La Disgrâce de Huss et sa Rencontre avec Valten

De La Bibliothèque Impériale

Luthor Huss est l’un des personnages les plus controversés de l’Empire. Il ne fait aucun doute qu’il figure parmi les ennemis du Chaos les plus ardents et les plus résolus, sa volonté est immense et sa foi sans limite. Il s’est toutefois mis en devoir de débarrasser le clergé de [Sigmar], au sein duquel il a officié pendant des années, de toute trace de corruption ou de laxisme.

Autrefois fanatiquement loyal à l’église, Luthor fut abasourdi par ce dont il fut témoin lors du Conseil Sigmarite d’Altdorf. Là où il s’attendait à voir piété et don de soi, il assista aux intrigues politiques et financières des ecclésiastiques. Plutôt que de faire front, unis contre la menace chaotique, ils se regroupaient en coteries afin de poursuivre leurs objectifs temporels. Outré, il se lança dans un discours enflammé et fielleux à l’encontre des Diacres, suite à quoi il lui fut demandé de présenter des excuses officielles. Il ne put s’y résoudre, car il avait perdu confiance en ses supérieurs. Il se distancia donc des autorités spirituelles, et l’on put dès lors le voir parcourir les campagnes impériales et les cités isolées pour délivrer des sermons dénonçant publiquement le manque d’éthique de l’église sigmarite. En ces temps sombres, il harangua les gens à puiser leur foi en eux-mêmes, plutôt que de se tourner vers des prêtres corrompus prêts à vendre leur âme contre des pièces d’or.

Huss se montra si virulent que les autorités du culte, qui jusque-là le considéraient comme un simple fauteur de trouble, durent se résoudre à agir. Des milliers de croyants prenaient Huss au pied de la lettre et le clergé était de plus en plus inquiet que ce zèle mal aiguillé ait à long terme des répercussions sur la foi des gens. Comme si les cieux eux-mêmes avaient leur mot à dire, la comète bifide, le symbole sacré de Sigmar, réapparut dans le ciel de l’Empire, cinq cent vingt-trois ans après son dernier passage. Certains y virent un présage de bonne fortune, car cette même comète avait annoncé la naissance de l’Empereur-Dieu, d’autres la dirent porteuse de désastre, comme cela avait été le cas lors de la destruction de Mordheim en 1999. Depuis le retour de la comète, des intégristes de toute confession avaient pignon sur rue, tandis que les rangs des Flagellants ne cessaient de grossir car le peuple voulait se laver de ses péchés avant que la fin du monde, ou son salut, ne vienne.

Les choses empirèrent lorsque le Grand Théogoniste, le seul dignitaire sigmarite qui avait su s’attirer le respect de Huss, fut tué par un barbare nordique nommé Archaon, qui d’après Volkmar promettait de détruire le monde. Ces révélations avaient apporté de l’eau au moulin de ceux qui pensaient le vieil homme gâteux, et si sa mort ne fut une surprise pour personne, elle n’en porta pas moins un grand coup au moral de l’Empire. L’homme qui fut élu pour lui succéder était Johann Esmer, le Grand Prêtre de Talabheim réputé pour ses ambitions politiques démesurées.

Luthor Huss prêchait à Talabheim même lorsqu’il apprit que le premier décret d’Esmer avait été de dissoudre quatorze missions de par l’Empire, pour raisons économiques. Huss fut pris d’une grande colère, il fabriqua une poupée en bois, peinte en or, à l’effigie du nouveau Grand Théogoniste et s’élança vers la cathédrale de Sigmar. Les passants effrayés qui croisèrent sa route prétendirent qu’il se parlait à lui-même tout en marchant, le regard fou, vêtu de son armure lourde et portant son marteau à deux mains sur l’épaule. Lorsqu’il atteignit les immenses portes de la cathédrale, il leur asséna un coup terrible dont le bruit résonna à cinq cents mètres à la ronde, attirant une nuée de badauds. Il rugit alors son défi :
« Ne voyez-vous pas les ténèbres qui descendent en cette heure sur nos âmes ? Combien de temps cela va-t-il encore durer ? Combien de temps avant que cette spirale sans fin nous apporte la ruine ? »
Brisant les portes d’un nouveau coup de marteau, il y enfonça quelque chose, avant de repartir à grands pas. Ceux qui osèrent approcher des débris de la porte y trouvèrent la poupée qu’il avait fabriquée, un clou de neuf pouces enfoncé dans le cœur et le nom Esmer gravé sur son front. Cette attaque directe contre le Théogoniste, ajoutée à la profanation de la cathédrale, était allée trop loin. La colère se répandit au sein du clergé de Sigmar tandis que Clercs et Diacres se demandaient quoi faire de Huss. Luthor quant à lui n’avait aucune intention de se soumettre à la justice usurpée de l’église et poursuivit ses activités avec plus de véhémence que jamais.

Le voile de ténèbres qui recouvrait lentement l’Empire permit à ses enseignements anti-matérialistes et anti-gouvernementaux de prospérer : où qu’il allât, il ne faisait qu’amplifier le sentiment de jugement imminent qui habitait les gens de l’Empire. Des groupes de Flagellants se joignirent à ses pérégrinations et ajoutèrent leurs chœurs de lamentations et de prophéties à ses dénonciations enragées. De nombreux émules apparurent dans ses pas et reprirent ses paroles, les rehaussant des promesses de salut ou de damnation. Les actes commis par Huss à Nuln avaient néanmoins choqué certains de ses admirateurs, et son intransigeance était devenue source de frayeur autant que de respect. Il usa de cette nouvelle réputation à son avantage, promettant aux pécheurs le repentir. Des rumeurs sinistres commencèrent même à circuler : ceux qu’ils ne parvenaient à remettre sur le droit chemin par la parole, il les libérait du mal par le marteau. Frère Jakob d’Erlach, dont les détournements de fonds étaient fameux, fut trouvé le crâne fracassé par ce qu’on crut être la chute d’un chandelier pourtant bien fixé ; Frère Bernhardt Schneider fut battu à mort par un gang de Nuln ; Erich von Gottenberg, que beaucoup de jeunes filles accusaient pudiquement de gestes déplacés, disparut purement et simplement au moment ou Huss quittait la ville. Il ne fut jamais prouvé que Luthor eût quelque chose à voir dans ces affaires, mais les rumeurs s’en chargèrent et même les prêtres honnêtes commencèrent à redouter sa venue.

Mais la mission de Huss ne s’arrêtait pas là. Au fil de ses voyages, il recherchait des villes assiégées ou des armées en marche pour leur communiquer sa foi inébranlable, par ses prières comme par ses prouesses martiales. Son devoir était de fouler au pied le mal, où qu’il se cache : au fur et à mesure que l’Empire s’enfonçait dans l’anarchie, il se trouvait de plus en plus sollicité. Des Bandits se terraient partout, les Hommes-Bêtes et les Gobelins s’étaient multipliés. Le pays était ravagé par les batailles, les milices et les troupes provinciales s’efforçant de contenir les attaquants, humains ou inhumains. Des Flagellants et des prophètes proclamaient réincarnation de Sigmar le moindre soldat s’étant illustré au cours d’un de ces combats, et nombreux étaient ceux à les croire tant leur besoin d’être guidés était grand.

Un jour, alors qu’il s’abritait d’une tempête dans un relais de diligence sur la Route Stimmingen, Huss participa à une conversation singulière. Quatre hommes en provenance de Lachenbad étaient venus chercher de la nourriture pour leur village dévasté, et ils lui racontèrent que le jeune fils du forgeron avait sauvé le village à lui tout seul de l’attaque d’une bande d’hommes-bêtes. Alors que les villageois s’enfuyaient, le jeune garçon, appelé Valten, s’était emparé de deux marteaux de la forge de son père et s’en était pris aux assaillants. Inspirés par sa bravoure, les habitants s’étaient ralliés autour de lui et l’avaient suivi alors qu’il abattait les hommes-bêtes les uns après les autres, avant de tuer leur énorme chef en combat singulier. Les survivants s’étaient enfuis, et Lachenbad, ou ce qu’il en restait, fut sauvée. Le sang de Huss ne fit qu’un tour, il savait que des dévots de Sigmar trouvaient des faux sauveurs par dizaines, mais l’histoire qu’il venait d’entendre avait trop de parallèles avec celle de Sigmar lui-même pour qu’il s’agisse d’une coïncidence. Les cieux avaient-ils décidé de leur envoyer un sauveur en cette heure sombre ? Luthor partit immédiatement pour Lachenbad.

Son cheval manqua de mourir d’épuisement alors qu’il arrivait au village. L’averse tombait dru et les habitants essayaient difficilement de reconstruire leur village pour se protéger de l’orage. Lorsqu’ils s’aperçurent qu’un prêtre était venu parmi eux, ils se rassemblèrent autour de lui, le suppliant de les aider ou tout du moins de les bénir, mais il était si pressé de rencontrer le fils du forgeron qu’il les ignora. Il le trouva devant ce qui avait dû être l’atelier de son père. Le garçon, si tant est que ce terme pouvait encore lui être appliqué, était l’image même de Sigmar Heldenhammer. Grand et robuste, les membres musclés et le regard clair, il maintenait sans aucun effort visible une poutre tandis que son père la mettait en place au-dessus de la porte. Valten avait une prestance qui le démarquait des autres villageois, et il restait calme et serein malgré les dommages subis par son village.

Abasourdi, Huss descendit de sa monture avec maladresse et tituba en direction de l’apparition. Empli d’un profond respect, d’exaltation et d’espoir, il ne put que tomber à genoux et dire : « Mon Seigneur ! » devant le jeune homme qui le regardait avec étonnement. Oublieux de la pluie qui tintait sur son armure, de la flaque de boue qui s’étalait autour de ses genoux, Luthor n’entendit pas les injures méprisantes et les cris des villageois : « Il croit que Valten est Sigmar ! », « Le prêtre est devenu fou ! » Même si ses concitoyens ne s’en rendaient pas compte, même si une dizaine d’autres héros avaient été encensés puis démasqués, Luthor sut qu’en ces temps troublés, quelqu’un était venu repousser les ennemis de l’humanité. Sigmar était de retour.

Source

  • White Dwarf N°109 (Mai 2003)