alarielle, et encore moins d’intimité. Leur mariage avait été voulu par la raison d’état, afin de réunifier un peuple divisé. La confiance - une denrée rare en ces jours sombres - entre le roi et la reine était, au mieux, ténue. Malékith épiait sans cesse le moindre signe de trahison, peinant à se débarrasser de sa suspicion légendaire. Quant à Alarielle, elle demeurait attentive à la possibilité que son époux reprenne ses mauvaises habitudes, qu’il redevienne le tyran d’autrefois. Ironiquement, leurs soupçons n’avaient aucun fondement. C’étaient l’orgueil et le poids inexorable de l’histoire qui éloignaient Malékith et Alarielle, et cette distance était frappante pour leurs sujets.
Néanmoins, le Roi de l’Éternité et sa Reine Éternelle ne se ménageaient pas pour défendre Athel Loren. Bien que la forêt ne fut que leur patrie d’adoption, que des dieux mourants leur avaient léguée, le couple de souverains s’efforça de s’en montrer digne.
Malékith était toujours en guerre, usant du pouvoir de l’Ombre affranchi du Grand Vortex. D’un geste, il faisait traverser de longues distances en un clin d’œil à ses armées, qui marchaient dans l’espace entre les ombres, frappant un flanc que l’ennemi croyait sûr. Semer la destruction avait toujours été le plus grand talent de Malékith - le fait qu’elle se déchaînât pour une juste cause n’entamait en rien sa joie.
Alarielle était à peine plus mesurée dans ses actes. Elle était l’Incarnation de la Vie, et beaucoup d’Elfes – en particulier les Hauts Elfes qui avaient bataillé à ses côtés lors des derniers jours d’Ulthuan - avaient supposé que sa transformation la rapprocherait des reines religieuses traditionnelles, au lieu de la reine guerrière qu’elle était devenue dernièrement. Ils n’auraient pas pu se tromper davantage. Ils avaient oublié que la vie était une force curatrice et destructrice, notamment dans une terre comme Athel Loren, où les arbres eux-mêmes partent en guerre. La chose ne fut jamais plus manifeste qu’à Tal Merion, où les Hommes-Bêtes qu’Alarielle ne noya pas dans les eaux du fleuve Grismerie finirent écharpés par des torons de ronces forcenés.
Rien de tout cela n’échappa à Lileath, Déesse de la Lune et dernière représentante du panthéon elfique dans cet âge du monde. Lileath n’avait jamais cru que le Chaos pouvait être vaincu. Tandis que les autres voulaient gagner la guerre présente, elle avait dressé ses plans pour le futur. Elle était à peine plus qu’une mortelle désormais, après avoir dépensé presque tout son pouvoir dans la fabrication d’un havre pour sauver sa fille de la tempête du Chaos. Le peu qu’il lui restait, elle l’employait pour retarder l’inévitable détraquement de la Trame, afin d’affaiblir les Dieux du Chaos, quoi qu’il adviendrait du monde.
Pour l’instant, aucun Elfe n’avait eu vent du renoncement de Lileath; ses fidèles ne voyaient en elle qu’une déesse qui faisait don d’elle-même en luttant avec eux. La création des Incarnations était son idée, bien que menée à bien par Teclis, et tous croyaient que la déesse pouvait encore améliorer leur sort. Tous, sauf peut-être Malékith, peu enclin à accorder sa confiance à autrui, aux mortels comme aux dieux. Même Teclis, qui vint discrètement à Athel Loren peu après la chute d’Averheim, ignorait tout du secret de Lileath, et s’évertuait à exécuter son plan.
“ Repose-toi. »
Teclis tira sur les rênes de Malhandir, et leva les yeux du sentier broussailleux. Comme toujours, il n’aurait su dire si l’être spectral avait effectivement prononcé ces mots, ou si son esprit lui jouait des tours. Peut-être devenait-il fou, pensa-t-il. A l’évidence, les quatre porteurs du cercueil étaient à peine plus que des élémentaires, tissés de fils de vie, d’ombre et de souvenirs. L’avant du cercueil était soutenu par un guerrier robuste en cape de lion, et par un noble plus mince et plus raffiné des cours du sud. L’arrière était supporté par des élémentaires à l’apparence d’un maître du savoir en robes, et d’un seigneur de grande taille affublé d’un heaume qui masquait toujours son visage. Théoriquement, ils n’avaient pas de volonté propre-et donc pas d’opinions. Théoriquement. « Je ne peux pas me permettre de me reposer, dit Teclis. Le temps nous est compté. La forêt change. Si la corruption atteint Yn Edri Eternos avant nous - avant moi -, tout ce qui a été fait l’aura été en vain. |
- La précipitation sera tout aussi funeste si la fatigue te fait prendre le mauvais chemin, avertit le fantôme à fourrure de lion.
- Depuis quand n’as-tu pas dormi ? » demanda le noble. - Trop longtemps, intervint le maître du savoir. Ne t’ai-je pas enseigné la prudence ? - Tu l’as fait, dit abruptement le dernier spectre, mais il n’écoute jamais. Il fait ce qui lui chante, peu importe ce qu’il en coûte, pour lui ou pour les autres. » Ces paroles frappèrent l’âme de Teclis comme des couteaux, même s’il savait qu’elles n’étaient que des échos de ses propres pensées. Il était trop tard pour s’amender des décisions passées. Seul l’avenir importait, et l’espoir d’apporter le salut à tous. « Nous continuons, dit-il en talonnant Malhandir. « Nous n’avons pas le choix. » |
Même si les Elfes ignoraient tout de la duplicité de Lileath, il ne leur fallut pas longtemps pour connaître la division. Hellebron, sauvée par chance de la ruine d’Ulthuan, en était venue à jouer le rôle de divinité de son culte suite à la mort de Khaine. Elle avait défendu Athel Loren avec autant d’ardeur que quiconque. Peut-être trop ardemment, aux dires de certains, car elle sacrifiait volontiers les vies de ses suivants si cela pouvait lui apporter la victoire. Les triomphes de Hellebron furent en effet les plus sanglants, et ce ne fut pas toujours l’ennemi qui eut à payer le prix le plus fort pour ces réussites. Son culte grandissait malgré tout, attirant des adeptes des trois races elfiques.
Maints seigneurs et dames militèrent auprès de Malékith, le prièrent de mettre un frein aux excès de Hellebron, mais le Roi de l’Éternité jugea que ses actions étaient une des réponses les plus sensées pour survivre à ces temps insensés. Si le sang était la monnaie des victoires de Hellebron, Malékith se félicitait qu’elle le dépensât sans compter. Or, certains ne partageaient pas cet optimisme Alarielle, en particulier, s’inquiétait grandement des abus de la Reine de Sang, mais sa seule autorité ne suffisait pas à la condamner.
Ce fut à la Bataille de Cerura Carn que la discorde éclata. Imrik de Caledor, premier des princes Asur à reconnaître Malékith, y affrontait une imposante armée d’Hommes-Bêtes. Le danger était si grand que le fier Prince Dragon dut se résoudre à appeler des renforts. Le seigneur Arlas de Modryn envoya sur-le-champ ses guerriers aux couleurs de minuit contre le flanc ouest de la harde, pendant que les Calédoriens disciplinés les contenaient au centre. Hellebron répondit elle aussi à l’appel, non pas pour aider Imrik, mais par désir de tuer.
Furies et Exécuteurs assaillirent le dos de la harde, et démembrèrent les Hommes-Bêtes cernés de toutes parts dans une orgie de lames et de sang. Mais les guerriers de Har Ganeth étaient si ivres de massacre qu’ils ne ralentirent pas quand leur ligne rencontra celle d’Arlas. Plus de la moitié des soldats de Modryn mourut à Cerura Carn, beaucoup par la main des suivants de Hellebron.
Furieux, Imrik déposa une requête officielle devant Alarielle. Peu après, le prince et la reine parlèrent à Malékith en privé, et finirent par le persuader de museler le pouvoir de Hellebron. Ainsi le Culte la Reine de Sang fut-il interdit à Athel Loren. Dans un rare moment d’hésitation, Malékith ne signa pas le décret lui-même, laissant cette charge à Alarielle. La Reine Éternelle ne put deviner la raison de la réticence de son époux, mais peu lui importait. Alarielle disposa, et Hellebron fut dépouillée de tous ses titres.
Humiliée et enragée, Hellebron s’enfuit avec adeptes jusqu’au Sanctuaire de Khaine, entre Wydrioth et Talsyn. Du haut de la plus haute tour, elle lorgnait vers l’ouest en ruminant sur son sort.
Ce fut là, par une nuit sans lune, que le Démon Be'lakor, l’architecte des malheurs des Elfes, trouva Hellebron et se faufila dans ses rêves comme un voleur. Il chercha à retourner la Reine de Sang sans qu’elle s’en aperçoive, mais à sa grande consternation, Hellebron reconnut immédiatement sa nature. Hellebron considérant qu’on l’avait trop souvent trahie, cela ne changeait rien : elle arpentait déjà la voie de la tentation. Néanmoins, Be’lakor prit beaucoup de plaisir à lui montrer ce qu’il lui présenta comme une vision de l’avenir, dans laquelle Alarielle jetait son corps ensanglanté du haut d’un pinacle de pierre. Hellebron, déjà réceptive aux promesses du Démon, se convertit promptement au Chaos, en échange de l’assurance de se venger de ceux qui l’avaient offensée.
La même nuit, Aqshy, le Vent du Feu, errait sans maître dans le ciel au-dessus des Montagnes Grises. Libéré de sa forme mortelle par le trépas d’Ungrim Poing de Fer, il cherchait un nouvel hôte, mais n’en trouvait aucun à son goût. Bien des sorciers perçurent son pouvoir et s’efforcèrent de l’asservir, mais Aqshy était une force magique primordiale, et même les plus puissants enchanteurs ne purent vaincre son indépendance enflammée. Dans les souterrains des ruines d’Altdorf, Egrimm van Horstmann accomplit d’innombrables sacrifices, pour étayer sa puissance avec des âmes volées, mais toujours il échouait à dominer le Vent du Feu. À peine avait-il piégé Aqshy dans son corps que le flux rejaillissait hors de lui, la séparation consumant son enveloppe en une carcasse noire et sans vie. D’autres essayèrent, avec des résultats aussi horribles, et Aqshy continua d’embraser et de tournoyer dans le ciel, en quête de sa destinée.Alors que les Elfes bataillaient pour leur survie, deux armées marchaient sur Athel Loren par l’est. La première était constituée des rares survivants humains et Nains d’Averheim rassemblés par l’Empereur. Ils progressaient péniblement dans les montagnes, ralentis par le fardeau des nombreux blessés. Seule la connaissance de Gotri Hammerson des Montagnes Grises et des routes naines secrètes leur permettait d’avancer.
Toutefois, chaque jour de marche apportait son lot de nouveaux défis. Des Morts-Vivants s’amassaient dans les hauteurs, dans le seul but de tuer les vivants. Des poches de Magie brute apparues dans les pics engendraient des Démons, et les Chimères étaient toujours prêtes à bondir de leurs tanières. Pire, ce pan des Montagnes Grises accueillait une douzaine de tribus Orques et Ogres, et aucune d’elles ne tolérait les intrus. Certains dangers pouvaient être contournés, mais de temps à autre, la colonne d’hommes et de Nains devait former le carré quand des Peaux-Vertes dévalaient les pentes en beuglant ou quand une Chimère rugissante leur donnait la chasse.
Aucune victoire n’aurait été possible sans la Magie de Gelt et la puissance de feu des Nains, les cols étant trop étroits pour les chevaliers. Le plus frustré de tous était le Duc Jerrod. Il avait été témoin de la destruction de deux royaumes, et il lui tardait d’assouvir le désir de juste vengeance de son épée. Il devait toutefois se contenter de regarder les armes sans noblesse des Nains lui sauver la mise.
Pour leur part, les Zhufbarak avaient appris à accepter Gelt au cours de la marche. Ils le méprisèrent d’abord pour sa sorcellerie, autant que les Bretonniens méprisaient les Nains pour leurs armes à feu. Puis les runes se mirent à s’illuminer au passage de Gelt - et pas seulement celles dont Hammerson connaissait bien le pouvoir, mais aussi les simples runes de langage dont la véritable puissance avait été oubliée. En présence de Gelt, les armures de Gromril gagnaient encore en dureté, et les armes devenaient plus tranchantes qu’avec n’importe quelle pierre à aiguiser. Les jours passant, les Brise-Fer se mirent à évoquer l’esprit de Grungni, et se demandèrent si son pouvoir ne s’était pas incarné dans l’homme au masque de métal. Ces murmures n’allaient jamais jusqu’aux oreilles d’un humain, car les Nains étaient incrédules à l’idée qu’un dieu ancestral puisse bénir un étranger de la sorte.
Gelt était inconscient de la consternation qu’il avait provoquée, mais il n’était pas conscient de grand chose pendant cette marche. Gelt passait ses jours à combattre et ses nuits à méditer, afin de comprendre le pouvoir qui ne faisait plus qu’un avec ses os. Il ne savait que trop bien que la curiosité l’avait facilement écarté du droit chemin ces dernières années, et il était résolu à ne plus commettre la même erreur.
L’Empereur était encore privé de Magie, après qu’Archaon lui eut dérobé le pouvoir d’Azyr. Néanmoins, cela ne l’empêcha pas d’accomplir son devoir au combat. Si c’était Hammerson qui choisissait la route, c’était Karl Franz qui avait défini la destination, et celle-ci n’enchantait pas les cœurs. Pour Jerrod, Athel Loren était un lieu hanté et malveillant, et ses habitants étaient responsables de la mort de trop de ses amis et sujets. Pour Hammerson, c’était une mine de rancunes, qui remontaient même jusqu’à l’âge de Grungni Goldfinder. Et pour Gelt, qui s’était toujours cantonné aux grandes métropoles de l’Empire, c’était une terre de barbares. Malgré cela, tous se laissaient guider par l’Empereur, mais n’auraient pas su expliquer pourquoi. Ainsi, bataille après bataille, les réfugiés d’Averheim se rapprochaient graduellement du royaume sylvestre. Sur leurs talons, un ost beaucoup plus grand réduisait la distance chaque jour. Celui-ci venait également d’Averheim, mais poursuivait un but bien plus sinistre que ceux qui le précédaient. Si les totems d’airain dont il était constellé ne trahissaient pas son allégeance, son sillage de carnage le ferait aussi certainement. Alors que l’armée de l’Empereur faisait tout pour éviter les confrontations, cet ost cherchait les bains de sang, et ne laissait derrière lui que des corps déchiquetés et tas de crânes pour plaire à Khorne.
Cette Armée des Crânes était menée par un homme mort : Skarr Bloodwrath, tué par le Duc Jerrod, mais ramené à la vie par la tuerie, comme tant de fois auparavant. Skarr savait qu’il avait failli à son maître, et aspirait à faire pénitence en prenant les crânes de ceux qui lui avaient échappé. Skarr avait dépassé le besoin de se nourrir, hormis de la bataille elle-même, et ne tolérait aucun retard dû aux faiblesses humaines qui affectaient encore ses suivants Skaramor. Ceux qui ne tenaient pas sa cadence étaient laissés sur place, leur crâne venant souvent s’ajouter à ceux de leurs victimes.
Quand l’Empereur atteignit la frontière de Wydrioth, les célèbres Pics des Pins d’Athel Loren, le vent tourna et porta les cris déments des Faucheurs de Crânes vers l’ouest. Hommes et Nains forcèrent la marche malgré l’épuisement, préférant former leur dernier carré dans la sécurité douteuse d’Athel Loren que dans les montagnes infestées de Démons.
Leur intrusion fut remarquée sur-le-champ. Des éclaireurs wydriothi s’effacèrent discrètement du chemin de l’Empereur pour avertir le roi et la reine d’Athel Loren. Des Dryades les pistaient, guettant le moindre faux pas. Alarielle s’attendait depuis longtemps à ce que d’autres Incarnations viennent à Athel Loren. Avec l’aide de Durthu, la Reine Éternelle avait empreint les Esprits de la Forêt qui n’avaient pas cédé à la folie d’un sceau de retenue. Athel Loren, qui n’était pas d’ordinaire une terre amicale, accueillit promptement de nouveaux alliés en ces heures sombres. Mais à la moindre branche cassée pour du bois de chauffe, les Dryades auraient volontiers démembré les nouveaux venus. Hammerson avait appris la leçon de l’expédition perdue de Goldfinder, contrairement à nombre de ses compagnons, et interdit tout usage de la hache. Satisfaites et déçues en égale mesure, les Dryades gardèrent leur calme.
Cependant, il y eut un autre témoin de l’arrivée de l’Empereur à Athel Loren. Be’lakor n’aimait pas le tour qu’avaient pris les événements. La puissance de Gelt brillait comme un fanal, une lumière dorée étincelante qui pourrait percer les ténèbres de l’essence même du Démon. En outre, il pouvait encore sentir le souffle d’Azyr chez l’Empereur. Be’lakor craignait que ces deux-là changent le cours de la guerre d’Athel Loren si on les laissait rejoindre Malékith et Alarielle.
Le Démon savait que la moindre bataille attirerait encore plus vite le roi ou la reine aux Pics des Pins. S’il devait donc y avoir bataille, il fallait garantir la victoire afin qu’ils ne trouvent pas les alliés qu’ils cherchaient. Malheureusement pour Be’lakor, Wydrioth résistait à ses serviteurs avec une efficacité rarement égalée. Les armées de Be’lakor étaient trop petites pour réussir à elles seules. Skarr posait un autre problème. L’Armée des Crânes n’était qu’à un jour de marche de la forêt, et sa présence ne manquerait pas d’attirer l’attention que Be’lakor voulait éviter.
Be’lakor entra dans les ombres et vola au côté de Skarr. Faisant usage de toute sa ruse, le Démon s’efforça de convaincre le seigneur de guerre de ralentir son avance, afin de ne pas pénétrer en Athel Loren avant que ses propres forces le rejoignent et assurent une victoire rapide. Un autre nordique, intimidé par le pouvoir et la gloire du Premier-damné, aurait pu accéder à la requête de Be’lakor, mais pas Skarr. Sa loyauté allait à Khorne, son cœur au massacre et son esprit à la vengeance. Ignorant la colère croissante de Be’lakor, il refusa sa demande, et poussa le vice à faire encore presser le pas à son armée.
Tout comme Be’lakor l’avait prédit, Athel Loren se déchaîna aussitôt que les Skaramor mirent le pied sous ses frondaisons. Les Dryades qui “escortaient” l’Empereur filèrent toutes vers l’est, et tombèrent sur les dévots de Khorne avec toute la froide fureur de leur engeance. Les bruits de la bataille résonnèrent dans les clairières, alertant Elfes et Esprits à des lieues à la ronde. Les seigneurs rassemblèrent leurs maisonnées, les Dragons se réveillèrent pleins de rage et les ancêtres des sylves engagèrent des bois entiers dans le conflit. Maudissant l’obstination de Skarr, Be’lakor se retira dans sa forteresse des ruines de Tal Esth pour fomenter de nouveaux plans.
Des milliers de Faucheurs de Crânes et de Hérauts du Courroux périrent dans les heures qui suivirent, mais Skarr n’en fut pas freiné pour autant. Chaque coup de hache, chaque Homme-Arbre découpé et chaque Elfe décapité le rapprochaient de sa proie - et de sa vengeance. Même alors, il allait plus vite que l’Empereur. La végétation dense gênait les humains et les Nains autant que leurs poursuivants corrompus, mais Skarr et ses hommes ne craignaient pas d’offenser la forêt. L’avant-garde sanguinaire de l’Armée des Crânes réduisait la distance.
Finalement, alors que les réfugiés traversaient Esdari Corrin – l’Abîme des Échos -, Gelt prit une décision. Il fit volter Vif Argent et dit aux autres de continuer, d’aller trouver de l’aide pendant qu’il retiendrait les Skaramor. Tous comprenaient ce que Gelt leur offrait - de se sacrifier pour leur laisser le temps de s’échapper. L’intention était noble et logique, mais elle fut complètement gâchée, les Zhufbarak refusant de l’abandonner. Ils prirent calmement position là où la passe était la plus étroite, et aucune supplique du sorcier n’aurait pu les en faire bouger.
L’Empereur et le Duc Jerrod savaient que leur colonne de chevaliers exténués ne serait d’aucune utilité dans le gouffre, et après de brefs adieux, ils partirent au galop. Malgré les bons vœux de Gelt, leurs esprits n’auraient pas pu être plus désarmés. Jerrod suggéra de diviser la force. Chaque compagnie prit un chemin différent, les plus hardies et les plus rapides chevauchant tout droit, bravant les dangers de la forêt pour enfin entrer en contact avec les défenseurs cachés d’Athel Loren.
Alors que les humains allaient chercher de l’aide plus à l’ouest, Skarr Bloodwrath atteignait l’Abîme des Échos. Sur ordre de Hammerson, les volées crépitèrent le long des parois, et le premier sang coula, d’un rouge brillant, sous le feuillage de la forêt.
La Bataille de l’Abîme avait commencé.
La Bataille de l’Abîme[modifier]
Le Throng du Métal[modifier]
Plus vigoureux que les humains qu’ils escortaient depuis l’Empire en cendres, les Zhufbarak étaient impatients de se battre. Ils avaient perdu beaucoup de bons camarades lors de la chute d’Averheim et avaient hâte de venger ces morts. Si ce devait être leur dernière bataille, les Nains de Zhufbar feraient parler la poudre et l’acier.
Balthasar Gelt, l’Incarnation du Métal
La transformation de Gelt en l’Incarnation du Métal lui avait apporté une certaine illumination. Les doutes qui le taraudaient l’avaient abandonné, et le vide dans son esprit qu’étaient ses souvenirs les plus récents avait été comblé. Pour la première fois, le savoir magique que Gelt avait toujours recherché crépitait au bout de ses doigts, prêt à être utilisé. Plus que quiconque présent dans l’Abîme des Échos, Gelt sentait l’avenir se dévoiler, un destin attendant d’être accompli. La même intuition l’avait poussé à retenir les Skaramor, et lui signifiait que son heure n’était pas encore venue.
Gotri Hammerson
Gotri Hammerson s’était promis de toujours éviter Athel Loren et ses fourbes habitants, il était donc consterné de devoir combattre à l’intérieur de ses frontières. De même, dans sa jeunesse, il n’aurait jamais cru livrer bataille pour le bénéfice d’un humain, et d’un sorcier par-dessus le marché. Néanmoins, aux yeux de Hammerson, il était évident que le pouvoir de Gelt ne trouvait pas uniquement sa source dans la Magie dorée. Il avait la bénédiction de Grungni - peut-être même l’esprit de Grungni. Sinon comment expliquer que les runes luisaient et prenaient vie en sa présence ?
La Holzengard
Des nombreux Throngs de Marteliers de Zhufbar, il ne restait plus que la Holzengard. Un effondrement avait piégé ces Nains dans le Dédale au début du siège de Zhufbar. Le bruit du marteau résonnait furieusement comme la Holzengard cherchait à sortir de sa tombe, d’autant plus que leur parvenaient les cris d’agonie de leurs parents et amis. Les Marteliers finirent par se frayer un chemin hors des souterrains, seulement pour découvrir le cadavre de leur roi et la ruine de leur cité. N’ayant pu trouver une mort honorable au côté de leur souverain, ils jurèrent de défendre les derniers Zhufbarak.
Les Mousquetons de Zhufbar
Peu des Mousquetons de Zhufbar étaient jamais sortis de leur cité. Comme Hammerson, ils considéraient Athel Loren comme un lieu mythique, et ne le trouvèrent pas à leur goût. Néanmoins, ils avaient décidé de mener leur dernier combat, et de ne pas faire honte à leurs ancêtres en se plaignant de choses triviales comme l’absence de plafond au-dessus de leur tête. Toutefois, il n’y avait pas à regretter le manque de munitions, car chaque Nain transportait au moins deux cents cartouches, et était déterminé à ce que chaque tir compte.
Les Bardés-de-Fer
Les Bardés-de-Fer étaient plutôt des taiseux, qui préféraient observer et écouter pendant que d’autres Nains plus volubiles comblaient le silence par des discours ou des chants. Leurs exploits étaient plus parlants que leurs langues, et la chose se vérifia à l’Abîme des Échos. Ils furent les premiers à se rassembler autour de Gelt, les runes de leurs armures scintillant d’une lueur dorée. Ils se tenaient là, attendant sans mot dire que la bataille commence, et ne semblaient pas se soucier que leurs compatriotes se joignent à leur mur de boucliers.
L’Escadre Lac Noir
Tous les pilotes de Gyrocoptère ne se seraient pas réjouis d’une bataille forestière. Toutefois, ceux du Lac Noir l’accueillirent avec soulagement, plus que toute autre émotion. Les jours précédents avaient été très frustrants, la traversée des montagnes s’étant faite sous des vents démoniaques hurlants qui rendaient le vol impossible la plupart du temps. Hammerson avait même sérieusement considéré l’option d’abandonner les machines volantes. Seules les protestations véhémentes des pilotes, qui promirent qu’ils n’avanceraient pas sans leurs chers Gyrocoptères, dissuadèrent le Forge-runes.
Le Throng du Métal | ||
Balthasar Gelt, Gotri Hammerson Les Mousquetons de Zhufbar |
Les Bardés-de-Fer La Holzengard L’Escadre Lac Noir |
L’Armée des Crânes[modifier]
La tentative de Be’lakor de freiner la marche de Skarr n’avait fait qu’attiser le désir de presser le pas du chef de guerre Skaramor. Les pertes que les Esprits des Forêts avaient infligées à son armée n’avaient pas entamé sa témérité, car il pouvait sentir le désespoir de sa proie dans la brise. Une victoire dans l’Abîmes des Échos allait réaffirmer la primauté de Skarr aux yeux de Khorne, il en était certain.
Skarr Bloodwrath
Le carnage d’Averheim fut tel que Skarr fut ressuscité au faîte de sa puissance. Toutefois, comme lors de chacune des renaissances précédentes, il retourna dans le monde des vivants en étant un peu moins un homme, un peu plus un bête sauvage. Le peu de sens stratégique que Skarr possédait avait disparu depuis longtemps, effacé par le reflet de la soif de sang de son maître. Skarr en avait vaguement conscience; il sentait son ancienne personnalité déclinait d’une manière ou d’une autre. Néanmoins, il n’avait aucun regret, et se félicitait de la force accrue que lui conférait sa revivification.
Les Fils de Karamox
Les Fils de Karamox avaient subi d’horribles pertes pendant le siège d’Averheim, mais ils croyaient que le sang qu’ils avaient versé ne faisait que les rapprocher de la faveur de Khorne. Chaque pas qu’ils faisaient dans les Montagnes Grises était sanglant, car ils décimaient les faibles dans leurs propres rangs - et dans ceux des bandes rivales - si aucun ennemi ne se présentait avant la tombée de la nuit. Quand les Fils de Karamox atteignirent Esdari Corrin, leurs effectifs ne représentaient plus qu’un dixième de ce qu’ils étaient au début de la marche, et plusieurs petites bandes de l’Armée des Crânes avant complètement disparu.
Les Sang-Liés
La gloire par la fraternité, la fraternité par les cicatrices : telle était la devise des Sang-Liés. Chaque membre de la bande portait une cicatrice pour chacune de ses victimes - pas de ses victoires personnelles, mais celles de toute la bande. Dès le début, les Sang-Liés estimèrent qu’ils pouvaient offrir un plus grand tribut de crânes à leur maître s’ils ne gaspillaient pas leurs efforts en rivalisant les uns avec les autres. Cette doctrine était raillée par beaucoup d’autres Nordiques, mais pas par ceux qui connaissaient la signification des arabesques de sang séché qui couvraient l’intégralité de la peau de chaque Sang-Lié.
Les Écus-de-Sang
Les Écus-de-Sang n’étaient guère fidèles à Skarr Bloodwrath. Ils s’étaient joints à lui à la suite du siège d’Averheim, voyant en lui un champion touché par la folie de leur dieu tutélaire. Les Écus-de-Sang n’étaient pas là pour servir Skarr, mais reconnaissaient que l’œil de Khorne le suivait. Ils feignirent donc l’obéissance, pariant sur le fait que Skarr attirerait la faveur du Seigneur des Crânes sur eux avant qu’ils finissent par mourir, inévitablement. Si ce plan échouait, les Écus-de-Sang étaient prêts à tuer Skarr eux-mêmes, et à prendre le crâne du champion pour l’offrir à Khorne.
L’Hécatombe Écarlate
Autre bande guerrière qui fit allégeance à Skarr après Averheim, l’Hécatombe Écarlate ne donna aucune explication à son ralliement; en fait, on ne l’entendit pas prononcer ne serait-ce qu’un mot de toute la poursuite. Lorsque l’Armée des Crânes arriva en vue d’Athel Loren, nombre de ses chefs en étaient venus à soupçonner qu’il n’y avait pas de chair dans les armures des Massacreurs, juste une essence démoniaque qui donnait forme au métal. La plupart maintinrent un écart raisonnable avec la bande après cela.
Les Chiens d’Herumar
Herumar était un maître-chien de grand renom dans les désolations nordiques. Il disait souvent que ses bêtes étaient aussi démoniaques que mortelles, et ceux qui avaient vu ces brutes salivantes au combat n’avaient aucune raison de contester cette affirmation. Herumar vendait volontiers des chiens à ceux qui avaient assez de butin, mais n’avait aucune patience pour les escrocs. Plus d’un champion a fini en chair à pâtée dans les chenils d’Herumar, et ses os en armure grossière sur le poitrail d’un chef de meute.
L’Armée des Crânes | ||
Skarr Bloodwrath Les Fils de Karamox Les Sang-Liés La Vague Rouge Les Haches d’Erakan Les Écus-de-Sang |
L’Hécatombe Écarlate Les Chiens d’Herumar Les Frères de la Colère Les Pileurs du Monde |
L’Ost du Feu[modifier]
Ce fut par pure chance que Jerrod trouva l’aide qu’il cherchait. Son cheval galopait sur un chemin semblable à tous les autres, quand il se retrouva sur la route cachée d’Ystin Asuryan. Il passa alors très près de la mort, car les Elfes ne pardonnaient pas les intrus dans leur site le plus sacré.
Caradryan
Beaucoup d’Elfes voulurent punir de mort l'intrusion de Jerrod, mais ils se conformèrent diligemment au commandement tacite de Caradryan. Tous savaient que le morne capitaine avait été le serviteur le plus fidèle du Créateur au cours des dernières années, et peu osaient défier son autorité. Ils auraient peut-être été moins prompts à lui obéir s’ils avaient su à quel point Caradryan était incertain de l’avenir. Des décennies durant, il avait été guidé par la parole d’Asuryan, écrite dans le mur de feu. Désormais, Asuryan et le mur n’étaient plus, et pour la première fois, le capitaine n’avait aucune vision du futur.
Varandi et Valanar, les Frères du Feu
Il était rare qu’une fratrie entre au service d’Asuryan - plus rare encore des jumeaux. Varandi et Valanar avaient été recrutés par le Temple du Phénix bien avant l’ascension de Caradryan, chacun atteignant le rang d’élu avant leur deux centième anniversaire. Au moment de la fuite vers Athel Loren, les deux frères étaient tout ce qu’il restait de leur famille - les autres avaient été tués au cours du sac de Saphery par Tyrion. Varandi et Valanar connaissaient le sort de leur famille dès leur enrôlement dans la Garde Phénix, et ce fardeau les accablait cruellement, longtemps encore après l’engloutissement d’Ulthuan.
La Garde d’Eataine
Des trente fières légions de la Garde d’Eataine, il n’en restait plus qu’une, ensanglantée et meurtrie par la guerre. Sous les ordres du prince Yvarn, elle avait combattu en première ligne à la Porte de l’Aigle, et assisté aux premières loges à l’assaut qui avait abattu la forteresse. À l’instar de nombreux exilés de ce royaume, la Garde d’Eataine avait fait allégeance à Caradryan suite à la destruction d’Ulthuan. Ces soldats ne pouvaient supporter de servir Malékith, ni même Imrik, qu’ils tenaient responsables de la mort de tant de leurs camarades - y compris le prince Yvarn.
Les Cœurs de Flamme
Les Cœurs de Flamme étaient les derniers représentants de l’ancienne légion de Caradryan, et avaient participé à chacune de ses batailles depuis l’invasion d’Ulthuan par Malékith. Comme leur capitaine, les Gardes Phénix avaient combattu pour les deux camps, bien qu’à des moments différents, jouant le rôle qu’Asuryan leur avait assigné. Ils perdirent beaucoup des leurs dans la folie de Khaine, avant que le Destructeur fût enfin vaincu - ils durent même mettre fin eux-mêmes à nombre de ces vies afin que cesse cette folie. Comme Caradryan, ils ne connaissaient plus l’avenir, mais leur foi en leur capitaine demeurait.
La Dernière Troupe
Chrace avait été ravagé bien avant la guerre entre Malékith et Tyrion, quand les Démons incendièrent ses forêts. La Dernière Troupe n’était pas un simple régiment de Lions Blancs, mais un conglomérat de survivants de cette période, des frères d’armes et des chasseurs solitaires qui avaient trouvé de nouveaux camarades aux côtés de qui affronter ces jours de plus en plus sombres. La fierté farouche de Chrace vivait à nouveau en eux, leurs bras vigoureux et leurs haches impétueuses entretenant les traditions des anciens temps. Et l’acier se reposait peu, car il y avait toujours plus d’ennemis que seule la force de Chrace pouvait vaincre.
Les Draichs Carmin
Har Ganeth était une cité de règles sévères et de justice cruelle, où l’existence était définie par la loi. Nombre de ses habitants elfiques étaient devenus fous furieux une fois libérés de son carcan, tandis que d’autres étaient perdus sans lui. Tel était le cas des Draichs Carmin, un culte désœuvré d’Exécuteurs que Hellebron avait disgracié. Incapables d’agir sans supervision, ils reprirent du service à Ystin Asuryan. Au cours de la période dangereuse qui suivit, ils eurent maintes occasions de mettre à profit leurs redoutables talents de bourreaux, et il y en aurait sans doute encore beaucoup d’autres.
L’Ost du Feu | ||
Caradryan Varandi et Valanar Ainur Firemark La Garde d’Eataine Les Cœurs de Flamme La Dernière Troupe |
Les Draichs Carmin Le Sanctuaire Les Gardiens Aubruch Brackenarm Les Veilleurs de Talsyn |
Peu de chefs de guerre auraient osé attaquer la position des Zhufbarak dans l’Abîme des Échos. La pente était raide, envahie de végétation et de racines, et parsemée d’affleurements rocheux et de torrents. Les Nains n’avaient pas perdu leur temps et s’étaient retranchés derrière des blocs escarpés. En outre, le sol de l’abîme était jonché d’arbres morts, avec lesquels les Nains avaient monté des barricades rudimentaires. Les arbres vivants avaient été soigneusement épargnés par les haches, les Zhufbarak ne souhaitant pas convier les Esprits des Forêts à la réunion.
Skarr vit tout cela dès qu’il contourna la dernière flèche rocheuse pour entrer dans le gouffre par l’est. Le soleil brillait au-dessus de la canopée, des traits de lumière dorée perçaient le feuillage pour illuminer les guerriers. Il vit les arquebusiers et les machines de guerre amassés au point le plus étroit de la cavité, flanqués de blocs scintillants d’armures runiques. En altitude, Skarr aperçut les Gyrocoptères qui s’agitaient en attendant le signal pour attaquer. Entre le confinement de l’abîme semé d’embûches et les Zhufbarak en état d’alerte, il savait que des centaines de Skaramor mourraient avant d’arriver à portée de lame. Skarr n’en avait cure. Khorne était avec lui, et le Seigneur des Crânes se moquait du propriétaire du sang versé.
Poussant un beuglement plus bestial qu’humain, Skarr chargea dans les entrailles de l’abîme. Son cri fut repris par les guerriers qui lui emboîtaient le pas, et l’attaque des Skaramor débuta.Les Zhufbarak répondirent au cri de guerre des Nordiques par la bouche de leurs canons. C’était un rugissement colossal, et les Nains disparurent dans d’un seul coup dans le nuage de fumée que leurs machines de guerre crachèrent à l’unisson. Le premier tir était haut, et siffla bien au-dessus de la tête de Skarr pour aller s’écraser dans le flanc de la montagne. Le deuxième tomba dans les Faucheurs de Crânes à gauche de Skarr, emportant une douzaine de guerriers sanguinaires en un seul impact.
Les Skaramor poursuivirent leur charge, leurs bottes écrasant ronces et fougères, sans se soucier du sol inégal. L’odeur du sang - celui de leur tribu - embaumait leurs narines, et le parfum entêtant les investissait d’une rage guerrière divine. Des chevilles cassèrent comme des branches, quelques Nordiques faisant des faux pas en poussant des cris brefs. Mais les Skaramor continuaient d’affluer, leurs chiens de guerre écumants courant entre eux, les blessés traînant leurs jambes tordues ou se faisant piétiner par leurs homologues.
En aval, les canons rugirent à nouveau, accompagnés cette fois par le staccato des Canons Orgues des Zhufbarak et les volées des arquebusiers. Sur ordre de Hammerson, les Gyrocoptères de l’Escadre Lac Noir purent enfin ouvrir les gaz. Volant aussi bas que possible, les pilotes mitraillèrent les Faucheurs de Crânes, esquivant adroitement les haches qu’on leur jetait en retour. La ligne de charge des Skaramor fut évaporée par cette attaque. Un instant il y avait une masse braillarde de Nordiques qui brandissaient leurs haches avec impatience. Le suivant, le sol du gouffre était repeint en rouge sang, et l’herbe tapissée de cadavres transpercés ou démembrés.
Skarr se retrouva soudain seul, après que les Zhufbarak eurent écharpé son avant-garde, les renforts les plus proches se trouvant à plus d’une douzaine de pas en arrière. Pourtant, le champion ne ralentit pas, au mépris de la précarité de sa situation. Il se contenta de louer Khorne, de mettre ses fléaux en mouvement et d’accélérer sa course.
Les balles sifflèrent autour de Skarr quand il approcha des Nains. La plupart des tirs ne lui étaient pas destinés, mais aux Faucheurs de Crânes qui déboulaient dans son sillage. Les Nains de Zhufbar étaient exercés à cette tactique, et Hammerson savait qu’il valait mieux ne pas gaspiller des balles sur un seul ennemi quand il y en avait des centaines d’autres. Skarr fut quand même touché plusieurs fois, le plomb perforant sa chair et ses os. Le champion ne sentit même pas les blessures. Il avait été tué tant de fois que la douleur n’avait plus d’emprise sur lui, et ne faisait qu’attiser sa frénésie. Il versait volontiers son sang en l’honneur de Khorne, comme un don votif pour attirer le regard du dieu.
Les Zhufbarak virent le Nordique ensanglanté et ravagé par les tirs continuer sa charge démente, et s’en détournèrent tel un fou furieux dont les forces l’abandonneraient bien avant qu’il atteigne leurs lignes. Gelt n’était pas de cet avis. Les sens du sorcier s’étaient affûtés suite à sa fusion avec Chamon, et il percevait une présence sombre et oppressante qui s’agrégeait au-dessus du champ de bataille. Il ne pouvait la nommer, ni la discerner précisément. Il n’identifiait qu’une monstruosité indescriptible, aussi ténébreuse que l’abysse entre les étoiles.
Jusque-là, Gelt avait été parcimonieux avec sa Magie. Il avait lancé des enchantements sur les armes des Nains, faisant briller les runes d’un simple geste, mais avait dissimulé la majeure partie de son pouvoir, gardée en réserve pour le moment crucial.
Quand Skarr s’approcha, Gelt jugea que le temps était venu. Le sorcier talonna Vif Argent et puisa dans Chamon. Un orbe d’or filigrane se forma entre les mains ouvertes de Gelt, qui devenait plus gros et plus solide à mesure que la Magie affluait. Quand il fut de la taille de la tête d’un homme, le sorcier souffla doucement dessus et l’envoya rouler tranquillement sur la pente, droit sur Skarr. L’orbe avança au milieu du tonnerre de l’artillerie et de la fumée qui voilait le fond de l’abîme.
L’orbe ne cessait pas de grossir, dépassant rapidement le volume de la bedaine d’un Ogre, puis l’envergure d’un Dragon. Les Gyrocoptères du Lac Noir mirent fin à leur attaque et virèrent rapidement hors de la trajectoire de l’orbe. Les lames de rotor frôlaient les parois rocheuses comme ils exécutaient des manœuvres d’évitement quasi suicidaires. L’orbe roulait encore. L’or scintillait dans son sillage, transmutant la roche et la flore en un pactole fait du précieux métal. Et l’orbe continuait son trajet.
Quand Skarr prit conscience du danger, il était trop tard. L’orbe étincelant occupait tout l’espace entre les remparts du ravin, empêchant le champion de le contourner. La retraite était la seule solution, mais elle était impensable pour Skarr. Refusant d’admettre la défaite, le champion se jeta dans la sphère dorée en rugissant de défi. Un battement de cœur plus tard, ses cris de rage se turent. L’orbe continua sa route, laissant une parfaite statue d’or à l’effigie de Skarr derrière lui. L’instant d’après, la vague de Skaramor suivante connut le même sort que son chef de guerre, le toucher transmutateur de l’orbe figeant sa fureur dans un silence mordoré.
En dépit de leur cynisme naturel, la plupart des Nains furent abasourdis par la scène à laquelle ils venaient d’assister. Leurs volées se relâchèrent, au point de presque s’arrêter si Hammerson n’avait pas donné de sa voix rauque pour les secouer. Des centaines d’ennemis étaient vaincues, mais il y en avait encore des centaines d’autres. Des guerriers portant armure et pavois, et chevauchant des Juggernauts, entraient dans l’abîme par l’est. Malgré ce répit, la bataille était loin d’être finie, et il n’y avait rien à gagner, hormis une débâcle, à bâiller aux corneilles.
Gelt perçut que quelque chose n’allait pas juste au moment où les Nains retrouvaient leur discipline de tirs. L’orbe était censé rouler jusqu’à l’autre bout du ravin. Toutefois, il n’avait pas parcouru un tiers de la distance quand le ciel s’assombrit soudain, accompagné d’un coup de tonnerre. Gelt sentit l’orbe se désagréger brusquement, le sort de sa création dissipé comme la brume par un coup de vent. Puis vint la douleur d’un millier d’aiguilles chauffées au rouge perçant son âme, la souffrance subite le faisant tomber du dos de Vif Argent. Hammerson vit le sorcier s’écrouler et envoya les Bardés-de-Fer à son secours; mais il n’aurait pas pu se préparer à ce qu'il advint ensuite.
La suite des événements prit diverses formes dans les esprits des témoins. Pour certains, un mur de feu noir inonda le gouffre, enveloppant la ligne des Nains les Skaramor transmutés, et embrasant la canopée. D’autres se souvinrent d’une bourrasque soufflant de l’est, dont la force frappa armures et chairs comme une hache. Beaucoup virent le sol rocheux se soulever, projetant des pierres et éclats tranchants sur les Zhufbarak. Gelt vit tout cela par ses yeux mi-clos par la souffrance. Cependant, il y assistait également par les sens de Chamon, et perçut donc quelque chose de plus que les autres, une chose qui déclencha une peur si terrible qu’elle lui noua les tripes.
Gelt vit la pointe d’une épée colossale - si immense qu’elle était presque aussi large que l’abîme lui-même - plonger à travers les cimes de la forêt et s’enfoncer profondément dans le sol, derrière les lignes des Nains. Son porteur invisible tordit la lame, et l’âme de l’épée sectionna l’abîme en direction de l’est. La terre trembla et se fendit, et de gros pans de roche se détachèrent des parois du gouffre, écrasant un des canons Zhufbarak. Les flammes jaillissaient et la pierre se brisait partout où la lame passait, laissant derrière une épaisse houache de fumée noire.
Les Nains qui eurent la malchance de se trouver sur le chemin de la lame furent pulvérisés, et ceux qui eurent la chance de l’éviter furent jetés à terre, dans la fumée suffocante. Le coup était déjà atroce pour les Nains, mais lorsque l’acier divin toucha les Skaramor transmutés par le sort de Gelt, il défit l’enchantement. L’or explosa en particules scintillantes qui se perdirent dans la fumée, puis l’épée disparut aussi soudainement qu’elle s'était abattue, l’attention de son propriétaire appelée ailleurs.
Les lignes des Zhufbarak étaient complètement désorganisées. L’attaque avait tué des dizaines de Nains, immolés par les flammes, écrasés par les chutes de pierres ou anéantis par la lame elle-même. Les murs de boucliers et les lignes d’arquebuses étaient rompus, les survivants perdus dans l’atmosphère étouffante. Des voix résonnaient dans l’obscurité tandis que Hammerson et ses vétérans s’efforçaient de ramener un peu d’ordre - mais trop tard.
Skarr ne saisit pas totalement ce qu’il venait d’arriver. Néanmoins, son esprit perçut la voix de Khorne quand sa chair fut libérée de l’enchantement, et une nouvelle force afflua dans ses membres plombés. Pour quelqu’un comme lui, comprendre importait peu. Il ne désirait qu’une autre chance de massacrer, et le Seigneur des Crânes la lui avait offerte. Skarr remarqua à peine la fumée âcre, ou le feu qui faisait encore rage par endroits. Tout ce qui lui importait était le poids des haches dans ses mains, et la promesse de centaines de crânes à récolter.
Les Marteliers de la Holzengard furent les premiers à subir la fureur ressuscitée de Skarr. Ses haches fendirent la fumée et hachèrent le premier rang des Zhufbarak. Les Faucheurs de Crânes arrivèrent en hurlant à la suite de leur seigneur. Il y avait parmi eux les rescapés du sort de Gelt. D’autres avaient été étrillés par l’artillerie des Nains. Tous avaient senti le regard de Khorne sur eux ce jour-là, et cela leur conférait un élan sauvage contre lequel les armures de Gromril elles-mêmes ne pouvaient rien.
L’étendard des Holzengard tomba quand la lame d’un Faucheur de Crânes détacha la tête du porteur de ses épaules. Un autre Martelier rattrapa la hampe afin que la dernière bannière royale de Zhufbar ne soit pas déshonorée. Il périt également, haché menu par des lames frénétiques, mais le sang des Nains bouillonnait du feu de la bataille. Poussant un cri de défi tonitruant en Khazalid, les survivants de la Holzengard s’élancèrent comme un bélier de Gromril vivant. Ils repoussèrent les Nordiques loin de leur bannière en broyant la chair et les os des khornites. L’abîme renvoyait les échos des cris des mourants qui se mêlaient aux serments des Nains et aux voix gutturales des Nordiques.
Le cours de la bataille refluait sans cesse. Des renforts Skaramor se jetaient constamment dans la mêlée, le poids de leur charge faisant reculer les Nains au-delà de la ligne de démarcation des morts. Les Nains se retiraient en laissant les Nordiques dépenser leur élan, avant de retourner résolument au combat.Les Nains avaient été durement touchés, mais ils revenaient en force. Les canons Drac de Feu crachèrent des langues de flammes sur le flanc droit des Skaramor, tandis que la gauche des Nordiques reculait progressivement sous la pression du mur de boucliers des Bardés-de-Fer. Les runes s’embrasaient et les haches s’abattaient, fendant chair et métal. Malgré la douleur dans son crâne, Gelt s’était suffisamment remis pour contribuer aux combats, et ses enchantements rendirent le Gromril plus dur que le diamant, déviant les coups les plus furieux.
La bataille tournait à la mêlée générale. Les bannières des Zhufbarak et des Skaramor n’étaient plus que des marqueurs indiquant vaguement les zones de domination. Nains et Nordiques tournoyaient dans la confusion enfumée en se guidant au son du métal contre le métal.
Seuls les Bardés-de-Fer maintenaient la ligne, leur mur de boucliers rongeant progressivement les rangs adverses. Néanmoins, quand un autre groupe de Skaramor se désintégra sous l’assaut des Bardés-de-Fer, il fut remplacé par une nouvelle bande de Nordiques aux larges boucliers et dont les armures étaient presque aussi dures que le Gromril de Zhufbar. C’étaient les Écus-de-Sang, et ils étaient venus de loin pour trouver des victimes dignes d'eux. La phalange nordique poussa un cri rauque et avança derrière ses pavois. La réplique des Bardés-de-Fer fut automatique, aussi réflexe que la respiration. Sans un mot, les Nains se resserrèrent et verrouillèrent leurs boucliers. Le choc des deux lignes d’égides résonna d’un bout à l’autre de l’abîme, mais pas un Nain ne recula.
La fumée finit par s’éclaircir. Les rayons du soleil percèrent à nouveau les frondaisons ravagées, révélant la véritable configuration de la bataille. Depuis sa position parmi les guerriers Nains des Mousquetons, Gotri Hammerson vit que la ligne des Zhufbarak était rompue, et que les Skaramor se déversaient par les brèches; partout les Nains étaient encerclés. Hammerson ne s’attendait pas à survivre à la bataille, et ne croyait pas qu’on pouvait convaincre les Elfes d’Athel Loren d’effectuer un sauvetage. Il fut cruellement déçu, car il espérait entrer dans les halls de ses ancêtres riche d’exploits dignes des légendes. Il n’y avait rien de glorieux ici, juste un massacre sordide.
Le fait que les Zhufbarak ne furent pas balayés sur-le-champ par cette attaque témoignait de leur résolution. Hammerson doutait qu’une armée d’hommes eût tenu en de telles circonstances, encore que la détermination de Gelt fût à peine moins forte que celle des Nains qui combattaient à ses côtés. Le Forge-runes vit le sorcier tirer une fiole de sa manche et la jeta sur l’ennemi. L’étrange projectile se brisa contre le casque d’un Nordique, projetant un liquide effervescent dans toutes les directions. Soudain le guerrier se mit à hurler comme la substance rongeait son armure et sa chair. Puis il s’écroula, le métal de son heaume bouillonnant et sifflant encore.
Skarr Bloodwrath combattait au sommet d’un tas de corps de Nains et d’humains, accompagné de quelques Faucheurs de Crânes couverts de sang des pieds à la tête. Il n’y avait aucune technique dans les coups de Skarr, juste l’instinct brutal d’un guerrier né. Il fendait heaumes et armures, étranglait des Nains avec ses chaînes et les égorgeait même avec ses dents si l’occasion se présentait.
Les Massacreurs dévalèrent l’abîme, leurs montures démoniaques piétinant ennemis et alliés. Les Gyrocoptères pivotèrent pour une attaque au passage, leurs turbines aspirant les volutes de fumée du champ de bataille. Ils lâchèrent leurs bombes, qui décrivirent un arc paresseux avant de détoner au milieu de la cavalerie démoniaque, les explosions étouffées produisant davantage de fumée. Une douzaine de brutes mordirent la poussière, les cavaliers brisés et les Juggernauts affalés en répandant leur ichor par de grandes entailles dans leur peau d’airain. Mais bien d’autres survécurent et se scindèrent pour contourner les Écus-de-Sang. Les lances transpercèrent les boucliers des Bardés-de-Fer. Les Brise-Fer chancelèrent, mais tinrent bon.
Gelt vit trembler le mur de boucliers des Bardés-de-Fer. Il murmura une incantation si familière qu’elle ne nécessitait aucune remémoration consciente, et envoya un faisceau d’or incandescent dans le groupe de Massacreurs le plus proche. La pression sur les Nains se relâcha, et ils regagnèrent du terrain. Gelt avait conquis un autre répit, mais il ne pouvait pas être partout.
Comme pour confirmer cette pensée, une nouvelle vague de Skaramor traversa la fumée fuyante pour aller heurter les guerriers de Hammerson. Gelt fit décoller Vif Argent, tout en lançant un autre enchantement qui transforma les haches de Nordiques en rouille. Leurs lames devenues inutiles, les barbares martelèrent leurs adversaires de coups de pied et de poing, mais ce genre d’armes ne valait pas grand-chose contre l’acier nain. Tandis que Vif Argent amenait Gelt dans le taillis de haches naines, Hammerson abattait l’ennemi qui lui faisait face - un Nordique de forte carrure à la peau complètement scarifiée - avant de traverser les rangs des Mousquetons pour rejoindre le sorcier. |
« Je suppose que je vous dois des remerciements, maugréa le Forge-runes.
- Je vous en prie… » répondit Gelt, ne sachant s’il avait bien interprété l’humeur du Nain. - Comme vous voulez, dit Hammerson. Non pas que je croie que cela changera quoique ce soit à la situation. Nous ne tiendrons plus très longtemps. S’il n’y avait que des barbares, nous aurions pu les retenir des heures, mais si leur maudit dieu s’en mêle… - Vous l’avez vu ? » l’interrompit Gelt, surpris. Hammerson renifla. - Évidemment. Ce n’est pas parce que je ne possède pas votre Magie tapageuse que je ne suis pas clairvoyant. Encore que j’aurais préféré être aveugle, en y repensant. - C’était la première fois que je voyais une chose pareille. La barrière entre les mondes doit être plus fine que jamais. - Alors peu importe que nous mourions aujourd’hui, dit amèrement Hammerson. On dirait que le temps est compté pour tout le monde, pas seulement pour nous. |
Au moment où une autre foule de Skaramor dépassait la spire et chargeait droit dans l’abîme calciné, les secours arrivèrent enfin. Pour la deuxième fois ce jour-la, le ciel fut empli de flammes. Ce n’était pas le feu surnaturel du Chaos, mais les traînées ardentes des Phénix. Les rapaces géants fondirent dans l’abîme tels des météores hurlant de fureur.
L’attaque était parfaitement coordonnée. Les oiseaux de feu rasèrent la horde des Skaramor, en suivant inconsciemment le même chemin que l’épée divine. Leur sillage de feu embrasa fourrures et peaux. Les chiens braillaient comme les flammes les consumaient, les Nordiques s’effondraient au milieu d’une attaque, mais pas un seul Nain ne fut brûlé.
Arrivés au milieu de l’abîme, les Phénix virèrent subitement à angle droit, chacun se dirigeant vers une paroi de l’abîme. Quelques secondes plus tard, le gouffre fut coupé en deux, le gros de la horde Skaramor se trouvant piégé par un immense rempart de feu. Les Phénix volaient en tous sens, en déployant leurs traînées de flammes comme des araignées tissant leur toile, alimentant le feu. Les Nordiques les plus proches de la barrière tentèrent de la traverser, au mépris du destin qui venait de s’abattre sur leurs camarades. Les flammes étaient trop intenses, et les intrépides qui tentèrent le sort moururent à mi-chemin. Même les Juggernauts ne pouvaient supporter cette chaleur, qui faisait cloquer leur peau d’airain et fondre leurs jointures.
Pendant que les oiseaux de feu coupaient les Nordiques de leurs renforts, le Phénix de Givre de Caradryan repliait ses ailes et piquait dans la mêlée. Les serres d’Ashtari percutèrent les Skaramor, éparpillant les corps des barbares comme des feuilles mortes. Les survivants, pas découragés le moins du monde, se ruèrent en avant, leurs lames maudites arrachant des éclats de glace aux ailes du phénix. Peu d’entre eux eurent l’occasion de porter un second coup. La hallebarde de Caradryan était un éclair d’acier, maniée avec la même grâce qu’une rapière de duel. Ashtari faisait assaut de ses ailes, chaque balayage jetant une dizaine de Nordiques brisés à terre.
Les Zhufbarak avaient à peine remarqué les nouveaux venus lorsque les cors sonnèrent à l’extrémité ouest de l’abîme. Les arbres s’écartèrent pour révéler une colonne de guerriers Elfes aux heaumes altiers, aux peaux de lion drapées sur les épaules et aux haches affûtées. Ils arrivèrent en courant, leurs foulées agiles se jouant du sol inégal du gouffre. Beaucoup d’autres Elfes venaient à leur suite, leurs capes et leurs écus à motifs de flamme contrastant avec les parois noircies de l’abîme.
C’était au tour des Skaramor d’être surpassés. Toutefois, leur revirement de fortune ne fit rien pour calmer leur ardeur. En fait, l’arrivée de nouveaux ennemis sembla les plonger dans une rage encore plus profonde et plus irréductible. Ils luttaient comme des bêtes prises au piège, hurlant et attaquant quiconque passait à portée. Leur raison était noyée dans une folie furieuse, leurs élans sauvages préfigurant ce que Khorne avait en réserve pour le monde. Les Nordiques acculés étaient effroyables, mais les Elfes de Caradryan avaient récemment combattu des adeptes de Khaine similairement enragés. Les Elfes restèrent imperturbables et abattirent les Skaramor comme les bêtes qu’ils étaient devenus, perdant nombre des leurs pour y parvenir.Des lors, le sort des Skaramor à l’ouest du mur de flammes devint de plus en plus désespéré. Les Zhufbarak, bien que se félicitant secrètement de ne pas avoir à rejoindre leurs ancêtres ce jour-là, refusèrent d’être surclassés par des Elfes. L’indignation et l’orgueil obstiné redoublèrent dans les cœurs vaillants des Nains, revigorant des bras fourbus par la bataille. Tout à coup, les murs de boucliers qui étaient sur le point de céder se resserrèrent à nouveau. Les Nains repartirent en avant, marchant sur les Nordiques morts et mourants, et entonnant des chants de guerre en Khazalid.
Malgré les brumes de sa fureur, Skarr sentait que la victoire lui échappait. Ses haches décrivirent un revers, décapitant trois Nains et fendant la poitrine d’un quatrième jusqu’à l’abdomen, mais la sensation de triomphe se faisait plus fugitive. Un grand massacre avait été perpétré, néanmoins, la défaite était la défaite. Le Dieu du Sang s’était vu offrir énormément de crânes, mais Skarr - comme tous les champions mortels - cherchait aussi la gloire, et celle-ci était souvent conditionnée par la victoire. Abattre l’ennemi le plus puissant était plutôt prestigieux, et Skarr sut ce qu’il lui restait à faire.
Il bondit de son cairn de cadavres, son élan lui permettant de franchir les boucliers des Mousquetons et de plonger dans leurs rangs. Il se tailla un chemin dans les guerriers râblés, chaque pas, chaque coup de taille le rapprochant de sa cible désignée. Skarr ne sentait pas les fers de hache qui mordaient dans sa chair, ni les marteaux qui cabossaient son armure - seule importait sa proie. Enfin, Skarr Bloodwrath s’extirpa des Mousquetons et rejoignit les Skaramor. Il se tassa pour sauter très haut, ses haches tournoyant déjà.
Concentré sur les Nordiques qui grouillaient autour de lui, Ashtari ne remarqua pas l’approche de Skarr, mais Caradryan le vit. La Lame Phénix vint parer une hache du seigneur de guerre dans un tintement sec. La seconde s’abattit durement sur le cou d’Ashtari. Le Phénix s’égosilla de douleur. Des échardes de glace acérées crépitèrent sur l’armure de Caradryan et se plantèrent dans la peau de Skarr. Le Nordique atterrit pesamment sur l’aile d’Ashtari, et roula sur les plumes givrées comme le Phénix tentait de le chasser.
La hache de Skarr s’enfonça voracement dans l’aile, sa lame luisant d’un rouge terne en se logeant profondément dans la chair gelée du Phénix. Un instant durant, Skarr fut suspendu au manche de son arme tandis qu’Ashtari se secouait. Puis il se hissa, se remit debout et chargea à nouveau le long de l’aile.
La lame de Caradryan vint faucher les jambes de Skarr, mais le seigneur de guerre s’attendait à une telle attaque. Une hache jaillit de ses mains. La chaîne s’enroula autour de la hallebarde de Caradryan, l’inertie de la hache éjectant à moitié le capitaine de sa selle, et son arme lui fut arrachée des mains. Skarr frappa avant que Caradryan retrouve son équilibre, sa seconde hache sifflant pour fendre le crâne du capitaine. Caradryan n’avait qu’une option pour éviter la mort : subir la force du premier coup et se laisser tomber du dos d’Ashtari - le capitaine sentit l’air déplacé par la hache sur son visage.
Ashtari s’agitait violemment, mais Skarr tint bon. Il prit sa hache à deux mains et l’abattit une seconde fois sur le cou du Phénix. Il y eut comme un bruit de verre cassé, et une rafale glaciale qui jeta le seigneur de guerre au sol. Dans une ultime plainte stridente, Ashtari tressaillit et s’effondra, mort. Skarr rugit de triomphe, et son cri fut repris par les Skaramor, gagnant en volume comme de plus en plus de voix s’y mêlaient dans l’abîme.
Caradryan resta silencieux en se relevant, mais la rage de ses traits était suffisamment parlante. Il libéra sa hallebarde de sa prison de chaînes, et courut sur Skarr, le bruit de ses pas se perdant sous les beuglements de victoire. Des flammes scintillèrent le long de la Lame Phénix quand elle frappa, son tranchant se plantant dans l’échine du seigneur de guerre et le tuant sur le coup. Caradryan n’eut cependant pas le temps de savourer sa vengeance : d’autres Nordiques s’élancèrent avant que le corps de Skarr s’écroulât. Par réflexe, Caradryan murmura une prière à un dieu qui n’existait plus, puis les Skaramor lui tombèrent dessus.
Gotri Hammerson vit périr Ashtari et Caradryan disparaître sous une masse de Nordiques en armure rouge. C’était l’arrogance de l’Elfe qui l’avait conduit à cette déconvenue, toutefois l’honneur dictait de ne pas l’abandonner à son sort funeste. Or le Forge-runes ne pouvait pas faire grand-chose. L’arrivée des Elfes avait offert un répit aux Zhufbarak, mais il y avait encore un océan de Nordiques enragés entre le corps d’Ashtari et les plus proches guerriers Nains. Heureusement, d’autres que Hammerson pouvaient agir. Dans un tonnerre de turbines, les Gyrocoptères du Lac Noir foncèrent sur la dernière position de Caradryan en décimant la horde avec leurs canons.
Asuryan n’avait pas entendu la prière de Caradryan. Le Créateur n’était plus, sa flamme perdue à jamais pour le monde des mortels. Or, à des lieues plus au nord, une autre force écouta la supplique. Aqshy perçut le désespoir d’un esprit apparenté, et souffla au sud, vers l’Abîme des Échos. Le Vent du Feu accélérait au fil de son voyage, laissant un trait de flammes brillant et bref dans les cieux. Il atteignit sa destination en quelques instants, piqua au beau milieu de la mêlée, droit dans la foule des Skaramor, et s’empara de Caradryan.
Le feu céleste s’abattit dans l’abîme. Une nova émergea alors du point d’impact, incinérant des dizaines de Skaramor et avalant les rangs arrière des Écus-de-Sang. Et s’élevant au milieu de la gerbe ardente, puis filant comme une boule de feu, vint Ashtari ressuscité par le toucher d’Aqshy, baignant à nouveau dans les flammes de sa jeunesse. Sur son dos était juché Caradryan, le regard incandescent et l’âme mêlée au Vent du Feu. Ignorant les Nordiques hurlant en contrebas, cette nouvelle Incarnation leva les bras au Ciel. Le mur de feu répondit à son commandement et se déplaça inexorablement vers les collines à l’est, en consumant tout sur son passage.A l’extrémité est de l’abîme, quelques chefs refusèrent de reculer, mais la vague de feu les réduisit promptement en cendre, et leurs suivants s’enfuirent dans les montagnes. A l’ouest, des poches de Faucheurs de Crânes continuaient de se battre en grognant de défi, mais Caradryan accorda la fureur d’Aqshy à ses alliés qui les affrontaient. Nains et Elfes se ruèrent en avant, le feu allumé dans leur cœur se propageant à leurs lames en flammèches effrénées. Aveuglés par une rage éperdue, les Faucheurs de Crânes combattaient de plus belle, mais leur moment de gloire était passé, et leur victoire leur avait glissé entre les doigts. Quand Ashtari obliqua pour rejoindre les autres Phénix et rasa le champ de bataille en semant des brasiers, l’issue ne faisait plus aucun doute.
Be’lakor ne resta pas inactif pendant que Skarr mettait les Pics des Pins à feu et à sang. Meme si le Premier-damné eut préféré une suite d’événements alternative, il savait apprécier la valeur d’une bonne diversion. Les Elfes avaient réagi avec beaucoup plus de force qu’il ne l’avait anticipé. Hormis Malékith et Alarielle, il y avait peut-être une douzaine de commandants notables à Athel Loren, et pas moins de six d’entre eux étaient partis contenir l’invasion Skaramor. La plupart des autres combattaient les hardes de Morghur à l’ouest de la forêt - il y avait donc une fenêtre d’action étroite, mais adéquate.
Be’lakor craignait que le temps lui manquât. Il savait très bien quelle mission Archaon avait reçu des Dieux du Chaos, et il était déterminé à supplanter l’Élu. Archaon pouvait bien s’enterrer sous Middenheim, Be’lakor allait détruire le Chêne des Âges. Il allait déchirer la Trame elle-même, et ainsi détrôner le mortel qui accaparait la faveur des dieux.
Alors que le premier sang coulait à Esdari Corrin, Be’lakor se drapa d’ombre. Invisible hormis aux aliénés, il arpenta les sentiers secrets d’Athel Loren afin de réunir ses alliés. Hellebron était la dernière acquisition du Prince Démon, et la plus résolue à embrasser sa cause, car l’humiliation lui collait encore à la peau comme une cape détrempée. Les autres avaient été plus hésitants. Les Démons des Cryptes de l’Hiver connaissaient Be’lakor depuis longtemps, ainsi que la déconsidération dont il pâtissait auprès des Dieux Sombres. Néanmoins, ils convoitaient le Chêne des Âges et sa Magie sirupeuse, si bien que l’avidité les attira entre les griffes du Premier-damné.
Drycha et Coeddil étaient les plus réticents des convives de Be’lakor. Les esprits d’Athel Loren avaient toujours compté parmi les ennemis les plus farouches des démons; la Ronce de Malheur et l’aïeul déchu commencèrent par repousser ses avances. Mais Be’lakor était un prince du mensonge, et Drycha et Coeddil débordaient de ressentiment envers les Elfes. Ils crurent trop facilement à sa fable, qu’il voulait seulement humilier les Elfes et offrir leurs âmes à Slaanesh. Drycha et Coeddil ne virent pas le désir sous-jacent, plus sombre, tapi dans l’esprit du Premier-damné, car sinon ils se seraient immanquablement opposes à lui. Au lieu de cela, ils se plièrent au plan de Be’lakor, et rallièrent les esprits damnés des forêts à sa cause.
Cependant, approcher le Chêne des Âges n’était pas si simple. Les sentiers secrets qui entouraient le vieil arbre étaient les mieux défendus dans tout Athel Loren. Des yeux épiaient furtivement toute intrusion, et une place forte sylvestre gardait chaque jonction. Même Drycha ne pouvait passer par cette voie - sans cela, elle l’aurait déjà fait. Be’lakor, enveloppé de noirceur pure, était capable d’emprunter ces chemins, mais ne pouvait emmener personne avec lui. Quelques semaines plus tôt, Hellebron aurait pu conduire ses partisans sur les sentiers battus, et arriver à portée d’attaque de la Clairière Éternelle, et du Chêne en son cœur, sans la moindre opposition. Cependant, du fait de sa récente disgrâce, il y avait fort à parier que la Reine de Sang serait surveillée avec la plus grande circonspection - surtout si elle se présentait avec une armée.
Une autre diversion était requise, et Be’lakor avait déjà sa petite idée. Le Premier-damné se vêtît à nouveau d’obscurité, et se rendit aux halls de Naieth la Prophétesse en toute hâte afin de s’insinuer dans ses songes. Dans le cas de Naieth, qui ne faisait guère la différence entre rêve et vision de l’avenir, Be’lakor put très facilement réorienter ses plans.
Naieth la Prophétesse rêvait de la Cité du Loup Blanc, ou plutôt de ce qu’il en restait. Middenheim était éviscérée. En lieu et place des maisons, des tavernes, des casernes et des échoppes, il avait une fosse immense, creusée dans les entrailles du Fauschlag. Les bâtiments restants étaient en ruines. Le Temple d’Ulric était la seule structure qui avait encore un toit, et les corps des prêtres étaient suspendus aux murs par leurs propres intestins.
Des constellations de feux de camp nordiques entouraient la scène de dévastation, éclairant des totems des Dieux Sombres parés de chapelets de crânes. Les chiens hurlaient, et des monstres rugissaient en tirant vainement sur des chaînes fixées à la roche. La Magie sifflait et soufflait dans la cité dévastée, et était canalisée dans des cercles rituels barbouillés avec du sang par des acolytes ânonnants et des sorciers cornus. Tandis que sa forme astrale approchait de la fosse, Naieth vit des manœuvres enchaînés porter des rochers hors de la fosse. Les esclaves étaient humains pour la plupart, capturés lors de l’assaut d’Archaon sur l’Empire, mais il y avait aussi des Nains et des Ogres - ces derniers étant tenus par des chaînes bien plus lourdes que les autres. Tous étaient couverts de suie et de sueur, leur peau trahissant la faim qui les rongeait. Des garde-chiourme Skavens les surveillaient et les harcelaient à coups de fouet et de bâton du haut de miradors édifiés avec les débris des maisons. Le spectre de Naieth descendit dans les galeries sinueuses de l’excavation. Elle atteignit bientôt des profondeurs inexplorées par les Middenheimers, mais elle croisait toujours des esclaves crasseux remontant péniblement qui serraient des paniers déchirés ou poussaient des charrettes à bras remplies de pierres. Les morts gisaient la où ils étaient tombés, et des rats difformes grignotaient leurs corps pâles. |
Les tunnels irréguliers cédèrent la place à de vastes salles. Malgré le tapis de mousses et de lichens étranges, l’architecture géométrique de ces nouvelles galeries était évidente. Les murs étaient ornés de pierres polies à moitié dissimulées par la flore souterraine et des millénaires de calcification, et Naieth réalisa immédiatement que ces tunnels étaient beaucoup plus vieux que la race elfique elle-même, La Naieth astrale finit par entrer dans une chambre envahie de stalactites à moitié dégagée. Le sol était jonché de fragments de stalagmites, probablement brisées pour faciliter l’accès au centre de la pièce. Là, maintenu par deux hémisphères d’or parfaits, Naieth vit ce pourquoi les Nordiques avaient creusé si loin. Le globe était aussi noir que la nuit, et sa surface ondulait comme un liquide. Chaque remous projetait une ride de lumière qui courait paresseusement le long de la paroi rocheuse. La lueur était incolore, et contenait à la fois toutes les couleurs du spectre. Même à l’état de songe, Naieth pouvait sentir la Magie émanant du globe et la corruption dans l’air empuanti. La Naieth de rêve tendit le bras pour le toucher, mais sa raison savait que cela la détruirait, en songe comme en réalité. Naieth contourna l’orbe et remarqua une grande silhouette en armure noire qui se tenait silencieusement de l’autre côté. Une coterie de sorciers taciturnes était également présente, baissant révérencieusement la tête comme leur maître au casque doré communiait avec son trésor. Le seigneur s’adressa à ses serviteurs, mais le son était trop distant, trop étouffé pour que la Prophétesse comprenne ce qu’il disait. Elle dériva plus près, afin d’écouter la conversation. Le casque doré se redressa soudainement, ses yeux creux fixant directement la forme astrale de Naieth. Il pouvait la voir. La Prophétesse recula de panique, chercha à s’enfuir, mais elle savait qu’il était déjà trop tard. Le troisième œil du casque du seigneur émit une lumière chauffée à blanc, et Naieth n’entendit plus que ses propres cris. |
Les cris de Naieth se turent bientôt. Les manipulations de Be’lakor avaient conduit sa forme spirituelle à croiser l’Œil de Sheerian, la révélant à Archaon et aux Dieux Sombres. La Prophétesse comptait parmi les Mages les plus éminents d’Athel Loren, mais son pouvoir n’était qu’une étincelle face à la flamme dévorante des Dieux du Chaos. Sa silhouette fragile fut consumée en un instant, et ses cendres dévorées par Slaanesh. L’attaque des Dieux Sombres - qui dépassait de loin la force requise pour vaincre une mortelle - déborda les digues dressées entre les royaumes matériels et immatériels. L’onde de choc magique balaya les halls de Naieth, ne laissant qu'un cratère aux pentes miroitantes comme du verre, et une déchirure dans le canevas de la réalité. Puis des cris d’outre-monde emplirent les clairières comme les Démons des Cryptes de l’Hiver s’engouffraient dans la brèche.
Talsyn s’éveilla à l’état de fureur. Ceux qui n’avaient pas été réveillés en sursaut par le cri d’agonie de Naieth furent secoués par les spasmes de douleur de la forêt. Le désespoir dominait. Les halls de Naieth étaient situés à moins d’une lieue de la Clairière Éternelle, et la présence de Démons aussi près du vieil arbre était impensable. Beaucoup d’Elfes - trop - périrent en attaquant séparément les Démons, sans attendre les renforts. Les défenses des sentiers secrets furent abandonnées tandis que les Elfes convergeaient sur la Clairière Éternelle. Seule l’arrivée de Malékith et d’Alarielle permit de dresser un semblant de stratégie. Trop tard. Pendant que les Démons pénétraient dans le site sacré, les suivants de Hellebron et de Drycha submergeaient les derniers défenseurs des sentiers secrets et lançaient leur propre assaut sur le Chêne des Âges. Athel Loren était au bord de la destruction.
Défense de la Clairière Éternelle[modifier]
L’Ost de l’Ombre[1][modifier]
Bien que s’étant souvent moqué du concept de Trame, Malékith a bien compris l’importance du Chêne des Âges, et a rapidement mobilisé une armée pour le défendre. Cependant, le Roi de l’Éternité était distrait. L’Ombre au sein de Malékith était en train d’être attiré par quelqu’un d’autre dans la Clairière Éternelle, et il savait qu’il devait s’assurer de sa maîtrise avant la fin de la bataille.
Malékith, le Roi de l’Éternité
Certains avaient espéré que l’ascension de Malékith comme Roi de l’Éternité aurait éteint une fois pour toute les ténèbres qui habitent son cœur. Peut-être que si la flamme d’Asuryan ne s’était pas flétrie et éteinte, une telle transformation aurait été possible. En l’état actuel des choses, Malékith est devenu l’Incarnation de l’Ombre, et cela n’aurait pas été possible sans la présence dans son âme d’une obscurité ravivée. Pour le moment, les périls du Rhana Dandra l’ont amené sur un chemin plus vertueux qu’il ne l’avait connu depuis plusieurs siècles, mais il est impossible de dire combien de temps cela durerait.
Les Lances Corbeau
L’information avait été la clé du règne de Malékith à Naggaroth. À Athel Loren, son besoin de nouvelles précises n’avait n’a fait que croître car il devait exercer sa domination sur une terre inconnue et un peuple fracturé dont il ne pourrait jamais faire entièrement confiance. Les Lances Corbeau étaient les hérauts du Roi de l’Éternité, parcourant les chemins cachés pour l’informer sur les royaumes reculés d’Athel Loren. Ce sont des cavaliers rapides, mais aussi prudents, avec une lame à la main, car il y avait beaucoup de dangers sur les chemins cachés, et tous ne pouvaient être pratiqués.
La Garde de l’Éternité
Lors des derniers jours d’Ulthuan, Malékith fut défendu par des gardes du corps issus de la Garde Noire de Naggaroth et de la Garde Phénix d’Ulthuan. Une fois devenu roi des trois peuples Elfes, la Garde de l’Éternité a été élargie pour inclure une cohorte de Rangers des Bois Sauvages. Plus exactement, Malékith aurait dû être accompagné d’une Garde Éternelle, mais il a toujours douté de la loyauté des gardes du corps volés à un autre seigneur. En outre, il a trouvé que la brutalité des gardiens du Cythral correspondait beaucoup plus à ses humeurs intempérantes.
La Brigade Kraken
Les flottes corsaires de Naggaroth avaient été presque détruites lors de la destruction d’Ulthuan. Seul quelques équipages dispersés restèrent au côté de Malékith. La Brigade Kraken n’était en fait qu’un quart de l’équipage de ce type - le reste des Elfes qui était à bord de la Tour de l’Oubli s’était mis du côté de Tyrion, possédé par Khaine. Malékith était loin de lui faire confiance, mais le Roi de l’Éternité ne faisait confiance à absolument personne. Néanmoins, la Brigade Kraken avaient été fidèle à l’ost de guerre de Malékith depuis leur arrivée à Athel Loren - mais il restait à voir si cela continuerait.
Les Filles de l’Hiver
Les Filles de l’Hiver se sont présentées sans s’annoncer au nouveau palais de Malékith le jour où il fut couronné Roi d’Éternité. Dès le premier jour, elles ont précisées qu’elles avaient l’intention de le servir, qu’il le veuille ou non et ont insisté pour qu’on leur donne des quartiers dans les halls du palais et une place dans sa cour. Plusieurs seigneurs et dames, sachant le tempérament impulsif de Malékith et sa non familiarité avec les Sœurs de l'Épine, ont cherché à expliquer l’honneur que les Filles de l’Hiver lui accordait, malgré leurs manières brusques. Plus amusé qu’outragé, Malékith accueilli les sorcières dans sa suite.
Les Revenants de Khaine
Le fait que les Revenants de Khaine aient choisit de se battre aux côtés de Malékith rendaient beaucoup de monde perplexes. C’étaient eux qui avaient combattu et qui étaient morts sur l’Île Blafarde pour empêcher le Roi Sorcier de réclamer l’Épée de Khaine. Plus que jamais taciturnes, ils n’avaient rien dit qui expliquerait leurs actions, mais on suppose qu’ils ne sont pas réellement du côté de Malékith et qu’ils sont prêts à mettre fin à son existence s’il se retournait de nouveau contre son peuple. On peut douter que Malékith se sent menacé, car les Revenants avaient déjà essayé - et ont échoué - de le tuer une fois auparavant.
L’Ost de l’Ombre | ||
Malékith, le Roi de l’Éternité Mezekar de l’Aube Meliss, Reine de l’Hiver La Garde de l’Éternité Les Filles de l’Hiver La Danse de Chaînes |
Les Lances Corbeau La Brigade Kraken Les Mânes de Naggaroth Les Revenants de Khaine La Vengeance de Raema |
L’Ost de la Vie[modifier]
Si le roi mettait le concept de Trame en doute, Alarielle ne se leurrait pas. Étant l’Incarnation de la Vie, ses pouvoirs étaient liés au Chêne des Âges, et aux amarres de réalité qui lui étaient attachées. L’assaut contre la Clairière Éternelle équivalait à une attaque contre la Reine Éternelle, suscitant en elle une fureur froide que ses ennemis apprendraient bientôt à craindre.
Alarielle, Incarnation de la Vie
Alarielle avait été bien mieux accueillie que Malékith par la race elfique réunie. Les Asrai reconnurent Alarielle dès l’instant où le pouvoir mourant d’Isha lui fut transmis, et continuèrent à la révérer même après que cette lumière divine l’eut quittée. Les Asur vénéraient toujours Alarielle comme leur Reine Éternelle, qu’ils partageaient désormais avec d’autres. Et les Druchii ? Ils en étaient venus à respecter Alarielle pour le caractère impitoyable et opiniâtre dont elle avait fait preuve à maintes reprises suite à la chute d'Ulthuan. Être le champion de la vie impliquait parfois de donner la mort, et Alarielle ne renâclait pas à infliger la souffrance si nécessaire.
Durthu
Durthu était un composant d’Athel Loren depuis le premier jour, et il voyait à présent ses dernières heures approcher. Si l’aïeul nourrissait jadis de grands espoirs pour le futur, il ne voyait que cendres emportées par le vent dans les jours à venir, et des ténèbres voraces auxquelles personne ne survivrait. Néanmoins, il n’était pas dans la nature de Durthu de renoncer au combat sous prétexte que les chances de victoire étaient minces. Il était au service de la Reine Éternelle, et le protecteur d’Athel Loren. Ceux qui comptaient s’en prendre à l’une ou l’autre subiraient la fureur de Durthu.
La Garde Éternelle
Les Sœurs d’Avelorn assuraient la protection de la Reine Éternelle depuis l’aube de la race elfique. Ce devoir n’a pas changé, malgré la chute drastique de leurs effectifs. D’une sororité qui comptait
des centaines de membres, il n’en restait plus qu’une douzaine, regroupée en une seule garde rapprochée de la souveraine. La Garde Éternelle ne trouvait pas Athel Loren à son goût. La forêt était plus sombre qu’Avelorn, oppressante et étrange. Mais Avelorn n’était plus, et il ne revenait pas à la Garde Éternelle de choisir les domaines que sa maîtresse jugeait dignes d’être protégées.
Les Faucons de Cendre
Les Faucons de Cendre formaient naguère la garde personnelle d’Araloth, mais entrèrent au service d’Alarielle suite à la disparition de leur maître. Il se disait que peu d’habitants d’Athel Loren pouvaient égaler leur habileté à l’arc long. La plupart des Faucons de Cendre avaient été entraînés par nul autre que Scarloc, et même si le célèbre éclaireur avait gardé quelques-uns de ses secrets pour lui, il en avait partagé beaucoup plus avec ses élèves. Toutefois, Scarloc n’avait pas réussi à leur enseigner les bonnes manières, et une rivalité acerbe était née entre eux et la Garde Éternelle.
Les Sœurs du Bosquet Éternel
Une Dryade est un aspect de l’arbre auquel elle est liée, cette parenté définissant son caractère et ses qualités. Les Sœurs du Bosquet Éternel étaient les filles du Chêne des Âges lui-même, et son pouvoir résonnait également dans leur essence. En outre, tandis que la plupart des Dryades étaient cruelles et malveillantes, les Sœurs étaient hautaines et réservées, et donc plus semblables aux Elfes qu’à leurs homologues Esprits des Forêts. Ce fut ce trait, plus que tout autre, qui leur permit de rejeter la folie qui s’était emparée de tant d’autres Dryades d’Athel Loren, mais elle n’y résisterait probablement pas éternellement.
Næstra et Arahan
Depuis la mort d’Ariel, ses filles s’étaient rarement éloignées d’Alarielle. Les jumelles sentaient que la Reine Éternelle avait été touchée par la même grâce que leur mère, et elles ne toléreraient pas qu’on lui fasse le moindre mal. Néanmoins, beaucoup notèrent que Næstra et Arahan se différenciaient de plus en plus l’une de l’autre, Arahan toujours plus sauvage, Næstra toujours plus renfermée. On les voyait se disputer de plus en plus souvent, bien que les détails de ces querelles échappent même à Alarielle. La vérité était que Næstra et Arahan étaient plus intimement liées à la Trame que tout autre Elfe : son point de rupture approchait, tout comme le leur.
L’Ost de la Vie | ||
Alarielle, Incarnation de la Vie Durthu Næstra et Arahan Skarana La Garde Éternelle |
Les Faucons de Cendre Les Noueux Les Sœurs du Bosquet Éternel Les Obligés |
Démons et Félons[modifier]
La horde qui déferla sur la Clairière Éternelle se composait d’alliances improbables, motivées par la folie, l’égoïsme, ou un mélange des deux. Be’lakor, Hellebron et Drycha croyaient commander cet ost instable, mais en vérité, chacun n’avait qu’un ascendant relatif sur les autres. C’était une armée guidée par une démence autodestructrice, et unie temporairement par une cause commune.
Be’lakor
Be’lakor pensa un temps qu’il était le serviteur le plus éminent des Dieux Sombres, mais ses maîtres n’avaient de cesse d’élever des mortels à un rang supérieur au sien. La dernière humiliation qu’ils lui infligèrent fut aussi la plus grande : obliger le Premier-damné à couronner Archaon en tant que treizième Élu des Dieux - un titre qui revenait de droit à Be’lakor. Depuis, le Prince Démon cherchait un moyen de saboter les plans d’Archaon, ou mieux, de le devancer. L’excavation de Middenheim étant presque terminée, les options de Be’lakor se limitaient - assez pour lui forcer la main à Athel Loren.
Hellebron
On dit que le premier pas sur la voie de la trahison est plus ardu que les suivants. Toutefois, dans le cas de Hellebron, il était difficile de déterminer avec certitude quand elle avait fait ce premier pas. Était-ce lorsqu’elle refusa d’abandonner Naggaroth sur ordre de Malekith ? Ou lorsqu’elle refusa de choisir un camp pendant la guerre d’Ulthuan, ne s’impliquant qu’au dernier moment pour des raisons qui lui étaient propres ? Quoi qu’il en fût, le plan de Be’lakor pour détruire le Chêne des Âges ne lui causa aucun cas de conscience - même si, contrairement à Drycha et Coeddil, elle savait exactement ce qu’il adviendrait en cas de réussite.
Drycha et Coeddil
Drycha et Coeddil regorgeaient de ressentiments, suscités par leurs souvenirs des occasions où les Elfes avaient failli à Athel Loren. Tous deux avaient été marqués par Morghur par le passé, et peut-être leurs actes étaient-ils guidés par sa folie. Be’lakor avait exploité leurs âmes meurtries, utilisé la souillure de Morghur comme la faiblesse qui les exposait à ses manipulations. Or, les Esprits des Forêts pensaient qu’ils se servaient du Démon à leurs propres fins, et qu’Athel Loren reviendrait à la normale une fois les Elfes chassés des bois.
Le Carnaval du Silence
Des années de défaites infligées par la main des Asrai avaient privé les Démons des Cryptes de l’Hiver d’un chef fort. Nombre de leurs hérauts et Gardiens des Secrets avaient été bannis dans la Forge des Âmes, où ils se languissaient jusqu’à ce que Slaanesh ait un élan de pitié. Ils étaient faibles et égarés - des proies faciles pour Be’lakor, qui leur promit chair elfique et délices sans fin. En vérité, le Premier-damné comptait envoyer les Démonettes à l’abattoir, afin d’affaiblir l’ennemi avant qu’il frappe. Elles n’étaient pas censées partager sa glorieuse destinée, et ne valaient donc pas mieux que du bétail.
Le Culte de la Reine du Sang
Bien que le Culte de la Reine du Sang ait été officiellement aboli, nombre de ses adeptes avaient entretenu leur foi en secret, dans l’attente de l’appel de leur maîtresse. Hellebron ne manquait pas d’adorateurs à Athel Loren. Les Asrai ne cachaient pas leurs penchants mystiques comme leurs cousins d’outre-mer, et s’étaient aussi facilement adonnés aux rites sanglants et aux sacrifices qu’aux prières contemplatives. Il y avait même quelques Asur, las d’une existence de retenue qui ne leur avait apporté que malheur, qui avaient succombé au credo simpliste de sang et de souffrance de Hellebron.
Les Wildkin
L’armée de Drycha était un amalgame étrange des perdus et des damnés, de ces Esprits des Forêts absorbés par l’idéologie boiteuse de leur maîtresse, et des victimes de la souillure suintante du Chaos. Tous n’étaient pas fous. Certains étaient assez rationnels, sinon bercés d’illusions. D’autres étaient enclins à la cruauté parce que c’était dans leur nature, ou parce que les arbres auxquels ils étaient liés étaient rongés par le mal ou par l’influence néfaste de Morghur. Tous, aliénés et autres, étaient de redoutables adversaires. Les Elfes n’avaient pas affronté tant d’Esprits des Forêts depuis la rébellion de Coeddil.
Démons et Félons
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Be’lakor Hellebron Drycha Coeddil Slaanshari le Flavescent Sslivoth le Dévolu Le Carnaval du Silence |
Le Culte de la Reine du Sang Les Wildkin Sabberast Mournsolis |
Les cultistes de Hellebron arrivèrent à la Clairière Éternelle par l’est. Ils formaient une masse de meurtriers déclamant et hurlant leur soif de victimes, impatients de venger l’affront fait à leur prêtresse. Les Démons de Be’lakor vinrent par le nord, jaillissant de la faille engendrée par la chair dénaturée de Naieth. Coeddil et Drycha attaquèrent par le sud-ouest, accompagnés d’un ost d’esprits déments des Bois Sauvages.
Les trois forces n’étaient guère coordonnées. Chaque groupe considérait les autres comme des moyens vers une fin, des diversions qui allaient hâter la victoire par leur suicide. Massacrer était leur unique objectif. Seul Be’lakor, l’instigateur de leur convergence dans la Clairière Éternelle, avait un semblant de plan, et il n’avait aucune intention d’en faire part à ses alliés de circonstance.
Malékith et Alarielle avaient rassemblé toutes les forces qu’ils pouvaient, et les avaient déployées tel un mur de lames autour du Chêne des Âges. Si les Démons avaient attaqué seuls, le Roi de l’Éternité et la Reine Éternelle auraient parié sur leur victoire. Hélas, la présence de Drycha et de Hellebron modifiait profondément la donne. Néanmoins, ceux qui observèrent Malékith notèrent que leur souverain sardonique était de bonne humeur. Depuis son dernier couronnement, Malékith mourait d’envie de prouver sa légitimité dans le feu de la bataille. Une grande victoire au Chêne des Âges le confirmerait à jamais en tant que monarque d’Athel Loren - plus elle serait éclatante, plus son règne serait irréfutable. Malékith ne songea pas un instant à la défaite. Le Roi de l’Éternité s’était préparé à l’idée qu’il périrait probablement pendant le Rhana Dandra, mais pas devant un tel assemblage de traîtres et de laquais.
Arahan et Næstra dirigeaient la défense de l’est, encore que l’énoncer de la sorte ne rendrait pas justice à ce que cela impliquait. Voyant les forces de Hellebron sombrer dans une folie sanguinaire, Arahan annonça son intention de contre-attaquer. Næstra désapprouva cette tactique, la jugeant trop risquée eu égard à l’importance de l’enjeu. Cependant, leur Dragon Ceithin-Har abonda dans le sens d’Arahan, puisqu’il s’envola à tire-d’aile en direction de l’ennemi avant que Naestra ait pu formuler ses craintes. Comme la grande bête frappait les lignes des cultistes, les cors des cavaliers et des archers qui le suivaient sonnèrent dans la clairière.
Les flèches et les lances s’abattirent sur les rangs des cultistes. Les prières que les cultistes braillaient se mêlèrent à leurs cris d’agonie, mais le sang versé par les camarades ne faisait que rendre les adorateurs de Hellebron encore plus frénétiques. Des chevaliers à la peau perse vidèrent les étriers. Des voix rudes tranchèrent le tumulte, et des Exécuteurs forcèrent le passage dans les cultistes, impatients de se mesurer aux élus de Kurnous.
Dans un rugissement assourdissant, Ceithin-Har se jeta dans la mêlée, l’impact projetant des corps froissés en l’air. Les draichs des Exécuteurs s’émoussaient contre ses écailles, ou s’élançaient en hautes estocades destinées aux jumelles. La tête du Dragon frappa comme un serpent et broya un Exécuteur entre ses mâchoires. Arahan et Næstra allaient et venaient agilement sur le dos de Ceithin-Har, en plantant leurs lances dans les orbites des casques-crânes.
Næstra prit appui sur le cou de Ceithin-Har et tira sur la hampe de sa lance. La pointe libérée, le sang jaillit du heaume en forme de crâne du cultiste.
« C’est de la folie ! » cria Næstra . « Je sais ! » répondit Arahan avec un rictus et regard sauvages comme le vent d’automne. « C’est merveilleux, tu ne trouves pas ? » Næstra resta muette. Une rage sanguinaire étrangère grattait à la périphérie de son esprit - elle devait lutter pour garder le contrôle. L’odeur du sang était enivrante; elle avait envie de lécher le fer de sa lance, pour goûter les fruits de sa mise à mort. NON ! hurla Næstra pour elle-même. La folie des cultistes de la Reine de Sang l’infectait, et elle pensait savoir pourquoi. Næstra rangea sa lance dans les lacets de cuir dans son dos, courut sur l’échine de Ceithin-Har tandis que ses doigts tiraient la corde de son arc et saisissaient une flèche dans le même mouvement. Se tournant vers l’est, elle vit une silhouette noire et dentelée devant les arbres, et une épaisse fumée monter du chaudron à sa proue. Næstra lâcha la flèche inconsciemment. Elle la vit filer vers le Chaudron de Sang, droit sur la prêtresse masquée qui s’ébattait en psalmodiant au pied de la statue d’un dieu mort. La prêtresse fit un pas de côté au dernier moment, ce qui suspendit un temps ses imprécations. La flèche frappa l’une de ses acolytes, la jetant en arrière contre les piliers barbelés à la poupe de l’autel. Næstra sentit s’estomper la soif de sang, remplacé par le soulagement. Elle vit que les Cavaliers Sauvages de Kurnous, libérés du sortilège du chaudron, se retiraient enfin. « Nous devons y aller ! » cria-t-elle. Næstra crut un instant que sa sœur allait refuser. Puis Arahan hocha brièvement la tête, et Næstra lut le reflet de sa propre inquiétude sur le visage de sa jumelle. |
Hellebron s’était totalement abandonnée à l’ivresse de la bataille. Du haut de son autel, elle observa la charge et la retraite des Asrai, mais se rendit à peine compte du tribut prélevé sur ses propres forces. Environ un tiers du Culte de la Reine de Sang était mort ou mourant, mais Hellebron n’en avait cure. Seul le recul de l’ennemi lui importait, une victoire en annonçant beaucoup d’autres. Elle hurla des ordres à ses suivants, promettant une éternité de massacre aux survivants. Ces derniers oublièrent leurs blessures et coururent après les forces de Næstra et Arahan.
Plus au sud, les guerriers d’Alarielle avaient déjà engagé le combat avec les Wildkin. La lutte était particulièrement impitoyable. Une bonne part de l’armée de Drycha était constituée des Esprits rancuniers des Bois Sauvages; ils ne faisaient pas de quartier avec les Elfes qu’ils haïssaient depuis si longtemps, et les Asrai leur rendaient la pareille. Les Esprits mutilaient les soldats d’Alarielle avec leurs épines, leurs branches et leurs ronces, fouettant, lacérant et étranglant les usurpateurs honnis de la forêt.
Toutefois, tous les Esprits des Forêts n’étaient pas des partisans de Drycha. Beaucoup demeuraient fidèles à leur amitié avec les Elfes, et affrontèrent leurs pairs au nom de cette ancienne alliance. Les Dryades stridulaient en écharpant leurs sœurs, les Hommes-Arbres grondaient dans des langues ancestrales en échangeant des coups à fendre les montagnes. C’était une bataille pour l’âme même d’Athel Loren, avec pour enjeu le sort de la Trame - et donc, du monde.
Au nord, le Carnaval du Silence couvrit la distance jusqu’aux lignes de Malékith par une course agile, chaque pas composant une danse qui avait débuté alors que le monde était encore jeune. Les Démonettes chantaient en avançant, mais aucune des notes ne parvenait aux oreilles des ennemis, leur hauteur se situant bien au-dessus de la conscience des mortels. Des montures au corps serpentin et des bêtes cornues hululaient et trillaient en devançant les Démonettes, puis venaient les Gardiens à quatre bras, qui se mouvait avec grâce, et la régularité d’un métronome surnaturel.
Malékith pouvait sentir la peur qui rongeait son armée. Sauf dans la Garde Noire, bien sûr, car l’expérience leur avait appris à le craindre plus que tout. Néanmoins, les Asur et les Asrai qu’il commandait n’avaient jamais combattu pour le Roi Sorcier de naguère, et n’avaient pas été trempés dans les eaux changeantes de ses sautes d’humeur. Les Démons approchant, Malékith talonna Seraphon et ordonna à la Garde Noire d’avancer à ses côtés. Le Roi de l’Éternité se félicita de voir les Gardes Phénix l’accompagner sur sa droite.
Puis les premières Veneuses chargèrent la herse de hallebardes abaissées. Les réflexes des Démons dépassaient ceux de la plupart des mortels, mais pas ceux des Elfes. Les coups de griffes étaient parés, les vouges tranchaient et la peau d’une pâleur d’outre-monde se souillait d’ichor noir. Trois bêtes sifflantes s’attaquèrent directement à Malékith. Le Roi de l’Éternité fut déçu - il avait espéré attirer l’attention d’un Gardien des Secrets, mais le dépit ne le ralentit pas le moins du monde.
Tandis que Seraphon crachait une langue de brume noire asphyxiante, Malékith puisait dans l’énergie d’ombre d’Ulgu. Son premier sort aveugla les Démons caquetants, réprimant leurs sens et leurs réactions; le second envoya une lame de ténèbres faucher la ligne de bêtes, qui coupa chacune d’elles en deux.
Les Démonettes avaient rejoint les Veneuses, et les premiers Elfes commencèrent à tomber. Ils mouraient en silence, les Gardes Phénix à cause de leur serment à un dieu défunt, les Gardes Noirs par fierté. Le combat se déroulait donc dans un silence fantasmagorique, troublé uniquement par le sifflement d’agonie occasionnel des montures slaaneshi et le choc moite de l’acier mordant la chair.
Les Démonettes étaient beaucoup plus nombreuses que les Elfes de la garde de Malékith, et finirent par déborder la digue de hallebardes - ce qui faisait partie du plan du Roi de l’Éternité. Les Démons se déversèrent sur ses flancs étaient désorganisés, et leur attention était fixée davantage sur l’encerclement de l’ennemi le plus proche que sur l’engagement de l’intégralité de la force de Malékith.
C’était une erreur. Comme la vague de Démonettes se tendait contre le brise-lames du Roi de l’Éternité, celui-ci ordonna au reste de son armée d’attaquer. Les arbalètes cliquetèrent, des traits rayonnants chuintèrent dans l’air et allèrent décimer les Démons qui comptaient submerger la Garde de l’Éternité. La masse des Démonettes vacilla et se rétracta, tandis qu’éclatait un chœur de rugissements comme les Hydres de Guerre de Malékith étaient aiguillonnées contre les flancs de l’ennemi en recul.
Be’lakor, qui veillait toujours sur sa propre peau, restait en retrait. De la lisière de la clairière, il observait le flux et le reflux de la bataille, s’abreuvant du carnage qu’il avait si aisément orchestré, et se réservant pour Malékith et Alarielle.
Le Démon prenait même garde à ne pas utiliser sa Magie, jugeant que cela équivaudrait à agiter un drapeau pour signaler sa présence. Il se contenta donc de regarder les cultistes de Hellebron tailler leurs pairs en pièces, et les Dryades démentes de Drycha s’efforcer de purger le Chêne des Âges des Elfes hais. Be’lakor se doutait que la Reine de Sang et la Ronce de Malheur avaient toutes deux l’intention de se débarrasser de l’autre à l’issue de la bataille, et le Démon s’amusa de ce qu’elles croient qu’il les laisserait faire.
Même si le Premier-damné ne prit pas personnellement part à cette bataille, il ne fut pas complètement inactif. Les Démons des Cryptes de l’Hiver étaient très désordonnés et ne souciaient guère des contingences tactiques. Be’lakor dut souvent imposer sa volonté à une troupe ou à une autre. Il commanda aux Démonettes de renoncer à leurs vaines attaques contre les Hommes-Arbres enragés, coordonna les frappes des chars et des Veneuses et tissa une stratégie déroutante à partir des danses des Démons.
Les Démons Majeurs des Cryptes renâclaient à se laisser diriger, même par un être aussi puissant que Be’lakor. Toutefois, le Premier-damné n’était pas d’humeur à se laisser défier et réprima sévèrement leur réticence. Il n’avait aucune affection pour ses demi-frères. Pour lui, ils n’étaient pas moins des outils que ses alliés Elfes et Esprits des Forêts. Néanmoins, la bataille était trop serrée pour gaspiller ces atouts. Be’lakor voulait que ceux qui mourraient en ce jour le fassent en le rapprochant de son but, non par excès de laxisme ou de stupidité.
L’écheveau de manipulations de Be’lakor était loin d’être indétectable. En situation normale, Alarielle ou Malékith aurait perçu sa voix dans les Vents de Magie. Or, leur attention était accaparée par d’autres choses.
L’aliénation de Hellebron était un être vivant, sombre comme le vin, et contagieux. Tous ceux qui combattaient dans la Clairière Éternelle sentaient son influence, et nul plus intensément que les adversaires directs des cultistes. Sans la présence d’Alarielle, des centaines d’Elfes auraient été submergées par la folie séductrice de Hellebron. En l’état, l’énergie de vie émise par la Reine Éternelle soignait les psychés comme les corps, formant un bouclier protégeant ses suivants de la clémence aussi sûrement que des blessures physiques. Tous ne purent pas être sauvés. Certains se retournèrent soudainement contre leurs camarades, taillant, tranchant et déblatérant avec haine et terreur. Il y en eut peu, et ils illustrèrent l’ampleur de l’horreur qui se serait déployée sans Alarielle.
Malékith vit également ses pouvoirs poussés dans leurs retranchements. La bataille s’étirant, les Dryades de Drycha renoncèrent à attaquer les seules troupes d’Alarielle. Elles s’évanouirent entre les arbres, empruntant des sentiers ignorés des Elfes pour frapper les pans vulnérables des lignes elfiques. Le Roi de l’Éternité devait sans cesse plier l’ombre à sa volonté, enveloppant une parentèle ou une légion pour la transporter à l’autre bout de la clairière pour contrer une nouvelle menace. Lui seul avait une vague idée de la présence de Be’lakor. Dès que Malékith puisait dans les ombres, il entendait une voix sibilante - à la fois proche et distante. Chaque fois qu’il voulait creuser la question, une autre crise accaparait son attention, et Be’lakor n’était toujours pas découvert. En outre, les Elfes n’étaient pas aidés par le fait que Malékith consacrait une part de sa vigilance à chercher un individu particulier dans les rangs ennemis.
Sous les racines du Chêne des Âges, Teclis observait le corps desséché tandis que Malhandir piaffait à côté de lui. Le cadavre était vêtu d’une robe de vert et d’or, et gisait sur une couche de feuilles et de fougères. Il semblait reposer là depuis des siècles, même si Teclis savait qu’à peine quelques années avaient passé depuis le décès d’Ariel.
« Le temps va nous manquer. » dit le Maître du Savoir spectral par-dessus l’épaule de Teclis. « Il n’en reste presque plus. » appuya le noble du sud. Les élémentaires posèrent le cercueil à terre, mais Teclis ne s’en préoccupait pas. Il ne pouvait arracher son regard du corps; il n’était pas sûr de pouvoir faire ce qu’il avait à faire à présent que l’heure était venue. Et si Lileath s’était trompée ? Et si lui-même s’était trompé ? « N’ai-je pas droit à un instant de réflexion ? » demanda-t-il en oubliant la futilité d’une querelle avec des fragments de son propre subconscient. « Non. » dit sèchement le fantôme au heaume d’aigle. « Le temps de la réflexion est révolu. - Il est temps de terminer le voyage que tu as entrepris, approuva le guerrier à fourrure de lion. - Ce voyage vous a coûté la vie, protesta Teclis. |
Le spectre au heaume d’aigle secoua la tête : « Nous ne sommes pas morts par ta main. - C’était notre choix, souligna le Maître du Savoir. - Nous t’avons fait confiance, lui assura le noble. - Et nous le referions. » dit le rude guerrier. Teclis soupira, le regard attiré par le cercueil. Tant de sacrifices. Tant de trahisons. « Ah, mais me fera-t-il confiance ? » demanda-t-il tout haut. « Comprendra-t-il ? » Il regarda le corps ratatiné d’Ariel, puis les quatre spectres. « Vous avez raison. Le doute est un luxe que je ne peux m’offrir. Qu’il en soit ainsi. » Il sourit tristement. « Merci d’avoir partagé ce fardeau, mais nous devons nous séparer à présent. » Teclis prononça les mots de déliement et vit les silhouettes fantomatiques de Belannær, Finubar, Eltharion et Korhil s’évanouir dans le néant. Puis il fut seul avec les morts. |
Coeddil les remarquaient à peine. Il était mu par la vengeance, et ses blessures étaient cautérisées par la haine. Cent Elfes n’auraient pas pu l’arrêter, et deux fois plus n’auraient fait que le ralentir. Karann - un Homme-Arbre moitié moins vieux que Coeddil - barra la route de l’aïeul. Il fut terrassé par un coup à deux poings qui lui pulvérisa le visage, maculant son poitrail de flots de sève. Alarielle invoqua des ronces pour piéger Coeddil. Il se libéra en les arrachant, laissant traîner des lianes de ses jambes et de ses épaules comme il avançait. Des Dryades et des Lémures des Bois Sauvages suivaient son sillage de destruction, les premières en stridulant de joie, les seconds en tombant sur les Elfes dispersés en grognant de colère.
Plus à l’est, Næstra et Arahan saisirent enfin la détresse d’Alarielle. Ceithin-Har obliqua brusquement vers la Reine Éternelle, mais en sachant qu’il arriverait trop tard. Les lignes elfiques avaient été brisées par la charge de Coeddil, et ceux qui ne se battaient pas désespérément pour leur vie étaient séparés de leur reine par une marée d'Esprits des Forêts. Pourtant, Alarielle ne se repliait pas, refusant de fuir devant Coeddil. Elle fit encore appel aux ronces pour l’entraver et l’attaqua avec du bois mort enchanté. Même lorsqu’un énorme poing épineux se précipita sur elle, la Reine Éternelle ne recula pas.
L’attaque de Coeddil ne toucha jamais Alarielle. Juste avant que le coup atteigne sa cible, un impact tonitruant frappa l’épaule de l’aïeul, le jetant de côté. Des Dryades sifflèrent quand l’arbre géant les piétina afin de retrouver son équilibre, les survivantes se dispersant comme l’assaillant de Coeddil revenait à l’attaque.
La voix de Durthu fulmina tandis que son épée s’abattait, l’acier de Daith projetant des éclats d’écorce durs comme fer en tous sens. Ses paroles étaient trop anciennes pour être comprises par les Elfes, mais Coeddil entendait le défi qu’elles lançaient, et répondit à son frère par un coup. Durthu chancela quand le poing de Coeddil percuta son torse, enfonçant l’écorce de son ventre. Durthu frappa à nouveau, mais Coeddil passa à l’intérieur de l’arc et verrouilla sa main gigantesque autour du poignet de son adversaire. Rien ne se passa pendant quelques secondes, les deux immenses créatures luttant silencieusement l’une contre l’autre. Puis, dans un craquement, Coeddil tordit le bras de Durthu au point de l’arracher.
Durthu lâcha un cri de douleur déchirant tandis que Coeddil laissait tomber l’avant-bras détaché - et l’épée qu’il serrait encore. Durthu ne se démonta pas et asséna un terrible coup de tête à Coeddil, l’impact cisaillant une partie de sa ramure. Coeddil vacilla et Durthu en profita pour l’attaquer à nouveau, en abattant son bras intact sur l’épaule de son frère avec une telle force que dut mettre Coeddil genou à terre.
Au sol, Elfes et Dryades se dispersèrent comme des fourmis, car s’attarder signifiait finir écrasé par ces géants. Seule Alarielle ne s’éloigna pas, ses lèvres bougeant muettement tandis que la Magie de vie glissait de ses doigts pour refermer les blessures de Durthu. Des vrilles vertes jaillirent de la ruine du bras droit de Durthu, en battant et en se tortillant comme elles retissaient un nouveau membre.
Réalisant qu’il ne pourrait pas vaincre Alarielle et Durthu en même temps, Coeddil tendit le bras vers la Reine Éternelle une seconde fois. Durthu s’interposa encore : il attrapa la main de son frère et, en se servant de l’élan de Coeddil, il le mit à genoux. Avant que celui-ci ait pu se libérer, Durthu modifia sa prise. Avec une agilité démentant sa masse, Durthu passa dans le dos de Coeddil et lui enserra la gorge avec son avant-bras. Dans le même temps, sa main droite régénérée agrippa la garde de son épée à terre. Coeddil griffait et cognait le bras qui le retenait prisonnier, mais Durthu ne desserra pas sa poigne.
Poussant un ultime cri de triomphe mêlé de peine, Durthu passa son épée dans le dos de Coeddil jusqu’à transpercer sa poitrine. L’aïeul déchu tressauta malgré l’emprise de son frère, mais ce n’était qu’un réflexe. Durthu avait percé la pelote de fibres du cœur de Coeddil, et son frère était déjà mort. La sève orange qui s’écoulait sur l’acier elfique virait au noir. Durthu retira son épée et laissa Coeddil s'effondrer. Le cadavre géant heurta le sol avec un bruit sourd.
À l’ouest, Drycha ressentit que son maître avait péri, et lâcha un cri strident d’une rage et d’une tristesse si pures qu’il glaça le sang de tous ceux qui l’entendirent. Le hululement plaintif fut repris par les autres Dryades des Wildkin, et elles se jetèrent à nouveau dans la mêlée avec une férocité renouvelée.
À l’est, Hellebron s’aperçut finalement que sa véritable ennemie - la Reine Éternelle - ne faisait pas partie des forces déployées face à elle. Vexée que celle qui l’avait bannie ait choisi d’affronter un autre adversaire, la Reine de Sang ordonna à son armée de marcher au sud, afin qu’elle puisse faire payer à Alarielle son insolence.
Cette décision coûta cher à ses cultistes. Ni eux, ni leur maîtresse ne réfléchirent au risque de laisser les forces de Næstra et Arahan sur leur flanc et sans personne pour les occuper. Pour leur part, les filles d’Ariel furent stupéfaites de voir l’ennemi adopter une tactique aussi inconsidérée, ce qui ne les empêcha pas de tirer avantage de cette étrange opportunité. Tandis que le chaudron de Hellebron roulait vers le sud, son flanc droit fut graduellement égrugé par les arcs et les lances Asrai. D’autres armées auraient peut-être cédé à la panique, mais les adeptes de Hellebron étaient toujours sous le coup de leur folie sanguinaire.
Or, pour autant que le choix de Hellebron ait mené ses troupes au bord de la destruction, il se révéla tout aussi dangereux pour l’armée d’Alarielle. Les Wildkin étaient devenus encore plus sauvages suite à la mort de Coeddil, et la Reine Éternelle avait beaucoup de mal à les contenir. Quand les premiers cultistes de Hellebron heurtèrent le flanc est d’Alarielle, il lui apparut clairement qu’elle devrait se retirer près du Chêne des Âges pour ne pas être submergée.
Ailleurs, Malékith n’avait d’yeux que pour son combat, bien engagé, contre les Démons. Au nord du Chêne, le sol était jonché de cairns de chair démoniaque pâle. Les Elfes mouraient eux aussi, mais les pertes n’étaient pas en leur défaveur. Les Démonettes tombaient par centaines, et n’avaient rien à envier à leurs bêtes de guerre. Un des Gardiens avait déjà été banni, sa curieuse peau soyeuse percée de plus de cent carreaux d’arbalète. Le second, dont les longs doigts fins suintaient d’une Magie parfumée, se rua enfin sur Malékith. Les Elfes que le Démon croisait tombaient en catatonie; leurs armes glissaient lentement à leur côté et leurs yeux fixaient le vide jusqu’à ce que l’épée du monstre mette un terme à leur vie.
Seul Malékith n’était pas affecté par les artifices de la créature. Il avait déjà affronté N'kari, le plus éminent de leur engeance, à maintes reprises. Il en était sorti victorieux à chaque fois, et il n’allait sûrement pas succomber à un Gardien de rang inférieur. Le Roi de l’Éternité usa de sa propre Magie alors que le Démon approchait, en lui envoyant des fantômes d’Elfes morts depuis longtemps dans les pattes. Ralenti par les effigies, le Démon ne put éviter l’attaque soudaine de Seraphon. Les serres du Dragon accrochèrent la poitrine du Gardien des Secrets et le plantèrent à terre.
Quoique rivé au sol par le poids du Dragon, le Démon ne se rendit pas. Il martela et lacéra les flancs de Seraphon, arrachant de grands lambeaux de peau écailleuse. Seraphon rugit de douleur, mais elle avait connu des blessures bien pires au cours de sa longue vie, et riposta d’autant plus férocement. Des crocs durs comme fer détachèrent une grosse bouchée de chair de l’épaule du Gardien et des griffes antérieures affilées labourèrent la gueule du Démon. Quant à Malékith, il dissipa ses fantômes d’un geste, transmutant leurs restes en une nuée de fléchettes acérées qui creusèrent des trous profonds dans les organes surnaturels du Gardien. Le Démon hurla. Il eut un ultime spasme, de plaisir ou de souffrance, puis s’immobilisa. Seraphon rugit de triomphe, et égorgea la créature de ses mâchoires dégoulinantes.
Malgré d’horribles pertes, le Carnaval du Silence persévérait, mais Malékith considérait que ce pan de la bataille était acquis, et finit par avoir une pensée pour sa reine assaillie. Laissant le quart nord entre les mains du Maître des Flottes Mezekar, il fit marcher la Garde de l’Éternité au sud pour renforcer les lignes d’Alarielle.
Malékith entendait suivre ses soldats. Or, au moment où Seraphon prenait son envol, une ombre tomba de la cime des arbres, contre laquelle se détachait l’éclat d’une dague courbe pointée sur le dos du Roi de l’Éternité.En un autre lieu, ou un autre temps, Lamenoire aurait pu réussir. Toutefois, Malékith suspecta une tentative d’assassinat dès que le culte de Hellebron fut décrété hors-la-loi - la présence de la Reine de Sang sur le champ de bataille en avait fait une certitude. Tout au long de la bataille, même pendant le combat avec le Gardien des Secrets, le Roi de l’Éternité avait attelé une part de son esprit à la surveillance des ombres qui l’entouraient. L’ancien Malékith aurait pu se laisser prendre par une lame dans l’obscurité, mais pas l’Incarnation de l’Ombre. Rien ou presque de ce qui se mouvait dans les ténèbres n’échappait à ses sens, et il était donc conscient de l’approche de son assassin potentiel aussitôt que celle-ci débuta.
Même ainsi, Lamenoire était presque trop rapide. Malékith se tordit sur sa selle, mais ne put esquiver complètement la lame. Des étincelles jaillirent comme elle fendait l’Armure de Minuit. Du sang s’écoula par l’entaille. Il y avait du poison sur la lame - le Roi de l’Éternité sentit immédiatement sa piqûre. Néanmoins, il avait pris ses précautions depuis le dernier attentat de Lamenoire contre sa vie, en ingérant de minuscules quantités des toxines que l’assassin privilégiait, afin d’améliorer sa résistance. Cette mesure n’atténua pas la brûlure du poison, mais Malékith était habitué à ce genre de douleur, et il ne fut gêné en rien.
Lamenoire porta son attaque suivante une fraction de seconde après la première, en visant le gorgerin de Malékith. Mais le Roi de l’Éternité passa sous le coup et glissa hors de selle. Il reprit pied aisément sur le dos de Seraphon, et se tourna pour faire face à son assaillant, l’épée au clair.
L’assassin et le roi se battirent donc en duel, non sur le sol ferme, mais sur l’échine d’une créature volante qui prenait de la vitesse. Le vent fouettait les duellistes, menaçant de les faire tomber à tout instant, mais ils continuaient le combat. Ils étaient de force égale. Lamenoire avait l’avantage de l’agilité, mais Malékith celui de l’allonge. Aucune de leurs attaques ne touchait au but. Malékith abattit son épée une dizaine de fois, pour n’obtenir qu’un sifflement dans l’air alors que Lamenoire esquivait. Mais tout aussi souvent, l’assassin dut rediriger son coup en une parade désespérée afin d’éviter d’être étêté par le Roi de l’Éternité.
Seraphon passa sous l’une des vastes branches du Chêne des Âges, et tous trois furent happés par l’ombre, L’assassin vit Malékith se tourner, et baisser soudain sa garde. Lamenoire grogna de satisfaction et se jeta en avant, la dague pointée sur la gorge du Roi de l’Éternité. Il la manqua. Malékith avait disparu sans laisser de trace, et la lame se planta dans le vide. L’assassin fut pris d’une rare confusion, et poussa un cri bref lorsque Malékith émergea des ombres dans son dos et l’entailla profondément. Quand Seraphon revint dans la lumière de la clairière, Lamenoire glissa de côté sur l’échine du dragon, sa main insensible lâchant sa dague. Un court instant, Malékith regarda de haut le candidat à son assassinat, puis donna un coup de soleret qui envoya Lamenoire vers son destin. Incapable de se rattraper, l’assassin légendaire roula du dos de Seraphon et se perdit dans la bataille en contrebas.
Les cruelles servantes de Drycha avaient prélevé un terrible tribut sur les forces d’Alarielle. La Ronce de Malheur s’était servie de ses sœurs comme de griffes, lacérant les bruyères fidèles à la Reine Éternelle. Les corps brisés de Dryades tapissaient la voie de la Garde Éternelle, et seule la vaillance de Durthu avait évité aux Elfes d’être anéantis.
Malékith vit tout cela en remontant en selle, et dirigea Seraphon sur Drycha qui sifflait ses ordres aux autres Wildkin. La gueule du Dragon s’ouvrit en grand pendant sa descente, et une écume asphyxiante avala les Dryades dans leur course. Elle ne pouvait étouffer les Esprits des Forêts, car ils ne respiraient pas au sens des mortels. Néanmoins, les vapeurs toxiques rongèrent leurs corps et empoisonnèrent la sève coulant dans leurs veines. Des dizaines périrent atrocement, minées de l’extérieur et de l’intérieur par le souffle noir du Dragon. Les survivants furent dispersés l’instant suivant, quand Seraphon s’abattit telle la foudre, écrasant les Dryades comme de vulgaires brindilles.
Drycha vit ses sœurs mourir, et fonça sur Malékith. Ce faisant, elle puisa dans la Magie de la forêt, insufflent une nouvelle vie aux défunts. Des pousses vertes montèrent des corps noirs comme la suie. Des saisons de croissance passèrent en un clin d’œil : les pousses devinrent des lianes qui s’enroulèrent autour de Seraphon. Le Dragon les déchira, mais d’autres vrilles l’enserraient déjà et remontaient pour s’emparer de Malékith.
Le Roi de l’Éternité taillait à droite et à gauche, sectionnant des pampres à chaque coup, mais il y en avait toujours plus qui venaient l’entraver. En dessous lui, Seraphon était attirée au sol comme des racines jaillissaient de la clairière pour aider les vignes. Tout en se débattant, Malékith chercha à contrer la Magie de Drycha. Toutefois, les effets du poison de Lamenoire commençaient à se faire sentir. En outre, la colère excessive de Drycha imprégnait chacune de ses incantations, et Malékith ne trouva aucune brèche à exploiter. Drycha bondit sur lui, lacérant le Roi de l’Éternité empêtré.
Malékith étant occupé par la fureur de Drycha, et Alarielle reculant face à Hellebron, Be’lakor se décida à se joindre à la bataille. Sortant de l’obscurité à la limite de la clairière, il battit nonchalamment des ailes et rasa le champ de bataille, en se réjouissant de la terreur que son apparence suscitait. Certains Elfes réagirent plus vite que les autres et lâchèrent des traits sur le Premier-damné. Toutefois, Be’lakor était une créature d’ombre, à la silhouette incertaine même sous le soleil de midi. Une seule flèche chanceuse atteignit sa cible, et Be’lakor la retira sans même ralentir son vol. Quand le Démon atterrit au pied du Chêne, des Rangers des Bois Sauvages encapuchonnés se jetèrent sur lui avec leurs fauchards scintillants. Be’lakor en fit un tas de cadavres tressaillants d’un seul revers de son épée d’ombre, et continua pour prendre son trophée.
C’était un moment triomphal pour Be’lakor. Il pouvait sentir la puissance du Chêne des Âges onduler devant lui, il entrevoyait comment on pouvait l’altérer et le défaire. Enfin les Dieux Sombres seraient-ils à nouveau forcés de lui accorder leur attention. Quand bien même, le plan d’Archaon l’usurpateur serait préempté, sa gloire ravie. Avec un gloussement de victoire, le Premier-damné plongea ses griffes dans l’écorce de l’arbre vénérable. Des toiles de ténèbres s’insinuèrent par les plaies, fouissant le bois du Chêne des Âges.
La Trame sursauta alors, et le monde lui répondit en tremblant. Le ciel s’assombrit, et le sol gronda de douleur. Partout dans la Clairière Éternelle, les Esprits des Forêts s’affaiblirent, et ceux que le déséquilibre de la Trame n’avait pas rendus fous sentirent la démence assaillir leur âme. Drycha se désintéressa de son duel et vit Be’lakor s’agripper au Chêne des Âges comme une sangsue. L’aigreur millénaire céda la place à la conscience d’avoir été utilisée. Elle oublia Malékith et s’élança vers le Chêne des Âges, laissant se désagréger la cage végétale qui retenait le Roi de l’Éternité faute de concentration. Elle fit deux pas avant que la lame de Malékith la décapité. Alors que Seraphon se délivrait des dernières vignes et s’envolait vers Be’lakor, Malékith renifla. L’intention de Drycha était évidente, mais il n’aurait pas souffert un allié aussi peu fiable, même en une heure si sombre.
Le rire de Be’lakor gagnait en volume tandis que la Trame tremblait. Il pouvait déjà sentir le regard des dieux se tourner vers lui, attirés par la corruption qu’il créait. Il fouilla encore plus profondément, diffusant son ombre impie plus loin et plus vite - trop vite, car si le Premier-damné avait été moins emporté, il n’aurait peut-être pas été pris au dépourvu par la suite des événements.
Soudain, une lumière éclatante perça l’écorce du Chêne des Âges, une clarté si puissante que les vrilles d’ombre de Be’lakor se flétrirent devant elle. La Trame lutta pour retrouver son équilibre, les secousses diminuèrent et le ciel commença à s’éclaircir.
Be’lakor retira ses serres en hurlant, mais la lumière ne diminua pas, bien au contraire. De la fumée montait de la peau du Premier-damné là où la lumière le touchait, de petites flammes dévorant sa chair démoniaque. Comme il reculait, le tronc du Chêne des Âges s’ouvrit comme une fleur éclose. Les yeux mi-clos de Be’lakor virent un chevalier au heaume altier se découper devant la lumière aveuglante. Les deux s’observèrent un instant, la silhouette auréolée et le Démon ténébreux. Puis une épée de feu ondoyant fut brandie, des sabots tonnèrent, et le Prince Tyrion chargea droit sur Be’lakor.
Beaucoup se tournèrent pour observer la scène qui se déroulait au Chêne des Âges, mais peu surent exactement ce qu’il se passait. Les dernières Démonettes sentirent, plus qu’elles ne virent, la lumière purificatrice qui s’était invitée sur le champ de bataille, et éprouvèrent une peur inhabituelle. Et elles prirent la fuite. Les autres virent une explosion de lumière foncer sur Be’lakor qui reculait. Son souffle chassait la folie de l’âme des Esprits des Forêts et des Elfes, Wildkin et cultistes inclus. Les premiers s’évanouirent dans les bois, désemparés à l’idée de la catastrophe qu’ils avaient été sur le point de provoquer. Les cultistes tombèrent à genoux, implorant le pardon de leurs adversaires. Hélas, la miséricorde n’avait pas cours ce jour-là, et la plupart périrent malgré tout. Seule Hellebron n’éprouvait aucun remords. Toutefois, ne voyant que la défaite se profiler, elle quitta son trône et s’enfuit de la clairière sacrée en faisant vœu de vengeance.
Be’lakor aurait fui sans attendre s’il n’avait pas entendu le rire des dieux résonner dans son esprit. Leur raillerie, et la colère qu’elle éveilla en lui, le poussa à affronter Tyrion. De la Magie d’ombre fila des doigts du Premier-damné, invoquant des lames pour taillader son adversaire, et des illusions pour assaillir son âme. Ce fut une attaque redoutable, qui aurait fait chanceler l’ancien Tyrion, mais le Dragon de Cothique était devenu bien plus que ce qu’il était autrefois.
Avant de mourir, Tyrion avait été consumé par la malédiction de sa lignée. Désormais, grâce à la puissance latente des ossements divins d’Ariel et à la Magie du Cœur d’Avelorn, il était ressuscité, réuni avec sa vieille épée et son fidèle destrier Malhandir. La Flamme d’Ulric, que Teclis avait dérobée à Middenheim, donnait de la force à Tyrion. Le Vent de la Lumière, dont Teclis avait été le réceptacle jusque-là, l’avait fait de lui plus qu’un simple guerrier. Tyrion était désormais l’Incarnation de la Lumière, et son essence même était un anathème pour les serviteurs des Dieux du Chaos.
Croc du Soleil s’embrasa, puis tailla dans les enchantements de Be’lakor et dans la chair du Premier-damné. Be’lakor para la deuxième attaque avec sa lame d’ombre, tout en sachant déjà que la bataille était perdue. Ses alliés étaient morts ou en déroute, et il pouvait sentir sa peau brûler lentement par la seule présence de Tyrion. Lâchant un juron qui devait autant à la douleur qu’à l’humiliation, le Premier-damné s’éclipsa dans les ombres, en essayant d’ignorer le rire moqueur des dieux.
La bataille était gagnée, mais peu se sentirent triomphants. Les défenseurs avaient beaucoup souffert. Au moins la moitié de ceux qui avaient pris les armes aux côtés de Malékith et d’Alarielle était tombée. Davantage auraient péri si la Reine Éternelle n’avait pas erré parmi les blessés pendant de longues heures, offrant sa propre vitalité pour restaurer celle des autres. Rares furent les survivants qui tirèrent satisfaction du carnage. Hormis les Démons, les morts étaient tous des parents, fils d’Ænarion ou enfants de la grande forêt. La tragédie était aggravée par le fait que leurs forces manqueraient terriblement lors des jours à venir.
Les renforts du Prince Imrik arrivèrent à la Clairière Éternelle juste après la fuite de Be’lakor. Malékith les aurait volontiers conduits à la poursuite des derniers Démons. Toutefois, il faisait partie des souffrants requérant les soins de la Reine Éternelle - même sa volonté ne pouvait contenir les effets du poison de Lamenoire à jamais. Imrik partit donc harceler les Démonettes jusqu’à la faille qu’elles avaient utilisée pour atteindre la Clairière Éternelle. Le prince se battit tel un possédé, furieux contre lui-même pour avoir été retardé pendant que ses souverains se trouvaient au bord de la défaite. Ses compagnons racontèrent comment la colère du prince avait empiré après qu’il vit le pont de chair difforme qu’était naguère Naieth. Les Démons livrèrent une dernière bataille dans la clairière qui servait de demeure à la prophétesse, et les restes de Naieth brûlèrent avec les arbres.
Il y avait malgré tout des raisons de se réjouir. La Trame s’était stabilisée suite à la défaite de Be’lakor. Elle était loin d’être complètement réparée, mais le point de rupture était devenu une perspective plus lointaine que ces derniers jours. Le Chêne des Âges s’était remis de l’étreinte de Be’lakor. La lumière de la renaissance de Tyrion purifia une bonne part de la corruption de l’arbre, et les Mages travaillèrent longtemps à assainir le reste. Comme c’était trop souvent le cas en ces jours tragiques, ils ne purent pas entièrement défaire ce qui avait été fait, et cet échec entachait le bien qu’ils avaient accompli.
À la nuit tombée, Tyrion resta à l’écart des autres Elfes, et alla s’asseoir seul au nord de la Clairière Éternelle. Sa lumière s’était retirée dans son âme jusqu’à la prochaine fois où son pouvoir serait requis. Il n’y eut pas d’acclamations pour le retour de Tyrion, pas d’accueil chaleureux pour un héros disparu - les blessures qu’il avait causées en tant qu’Avatar de Khaine étaient encore vives. En vérité, Tyrion ne se rappelait guère des semaines qui avaient précédé sa mort. Chaque souvenir était embrumé par l’ombre et le sang, ne laissant que des images floues et horribles.
Tyrion savait que des flèches visaient son cœur depuis le couvert des bois. Autrefois, il se serait rageusement offensé d’un tel traitement, mais la mort et la résurrection lui avaient apporté un calme qu’il n’avait jamais éprouvé. Il n’y avait rien à gagner à se quereller avec les siens. Ainsi donc, Tyrion attendit silencieusement que son destin se révèle.
Quant à Be’lakor, il s’était effacé dans les ombres de la forêt, et son esprit retors imaginant un moyen de retirer quelque chose du désastre. Le plan d’Archaon était sur le point de porter ses fruits, mais le Premier-damné avait encore le temps de supplanter le mortel arrogant.
Archaon entra dans la pièce sombre pour la cinquième fois en autant de jours. Comme d’habitude, une coterie de cultistes en robes entourait l’artéfact. Ils marmonnaient des incantations qui - l’Élu
le savait - étaient plus théâtrales que mystiques. Aucun ne remarqua l’arrivée d’Archaon. « Pouvons-nous commencer ? » demanda l’Élu, sa voix grave se réverbérant sur les murs polis. Le sorcier du culte, dont le masque doré trahissait le rang, trottina avec précipitation sur le tapis de pierres brisées. Il se prosterna obséquieusement devant Archaon, au point que le nez crochu de son masque sembla gratter presque le sol. « Il s’anime. » Sans relever la tête, le sorcier tendit le bras vers le centre de la pièce. « Voyez comme il brille. » Archaon regarda directement l’artéfact, espérant un changement. Ses yeux mortels ne virent rien d’extraordinaire hormis l’habituel globe noir suspendu entre deux hémisphères d’or. Mais en l’observant avec l’Œil de Sheerian, il vit des couleurs ondoyer sur sa surface, et une étrange lueur émaner du métal. |
« Pouvons-nous commencer ? » demanda à nouveau Archaon, en se permettant d’ajouter une touche de menace dans le ton de sa voix. Le sorcier bondit sur ses pieds pour croiser le regard d’Archaon. - Si telle est la volonté des Dieux Sombres. » Sous son casque, les lèvres d’Archaon se tordirent en un rictus de mépris. Le sorcier était un fervent adepte des Dieux du Chaos, aussi étroit d’esprit que les fidèles d’Ulric qui s’étaient installés à Middenheim. Pathétique. « Éveille-le, ordonna Archaon. Les dieux s’impatientent, et moi aussi. - Une offrande d’âmes sera nécessaire, l’avertit le sorcier. - Alors fais-le. L’excavation est terminée, mais les esclaves peuvent encore servir les dieux. - Comme nous tous. » plaça le sorcier, ce qui lui valut un autre sourire dédaigneux, mais imperceptible. L’Élu des Dieux sortit de la salle sans rien ajouter. La fin était proche. |
Pendant que Tyrion patienta à la lisière de la Clairière Éternelle, le reliquat du conseil rapproché de Malékith se réunit au pied du Chêne des Âges. La guerre avait prélevé son tribut sur l’assemblée, tout comme sur la forêt dans son ensemble. Beaucoup avaient trouvé la mort en défendant Athel Loren, et ceux qui restaient comptaient parmi les plus grands héros du royaume. Malékith, Alarielle et Durthu étaient déjà présents sur le site sacré. Vers minuit, Imrik, Lileath et Alith Anar se joignirent à eux.
Malékith avait également convoqué Teclis à la réunion, bien qu’il y eût moins d’honneur que de méfiance dans cette invitation. Le Mage était apparu juste après que Be’lakor eut fui - pour le plaisir évident d’Alarielle et les soupçons tout aussi manifestes de Malékith. Tous deux avaient cru Teclis perdu avec Ulthuan, mais là où la Reine Éternelle interprétait ce retour comme un signe de bon augure, le Roi de l’Éternité y vit la confirmation que le Mage l’avait manipulé. Aussitôt le conseil réuni, Malékith demanda à Teclis de s’expliquer.
Les doutes du Roi de l’Éternité ne furent pas vraiment dissipés quand Teclis affirma que Tyrion ne tenterait pas de revendiquer la royauté, que son frère désirait seulement se battre pour préserver son peuple du Rhana Dandra. Le Roi de l’Éternité se fiait aux motifs de Tyrion encore moins qu’à ceux de Teclis, et estima que ces assurances ne valaient rien. Et il était loin d’être seul à le penser. Imrik et Durthu ne se souvenaient que trop bien de la guerre contre l’Avatar de Khaine, des crimes commis par Tyrion que le bien qu’il avait fait ce jour ne rachetait pas. Même Alarielle, qui avait été l’amante de Tyrion, ne pouvait se résoudre à prendre sa défense. Elle lui avait fait don du Cœur d’Avelorn par amour, même en sachant que cet amour serait détruit si la Magie du joyau devait jamais s’employer. Les sentiments que la Reine Éternelle avait jadis éprouvés pour Tyrion étaient désormais tombés en poussière, et le souvenir de ses péchés en Ulthuan hantait amèrement son esprit.
Teclis avait ses propres incertitudes quant au chemin qu’il avait suivi, mais il les enfouit profondément. Il expliqua que cela avait toujours été le destin de Tyrion de devenir l’Incarnation de la Lumière. Or, si cela s’était produit pendant qu’il était sous le coup de la Malédiction d’Ænarion, ce pouvoir aurait été soumis à la volonté de Khaine, ou de dieux plus sombres encore. Il avait donc fallu placer Tyrion sur une voie qui permettait de tarir la malédiction. Sans les Incarnations, argua Teclis, il n’y avait aucune chance de victoire au Rhana Dandra.
Les auditeurs du discours de Teclis furent horrifiés - tous sauf deux. Malékith fut secrètement impressionné par le plan impitoyable du Mage, qui avait sacrifié des milliers de ses compatriotes - y compris sa nièce - pour atteindre ses objectifs. Il était si audacieux qu’il lui valut le respect, aussi inédit qu’insolite, du Roi de l’Éternité, encore que Teclis n’en eût tiré aucune satisfaction s’il l’avait su.
Lileath non plus ne s’émut pas du récit de Teclis, notamment parce que c’était elle qui avait imaginé ce plan. En outre, elle savait une chose que Teclis ignorait : il n’y avait pas de victoire possible au Rhana Dandra. Les Incarnations n’existaient que pour distraire et affaiblir les Dieux du Chaos, afin que le Havre puisse perdurer. Elle pouvait encore sentir sa présence par-delà le voile du monde des mortels, un domaine de Magie dans lequel sa fille développerait son pouvoir divin, et créer un jour une existence hors de la portée du Chaos. C’était un rêve qui méritait qu’on meure pour lui, et Lileath veillerait à ce que tous ces sacrifices soient consentis. Les innombrables pertes enregistrées jusque-là n’étaient rien comparées à celles des guerres désespérées à venir. Elle n’en dit rien, bien entendu, mais parla calmement d’unité. Quoi que Tyrion ait fait par le passé, rappela-t-elle au conseil, on aurait sûrement encore besoin de lui.
Seul Alith Anar resta muet, comme de coutume. Il n’était pas là pour conseiller, ni pour servir. Il participait uniquement pour guetter les signes que Malékith revenait à ses anciens vices. Il se moquait du sort de Tyrion.
Bien que devenue mortelle, la parole de Lileath avait toujours du poids, même pour Malékith. Tyrion fut finalement amené devant le conseil restreint, et s’agenouilla humblement devant le roi et la reine. Néanmoins, même un aveugle aurait perçu la tension ambiante. Malékith craignait qu’Alarielle et Tyrion conspirent pour lui ravir sa couronne, tandis que pour Alarielle, Tyrion avait les mains couvertes du sang indélébile de nombreux amis. Imrik, quant à lui, remarqua le froid qui régnait entre Tyrion et Teclis. Il semblait que le prince ne pardonnait pas ses manipulations à son parent le plus proche. Pour sa part, Imrik ne s’en souciait guère. Le Prince Dragon avait placé depuis longtemps la défense de son peuple au-dessus de toute autre considération. Les suspicions et les sentiments heurtés de ses alliés ne le concernaient pas.
Le conseil ne se conclut par aucune célébration, seulement une nuit de sommeil agité. Tous ne cherchèrent pas le repos. Tyrion et Alarielle s’éloignèrent de la Clairière pour converser à voix basse jusqu’à ce que l’aube illumine l’horizon.
Nul ne sut jamais ce qu’ils se dirent cette nuit-là, encore que ceux qui croisèrent la reine après qu’elle eut quitté Tyrion notèrent la dureté de son regard et la froideur de son expression.
Le lendemain matin, Caradryan emmena la colonne des survivants éreintés d’Esdari Corrin dans le Bosquet Éternel. Les lames furent dégainées et des protestations proférées contre la témérité du capitaine. Permettre à des humains - et pire, à des Nains - d’entrer dans le lieu plus sacré d’Athel Loren était un blasphème suprême. Les Dryades se pressèrent autour des intrus et les Elfes encochèrent leurs flèches, à l’affût de la moindre félonie qui justifierait de les attaquer.
Il s’en fallut de peu pour qu’éclate une bataille désastreuse. Quoique peu enclin aux discours, même libéré de son serment à Asuryan, Caradryan avait recommandé la prudence avec insistance aux réfugiés d’Averheim - un conseil que l’Empereur, Gelt et Hammerson ne manquèrent pas d’appuyer. Jerrod et ses chevaliers n’avaient pas besoin d’avertissement. Athel Loren nourrissait les légendes des Bretonniens, et ces histoires se finissaient rarement bien pour les intrus. Ainsi, malgré les provocations, les armes restèrent à l’étui tandis que Caradryan parlait de la bataille d’Esdari Corrin.
Alarielle, Malékith et Tyrion sentirent tous que Caradryan et Gelt possédaient désormais un pouvoir semblable au leur. En outre, ils percevaient l’essence d’Azyr drapée autour des épaules de l’Empereur. C’étaient là trois des quatre vents qui avaient échappé à Teclis lors de dissolution du Grand Vortex. L’arrivée de leurs Incarnations à Athel Loren - et peu de temps après le retour de Tyrion - apportait du crédit aux dires de Teclis et de Lileath.
Pendant ce qui sembla une éternité, Elfes, Nains et humains se fixèrent en silence. Malékith, sentant que les événements échappaient à son emprise, connut un moment d’indécision inhabituel. Ce fut donc sur injonction d’Alarielle que les Dryades se volatilisèrent entre les arbres et que les Elfes baissèrent leurs armes. La Reine Éternelle parla sur un ton froid et clair d’un monde révolutionné en un temps très bref, et de la nécessité d’oublier les anciennes inimitiés. Elle ordonna que les nouveaux venus soient accueillis en invités et alliés estimés, et remercia Caradryan de les avoir guidés jusqu’à la Clairière Éternelle. Beaucoup d’Elfes attendirent la confirmation de Malékith. Celle-ci ne vint pas tout de suite. Puis le Roi de l’Éternité, avec une mine indéchiffrable, hocha sèchement de la tête pour ratifier la décision de la reine. Dans le même temps, personne ne vit le léger signe de tête entendu entre Tyrion et l’Empereur. Personne, hormis le vigilant Alith Anar, qui se demanda ce que cela augurait.
Un second conseil se tint donc bientôt sur le même site que le premier, et qui dura bien après le crépuscule. L’Empereur évoqua la chute d’Averheim et le pillage de l’Empire qui l’avait précédée. Aussi fin diplomate qu’à l’accoutumée, il loua abondamment les mérites de Jerrod et Hammerson, et parla longuement du sacrifice d’Ungrim Poing de Fer et de ses Tueurs.
Alarielle retraça la guerre d’Ulthuan, et des périls qui pesaient sur Athel Loren et sur la Trame. Elle exposa les faits en termes soigneusement choisis, sans jamais les déformer, mais épargna certains détails à l’auditoire. Elle ne fit pas mention du rôle de Tyrion dans la ruine d’Ulthuan, mais de celui de l’Avatar de Khaine, comme s’il s’agissait d’une personne différente. Elle passa sous silence les nombreuses trahisons qui avaient miné les Elfes, la dernière en date étant celle de Hellebron. Ces choses étaient trop honteuses pour les partager avec des étrangers, et aucun membre du conseil ne sembla désapprouver, puisque personne ne corrigea Alarielle.
Ensuite, la reine demanda à Teclis d’expliquer à nouveau comment il avait rompu le Grand Vortex, et cherché à créer des Incarnations assez puissantes pour s’opposer aux Dieux du Chaos. Gelt opina silencieusement du chef, comme si une énigme restée longtemps sans réponse trouvait soudain sa solution. Le sorcier interrompit Teclis, en s’enquérant des Vents de la Mort et de la Bête. Teclis hésita avant de lui répondre, puis annonça que Shyish avait été volé bien avant la destruction du Grand Vortex, et admit que Ghur se cachait à ses perceptions. Jusqu’à ce qu’ils soient retrouvés, ou que leurs réceptacles soient persuadés de la nécessité de combattre le Chaos, le pouvoir des Incarnations serait morcelé.
Le Duc Jerrod n’écouta guère les discussions du conseil. Son attention était happée par Lileath, dont les traits lui rappelaient quelqu’un qu’il ne parvenait à identifier. Il ignorait qu’elle avait jadis été Ladrielle, la Dame bénie de Bretonnie. Lileath ne fit rien pour l’éclairer. De tous ceux qu’elle avait utilisés pour assurer la création du Havre, les Bretonniens avaient subi le pire, leur société tout entière ayant été façonnée comme une arme à brandir ou à jeter à loisir. En tant que déesse, Lileath se moquait de ces manipulations. En tant que mortelle, elle en éprouvait de l’inconfort, malgré leur nécessité.
Toutefois, c’était une chose que de comprendre les événements qui les avaient tous conduits là, mais c’en était une autre que de définir ce qu’il fallait faire ensuite. Et il apparut que le temps manquerait pour en débattre. Dans la nuit, des éclaireurs à dos de faucons arrivèrent des montagnes. Ils apportaient la nouvelle de ténèbres mystiques déferlant de l’est, d’une armée des morts approchant des frontières d’Athel Loren.
Les Elfes réagirent sur-le-champ. La Trame de la grande forêt était déjà déséquilibrée - si des Morts-Vivants venaient à pénétrer dans ses bois, la victoire sur Be’lakor aurait été vaine. Le conseil se sépara quelques minutes après l’arrivée des messagers, prenant avec eux toutes les troupes pouvant marcher. Bien qu’exténués, l’Empereur et Gelt les accompagnèrent, et les Zhufbarak, peu enthousiastes à l’idée d’être laissés au milieu d’une place forte elfique, partirent également.
Conduits sur les sentiers secrets par des guides muets, les six Incarnations arrivèrent à la lisière de Wydrioth alors que l’armée des morts approchait. Les lignes de bataille furent déployées en hâte. Des bannières aux motifs et aux couleurs disparates s’élevèrent ensemble; pour la première fois depuis d’innombrables générations, Elfes, Nains et humains s’apprêtaient à combattre côte à côte.
Devant eux avançaient un ost lugubre, une armée d’os nettoyés par les vers et d’ailes en lambeaux, de flammes spectrales luisant comme des feux follets dans la pénombre. Les morts s’écoulaient en silence le long du flanc de la montagne, canalisés par une volonté étouffante. Nagash était venu à Athel Loren.
Mannfred von Carstein ne fit rien pour se dissimuler en guidant Ashigaroth vers la ligne hétéroclite qui s’était formée à l’orée de la forêt. Bien qu’il répugnât à l’admettre, ses sorts d’occultation n’auraient pas suffi à tromper les Mages et les sorciers qui l’attendaient en aval. Il allait devoir se fier à la curiosité de ses adversaires, et à un sens déplacé
de l’honneur, pour se préserver du danger. Il sembla que le Vampire avait vu juste. Aucune flèche, aucune balle ni aucun sort ne vint l’assaillir quand les griffes d’Ashigaroth se fixèrent sur un rocher devant les murs de boucliers. Mannfred se délecta un instant de la sensation de centaines d’yeux rivés sur lui, et de la peur mal dissimulée des vivants. « Crache le morceau, abomination, et va-t’en… ou tu seras détruit. » C’était Malékith qui avait parlé, avec une voix curieusement métallique du fait de son masque. Il n’y avait aucune peur dans le ton du roi des Elfes, aucune appréhension - il n’y avait pas de proie ici, après tout. La déception de Mannfred se teinta de soulagement. Traiter avec les vivants était déjà suffisamment dégradant - négocier avec une proie aurait été parfaitement inacceptable. Malgré cela, quand il répondit, Mannfred parvint à peine à cacher son dégoût. « Le grand Nagash, Souverain Éternel de Nehekhara, Maître de l’Outre-monde et Seigneur Suprême des Morts-Vivants… »; il marqua une pause, les prochains mots lui brûlant la langue, « … souhaite parlementer. » |
Chapitre IV : AU BORD DE L’ABÎME - Automne 2528[modifier]
Une semaine après l’arrivée de Nagash, un conseil réunissant les diverses Incarnations eut lieu dans la Clairière du Roi. Évidemment, la tension était palpable. Même si elles essayaient de le cacher, les diverses Incarnations elfiques restaient méfiantes les unes envers les autres. De plus, les Elfes ne faisaient confiance ni à Gelt, ni à l’Empereur. Quant à Nagash, il suscitait la défiance de tout le monde.Au cours de la première rencontre sur les flancs de la montagne une semaine plus tôt, il avait été évident que l’armée de Nagash, en dépit de sa taille respectable, n’était pas de taille face aux Incarnations et à leurs alliés. Pour couronner le tout, le Grand Nécromancien n’était plus l’être prééminent qu’il avait été, car il avait perdu une grande partie de son pouvoir en même temps que la Pyramide Noire. Le pouvoir de la mort magnifiait ses talents, toutefois il n’aurait jamais pu vaincre lors d’un combat les six Incarnations qui lui faisaient face, et ce bien que l’Empereur ne commandât plus à la puissance d’Azyr.
Assurément, certains voyaient la faiblesse de Nagash comme une occasion non pas de s’allier à lui, mais de le rayer une bonne fois pour toutes de la surface du monde. Malékith était de cet avis, et Gelt s’était rallié à cette opinion. Caradryan n’avait rien dit, mais cela n’avait surpris personne. Au début, Alarielle et Tyrion étaient indécis, sans doute parce que ce dernier avait récemment eu un aperçu de l’utilité de toute chose, y compris les plus maléfiques, toutefois ils ne tentèrent pas de s’opposer à la diatribe de Malékith. La Reine Éternelle et son étrange consort ne savaient que trop bien que le retour de Nagash n’avait été possible que grâce à la mort de leur fille Aliathra.
Seul l’Empereur avait osé interrompre le Roi de l’Éternité en affirmant que Nagash était indispensable pour leur survie : il leur rappela que les derniers bastions du monde pur vacillaient, et que leurs différends ne pouvaient que servir à précipiter leur chute.
Malékith avait sombré dans le mutisme suite au discours de l’Empereur. Teclis, qui craignait que son plan échoue, saisit cette occasion pour rappeler à ses alliés que la naissance des Incarnations n’avait été possible que parce que Nagash s’était lié en premier au vent de la Mort, et il laissa sous-entendre que le Grand Nécromancien était toujours essentiel à leur survie à tous. Néanmoins, Teclis vit que ses paroles n’étaient pas parvenues à convaincre les autres; le souvenir de ses trahisons était trop récent pour qu’on lui fasse totalement confiance.
Malékith répondit en émettant l’hypothèse que seul comptait vraiment le vent de la Mort : il suffisait de tuer Nagash et de lier Shyish à une créature plus facilement contrôlable. Gotri Hammerson, qui connaissait bien les rancunes de son peuple envers Nagash, acquiesça sombrement, du moins jusqu’à ce qu’il se rappelle que les propres méfaits de Malékith envers les Nains auraient pu remplir tout un Livre des Rancunes.
Teclis objecta en soulignant qu’aucun être capable d’assimiler le vent de la Mort ne pouvait être plus fiable que Nagash. Malékith suggéra alors comme candidat le Duc Jerrod, car en tant que souverain d’un royaume anéanti, il était tout à fait approprié pour assumer ce rôle. Jerrod se serait sans doute jeté sur Malékith après un tel outrage - et serait sans doute mort sur-le-champ - si Lileath n’était pas intervenue. La déesse redevenue mortelle calma la colère du Duc en quelques mots apaisants, même si par la suite, Jerrod fut incapable de se rappeler précisément ce qu’elle avait dit.
Pour sa part, Lileath souhaitait qu’on laisse au moins laisser parler Nagash devant le conseil. Ses paroles eurent à peine plus d’effet que celles de Teclis, mais elle n’abdiqua pas. Le Havre restait constamment présent dans son esprit, et lui rappelait ce pour quoi elle s’était battue et avait consenti à des sacrifices. Elle savait que si les Incarnations ne s’unissaient pas, les dieux du Chaos dévoreraient le monde, puis tourneraient leur attention vers le Havre. Par désespoir, elle évoqua son héritage divin, à la fois en tant que Lileath de la Lune et que Ladrielle du Voile. Toutefois, cela n’eut guère d’effet, à part lui attirer un regard inquisiteur de la part de Mannfred von Carstein. Lors de ses études occultes, il avait appris un secret à propos de Ladrielle, si bien que les déclarations de Lileath l’éclairèrent enfin sur sa double personnalité.
Nagash restait silencieux tandis que les mortels débattaient à son sujet. Il trouvait amusant que les Elfes se disputent alors que leurs armées étaient prêtes à la guerre, néanmoins il ne fit rien pour argumenter. Personne ne s’adressait à lui, et il ne tenta pas d’intervenir, et ne permit pas non plus à Arkhan ou à Mannfred de parler en son nom. Sa fierté était toujours blessée d’avoir dû chercher des alliés, cependant il était ravi de voir la consternation que provoquait sa venue. Il était intimement persuadé que les mortels finiraient par accepter de s’allier à lui. Après tout, si sa fierté de Mort-Vivant avait fini par céder devant la nécessité, comment les morales vacillantes des vivants pourraient être un obstacle à une entente ? Ainsi, le Grand Nécromancien n’éprouvait pas le besoin de parler; il savait qu’une seule issue était possible à ce débat.
Néanmoins, dans son arrogance, Nagash ne se douta pas que sa conduite pouvait renforcer la détermination de ses interlocuteurs à lui faire plier l’échine. Au fil des minutes, il devint clair que la rhétorique implacable de Malékith convainquait les Incarnations. Nagash ressentit une étincelle de frustration, mais celle-ci disparut bien vite, car il avait prévu cette éventualité. Il sortit donc de son mutisme et s’adressa aux Incarnations en leur offrant un présent qu’ils ne pouvaient pas refuser.
« VOS CRAINTES SONT INFONDÉES. NAGASH N’A QU’UNE PAROLE. »
Mannfred observait la scène tandis que les Incarnations se taisaient comme le Grand Nécromancien sortait enfin de son mutisme. Évidemment, Malékith fut le premier à répondre. « N’importe quel traître dirait la même chose. » - CERTES. C’EST POURQUOI JE VOUS OFFRE UN PRÉSENT EN GAGE DE BONNE VOLONTÉ. » Le Roi de l’Éternité eut un rire sec. « Un présent de votre part n’est la preuve de rien. » Mannfred était plus attentif que jamais. Nagash n’avait pas parlé du moindre présent. Il jeta un regard à Arkhan, mais le visage inexpressif du liche ne lui dévoila pas le moindre indice. « CERTES, » répéta Nagash, mais cette fois avec une pointe de malice dans la voix. « JE VOUS AI FAIT DU TORT, CEPENDANT L’OFFENSE INITIALE N’ÉTAIT PAS DE MON FAIT. » Mannfred vit que Malékith allait réagir mais qu’Alarielle le devança. « Vous faites sans doute allusion à ma fille ? » demanda la Reine Éternelle d’une voix amère mais agitée de trémolos. « Nous ne marchanderons pas l’âme d’Aliathra ! » intervint Tyrion sur un ton menaçant. « CE N’EST PAS MON INTENTION. ELLE EST DÉJÀ UN METS À LA TABLE DU PRINCE NOIR. » Mannfred nota que cette pique eut l’effet escompté. « AU LIEU DE CELA, JE VOUS OFFRE LE RESPONSABLE DE SA MORT, AFIN QUE VOUS EN DISPOSIEZ COMME VOUS L’ENTENDEZ. » Mannfred comprit enfin de quoi il retournait. Arkhan avait tué Aliathra afin de ressusciter Nagash. C’était donc pour cela que Neferata avait hérité de la Sylvanie : Nagash avait prévu de sacrifier Arkhan aux Elfes, et comptait sur Mannfred pour devenir son bras droit. Une seconde plus tard, Mannfred tomba lourdement au sol lorsque Ashigaroth rua pour le désarçonner. Avant qu’il puisse se relever, Nagash prononça un unique mot de douleur et un cocon d’améthyste enveloppa le Vampire. La dernière pensée de Mannfred fut de se maudire d’avoir été si naïf. |
Nagash avait pesé le pour et le contre en sacrifiant Mannfred. Aucun des Elfes ne savait que techniquement, c’était Arkhan qui avait tué Aliathra, en revanche ils savaient que le Vampire l’avait capturée et l’avait torturée. Comme Nagash s’y attendait, son cadeau eut l’effet escompté. Tyrion et Alarielle furent satisfaits de pouvoir venger la mort de leur fille, et ils déclarèrent qu’ils accordaient à Nagash le bénéfice du doute. Finalement, Malékith et Gelt acceptèrent l’idée d’une alliance.
C’est ainsi que Nagash fut autorisé à pénétrer sous les frondaisons d’Athel Loren. Seul Arkhan avait la permission de l’accompagner, ainsi qu’un autre inconnu encapuchonné arrivé le lendemain. Krell et l’armée du Grand Nécromancien devaient rester sur les flancs des montagnes à l’extérieur de la forêt, sous la surveillance constante des Elfes. Autoriser un ost de Morts-Vivants à entrer dans les bois n’aurait apporté qu’un danger de plus à un royaume déjà menacé de toutes parts.
Évidemment, Nagash ne pouvait pas aller et venir librement. Deux Incarnations et une escorte de Sœurs de l’Épine l’accompagnaient où qu’il allât. Cependant, il ne fit rien pour tenter d’échapper à l’attention de ses gardiens, et observait presque tout le temps un silence de mort. En une occasion, il réduisit une harde d’Hommes-Bêtes en poussière avant même que son escorte puisse réagir. Alarielle l’avait remercié froidement, mais le Grand Nécromancien n’avait rien répondu. Son geste n’avait pas été dicté par une quelconque amitié, mais avait servi simplement à rappeler à ses alliés de circonstance que même les pouvoirs opposés de la vie et de la mort pouvaient s’unir contre un ennemi commun.
Quant à Mannfred, quand son cocon d’améthyste avait fini par disparaître, il s’était retrouvé dans une cage de racines, sous le sol de la Clairière Éternelle. Les enchantements de cette prison étaient si puissants que même lui était incapable d’invoquer le moindre sort. Pire encore, Mannfred sentait son pouvoir s’étioler alors que le Chêne des Âges drainait la Magie qui lui permettait d’exister, et la canalisait dans les jeunes pousses des alentours. C’était un processus aussi lent que douloureux. Mannfred comprit qu’il faudrait des siècles avant qu’il soit finalement réduit en carcasse desséchée. En dépit de la colère et des souffrances qu’il éprouvait, il reconnaissait que la vengeance d’Alarielle était aussi cruelle qu’ingénieuse.
À sa grande surprise, aucun Elfe ne venait le narguer dans sa cellule, alors qu’à leur place, il n’aurait pas hésité une seconde. Il n’eut donc pas l’occasion d’accuser Arkhan d’avoir tué Aliathra. De toute façon, personne ne l’aurait cru. Néanmoins, il ne passa pas ses journées totalement seul.
Le deuxième jour de son emprisonnement, une silhouette grande et sombre pénétra dans la pièce. Vlad ne dit pas un mot. Au lieu de cela, il tendit la main droite, afin que Mannfred puisse contempler l’anneau en or des von Carstein, celui qui avait permis tant de fois au patriarche de cette lignée de ressusciter. Esquissant un sourire de satisfaction, Vlad s’en alla ensuite aussi silencieusement qu’il était venu. Après cela, les cris de rage de Mannfred retentirent jusque dans la clairière des heures durant.
Be'lakor était toujours en train de récupérer de ses blessures au plus profond du Bois des Ombres lorsqu’il perçut les cris de Mannfred portés par le vent. Le Premier des Damnés avait compris qu’Athel Loren devenait le théâtre d’événements décisifs, même s’il ne savait pas encore lesquels. Néanmoins, il était à l’affût de la moindre opportunité afin de tirer son épingle du jeu.
Les lourdes portes en chêne du temple profané de Middenheim s’ouvrirent à la volée. Le fracas du bois brisé résonna dans la salle, avant d’être étouffé par une voix tonitruante.
« Qu’est-ce donc que cela ?! » s’indigna Ka’Bandha. Un des guerriers des Épées du Chaos s’était retrouvé coincé au pied du Buveur de Sang par le battant de la porte arraché de ses gonds, et il essaya de se libérer. Ka’Bandha le vit bouger, et réduisit sa tête en pulpe sous son énorme sabot en poussant un grognement de colère. Le tintement de l’acier résonna dans le temple tandis que des silhouettes en armure noire s’approchaient pour barrer le passage au Démon. Archaon ne dit rien et se contenta de lever le poing. Comme un seul homme, les Guerriers du Chaos retournèrent à leurs postes près des murs, sans toutefois rengainer leurs armes. « Tu t’oublies, Démon, » déclara Archaon en se levant de son trône. Il s’attendait à la venue du Buveur de Sang. De fait, cette confrontation était même vitale pour son plan. « Je suis l’Élu des Dieux, l’instrument de ton seigneur en ce monde. Oserais-tu te présenter ainsi devant son trône ? » « Tu n’es qu’un misérable mortel, » gronda Ka’Bandha. « Je ne t’ai suivi que tant que tu nous menais vers de glorieux massacres. Je ne suis pas un contremaître surveillant des esclaves… « Ces esclaves dont tu parles œuvrent pour la gloire de ton dieu. Ce qui est caché sous cette ville versera plus de sang que toutes les haches jamais forgées. Et pour cela, j’ai besoin d’esclaves. D’énormément d’esclaves. À moins que le grand Ka’Bandha souhaite se charger seul de ces travaux ? - JE T’INTERDIS DE ME NARGUER ! » La hache du Démon étincela et coupa en deux le pilier le plus proche. De la pierre et un nuage de poussière tombèrent en cascade comme une partie du plafond s’effondrait. Archaon ne bougea pas tandis que Ka’Bandha avançait vers lui en fulminant. « J’accomplis la volonté de ton maître, » dit Archaon d’un ton posé. « Frappe-moi si tu en doutes. Nous verrons si Khorne te punit ou te récompense pour un tel geste. » Ka’Bandha feula et recula d’un pas. Archaon savait que le Démon était bien trop fier pour s’agenouiller, mais il n’en avait cure. Seule son obéissance lui importait. L’obéissance, et la victoire finale. « Le sang doit continuer de couler, » gronda Ka’Bandha. « C’est le cas. Seul cet insignifiant royaume sylvestre tient encore. - L’Empereur t’a échappé. » |
Archaon répondit sur un ton dédaigneux. « En tant que maître de l’Empire, il était une menace. En tant qu’Incarnation des Cieux, c’était un adversaire digne de ce nom. Désormais, il n’est plus qu’un homme, privé de son pouvoir et de ses armées. Je l’ai vaincu. Les Dieux Sombres m’ont apporté la victoire que je désirais, maintenant c’est à moi de leur offrir celle que je leur ai promise. - Tu te trompes en le croyant défait. Et son crâne appartient à Khorne. » Archaon rit et s’amusa de voir le Démon s’offenser en l’entendant. S’il savait qu’Archaon le narguait, il ne se doutait toutefois pas à quel point celui-ci le manipulait. Archaon voulait la mort de Karl Franz, mais il ne souhaitait pas abuser davantage de la patience des dieux. Néanmoins, puisque Ka’Bandha abordait le sujet… « Très bien, » conclut l’Élu des Dieux. « La vie de l’Empereur est à toi. Khorne aura son crâne, et mon trône s’ornera de sa peau écorchée. Si tu respectes ces conditions, je te libère de ta tâche à Middenheim. - C’est d’accord, » répondit Ka’Bandha. Archaon se demanda brièvement si le Démon soupçonnait ses réelles motivations. « La Chasse Sanglante partira ce soir. » |
Loin à l’ouest de la prison de Mannfred, le conseil des Incarnations se poursuivait. Après de longs conciliabules - et les arguments persuasifs d’Alarielle - Malékith avait permis à quelques individus triés sur le volet de pénétrer dans la Clairière du Roi. Alarielle avait affirmé que leurs pouvoirs ne leur serviraient à rien s’ils n’étaient pas sagement conseillés pour les utiliser, et qu’il existait en ce monde des êtres bien plus sages que les Incarnations. Malékith se lassait qu’on remette en question la moindre de ses décisions, mais il accéda tout de même à la requête d’Alarielle.
Les Elfes étaient toujours majoritaires au conseil. En plus des quatre Incarnations, Teclis, Lileath, Næstra et Arahan étaient présents. Imrik avait également été convié. D’ailleurs, c’était un des rares invités dont Malékith aurait apprécié la présence. Toutefois, le Prince Dragon avait déclaré qu’il devait défendre ce qui restait de ce monde pendant que d’autres discutaient de son destin, et il s’en était allé. Les jours suivants, on percevait loin à l’ouest le son de combats tandis qu’Imrik bataillait à la tête de ses armées contre les Hommes-Bêtes en maraude.
En dehors des Elfes, on dénombrait quatre personnes n’étant pas des Incarnations au conseil, sans compter l’Empereur lui-même. Arkhan trônait à droite de Nagash, et Vlad von Carstein à sa gauche. Gotri Hammerson représentait les Zhufbarak, et donc les Nains, alors que le Duc Jerrod était le représentant des derniers Bretonniens. Parmi eux, seuls Hammerson et le Vampire étaient réellement loquaces.
Vlad jurait avec son environnement. Sa chair pâle et morte contrastait avec la splendeur verdoyante d’Athel Loren. Néanmoins, cela ne semblait pas le déranger. Sa mort et sa résurrection avaient purgé son corps de la malédiction d’Otto Glott. Le Vampire était donc de nouveau au sommet de ses capacités physiques et mentales, et se comportait d’une façon si courtoise que certains en venaient à douter de sa véritable nature. De fait, Vlad avait toujours vécu au sein de la civilisation, par conséquent ceux qui étaient surpris par son raffinement avaient oublié ou ne connaissaient pas les événements qui l’avaient mené jusqu’à Athel Loren.
Pour sa part, Hammerson était direct et rustre, et parfois franchement grossier. Le Nain s’était rallié sans hésiter à Gelt et à l’Empereur, mais il était bien plus circonspect envers les Elfes. Quant à combattre auprès des Morts-Vivants, c’était une étape à laquelle il ne s’attendait pas. En d’autres circonstances, le comportement du Nain eût été inacceptable, toutefois ses opinions tranchées trouvaient chez certains un écho favorable.
Ainsi, rassembler un conseil était une chose, mais trouver un consensus en était une autre. Teclis et Lileath affirmaient que le destin des huit vents devait être décidé avant tout le reste, cependant leurs arguments ne parvenaient pas à convaincre les autres. Gelt et Hammerson disaient que la première chose à faire était de contacter les forteresses naines qui s’étaient refermées sur elles-mêmes, mais cette proposition suscita le mépris de Tyrion, qui disait que le temps venait à manquer, et qu’il était inutile de chercher de l’aide auprès de ceux qui s’étaient détournés du reste du monde. Quant au désir de Tyrion, qui était de chevaucher à la rencontre d’Archaon pour reconquérir le Vieux Monde, Gelt et l’Empereur le balayèrent en affirmant que c’était chose impossible à accomplir, car ils avaient vu de leurs yeux l’immensité des hordes du Chaos.
Alarielle était d’avis de déverser le pouvoir des Incarnations dans Athel Loren, afin que la forêt retrouve la gloire et la splendeur des jours anciens. Elle affirmait que cela rendrait Athel Loren aussi puissante que les dieux sombres, et que cela leur permettrait de mettre définitivement un terme à la menace du Chaos. Sans surprise, Nagash refusa de participer à un plan qui le laisserait impuissant et qui rendrait la vie plus florissante que jamais. Pour sa part, sa proposition consistant à canaliser le pouvoir des six vents afin de contrôler les Morts-Vivants qui parcouraient le monde depuis sa résurrection fut immédiatement rejetée. Malékith préférait tenter de libérer définitivement le monde des mortels du Royaume du Chaos, mais les autres trouvaient son plan trop risqué, sans parler de la catastrophe qu’entraînerait la disparition de toute trace de Magie dans le monde.
Les arguments étaient échangés sans que nul ne soit disposé à céder du terrain. En vérité, les désaccords ne concernaient pas que la stratégie à adopter. Chaque Incarnation savait que le plan adopté déciderait de facto des meneurs, et nul n’était prêt à concéder un tel pouvoir. Même Caradryan, si loyal fût-il, ne pouvait offrir ouvertement son soutien à Malékith, Alarielle ou Tyrion, car cela serait revenu à défier les autres.
Le débat fit rage des jours durant, ponctué de courtes pauses pour s’occuper des affaires pressantes. Parfois, les Incarnations faisaient preuve de courtoisie, mais généralement, elles avaient du mal à cacher leur colère. Fatigué par les discussions interminables, Jerrod prit congé dès le deuxième jour, et partit en promettant que ses chevaliers serviraient de leur mieux quelle que soit la décision prise. Il alla arpenter les clairières d’Athel Loren, inconscient des dangers auxquels il s’exposait. Il savait que la Dame du Lac était toujours à ses côtés, même s’il ne l’avait plus entendue lui parler au cours des derniers jours.
Pendant ce temps, Be’lakor progressait sous la Clairière Éternelle. Les ombres s’agglutinaient autour de la prison de Mannfred, et le Premier des Damnés n’eut aucune difficulté à échapper aux gardes postés près de la cage du Vampire. Mannfred était redevenu silencieux, mais il reconnut le premier des Princes Démons dès qu’il le vit. Leurs chemins s’étaient déjà croisés, et ils s’étaient toujours méfiés l’un de l’autre.
Mannfred somma le Démon de le libérer - même dans sa situation précaire, le Vampire était trop fier pour supplier - toutefois Be’lakor lui demanda ce qu’il pouvait attendre en retour d’un tel service. Le Premier des Damnés espérait faire de Mannfred son serviteur, toutefois ce dernier était trop rusé pour se laisser asservir quelles que fussent les promesses du Démon. En revanche, Mannfred disposait d’une information apprise récemment et qu’il pouvait marchander…Il évoqua une déesse, la dernière du panthéon elfique, qui était devenue mortelle et vulnérable, et qui se trouvait à Athel Loren. Mannfred vit qu’il avait piqué au vif l’intérêt du Démon, même si ce dernier tentait de ne pas le montrer. En dépit du temps qu’il avait passé à Athel Loren, le Premier des Damnés n’avait pas reconnu Lileath, et Mannfred éprouva un sentiment de supériorité en pensant qu’il s’était montré plus clairvoyant que le Démon.
Ce fut donc cette information qu’il échangea contre sa liberté. Les racines qui le retenaient prisonnier étaient invulnérables face à la Magie du Vampire, mais elles cédèrent rapidement sous les coups d’épée de Be’lakor. Il laissa ensuite Mannfred se débrouiller pour s’échapper des halls à l’abandon sous la clairière, et partit de son côté afin de traquer Lileath.
Mannfred était si affamé et désespéré qu’il aurait fallu une petite armée pour l’empêcher de s’échapper. Il se retrouva bientôt à l’air libre et avide de vengeance, après s’être sustenté à la gorge de ses gardiens. Pour l’instant, Nagash était hors de sa portée, mais pas Be’lakor, qui avait tenté de le mettre à genoux… Prenant soin de passer inaperçu aux yeux des Esprits des Forêts, Mannfred s’enfonça dans les bois.
Ignorant les intentions de Mannfred, Be’lakor était accaparé par l’idée de capturer Lileath. Le sang d’une déesse, même devenue mortelle, contenait une vaste quantité de pouvoir que le Premier des Damnés comptait s’approprier. De plus, il savait que Slaanesh le récompenserait généreusement s’il lui offrait l’âme de la déesse elfique.
Malheureusement pour lui, il se rendit compte que Lileath restait constamment au sein du conseil des Incarnations, et il n’osa pas s’en prendre à elle tant qu’elle était accompagnée par des êtres aussi puissants. Il attendit donc qu’une occasion se présentât.
Tandis que Be’lakor patientait, Mannfred agit en utilisant les informations qu’il avait volontairement cachées au Démon. Quelques années plus tôt, une courte alliance avec Drycha lui avait appris que la Dame du Lac n’était en fait nulle autre que la déesse Ladrielle déguisée. Et puisqu’il avait récemment appris que Ladrielle et Lileath étaient la même déesse, il résolut de mener à bien un nouvel acte maléfique.
Mannfred chercha Jerrod, et le trouva enfin. Le Duc tira son épée dès qu’il le vit, cependant Mannfred fit preuve de persuasion. Alors que l’acier bénit le menaçait, il dévoila à Jerrod la vérité : la Dame du Lac, sur laquelle reposaient les fondations et les mythes de la Bretonnie, n’était rien d’autre qu’une déesse elfique qui se jouait des hommes. Ainsi, tout ce en quoi Jerrod croyait était bâti sur un odieux mensonge.
Au début, Jerrod ne le crut pas, et l’accusa d’être un serpent, un menteur et pire encore. Malgré tout, quelque chose l’empêchait d’enfoncer son épée dans la gorge du Vampire. Mannfred était certes tout ce que Jerrod venait de dire. Toutefois, pour une fois, ses paroles sonnaient vrai, et elles venaient confirmer un doute qui hantait l’âme de Jerrod depuis quelque temps. Finalement, il baissa son arme et intima à Mannfred l’ordre de partir, et de ne plus jamais croiser son chemin.
Même si en réalité, Mannfred aurait aisément pu tuer Jerrod avant de s’enfuir, il feignit de se plier à la volonté du Bretonnien, et ne s’autorisa un sourire mauvais que lorsqu’il se fut éloigné. Il avait dévoilé la véritable identité de la Dame du Lac sans se soucier des conséquences : il voulait simplement empêcher Be’lakor de capturer sa proie. Jerrod allait sans nul doute éloigner Lileath du conseil pour vérifier les dires de Mannfred. À cet instant, Be’lakor essaierait inévitablement de s’emparer de la déesse - à condition bien sûr, que Jerrod ne la tue pas avant cela. Mannfred n’envisageait pas réellement cette possibilité, car le Duc était quelqu’un de bien trop honorable, toutefois, cela rendrait la tentative de Be’lakor plus intéressante…
Même s’il était conscient de la mesquinerie de ses actes, Mannfred se satisfaisait de porter un coup douloureux à ceux qui se pensaient supérieurs à lui. Sachant qu’il n’avait aucun intérêt à s’attarder à Athel Loren, il en sortit en employant aussi bien la discrétion que la violence lorsqu’il n’avait pas le choix. Sur les montagnes à l’ouest de Wydrioth, il traversa les rangs de l’armée de Nagash sans que nul ne le remarque, puis il asservit Ashigaroth à sa volonté et s’enfuit vers l’ouest. Son destin s’était écarté du chemin qu’il s’était fixé. Il avait été trahi par Nagash et avait perdu la Sylvanie. Mannfred ne voyait donc qu’une seule façon de survivre, même si elle ne lui seyait guère. Maudissant le jour où il avait décidé de ressusciter Nagash, le Vampire partit vers le nord-ouest, et la cité profanée de Middenheim.
Dès le départ de Mannfred, Jerrod se rendit à la Clairière du Roi et demanda à parler en privé à Lileath. Son intrusion suscita une réaction outragée de la part des Elfes, toutefois Lileath calma les esprits et accorda une entrevue au Duc. Pendant un instant, la colère de Jerrod se calma quand il vit la grâce dont la déesse faisait preuve malgré sa propre grossièreté. Cependant, il se souvint bien vite de la raison de sa venue, et son courroux revint aussitôt.
Be’lakor était en mesure de voir tout ce qui se passait lorsque se massaient les ombres, et il sut immédiatement que Lileath s’était éloignée des Incarnations, même s’il ne savait pas pourquoi. Le Premier des Damnés se méfiait d’un coup tordu, et il n’agit pas sur-le-champ. Il avait raison d’être prudent. Même si Jerrod et Lileath n’étaient pas au fait de la présence de Be’lakor, c’était bel et bien un piège. Le Premier des Damnés put donc écouter la conversation entre Lileath et l’ancien Duc de Quenelles.
Alors qu’il se cachait dans les ombres de la clairière, Be’lakor se félicita intérieurement pour sa patience. L’endroit était désert en dehors du chevalier et de la déesse. Il serait bien plus facile de l’enlever des mains d’un mortel que de celles d’un groupe de demi-dieux. Même s’il n’avait pas dégainé son épée, la colère du chevalier aurait été palpable. Il se tenait comme un animal prêt à bondir. Depuis la pénombre, Be’lakor humait la fragrance du courroux et du désespoir du Bretonnien. Lileath était calme, impassible, et ne trahissait pas le moindre remords.
« Je ne réfute rien, » dit-elle d’une voix glaciale. « Je suis fière de la façon dont j’ai modelé vos ancêtres primitifs. - Vous vous êtes servie de nous ! Vous nous avez manipulés, comme des pièces sur un échiquier, et vous nous avez envoyés à la mort. Nous pensions que vous étiez une lueur d’espoir, mais vous n’étiez en réalité qu’un feu follet qui nous attirait vers notre perte. - Je n’avais pas le choix, » répondit Lileath en secouant la tête. « Autrefois, je possédais le don de prophétie. J’ai été la première à deviner la Fin des Temps, et j’avais besoin d’une armée pour tenir les ténèbres en respect. Asuryan n’aurait jamais autorisé la création d’une nouvelle race, pas après ce qui était arrivé suite à la naissance des Elfes. » Accablée, elle se détourna brièvement avant de faire de nouveau face au chevalier. « J’ai choisi vos ancêtres pour servir la plus noble des causes. Je leur ai montré un but à atteindre. Qu’y a-t-il de mal à cela ? Sans les codes et les lois que je leur ai donnés, vos ancêtres se seraient entre-tués ou auraient été massacrés par les Peaux-Vertes. Vous me devez la vie, et tout ce que vous êtes. C’est pour cela que je n’éprouve pas de remords pour ce que j’ai fait. » |
Le chevalier poussa un cri de désespoir et de colère. Il posa le regard sur son épée, puis sur la femme qui lui faisait face. Il était tenté de la tuer. Be’lakor esquissa un sourire cruel. La détresse de cet homme avait un goût délicieux, mais visiblement, Lileath ne partageait pas ce sentiment. « Ce monde est condamné, » dit-elle, « mais cela ne veut pas dire que tout espoir est vain. Il existe un autre monde, un Havre, où la vie peut perdurer. Sans le sacrifice de la Bretonnie, je n’aurais pas pu le créer. Est-ce que cela ne vous apporte pas quelque réconfort ? » Be’lakor feula de joie. Son pacte avec Mannfred avait été judicieux. Non seulement cela lui avait amené la déesse sur un plateau, mais en plus il venait d’apprendre l’existence d’un autre monde sur lequel il pourrait régner au nom des dieux. « Écoutez-moi, » poursuivit Lileath en faisant un pas vers Jerrod. « Cette guerre n’aurait jamais pu être gagnée. Vos frères - ceux qui sont morts pour l’Empire - ont une partie d’eux-mêmes qui a survécu dans le Havre. Et après tout, qu’est-ce qu’un chevalier sinon un homme qui se sacrifie pour les autres ? » Be’lakor vit la main de Jerrod se serrer et se desserrer rageusement. Lorsqu’il parla, il le fit d’une voix émue et brisée. « Cela pourrait être une consolation, si vous n’aviez été la créatrice de ces mythes mensongers… » Lileath s’agenouilla. Sa longue robe recouvrit le tapis de feuilles mortes qui l’entourait. « Si vous ne me croyez pas, tuez-moi pour ce que j’ai fait. Je vous demande simplement de tenir votre promesse, et de combattre aux côtés des Incarnations lorsque le moment sera venu. » En guise de réponse, Jerrod saisit son épée à deux mains et la leva au-dessus du cou délicat de la déesse. |
Jerrod ne savait pas s’il allait avoir la force de commettre cet acte. Certes, la colère qu’il éprouvait à l’idée d’avoir été trompé était grande, mais son sens de l’honneur tentait de le raisonner. Son épée, qu’il tenait jusqu’alors d’une main tremblante, se stabilisa. C’est à cet instant que Be’lakor, qui craignait que sa proie fût tuée sous ses yeux, jaillit des ombres pour intervenir. L’apparition du Prince Démon poussa Jerrod à prendre une décision, et son instinct de chevalier reprit le dessus.
Be’lakor fonça vers Lileath en laissant une traînée d’ombre derrière lui. Jerrod se posta pour lui barrer la route et se mit en garde. Be’lakor ne ralentit pas et frappa avec son épée de ténèbres, en pensant vaincre facilement ce mortel arrogant qui s’opposait à lui. La lame bénite de Jerrod scintilla en parant l’attaque. L’acier étincelant tinta contre la lame de désespoir et de tromperie. Le Premier des Damnés battit des ailes et s’éleva de quelques mètres avant de retomber vers le Duc en portant une estocade terrible, et en grondant tel un prédateur privé de sa proie.
Lileath s’était remise debout et brandit son bâton pour envoyer des éclairs de lumière vers le Premier des Damnés. Ceux-ci traversèrent sa forme comme des flèches filant à travers la brume, car le corps du Démon s’ouvrit et se referma à leur passage, sans que cela l’affecte outre mesure.
Be’lakor ignora les attaques de la déesse et se concentra sur son protecteur. Jerrod para une fois de plus le coup dirigé vers son cœur, mais Be’lakor lui décocha un coup de griffes. Les serres lacérèrent le visage de Jerrod, laissant trois sillons sanglants sur sa joue. Le duc tomba à la renverse dans la boue. Du sang dégoulinait des estafilades, et son œil droit était mutilé. En dépit de la douleur, le Bretonnien tenta de se relever, cependant ses forces l’abandonnaient et il retomba lourdement dans les feuilles mortes.
Be’lakor se posa près du Duc impuissant. Il le toisa pendant un instant, puis posa son énorme pied sur le mollet gauche de Jerrod et appuya de tout son poids. Le tibia émit un craquement sinistre et arracha un hurlement de douleur au Duc. Satisfait, Be’lakor se détourna du Bretonnien et s’approcha de Lileath.
La déesse sentit plus qu’elle ne le vit le Démon qui fondait sur elle. Elle avait fermé les yeux, et ses lèvres remuaient silencieusement tandis qu’elle récitait un sort de bannissement. Des spirales d’énergie blanche entourèrent Be’lakor et des vrilles de sa forme enténébrée s’évanouirent purement et simplement dans les airs. Toutefois, le Premier Damné était plus ancien que n’importe quel rite d’exorcisme, et il ne pouvait pas être si facilement banni dans le Royaume du Chaos par la jeune Magie des Elfes. L’enchantement de Lileath le ralentit à peine. L’épée d’ombre frappa et lacéra l’avant-bras de Lileath. La déesse lâcha son bâton, et Be’lakor grogna de douleur lorsque des gouttes de sang aspergèrent son bras et rongèrent sa peau en dégageant une vapeur ignoble. Même si Lileath était désormais mortelle, des traces de son pouvoir divin coulaient encore dans ses veines.Désormais sans défense face au Démon, Lileath recula, mais Be’lakor la poursuivit et tendit le bras pour la saisir. Ses griffes effleurèrent la peau de la déesse sans trouver de prise, car au même moment, Be’lakor tituba en poussant un cri d’agonie. Derrière lui, Jerrod lâcha l’épée qu’il venait d’enfoncer jusqu’à la garde dans son dos. Le Bretonnien retomba au sol et sombra dans l’inconscience. Le Démon poussa un hurlement de rage en retirant l’arme de ses chairs. Un jet de sang noir jaillissait de la blessure. Il allait parachever son œuvre et s’emparer de Lileath, toutefois le geste désespéré de Jerrod avait permis de gagner de précieuses secondes. Un grognement féroce retentit dans les airs tandis que Seraphon plongeait depuis les cimes des arbres et envoyait bouler le Démon.
Rien ne passait inaperçu sous les frondaisons d’Athel Loren. Certes, la plupart des événements étaient ignorés ou mal interprétés par les Esprits des Forêts, néanmoins l’attaque de Be’lakor était un acte que même l’Esprit des Forêts le plus obtus ne pouvait méprendre. Alors que Jerrod et Lileath affrontaient le Premier des Damnés, des Esprits des Forêts avaient filé dans le sous-bois pour prévenir Alarielle. La Reine Éternelle savait qu’elle était trop loin pour intervenir, mais que d’autres pouvaient couvrir la distance.
Be’lakor se redressa et oublia momentanément Lileath alors qu’il jaugeait ce nouvel adversaire. Dans son arrogance, il continuait de croire qu’il pouvait triompher d’une Incarnation et s’enfuir avec sa proie. Cependant, avant qu’il puisse agir, il y eut un éclair de lumière, et Malhandir apparut dans la clairière.
Be’lakor réalisa enfin qu’il avait perdu. Deux Incarnations étaient arrivées, et les autres ne tarderaient certainement pas. Il se résolut à une seconde défaite en quelques semaines, et se fondit de nouveau dans les ombres avant de fuir. Toutefois, Malékith poussa un cri triomphal et arracha le Premier des Damnés au linceul d’ombre dans lequel il s’enveloppait.
Be’lakor émit un grognement étonné en voyant qu’on lui coupait toute échappatoire. Avant qu’il puisse réagir, Malékith tourna son attention vers les ténèbres qui constituaient le corps du Démon, et l’immobilisa par la seule force de sa volonté. Certes, Malékith, n’aurait pas pu retenir Be’lakor indéfiniment, mais quelques secondes suffirent : Tyrion tissa un filet d’énergie lumineuse qui vint enserrer le Démon. Be’lakor se retrouva prisonnier alors qu’il était sur le point de capturer une déesse.
Jerrod survécut, mais uniquement grâce aux talents des guérisseurs d’Athel Loren, sinon il serait sans doute mort. Une fois ses blessures soignées, il fut transporté tel un héros jusqu’à la clairière où ses chevaliers et les autres réfugiés d’Averheim avaient établi leur campement. Au début, on acclama Jerrod en entendant ses faits héroïques : rien n’était plus chevaleresque que de défendre une demoiselle - même s’il s’agissait d’une Elfe - face à un Démon. Toutefois, les vivats cessèrent lorsque le Duc désormais borgne raconta ce qu’il avait appris à propos de Lileath, et la vérité sur les origines de la Bretonnie. Alors que le soir cédait la place à la nuit, les Nains et les guerriers de l’Empire notèrent un changement dans le comportement de leurs camarades Bretonniens, même s’ils n’en comprenaient pas la raison.
Une fois ses propres blessures soignées, Lileath retourna auprès du conseil, mais son esprit était ailleurs. En voulant calmer Jerrod, elle avait parlé du Havre avec trop de précipitation. Elle ne savait pas si Be’lakor l’avait entendue, mais elle devait considérer que c’était le cas. Depuis, un mauvais pressentiment grandissait dans sa tête. Si le Démon s’était échappé, il aurait agi en fonction de ce qu’il avait entendu. S’il était détruit, son essence immortelle retournerait dans le Royaume du Chaos, où il ferait inévitablement mauvais usage de son savoir mal acquis. Dans les deux cas, les dieux du Chaos seraient informés de l’existence du Havre, et tous les sacrifices de Lileath seraient vains. Aux prises avec un dilemme, elle parlait peu.
Si Tyrion et Malékith avaient pu en décider seuls, Be’lakor aurait été exécuté dès l’instant de sa capture. Cependant, Gelt suggéra qu’on en profite pour l’interroger. Le sorcier avait compris que l’indécision des Incarnations était due en grande partie à leur incapacité à deviner les intentions exactes d’Archaon. Néanmoins, en dépit du bon sens dont Gelt faisait preuve, il se heurta à l’hostilité des Elfes. Ils ne considéraient pas le sorcier comme leur égal malgré le pouvoir qu’il détenait. Heureusement, l’Empereur intervint en faveur de l’idée de Gelt. Cela suffit à convaincre Tyrion, et par son intermédiaire, Alarielle. Et puisque sa reine avait donné son accord, Malékith finit par accepter de ne pas bannir le Démon sur-le-champ.
Cependant, le Roi de l’Éternité ne promit pas qu’il laisserait le Démon indemne. Ainsi, lorsqu’une escorte de Gardes Noirs traîna Be’lakor devant le conseil, il était en piteux état. La pointe d’une de ses cornes avait été coupée par un coup d’épée, et ses ailes étaient déchirées. Le filet de lumière de Tyrion avait disparu, mais il avait été remplacé par des chaînes d’argent et de lumière stellaire contre lesquelles le Premier des Damnés était impuissant. Alarielle échangea un long regard entendu avec Malékith puis avec Tyrion. Gelt l’interpréta à tort comme une réprobation vis-à-vis du mauvais traitement réservé au captif. En réalité, ces blessures avaient été infligées sur ordre d’Alarielle, pour donner au Démon un avant-goût de ce qui lui en coûterait s’il ne coopérait pas. La Reine Éternelle n’éprouvait aucune pitié envers Be’lakor, car sa compassion ne s’étendait pas aux serviteurs du Chaos. Seul Nagash comprit cela, et fut satisfait de voir que même un esprit aussi pur que celui d’Alarielle cachait en lui un fragment de ténèbres.
L’interrogatoire fut bien plus aisé que les Incarnations l’imaginaient. Be’lakor n’avait pas de raison d’observer le silence. En fait, ses mutilations lui faisaient l’effet de simples égratignures, car il était bien trop ancien pour être affectés par de simples blessures physiques. En revanche, il ne doutait pas que Malékith et Nagash étaient capables de lui infliger des tortures insupportables. De plus, il se moquait que le plan d’Archaon fût dévoilé à ses ennemis; il était même ravi d’avoir l’opportunité de le trahir. À deux reprises, Be’lakor avait tenté de faire échouer Archaon pour lui ravir la gloire, et ses deux tentatives s’étaient soldées par des échecs. Be’lakor voulait éviter d’être banni dans le Royaume du Chaos pendant que les dieux du Chaos offriraient sa place à Archaon, il saisit donc cette occasion de dire ce qu’il savait pour mettre des bâtons dans les roues de l’Élu des Dieux.
Les révélations de Be’lakor horrifièrent ceux qui les entendirent. Le Démon ne tenta pas de les duper, car aucun mensonge n’aurait été plus horrible que la vérité. D’une voix dégoulinante de malfaisance, il raconta que les Dieux Sombres n’étaient pas aussi inconstants que ce que pensaient les érudits mortels. Archaon ne cherchait pas simplement à détruire l’Empire. Après tout, même si cette nation se croyait puissante, elle n’était que peu de chose par rapport aux civilisations qui l’avaient précédée, souligna Be’lakor en jetant un regard narquois à l’Empereur. Ce dernier ne réagit pas face à cette insulte et toisa le Démon sans répondre.
Teclis rencontra Lileath à la lisière nord de la Clairière du Roi. L’air portait les odeurs sèches du changement de saison. Les fleurs fanaient tandis que l’hiver se préparait à entrer en scène.
« Ne me direz-vous donc pas ce qui vous trouble ? » s’enquit le Mage en se rapprochant d’elle. Lileath ne se retourna pas. « Je t’ai dit que nous pouvions gagner, mais c’est impossible. - Vous n’en saviez rien. » Elle émit un rire sans joie. « Je l’ai toujours su. Quelle prophétesse ferai-je si ce n’était pas le cas ? » Teclis frémit. - Alors pourquoi m’avoir menti ? - Pour la même raison qui t’a poussé à mentir toi aussi : par nécessité. Tu m’as dit autrefois que sans espoir, tu ne pouvais combattre. Alors je t’en ai donné, car j’avais besoin de toi. - Alors, tout ce que j’ai fait… les amis et les alliés que j’ai sacrifiés… tout était inutile ? » Cette pensée lui donna la nausée. Pendant des mois, il avait tenté de se convaincre qu’il œuvrait pour un bien suprême. Mais les paroles de Lileath l’ébranlaient jusqu’au plus profond de son être… Lileath se tourna enfin vers lui. « Non. En tout cas, pas au début.” Elle avait l’air accablée. « Grâce à leurs sacrifices, j’ai créé un Havre qui aurait permis aux Elfes de survivre aux ténèbres. Ses yeux étaient noyés de larmes. « Cependant, je ne ressens plus sa présence. Les Dieux Sombres l’ont trouvé… mon amour, ma fille, mes espoirs pour le futur… j’ai tout perdu. » Teclis recula d’un air horrifié. « Je suis désolée, » s’excusa Lileath en se détournant de lui. « J’aurais dû être honnête avec toi dès le début. J’espère que tu me pardonneras. - Un jour, peut-être, » bredouilla Teclis. « Mais pas aujourd’hui. » Il partit avant que le désespoir te submerge entièrement. |
Les dieux se moquaient de la chute des empires, même s’ils se délectaient des carnages qu’elle entraînait. En réalité, leur objectif était Middenheim. Cela avait toujours été le cas, car sous les fondations de la ville, au cœur du Fauschlag, se trouvait un artéfact des jours anciens. Il était si vieux qu’on avait oublié son utilité, mais cela n’avait aucune importance, car les dieux souhaitaient s’en emparer uniquement pour le pouvoir qu’il renfermait. Si les rituels étaient correctement célébrés, l’artefact détonerait et créerait une faille dans la réalité aussi vaste que celles des pôles. Cela provoquerait un cataclysme, et entraînerait non seulement la destruction de l’Empire, mais également celle de tout le Vieux Monde. De plus, les dieux avaient un but bien plus terrible en tête : la Fin des Temps, le Rhana Dandra des mythes elfiques.
Nagash comprit le premier les implications de ce plan, mais ne les dévoila pas. Ce fut Teclis qui s’en chargea. Il le fit d’une voix horrifiée, et expliqua que les Maîtres du Savoir de Hœth avaient théorisé que le monde n’avait survécu à la venue du Chaos que parce que les failles des deux pôles formaient un équilibre pour les forces colossales qui en émergeaient. Cependant, si une troisième faille s’ouvrait à Middenheim, la planète serait déchirée et engloutie par le Royaume du Chaos. Une fois cette nouvelle faille apparue, la fin serait inévitable. Le cataclysme pourrait durer quelques secondes ou plusieurs années, mais tôt ou tard, le monde tel qu’il existait aujourd’hui disparaîtrait totalement et irrémédiablement.
Teclis retomba ensuite dans le silence, sans doute parce qu’il se rappela que c’était lui qui avait dérobé la flamme d’Ulric, et que cet acte avait précipité la chute de Middenheim. Personne ne prit la parole pendant un long moment. Tous croyaient à la véracité de ces dires, mais nul ne savait comment empêcher la catastrophe de se produire. Middenheim était loin, et il faudrait traverser des régions infestées par les hordes d’Archaon. Par le passé, les Elfes auraient pu avoir recours aux Racines du Monde, c’est-à-dire les galeries magiques qui reliaient Athel Loren à toutes les autres forêts - pour arriver sans encombres dans les environs de la ville. Toutefois, celles qui couraient sous l’Empire s’étaient racornies et étaient mortes depuis que le Chaos avait envahi les terres. De plus, toute armée qui tenterait d’atteindre la cité et de l’assiéger devrait être bien plus vaste que l’ost à la disposition des Incarnations.
Lileath fut la première à briser le silence. Elle tremblait sous l’effet de l’émotion lorsqu’elle se leva, mais elle finit par retrouver sa composition. D’une voix glaciale, elle déclara qu’il fallait réussir l’impossible : les Incarnations devaient se rendre à Middenheim et s’emparer de l’artefact, ou le détruire, et ce avant qu’Archaon exécute le plan des Dieux Sombres. Lorsque Malékith argua qu’une telle campagne serait trop longue à organiser, Lileath proposa d’utiliser la Magie pour couvrir les distances à parcourir. Gelt avait précisément utilisé de tels enchantements pour s’échapper d’Averheim, et souligna que le transport d’autant de troupes sur de si vastes distances nécessiterait une énergie magique telle qu’elle risquait d’ouvrir une faille similaire à celle qu’ils voulaient éviter. Malgré tout, Lileath ne se découragea pas, de toute façon elle ne pouvait penser à un autre plan. Le conseil se résolut donc à se retirer pour que chacun puisse réfléchir de son côté.
Cependant, on mena une ultime action avant la dissolution du conseil. Be’lakor avait causé de grands torts à Athel Loren, et il avait tenté de livrer à ses sombres maîtres la dernière déesse du panthéon elfique. En guise de punition, le Premier des Damnés fut emprisonné dans un rubis pris sur la couronne d’Alarielle. Là, il ne pourrait pas retourner dans le Royaume du Chaos, et serait condamné à se languir jusqu’à la fin des temps. Évidemment, celle-ci ne tarderait pas à survenir si le plan des Incarnations échouait…
Une nuit triste tomba sur Athel Loren, nuls lieux n’étant plus empreints de désespoir que ceux où se rendit Lileath. Au moment où Be’lakor révélait le plan d’Archaon, elle avait senti la présence du Havre disparaître de son esprit. Au début, elle s’était raccrochée à l’espoir que la fatigue voilait ses pensées, mais plus le temps passait, plus elle réalisait que ce n’était pas la vraie raison. Le Havre avait été anéanti, soufflé comme une chandelle dans le vent.
La déesse blâma le Premier des Damnés, et même Jerrod, pour cette perte irréparable. Toutes ses précautions, tous ses plans avaient été balayés par quelques mots de trop. Elle avait sorti les Bretonniens de la fange en leur donnant une cause à suivre. Ce chevalier mortel n’avait aucun droit de l’accuser comme il l’avait fait.
Malgré tout, Lileath savait au fond d’elle-même qu’elle était la seule à blâmer pour le mal que Be’lakor avait fait. L’arrogance avait toujours été le point faible des dieux et des Elfes, il n’était donc pas surprenant qu’elle y eût succombé elle aussi. Le poids de ses remords était terrible.
À part Jerrod, Teclis était la seule personne que Lileath avait mise au courant à propos du Havre, et encore, elle n’y avait consenti que lorsque ce dernier avait été détruit. L’amertume du Mage était aussi grande que celle de la déesse, car à l’instar de Jerrod, il ressentait durement la trahison dont il avait été victime. En suivant aveuglément les plans de Lileath, il était devenu froid et calculateur, et n’avait vu que le but à atteindre, pas le mal qu’il faisait. Et même si le Havre n’avait pas été détruit, le poids du remords eût été lourd à porter.
Quant à Jerrod, il mena ses Bretonniens vers l’ouest à travers la forêt. L’Empereur avait tenté en vain de le convaincre de rester. Les deux seigneurs s’étaient séparés en amis, liés à jamais par un destin commun et par les nombreuses batailles qu’ils avaient livrées ensemble.
Les cœurs de tous les guerriers de la colonne bretonnienne débordaient de colère et de tristesse, car nul ne parvenait à pardonner Lileath pour ses machinations. La société bretonnienne avait été fondée sur la vénération de la Dame, et l’émulation des exploits de Gilles et de ses champions. Mais le mensonge mis à jour laissait les Bretonniens privés de cause dans le tumulte de la Fin des Temps. Les chevaliers ne savaient plus que faire, toutefois ils étaient certains de ne plus vouloir combattre aux côtés des Elfes et de la déesse qui les avait manipulés pendant tant de siècles.
Alarielle aurait pu empêcher Jerrod de partir, mais elle s’en abstint. Même si elle ne connaissait pas la raison de la décision du Duc, elle savait que des alliés non consentants n’attireraient que des problèmes.
Tyrion trouva l’Empereur à la lisière de la Clairière de l’Hiver. Il scrutait les étoiles à travers les frondaisons tandis qu’elles décrivaient leur course à travers les cieux.
« Leur voie est tracée… » dit l’Empereur sans se retourner. « J’aimerais que la mienne le soit aussi. - Jerrod est parti," soupira Tyrion. « Mon frère refuse de parler à quiconque, même à moi. Tout ce que tu avais dit est en train de se produire. Comment le savais-tu ? » L’Empereur se détourna enfin de la voûte céleste. « Je ne le savais pas précisément. Cependant, ces jours sombres ont tendance à raviver les poisons endormis, et ta race a toujours été manipulatrice. » Tyrion rit sèchement. « Ce sont de bien grands mots, pour quelqu’un dont l’apparence ne reflète pas l’âme. - Je n’en ai cure. Nous n’avons que peu d’atouts, et je ne vais pas renoncer à celui-ci sans raison valable, même s’il n’est pas grand-chose. Mes intentions sont celles que je clame haut et fort. Si ce n’était pas le cas, tu ne garderais pas mon secret, n’est-ce pas ? » Tyrion ne répondit pas et l’Empereur hocha la tête. « J’ai passé d’innombrables vies d’hommes emprisonné dans ce vortex, et j’ai horreur de penser que mon tourment a été inutile. |
Et au moins, nous connaissons désormais le plan des Dieux Sombres. Espérons que nous serons aussi doués pour le faire échouer.
- Je ne vois pas comment nous y parviendrions. - Voilà un manque de foi singulier pour un Elfe fraîchement ressuscité… » lui lança l’Empereur. Tyrion fit un effort pour ne pas rétorquer vertement. « Il faudra plus que des mots habiles pour survivre à ce qui nous attend. - Effectivement. C’est pourquoi nous devons persuader les autres de nous rendre à Middenheim. - Cette cité est à des semaines de marche, dans une région tenue par l’ennemi. Tu penses vraiment que nous avons la moindre chance ? - Je ne vais pas rester les bras croisés en attendant que la mort vienne me prendre… - Mon non plus, » reconnut Tyrion avec réticence. « Il n’y a donc pas d’autre solution ? » L’Empereur secoua la tête. - Non. Middenheim nous attend. » |
Gotri Hammerson, qui s’était attendu à une nouvelle journée de débats stériles, poussa un cri d’enthousiasme un peu sarcastique, sans se soucier des regards furieux des Elfes. Teclis salua la décision d’un sourire forcé. Vlad von Carstein l’accueillit avec étonnement, comme si pour lui, ce n’était pas la véritable origine du problème. Quant à Arkhan, son manque de réaction laissait penser qu’il n’avait rien perçu de la conversation.
Durthu, Næstra et Arahan étaient partis avant l’aurore afin d’aider Imrik à repousser les hardes d’Hommes-Bêtes qui se rapprochaient peu à peu de la Clairière du Roi. En effet, à moins d’une lieue au nord, l’Elfe livrait un combat sanglant contre les rejetons du Chaos. En dépit des milliers de créatures abattues par le prince et ses guerriers, il y en avait toujours plus qui se précipitaient au corps à corps. L’ampleur des combats était telle que ce n’était plus l’affrontement de deux armées, mais plutôt de deux nations livrant une lutte à mort. La Clairière du Val d’Argent empestait la charogne et l’odeur âcre de la fumée des bûchers où brûlaient des montagnes de cadavres d’Hommes-Bêtes.
Les rejetons du Chaos se ruaient au combat avec une fureur primale. La frénésie des Minotaures semblait se propager à tous les Gors et Ungors qui rôdaient dans Athel Loren. Les Elfes étaient exténués, mais ils ne pouvaient pas - et ne voulaient pas - battre en retraite pour se reprendre des forces, car cela aurait signifié abandonner la Clairière du Roi aux Hommes-Bêtes. C’eût été un sacrifice trop grand pour quelques heures de répit.
Pendant des jours, les Hommes-Bêtes s’étaient rués au-devant d’une mort certaine. Ces sacrifices sanglants avaient pour but d’attirer l’attention de Khorne, malheureusement pour les rejetons du Chaos, le regard du Seigneur des Crânes était rivé sur Middenheim. Malgré tout, un Démon avait été témoin de la dévotion des Hommes-Bêtes et avait cherché à l’utiliser à ses propres fins. Ka’Bandha était parti traquer l’Empereur, et cherchait un sentier qui mènerait sa Chasse Sanglante au cœur d’Athel Loren. Il finit par en trouver un.
Dans un grondement de tonnerre assourdissant, une faille s’ouvrit et le sang qui imbibait le sol de la clairière y fut attiré irrésistiblement. Les Hommes-Bêtes exultaient dans leur langue gutturale alors que des flots de sang les aspergeaient. Les Elfes tentèrent de reculer comme la terre meuble se soulevait sous leurs pieds. Des milliers d’entre eux périrent lorsqu’ils furent aspirés par le vortex écarlate qui venait d’éclore au milieu de la clairière.
L’assaut des Hommes-Bêtes cessa aussitôt, mais un autre prit son relais. Des silhouettes cornues apparurent dans le firmament, et elles lancèrent des défis dans une langue inconnue en se jetant sur les survivants de l’armée d’Imrik. Ces créatures étaient accompagnées de chiens démoniaques qui couvrirent en quelques bonds la distance qui les séparait de leurs victimes. Et derrière cette horde apparurent les formes ailées de Ka’Bandha et de ses lieutenants.
Imrik donna ses ordres tandis que les Démons progressaient, mais ses lignes étaient trop ébranlées pour offrir une quelconque résistance. La Chasse Sanglante balaya l’armée des Elfes comme un vent rougeâtre, en ne laissant derrière elle que des cadavres mutilés. S’il l’avait voulu, Ka’Bandha aurait pu exterminer les survivants de l’armée d’Imrik, mais il poursuivait une autre proie. Poussant un rugissement triomphal, il poussa ses Démons à foncer vers la Clairière du Roi.
La Chasse Sanglante Attaque[modifier]
Le Conseil des Incarnations[modifier]
Cela fait bien des âges que des mortels aussi puissants n’ont été réunis en un seul lieu. Il est même possible que cela ne se fût jamais produit auparavant. Cependant, en dépit de leurs pouvoirs et de leur cause commune, il reste à voir si les Incarnations seront capables d’agir en bonne entente. Malékith Alarielle Caradryan Tyrion L’Empereur Balthasar Gelt Nagash
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La Chasse Sanglante[modifier]
Ka’Bandha n’a pris aucun risque en emmenant la Chasse Sanglante à Athel Loren, car un échec éventuel le mettrait en disgrâce auprès d’Archaon - ce dont il n’a cure - mais également devant Khorne, ce qui, en revanche, précipiterait la chute du Démon au sein de la hiérarchie du Dieu du Sang.
Ka’Bandha
Ka’Bandha sert le Dieu des Crânes depuis des temps immémoriaux. Il s’est élevé dans la hiérarchie du Sixième Ost en provoquant d’innombrables carnages. Toutefois, ce n’est pas un tueur irréfléchi, car il a compris depuis longtemps que la stratégie peut permettre de faire couler le sang plus efficacement encore qu’une rage aveugle. Lorsqu’il est arrivé à Averheim, Ka’Bandha espérait rejoindre les rangs exaltés du Deuxième Ost, et pour cela, il avait plus que jamais besoin des faveurs de Khorne. C’est uniquement pour cette raison qu’il a accepté de se placer sous les ordres d’Archaon, car il n’y aurait aucun présent plus valable aux yeux du Seigneur des Crânes que le sang de toute une planète, et pas seulement des habitants de l’Empire.
Khorax
Il n’y a pas de hiérarchie figée au sein des légions de Khorne, car les plus violents peuvent toujours s’élever par la force. Lors de ses rares moments de lucidité, Khorax envisage d’usurper la place de Ka’Bandha en tant que maître de la Chasse Sanglante. Toutefois, la fureur éternelle qui anime Khorax l’empêche de mener une telle action à bien, car il se détourne systématiquement vers les actes de violence à portée de main. Malgré tout, l’ambition a déjà poussé Khorax à mener de nombreuses chasses acharnées comme en atteste son corps balafré, et le peu de patience qu’il avait s’est depuis longtemps épuisé en attendant d’usurper la place de Ka’Bandha.
Les Skaradrim
Les lieutenants de Ka’Bandha sont des Buveurs de Sang du huitième rang qui combattent avec un fouet et une hache. Ces Démons ne disposent pas d’armée, car ils ont jadis connu la défaite et ont donc été privés par Khorne du droit de commander à ses légions. Une fois perdue, la faveur de Khorne est difficile à regagner, cependant la Chasse Sanglante leur offre une telle opportunité. Le Démon qui s’emparera du crâne de la proie de la Chasse Sanglante sera sûr d’attirer l’attention de Khorne.
Les Pourchasseurs
Chaque bande de guerre de Pourchasseurs obéit à un des Buveurs de Sang, et récolte donc les crânes en son nom. Même s’ils semblent être de prime abord les maîtres des Chiens de la Chasse Sanglante, les Pourchasseurs ne sont en réalité que des traqueurs. Leur intelligence démoniaque compense leurs sens peu affûtés comparés à ceux des Chiens de Khorne. En effet, les Pourchasseurs savent comment pensent les mortels et peuvent deviner leurs réactions avec plus de talent que n’importe quel molosse du Dieu du Sang.
Les Chiens
Selon les plus terribles légendes, les Chiens de Khorne de la Chasse Sanglante étaient autrefois des mortels qui ont fait preuve d’une grande sauvagerie. Ces hommes ne traquaient plus des proies pour survivre, ou par soif de vengeance, mais simplement pour verser le sang et arborer des trophées macabres pris sur leurs victimes. On raconte que ces hommes perdirent la raison bien avant de mourir, et qu’ils finirent leur vie reclus, en tant que cannibales. Aucune lueur d’intelligence ne brille dans les yeux des Chiens, seule une soif de sang sauvage.
Les Barbadax
Ka’Bandha déteste les Canons de Khorne, car il les considère trop lents pour chasser. Cependant, les Barbadax accompagnent la Chasse Sanglante depuis l’époque où Khorne lui-même la menait, et défier la tradition reviendrait donc à défier le Seigneur des Crânes en personne. Ka’Bandha est donc obligé d’accepter la présence de ces Canons à Crânes. Il prend soin de ne pas relever lorsque ces derniers s’avèrent utiles pour acculer une proie, et insistent pour qu’ils ne se ruent à la curée que lorsque les autres membres de la Chasse Sanglante ont laissé leur victime s’échapper.
La Chasse Sanglante | ||
Ka’Bandha Khorax Les Skaradrim |
Les Pourchasseurs Les Chiens Les Barbadax |
Un cercle de guerriers elfiques gardait les alentours de la Clairière du Roi, mais ils n’étaient pas nombreux, et servaient plus de garde cérémonielle que de véritables sentinelles. La fureur de l’assaut des Démons les massacra en un instant. Les Sanguinaires de tête les tuèrent sans ralentir leur allure, en ne laissant que des corps décapités et ensanglantés allongés dans les bruyères. Hurlant victorieusement, les Démons poursuivirent sur leur élan à la recherche d’autres proies. Ka’Bandha avait prévenu que personne d’autre que lui ne devait s’emparer de la tête de l’Empereur, cependant ses traqueurs sentaient d’autres proies dans les environs; il y avait donc de nombreux crânes à moissonner. Beuglant d’une joie sauvage, les Démons sortirent des ombres et déboulèrent dans la Clairière du Roi…
…et feulèrent de rage lorsque les flammes de Tyrion les réduisirent en cendres.
L’arrivée des Démons dans le Val d’Argent avait été accompagnée d’un raz-de-marée de Magie. Pour la plupart, celui-ci s’était manifesté sous la forme d’un malaise dans leur esprit. Cependant, Alarielle était liée à l’agonie de la forêt, et avait été submergée par la douleur. Tyrion s’était porté à ses côtés au moment où elle s’effondrait. Même si l’avertissement était arrivé trop tard pour les sentinelles de la clairière, le conseil des Incarnations était aux abois. Des cris fusèrent comme certaines Incarnations appelaient leurs montures, ou donnaient des ordres à leurs compagnons. Néanmoins, ceux-ci étaient généralement ignorés : même si elles étaient alliées, les Incarnations n’étaient pas prêtes à accepter l’autorité de leurs pairs.
Avant que les cendres des victimes de Tyrion se dispersent dans le vent, un chœur de hurlements annonça l’arrivé d’une deuxième vague de Démons à travers les sous-bois. Cette fois, les créatures arrivaient de tous côtés et parcouraient rapidement la distance qui les séparait de leurs proies. Les lames noires luisaient tandis que les Sanguinaires se ruaient à l’attaque. Leurs cris se muaient en piaulements de douleur lorsque la Magie des Incarnations les massacrait.
Tyrion se tenait près de la forme prostrée de la Reine Éternelle. Un halo de lumière dansait autour de sa tête et s’enroulait autour de sa lame, et les horreurs rouges disparaissaient dès qu’elles s’approchaient trop près de lui. À côté de Tyrion, le bâton de Teclis lançait des éclairs. Lorsqu’ils touchaient des Démons, ces derniers étaient projetés en arrière contre leurs congénères. Malgré tout, les créatures se rapprochaient. Les deux frères se battaient dos à dos : les différends de ces dernières années étaient momentanément oubliés face cette situation d’urgence.
Au nord, un mur de feu apparut à l’appel de Caradryan et réduisit en cendres les Sanguinaires qui tentèrent de le franchir. Seuls quatre réussirent. Ils étaient transformés en torchères, mais se ruèrent sur Caradryan. Ce dernier tint bon et abattit la Lame Phénix. L’arme décapita un Démon et s’enfonça dans le torse d’un autre. Les deux créatures survivantes bondirent et firent tomber Caradryan à la renverse. Il y eut alors un cri perçant quand Ashtari arriva, et plongea du ciel tel une comète de flamme. Les serres de l’oiseau de feu se refermèrent sur les deux assaillants de Caradryan et les mirent en pièces. Caradryan se releva tandis qu’Ashtari revenait vers lui, et il bondit prestement sur la selle de sa monture.Personne n’aurait pu reprocher à l’Empereur et à Gotri Hammerson de rester en retrait lors de ce combat. L’Empereur ne disposait plus de la puissance d’Azyr, et n’était plus que l’ombre du demi-dieu qu’il avait été. Hammerson était en plus mauvaise posture encore, car il n’avait jamais joui du pouvoir d’une Incarnation. Malgré tout, aucun des deux ne tenta de se cacher derrière ses alliés, et ils avancèrent au combat. Hammerson avait été blessé à l’épaule par une lame infernale dès le début de l’affrontement, mais il continuait la lutte en donnant de puissants coups avec son bâton runique. Le Croc Runique du Reikland était maculé d’ichor démoniaque. Le plumage de Griffe Mortelle était rougi jusqu’au poitrail, et des bouts de chair pendaient de ses griffes et de son bec.
Non loin, Arkhan regardait d’un air impassible une autre meute de Sanguinaires se ruer vers l’Empereur et le Seigneur Forge-runes. Jusqu’à présent, le Roi Liche avait été plutôt épargné par l’assaut des Démons. Son maître Nagash n’avait pas besoin d’aide, et si un Démon s’approchait trop près, Arkhan se contentait d’ordonner à Razarak de s’envoler pour se mettre hors de portée. Le Roi Liche se moquait de ces mortels avec lesquels son maître avait feint de s’allier, il ne voyait donc aucune raison de se fatiguer à les défendre, sauf si sa passivité risquait de lui attirer la réprobation de Nagash. Finalement, poussant un soupir, Arkhan puisa dans la Magie de mort qui virevoltait autour de son maître et se prépara à agir.
Un groupe de Sanguinaires vociférants arriva et dardant des langues bifides. Hammerson vit qu’ils étaient trop nombreux pour qu’il puisse les vaincre, cependant il y eut un piaulement et le Seigneur Forge-runes ressentit un courant d’air puissant lorsque Griffe Mortelle arriva et balaya les Démons comme des poupées désarticulées.
D’autres Démons arrivaient sans se soucier de la destruction de leurs congénères. Alors qu’ils bondissaient vers lui, Hammerson se tourna vers le liche cadavérique qui restait immobile sur le dos de sa monture, à plusieurs mètres de hauteur dans les airs.
Hammerson cria à Arkhan de lui venir en aide tout en sachant que ses paroles étaient futiles. Pour l’instant, le sorcier Mort-Vivant n’avait rien fait pour les assister, et il n’y avait pas de raison que son comportement change. Comme le Seigneur Forge-runes l’avait prédit, le Roi Liche ne réagit pas. Les cris de Griffe Mortelle et les feulements de colère des Sanguinaires étaient les seuls sons. Hammerson brandit le poing et maudit le Roi Liche pour son indifférence.
Les Démons furent alors sur lui, et le forcèrent à se concentrer sur le combat. Il en abattit deux avant d’être mis à terre. Le Nain tomba lourdement au sol et lâcha son bâton. Il tenta de se relever mais les Sanguinaires se jetèrent sur lui. Il décocha un coup de poing au premier, cependant les autres le maintinrent au sol et dardèrent des langues avides en anticipant sa mise à mort imminente.
Il y eut soudain un éclair de lumière verte, et une odeur de vieille grotte moussue. Hammerson entendit un Sanguinaire hurler de douleur, et sentit le poids qui pesait sur son dos disparaître. Il se releva péniblement et repoussa un Démon mourant, puis sentit la peau étrangement craquelée du monstre céder sous ses pieds. Hammerson leva les yeux et croisa le regard vide et insondable d’Arkhan. Le liche le scruta quelques instants puis s’éloigna sans rien dire.
Ailleurs, des chiens démoniaques surgissaient des frondaisons. Ils traversèrent le blizzard de métal que Gelt invoqua pour les stopper. Leurs colliers d’airain rougeoyèrent un peu et absorbèrent la Magie dans l’air. Lileath se joignit à Gelt. La tempête de métal en fusion s’intensifia et finit par vaincre les défenses mystiques des chiens. Des aboiements pathétiques résonnèrent quand des dizaines de Démons moururent, toutefois, plus encore survécurent au sortilège.
Un des chiens jaillit de la tempête et sauta vers Gelt. Le sorcier fouilla rapidement les fontes de Vif Argent, et mit enfin la main sur une petite fiole, puis la jeta rapidement, sans avoir le temps de viser. Par chance, le flacon se brisa sur le front du chien. Le cri rageur de la bête se mua en un aboiement de douleur tandis que le liquide corrosif l’aspergeait. Gelt se pencha sur sa selle et le chien subitement aveuglé le rata d’un cheveu. Ses griffes déchirèrent en partie la cape du sorcier, sans toutefois s’enfoncer dans ses chairs.
Lileath ne s’en sortait pas aussi bien. La concentration de Gelt avait été brisée et la tempête de métal avait diminué, si bien que les chiens en profitaient pour se rapprocher. La défaite était inconcevable pour cette mortelle qui avait été autrefois une déesse. Auparavant, elle aurait pu se retrouver face à cent de ces créatures et les détruire d’une seule pensée. Mais cette époque était révolue, et désormais, un seul Chien de Khorne était pour elle une menace mortelle. Le plus proche n’était qu’à quelques mètres, et des dizaines d’autres le suivaient. La déesse frappa le molosse à la mâchoire avec son bâton. Des dents noires furent arrachées de la gueule ravagée de la bête, mais elle revint à la charge, en adoptant des mouvements plus lents et plus inexorables alors qu’elle se préparait à sauter à la gorge de sa proie. D’autres arrivaient. Leurs corps étaient ravagés par des dizaines de blessures légères. Alors que les muscles du premier chien se raidissaient, Lileath serra son bâton et se prépara à un combat qu’elle ne pouvait pas gagner.
Son salut provint d’une source inattendue. Au moment où le Chien de Khorne bondissait, il survint un mouvement foudroyant à la droite de Lileath. Une main griffue agrippa le Démon et le jeta au sol dans un même mouvement fluide. Un battement de cœur plus tard, la fine lame de Vlad von Carstein transperçait la gorge du chien, puis frappait de nouveau pour en couper un autre en deux alors qu’il était en train de bondir. Le reste de la meute hurla et se rua vers le Vampire, mais il était bien trop vif. Six autres chiens périrent sous sa lame avant que Gelt parvienne enfin à raviver sa tempête de métal. Pas un seul chien n’avait réussi à égratigner Vlad au cours du combat.
Lileath regarda le Vampire d’un air interloqué, sans comprendre pourquoi il avait pris sa défense au lieu de celle de Nagash. Vlad haussa les épaules et fit un signe de tête. Lileath regarda dans la direction qu’il lui montrait et vit Nagash qui se tenait au cœur d’un vortex couleur améthyste. Des cadavres de Démons desséchés étaient étendus autour des robes virevoltantes du Grand Nécromancien; des fragments d’os brisés et de peau parcheminée dansaient dans les vents surnaturels qu’il déchaînait. Lileath frissonna malgré elle. Parmi toutes les Incarnations, seul Nagash n’avait pas besoin de l’aide de ses pairs. En cet instant, la déesse devenue mortelle se demanda s’il était sage de donner au Grand Nécromancien l’occasion de s’approprier davantage de pouvoir.
Malékith vociférait et gesticulait comme un dément. Seraphon effectuait des piqués vers la clairière, et le Roi de l’Éternité envoyait des traits de ténèbres sur les Démons qui s’agglutinaient. Ces sorts semblaient véhiculer toute la rage de Malékith. Le feu noir invoqué par le Roi de l’Éternité hurlait au-dessus des arbres et immolait tout ce qu’il touchait. Deux royaumes elfiques avaient été détruits sous son règne, et il était déterminé à ne pas perdre le troisième. Il remarquait à peine les faits et gestes de ses alliés et ne jeta pas un regard à la forme inerte de la Reine Éternelle. C’était comme si un abysse de colère sans fin s’était ouvert sous ses pieds, et qu’il risquait d’y sombrer à tout instant.
Les Incarnations et leurs alliés se battaient avec l’énergie du désespoir et ne se laissaient pas impressionner par la sauvagerie de leurs adversaires. Quelques minutes s’étaient écoulées depuis le début de l’attaque de la Chasse Sanglante, mais déjà la plupart des défenseurs avaient subi bon nombre de blessures mineures. Les Démons se moquaient de leur propre survie. Les Chiens de Khorne mordaient et grognaient parce que c’était tout ce qu’ils savaient faire. Ils étaient en proie à la fureur de la bataille, et seule leur mort ou celle de leurs adversaires pouvait les calmer. Les Sanguinaires se battaient car telle était leur nature, et parce qu’ils savaient qu’ils gagneraient les faveurs de Ka’Bandha, voire de Khorne lui-même, en tuant un des champions présents dans la clairière.
Alors que la bataille faisait rage, Ka’Bandha et ses Skaradrim approchaient. Le Buveur de Sang s’apercevait qu’il avait peut-être commis une erreur. Il était si obnubilé par la poursuite de l’Empereur qu’il n’avait pas réalisé la puissance des créatures qui se cachaient dans la forêt. La Chasse Sanglante était suffisamment redoutable pour détruire n’importe quelle forteresse de mortels, toutefois la présence des Incarnations faisait d’Athel Loren un bastion particulièrement difficile à conquérir.En vérité, Ka’Bandha ne s’en inquiétait guère. La Chasse Sanglante n’avait pas raté une traque depuis des siècles, depuis que Magnus le Pieux lui avait échappé aux portes de Kislev. Karl Franz succomberait, et sa tête serait ramenée en guise de trophée à Middenheim. Même si cela exigeait de Ka’Bandha qu’il perde des centaines, voire des milliers de serviteurs, il accomplirait sa mission. De plus, Ka’Bandha aurait aimé faire demi-tour pour massacrer les survivants de l’armée d’Imrik, cependant le crâne de Karl Franz restait son objectif premier, et il ne voulait pas s’en détourner.
Le Seigneur de la Chasse retint ses Skaradrim pendant que ses autres Démons grognaient et mouraient face aux Incarnations et à leurs alliés. Telle était la tradition de la Chasse Sanglante : permettre aux chasseurs de faire leurs preuves avant que leurs maîtres entrent en scène pour la curée. Toutefois, il n’était pas dans la nature de Ka’Bandha de rester oisif pendant que le sang était versé. Chaque fibre de son être lui hurlait d’étendre ses ailes, de hurler une prière à son seigneur et de déchaîner sa fureur contre ses ennemis. Néanmoins, la Chasse Sanglante suivait des rituels sacrés, des traditions inviolables, par conséquent Ka’Bandha se retint. Il était un Buveur de Sang du troisième ost, pas un de ces berserks incontrôlables du sixième ost, et il savait qu’un bain de sang était encore plus exaltant s’il était longuement attendu.
La vue de Ka’Bandha ne s’arrêtait pas aux formes physiques des mortels. Même de loin, il voyait les vrilles de pouvoir qui tournoyaient autour des Incarnations. Malgré tout, ils lui apparaissaient davantage comme des mortels plutôt que comme de vrais dieux. Il avait déjà combattu de tels ennemis auparavant, et avait hâte de recommencer. Finalement, tandis qu’un groupe d’Équarrisseurs se précipitait dans la clairière, le Seigneur de la Chasse ne put attendre davantage. Poussant un beuglement qui fit trembler les arbres, il s’envola vers la Clairière du Roi, et les Skaradrim le suivirent.
Les Skaradrim arrivèrent dans la clairière comme s’ils étaient l’incarnation même de la Fin des Temps. Le battement de leurs ailes provoquait un bruit de tonnerre, et leur fureur écorchait l’air autour d’eux. Des êtres inférieurs, même s’ils avaient été des milliers, auraient fui devant l’horreur d’une telle apparition, mais pas les Incarnations.
Caradryan contre-chargea les Buveurs de Sang dès qu’il les vit. Ashtari plongea droit vers Khorax. L’acier de Khorne frappa pour tuer d’un seul coup l’oiseau de feu et son cavalier. Mais si rapide que fût cette attaque, Caradryan se montra plus vif encore. La Lame Phénix para le coup, et au même instant, Ashtari échappa aux courroux du Buveur de Sang et reprit rapidement de l’altitude. Khorax rugit, à la fois de colère, mais aussi de douleur lorsque le sillage de feu du Phénix le brûla atrocement.
Toutefois, l’Incarnation et sa monture avaient sous-estimé l’allonge de leur adversaire, et l’énorme hache de Khorax atteignit l’aile d’Ashtari. L’oiseau battit des ailes furieusement pour continuer à s’élever, mais Khorax était trop rapide et le frappa une nouvelle fois. Ashtari tomba et creusa un sillon incandescent en s’écrasant au sol. L’impact désarçonna Caradryan, qui forma lui aussi comme une boule de feu tandis qu’il roulait au sol sur plusieurs mètres. La chute d’Ashtari l’avait mis hors d’atteinte de la hache de Khorax, mais il était trop tard. L’oiseau de feu s’immobilisa enfin et ne bougea plus. Non loin de là, Caradryan se redressa en s’appuyant sur le manche de sa hallebarde, au milieu d’un tapis de cadavres. Dans un rugissement triomphal qui fit trembler les os de tous ceux qui l’entendirent, Khorax étendit ses ailes puis se rua vers l’Incarnation du Feu.
Gelt était témoin des difficultés de Caradryan. Il talonna Vif Argent pour aller aux côtés de l’Elfe, puis se ravisa au dernier instant, soudain pris d’un terrible dilemme. Les Sanguinaires et les Chiens de Khorne de la Chasse Sanglante se pressaient autour de Vlad von Carstein et de Lileath, et le sorcier ne voulait pas les abandonner. Cependant, il n’avait pas besoin de s’en faire, car le Vampire était visiblement dans son élément.
Les Démons rappelaient à Vlad ses cousins les plus sauvages, car ils combattaient avec la même férocité et le même manque de grâce. Le Vampire se tenait sur une pile grandissante de cadavres; son épée passait outre la garde d’un nombre sans cesse croissant de Démons. Cela ne semblait pas les décourager, et chaque créature qui tombait ne faisait que décupler la rage des autres. Quant à Lileath, elle avait retrouvé ses moyens suite à l’attaque initiale. Des rais de lune jaillissaient de ses mains tendues, et la pureté de ces traits mettait le feu à la chair démoniaque. Même s’il était encerclé par les Sanguinaires, Vlad parut remarquer l’indécision de Gelt et lui cria qu’il n’avait pas besoin d’assistance. Gelt leur jeta donc un dernier regard et éperonna Vif Argent.
Il se précipita vers Caradryan pour tenter de l’atteindre avant Khorax. D’autres Chiens de Khorne jaillirent des fourrés alors que le sorcier passait près de la lisière. Ils bondirent à plusieurs mètres de haut, la gueule écumante, toutefois Gelt ne se laissa pas surprendre. À peine les Démons avaient-ils quitté le sol que le Bâton de Volans scintilla. Poussant un cri, Gelt libéra une onde étincelante qui transmuta les chiens en or. Avant que ces statues retombent au sol, le sorcier récita un charme de transformation qui refaçonna le métal en lourdes chaînes. D’un geste de Gelt, celles-ci volèrent dans les airs et s’enroulèrent autour des bras et des ailes de Khorax. Alourdi par ce poids en or, le Buveur de Sang s’écrasa violemment au sol dans un vacarme terrifiant.
Cette intervention avait donné à Caradryan le temps qu’il lui fallait. Il en appela aux flammes d’Aqshy et insuffla une nouvelle vie au corps dévasté d’Ashtari. Poussant un piaulement qui libéra une langue de flammes, le Phénix s’envola de nouveau et revint auprès de son maître.
Néanmoins, Khorax n’avait pas dit son dernier mot. Il se releva du cratère qu’il avait creusé dans le sol en tombant, puis vociféra en luttant contre les chaînes en or qui le bloquaient. Le métal se tordit alors que le Démon faisait jouer ses muscles d’acier. Finalement, les maillons cédèrent et les chaînes brisées tombèrent aux pieds du Démon. Ses ailes s’étaient déchirées lors de sa chute, cependant Khorax ne semblait pas en souffrir. Il fit décrire des moulinets à sa hache et s’avança vers Caradryan à pas pesants.
Gelt l’attaqua en invoquant des échardes de métal qui s’enfoncèrent profondément dans ses chairs. Khorax aurait sans doute dû battre en retraite, ou chercher un autre moyen d’atteindre ses ennemis, mais il était bien trop têtu et colérique pour cela. Il chargea à travers la grêle mortelle en rugissant. De l’ichor dégoulinait de ses blessures, mais il n’en avait cure et poursuivait sur son élan. Caradryan fit apparaître un mur de feu pour lui bloquer le passage. Alors que les flammes ravageaient son corps, les dernières forces du Buveur de Sang le quittèrent. Il poussa un ultime beuglement de défi et s’effondra.
Plus au sud, deux autres Skaradrim convergeaient vers Tyrion et Teclis tandis qu’ils protégeaient Alarielle. Le premier des monstres remarqua à peine les cadavres de Démons qui jonchaient le sol autour des jumeaux, et ne vit que deux fragiles mortels qui ne demandaient qu’à être décapités. Son plongeon glorieux se mua en une chute incontrôlée lorsqu’un projectile lumineux de Tyrion réduisit ses ailes en fumée. Le Buveur de Sang s’écrasa sur le sol de la clairière avec la force d’un météore, et dans un bruit d’os et de pierre brisés. Malhandir s’élança avant que le Démon puisse se relever, et Croc du Soleil lui sectionna promptement l’échine.
Le second Buveur de Sang eut à peine plus de succès. Plantant son bâton dans le sol, Teclis puisa dans les réserves inépuisables de Magie, et assaillit le Démon avec une sorcellerie née des huit vents. Du feu et des éclairs jaillirent des cieux, tandis que des épines et des fragments de rochers étaient arrachés du sol. Une lumière pure et des lances d’ambre lacérèrent le Buveur de Sang, puis des ombres et des esprits fantomatiques l’assaillirent. Aveuglé, brûlé et blessé grièvement, le Démon s’écrasa au sol et ne bougea plus. Tyrion vit la chute de la créature et gratifia son frère d’un hochement de tête approbateur. Ensuite, le prince fit signe à Malhandir d’aller vers l’est, là où d’autres Démons ailés s’approchaient d’Hammerson et de l’Empereur.Dès le départ de Tyrion, un nouveau beuglement annonça la venue d’un troisième Buveur de Sang. Peut-être que Tyrion ne l’avait pas vu, ou alors il considérait que son frère était en mesure de vaincre cet assaillant. Mais alors que Teclis puisait derechef dans les Vents de Magie, il comprit qu’il avait trop rapidement épuisé ses forces dans son empressement de se racheter aux yeux de son frère. Malgré tout, comme le Buveur de Sang approchait de la forme inerte d’Alarielle, Teclis rassembla son courage et se prépara à lui faire face.
Prononçant un unique mot de pouvoir, Teclis attaqua le Démon avec un trait de foudre bleuté, et le projeta loin de la Reine Éternelle. Le Buveur de Sang retrouva son équilibre d’un battement d’ailes, et plongea de nouveau vers le Mage. Et une fois encore, ce dernier riposta avec un éclair bleu. Mais cette fois, le Buveur de Sang était prêt, et il dévia l’attaque avec le fer de sa hache. Il se posa devant Teclis en faisant trembler le sol, puis abattit son arme pour le couper en deux.
Teclis serait sans doute mort si la hache avait fait mouche. Même les enchantements protecteurs du Mage auraient été insuffisants pour protéger l’Elfe de la fureur d’un Buveur de Sang. Le Démon poussa un rugissement de frustration : juste avant que sa hache prenne la vie de sa cible, d’épaisses racines avaient jailli du sol meuble de la clairière. Elles s’étaient aussitôt enroulées autour du bras du Démon et avaient retenu le coup qui aurait dû occire Teclis.
Profitant de ce répit inespéré, Teclis s’éloigna du monstre et chercha la source de cette attaque imprévue. Il ne mit pas longtemps à la trouver. Non loin de là, il vit Alarielle qui se redressait. Elle était à genoux, la paume posée contre le sol de la clairière, l’autre main tendue vers le Démon qui avait failli tuer Teclis. Le visage de la Reine Éternelle était émacié et pâle, car les souffrances d’Athel Loren l’affectaient elle aussi, néanmoins ses traits indiquaient une détermination sans faille.
Dans un grondement guttural, le Buveur de Sang libéra son bras entravé, mais d’autres racines sortirent du sol et immobilisèrent ses bras et une de ses jambes. Le Démon fit jouer ses muscles et parvint à libérer son bras tenant la hache, et s’en servit alors pour taillader les racines qui retenaient ses autres membres. Teclis entendit Alarielle prononcer une malédiction si ignoble qu’il était effaré qu’elle la connaisse, puis elle serra le poing. Avant que le Buveur de Sang puisse se libérer totalement, des dizaines d’autres racines vinrent l’enserrer.
Le monstre hurla de souffrance lorsque les racines s’enfoncèrent dans ses chairs. Du sang démoniaque giclait aux alentours tandis que son corps était parcouru de convulsions. Teclis s’approcha d’Alarielle pour l’aider à se relever, mais elle le chassa d’un geste énervé. Les rugissements de douleur du Buveur de Sang étaient de plus en plus atroces. Finalement, la Reine Éternelle écarta les doigts. Les racines ressortirent brutalement des chairs du Démon, et ce mouvement aussi soudain que violent l’écartela. Les racines s’agitèrent dans les airs tandis que de gros morceaux sanguinolents retombaient en pluie, puis elles redevinrent totalement inertes.
Alarielle n’en avait pas fini. Elle prit rapidement connaissance de la bataille qui souillait la Clairière du Roi. Elle ferma alors les yeux, et puisa dans la toute-puissance du cœur spirituel d’Athel Loren.
En effet, la Clairière du Roi n’était pas sacrée uniquement pour les Elfes. Dans les temps anciens, elle était le lieu de rassemblement des doyens de la forêt. C’étaient là qu’ils tenaient conseil, et la communion silencieuse d’esprits millénaires cherchait le meilleur moyen de guider le destin de la forêt. Ces rassemblements avaient cessé lors de l’arrivée des Elfes, et la plupart des doyens avaient sombré dans un profond sommeil. Ils ne s’étaient pas réveillés depuis cette époque, toutefois jamais Athel Loren n’avait été aussi proche de la destruction qu’en cet instant-là. Alarielle n’aurait jamais pu arracher seule ces créatures à leur sommeil, heureusement, elle n’était pas la seule à les appeler. L’esprit d’Athel Loren avait été horrifié par la douleur psychique provoquée par la venue de la Chasse Sanglante, et il appuya la requête de la Reine Éternelle, au point que seuls les morts auraient pu ignorer ses suppliques. Alarielle esquissa enfin un sourire harassé, puis elle s’effondra. Teclis s’approcha de nouveau d’elle pour l’aider, et cette fois, elle accepta.
Un cri de guerre qui n’avait pas résonné depuis des siècles se fit entendre. Il était profond et sonore, semblable au grondement d’une avalanche. À la lisière de la clairière, les arbres commencèrent à bouger. Leurs racines s’extirpèrent du sol, et leurs écorces adoptèrent de nouvelles formes. Les anciens gardiens s’éveillaient, car leurs esprits immémoriaux sortaient enfin de leur torpeur. Le cri de guerre résonna une fois de plus, et toujours plus de voix y répondirent, au point que le sol vibra sous l’effet de la fureur séculaire de la forêt. Le son se dissipa, mais pas les secousses du sol. Teclis comprit soudain que ce n’était pas le cri de guerre qui en était responsable, mais que c’était bel et bien toute la forêt qui s’animait à l’appel d’Alarielle.
N’importe quel autre ennemi aurait fui en voyant cela, mais pas la Chasse Sanglante. Les Démons de Khorne ne craignaient rien en dehors de la colère de leur dieu et firent face à l’arrivée des Hommes-Arbres avec une fureur inextinguible. Cela leur coûta cher. Les anciens gardiens arrivaient de tous les côtés à la fois, d’abord lentement, puis de plus en plus vite tandis qu’ils prenaient de l’élan en plantant leurs racines dans le sol meuble. Les Sanguinaires furent balayés comme des fétus de paille. Leurs corps étaient projetés dans les airs par les coups puissants des Esprits de la Forêt. Les Chiens de Khorne et les Juggernauts furent piétinés à mort.
Ce n’est que face aux Buveurs de Sang que l’assaut des Hommes-Arbres ralentit quelque peu. Chacun des Démons Majeurs était un fragment de la colère sans fin de Khorne. Ils étaient plus puissants que n’importe quel mortel, et possédaient une volonté inébranlable. Ce fut une bataille telle qu’on n’en avait pas vue depuis la première incursion du Chaos. Des géants issus d’un âge révolu combattaient pour le destin du monde. Alors que la bataille faisait rage, les Sanguinaires et les chiens étaient broyés par dizaines, sans que leur destruction attire l’attention des titans qui les surplombaient. Les Incarnations et leurs alliés s’en sortaient à peine mieux. À deux reprises, Arkhan faillit être balayé par les ailes d’un Buveur de Sang mourant, et seule l’agilité de Malhandir évita à Tyrion d’être écrasé par la chute d’un Homme-Arbre.
Les Buveurs de Sang frappaient sauvagement les peaux épaisses des gardiens. Les haches démoniaques mutilaient la chair de ces anciennes créatures dès qu’elles trouvaient prise sur leur écorce. Pour leur part, les gardiens attaquaient les Démons avec leurs énormes poings. Leurs horions défonçaient les armures en bronze et pulvérisaient les chairs rougeâtres. Le sol tremblait à chaque impact. Les Hommes-Arbres s’effondraient lourdement lorsqu’ils étaient mis en pièces. Des Sanguinaires se jetaient sur leurs formes mourantes pour donner le coup de grâce. Les Buveurs de Sang crachaient des jets de sang noir et tombaient à genoux, le crâne fracassé ou les côtes défoncées par les coups monumentaux de leurs adversaires.
Finalement, Ka’Bandha se joignit au combat. Le tonnerre que provoquait le battement de ses ailes ressemblait à un hymne de mort, et son rugissement de défi évoquait la fureur des montagnes. Il plongea là où se trouvaient Teclis et Alarielle, la hache brandie pour les abattre impitoyablement. Un des anciens gardiens s’interposa entre les Incarnations et le Démon. L’immense marteau-fléau de Ka’Bandha frappa dans un craquement et le bras gauche de l’Homme-Arbre explosa dans une pluie de fragments de bois. Avant que l’Esprit de la Forêt puisse s’en remettre, la hache de Ka’Bandha s’enfonça dans son cou et lui trancha la tête. L’Homme-Arbre poussa un mugissement sourd, semblable à la plainte d’un chêne abattu par la hache d’un bûcheron.
Alarielle tenta d’invoquer ses magies régénératrices, mais elle était trop faible. L’âme de l’Homme-Arbre s’évanouit avant qu’elle puisse soigner les blessures qu’il venait de subir. La Reine Éternelle était si concentrée sur sa tentative qu’elle serait morte sur-le-champ si Teclis ne l’avait pas tirée pour lui éviter d’être écrasée par la chute de l’Homme-Arbre. Le choc du corps du géant contre le sol jeta à terre les deux Elfes. Un instant plus tard, les énormes sabots de Ka’Bandha touchèrent le sol à quelques mètres d’eux.
Teclis déchaîna une nouvelle fois des éclairs. La foudre tomba des cieux et frappa les ailes de Ka’Bandha. La Magie crépita sur l’armure du Buveur de Sang et des étincelles grésillèrent sur sa couronne runique. Néanmoins, cela ne le ralentit pas. Des flammes dégoulinaient de ses naseaux et de sa bouche hérissée de crocs gros comme des dagues tandis qu’il avançait vers ses proies. Il émit un rire tonitruant.
Deux autres gardiens se précipitèrent sur Ka’Bandha par la droite et par la gauche. Sans s’arrêter, le Buveur de sang enfonça violemment sa hache dans le torse couvert de mousse de l’Homme-Arbre de gauche, puis lui sectionna la jambe avec un second coup. Mais si rapide fût-il, le Démon Majeur ne put se retourner assez vite pour faire face à son deuxième assaillant. Dans un grognement guttural, l’Homme-Arbre joignit ses énormes poings et frappa de toutes ses forces le Buveur de Sang à la nuque.
Ka’Bandha tituba sous le choc mais ne s’effondra pas. Dans un grondement de colère, il fit volte-face, sans se soucier des éclairs de Teclis. La hache du Démon tenta de frapper une fois de plus, toutefois son adversaire réagit opportunément. Ses doigts se prolongèrent en lianes qui s’enroulèrent autour du bras du Buveur de Sang avant qu’il puisse porter son coup. Ka’Bandha rugit et riposta avec son marteau-fléau. Cependant, le gardien s’attendait à une telle réaction, et il bloqua le deuxième bras du Démon Majeur.
Pendant un long moment, Ka’Bandha et le gardien restèrent presque immobiles tandis qu’ils luttaient pour essayer de prendre le dessus. Le Buveur de Sang vociférait comme des cieux déchaînés et de la vapeur jaillissait de ses naseaux. L’Homme-Arbre n’émettait aucun son, mais ses membres énormes craquaient et grinçaient comme les branches des arbres dans la tempête. Non loin d’eux, Teclis changea de stratégie. Il renonça à invoquer des éclairs et en appela au vent de la Bête, et l’implora d’accorder sa force au gardien. Comparé aux autres vents, Ghur ne soufflait pas fort sur Athel Loren ce jour-là, toutefois Teclis canalisa autant d’énergie qu’il put et la plia à sa volonté. Une force nouvelle coula dans les veines du gardien, et la bataille titanesque entre l’Homme-Arbre et le Démon commença à pencher en faveur du premier. Les bras de Ka’Bandha étaient repoussés inexorablement. Les sabots du Buveur de Sang s’enfonçaient dans le sol comme il cherchait ses appuis et tentait de résister à la pression.
Un grondement sourd résonna au plus profond du torse du Démon Majeur. Il prit de l’ampleur, puis jaillit de sa gueule béante sous la forme d’un torrent de flammes qui recouvrit le torse et les membres de son adversaire. Ce n’était pas un feu ordinaire. Il était né dans la chaleur impitoyable des forges de Khorne, si bien que l’écorce du gardien s’enflamma instantanément à son contact. Les lianes qui immobilisaient Ka’Bandha se racornirent, la peau du gardien noircit et s’étiola. Dans un rugissement triomphal, le Buveur de Sang se libéra de l’emprise de l’Homme-Arbre, dont le corps explosa en un nuage de charbons ardents.
Cette fois, ce fut Alarielle qui sauva Teclis alors que les fragments incandescents du vénérable Homme-Arbre tombaient autour d’eux. De petits incendies se déclenchèrent sur l’herbe, et dégagèrent une fumée épaisse aux relents de métal en fusion. La silhouette noire de Ka’Bandha se découpait dans la fumée. Poussant un grondement tonitruant, le Buveur de Sang se tourna vers les Elfes et étendit les ailes pour les atteindre d’un seul bond monumental.
Teclis était paralysé alors que le Buveur de Sang fonçait vers lui, suivi par les silhouettes noueuses des Sanguinaires. Le Mage avait combattu d’innombrables Démons au cours de sa longue vie, mais il n’en avait jamais affronté un aussi résistant à toute forme de Magie. Que pouvais-je faire d’autre ? se demanda-t-il.
« Courez ! » lui cria Alarielle, mais le Mage ne bougea pas. Quelle a été l’utilité de mes actes s’il n’y avait pas d’espoir ? Il fut soudainement tiré en arrière lorsque la Reine Éternelle attrapa ses robes. Le violent courant d’air provoqué par le battement des ailes du Buveur de Sang avait des relents de soufre. Le bâton d’Alarielle s’illumina; des racines jaillirent du sol et empalèrent le Démon. Celui-ci poussa un cri qui tenait plus du mépris que de la souffrance. Il hacha les épieux vivants qui le mutilaient et continua d’avancer en ignorant les flots de sang qui s’écoulaient de ses blessures. L’esprit de Teclis sortit enfin de sa torpeur au moment où le marteau-fléau du Démon s’abattait. Il y eut un son étrange lorsque l’attaque fut déviée par le bouclier enchanté que le Mage invoqua en toute hâte. Le sort se dissipa sous la force du coup, laissant Alarielle et Teclis de nouveau vulnérables. Le Buveur de Sang brandit son marteau. Il allait porter un second coup lorsqu'une voix claire s'éleva. « Laisse-les, Démon ! C’est mon crâne que tu es venu chercher ! » Un cri puissant emplit l’air. Une forme immense couverte de plumes s’abattit sur le Buveur de Sang, et le repoussa violemment dans la fumée en enfonçant ses énormes serres dans son corps. |
La Reine Éternelle maudit en silence la témérité de l’Empereur, tout en murmurant des remerciements pour son intervention inespérée. Privé du pouvoir d’Azyr, l’humain n’avait aucune chance contre le Buveur de Sang. Néanmoins, Alarielle voulait s’assurer que son acte de bravoure ne serait pas inutile. Faisant appel aux gardiens survivants, elle leur demanda de se rassembler au centre de la clairière. Les Incarnations n’étaient pas en mesure de vaincre un tel ost démoniaque, toutefois il restait des armées d’Elfes, d’hommes et même de Nains à Athel Loren. Elle pouvait sentir la présence de Durthu à moins d’une lieue, et l’Homme-Arbre se rapprochait. De plus, il n’était certainement pas seul. Les Incarnations devaient tenir bon jusqu’à ce que des renforts arrivent.
Les gardiens perçurent la demande d’Alarielle et lui obéirent sans hésiter. Les plus proches du centre de la clairière nouèrent leurs bras les uns aux autres et plantèrent profondément leurs racines dans le sol, afin de former une forteresse vivante à l’intérieur de laquelle la Reine Éternelle et ses alliés pourraient se réfugier. Pendant ce temps, d’autres Hommes-Arbres faisaient de leur mieux pour secourir ceux qui ne pouvaient pas compter sur un Dragon, un Griffon ou un Phénix pour les porter. Au nord, Vlad fut soulevé lorsqu’un poing noueux se referma sur sa cape. Des Chiens de Khorne tentèrent de lui mordre les talons, mais le Vampire fut rapidement emmené par le gardien qui s’était emparé de lui. Lileath et Hammerson furent secourus de la même façon. Seuls Teclis et Alarielle se rendirent à l’intérieur du mur vivant de leur propre chef, parce que Ka’Bandha avait tué tous les gardiens à proximité.
Les craintes d’Alarielle concernant l’Empereur étaient justifiées. Ka’Bandha se remit rapidement de l’attaque impromptue de Griffe Mortelle. Sa hache frappa et ouvrit une profonde blessure dans le flanc de l’animal. Poussant un cri de douleur, le Griffon lâcha le Buveur de Sang et battit frénétiquement des ailes pour s’éloigner. Ce mouvement soudain coucha l’Empereur sur sa selle, et heureusement, car au même instant, le marteau-fléau de Ka’Bandha sifflait dans sa direction. Il passa précisément là où l’Empereur se tenait un instant plus tôt, et l’aurait probablement désarçonné, voire tué sur le coup.
Ka’Bandha s’était relevé, et riait à gorge déployée malgré l’ichor qui dégoulinait de ses blessures. Il venait de survivre à l’assaut de l’Empereur, et allait bientôt s’emparer de son crâne.
Soudain, un nuage d’ombres enveloppa Ka’Bandha. Il prenait la forme d’un immense visage couronné dont les yeux brillaient comme le soleil hivernal. Chaque vrille de brume s’enfonçait dans la chair du Démon Majeur comme une épine, mais cette douleur ne fut rien comparée à celle qui suivit un battement de cœur plus tard. Alors que l’apparition fuligineuse engloutissait Ka’Bandha, un éclair de lumière étincela à la droite du Buveur de Sang. Malgré le brouillard magique, le Démon put voir la silhouette d’un cavalier qui se rapprochait de lui à une vitesse surnaturelle. Pris en étau entre l’ombre et la lumière, Ka’Bandha fut forcé de mettre un genou à terre et de pousser un rugissement de frustration.
L’Empereur hésita lorsqu’il vit Malékith et Tyrion s’en prendre au Buveur de Sang. Il savait qu’il avait pris de gros risques en engageant Ka’Bandha au corps à corps, mais il n’avait pas l’habitude de laisser les autres prendre des risques à sa place. Seuls les avertissements d’Alarielle l’empêchèrent de se ruer de nouveau au combat. Il guida donc Griffe Mortelle vers le sud. Au passage, l’animal saisit Teclis afin de l’emmener jusqu’à la forteresse vivante qui s’était disposée au centre de la clairière. Gelt et Caradryan s’y trouvaient déjà après y avoir été emmenés par leurs rapides montures. L’Empereur ne vit pas Arkhan et Nagash. Alarielle était restée en arrière, selon sa propre demande. Tandis que le Griffon s’éloignait, l’Empereur vit la Reine Éternelle avancer vers le Buveur de Sang. Une lumière couleur jade ruisselait de ses mains alors qu’elle invoquait sa Magie.
Le craquement d’arbres abattus au nord annonça l’arrivée de renforts pour la Chasse Sanglante. Ce n’étaient pas des Démons ordinaires, mais des machines en bronze qui dégageaient une chaleur infernale. Elles étaient dotées d’énormes pistons et de canons aux gueules garnies de crocs. Ces machines de guerre ouvrirent le feu dès qu’elles arrivèrent. Des crânes filèrent dans les airs en laissant derrière eux des traînées de métal fondu et de feu démoniaque. Ils percutèrent la forteresse vivante d’Hommes-Arbres et ravagèrent leurs corps. Cependant, ce ne fut pas le mur de gardiens qui subit le plus de dégâts.
L’Homme-Arbre qui portait Vlad fut frappé par six crânes en l’espace de quelques secondes. Il se désintégra littéralement en une pluie d’échardes. Le Vampire tomba au sol, le corps lacéré, mais il se releva en poussant un juron. Il faillit être écrasé par l’Homme-Arbre qui portait Hammerson lorsque la créature perdit une jambe sous un tir de Canon à Crânes. Le Nain s’extirpa des branches de l’Esprit des Forêts au moment où une ombre immense les recouvrit, Vlad et lui : un Buveur de Sang plongeait dans leur direction en beuglant de fureur.
À l’est Arkhan vit la détresse de l’autre Mortarch mais ne fit rien pour l’aider. Il dirigea Razarak vers la colonne de Magie améthyste qui indiquait le lieu où combattait son maître.
Lileath vit elle aussi la mauvaise posture de Vlad et d’Hammerson au moment où elle atteignait la forteresse vivante, et envoya son Homme-Arbre à leur aide. Cependant, elle comprit qu’il arriverait trop tard. Caradryan et Gelt réagirent en intimant à leurs montures de reprendre leur envol. Leur sortie fut accueillie par une autre salve des canons. Ashtari fut assez vif pour échapper aux tirs, mais Vif Argent n’eut pas cette chance, et un projectile l’atteignit à l’aile. Dans un effort, le Pégase parvint à se poser sans subir d’autres blessures, mais il n’était plus en mesure de voler.
Lorsque l’Empereur et Teclis atteignirent la forteresse vivante quelques secondes plus tard, la bataille glissait inexorablement vers la catastrophe. Les Incarnations et leurs alliés étaient éparpillés, sans renforts en vue. Nagash faisait cavalier seul. Pire encore, Ka’Bandha avait pris la mesure de ses adversaires. La Magie de la Lumière, de l’Ombre et de la Vie le harcelaient, mais la douleur ne le tiendrait pas en respect éternellement.
Seul un miracle pouvait renverser la situation. L’Empereur se tourna alors vers Teclis dans l’espoir qu’il pourrait les sauver.
« On n’a plus beaucoup de temps ! » cria l’Empereur pour couvrir le tonnerre des canons. Sans attendre de réponse, il bondit de sa selle et courut vers Teclis et Lileath.
« Usez de votre Magie ! » leur demanda-t-il. « Il faut tenter d’atteindre Middenheim tant que suffisamment d’entre nous sont encore en mesure de se battre. » Teclis secoua la tête. « Je vous l’ai déjà dit : c’est impossible. La Magie provient du Chaos. Si nous canalisons une telle quantité de pouvoir, nous ouvrirons une faille identique à celle que nous voulons éviter. - Dans ce cas, que suggérez-vous ? Les Démons continueront de déferler jusqu’à ce que nous soyons tous morts, et ce monde tombera peu après ! » Teclis n’avait aucune réponse. Après des années passées à appliquer le plan de Lileath, les événements s’enchaînaient trop vite. Il avait compris trop tard qu’on ne pouvait pas tout anticiper. « Il existe un moyen, » déclara Lileath. « Mon corps est mortel, mais mon sang est mon esprit sont toujours de nature divine, et contiennent le pouvoir dont vous avez désespérément besoin. - Le sang d’une innocente… » murmura l’Empereur, horrifié. Lileath secoua la tête.« Je ne suis pas une innocente. Même si j’ai agi à cause des circonstances, j’ai trahi ceux qui me faisaient confiance. Je n’aurais pas pu emmener de tels péchés dans le Havre, et il vaut mieux que je les rachète dès à présent. - En mourant pour nous ? » dit Teclis. - C’est la Rhana Dandra. Nous sommes tous destinés à mourir. Est-ce que l’ordre dans lequel nous trépassons a vraiment une importance ? - Vous êtes la dernière survivante de notre panthéon. Vous avez été mon guide, ma lumière. Vous ne pouvez me demander une telle chose. » Lileath effleura avec la main la joue du Mage. « Mon cher Teclis, tu m’as servi fidèlement alors que je ne le méritais pas. Accorde-moi cette ultime faveur. » Teclis était déchiré par la souffrance et l’incertitude. Il ne répondit pas. « Il va le faire, » dit l’Empereur. Teclis fit volte-face d’un air furieux. « Ne parlez pas en mon nom ! Vous ne réalisez pas ce que vous me demandez. » L’Empereur ne se laissa pas démonter. « Si nous avons une dernière chance, nous devons la saisir. Comme elle l’a dit, nous serons bientôt tous morts quoi qu’il advienne. » Comme pour confirmer ses dires, un des anciens qui les défendait fut frappé par un tir de canon. Son torse fut pulvérisé et projeta des esquilles d’écorce incandescente aux alentours. Les pensées de Teclis se bousculaient, mais la logique des paroles de l'Empereur était implacable. Il finit par accepter la dague que Lileath lui présentait. La déesse s’agenouilla et pressa Teclis de la regarder. « Ma mort ne doit pas être rapide. Lorsque mon esprit |
s’envolera, mon essence divine s’enfuira avec lui, et tu ne pourras plus la saisir. Elle posa les mains sur celles de Teclis, et guida la pointe de la dague jusqu’à ce qu’elle appuie sur son cœur. « Là… » dit-elle en souriant faiblement. « Est-ce que tu es prêt ? »
- Non, » répondit Teclis. Il enfonça la dague avant que les pensées qui tourbillonnaient dans sa tête l’en empêchent. Lileath se raidit lorsque la lame s’inséra entre ses côtes. Elle émit un cri étranglé. Teclis lâcha la dague et la déesse mourante s’affala contre lui. Sa respiration haletante résonnait en écho dans les oreilles du Mage. Son sang inondait ses mains. Teclis ferma les yeux et tenta d’ignorer les gémissements de Lileath. Le sang dégoulinait sur ses bras et imbibait ses robes. L’âme de Lileath planait dans les pensées de Teclis comme un oiseau dans la brise, et attendait d’être libérée. Teclis tenta de s’emparer de cette essence, mais elle lui glissa entre les doigts. Il essaya encore et encore alors que la respiration de Lileath diminuait. La peur de l’échec noua l’estomac du Mage; le désespoir menaçait de l’envahir. C’est alors qu’une voix calme et rassurante résonna dans l’esprit de Teclis. Il pensa au début qu’il s’agissait de celle de Lileath, puis se ravisa en réalisant qu’elle était plus profonde et plus grave. Une lumière dorée apparut soudainement dans les ombres de ses pensées, et cette fois, l’essence de Lileath ne lui échappa plus. Teclis entendit la déesse devenue mortelle pousser un dernier gémissement. Son corps fut parcouru d’une ultime convulsion puis s’immobilisa. Lileath était morte, toutefois Teclis avait réussi à capturer son essence divine. Le Mage fut submergé par l’afflux de pouvoir. Son esprit planait au-dessus d’Athel Loren. Loin en dessous, il vit les mortels qui apparaissaient sous la forme d’étincelles de lumière au milieu d’un océan de ténèbres. Les Incarnations étaient tels des fanaux dans le noir. Il vit la bataille qui faisait rage dans la Clairière du Roi. Les détails étaient d’une clarté absolue en dépit de la distance à laquelle il se trouvait. Les gardiens avaient été presque tous détruits. Les morceaux épars de leurs cadavres témoignaient de la sauvagerie de leurs adversaires. Gelt était bloqué à l’intérieur de la forteresse vivante depuis que l’aile de Vif Argent avait été brisée. Il avait créé un dôme doré. Ses bras étaient grand ouverts, et il luttait pour maintenir son enchantement en dépit des coups de hache et de marteau qui s’abattaient dessus. Ka’Bandha rugissait en s’extirpant des sorts tissés par Tyrion, Malékith et Alarielle. Hammerson et Vlad tenaient leur position face à un Buveur de Sang. Les attaques du Vampire étaient aussi rapides et précises que celles du Nain étaient puissantes et lentes. Nagash, dont la lueur était la plus sombre de toutes les Incarnations, avait emprisonné un Buveur de Sang dans un cocon d’améthyste, et était occupé à réduire ses os en miettes. Teclis vit son propre corps ensanglanté au milieu du cercle formé par les gardiens. Il était immobile, et semblait |
aussi mort que le cadavre qu’il tenait dans ses bras. Il vit l’Empereur agenouillé près de lui, la main posée sur son épaule. Au début, le Mage crut qu’il s’agissait d’un geste de soutien, puis il se souvint de la lumière dorée qui lui était venue en aide, et comprit qu’il venait de découvrir un secret qu’il ignorait jusqu’à présent.
Alors que le Mage observait la détresse de ses alliés, son esprit arpentait les Vents de Magie avec une adresse surnaturelle. L’essence divine de Lileath lui apportait son pouvoir, et il tissa un enchantement bien plus puissant que tout ce qu’il aurait pu imaginer, au point qu’il n’avait pas vraiment conscience de son ampleur. Les étapes de ce rituel lui apparaissaient clairement, comme s’il était guidé dans chacun de ses pas. Finalement, l’étincelle spirituelle de Lileath commença à se dissiper, et avec elle la détermination de Teclis. Ses pensées devinrent douloureuses, comme si la Magie qu’il avait accumulée menaçait de le submerger. Il poursuivit son enchantement avec précipitation, afin de l’achever avant que le savoir de la déesse l’abandonne définitivement. Il ne fallait pas perdre de temps : le sort se déliait plus vite qu’il n’avait été tissé. Teclis rassembla les points lumineux des Incarnations sur le canevas de son enchantement. Ce faisant, il savait que cela ne serait pas suffisant face aux forces qu’ils allaient affronter. Avant que le sort se dissipe, il collecta ensuite autant de défenseurs d’Athel Loren que possible. Finalement, juste avant que la sorcellerie disparaisse totalement, Teclis projeta ceux qu’il avait réunis vers Middenheim et murmura une prière à la déesse qu’il avait tuée. Il succomba enfin à la pression exercée sur son esprit et sombra dans le néant. Lorsqu’il s’éveilla, sa tête lui faisait souffrir le martyre et sa joue reposait contre la pierre froide. La seule lumière de l’endroit provenait de torches suspendues au-dessus de lui. L’odeur métallique du sang planait dans l’air. Teclis essaya de se relever, mais ses poignets étaient entravés par des chaînes. Il put seulement se mettre à genoux. Il n’avait pas peur, car son cœur était trop accablé par le poids de l’échec pour accueillir toute autre émotion. « Il se réveille, mon seigneur, » annonça une silhouette encapuchonnée qui émergea des ombres. Son masque métallique luisait à la lumière des torches. Sa voix était obséquieuse, et il était voûté, comme s’il faisait constamment une révérence. Alors que ses yeux s’accoutumaient à la pénombre, Teclis vit que ce sorcier lui avait dérobé son épée et son bâton. Il suivit le regard du sorcier à travers la pièce, au-delà du chaudron de sang bouillonnant, jusqu’au trône de crânes à l’autre bout de la salle. Une silhouette en armure y était assise. Elle se redressa, mais son expression était cachée par le facial de son masque doré. - Tu es venu de loin pour mourir, Elfe, » lui lança Archaon. « Mais ne t’en fais pas. Ce monde ne te survivra pas bien longtemps. » |
Les Incarnations avaient peu de temps pour arranger leurs forces, et aucun pour prodiguer la moindre explication. Chacune menait par l’exemple, son courage et sa détermination, et faisait confiance à ses guerriers pour la suivre. Toutes sauf Nagash. Comme toujours, l’emprise du Grand Nécromancien sur ses sbires était absolue. Ils se jetèrent sans pitié sur la horde d’Archaon depuis la porte ouest donnant sur les enclos à esclaves en ruine de Neumarkt. Ils bénéficiaient de l’effet de surprise, tout en sachant que les effectifs de l’Élu des Dieux finiraient par parler.
Ainsi, tandis qu’un crépuscule rouge tombait sur le Fauschlag, et que des éclairs zébraient le ciel, Middenheim plongea dans le massacre. Toutes les Incarnations luttaient dans le même but. Toutes avaient vu la cicatrice de la grande excavation, ou les monceaux de butin et les fosses communes qui bordaient son périmètre. Toutes savaient que la bataille de Middenheim, la bataille du monde, ne pouvait être remportée dans les rues. Ainsi guidaient-elles leurs suivants au centre de la cité, vers le gouffre creusé par Archaon dans le roc du Fauschlag.
De toutes les Incarnation, Caradryan se trouvait dans la pire des situations. Son armée avait émergé sur les vestiges de l’Ulricsmund, au bord de l’excavation. Il n’y avait pas le temps de parler, même si l’Incarnation avait été habituée à le faire. À peine la tornade magique avait-elle disparu que les Elfes de Caradryan étaient assaillis par la hache des Skaramor et les Kurgans en armure noire de sa tribu. L’abîme de l’excavation dans leurs dos, les Elfes ne pouvaient reculer, et sans aide, Caradryan savait que même le pouvoir que con corps abritait ne serait pas suffisant pour garantir la victoire.À ce moment, le fardeau d’Aqshy pesa plus lourd qu’auparavant, et Caradryan comprit que c’est en cette puissance que reposait son salut. Contrairement aux autres pouvoirs élémentaires, le feu ne diminuait pas lorsqu’il était divisé, mais s’amplifiait en se répandant. Tandis que les bannières noires se pressaient contre ses lignes, l’Incarnation du Feu puisa dans son âme et divisa le pouvoir d’Aqshy en milliers de fragments. Il en conserva la plus grande part, et sema le reste comme des graines parmi son ost. Immédiatement, une flamme s’alluma sur les lames d’Ithilmar; les guerriers luisaient d’une force nouvelle et leurs esprits étaient plus déterminés que jamais.
Les chefs Kurgans, nombreux à avoir été surpris pendant leur sommeil, aboyèrent leurs ordres, et menèrent leurs guerriers au bord de l’excavation. Les Nordiques tentèrent de piéger l’Ost du Feu contre le précipice, afin d’écraser les Elfes comme les faibles qu’ils étaient supposés être. Toutefois, Caradryan conserva l’effet de surprise. Il n’attendit pas ses ennemis au bord du gouffre. À la place, il lança l’Ost du Feu tête baissée contre le cœur de la horde en mouvement.
Les Elfes frappèrent les premières bandes de Kurgans comme un vent cuisant. Ils s’annonçaient comme un raz-de-marée de flammes, rageur et rugissant. La chair se cloquait et les armures fondaient où ils frappaient, les cris de ses victimes se fondant avec le grésillement de la peau brûlée. Des flammes coulaient sur les haches et les hallebardes qui fendaient les Nordiques en deux. Les bandes de tête furent vite balayées, précipités dans l’oubli par des Elfes semblant être constitués plus de feu que de chair. D’autres Nordiques laissaient choir leurs armes et fuyaient, prêts à risquer la défaveur des Dieux Sombres plutôt que subir le courroux des Elfes nimbés de flammes. Toutefois, plus bas sur le versant, les Skaramor ricanaient de la faiblesse des Kurgans. Les Elfes pouvaient bien invoquer tous les pouvoirs qu’ils voulaient, tant qu’il restait possible de les saigner.
Malékith vit le feu monter au ciel, sans se laisser le temps de penser à ce que le phénomène pouvait bien augurer. L’ost du Roi de l’Éternité combattait au sud de l’Ulricsmund, où les Skavens avaient établi un repaire sordide, dans les rues étroites et enchevêtrées du Wynd. Les ombres enflèrent comme de la fumée portée par le vent, et des cris stridents emplirent l’air tandis que les Elfes s’abattaient sur les Skavens pris au dépourvu. Dans le confinement des rues, les hommes-rats ne pouvaient pas aisément tirer avantage de leurs effectifs, et rares étaient ceux à souhaiter affronter les guerriers du Roi de l’Éternité sans une meute de lanciers derrière eux. Seul un Seigneur de Guerre, ivre de Malepierre et d’ambition, osa croiser le fer avec Malékith. Ses restes broyés avaient fini dans le gosier de Seraphon, et l’horreur de sa mort, non son courage, avait dicté le comportement de ses guerriers.
Plus au nord, Nagash offrit le don de la mort aux Nordiques campant dans Neumarkt. Le sort de Teclis avait atteint la frontière est d’Athel Loren, et même au-delà, même si rares étaient ceux à le savoir, et avait entraîné l’armée du Grand Nécromancien à ses côtés. Les Nordiques en fourrure s’étaient pensés à l’abri dans la nouvelle forteresse d’Archaon. Ils étaient ivres ou endormis, et moururent rapidement. Krell et la Légion Maudite furent impitoyables avec ceux qui furent jadis les leurs. L’acier des tertres transperça les pelisses grasses et les armures baroques tandis que la Légion Maudite progressait.
Arkhan et Nagash avançaient dans le sillage de la Légion Maudite, leur sorcellerie insufflant une nouvelle vie aux guerriers tombés. Il restait peu de bâtiments dans cette zone de la cité, et ceux encore debout servaient d’enclos à esclaves. Les captifs portaient les uniformes en lambeau d’une douzaine d’états, et avaient survécu là où leurs compagnons plus chanceux avaient péri sous les haches des barbares. Les esclaves voyaient à présent des Nordiques désespérés dépasser les portes délabrées de leurs cages, et un espoir perdu se raviva. Ils acclamèrent en voyant leurs geôliers s’enfuir vers le centre de la cité, croyant que leur libération était proche. Hélas les vivats se muèrent en cris d’horreur lorsque les esclaves constatèrent que les Nordiques ne fuyaient pas une armée de l’Empire, mais une marée de Morts-Vivants.
Malékith aurait ignoré les esclaves, si la chance l’avait conduite à Neumarkt. Il ne les aurait considérés que comme des misérables, juste bon pour le fouet.
Gelt, Caradryan et Alarielle auraient eu pitié des captifs et les auraient libérés. Tyrion et l’Empereur auraient vu en ces prisonniers une armée prête à se venger de ceux qui avaient incendié leurs terres et massacré les leurs. Nagash, en revanche, regarda à travers les cages nauséabondes et n’y décela que de la matière première. Le Grand Nécromancien étendit une main, et un feu d’améthyste balaya Neumarkt, étouffant la vie de tout ce qu’il touchait. Les cris atteignirent un nouveau pic, puis ils furent réduits à néant.
L’armée de Nagash avait doublé en un instant, et se pressait à travers Neumarkt, dans la désolation calcinée qui avait été le Grand Parc. C’est là, parmi les arbres noircis, que le Grand Nécromancien rencontra un premier obstacle sérieux. Des rangs serrés de boucliers d’acier étaient alignés sur le belvédère est du parc, et les guerriers aux casques clos chantaient pour faire refluer leur peur des Morts-Vivants. Des sorciers traçaient des symboles interdits dans l’air. Les motifs luisirent et étincelèrent un instant avant de se changer en flammes qui se ruèrent à travers les morts en approche. Les Zombies fraîchement levés par Nagash brûlèrent et se boursouflèrent sous l’effet de l’assaut magique. Ni Arkhan, ni le Grand Nécromancien ne se préoccupèrent le moins du monde de leur sort. Tous ceux qui marchaient au sein de l’Ost de la Mort étaient dispensables, et nuls ne l’étaient davantage que les Zombies.
Des cadavres animés s’effondrèrent, dévorés par les flammes. Depuis le belvédère, il semblait que la plus grande partie de l’armée de Morts-Vivants était en feu. C’était le cas, mais Arkhan s’assurait que la Magie qui alimentait les flammes était amoindrie avant de prendre racine parmi l’ost de Morghasts, ou les revenants de la Légion Maudite. Pendant ce temps, le regard glacial de Nagash balaya le belvédère. Il débusqua un par un les sorciers nordiques, et étouffa leurs âmes par de simple claquement de ses doigts osseux.
Ces subtilités furent ignorées par la plupart des Nordiques déployés sur le plateau. Ils ne voyaient que la horde de Morts-Vivants consumée par le feu du Chaos. Les cors et les cris de guerre résonnaient à mesure que les chefs ressentaient l’amertume de voir seulement les sorciers se couvrir de gloire. Des nuages de poussière furent soulevés tandis que des milliers de bottes dévalaient la pente entre les arbres calcinés, les bruits de pas noyés sous les cris de guerre et les serments de massacre. Des chevaliers éperonnèrent les flancs de leurs destriers. De grandes bêtes mutantes du Nord étaient libérées de leurs chaînes et chargeaient le long du versant. Les Nordiques percutèrent la masse de chair carbonisée, et balayèrent les Zombies. Les haches s’abattaient, fauchant des morts brûlés par vingtaines. Bientôt, les derniers Zombies furent occis ou piétinés. Dans un fracas assourdissant, les boucliers nordiques heurtèrent ceux de la Légion Maudite, et la bataille débuta pour de bon.
Tandis que Nagash luttait dans les ruines du Grand Parc, Vlad marchait inaperçu au nord. Le Vampire avait été séparé de son maître par un caprice du sort désespéré de Teclis, et avait été envoyé le quartier du palais. Vlad connaissait bien Middenheim, ayant arpenté ses rues de nombreuses fois sous le voile glacé de la nuit. Néanmoins, il restait peu de chose de ce qu’il avait connu. Les jardins et les manoirs du palais, jadis le joyau de Middenheim, étaient ensevelis sous les charniers et la torture.
Hellebron, la Reine de Sang fugitive, avait fait du palais son nouveau temple. Beaucoup de Skaramor parmi la horde d’Archaon avaient reconnu sa folie comme un don de Khorne, et la vénéraient comme ils avaient jadis vénéré Valkia, la Reine du Carnage. Le sang des alliés et des ennemis avait coulé dans ces jardins plus que nulle part ailleurs. Des offrandes lacérées pendaient à des arbres maculés de viscères, ou gisaient enchaînées dans des bassins de sang. Des corps étaient accrochés à des gibets, ou empalé sur les épieux noircis. Certaines victimes étaient encore vivantes, et geignaient misérablement. Leurs yeux avaient été arrachés par les adorateurs d’Hellebron pour servir de décoration, et leurs blessures, infligées de sorte à prolonger leur agonie. D’autres étaient morts depuis des jours, leurs crânes offerts à Khorne et leurs cœurs dévorés par la Reine de Sang ou ses servantes. Même Vlad, tout sanguinaire qu’il était, trouva le spectacle répugnant. Ce massacre ne servait aucun but, même artistique, ce qui en faisait un gâchis à ses yeux.
Le Vampire traversa tel un fantôme les jardins ensanglantés, se drapant d’ombre pour ne pas être vu. Le son de la bataille résonnait dans le ciel rougeâtre, et chaque visage qu’observait le Vampire, qu’il s’agît d’un Nordique en armure de plate, ou d’une Furie Elfe, courait au sud vers les jardins. Les cultistes étaient si déterminés à rejoindre le massacre, que nul n’observait les ombres sur les murs maculés de sang. Il fallut ainsi peu d’efforts à Vlad pour se dissimuler, ce qui était tout ce que le Vampire pouvait souhaiter. Tout confiant qu’il était dans son habileté, Vlad était peu enclin à affronter une armée à lui seul. Sans alternative pour le moment, il suivit la marée de fanatiques et de cultistes vers le sud, sûr d’y trouver des alliés même s’il n’était pas certains qu’ils soient en position de l’aider.
La présomption de Vlad était correcte, des alliés l’attendaient au sud du quartier du palais. Au cœur de Middenplatz, l’Ost de la Vie d’Alarielle était aux prises avec une marée hurlante d’Hommes-Bêtes et de cultistes. L’Ost de la Vie était sévèrement surclassé, entourée de toute part par des bêtes mugissantes. Des Esprits des Forêts grands comme des arbres échangeaient des coups avec des géants à quatre bras. Des bandes de Gors s’attaquaient à des Dryades avec des haches grossières. Des volées de flèches sifflaient dans le ciel pourpre, criblant les crânes cornus et la chair mutante. Les Forces d’Hellebron avaient rejoint le combat. Des Furies plongeaient à travers le moindre espace, avide de planter leurs lames dentelées sans les troupes de la Reine Éternelle. Les Faucheurs de Crânes étaient plus directs. Ils taillaient à travers leurs alliés bestiaux pour atteindre l’ennemi. Au milieu de cette boucherie, Hellebron elle-même criait sa haine envers la Reine Éternelle qui l’avait humiliée.Alarielle se trouvait au cœur de la bataille. La Magie de la Vie s’écoulait en volutes de jade de ses mains, refermant les blessures et régénérant les guerriers tombés pour qu’ils reprennent le combat. Elle avait déjà beaucoup donné d’elle-même durant la bataille de la Clairière du Roi, et ce sacrifice coûtait manifestement cher à Alarielle et à ses suivants. Vlad voyait distinctement s’épuiser les pouvoirs de l’Incarnation de la Vie. Même depuis son perchoir sur la porte est de Middenplatz, le Vampire voyait combien la Reine Éternelle était lasse et pâle. Elle serait certainement tombée depuis longtemps, suspectait Vlad, si l’indomptable Durthu ne s’était pas dressé comme une digue contre la marée qui assaillait Alarielle. Les poings noueux et l’épée ardente du doyen des aïeux causaient la mort de tous ceux qui menaçaient la Reine Éternelle, mais sa fureur ne dissuadait aucun ennemi.
Vlad avait livré maintes bataille, et assisté à plus encore. Il reconnaissait une cause perdue au premier coup d’œil, et n’avait aucune raison se perdre la vie pour celle qui s’offrait à sa vue. Il fallait une armée pour secourir Alarielle. Un seul guerrier, même du talent de Vlad, ne changerait rien.
Aussitôt cette pensée s’était-elle formée dans l’esprit de Vlad, que retentit le rugissement des canons, et l’intégralité du mur est de Middenplatz vola en éclats. Des rochers traversèrent le square, soulevant de la poussière et des fragments de pierre. Les Hommes-Bêtes mugirent, écrasés par les décombres, ou pulvérisés par les statues profanées d’Ulric qui avaient orné le sommet du mur. Avant que les pierres ne s’immobilisent, les craquements de tirs déchirèrent le tumulte. Des balles traversèrent la fumée et des armures de Gromril luisirent dans la pénombre. De nouvelles voix sonnèrent au-delà des ruines, leurs cris de guerre poussés dans un Khazalid rauque et douloureux.
Vlad regarda les Nains charger, et vit l’éclat du masque de Gelt parmi les bannières runiques. Une armée avait été requise, et elle s’était présentée. Haussant les épaules, le Vampire se prépara à se glisser hors de la bretèche pour rejoindre la bataille faisant rage en dessous, insouciant des yeux qui traquaient ses moindres mouvements.
Mannfred von Carstein était arrivé à Middenheim quelques jours plus tôt, mais avait récupéré de ses épreuves en Athel Loren. Archaon avait accepté volontiers l’allégeance du Vampire, mais avait depuis manqué quelques opportunités de rappeler à Mannfred quelle était sa place. L’aisance de ce dernier quant à sa nouvelle situation aurait été ébranlée s’il avait su qu’Archaon ne visait pas simplement la domination du monde, mais sa destruction. Toutefois, l’Élu des Dieux n’avait guère partagé ses réelles intentions au-delà de son cercle intérieur, et n’avait pas été pressé de dévoiler ses dessins à un individu aussi versatile que le von Carstein.
À vrai dire, Mannfred regrettait déjà sa décision. Les dieux du Chaos ne lui étaient d’aucune utilité, car aucune étoile ne brillait plus dans le firmament du Vampire que la sienne, et servir un guerrier nordique n’était guère mieux qu’œuvrer sous le regard ingrat de Nagash. Toutefois, apercevoir Vlad parmi les ruines de Middenheim avait rappelé au Vampire la véritable raison de ses vœux. Son seigneur avait toujours projeté une ombre pesante, et Mannfred était las de s’y trouver. Auparavant, la tutelle du Gand Nécromancien avait fait hésiter le jeune von Carstein à mettre à exécution ses plans pour éliminer son aîné. À présent, la main de Mannfred n’était plus freinée par une entrave de ce genre.
Ailleurs, le destin, ou du moins les caprices du sort de Teclis, avait conduit Tyrion et l’Empereur sous l’ombre du mur ouest. Les deux Incarnations se matérialisèrent presque en ligne de vue l’une de l’autre, et bien assez près pour que l’Empereur reconnaisse les fières bannières de Caledor et de Lothern flottant aux côtés de Tyrion. Entre eux, une horde pépiante de Skavens jaillissait de sa tanière immonde dans les casernes et les entrepôts souterrains. D’énormes Rats-Ogres en armure dominaient les Esclaves Skavens, de l’huile s’écoulant sur leur fourrure tandis que leurs armes prothétiques commençaient à grésiller.
L’Empereur avait déjà vu ces créatures contrefaites, et les avait trop souvent affrontées sur les murs d’Averheim. Ce n’était pas le cas de Tyrion, mais le prince perçut le potentiel destructeur des armes des Rats-Ogres en armure. À l’unisson, les Incarnation pressèrent leurs chevaliers contre la masse désordonnée des Skavens.
Les hommes-rats ne réalisèrent pas bien la précarité de leur situation. Ils s’étaient estimés en sécurité, avec des milliers d’alliés à proximité. Les deux osts convergents de chevaliers n’étaient pas une grande menace; ils étaient en sous-effectifs et destinés à grossir les tas d’ossements et les piles de butin. Comme toujours, l’appât du gain fournit aux Skavens le courage de se battre, et ils dressèrent leurs lances en se précipitant pour réceptionner la charge.
Toutefois, au centre du mur de lances anarchique, Visretch, le Verminarque qui tenait sous l’emprise de sa volonté opportuniste cette collection hétéroclite de Guerriers des Clans, identifia un péril au-delà de celui de l’acier et de la fureur de ses adversaires. Ce n’était pas seulement qu’il avait senti la pression du sort de Teclis sur les Vents de Magie, car à cet instant, une douleur aveuglante avait transi le rat-démon. Non, c'était l'odeur de quelque chose transcendant la nature mortelle, chevauchant au galop parmi les rangs ennemis, qui attirait son attention.
Le Verminarque reconnut trop tard Tyrion pour ce qu’il était. Visretch comprit la véritable nature de l’Incarnation un instant avant qu’une lumière blanche ne luise de sa lame brandie. À l’unisson, les cris de guerre des Skavens se muèrent en hurlement de panique et de douleur, lorsqu’ils levèrent les pattes devant leurs yeux aveuglés. Les hommes-rats les plus proches des chevaliers s’en prirent aux bandes derrière eux, tentant désespérément d’échapper au tonnerre des sabots. Les Rats-Ogres, leurs dresseurs luttant contre la surcharge sensorielle, tirèrent sauvagement à travers le crépuscule.
Des projectiles de Malepierre et des gerbes de flammes émeraude strièrent l’air. Les rares tirs qui firent mouche renversèrent quelques Princes ou les firent disparaître dans les flammes. Cependant, l’essentiel du barrage ne remua que de l’air, ou passa sa fureur dans les rangs des Skavens. Des brèches s’ouvrirent entre les bannières en haillons, et Tyrion, qui n’avait pas été touché bien qu’ayant chargé en première ligne, ordonna à ses chevaliers de frapper ces zones affaiblies.
Sur l’autre flanc de la nuée Skaven, les chevaliers de l’Empereur ne s’en étaient pas aussi bien tiré que ceux de Tyrion. En cet endroit, les hommes-rats étaient parvenus à maîtriser leur peur. Les Rats-Ogres et les équipes de Jezzail criblaient ainsi les chevaliers impériaux. Leurs efforts n’étaient entachés que par d’occasionnelles, et spectaculaires, dysfonctions des mécanismes de mise à feu, et leur propre fumée dont les bouffées chaudes masquaient les cibles. Ainsi la charge de l’Empereur était-elle marquée par des selles vides, et les embardées de chevaux hennissant, mais ces pertes ne firent que renforcer la détermination des survivants. Ils étaient les seuls parmi les guerriers que Teclis avait transportés à Middenheim ce soir-là à combattre autant pour venger la cité que pour atteindre d’autres buts. La colère de voir leurs compagnons tués et les bâtiments profanés étouffait leur peur et leur permettait de charger à travers la fumée nauséabonde.
Les combats faisaient rage, et les Incarnations luttaient, en dépit de circonstances lourdement en leur défaveur. D’autres Nordiques affluaient en hurlant, renforçant des murs de boucliers qui surclassaient déjà plusieurs fois l’ennemi en nombre. Les Skavens jaillissaient de leurs antres sous le Fauschlag, en quête de victoire et de butin. Des Démons traversaient le voile de la réalité, et répandaient feu et mort dans une nuit qui en était déjà accablée.Des héros furent forgés durant ces heures crépusculaires, leur légende gravée dans un instant de suprême nécessité, puis oubliée alors que leurs faits étaient surpassés. Les champions du Nord engrangeaient de la gloire comme jamais, leurs silhouettes s’altérant à mesure que les dieux du Chaos les récompensaient. Les Frères Sombres du vide avaient eu si peu de divertissements de la sorte en bien des millénaires qu’ils s’en enivraient, sans se soucier que leurs plans ancestraux résistent ou non à l’issue de la bataille.
À la tombée de la nuit, au lever de la lune solitaire, l’Empereur regarda les étoiles briller. Il était plus exténué que les autres Incarnations, car le pouvoir d’Azyr l’avait quitté et ne le soutenait plus, mais la vue de ces corps célestes si anciens lui insuffla une force renouvelée. En vérité, le combat se déroulait mieux qu’il ne l’avait espéré. Lui et Tyrion effectuaient une progression lente et sanglante vers le Temple d’Ulric et la grande excavation, mais toute avancée était la bienvenue. Chaque pas accompli, chaque croisement franchi l’était au prix fort, mais la résistance était d’une certaine façon plus faible qu’escomptée. L’Empereur s’en réconforta, estimant que cela ne pouvait avoir lieu que parce que les autres Incarnations luttaient encore dans l’enceinte de Middenheim. En cela, il avait raison, mais cela n’empêchait pas la pleine signification de cette hypothèse de lui échapper.
L’Empereur avait oublié que huit Vents de Magie avaient été libérés du vortex, huit vents qui avaient recherché un hôte mortel pour contenir leur pouvoir. Nul à Middenheim n’avait deviné ce qui était arrivé à Ghur, le vent de la Bête. Ils ne savaient que ce que Teclis leur avait dit, qu’il s’était échappé à l’est durant l’effondrement du Grand Vortex, et qu’il s’était trop éloigné pour être retrouvé. Néanmoins, il y avait une huitième incarnation à Middenheim, et une huitième armée, involontairement réunies par l’enchantement désespéré de Teclis, et sa fureur ébranlait les ruines du quartier marchand.
La huitième armée, la Waaagh! de la Bête, ignorait ce qui l’avait menée à Middenheim, ou même que le monde menaçait de basculer dans l’oubli. Elle ne se battait pas dans un but matériel, pour l’honneur, ni même pour défier les ténèbres oppressantes. Elle hachait, cognait, et taillait à travers les ruines pour la seule joie de se battre. Avec chaque ennemi qui pliait sous son élan, le cri de guerre de la huitième armée s’amplifiait. Il naquit dans le creux de l’estomac, un grondement profond et sauvage qui se réverbéra à travers les bâtiments à moitié détruits. Il balaya les cris de guerre des Nordiques comme s’il s’était agi de chants d’oisillons, et noya les pépiements déments des nuées de Skavens.
WAAAGH!
Les Orques se déversèrent dans les rues du quartier marchand telle une marée verte, et d’innombrables Nordiques furent noyés sous les Peaux-Vertes. Nulle part lors de cette nuit de massacre il n’y eut de plus grande boucherie que lorsque la Waaagh! de la Bête entra en lice. Des lames grossières fendaient les boucliers drapés de fourrure et les heaumes d’acier, le tumulte écumant des Nordiques se heurta à l’avidité belliqueuse des Peaux-Vertes, qui l’engloutit. Les Orques frappaient leurs ennemis jusqu’à briser leur Kikoup', puis ils les martelaient à poings nus.
Le Seigneur de Guerre des Peaux-Vertes se battait à leur tête, un énorme Orque Noir à la dent cassée, dont la hache exécutait un tourbillon de mort à travers l’ennemi. Où qu’il se ruait, les murs de boucliers volaient en éclats, les champions nordiques s’effondraient, décapités, et les bêtes monstrueuses du Nord gisaient démembrées dans leurs fluides immondes. Il était infatigable, aussi sauvage que les montagnes. Le seigneur était furieux d’avoir été arraché sans ménagement de son trône de granite, et sa colère donnait un poids supplémentaire à ses coups déjà dévastateurs. Il ne comprenait pas le pouvoir qui s’écoulait en lui, ne croyant que posséder la faveur Gork. En vérité, la source de son pouvoir, et a fortiori, de sa présence, importait peu. Grimgor Boît' en Fer n’avait jamais fui un combat.
Le pouvoir de Ghur émanait de Grimgor à chaque coup de hache, et une portion de sa puissance à faire trembler le sol se transmettait à ceux qui combattaient à ses côtés. Les rangs de sa Waaagh! comptaient des Peaux-Vertes mais aussi des Ogres. Leurs tribus avaient été conquises des mois plus tôt, et ils luttaient à présent pour les Orques aussi volontiers qu’ils l’avaient fait pour leur Archityran. La nourriture et la guerre étaient les deux éléments qui attisaient l’esprit simple de tout Ogre, et Grimgor leur en avait procuré toujours plus.
Des centaines et des centaines de Nordiques et de Skavens se déversaient dans le quartier marchand, sans parvenir à contenir les Orques. Les armées des autres Incarnations luttaient avec la fureur du désespoir, mais il y avait quelque chose de folâtre dans la guerre de la Waaagh! de la Bête. La confiance de ses guerriers doublait et redoublait à chaque bannière ennemie abattue, à chaque chef nordique fauché par la hache de Grimgor. Leurs propres pertes grimpaient aussi rapidement ce celles de leurs ennemis, mais ni les Orques, ni les Ogres ne prêtaient attention à leurs morts.
Ainsi la Waaagh! de la Bête attira l’attention d’une part disproportionnée de la horde du Chaos. Pour commencer aucun des lieutenants d’Archaon ne perçut le caractère inutile de la progression de Grimgor. Ne réalisant pas que de plus grandes menaces pour les plans de leur maître combattaient ailleurs, ils se ruèrent sur les Orques avec tout ce qu’ils pouvaient. Seul Darkh’dwel, le rusé Verminarque des ombres, entrevit une opportunité. Il devina que les Orques ne faisaient pas cause commune avec les autres envahisseurs, et allait les faire affronter ces derniers avec l’enthousiasme qu’ils démontraient contre la horde du Chaos.
Mobilisant plusieurs Seigneurs de Guerre Skavens dont l’ambition ou les échecs lui avait déplu, Darkh’dwel ordonna un assaut sur le flanc est de la Waaagh! de la Bête. Alors que l’avance de Grimgor pivotait à la rencontre de cette nouvelle menace, son chemin à travers la cité se rapprocha du Wynd, et de l’Ost de l’Ombre. Darkh’dwel observa l’évolution du combat depuis la flèche d’un temple, amusé par ses manigances. Jeter les Elfes et les Orques à la gorge l’un de l’autre valait bien le sacrifice de quelques centaines de Guerriers des Clans. Avec un rire haut perché, le Verminarque décampa de l’aiguille et partit en quête de troupes plus dociles. Il laisserait les envahisseurs s’entre-déchirer jusqu’à leur destruction mutuelle. Seulement ensuite, il irait remporter la victoire au nom du Rat Cornu.
Grimgor n’était pas le seul à avoir été attiré involontairement par le sort de Teclis. Le Buveur de Sang Ka’Bandha, lié aux magies de la Vie, de l’Ombre et de la Lumière, avait été tiré de l’éther par le même enchantement qui avait transporté ses geôliers. Pendant ce qui lui avait semblé durer un âge, le Démon avait été secoué par les Vents de Magie, et ballotté sans ménagement entre les royaumes mortels et immortels.
Tandis que Darkh’dwel commençait à attirer la Waaagh! de la Bête dans la direction de Malékith, Ka’Bandha se libéra enfin de l’ouragan magique. Le Démon Majeur de Khorne brilla dans le ciel comme une étoile filante, et son impact creusa un nouveau cratère dans les demeures en ruine de Grafsmund. Les Nordiques s’attendant à un nouvel assaut en cette nuit de mauvaises surprises, chargèrent lames au clair vers le point de chute, pour tomber à genoux d’adoration en voyant Ka’Bandha émerger des décombres.
Des débris tombaient de la peau calcinée de Ka’Bandha tandis qu’il s’extirpait du cratère et se remettait debout. Le Démon avait été grièvement blessé par la Magie des Incarnations et le fracas de sa chute, mais la douleur n’était rien pour lui. La honte de l’échec, un crâne qu’il n’avait pas su rapporter, brûlait dans son cœur noir. Seul le sang de l’Empereur pourrait laver cette insulte; seul son crâne pourrait empêcher les moqueries d’Archaon et la rage débridée de Khorne.
Mugissant de frustration, Ka’Bandha donna un coup de son marteau-fléau et pulvérisa un groupe de Nordiques agenouillés. Comme pour répondre à cette offrande courroucée, le vent tourna. Parmi les relents de fumée, d’ordures et de mort, le Buveur de Sang perçu l’odeur du sang de l’Empereur. Ka’Bandha rugit à nouveau, un cri à déchirer les entrailles, qui ébranla les pierres descellées tout autour de lui. Les Nordiques à genoux sentirent l’avidité sanguinaire du Démon couler à sang chaud dans leurs veines. Rejetant leurs têtes en arrière, ils hurlèrent en réponse, leurs cris perçant les ténèbres tandis que leur humanité s’évaporait. Lorsque Ka’Bandha s’élança, les Nordiques suivirent, courant à quatre pattes aussi souvent que sur deux jambes. La Chasse Sanglante n’était pas achevée.
Archaon comprit que sa cité était attaquée; une telle clameur rendait toute autre explication improbable. Pourtant, le Seigneur de la Fin des Temps n’esquissa pas un geste pour se joindre aux combats. Middenheim avait quasiment servi son but, et ses défenseurs, sans qu’ils le sachent, étaient proches de dépasser leur utilité. L’Empire était éteint, son credo enfantin et ses dieux de pacotille révélés comme les mensonges qu’ils étaient. Tout ce qu’il restait était le rituel, et la gloire finale des Dieux du Chaos.
Archaon n’était toutefois pas fou au point de croire la victoire acquise. Il n’avait aucun désir de répondre de l’échec du rituel si les envahisseurs parvenaient à s’introduire dans les halls sous le Fauschlag, pas plus, il semblait, que les dieux du Chaos ne voulaient voir leur plan échouer, car ils avaient envoyé leurs champions soutenir sa horde.
Ces nouveaux arrivants se massaient devant le Temple d’Ulric, attendant les ordres de l’Élu des Dieux. Sigvald le précieux et Throgg le brutal avaient été arrachés à leurs terres distantes par les caprices des dieux. Isabella von Carstein n’avait pas eu le choix. Le Démon Bolorog lié à son âme la soumettait à la volonté de Nurgle, bien que cela ne semblât pas la préoccuper. Tandis qu’approchait minuit, ces champions des dieux du Chaos se répandaient à travers la cité sur ordre d’Archaon. Les légions démoniaques suivaient de près les nouveaux venus; le nombre submergerait les envahisseurs, si le talent ne suffisait pas.
Archaon se leva de son trône de crânes, les Épées du Chaos se réunissant silencieusement à ses côtés. L’Élu des Dieux ricana une dernière fois en voyant Ghal Maraz, puis il quitta le Temple d’Ulric, et marcha dans la cité dévastée.
L’heure finale était proche.
Les menottes étaient lourdes, et les poignets de Teclis étaient déjà irrités par les anneaux rouillés. Alors que le Mage titubait sur le versant de l’Ulricsmund, on tira subitement à l’extrémité distante de sa chaîne, ce qui le fit trébucher sur les pavés brisés de la colline et manqua de lui faire perdre l’équilibre.
Autour de Teclis, des rires moqueurs résonnèrent depuis des heaumes à visière noire, tandis que les Chevaliers du Chaos s’amusaient de son humiliation. Avec son épée ou son bâton, le Mage les aurait fait taire, même au prix de sa propre vie, mais ces armes étaient loin, dérobées par le Magister, qui conduisait la cérémonie dans les cavernes sous le Fauschlag. Un autre à-coup amena Teclis à tituber au côté d’Archaon. L’Élu des Dieux regardait au loin dans la nuit, observant le jeu d’ombres et de lumières qui prenait place à travers la cité dérobée. « Approche, Mage, » dit Archaon en enroulant les maillons de la chaîne au pommeau de sa selle. « Dis-moi ce que tu vois. » Le regard de Teclis suivit la direction indiquée par la main de l’Élu des Dieux. En vérité, il pouvait peu glaner de la scène que son geôlier ne savait pas déjà. Même sans son bâton, le Mage ressentait les flux magiques, et pouvait bien assez lire les vents pour savoir que sa convocation avait fonctionné, mais de façon plus hasardeuse qu’il l’aurait souhaité. Grimgor Boit’en Fer était une grande surprise, bien qu’avec du recul, Teclis saisissait l’inéluctabilité de son arrivée. Qu’ils l’apprécient ou non, les Incarnations étaient liées par la Magie. Le sort, et Teclis, les avaient menées ici, mais c’était à elles d’agir à présent. Toutefois, Teclis sentit qu’Archaon n’était pas réellement intéressé par la réponse. Le ton du seigneur de guerre avait la sécheresse de la simple rhétorique. Il était maladroit, rien de plus, et Teclis n’avait pas à jouer le jeu de l’Élu des Dieux. « Je vois la fin de ce que vous avez planifié, » répondit Teclis, « et la chute de vos sombres dieux. » Archaon rit, un son lourd et creux. « Une telle provocation, même à présent. N’as-tu donc vraiment pas peur de moi ? » N’importe qui d’autre aurait interprété ces mots comme une menace, pensa Teclis, mais la voix de l’Élu des Dieux n’abritait qu’une question honnête. L’homme était une énigme. Il se drapait d’une brutalité inflexible, mais une facette de son âme rappelait à Teclis son frère jumeau. Archaon n’agissait pas sans cause et ne parlait pas sans dessein. C’était un feu noir brûlant au cœur d’une fournaise qui consumait le monde, et pourtant, Teclis ne pouvait nier le sentiment que l’homme qui était devenu l’Élu des Dieux aurait été un des plus grands héros des mortels, s’il avait emprunté une voie à peine différente. « Quelle importance ? » remarqua Teclis. « Ma vie et ma mort sont sans objet à présent. » Les mots lui venaient aisément, pensait-il. Était-ce cette même sérénité que Lileath avait ressentie lorsqu’elle avait guidé la dague entre ses propres côtes ? Archaon baissa les yeux sur Teclis. Les œillets du heaume de l’Élu des Dieux étaient noirs comme la nuit, des puits de ténèbres qui mettaient à nue l’âme du Mage. « Laisse-moi te dire ce que je vois, » dit Archaon. « Je vois une bataille déjà gagnée, et les derniers spasmes d’un âge qui s’achève. » Il tira à nouveau sur la chaîne. Cette fois, Teclis ne put garder son équilibre, et tomba lourdement à genoux devant l’Élu des Dieux. « Mais peut-être que je me fourvoie, » se moqua Archaon. « L’un de tes alliés a-t-il le pouvoir de défaire toutes mes armées ? Car cela s’avère indispensable. » Il se pencha sur sa selle, sa voix soudain basse, celle d’un conspirateur. « Ton frère, peut-être ? - Les armées ne sont pas la seule expression de la force. » Teclis secoua la tête. « Et ce sera l’Empereur, non mon frère qui causera votre perte." |
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Cette déclaration fit rire Archaon aux éclats, ce qui s’étendit à son entourage. L’Élu des Dieux laissa le son perdurer quelques instants, puis il y mit un terme en tapant du plat de sa main. Teclis soutint le regard vide de l’Élu des Dieux sans fléchir, ses pensées refoulant jusqu’à la Clairière du Roi et à la présence dorée qui s’était trouvée à son côté. « Karl Franz est un faible, » réfuta-t-il, et il détourna sa monture. Teclis tituba lorsque la chaîne se raidit une fois encore. « Il n’est pas Karl Franz, » affirma-t-il, ses mots portant étrangement au-dessus du tumulte distant. Archaon se retourna, sa voix basse et menaçante. « Qu’as-tu dit ? » « Il n’est pas Karl Franz, plus maintenant - il est Sigmar. Pensiez-vous que le Heldenhammer ne ferait rien tandis que vous rasez son Empire ? » « SIGMAR EST UN MENSONGE ! » rugit Archaon. Teclis chancela lorsque le dos du gantelet de l’Élu des Dieux s’abattit sur le coin de sa bouche. Il serait tombé si les chaînes ne s’étaient pas subitement tendues. « Nous verrons, » répondit calmement Teclis, recouvrant son équilibre. Il cracha une dent brisée sur les pavés, et souhaitait être aussi confiant qu’il le laissait entendre. Il ne dit plus rien tandis que la colonne de chevaliers descendait dans les ténèbres de la grande excavation. |
La Chute de l’Ombre[modifier]
L’Ost des Cieux | L’Ost de la Mort | Le Throng du Métal | |||
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L’Ost du Feu | L’Ost de l’Ombre | L’Ost de la Vie | |||
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L’Ost de la Lumière | La Waaagh! de la Bête | La Horde de l’Élu des Dieux | |||
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La Coterie de la Perfection | L’Armée du Pourrissement | La Horde Monstrueuse | |||
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Le Culte du Meurtre | La Chasse Sanglante | La Grande Meute de Duperie Sournoise de Darkh’dwel | |||
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La Garde Éternelle livra les maigres combats à cet endroit. Les cavaliers de Malékith étaient très vulnérables dans les rues étroites du Wynd, et avaient reçu l’ordre de rester en retrait jusqu’à ce que l’Ost de l’Ombre ait atteint des voies plus larges dans Middenheim. Son absence avait fait peu de différence jusque-là. Les pertes avaient été légères, et chaque victoire avait été plus rapide que la précédente. Certains dans les rangs de Malékith pensaient une telle chose légitime, car n’étaient-ils pas les meilleurs guerriers de la race des Elfes, venus combattre pour une juste cause ? Cependant, le Roi de l’Éternité était inquiet. L’arrogance avait maintes fois mis Malékith en péril pendant sa longue et capricieuse existence. Maintenant que le sort du monde était en jeu, il était plus réfléchi et prudent. La bataille du Wynd avait été trop facile. Un piège se tendait, Malékith arrivait presque à le sentir.
Ainsi, tandis que l’Ost de l’Ombre approchait de la maison de la guilde en ruine, et le rouge terne du mur de boucliers des Vermines de Choc, le Roi de l’Éternité donna l’ordre à son armée de se regrouper. Faisant fi des jets de pierres et d’étoiles qui troublaient les ténèbres, et avec une rapidité et une élégance dont seuls les Elfes étaient capables au milieu de gravats jonchés de cadavres, l’Ost de l’Ombre se reforma selon l’elcroi, la lance du chasseur. L’infanterie forma un fer de lance, tandis que le reste des forces, Malékith compris, servaient de hampe, mis à part les Sœurs du Massacre qui déambulaient librement depuis le début des combats. Les gladiatrices ne se soumettaient à aucune volonté, pas même à celle de leur roi.
Sous un voile d’ombre au centre des Vermines de Choc, le Verminarque Darkh’dwel ricanait. Les Elfes avaient été si prévisibles. En ce moment même, des équipes d’armes se mettaient en position parmi les bâtiments couverts de suie à l’est de la colonne elfique. Complètement bernés par la retraite simulée de Darkh’dwel, les Elfes n’avaient même pas pensé à fouiller les ruines, et marchaient aveuglément vers la seule menace évidente qui leur était offerte. Ce n’était pas la première fois que Darkh’dwel se demandait comment le royaume des Elfes avait opposé une si grande résistance au fil des millénaires. Pour le moment, le rat-démon était tenté de dévoiler la deuxième petite surprise qu’il avait préparée. Puis son ouïe fine perçut des bruits de panique, et plus important, il entendit beugler Waaagh!, à l’ouest. Darkh’dwel haussa les épaules, un geste invisible à ceux qui ne se trouvaient pas sous le voile d’ombre. Il était trop tard à présent.
Les Elfes entendirent le tumulte à l’ouest un instant après Darkh’dwel. Au début, sa signification leur échappa. Middenheim était entièrement plongée dans une guerre, et tous les chœurs de Skavens en détresse se ressemblaient. Quelques Elfes, y compris Malékith, perçurent les voix rauques des Orques, mais ces sons étaient également modulés par le vent, et nul ne les pensait dignes d’intérêt.
Quelques instants plus tard, une nuée de Skavens hurlants surgit des ruines des ateliers ouest de la maison de la guilde. Ils détalaient aussi désespérément que ceux qui avaient fui l’avance des Elfes, et même davantage. Malékith identifia immédiatement le danger et cria ses ordres à travers le vacarme soudain. Nul n’en avait besoin. L’elcroi n’était pas une simple formation d’attaque, mais était aussi employée si une embuscade menaçait. Les cors sonnèrent et la moitié ouest de la hampe effectua un demi-tour, les lances et les hallebardes dressées pour réceptionner la charge.
Tandis que les Elfes prenaient position, les premiers Peaux-Vertes furent visibles parmi les ruines des ateliers. Ils couraient pesamment sur les débris, en brandissant des totems grossiers d’os et d’étoffe en haillons, leurs armures et leurs boucliers déjà maculés de sang skaven. Ils se précipitaient avec une sauvagerie débridée, les lignes déjà indistinctes de leurs bandes ondulant tandis que les Orques rivalisaient les uns les autres pour atteindre l’ennemi le premier. Seuls les Orques Noirs faisaient régner une certaine discipline autour de leurs régiments. Ces guerriers en armure lourde ne trébuchaient même pas. Ils avançaient dans un ordre impeccable, sans se faire distancer par leurs congénères agités, qui n’avaient de cesse de se heurter.
Piégés entre les brutes à peau verte et les lames étincelantes des Elfes, les Skavens perdirent toute raison. Pris d’une fureur aveugle, les hommes-rats s’en prenaient aux leurs, aux Orques et aux Elfes. Ils hurlaient, la bouche écumante et les yeux sauvages. Ils bondissaient au cou des Elfes et leur ouvraient la gorge avec leurs dents en biseau. Les Orques mugissaient avant de mourir perforés par des dizaines de lames. Toutefois, les Skavens furent les plus nombreux à périr. Leur désespoir ne pouvait rivaliser avec la discipline des Elfes, ni avec l’avidité belliqueuse des Orques. Pour chaque ennemi que trucidaient les hommes-rats, ils perdaient une vingtaine des leurs.Grimgor Boît’en Fer était au cœur des combats. Il ignorait les Skavens en fuite, mais jouait des épaules jusqu’à ces rares poches de résistance où un Seigneur de Guerre Skaven était parvenu à rallier une bande désespérée. Grimgor approchait justement d’un de ces défis : une bande hétéroclite de Guerriers des Clans et de Vermines de Choc abritée derrière les trois derniers murs d’un magasin de munitions. Des Orques et des Skavens gisaient morts sur les dalles de pierre brisées, la toux des Mitrailleuses Ratlings trahissant que c’était les balles, non les lames, qui maintenaient les Peaux-Vertes à distance. Grimgor avançait et voyait fleurir des nuages de fumée verte au-dessus des briques et des madriers. Il entendait le bruit des projectiles à Malepierre qui perforait les boucliers et pénétrait le cuir des Peaux-Vertes.
Grimgor hurla de défi et se rua, en écrasant les cadavres sous ses pas lourds. Lé Zimmortels, des Orques Noirs tous presque aussi redoutables que leur seigneur, se précipitaient à sa suite en criant Waaagh!. Les balles sifflaient tandis que Grimgor chargeait à travers la fumée, mais il avait bien choisi son approche, et un des murs restants de l’entrepôt l’abritait du gros des tirs. Même ainsi, plusieurs balles ricochèrent sur l’armure fétiche de Grimgor, et un autre érafla son crâne scarifié. Derrière lui, un Zimmortel mourut dans un gargouillis après qu’une salve ait déchiqueté son abdomen. Devant, le magasin s’illumina soudain de flammes verdâtres lorsqu’une des mitrailleuses s’enrailla à un moment inopportun. Des éclairs émeraude étincelèrent depuis le bâtiment. Ils brûlèrent le flanc gauche de Grimgor et tuèrent deux Zimmortels de plus. Mais l’Orque Noir était presque arrivé à la hauteur du mur et rien à part la mort n’aurait pu l’arrête.
Grimgor poussa un dernier cri, et il sentit monter en lui une fureur sauvage, avant de percuter les briques de l’entrepôt avec son épaule. Le mur, déjà affaibli par le feu, s’effondra dans un nuage de poussière. Deux énormes pans de briques s’ouvrirent comme les battants d’une porte à l’endroit où l’épaule de l’Orque Noir avait frappé, puis ils tombèrent et broyèrent les Skavens qui utilisaient peu avant le mur comme couvert. Grimgor ignora les cris désespérés et le craquement des os brisés. Il chargea à travers la poussière, des tuiles défaites s’écrasant sur son armure. Il passa à travers un des pans de brique couchés tout en frappant avec sa fidèle hache Gitsnik. Un Skaven tombait mort à chaque coup de l’énorme lame, massacré par un instinct affûté sur plus de champ de bataille que Grimgor pouvait en compter.
Les Skavens comprirent rapidement que leur refuge était devenu un tombeau. Un piètre mur de boucliers fut désintégré par le tranchant brutal de Gitsnik, les porteurs projetés, ensanglantés et mourants, sur les hommes-rats derrière eux. Le Seigneur de Guerre Skaven cria un ordre, et un second mur plus serré s’avança. Cependant, Lé Zimmortels avaient rejoint leur Chef de Guerre, et le nouveau mur fut désintégré les lourdes lames des Orques Noirs.
Grimgor se rua sur le Seigneur de Guerre, mais le Skaven avait un dernier tour dans sa manche. Tandis que Gitsnik s’abattait, un cri perçant résonna soudain à droite de l’Orque Noir, et le poing d’un énorme Rat-Ogre s’écrasa sur le côté de la tête de Grimgor. Le Chef de Guerre chancela sous le choc, et le Rat-Ogre attaqua à nouveau. Le Seigneur Skaven, voyant une ouverture, plongea sa lame dentelée vers le ventre de Grimgor.
Aucun des deux coups n’atteignit sa cible. Avec un beuglement sauvage, Grimgor donna un coup de tête dans la gueule du Rat-Ogre. Les dents de la bête se brisèrent sous le choc, et la douleur soudaine fit tituber la créature. Au même moment, les doigts gantés de l’Orque Noir se refermèrent sur la main armée du Seigneur de Guerre. Grimgor souleva le Skaven du sol, le fit tournoyer en l’air, et l’écrasa sur les gravats à ses pieds. Avant que l’homme-rat n’ait pu se remettre debout, une lourde botte s’abattit sur son crâne. Il y eut un craquement, un cri bref; et le Skaven s’immobilisa. Le Rat-Ogre rugit et se jeta en avant pour venger son maître, mais il tomba raide mort lorsque Gitsnik frappa l’énorme bête par en dessous et la fendit de l’entrejambe au sternum.
Grimgor ! Grimgor ! Lé Zimmortels voyaient leur Chef de Guerre triompher et hurlaient son nom tout en massacrant les Skavens qui restaient. Le cri résonna à travers les ruines de la maison de la guilde, et fut repris par des centaines d’autres voix. Alors même que le chant gagnait en puissance, les Orques se précipitaient avec une force redoublée, hachant et piétinant les dernières poches de résistance Skavens. La plupart des Peaux-Vertes restaient sur leur faim, car les hommes-rats étaient morts trop facilement. Puis les Orques de tête aperçurent l’Ost de l’Ombre, et tous retroussèrent leurs lèvres d’impatience.Grimgor ! Grimgor ! Malékith entendit le chant monter, et comprit qu’il n’augurait que des ennuis. Le Roi de l’Éternité s’était accordé un instant d’autocongratulation lorsque la nouvelle menace était apparue à l’ouest, mais seulement un instant. Les Skavens n’étaient pas très dangereux. Ceux qui n’étaient pas déjà morts le seraient bien assez tôt, il n’avait aucun doute là dessus. Toutefois, les Orques étaient un autre problème. Le Roi de l’Éternité n’avait aucune idée sur ce qui avait conduit les Peaux-Vertes à Middenheim, mais le pourquoi des choses importait peu. Malékith percevait le pouvoir de Ghur s’écouler parmi eux, mais il avait affronté les Peaux-Vertes assez souvent pour savoir que leur caractère belliqueux surpasserait aisément toute cause commune, en supposant que ce concept même ne leur soit pas étranger.
Estimant qu’une bataille inutile était proche, Malékith ordonna aux formations à l’est de l’elcroi de se tourner ver l’ouest. Le Roi de l’Éternité encaisserait l’inévitable charge avec toutes les lames à sa disposition.
Au nord, la présence inquiétante de Darkh’dwel tenait les Vermines de Choc en laisse. Le rat-démon savait que les Orques n’auraient besoin d’aucun encouragement pour engager le combat avec les Elfes, mais il n’était pas du genre à laisser les choses au hasard. D’un geste du Verminarque, ses Coureurs Nocturnes glissèrent dans les ombres des bâtiments à l’est, et les équipes d’armes dissimulées ouvrirent le feu.
L’artillerie skaven tira sans coordination au départ, car les équipes ne reçurent pas leurs instructions en même temps. Certaines n’attendirent pas les ordres, et tirèrent dès qu’elles entendirent leurs voisines le faire. Le torrent de feu s’amplifia bientôt, lorsque le grésillement des Canons à Malefoudre se joignit au bruit sourd des mortiers Skryre et au craquement des Jezzails.
Ces premiers tirs auraient décimé les Elfes s’ils avaient visé les rangs de Malékith. Cependant, les ordres de Darkh’dwel avaient été clairs, et aucun artilleur n’avait eu le courage de désobéir. Ainsi, les éclairs, les Globes de Gaz empoisonné et les balles de Malepierre fusèrent au-dessus de l’Ost de l’Ombre, et frappèrent les rangs anarchiques de Grimgor.
Des décharges d’énergie labouraient les Peaux-Vertes, envoyant voler les corps en l’air. Une fumée verte s’échappait d’orbes brisés, et les Orques rendaient leur dernier soupir tandis que les vapeurs liquéfiaient leurs entrailles. De lourds projectiles traversaient les armures, la chair et les os. Presque à l’unisson, les Orques regardèrent d’où étaient provenus les tirs. À mi-distance, ils virent les éclats de lumière des Canons à Malefoudre et des Jezzails, et devant eux, la ligne des Elfes. Ils ne pouvaient réagir que d’une seule façon. Poussant un cri qui ébranla les ruines, l’extrémité de la horde de Grimgor se rua sur les Elfes.
WAAAGH !
Si Malékith n’avait pas renforcé la moitié est de l’elcroi avec les régiments de l’ouest, les Elfes auraient été balayés par la férocité de la charge des Peaux-Vertes. En l’état, la ligne résista, mais de justesse. Les Kikoup' s’abattaient, fracassant les boucliers et détournant les hallebardes. Des heaumes étaient fendus en deux sous la violence des coups, des bras tranchés tombaient sur le sol, mais l’Ost de l’Ombre résista. La riposte des Elfes fut terrible. Les lances plongèrent à travers le cuir épais ou pénétraient par les points faibles des armures. Les glaives des Asrai croisaient le fer avec les Kikoup’ et les repoussaient. Des gerbes de flammes rouge noirâtre chauffèrent l’air lorsque les deux Hydres de Malékith entrèrent en lice. Guidées par les fouets de leurs maîtres, les bêtes écailleuses avancèrent jusqu’à la cohue des Orques. Les têtes à crêtes dardaient et mordaient, envoyant voler les Peaux-Vertes dans le ciel, se disputant parfois une proie, et déchiquetant l’infortuné Peau-Verte ce faisant.Voyant son infanterie surclassée, Malékith ordonna à sa cavalerie d’intervenir. Le Roi de l’Éternité aurait donné un œil pour quelques chevaliers de Hag Graef ou de Caledor, mais le sort de Teclis lui avait refusé pareilles choses. Il ne disposait que de cavalerie légère, des pillards aux capes noires du nord de Naggaroth, et des chasseresses au cœur froid d’Athel Loren. Ils n’avaient rien de troupes de choc, et n’avaient aucun espoir de briser la horde de Peaux-Vertes, mais ils étaient bien assez utiles. Des javelines enchantées et des carreaux d’arbalètes plurent sur le flanc sud des Orques, chaque trait guidé par un œil perçant et une main sûre. Plus d’un Peau-Verte rendit l’âme et s’effondra. À chaque salve, des voix d’Elfes accusaient les Orques d’être des faibles et des poltrons.
Les Peaux-Vertes reconnurent d’instinct les insultes pour ce qu’elles étaient, et ces mots frappèrent avec plus de force que les javelines ou les carreaux d’arbalète. Bientôt, plusieurs bandes se détachèrent de la ligne de bataille principale pour réduire à néant la cavalerie railleuse. Cependant, aucun Orque ne pouvait rivaliser avec la vitesse d’un Coursier Elfique, même dans les confins du Wynd, et les Peaux-Vertes furent rapidement distancés par leurs tourmenteurs. Encore et encore, les Elfes s’éloignaient, ne s’arrêtant que pour narguer les Orques avec des paroles et des traits acérés.
Ce n’est qu’alors, une fois les Peaux-Vertes et les Elfes pleinement engagés, que les équipes d’arme dissimulées redirigèrent leurs tirs, et libérèrent salve après salve dans l’inextricable mêlée. Pour les Elfes, ce changement soudain fut désastreux. Les tirs de Jezzail criblèrent leurs rangs, traçant des sillons de morts et de blessés au moment précis ou chaque épée était précieuse. Les Gardes Phénix frissonnaient et s’écroulaient lorsque les projectiles faisaient mouche, et des éclairs cinglèrent à travers les rangs serrés des Sombretraits et des Corsaires, en y laissant des cadavres fumants.
Deux Globes empoisonnés furent suffisants pour causer la perte de l’équipage Corsaires des Brigades du Kraken. Déjà assaillie par des Orques Noirs, leur formation s’évanouit lorsque les nuages toxiques émergèrent en son cœur. Les écailles de Dragons des Mers n’offraient aucune protection contre l’ignoble gaz. Des dizaines de Corsaires succombèrent rapidement, et les autres furent taillés en pièces. Rien que cela aurait suffi à sonner le glas de l’ost de Malékith, si les Revenants de Khaine ne s’étaient pas pressés dans la brèche, bravant les volutes de gaz pour endiguer l’offensive des Orques Noirs.
La ligne de bataille de Malékith était durement assaillie par les Peaux-Vertes, et il ne pouvait guère envoyer de troupes à l’est pour éliminer les équipes d’armes dans les bâtiments. Ainsi le Roi de l’Éternité s’envola et guida Seraphon vers les ruines les plus proches.
Des éclairs jaillirent d’une arche effondrée et crépitèrent sur le puissant poitrail du Dragon Noir. Seraphon rugit de douleur mais elle était bien plus résistante que les Elfes et les Peaux-Vertes qui avaient été les cibles désignées des tireurs Skavens. Elle plongea et s’abattit sur les ruines avec tant de force qu’elle projeta des débris sur les rues en dessous. Aussi vive qu’un serpent, elle darda à travers l’arche écroulée, une épaisse fumée noire émanant de sa gueule. Des dizaines de Skavens s’effondrèrent après avoir inhalé le gaz toxique, en laissant tomber leurs armes infernales. D’autres tentèrent de fuir, mais Seraphon les broya entre ses mâchoires avant qu’ils n’aient pu gagner la sécurité des rues.
Une ruine avait été vidée des équipes d’arme, mais des tirs fusaient depuis au moins une douzaine encore. Subitement, celle qui était le plus au sud devint silencieuse. Malékith aperçut l’éclat de masques dorés dans la pénombre, et soudain, des cris perçants masquèrent le beuglement des Orques. Sous son heaume, le Roi de l’Éternité eut un sourire cruel et souhaita silencieusement à la Danse des Chaînes de profiter de la chasse. Il laissa les Sœurs du Massacre s’exercer sur les artilleurs Skavens ; Malékith avait bien assez à s’occuper par ailleurs.
Le Roi de l’Éternité détourna Seraphon une fois de plus et revint auprès de son armée. Les serres du Dragon lacérèrent une bande d’Orques Noirs. Les constructs de feu noir de Malékith suivaient de près, leurs grandes lames d’ombre fauchant les Peaux-Vertes trop lents pour s’échapper.
Sur le sol un peu plus loin, Grimgor remarqua l’entrée en lice du Roi de l’Éternité, et comprit qu’il s’agissait d’un ennemi qu’il devait vaincre personnellement. Le Chef de Guerre ne savait pas bien d’où les Elfes étaient arrivés, mais il s’en fichait un peu. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il y avait un combat, et comme dans tous les combats, il lui fallait prouver que Grimgor était le plus fort ! Le Chef de Guerre jura vers le ciel, défiant l’Elfe d’oser l’affronter, mais l’ombre ailée restait en l’air, peu désireuse, ou incapable, de venir à lui. Grimgor décida alors d’attirer l’attention de l’Elfe d’une façon qu’il ne pourrait ignorer.Grimgor traversait le champ de bataille à pas lourd, ses Zimmortels à sa suite. Le refus de Malékith de répondre à son défi avait mis le Chef de Guerre en rogne, et malheur à quiconque, ami ou ennemi, se tenait sur son chemin. La nouvelle concernant l’humeur de Grimgor se répandit rapidement après qu’il eut fauché une douzaine de ses propres guerriers pour lui avoir barré le passage, et les Peaux-Vertes s’écartèrent pour permettre à leur chef de se rendre au cœur des combats.
L’arrivée du Chef de Guerre fut pour le moins catastrophique. Une énorme Hydre, ses flancs maculés de sang d’Orque, poussa un cri tonitruant et fonça vers Grimgor. Gitsnik étincela et deux têtes de la bête tombèrent au sol. Les autres rugirent de rage et de douleur, puis se précipitèrent sur l’Orque Noir. Trop lentement. Gitsnik passa au-dessus de la tête de Grimgor et s’abattit à travers la cage thoracique du monstre, jusqu’à fendre son cœur en deux. Les têtes du monstre s’agitèrent brièvement et tombèrent inertes, l’une d’elle écrasant un des Zimmortels à la droite de Grimgor. Le Chef de Guerre cracha sur le cadavre de l’Hydre et dépassa ses deux dompteurs, hébétés par la vitesse à laquelle leur animal avait été défait, pour se ruer tête baissée sur les Gardes Phénix derrière eux.
Le premier coup de Gitsnik faucha trois Gardes Phénix. La lourde hache avait fendu l’air et tranché les trois cous, ainsi que la hampe d’une hallebarde levée pour la contrer. Grimgor sectionna ensuite le bras d’un Elfe, et sa botte de fer frappa le malheureux pour l’envoyer contre ses confrères. Lé Zimmortels se ruaient à la suite de leur chef, leurs énormes Kikoup’ mordant à travers les plates elfiques. Néanmoins, les Gardes Phénix tenaient bon, fermes de corps et d’esprit, en dépit des circonstances néfastes qui les accablaient.
Au bord de la grande excavation, Darkh’dwel ricanait comme un dément en voyant les deux envahisseurs s’entre-déchirer. Même si les tirs de ses équipes d’armes étaient devenus sporadiques, signe que tout n’allait pas bien à l’est parmi les ruines, pas un seul Elfe n’avait approché de la ligne de Vermines de Choc. Chaque minute, le rat-démon devait résister à la tentation d’envoyer ses propres forces au combat, de mener les guerriers de l’Empire Souterrain à la victoire contre les Elfes et les Orques. C’était ce que le Rat Cornu demandait, et donc ce dont rêvait Darkh’dwel, mais la réalité de la situation ne lui échappait pas pour autant. Ses quelques centaines de Vermines de Choc ne pouvaient écraser les deux armées, mieux valait laisser ces fous d’entre-tuer un peu plus longtemps avant d’aller triompher.
Malékith voyait bien que le cours de la bataille n’était pas en faveur de l’Ost de l’Ombre. Les Peaux-Vertes étaient simplement trop nombreux, et les Elfes trop peu. En outre, il était évident que les Orques étaient imprégnés du pouvoir de Ghur, ce qui faisait de ces ennemis féroces et coriaces des adversaires plus redoutables encore. Le Roi de l’Éternité voyait les Skavens rôder au nord, mais il ne pouvait rien faire contre eux, pas encore. Tout d’abord, il lui fallait faire un exemple du Chef de Guerre Orque. Malékith avait affronté les Peaux-Vertes de nombreuses fois, et il savait qu’en supprimant son chef, la Waaagh! se diviserait ou s’enfuirait, ce qui lui convenait dans les deux cas.
Averti par une sorte d’instinct bestial, Grimgor se jeta de côté lorsque Seraphon rugit au-dessus de sa tête. Même ainsi, il avait évité le pire de justesse, car les serres du Dragon creusèrent de profonds sillons dans son armure. Lé Zimmortels ne furent ni aussi rapide, ni autant chanceux. Presque une douzaine d’Orques furent fauchés par les serres du Dragon, et au moins autant périrent de ses crocs, ou de la lame glacée de son cavalier.
Immédiatement, Grimgor perdit tout intérêt pour les derniers Gardes Phénix. Il avait enfin attiré le seigneur des Elfes. Seraphon se tourna pour faire face à Grimgor, qui courut droit vers elle. Le Dragon Noir produisit une épaisse fumée noire. Tout autour de Grimgor, des Orques Noirs s’étouffaient et mouraient, mais le Chef de Guerre avançait toujours, son œil valide fermé et ses poumons le brûlant tandis que la fumée virevoltait autour de lui. Ce n’est qu’au dernier moment, lorsqu’il entendit le reniflement du Dragon tout proche, qu’il ouvrit l’œil et bondit. Un instant plus tard, les bottes de fer de l’Orque Noir s’écrasèrent sur la tête cornue de Seraphon. Grimgor dérapa, mais son élan lui permit de glisser le long du cou de la bête pour faire face à son ennemi.
Malékith fut si surpris par l’approche audacieuse du Chef de Guerre Peau-Verte qu’il brandit de justesse son épée pour parer le coup meurtrier de Gitsnik. Les deux lames se heurtèrent en produisant des étincelles, et la force de l’impact fut telle que le Roi de l’Éternité faillit tomber de sa selle. Néanmoins, Malékith riposta, et les griffes de son gantelet s’enfoncèrent profondément dans l’épais avant-bras de Grimgor. L’Orque Noir hurla de douleur, puis il écrasa son front contre le visage du Roi de l’Éternité. Le heaume de l’Armure de Minuit se tordit sous le choc. Malékith fut repoussé, sonné, et relâcha le bras de Grimgor. L’Orque Noir leva sa hache bien haut pour porter le coup de grâce, en poussant un hurlement triomphal. Comme si elle avait compris, Seraphon rua. Malékith eut assez de réflexe pour s’agripper à sa selle. Grimgor, les deux mains serrées sur le manche de Gitsnik, n’eut aucune chance de trouver une prise. Rugissant de frustration, l’Orque Noir chuta du dos du Dragon et plongea vers un fourré de Gardes Phénix hérissé de hallebardes.
Au nord, Darkh’dwel vit le Chef de Guerre et le roi s’éloigner ensanglantés après leur duel. Les Elfes et les Orques s’étaient affrontés les uns les autres jusqu’au point mort, et à présent, il était temps pour le Verminarque de mériter sa gloire. Avec un cri strident, Darkh’dwel poussa ses Vermines de Choc hors des vestiges de la maison de la guilde, vers le flanc nord des Elfes. Les premiers à arriver au contact furent promptement éliminés. En effet, ils affrontèrent la Garde Noire de Malékith, et rares étaient les ennemis plus meurtriers. Toutefois, même les plus redoutables pouvaient être submergés par le nombre, et les Vermines de Choc de Darkh’dwel dépassaient largement les Elfes en effectifs. Piégée entre les Orques à l’ouest et les Skavens au nord, la Garde Noire commença à s’effriter.
Ailleurs, les cris des Skavens et sa propre rage firent recouvrer ses esprits à Malékith. La brute Peau-Verte avait cabossé son armure ! Le Roi de l’Éternité était vaguement conscient que son flanc nord était en grand péril, mais son attention restait rivée sur l’Incarnation Orque Noir. Suivant l’ordre de son maître, Seraphon se précipita sur Grimgor. L’Orque Noir fauchait avec enthousiasme tout Elfe se trouvant entre lui et Malékith. Seraphon plongea sa tête en avant, espérant saisir Grimgor entre ses mâchoires, mais le fer de Gitsnik lui arracha quelques écailles au niveau du cou, et le Dragon recula. Voyant son triomphe approcher, l’Orque Noir retroussa ses lèvres et poussa un puissant Waaagh!
Le cri fut repris par tous les Peaux-Vertes à proximité, ce qui nimba l’air d’un halo couleur d’ambre. En réponse, un second, Waaagh! résonna à l’ouest.
Des centaines d’Orques de plus accoururent depuis les décombres des entrepôts, en agitant sauvagement leurs Kikoup’. Derrière eux avançaient pesamment des Géants tapageurs, dont la voix rauque et les pas lourds ébranlaient les pierres des ruines. Des monteurs de sangliers se frayaient un passage depuis le sud-ouest, les couinements de leurs montures au regard fou s’ajoutant à la cacophonie. Et derrière eux arrivaient les Ogres musculeux. Seuls eux ne reprenaient pas en chœur le cri de la Waaagh!, et beuglaient à la place leurs propres chants grossiers.
Le cœur serré, Malékith regarda à l’ouest, et vit la fin de son armée. Le Roi de l’Éternité était avant tout un général confiant, mais il savait qu’il ne pourrait pas défaire les Orques, les Ogres et les Skavens en même temps, pas plus qu’il ne pouvait vaincre en puissant dans son propre pouvoir de l’Ombre. Bien que le Chef de Guerre borgne ne fît aucune tentative consciente pour dompter la puissance de Ghur, le vent de la Bête faisait de l’Incarnation Orque l’égal physique du Roi de l’Éternité.
Le Malékith de jadis, le Roi Sorcier de Naggaroth, aurait fui le champ de bataille à ce moment. Il aurait battu en retraite pour panser ses blessures sans se soucier de la vie des autres. C’était la seule issue que la fierté lui aurait accordée. Mais Malékith n’était plus la créature égocentrique qu’il avait été encore récemment, ou plus exactement, cette part de sa nature était plus que jamais enfouie en lui-même. Alors que Grimgor le chargeait à nouveau, le Roi de l’Éternité eut soudain un éclair de lucidité. La situation pouvait peut-être être sauvée, en sacrifiant sa fierté.
Malékith se laissa tomber du dos de Seraphon. Le Chef de Guerre Orque se trouvait à une dizaine de pas de lui, et sa hache s’abattait sur le dernier Garde Phénix. Le Roi de l’Éternité se prépara, et marcha droit vers son ennemi, l’épée levée.
Un Orque jaillit de la mêlée à gauche de Malékith. Il rugit un défi inintelligible, postillonnant sur l’armure du Roi de l’Éternité. Puis il s’effondra lorsque le poing de son Chef de Guerre s’écrasa sur lui. Il était clair que l’Orque Noir ne tolérait pas qu’on puisse lui enlever son prix. Malékith ne s’y serait pas pris autrement, et il pressa le pas vers le Chef de Guerre. C’était le moment où il allait découvrir s’il avait compris le caractère du Peau-Verte. Dans le cas contraire, il périrait. L’Orque rugit à nouveau tandis qu’approchait Malékith, mais le Roi de l’Éternité ignora cette démonstration de brutalité. Prestement, Malékith posa un genou à terre, sa tête baissée et son épée présentée, pommeau en premier, vers l’Orque. « Je me rends, » annonça-t-il, la nécessité des mots n’offrant rien pour adoucir leur amertume. L’énorme Orque se figea à mi-course, et Malékith se demanda quelles pensées pouvaient bien bouillonner dans le maigre esprit de la brute. « Je me rends, » répéta-t-il. « En mon nom et celui de la race des Elfes. » L’Orque Noir ne donna aucune réponse au départ. Puis ses lèvres se retroussèrent en un sourire féroce, et il leva sa hache bien haut au-dessus de sa tête. « GRIMGOR EST L’PLUS FORT ! » hurla-t-il, tournant son dos à Malékith et cognant son poing ganté sur son plastron. Le cri se répandit à travers les ruines de la maison se la guilde, repris à l’unisson par des milliers de Peaux-Vertes. « Non. » La voix de Malékith, dure et posée, trancha par-dessus la cohue. Grimgor se raidit. Il abaissa sa hache et se retourna, lentement, dangereusement, vers Malékith, toujours agenouillé. Le Roi de l’Éternité soutint le regard borgne du Seigneur de Guerre. « Je suis venu dans cette cité pour vaincre un serviteur des Dieux Sombres. Les hommes-rats et les Nordiques le servent tous, cet Élu des Dieux. Il veut détruire le monde et tout ce qui s’y trouve. » Grimgor grogna d’un air menaçant, mais sa hache resta baissée. « Comment Grimgor peut-il être le plus fort si le monde meurt par la main d’un autre ? » demanda malicieusement Malékith. |
Le renfrognement de l’Orque s’accentua, une expression que Malékith prit pour une réflexion inhabituelle. « Où est-il ? » gronda l’Orque.
Malékith étendit un doigt en direction du nord. « Au fond de cette fosse, » estima-t-il, puis il poursuivit. « Je vous montrerai le chemin, si vous nous permettez de combattre à vos côtés. » « Les oreilles pointues sont faibles, » grogna Grimgor. « Alors nous n’aurons aucune chance de voler votre gloire, » observa Malékith, « et toute latitude de nous montrer digne de vous. » Après une longue pause, un sourire sauvage fendit les traits scarifiés de l’Orque Noir. Puis Grimgor fit signe à Malékith. « Approche.” Derrière son masque, les lèvres de Malékith se tordirent en un sourire. Il avait sacrifié sa fierté, mais il restait un espoir de victoire. Dans tous les cas, les promesses consenties aux créatures inférieures ne signifiaient rien. Si l’Orque survivait aux heures à venir, alors il y aurait entre eux une minute de vérité. |
Au nord, Darkh’dwel réalisait à présent combien il avait sous-estimé la horde de Peaux-Vertes, mais ses propres forces étaient tellement impliquées dans la bataille qu’il ne voyait pas comment les en extraire. Ses Vermines de Choc avaient repoussé la Garde Noire si loin que le flanc ouest du rat-démon avait été pris d’assaut pas les Orques. À une courte distance, il pouvait apercevoir à la fois Malékith et Grimgor, mais les corps qui se pressaient entre eux perturbaient son appréciation.
Avec un cri perçant, le Verminarque convoqua les rats qui pullulaient dans les égouts de Middenheim. Ils émergèrent des grilles et des tuyaux d’évacuation parmi les décombres des maisons de la gilde. La marée couinante se déversa entre les Vermines de Choc engagés en combat, et se répandit parmi les Orques et les Elfes. Des griffes tranchantes déchiquetaient la chair pâle des Elfes et la peau tannée des Orques, et des dents en biseau mordirent les gorges et les carotides. Tandis que ses ennemis disparaissaient sous une nuée grouillante, Darkh’dwel avançait vers le sud entouré de nuages d’ombre. Les Vermines de Choc suivirent leur maître, poussés par une frénésie meurtrière engendrée par la Magie du rat-démon.
S’il avait été moins certain de son succès, Darkh’dwel aurait peut-être remarqué qu’il y avait de moins en moins d’Elfes parmi les morts, ou que les bannières de Naggaroth et d’Ulthuan s’étaient repliées plus au sud. De même, il se serait également rendu compte que les sons de la bataille au sud n’étaient plus aussi stridents qu’ils l’avaient été. Au lieu de cela, le puissant Skaven se ruait où s’était trouvé Grimgor la dernière fois qu’il l’avait vu, sa confiance grandissant à chaque Peau-Verte tombant mort à ses pieds.
Enfin, la masse beuglante des Orques se sépara et Grimgor chargea droit sur les masses d’ombre de Darkh’dwel. Le rat-démon pépia en savourant sa victoire à l’avance, et lança son Étoile de Ruine sur le Chef de Guerre. Le poison éclaboussait de la lame tandis qu’elle tournoyait dans l’air nocturne. C’était l’arme qui avait terrassé le soi-disant Héraut de Sigmar durant la capture de Middenheim, et elle volait à présent pour réclamer la tête du Seigneur de Guerre Orque.
Un instant plus tard, il y eut un bruit métallique sourd. Les deux moitiés d’une énorme étoile de jet, fendues par un coup de la hache de Grimgor, rebondirent sur les armures des morts. Le Chef de Guerre n’avait même pas ralenti pour porter son coup, et chargeait par-dessus les cadavres. Les Vermines de Choc accouraient, les yeux luisant de folie. Gitsnik frappa encore, et leurs dépouilles furent projetées en arrière dans une gerbe de sang. D’autres Skavens arrivaient en criant, mais Lé Zimmortels se ruaient à la suite de leur patron, en donnant de grands coups de Kikoup’ à deux mains.
Une incertitude malvenue étreignit la gorge de Darkh’dwel, mais il la réprima. N’était-il pas un émissaire du Rat Cornu et un redoutable sorcier ? Des éclairs de Malefoudre crépitèrent et jaillirent des griffes du rat-démon, afin de griller vivants les Orques Noirs dans leurs armures. Cependant, à peine les décharges avaient-elles quitté le bout des doigts de Darkh’dwel qu’elles se volatilisèrent, dissipées par la volonté d’un autre sorcier. Il était trop tard, le Verminarque entendit le lent battement d’ailes de Seraphon au-dessus de sa tête, et sentit la présence vengeresse de Malékith sur les Vents de Magie.
Admettant enfin le danger, Darkh’dwel tenta de puiser dans le vent d’Ulgu, afin d’étendre ses ténèbres occultantes. À nouveau, son sort échoua, brisé par l’Incarnation de l’Ombre volant au-dessus de lui. Le rat-démon s’enfonça parmi les Vermines de Choc, son esprit cherchant désespérément la puissance lui permettant de s’évanouir en sûreté.
Grimgor rattrapa le Verminarque trois pas plus loin. Gitsnik s’abattit, sectionnant la cheville droite de Darkh’dwel. Le rat-démon riposta en s’écroulant, ses griffes entaillant le faciès de l’Orque Noir. Grimgor se contenta de sourire, et abattit le fer de Gitsnik sur le coup du monstrueux Skaven. Il lui fallut tout de même huit coups pour décapiter Darkh’dwel, même si le rat cessa de bouger au troisième. Au septième coup, la frénésie magique des Vermines de Choc se dissipa aussi rapidement qu’elle était apparue, et les hommes-rats s’enfuirent dans la nuit en criant. Peu d’entre eux allèrent loin. Les monteurs de sangliers avaient pris part au combat assez tard, et ils étaient déterminés à tremper leurs lances dans le sang.
Grimgor décréta que Malékith et sa poignée d’Elfes seraient épargnés. Il semblait que le Chef de Guerre s’était déjà fait à l’idée que les guerriers d’une race antique avaient rejoint sa Waaagh! Tous les lieutenants de Grimgor n’étaient pas de cet avis, mais les objections se turent peu après que le Chef de Guerre eût entériné sa décision de la plus sanglante façon possible.
Quant à Malékith, il ne ressentait que le fardeau d’un échec cuisant. Son armée avait presque été détruite, et le fait que seule sa sagacité ait lui ait épargné l’annihilation était une maigre consolation. Ignorant les regards accusateurs de ses derniers guerriers, le Roi de l’Éternité se promit à nouveau qu’Archaon payerait pour tous les affronts qu’il avait essuyés en ce jour, et suivit l’ost de Grimgor jusqu’aux rebords de la grande excavation. Malékith espérait seulement que les autres Incarnations s’en sortaient mieux que lui.
Mort sur le Belvédère[modifier]
Sigvald le Magnifique arriva sur le belvédère du Grand Parc tandis que la Légion Maudite et les guerriers des Kurgans entamaient leur lutte sanglante. L’air était empli de cris et empestait la chair calcinée, et des feux sorciers brûlaient d’un vert maladif parmi les arbres torturés. Dans le ciel, des Morghasts affrontaient des nuées de Gargouilles et de Chimères.Le prince n’était guère enchanté d’avoir du quitter ses halls du plaisir parmi les ruines de Parravon, et encore moins de se retrouver sous les ordres d’Archaon l’Élu des Dieux. Du point de vue détaché de Sigvald, les guerres de la Fin des Temps pouvaient être menées par d’autres. Si le monde touchait à sa fin, il souhaitait simplement passer ses dernières heures à se vautrer dans la dépravation. Ses adorateurs avaient passé des jours à préparer une telle célébration, et perdre son temps à des centaines de lieues était un grief de plus à ajouter à une nuit qui en comptait assez. Mais le prince, peu désireux de s’opposer à la volonté de Slaanesh, accepta son fardeau à contrecœur.
Plus bas que Sigvald, au loin, le centre de la ligne des Kurgans vola en éclats. Des guerriers en armure noire fuirent comme des scarabées en remontant le versant, toute gloire oubliée face aux rangs inexorables des Morts-Vivants. Sigvald renifla. Il avait toujours pensé que les Kurgans étaient des brutes sur lesquelles on ne pouvait compter, dont le courage durait tant que la bataille se déroulait en leur faveur, mais toujours prêts à laisser le véritable labeur à d’autres. Une fois encore, la victoire dépendait du génie et du talent du Prince Sigvald le Magnifique. Sans plus de fioritures que nécessaire, Sigvald tira Vif-éclat de son fourreau. Le prince prit un instant pour s’admirer sur le reflet de la lame, puis il se rua au combat.
Derrière Sigvald vint un ost de Démonettes graciles, un présent du généreux Slaanesh. Les Démons étaient la perfection en mouvement, chaque pas gracieux se fondant sans effort dans le suivant, comme s’il s’agissait de la chorégraphie d’une danse hypnotique. Leur chant se mêlait aux notes plus graves de la bataille comme des éphémères voletant au-dessus d’un ruisseau. Il débuta en une mélodie sucrée, puis, tandis que les danseuses prenaient de la vitesse, l’harmonie se fractura, devenant discordante et hachée. Toutefois, le chant restait d’une certaine façon tout aussi envoûtant.Ceux qui étaient touchés par ces notes entendaient leurs amours perdus et leurs désirs proscrits les appeler. Les Kurgans s’arrêtèrent, sidérés, leurs esprits engourdis et leurs sens attisés par ce chant de sirène. Ils tendaient leurs mains vers les danseuses. Les Démonettes riaient, un son à faire résonner le cœur et frémir la chair. Puis les griffes frappèrent, et les Nordiques hébétés rendirent leur dernier souffle à travers leurs gorges ravagées. Tout cela sans que la troupe ne manque un pas, sans même ralentir l’allure.
Plus loin, les revenants de la Légion Maudite marchaient à l’unisson à travers la forêt carbonisée. Du sang et des os pleuvaient sur eux tandis que les Morghasts livraient leur bataille aérienne. Alors que les revenants avançaient, une Chimère mourante tomba en vrille, et son corps en ruine s’écrasa au beau milieu des rangs de la Légion Maudite. Une vingtaine de guerriers de Krell furent broyés, mais la formation poursuivit son avance.
Krell entendit les voix charmeuses des Démonettes, mais leur chant le laissait de marbre. Quels qu’aient pu être ses désirs, ils s’étaient évanouis avec sa chair, seule la volonté de Nagash avait encore de l’emprise sur son âme noire. Toutefois, lorsque Krell porta son regard sur la silhouette dorée qui se pavanait en tête du cortège des Démonettes, il sentit une haine froide l’attiser. Les échos de batailles anciennes résonnèrent dans l’esprit du revenant, de guerres entre les guerriers de Khorne et l’élite décadente des champions de Slaanesh. Guidé par un instinct plus vieux que l’Empire, Krell modifia sa ligne afin de se confronter à l’individu doré.
Le centre de la ligne des Kurgans avait volé en éclat, mais les bandes de guerres sur les flancs combattaient toujours. Au nord, l’acier des tertres et le métal ensorcelé s’entrechoquaient tandis que les chevaliers de la Légion Maudite affrontaient les meurtriers en armure des désolations. Les Chevaliers du Chaos étaient plus forts et plus rapides que leurs ennemis Morts-Vivants, leurs haches et leurs épées entaillaient les armures de bronze et brisaient les os en dessous.
Sans la sorcellerie d’Arkhan, le conflit se serait vite achevé. Puisant dans la Magie de la Mort qui tourbillonnait autour de son maître drapé d’ombre, le liche ressoudait les os brisés, et reliait les mauvais esprits à leurs dépouilles ancestrales. Les Nordiques n’avaient pas cette chance, et ceux qui tombaient sous les lames maudites des chevaliers revenants ne se relevaient jamais. Pire, il n’y avait aucun Sorcier ou Chaman pour contrer la Nécromancie du liche, car Nagash les avait tous tués dès le début de la bataille.
Du côté est du Grand Parc, des bandes isolées de Kurgans luttaient sous leurs bannières surmontées de crânes. Des esprits hurlants striaient la forêt cendrée, et griffaient les Nordiques de leurs doigts glacés. Des hordes de Zombies brûlés et boursouflés titubaient entre les murs de boucliers pointus, seulement poussés par la volonté de Nagash. Les Morts-Vivants arrachaient les boucliers et la peau, insensibles aux coups qu’ils recevaient en retour. Ici, comme au nord du parc ravagé, les morts ne reposaient pas facilement. Ce n’est qu’en taillant complètement en pièces leurs ennemis que les Nordiques pouvaient se ménager un répit. Et encore, cela ne durait que le temps que Nagash étende une fois de plus sa volonté. Le Grand Nécromancien émettait des impulsions de Magie d'améthyste qui imprégnaient les morts et leur redonnaient force et vigueur. Les boucliers des Kurgans étaient arrachés des mains de leur porteur. Les Nordiques étaient tirés dans les cendres trempées de sang où les cadavres de leurs défunts guerriers et d’esclaves les piétinaient à mort.Sigvald atteignit les revenants de la Légion Maudite au moment où la première bande de Kurgans du sud céda. Le prince ne lança pas une charge sauvage, car c’était l’apanage de ces rivaux, mais se joignit au combat à un rythme calculé. Il tendit la pointe de Vif-éclat au niveau des yeux. La rapière fendit l’air au-dessus du bouclier d’un revenant et traversa son crâne avant que la créature ne réagisse. L’instant d’après, Sigvald balaya sa lame sur la droite, et la pointe argentée de l’épée traversa le gorgerin de fer d’un second revenant. Un troisième plongea une lame des tertres vers le ventre de Sigvald. Le prince esquiva le coup sans effort, ne cherchant même pas à le parer avec son bouclier. Avec un rire dédaigneux, Sigvald, frappa de taille à travers le mur de bouclier, et trancha le bras qui avait osé tenter de l’atteindre. Dans un fracas, les revenants se pressèrent vers cet ennemi doré.
C’est alors que les Démonettes frappèrent. Elles ralentirent à peine en rencontrant la ligne de boucliers. Au lieu de cela, le rythme de leur danse s’accéléra, devenant un balai frénétique et meurtrier. Chaque pirouette s’achevait avec une griffe qui fendait l’air, chaque cabriole par le fracas d’os brisés. Elles combattaient avec la même grâce que Sigvald croyait posséder, chaque mouvement aussi fluide et inévitable que le lever du soleil, et pourtant imprévisible.
Pour les revenants de la Légion Maudite, dont les pensées n’étaient plus que l’ombre de ce qu’ils possédaient de leur vivant, les Démonettes étaient intouchables. Les blessures qu’ils infligeaient à la chair d’albâtre des danseuses tenaient plus de la chance que d’une quelconque précision, et la Magie liant les revenants au monde des vivants commença à se dissiper.
Sigvald, sa mauvaise humeur dissipée, luttait parmi les Démonettes virevoltantes et laissait éclater sa joie de combattre. La seule déception du prince était l’absence de cris de ses ennemis lorsqu’il les fauchait. Pour lui, un massacre sans agonie était comme un repas sans vin, délectable, mais souffrant d’un manque palpable. Toutefois il savait que Slaanesh le récompenserait abondamment pour les faits accomplis en ce jour, et le prince se perdit à rêver furtivement d’une dépravation au-delà de l’entendement des vulgaires mortels.
À cet instant, le tranchant meurtrier de la hache reluisante de Krell faillit trancher la tête de Sigvald. Le prince sortit de sa fugue un battement de cœur avant que la lame dentelée ne le touche, et seul l’opposition désespérée de son bouclier empêcha sa tête de tomber de ses épaules. La hache crissa sur le métal poli, et Sigvald vit que le coup du revenant avait laissé une estafilade en travers de la peu d’argent. Cette vision suffit à faire oublier ses fantasmes au Prince Verni et il se jeta sur le Mortarch.Ainsi débuta un duel de champions, équilibré malgré deux styles de combats aux antipodes l’un de l’autre. Sigvald prenait des appuis légers, sa lame était vive et précise. Krell, quant à lui, était une brute. Ses mouvements étaient pesants, mais il était impossible d’arrêter sa hache. Sigvald apprit vite que les moulinets opportunistes de Krell ne pouvaient pas être parés. En effet, sa première tentative faillit lui faire sauter Vif-éclat de la main, aussi concentrait-il à présent ses efforts à s’écarter des arcs brutaux dessinés par la hache. C’était plus facile à dire qu’à faire cependant. Chaque coup tournoyant de Krell était suivi sans transition par le suivant, un spectacle qui aurait pu s’avérer étrangement gracieux à contempler si l’on exceptait la nature meurtrière qu’il dissimulait.
Pour la première fois cette nuit-là, Sigvald recula face à un adversaire. Krell le suivait, l’énorme tranchant sifflant plus près à chaque pas. Une Démonette, ne sentant pas le danger avant qu’il ne soit trop tard, s’écarta des épées de la Légion Maudite pour se retrouver sur le chemin de la Hache Noire. La lourde lame la trancha sans ralentir sa course, et les deux moitiés d’un cadavre dégoulinant d’ichor s’écroulèrent sur les cendres.
Encore et encore, Sigvald attaquait Krell, se fendant toujours au moment où le revenant laissait apparaître une faille dans sa garde. Une fois sur deux, Vif-éclat glissait sur l’antique armure de Krell. Et même lorsque le prince pénétrait le fer des tertres, cela ne fit guère ralentir Krell. En effet, le seul signe attestant qu’il ait senti le coup était un bref attisement des flammes qui occupaient ses orbites.
Sigvald se baissa. La hache de Krell siffla au-dessus de la tête du prince et fracassa un arbre calciné. Des cendres plurent sur les deux opposants, maculant l’armure dorée de Sigvald. Krell balaya dans l’autre sens, fit passer sa lame au-dessus de sa tête et l’abattit sur le prince voûté. Sigvald pivota. La hache poursuivit sa course, tranchant quelques mèches blondes du prince dans son élan, avant de s’enfoncer profondément dans le sol meuble.
Pendant une fraction de seconde, le fer resta dans la terre, et Sigvald profita de l’occasion. Il se redressa triomphalement en brandissant Vif-éclat. Dans un crissement métallique et une gerbe de poussière tombale, la pointe de la lame traversa le plastron de Krell jusque dans sa poitrine. Pendant un instant, les deux champions se tinrent immobiles et silencieux tandis que la bataille faisait rage autour d’eux. Puis, au grand désarroi de Sigvald, le feu se raviva dans les orbites de Krell, et un rire sépulcral résonna dans son heaume. Le revenant pivota pesamment sur un côté, arrachant à la fois sa hache du sol et Vif-éclat de la main de Sigvald. Soudainement désarmé, le Prince Verni recula en pleine détresse tandis que Krell s’avançait une fois encore, la lame d’argent toujours profondément logée dans son plastron.
Ailleurs, le cours de la bataille commençait à basculer. Arkhan sentit le déplaisir de son maître onduler dans son esprit et rappela les Morghasts qui luttaient dans le ciel. Les hérauts osseux s’abattirent sur les Kurgans et les Démonettes en plein combat, leurs lames imprégnées d’esprits fauchant sans distinction la chair mortelle et immortelle. Les Démons n’étaient pas perturbés par le danger, ne voyant que de nouveaux ennemis à attirer dans leur danse d’un autre monde. Toutefois, pour les Kurgans, cette terreur soudaine s’abattant de l’obscurité fit voler en éclats le peut d’esprit combatif qui leur restait. Désespérés, les Nordiques fuirent vers le belvédère.
Subitement, le plateau fut envahi d’un mugissement rauque. Une nouvelle silhouette apparut à la crête, large et voûtée. Une cape rouge en lambeaux pendait de ses épaules monstrueuses, et une étincelle dorée brillait sur l’une de ses énormes dents. Throgg, le Croc de l’Hiver, était arrivé. Des ombres plus grandes se rassemblaient sur le belvédère, celles de Trolls, de Géants et de mutants des terres nordiques, des Minotaures et des Ghorgons de la Drakwald. Ils avaient répondu à l’appel de Throgg, liés à sa volonté par la Magie de sa couronne ternie.
C’est Archaon qui avait émis le désir que Sigvald et Throgg défendent ensemble le belvédère. Cependant, le Prince Verni avait trouvé insultant d’être comparé à un Troll et avait asséné à Throgg ce qu’il avait pensé être un coup fatal peu après qu’ils eussent quitté le temple profané d’Ulric. Toutefois, Throgg était plus résistant que le petit prince l’avait escompté, et sa chair noueuse s’était vite restaurée. À présent, le Roi des Trolls était venu non seulement pour écraser les Morts-Vivants, mais également afin d’occire Sigvald pour sa traîtrise.
Les monstres de la horde de Throgg ne faisaient aucune distinction entre amis et ennemis tandis qu’ils déferlaient dans les jardins calcinés. Les Kurgans en fuite furent piétinés ou balayés par des massues de fortune. Certains furent ramassés pour servir de projectiles, et catapultés le long de la pente pour se fracasser dans la masse des Morts-Vivants. De nombreuses Démonettes, leur attention rivée sur l’ennemi devant elle, pas sur les alliées dans leur dos, ne s’en tirèrent guère mieux. Malgré cela, c’est la Légion Maudite qui souffrit le plus, et ses guerriers réanimés furent aplatis par vingtaines.
Sur ordre de Nagash, les Morghasts se dirigèrent vers cette nouvelle menace. Au début, les Morts-Vivants avaient l’avantage. Nul parmi la horde de Throgg ne pouvait voler, ce qui permit aux Morghasts de frapper dès qu’une opportunité se présentait. Les hallebardes maudites hachaient la chair des Trolls et le cuir des Carnabrutes ; les glaives ensorcelés tranchaient à travers l’épais pelage des Minotaures. Hélas pour les Morts-Vivants, les bêtes étaient trop nombreuses et insensibles à la douleur. Des griffes décrochèrent les Morghasts du ciel, des mains calleuses attrapaient leurs jambes et les tiraient au sol, où ils étaient taillés en pièces.
Sigvald et Krell poursuivaient leur duel. Pivotant tandis que la Hache Noire s’abattait, Sigvald se pencha et agrippa la poignée de Vif-éclat. Il laissa échapper un cri de triomphe en refermant ses doigts sur la poignée en peau, Puis laissa tomber son bouclier et tomba en arrière en poussant un cri plus perçant. Sigvald avait une main sur son épée, l’autre appuyée contre son visage ensanglanté. Krell avait anticipé le geste du prince et l’avait feinté avant de renverser sa prise pour frapper son ennemi par surprise.
Alors que le Roi Revenant revenait à la charge, le Prince Verni aperçut son propre reflet sur son bouclier gisant au sol. Sa main dissimulait à peine l’étendue de la blessure, car elle partait de son menton et courait au-dessus de son sourcil. Retirant ses doigts, Sigvald vit la ruine ensanglantée de son œil gauche, ainsi que la chair plissée et décolorée qui, il le comprit immédiatement, ne guérirait jamais.
À cet instant, Sigvald devint frénétique, submergé par une rage digne d’un champion de Khorne. Ramassant son bouclier, il se rua sur Krell, le percuta et le frappa de ses poings et de ses pieds.
La fureur conféra au Prince Verni l’avantage que la finesse lui avait jusque-là refusé, et cette fois, ce fut Krell qui dut reculer, son rire enfin étouffé. Encore, et encore, la Hache Noire s’abattait, sa lame maléfique entaillant le bouclier d’argent de Sigvald. Au quatrième coup, le pavois n’était plus qu’un lambeau de métal et de bois, que le Prince Verni jeta au faciès de Krell. Le revenant, temporairement aveuglé, ne vit pas le coup suivant de Sigvald, qui trancha net à travers son bras gauche juste au-dessous de l’épaule.
Krell poussa un grincement de colère en voyant son membre tranché, et abattit la Hache Noire sur la lame qui avait osé le blesser. Il y eut un tintement sourd lorsque la lourde hache frappa le mince acier, et que Vif-éclat fut cassée en deux. Pourtant, avant que le revenant ne puisse profiter de son avantage soudain, Sigvald bondit et le projeta à terre. Alors même que le heaume de Krell heurtait le sol cendreux, Sigvald écrasa la pointe brisée de Vif-éclat dans l’orbite ardente gauche du revenant. Puis, tandis que son genou immobilisait le bras restant de Krell, bloquant la Hache Noire à terre, le prince entreprit de marteler la tête du revenant avec ses poings nus.
Sigvald frappait le revenant encore et encore, hurlant une haine incohérente à son ennemi dénué d’expression. Il n’avait pas conscience du sang qui s’écoulait sur son visage, et de ses mains enflées. Il sentit la pommette du heaume de Krell céder sous ses attaques, et arracha le morceau de métal tordu, sans remarquer que le coup qui avait déformé le casque avait également arraché un de ses doigts. Le prince se délecta du son des os fracturés qui accompagnait chaque coup de poing, ne réalisant pas qu’il provenait aussi souvent de ses phalanges rompues que du crâne ravagé du revenant.
Ce n’est que lorsque les flammes moururent dans les orbites de Krell que Sigvald se laissa tomber, haletant. Finalement, le Prince Verni baissa ses yeux sur des doigts brisés et ensanglantés, sur des mains qui ne pourraient plus jamais manier une arme. Rejetant sa tête en arrière, Sigvald hurla au ciel, le son alimenté autant par sa colère que son désespoir.
Il ne cria pas longtemps. Tandis que le hurlement se mua en sanglot la tête d’une énorme masse de pierre s’écrasa sur la tempe de Sigvald, lui ouvrant le crâne et répandant sa cervelle en bouillie sur le corps inanimé de Krell. Alors que le Prince Verni tombait sans vie sur le revenant, Throgg se renfrogna en regardant les deux dépouilles, et vida sa vessie sur l’armure dorée de Sigvald. Vengé des insultes et de la traîtrise, le Roi des Trolls descendit parmi les arbres calcinés pour vaincre au nom des Dieux du Chaos.
Nagash sentit le départ de l’esprit malfaisant de Krell, mais ne pouvait pas accorder plus d’attention à son serviteur. L’arrivée de la horde monstrueuse de Throgg avait fait basculer le cours de la bataille. Au centre et au nord, la Légion Maudite avait été balayée par la masse de ses adversaires, et d’autres créatures beuglantes descendaient des versants à chaque instant. Ce n’est qu’au sud, où les Zombies brûlés avaient brisé le mur de boucliers des Kurgans, que le champ de bataille était encore entre ses mains.
Le Grand Nécromancien possédait une fierté monstrueuse et était peu enclin à battre en retraite. Cependant, il reconnaissait que la défaite était présentement sa seule alternative. Il pouvait relever son armée une fois encore, et même ramener Krell d’entre les morts, mais l’énergie nécessaire l’affaiblirait grandement, et il n’aurait pas été sage d’atteindre le cœur de l’excavation sans ses pleines capacités. Appelant à ses côtés les Morghasts qui restaient, le Grand Nécromancien ordonna à Arkhan de couvrir sa retraite et se dirigea vers le sud.
« MON SERVITEUR. » La lourde voix de Nagash résonna à travers les pensées d’Arkhan.
Le Roi-Liche tira son attention de la bataille et leva les yeux respectueusement vers son maître. Arkhan voyait que la bataille se déroulait mal, mais il était certain que Nagash avait un plan. Son maître en avait toujours un. « Que dois-je faire pour vous servir ? » s’enquit Arkhan. « PRENDS DEUX OSTS DE MORGHASTS. RETIENS L’ENNEMI ICI JUSQU’À TES DERNIÈRES FORCES. NE ME DÉÇOIS PAS. » Le liche accepta sa condamnation à mort sans faillir. Il avait déjà péri auparavant au service de Nagash, et le ferait à nouveau de bon gré. La loyauté avait un prix, ainsi que des récompenses. |
Son maître le restaurerait comme il l’avait fait tant de fois par le passé.
« Oui, maître. Avez-vous d’autres ordres ? » Nagash marqua une pause, comme frappé d’indécision. Pour la première fois, Arkhan ressentit une étincelle inhabituelle de peur s’allumer dans son cœur flétri. Si son maître ne savait pas réellement comment les événements allaient s’enchaîner, s’il ne pensait pas pouvoir triompher… « MEURS BIEN, MON SERVITEUR, » ordonna Nagash. Arkhan regarda son maître partir. Ses doutes redoublaient. Puis la horde monstrueuse fut sur lui, et il dut se consacrer intégralement à cette bataille impossible. |
Le Choc de la Vie et de la Mort[modifier]
L’arrivée des Nains sur Middenplatz accorda à l’Ost de la Vie d’Alarielle un répit plus que nécessaire. Leur première salve, constituée autant par les pierres du mur est que par les projectiles balistiques, ne fit pas grand dégât aux Furies de Hellebron et aux Skaramor, mais réduisit les hardes mugissantes en pulpe. Quelques Hommes-Bêtes combattaient encore sous des bannières grossières et en lambeaux, poussés par les prouesses brutales de leurs chefs, ou simplement emportés par la jubilation de se battre. La plupart étaient sous le choc et désorientés : des cibles faciles pour les Elfes et les Esprits des Forêts qui avaient soudain repris espoir, et pour les Nains dont les haches s’élevaient et s’abattaient avec une sinistre inéluctabilité.
Bientôt, la moitié est de Middenplatz fut balayée par une tempête de cornes et de sabots paniqués, dont la force se relâchait à mesure que les haches, les flèches et les tirs accomplissaient leur office. Toutefois, les Hommes-Bêtes qui résistaient vendaient chèrement leur peau. Mugissant leurs prières, ils hachaient chair et armure avec une frénésie débridée, ne s’arrêtant qu’une fois privés de leur dernière étincelle de vie. Les Minotaures étaient les pires, piétinant et éviscérant leurs ennemis tout en ignorant des blessures atroces. Ce furent contre ces brutes que Gelt et Hammerson envoyèrent leurs Brise-Fer, comptant sur leurs armures runiques en Gromril pour encaisser les terribles coups des Minotaures. Dans la plupart des cas, cette confiance n’était pas déplacée, mais trop de braves fils des montagnes périrent néanmoins.
Après ce qui sembla des heures, mais qui fut en réalité les plus furtives des minutes, le dernier Homme-Bête fuit, mais le danger existait toujours. Les Sakramor et les Furies de Hellebron avaient été peu touchés par l’arrivée explosive des Nains, involontairement protégés par les corps de leurs alliés sauvages. Ces guerriers sanguinaires dépassaient à eux seuls les effectifs de l’ost d’Alarielle qui s’amenuisaient, et la situation empirait chaque fois que se croisait le fer. Petit à petit, le cercle des Elfes et des Esprits des Forêts se contractait, en laissant des corps brisés pour marquer chaque lutte désespérée. Les Furies rivalisaient avec les Dryades les plus rapides, et l’épaisse armure des Nordiques résistait aux coups des plus lourdes. Ce n’est que là où luttaient Durthu et les Hommes-Arbres que le cercle des Elfes tenait bon. Les poignards des Furies ne pouvaient pas faire grand-chose aux aïeux des forêts, et un seul coup de leurs poings noueux pulvérisait un Sakramor en dépit de l’épaisseur de son armure.
Alarielle combattait dans l’ombre de Durthu, déployant sa Magie bienfaitrice pour régénérer les morts et les mourants, mais tous pouvaient voir ses forces décliner. La Reine Éternelle n’était plus radieuse. Elle avait vieilli de plusieurs siècles depuis son arrivée à Middenheim, son corps ravagé par la Magie qu’elle avait dû y puiser. La peau d’Alarielle était ridée, et sa chevelure avait perdu son éclat, cependant, sa volonté de se battre demeurait plus forte que jamais.Hellebron faisait partie de ceux qui voyaient la Reine Éternelle s’affaiblir, et cette vision ne lui arracha qu’un cruel réconfort. Le peu de santé mentale que possédait autrefois la Reine de Sang avait été balayé à son arrivée à Middenheim, remplacé par une portion de la rage divine de Khorne. Depuis le sommet de son Autel-Chaudron elle fulminait et crachait des ordres et des menaces avec une voix troublée par la folie. Toutefois, Hellebron se rappelait la vision que Be'lakor lui avait fait partager : elle allait mourir de la main d’Alarielle, si la Reine Éternelle n’était pas occise la première. La Reine de Sang serrait déjà ses lames dans ses mains tandis que l’autel avançait.
Ainsi Hellebron se fraya un chemin de carnage droit vers l’endroit où luttait son ennemie, les lourdes roues de son Autel-Chaudron broyant les os des défunts. Des Furies bondissaient, jubilantes, dans le sillage du temple ambulant. Elles étaient autant abandonnées au Dieu du Sang que l’était leur folle maîtresse, ce qui ne faisait que décupler leurs talents assassins. Déterminées à prouver leurs qualités de reines du meurtre, les Furies Elfes Noirs délaissaient les opportunités d’infliger de simples blessures, leurs lames élancées ne cherchant qu’à trancher les gorges et percer les cœurs de leurs ennemis acculés.
Plus au nord, entre le Chaudron d’Hellebron et le mur de Middenplatz, le Buveur de Sang Karan’gar menait sa propre charge. Les Skaramor luttaient sans peur dans son ombre, sûr que la présence du Démon Majeur était une bénédiction de Khorne. La hache de Karan’gar écrasa la Garde Éternelle, fauchant une douzaine d’Elfes d’un seul coup. Des Faucheurs de Crânes s’engouffrèrent dans la brèche en poussant leurs chants guerriers, et contribuèrent au massacre avec leurs propres haches. L’Homme-Arbre Skarana, voyant les Nordiques se déverser dans la formation regroupée, se pressa pour combler la brèche. Les barbares poussèrent de brefs cris tandis que Skarana les piétinait ou enfonçait leurs armures avec ses points noueux.
Voyant enfin un ennemi à sa mesure, Karan’gar fit claquer son fouet, et se rua pour démembrer l’Esprit des Forêts.
Pour la seconde fois cette nuit, les Nains assurèrent le salut d’Alarielle. Un grondement sourd résonna à travers Middenplatz lorsqu’ils avancèrent sur les Furies et les Skaramor assaillant l’Ost de la Vie. Hammerson et les siens avaient beaucoup perdu en quelques mois, et de nombreuses rancunes à solder. En outre, nul parmi le Throng du Métal n’aurait nié tirer une certaine satisfaction en prouvant aux Elfes arrogants qu’ils avaient besoin du peuple des montagnes.
Les Canons Dracs de feu déversèrent un torrent de fureur alchimique qui carbonisa la horde criarde de Hellebron. La salve catapulta des guerriers en armure en travers du chemin de la Reine de Sang, plongeant des rangs déjà anarchiques dans le chaos le plus total. Avant que ne se soit dissipé l’écho des tirs, les cors graves de Zhufbar sonnèrent, et les Nains chargèrent.
Le Throng de Hammerson était aussi inexorable qu’un glacier. Ces combattants avançaient tels une implacable étrave de haches et de boucliers qui fendit l’ost de Hellebron en deux. Une lumière dorée dansait sur le fer des lames naines tandis que la Magie de Gelt réveillait le plein pouvoir des runes ancestrales. Des haches traçaient des arcs étincelants dans l’air nocturne, et mordaient les plates nordiques aussi aisément que la chair nue des Furies. Les armures de Gromril luisaient à chaque riposte, et résistaient à tout sauf aux coups les plus sauvages.
Malgré tout, les Nains conservaient une formation parfaite. Sur ordre de Hammerson, les côtés de l’étrave pivotèrent vers l’extérieur, formant un mur de boucliers sur l’est et l’ouest. Hammerson commandait à l’est, Gelt, à l’opposé. Laissant leurs morts derrière, les Zhufbarak avancèrent, les deux lignes s’articulant à la pointe de l’étrave pour empêcher les Skaramor au nord de percer dans l’espace entre les murs.
L’intervention des Nains avait coupé l’élan de Hellebron. En outre, ils avaient divisé son ost en deux forces désordonnées. La plus petite des deux, qui incluait la Reine de Sang elle-même, se retrouvait piégée entre le mur de boucliers de Hammerson et l’Ost de la Vie. Alors que Hellebron avait attiré une marée de Skaramor enragés pour appuyer ses Furies, elle devait à présent livrer bataille sur un pied plus égalitaire. Si la Reine de Sang avait encore possédé toute sa raison, elle aurait pu se dérober à cette perspective. En l’état, elle était trop absorbée par la rage de Khorne pour s’en soucier. Dédaignant les boucliers des Nains qui pressaient ses rangs, elle exhorta ses cultistes à se battre au-delà de leurs limites, et les envoya contre la Reine Éternelle.
Alors que les Nains de Hammerson écrasaient les forces de Hellebron à l’ouest, ceux de Gelt tenaient bon à l’est. Leur tâche était de loin la plus difficile : retenir la plus grande partie de la horde nordique tandis que la plus petite était broyée ente les boucliers de Hammerson et des Elfes survivants. Gelt œuvrait en retrait des bannières des Zhufbarak, puisant dans le pouvoir runique des armures des Brise-Fer pour lier leurs boucliers plus fermement que n’importe quelle volonté mortelle n’en aurait été capable. Le Sorcier se sentait étrangement vulnérable. Cela faisait très longtemps qu’il n’avait plus été forcé de livrer combat depuis le sol, mais les blessures qu’avait subies Vif Argent à la Clairière du Roi empêchaient le Pégase de voler, et ne lui permettaient de le porter qu’à la façon d’un cheval. Toutefois, cela ne tracassait pas tant Gelt. Il avait foi en ses alliés Nains, ils triompheraient, ou périraient ensemble.
Des étincelles fusaient et des boucliers vibraient tandis que les Nordiques se ruaient sur le mur de Gelt, mais la ligne tenait bon. Les lames en fer de hache des Nordiques crochetèrent à plusieurs reprises le rebord des boucliers, affaiblissant le mur assez longtemps pour que d’autres armes s’abattent sur les Zhufbarak au-delà. Aucun Skaramor ne vécut toutefois assez longtemps pour porter un second coup. Les haches runiques dessinaient des arcs mortels au-dessus des boucliers verrouillés, la Magie imprégnée dans les lames tranchant à travers l’épais acier nordique et creusant la chair jusqu’aux os. Le mur de Gelt se déformait sans cesse, mais ne cédait pas. Les Nains auraient préféré mourir que de porter la honte d’un tel échec, aussi pansaient-ils leurs blessures avec des chiffons sales, buvaient leurs dernières gorgées de Bugman XXXXXX, et luttaient.
Plus au nord, le fouet de Karan’gar claqua autour du buste de Skarana, coinçant ses bras contre sa poitrine. De la sève monta entre les barbillons tandis que l’Homme-Arbre se débattait vainement. Il parvint à libérer un bras, mais la hache du Démon le trancha avant que Skarana n’ait pu se dégager. Des échardes d’écorce plurent sur les Dryades et les Skaramor se battant aux pieds des géants, et Skarana se libéra enfin du fouet, de la sève s’écoulant de son corps ravagé.
Le bâton de l’aïeul fendit l’air, et frappa le Démon Majeur en plein poitrail. Karan’gar tituba en arrière, ses sabots heurtant les Nordiques tandis qu’il reprenait ses appuis. L’extrémité du bâton produisit une puissante lueur verte, et des ronces jaillirent de sa pointe, lacérant aveuglément la chair démoniaque. Or, Karan’gar avait recouvré son équilibre. D’un moulinet de sa hache, il trancha les ronces et sectionna le bâton de Skarana dans le sens de la longueur. Le Démon assoiffé de sang avança de nouveau, sa hache mordant la chair de l’Homme-Arbre mourant. Cette fois, les dégâts étaient trop graves. Dans un cri grinçant, Skarana s’écroula sur le côté, son esprit vaillant s’échappant avant même que son corps fendu ne touche le sol.À l’unisson, les servantes Dryades de l’aïeul poussèrent un hurlement de tristesse, et se jetèrent sur les Skaramor avec une férocité redoublée. Hélas, la haine et le chagrin n’étaient pas de taille face à la fureur aguerrie des Nordiques, et beaucoup de Dyades rejoignirent bientôt leur maître dans la mort.
Durthu vit Skarana tomber, et entendit le cri de victoire sauvage du Démon Majeur de Khorne. Il aurait bien défié Karan’gar, si cela n’avait pas laissé la Reine Éternelle souffrante sans protection. Seule une mince barrière de lances se dressait à présent entre Alarielle et les cultistes de Hellebron, et le Durthu ne pensait pas que les Nains atteindraient sa maîtresse avant l’ennemi. Cependant, Alarielle était plus encline à faire confiance aux Zhufbarak. En outre, elle savait à présent que seul Durthu pouvait rivaliser avec la force terrible du Démon Majeur. L’ancien Esprit des Forêts possédait la force de tous les autres aïeux qui avaient péri avant lui, et nul Démon ne saurait résister à une telle puissance. D’une voix crispée, elle demanda à l’Homme-Arbre de la laisser. Puis, lorsqu’il ne refusa, le ton de la Reine Éternelle se durcit, et sa requête devint un ordre. Durthu obéit à contrecœur. Confiant la sécurité de la reine aux dernières Sœurs d’Avelorn, il se rua sur le Démon Majeur.
Avec un Buveur de Sang combattant en première ligne, les Skaramor auraient balayé ce qui restait des servantes de Skarana. Toutefois, tandis que les Nordiques chargeaient à la suite de Karan’gar, un vent glacé souffla à travers les défenses noircies derrière le mur. Une Magie Noire imprégna les corps brisés des Elfes et des Nordiques qui avaient péri en ce lieu, les cadavres se remettant maladroitement sur leurs pieds, obéissant à une volonté qui n’était pas la leur. Les barbares de Khorne moururent par dizaines tandis que les morts se relevaient, car il se préoccupait des vivants, pas des défunts. Plus encore périrent ensuite, lorsque Vlad von Carstein tomba du mur avec élégance, et vint se placer à la tête de son armée ressuscitée.
Les Sakramor avaient beau être aguerris, aucun d’eux ne pouvait rivaliser avec les talents immortels de Vlad. Le Vampire employait la finesse et la brutalité en égales mesures, effectuant une parade habile, puis recourant à une force démesurée l’instant suivant. On ne pouvait pas en dire autant des Zombies, mais Vlad les employait uniquement comme bouclier pour se protéger des Nordiques, et s’en remettait à sa propre épée, la Lame Vampire, pour tuer.
Ainsi, plus par chance que par dessein, l’attaque des Skaramor fut endiguée assez longtemps pour que Durthu atteigne sa cible. Le Doyen des Aïeux frappa Karan’gar en plein élan, et envoya le Démon Majeur heurter le mur de Middenplatz. Il y eut un craquement d’os brisés lorsque les ailes du monstre se plièrent contre lui-même, mais le bruit fut vite noyé par le rugissement de douleur de Karan’gar tandis que la lame forgée par Daith que maniait Durthu plongea à travers le plastron du Démon et s’enfonça dans sa chair abjecte.
Même mortellement blessé, le Démon poursuivit le combat. Se dégageant du mur avec une main charnue, il abattit sa hache contre Durthu, chaque coup arrachant des éclats à une écorce presque aussi vieille que le monde. Cependant, Durthu était une tout autre affaire que Skarana. Il encaissa les terribles coups sans émettre un son, puis il dégagea sa main de la poitrine du Démon, en le tranchant presque en deux, et renvoya son esprit hideux et belliqueux dans le Royaume du Chaos.
L’absence de Durthu se fit lourdement sentir dans la mêlée autour de la Reine Éternelle. Sans l’Homme-Arbre à leurs côtés, les Dryades et les Gardes Éternels se faisaient submerger par les lames vouées à Khorne. Les Skaramor et les Furies combattaient férocement, sans se préoccuper des Nains qui réduisaient leurs rangs arrière en abats.
Hellebron poussa un cri triomphant lorsque son Autel-Chaudron percuta le mince mur de boucliers des Asrai, et se rua sur la Reine Éternelle déclinante. Des Dyades gravirent en hâte les marches de fer de l’autel, et leurs griffes lacérèrent la peau d’albâtre de la Reine du Sang. Hellebron ne prêta aucune attention à ces blessures. Prise d’un rire dément, elle démembra les esprits, puis bondit au bas des marches pour réclamer la vie d’Alarielle.Même au sommet de sa puissance, la Reine Éternelle aurait dû lutter âprement pour défaire Hellebron. Bien qu’elle ait appris le maniement des lames avec les meilleurs combattants d’Ulthuan, Alarielle était un être de paix plus que de guerre, et même le plus talentueux de ses tuteurs aurait été fauché par le déluge de coups initial de la Reine de Sang. Ainsi, la première attaque arracha un éclat du bâton de la Reine Éternelle, et la seconde lui effleura la tête. Si Alarielle s’était décalée sur le côté à peine plus lentement, le coup lui aurait tranché le crâne en deux. Ce ne fut qu’un bref sursis. Hellebron porta un coup de pied fourbe qui toucha la Reine Éternelle en plein dans l’estomac, et la fit chanceler en arrière.
Deux Gardes Éternels se jetèrent sur Hellebron de chaque côté. Les deux lames de la Reine de Sang tracèrent un arc de cercle avec une parfaite synchronisation, et ses assaillants s’effondrèrent décapités. Alarielle tira parti de la diversion et invoqua un mur de ronces sur le chemin de Hellebron. La Reine de Sang ne ralentit même pas et se jeta dans l’enchevêtrement, sa haine la poussant à travers les épines acérées. Avant qu’Alarielle n’ait pu lever une nouvelle protection, Hellebron lui planta son épée dans les entrailles.
La Reine Éternelle hurla tandis que Hellebron retirait sa lame. Alarielle tomba à genoux, une main pressée contre sa blessure, l’autre relâchant sa prise sur son bâton étincelant. Elle sentait son essence vitale s’écouler. Ghyran essayait de refermer la blessure, mais la Magie occulte des lames de la Reine de Sang s’opposait à lui. Brièvement, Alarielle dirigea son pouvoir pour accélérer la guérison, puis elle vit l’épée crépitante de Hellebron s’abattre à nouveau, cette fois pour trancher sa tête.
Même Alarielle ne put dire ce qui la poussa à agir comme elle le fit. Peut-être que Ghyran murmurait dans ses pensées, ou bien s’agit-il d’un simple instinct désespéré. Tandis que les épées de Hellebron filaient vers son cou, la Reine Éternelle libéra un sort à demi achevé. Or, la Magie réparatrice ne pénétra pas ses propres blessures, mais l’esprit dérangé de la Reine de Sang. À cet instant, le pouvoir revigorant de Ghyran balaya la psyché brisée de Hellebron, tel un vent violent chassant les nuages de démence qui noyaient son être depuis des milliers d’années. Hélas, sa folie était trop ancrée pour être bannie pour de bon. Cependant, pendant une fraction se seconde, Hellebron perçut le monde, et sa place en son sein, avec un regard lucide. La Reine de Sang en fut paralysée, les visions d’une vie de malfaisance se déversant à travers elle. Son élan s’estompa, et ses lames tombèrent sur le sol.
Alors que sa vue était troublée par sa souffrance, Alarielle vit le changement submerger son adversaire. La Reine Éternelle sollicita ses membres alourdis et tâtonna en quête d’une arme. Ses doigts engourdis se refermèrent sur une lance brisée de Garde Éternel. Ignorant la douleur provoquée par la réouverture de ses plaies à demi guéries, Alarielle brandit l’arme vers le haut. La pointe d’acier perfora Hellebron entre les côtes, et transperça son cœur. Un instant plus tard, les deux reines s’effondrèrent, l’une morte, l’autre presque éteinte.
Les cultistes de Hellebron furent pris de désespoir au trépas de leur reine, ce qui ne fit que les plonger dans une frénésie plus intense. À nouveau, ils se ruèrent en hurlant sur les dernières bandes d’Elfes pour finir ce que leur maîtresse avait commencé, mais ils avaient perdu leur élan. Durthu, revenu trop tard après son combat contre Karan’gar pour secourir Alarielle, frappa les premiers rangs des Nordiques avec la force d’une avalanche.
Des corps en armure s’éparpillaient sous les coups rageurs de l’Esprit des Forêts. Avec un rugissement qui ébranla Middenplatz, Durthu arracha le chaudron de Hellebron de ses amarres et le jeta sur la horde des Skaramor. De nouveaux cris montèrent tandis que le sang bouillonnant aspergeait les armures et la chair, mais Durthu n’en avait pas fini. Serrant un poing massif sur chacun des escaliers de l’autel, l’Esprit des Forêts le déchira dans un crissement de métal. Galvanisés par les efforts de l’aïeul, les derniers Elfes de l’ost d’Alarielle puisèrent dans leurs dernières forces et redoublèrent d’efforts.
Piégés entre les Morts-Vivants de Vlad, les Nains de Hammerson et les vestiges de l’Ost de la Vie, la moitié est de la horde de Hellebron fut enfin anéantie. Durthu était le marteau, sa lame de Daith dans une main, un fragment de l’Autel-Chaudron dans l’autre. Les Zhufbarak étaient l’enclume, leurs boucliers superposés inamovibles. Les Skaramor et les Furies ne périrent pas aisément, et des centaines de crânes furent encore réclamées pour Khorne avant de les exterminer, mais ils l’étaient enfin. Tandis que des guérisseurs s’agglutinaient autour de la forme à terre de la Reine Éternelle, le dernier barbare tombait, sa tête fendue par le bâton runique de Hammerson.
Il ne restait plus que la moitié ouest de l’armée de Hellebron, tenue en respect par la détermination des Nains et la Magie de Gelt. Par deux fois, Gelt avait ordonné un repli. Chaque fois, le mur de boucliers des Zhufbarak avait reculé loin de monticules de morts ensanglantés, les ailes de la ligne de bataille se repliant sur elles-mêmes à mesure que diminuaient leurs effectifs. Les Nains de Gelt risquaient à présent d’être submergés. Cependant les Morts-Vivants de Vlad arrivaient du nord pour soutenir leur flanc droit, tandis que les Elfes exténués appuyaient le gauche. Les Zhufbarak d’Hammerson virent renforcer le centre, car c’était là que les combats étaient les plus âpres. Enfin, la Marée des Skaramor s’atténua, la victoire semblait possible.
Ce fut alors, accompagnée du bruit des gongs et d’un bourdonnement morne, qu’une nouvelle armée arriva à Middenplatz. En vérité, elle avait avancé depuis un moment, mais son approche à travers la porte ouest avait été dissimulée par les cris guerriers des Skaramor et les hurlements stridents des Dryades. Si seulement le vent avait soufflé de l’ouest et non du nord, personne n’aurait pu ignorer la puanteur qui s’accrochait à la chair des nouveaux arrivant autant que leurs essaims de mouches. En l’état, le dernier des Skaramor tombait tout juste sous les coups de hache des Zhufbarak lorsque l’ost de Nurgle rencontra le mur de boucliers de plus en plus épars.
Les Nains s’accordèrent un instant de calme lassitude en découvrant leurs ennemis. Puis ils levèrent leurs haches, beuglèrent leurs serments de bataille, et encaissèrent cet assaut avec le même courage qu’ils avaient démontré au combat depuis la chute d’Averheim.
Au sud, la situation des Elfes Sylvains était plus désespérée encore. Les armes et les boucliers devaient être jetés de côté car ils se changeaient en asticots, laissant leurs porteurs démunis face aux scintillantes épées pestilentielles. C’est cependant au nord, que les circonstances étaient les pires, où l’armée levée par Vlad tenait le flanc droit des Zhufbarak. C’est là en effet que se trouvait Isabella von Carstein, déambulant parmi le fracas des lames avec le maintien d’une dame noble en promenade estivale. Où qu’elle passait, le don de Nurgle coulant dans ses veines désagrégeait la horde de macchabées de Vlad, permettant ainsi aux Porte-Pestes de progresser sans opposition. Bientôt, Vlad n’eut d’autre choix que de battre en retraite à travers les pieux noircis aux pieds du mur de Middenplatz, puis de grimper sur le parapet. Isabella le suivit, un mince sourire dansant sur des lèvres.
Ashigaroth ne fit aucun bruit en s’approchant, mais la puanteur de sa Magie Noire trahit sa présence. Vlad se tourna pour affronter le cavalier de la créature avec une lasse résolution. La joie qu’avaient pu susciter leurs confrontations passées l’avait quitté. Les rivalités entre père-de-ténèbres et rejeton ingrat semblaient si triviales à présent.
« Êtes-vous venu me tuer, ou m’aider ? » s’enquit Vlad. Mannfred tordit sa lèvre en un sourire, tandis que sa monture se posait le rempart. « Je ne perdrai mon temps ni dans un cas, ni dans l’autre, si cela revient au même pour vous. » Vlad secoua la tête. « Vous n’avez pas changé. Tôt ou tard, vous devrez choisir votre camp. » « Je l’ai fait il y a longtemps. Je lutte pour moi-même. » Vlad secoua la tête. « Alors vous êtes plus proche de Nagash que vous le pensez. Qu’il soit juste ou cruel, un véritable chef croit en quelque chose de plus grand que lui-même. Un tyran, ne croit en revanche qu’en lui seul. » « Dois-je comprendre que tout ce que vous avez fait, a été motivé par votre seule générosité ? » « Peut-être pas au départ, » concéda Vlad. « Quoi qu’il en soit, vous êtes libre de croire ce que vous voulez. Souvenez-vous juste de ceci : le destin n’est pas tendre avec les tyrans. » « Ni avec les nigauds, » cracha Mannfred. « Et je sais dans quelle catégorie je préfère être classé. » « Pourquoi êtes-vous ici, mon garçon ? » Vlad ne dissimulait pas sa lassitude. « Pour profiter de la convivialité de cette réunion de famille, bien entendu. » Vlad perçut alors une autre présence sur le rempart. Lentement, il tourna la tête vers la bretèche et y vit Isabella. « Salutation, mon époux. » Sa voix musicale était couverte par le timbre guttural de son hôte. « Ne viendrez-vous pas m’embrasser une dernière fois ? » Derrière Vlad, Mannfred ricana et quitta le rempart. Immédiatement, Vlad comprit qu’il n’avait cherché qu’à le retarder. « Fort bien. » Vlad s’adressait autant à lui-même qu’à Isabella. « Une dernière étreinte, avant la fin. » |
Ils s’affrontaient d’avant en arrière le long du parapet. Petit à petit, les parades de Vlad se firent plus lentes, ses ripostes plus téméraires. Puis, alors que le duel revenait une fois de plus sur la bretèche où il avait débuté, Isabella plaça son premier coup significatif. La pointe de son épée déchiqueta le bras gauche de Vlad, et sa Lame Vampire tinta sur le sol. Avec un sourire froid qui était plus celui de Bolorog que le sien, Isabella avança vers son adversaire désarmé la main tendue pour le bénir du don de Nurgle. Toutefois, en dépit des apparences, Vlad n’était pas hors course. Incapable de mettre lui-même un terme à l’existence de sa bien-aimée, il avait établi un plan plus désespéré.
L’Anneau des Carstein reconstituait déjà les muscles tranchés de Vlad, restaurant le mouvement de sa main gauche, mais il ne tenta pas de ramasser son épée. À la place, il fendit l’air, droit devant lui, plus vif qu’une pensée, et passa dessous et autour des doigts avides d’Isabella. Son mouvement fut si soudain qu’il ne laissa aucune chance à la comtesse de réagir. En l’esquivant, Vlad saisit le poignet du bras tendu d’Isabella, et le tordit derrière son dos. La comtesse siffla de douleur et lutta pour se libérer, mais sa force n’était pas comparable à celle de Vlad. Il lui arracha l’épée qu’elle tenait dans sa main libre, sans se soucier de perdre deux doigts ce faisant, et la tira vers lui.
Vlad sentait déjà le fléau d’Isabella ronger sa chair. Il ferma son esprit à la douleur, et poussa son corps qui se désagrégeait à effectuer un dernier effort. Il retira l’Anneau des Carstein, et l’enfila de force à l’un des doigts d’Isabella. Puis, avant que ses dernières forces l’abandonnent, Vlad enroula ses bras autour de la comtesse qui se débattait, avant de se précipiter avec elle du haut du parapet. Pendant un long moment, l’air fut empli du rire amer de Vlad, et des cris désespérés d’Isabella. Les deux sons se turent Lorsque les deux Vampires s’empalèrent sur un des pics au bas du mur, dont la pointe transperça le cœur de Vlad un instant avant celui d’Isabella.
Nul ne remarqua le trépas de Vlad, pas en cet instant, car ceux qui restaient étaient trop concentrés sur leur propre survie. Lentement mais sûrement, les derniers Zhufbarak et Elfes Sylvains étaient repoussés, leur mur de boucliers remodelé en un cercle irrégulier autour de la Reine Éternelle convalescente. Seul Durthu, infatigable, n’était envahi que par une rage qui redoublait à chaque allié tombé. Il savait que la défaite était proche et que le monde s’achèverait peu après. Cela, le Doyen des Aïeux ne pouvait le permettre, pas tant qu’il aurait la capacité d’influer sur le cours des événements.
Avec un grognement de chagrin, Durthu balaya les rangs des Démons avec son épée, l’acier de Daith rôtissant un Grand Immonde tel un cochon sur une broche. Puis, l’Esprit des Forêts s’agenouilla au côté de la Reine Éternelle, et posa doucement un doigt noueux sur son front. Il y a très longtemps, un de ses frères s’était sacrifié pour débarrasser une reine Elfe d’un fléau qui rongeait son âme. À présent, Durthu donnait de bon gré sa vie, non pour dissiper une ombre, mais pour insuffler une nouvelle vie. Sa peau se craquela, ses feuilles tombèrent comme de la poussière de ses épaules. Tandis que Durthu se mourait, Alarielle refleurissait. Ses blessures guérirent, ses rides s’effacèrent, et il émana à nouveau d’elle une aura radieuse.
Comme sortie d’un rêve, la Reine Éternelle regarda la forme pétrifiée de Durthu, et comprit immédiatement le sacrifice auquel l’aïeul avait consenti. La colère se mêlait à la tristesse dans le cœur d’Alarielle. Elle se souvint d’un temps avant la Rhana Dandra, lorsqu’elle n’était pas encore l’Incarnation de la Vie, mais Alarielle, le fléau des Démons. Liant en elle-même les effluves mourants de l’âme de Durthu, le pouvoir de Ghyran qui palpitait en son sein, et la pureté qui constituait son héritage, la Reine Éternelle ferma les yeux, rejeta sa tête en arrière, et poussa une seule note d’une perfection absolue.
Un feu blanc, l’extrémité de ses flammes rehaussé de vert scintillant, balaya Middenplatz. Il dépassa sans heurt le cercle ratatiné des boucliers des Elfes et des Zhufbarak, mais les Démons qu’il toucha furent réduits en cendres. Alarielle venait de faire périr des centaines de Démons. Cependant, lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle se consterna de voir qu’il en restait des milliers. Le sacrifice de Durthu avait permis un bref répit, pas plus. Alarielle se plaça aux côtés de Hammerson et de Gelt, et se prépara à un dernier carré.
De tous ceux qui avaient survécu sur Middenplatz, seul Balthasar Gelt gardait espoir. Là où les autres ne voyaient qu’un sursis à leur trépas, l’Incarnation du Métal vit une opportunité, à saisir sans attendre. Pour la première fois depuis l’arrivée de Gelt, la porte nord était dégagée, au moins pour un temps. Alors que les Démons titubaient dans les cendres de leurs semblables pour renouveler leur attaque, Gelt échangea un regard avec Gotri Hammerson. Les deux individus avaient traversé maints périls ensemble depuis leur rencontre à Averheim ; le Nain compris immédiatement ce que le Sorcier avait à l’esprit et hocha lentement la tête.
N’hésitant qu’un court instant, Gelt éperonna les flancs de Vif Argent. Bien qu’il ne pût plus voler, le Pégase était encore bien assez rapide au sol, suffisamment pour distancer les Démons corpulents de Nurgle. La monture hennit et partit au galop, Gelt dépassa la Reine Éternelle, prononça un mot tranché, et des mains dorées soulevèrent Alarielle pour la déposer sur le dos de Vif Argent. Des Drones de la Peste<